La lettre juridique n°167 du 12 mai 2005 : Social général

[Textes] A propos du "lundi de Pentecôte" : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Réf. : Loi n° 2004-626, 30 juin 2004, relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées (N° Lexbase : L5185DZ3)

Lecture: 6 min

N4024AIU

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Textes] A propos du "lundi de Pentecôte" : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3207340-textes-a-propos-du-lundi-de-pentecote-pourquoi-faire-simple-quand-on-peut-faire-complique
Copier

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


"Le drame de la canicule estivale a montré que notre pays n'avait pas suffisamment pris en compte les conséquences humaines du vieillissement de notre société et en particulier l'isolement et la fragilité de beaucoup de personnes âgées". C'est par ces premiers mots très consensuels que le Gouvernement exposait les motifs du projet de loi relatif à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. Au-delà des mesures sociales adoptées, la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 (N° Lexbase : L5185DZ3) fait peser l'effort contributif sur les actifs français, salariés du secteur privé ou public, ainsi que sur les entreprises. Fixée en principe au lundi de Pentecôte, la journée de solidarité est, en réalité, soumise à un régime autorisant toutes les variantes, brouillant totalement le message que la loi souhaitait adresser aux Français (1). Mais, la confusion qui accompagne la détermination de ce jour n'est rien en comparaison de l'imbroglio qui accompagne la mise en oeuvre de cette mesure (2), donnant de la solidarité à la française une image totalement désastreuse.

1. Le choix du jour de solidarité : l'hypocrisie sociale à la française

  • La solidarité comme prétexte

La philosophie affichée par le Gouvernement, qui a fait voter par le Parlement la journée de solidarité, était claire : proclamer la solidarité des Français à l'égard des personnes âgées durement touchées par la canicule de l'été 2003. La loi part du constat que les solidarités traditionnelles, familiales comme institutionnelles, ne permettent plus d'assurer effectivement aux personnes âgées le suivi quotidien nécessaire dont elles ont besoin pour supporter, dans des conditions sanitaires décentes, des événements climatiques exceptionnels.

A tout cela il n'y aurait rien à redire si la loi ne mettait en place un ensemble de mesures d'une parfaite complexité, qui a obligé le ministère du Travail à intervenir à deux reprises pour tenter de tirer, sur le plan juridique, toutes les conséquences de la loi (circulaire DRT, n° 2004-10, du 15 décembre 2004, concernant les dispositions sur la "journée de solidarité" résultant des articles 2 à 5 de la loi n° 2004-626 du 30 juin 2004 relative à la solidarité pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées N° Lexbase : L5129GUI ; circulaire DRT du 20 avril 2005, dispositif concernant la "journée de solidarité" N° Lexbase : L3300G8Q).

  • L'augmentation de la durée du travail comme objectif

Cette journée a été fixée par la loi au lundi de Pentecôte, qui n'est toutefois pas supprimé de la liste légale des jours fériés, liste présente dans l'article L. 222-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5903ACM). On sait toutefois que ces jours ne sont pas légalement chômés, à l'exception du 1er mai, et que c'est donc vers les conventions collectives qu'il convient de se tourner pour comprendre que les salariés français, dans leur grande majorité, ne travaillaient pas ce lundi tout en continuant d'être payés.

Désormais, les salariés qui travailleront le lundi de Pentecôte ou un autre jour déterminé par accord de branche ou d'entreprise, ou qui abandonneront un jour de RTT, ne percevront aucune rémunération supplémentaire et les heures ainsi travaillées ne s'imputeront pas sur le contingent annuel des heures supplémentaires.

La mesure vise ainsi non pas à instaurer une "journée de solidarité", mais bel et bien une "journée de travail supplémentaire non rémunérée", c'est-à-dire à augmenter la durée légale de travail, qui est d'ailleurs passée de 1 600 à 1 607 heures par an pour les salariés soumis à un décompte horaire et de 217 à 218 jours maximum pour les cadres en forfait jour (art. 2, 2° et 3° de la loi).

Sans aller jusqu'à prétendre qu'il s'agirait là d'une forme moderne de travail forcé (rejet de la demande de référé suspension présentée par la CFTC devant le Conseil d'Etat le 3 mai 2005 : CE référé, 3 mai 2005, n° 279999, Confédération française des travailleurs chrétiens N° Lexbase : A1783DIU), la loi du 30 juin 2004 a décidé de s'imposer très largement en "forçant" les conventions collectives existantes (art. 4 et 5) ainsi que les contrats de travail qui sont légalement réputés ne pas avoir été modifiés (art. 2).

  • La création d'un impôt de solidarité

Cette augmentation de la durée légale du travail est censée fournir aux entreprises et à l'Etat (on se demande d'ailleurs quel excédent de "profits" cette journée pourrait produire...) un surcroît de productivité justifiant la mise en place d'une nouvelle contribution de 0,3 %, cotisation qui sera également prélevée sur les revenus du capital et de placement. Il s'agit donc d'un nouvel impôt sur la production, affecté de manière particulière au financement de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie.

A l'heure où la France s'est engagée dans un large mouvement de réduction de la durée du travail et de diminution de la pression fiscale pesant notamment sur les entreprises et ce afin d'améliorer leur compétitivité, il est alors paradoxal de constater qu'au nom d'un impératif social majeur, le Gouvernement adopte de telles mesures qui prennent un chemin exactement inverse !

2. Le respect de la journée de solidarité : le désordre social à la française

  • Un jour de solidarité flottant

Fixée après de longues tractations au lundi de Pentecôte, la journée de solidarité à la française se traduira, dans la réalité, par un désordre sans précédent.

La loi elle-même organise la confusion, puisque le choix du lundi de Pentecôte n'est que supplétif (C. trav., art. L. 212-16, alinéa 4 N° Lexbase : L9596GQH) et peut être fixé à un autre jour, ou entraîner la suppression d'un jour de RTT, par accord collectif de branche ou d'entreprise (art. 2, al. 2). La loi permet également aux employeurs de déterminer ce jour, en l'absence de dispositions conventionnelles spécifiques applicables dans l'entreprises, soit "lorsque l'entreprise travaille en continu ou est ouverte tous les jours de l'année" (art. 2, al. 3), soit lorsque le lundi de Pentecôte était précédemment travaillé (art. 2, al. 4).

  • La balle dans le camp des entreprises

Mais, l'organisation des relations sociales à la française menace l'équilibre du dispositif. Si la loi permet, en effet, à l'employeur de justifier la mise en place d'une journée de travail supplémentaire non rémunérée de manière supplémentaire sans se heurter à l'argument tiré d'une éventuelle modification du contrat de travail (cf supra), elle ne le lui impose pas.

Rien n'interdit aux partenaires sociaux, au niveau de la branche ou de l'entreprise, ou même à l'employeur d'une manière unilatérale, de maintenir le lundi de Pentecôte chômé et de continuer de rémunérer les salariés, ce que de très nombreuses entreprises ont déjà prévu de faire.

  • La grève comme manifestation de la solidarité

La réaction des syndicats de salariés n'a pas tardé, comme le démontrent les nombreux appels à la grève lancés pour protester contre cette mesure.

En principe, ces mouvements ne devraient pas être qualifiés de grève lorsque le jour choisi coïncide exactement avec l'objet des revendications (prohibition de l'"autosatisfaction des revendications" : Cass. soc., 23 novembre 1978, n° 77-40.946, Consorts Bardot, Blondeau, dame Coudrat, Faverot, Giemza, Kozlowski, dame Lavalette, Machavoine, dame Ramier, Talpin c/ Société d'Applications du Marquage Industriel SAMI, publié N° Lexbase : A7583CIP, D. 1979, p. 304, note JÓC. Javillier).

Mais, on sait que la Cour de cassation admet que les salariés puissent élargir le champ de leurs revendications pour rendre le mouvement licite (Cass. soc., 12 avril 1995, n° 93-10.968, Société Ratti France c/ Monsieur Gonzales et autres, publié N° Lexbase : A1095AB8, Dr. soc. 1995, p. 606, obs. J.-E. Ray). Il suffit alors de faire grève pour protester, également, contre l'augmentation de la durée du travail, ou pour la défense du pouvoir d'achat, pour que le mouvement soit licite et entre dans les prévisions de l'article L. 521-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5336ACM).

Pour les salariés qui devaient normalement être payés, la grève entraînera logiquement une retenue salariale proportionnelle à la durée de travail dans le secteur privé et des retenues dont les montants varieront dans le secteur public en fonction des hypothèses.

Au final, il est aujourd'hui impossible de déterminer dans quelle mesure les salariés travailleront ou non effectivement le lundi de Pentecôte, quels seront les services publics effectivement ouverts et si les salariés seront ou non payés s'ils ne travaillent pas le lundi de Pentecôte.

La mesure, qui voulait rassembler les Français autour d'une noble cause, aboutit alors à un désordre social et politique sans précédent. A quelques jours d'une échéance politique majeure pour la France et pour l'Europe, une telle maladresse pourrait bien coûter à la France et au Gouvernement beaucoup plus cher que les 2,1 milliards d'euros de recettes escomptés...

newsid:74024

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.