La lettre juridique n°174 du 30 juin 2005 : Procédures fiscales

[Jurisprudence] Liquidation des biens : conditions du sursis à exécution des jugements ou des arrêts des juridictions administratives

Réf. : CE, 10 novembre 2004, n° 269058, Ministre de l'Economie et des Finances c/ SA Décoflock Clara Lander (N° Lexbase : A9068DD9) et CAA Versailles, 3ème ch., 3 mars 2005, n° 04VE03348, Ministre de l'Economie et des Finances c/ CPG International (N° Lexbase : A7698DIX)

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[Jurisprudence] Liquidation des biens : conditions du sursis à exécution des jugements ou des arrêts des juridictions administratives. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3207457-jurisprudence-liquidation-des-biens-conditions-du-sursis-a-execution-des-jugements-ou-des-arrets-des
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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés

le 07 Octobre 2010

Le contentieux administratif auquel se trouve rattaché le contentieux fiscal est marqué par le caractère non suspensif des recours en appel des jugements des tribunaux administratifs et, en cassation, des arrêts des cours administratives d'appel devant le Conseil d'Etat. Il est rappelé que le sursis de paiement (LPF, art. L. 277 N° Lexbase : L8537AEW) dont bénéficie de droit le contribuable, pour autant qu'il en ait fait la demande dans sa réclamation initiale, prend fin avec le jugement du tribunal administratif. Toutefois, le contribuable, comme l'administration, peuvent demander le sursis à exécution d'un jugement rendu par un tribunal administratif ou d'un arrêt rendu par une cour administrative d'appel. Peuvent, ainsi, faire l'objet d'une demande de sursis à exécution, tant les décisions des tribunaux administratifs frappées d'appel que celles faisant l'objet d'un pourvoi en cassation, ainsi que les ordonnances rendues par le juge des référés. Il est à noter que, depuis le 1er janvier 2001, la procédure de sursis à exécution ne concerne que les décisions juridictionnelles.

Ainsi, aux termes de l'article R. 811-16 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3293ALK), "lorsqu'il est fait appel par une personne autre que le demandeur en première instance, la juridiction peut, à la demande de l'appelant, ordonner [...] qu'il soit sursis à l'exécution du jugement déféré, si cette exécution risque d'exposer l'appelant à la perte définitive d'une somme qui ne devrait pas rester à sa charge dans le cas où ses conclusions d'appel seraient accueillies".

Les dispositions de l'article R. 811-17 du CJA (N° Lexbase : L3294ALL) poursuivent en précisant que, "dans les autres cas, le sursis peut être ordonné à la demande du requérant, si l'exécution de la décision de première instance attaquée risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent sérieux en l'état de l'instruction".

De même, aux termes de l'article R. 821-5 du même code (N° Lexbase : L3303ALW), "la formation de jugement peut, à la demande de l'auteur du pourvoi, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution d'une décision juridictionnelle rendue en dernier ressort, si cette décision risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens invoqués paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation de la décision juridictionnelle rendue en dernier ressort, l'infirmation de la solution retenue par les juges du fond".

La procédure de sursis à exécution se trouve, donc, précisément régie devant la cour administrative d'appel par les dispositions des articles R. 811-14 (N° Lexbase : L3291ALH) à R. 811-19 (N° Lexbase : L3296ALN) du CJA et, devant le Conseil d'Etat, par celles des articles R. 821-5 et R. 821-5-1 (N° Lexbase : L7871DGM) du même code.

Les conclusions tendant au sursis à exécution doivent être présentées, sous peine d'irrecevabilité, par une requête distincte et accompagnées d'une copie du recours en appel ou du pourvoi devant le Conseil d'Etat (CJA, R. 811-17-1 N° Lexbase : L7876DGS). Le délai d'appel des décisions ordonnant ou refusant le sursis à exécution est de quinze jours.

Il doit être observé que si le dépôt d'une demande de sursis à exécution par le contribuable n'a pas, par lui-même, d'effet suspensif (CE, contentieux, 30 novembre 2001, n° 234654, M. Dion c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A7487AXL), l'administration prescrit, néanmoins, à ses comptables de surseoir au recouvrement de l'impôt en attendant qu'il soit statué sur la requête du contribuable (Réponse Frédéric Dupont, JOAN, 24 novembre 1986, p. 4375).

Il ressort des dispositions précitées qu'une demande de sursis à exécution d'un jugement rendu par un tribunal administratif ou d'une cour administrative d'appel ne peut prospérer que si les conditions relatives à l'existence de moyens sérieux en l'état du dossier et de conséquences difficilement réparables sont réunies (instruction du 7 avril 2005, BOI n° 13 O-3-05 N° Lexbase : X0232ADX).

Concernant plus particulièrement cette dernière condition, il appartient, en effet, au requérant qui demande le sursis à exécution d'apporter un certain nombre d'éléments permettant au juge de considérer s'il résulte de l'instruction ou non qu'il est exposé, faute d'un tel sursis, à la perte définitive d'une somme (CE, Contentieux, 13 avril 1988, n° 82536, Commune de Rouvres c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A8094APH).

Cette obligation pèse, également, sur l'administration fiscale lorsqu'elle sollicite qu'il soit sursis à exécution d'un jugement prononçant une décharge d'imposition (CAA Nantes, 1ère ch., 8 septembre 1993, n° 93NT00454, Ministre du budget c/ SARL "Bulletin d'information" N° Lexbase : A1487BHK).

A cet égard, la question se pose de savoir, si l'administration représentée par son ministre peut demander qu'il soit sursis à l'exécution d'une décision, lorsqu'une entreprise fait l'objet de procédures collectives et, plus particulièrement, d'une procédure de règlement judiciaire ?

La jurisprudence à la question ainsi posée a répondu positivement (CE, contentieux, 29 mars 2002, n° 241670, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SARL Grey Diffusion N° Lexbase : A5065AYA) ; CE, 2° s-s., 29 juillet 2002, n° 247048, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société Faluver N° Lexbase : A0003B9Y), pour autant que l'exécution du jugement ou de l'arrêt déféré exposerait effectivement l'Etat à une perte définitive de sa créance.

Ainsi, s'agissant d'une demande de sursis à exécution d'un jugement rendu en faveur d'un contribuable en liquidation judiciaire, le Conseil d'Etat a considéré qu'il n'y avait pas lieu de faire droit à la demande du ministre, dès lors qu'il n'était pas établi que l'exécution du jugement ordonnant la décharge de l'imposition en cause risquerait d'exposer l'Etat à une perte définitive (CE, 8° et 9° s-s., 16 juillet 1976, n° 02769, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Société X N° Lexbase : A1329B8Q).

Dans cette affaire, le juge, constatant que la société avait bénéficié du sursis au paiement des impositions litigieuses, relevait, d'une part, que l'Etat ne pouvait être contraint à procéder à un remboursement de droits au profit de la société intimée et, d'autre part, que le ministre n'établissait pas, en outre, que l'exécution du jugement en cause risquait d'exposer l'Etat à la perte définitive d'une somme, qui ne devrait pas rester à sa charge au cas où les conclusions de son recours seraient reconnues fondées par le Conseil d'Etat.

En d'autres termes, le Conseil d'Etat admet implicitement, mais nécessairement, que la circonstance que le contribuable soit en liquidation judiciaire n'est pas un élément à lui seul suffisant pour ordonner le sursis à exécution d'un jugement rendu en première instance au profit d'un contribuable (dans le même sens, CE, Contentieux, 23 mars 1992, n° 99425, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SARL "Société nouvelle Rivastella" et autres N° Lexbase : A5122AR7).

Et ce, plus particulièrement dans les cas où l'exécution du jugement n'engendre aucun décaissement de la part de l'Etat, le contribuable ayant initialement bénéficié du sursis au paiement des impositions complémentaires litigieuses. Dans une affaire en date du 8 septembre 1993, il a été jugé que le ministre n'établissait pas que l'imposition, dont le tribunal avait accordé la décharge, avait été acquittée, et que les sommes en cause devaient, de ce fait, être remboursées dans des conditions impliquant que, compte tenu de la mise en liquidation judiciaire de la société, l'administration soit exposée en exécutant le jugement à la perte définitive d'une somme d'argent (CAA Nantes, 1ère ch., 8 septembre1993, n° 93NT00454, Ministre du Budget c/ SARL "Bulletin d'information" N° Lexbase : A1487BHK).

Il ressort, donc, de ces différentes affaires, que c'est, seulement, pour ce qui concernent les sommes correspondant à des remboursements effectifs (impliquant un réel décaissement pour le Trésor) que les circonstances créées par la mise en liquidation judiciaire peuvent être prises en compte par le juge pour faire droit à la demande du ministre de surseoir à l'exécution d'un jugement, dont l'exécution conduirait, conformément aux dispositions des articles précités du CJA, à la perte définitive de la créance.

C'est ce que confirme le Conseil d'Etat dans son dernier arrêt sur le sujet, "SA Décolfock Clara Lander" du 10 novembre 2004.

En revanche, à défaut d'obligation de remboursement des sommes litigieuses, lorsque ces dernières n'ont pas été acquittées par le redevable bénéficiant du sursis de paiement, et si la créance du Trésor a été régulièrement produite auprès du liquidateur, le sursis à exécution ne pourra pas être prononcée au profit de l'administration.

C'est en ce sens que s'est prononcée la cour administrative d'appel de Versailles, dans un arrêt du 3 mars 2005, en considérant que "le ministre ne soutient pas que les impositions, dont le tribunal a prononcé la décharge, ont été acquittées, en tout ou partie, par la SA Genicom et que les sommes correspondantes doivent, de ce fait, être remboursées dans des conditions impliquant qu'en l'espèce, compte tenu de la mise en liquidation judiciaire de cette société, l'administration est exposée, en exécutant le jugement, à la perte définitive d'une somme d'argent, dans le cas où ses conclusions d'appel seraient accueillies".

Elle poursuit en rappelant conformément à la jurisprudence précitée que "si le ministre fait valoir que l'exécution du jugement du tribunal administratif de Versailles aurait pour effet d'empêcher l'Etat de produire sa créance et, donc, de participer, en tant que créancier privilégié, à la répartition de l'actif disponible de la société liquidée, il résulte de l'instruction, en tout état de cause, que la créance a été produite le 19 août 2004 par la recette des impôts de Juvisy-sur-Orge ; qu'ainsi, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions à fin de sursis présentées par le ministre".

En conclusion, dans tous les cas, où l'Etat se trouvera dans la situation de reverser des impositions, déjà, acquittées par le contribuable et/ou lorsque la créance n'aura pu régulièrement être produite auprès du liquidateur conduisant à priver l'Etat de toute participation, en tant que créancier privilégié, à la répartition de l'actif de l'entreprise liquidée, le sursis à exécution sera, normalement, octroyé.

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