La lettre juridique n°156 du 24 février 2005 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] TVA et mécénat

Réf. : CAA Paris, 2ème ch., 7 janvier 2005, n° 00PA03352, Société Emma Productions c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie (N° Lexbase : A1578DGK)

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

le 07 Octobre 2010

Le véritable mécène devra-t-il, désormais, augmenter ses dons de la TVA due par le gratifié ? La question se pose à la suite d'un arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Paris, le 7 janvier 2005. La société anonyme Segespar-Titres, société appartenant au groupe du Crédit agricole, s'était engagée, par contrat intitulé convention de parrainage d'une durée de cinq ans, à soutenir le développement de l'orchestre philharmonique de France. En exécution de ce contrat, la société Segespar-Titres avait versé, en 1989, à la société VMG, à laquelle l'Orchestre philharmonique de France était lié par un contrat d'enregistrement exclusif, une somme de 2 190 000 francs (333 841 euros) et, en 1990, une somme de 1 200 000 francs (182 927 euros).

S'agissant du versement intervenu en 1989, la cour administrative d'appel de Paris affirme qu'"il résulte de la convention de parrainage susmentionnée que la subvention de 2 190 000 francs a été octroyée à la société VMG, en contrepartie, d'une part, de la fourniture, à prix coûtant, à l'Orchestre philharmonique de France, de 100 000 disques compacts de son concert du 30 juin 1989 à Sully-sur-Loire et, d'autre part, de la réalisation d'un coffret de cinq disques compacts intitulé Symphonies européennes ; en outre, au titre de l'année 1990, il résulte de l'instruction que la subvention de 1 200 000 francs a été octroyée en contrepartie de la réalisation d'un coffret de quatre disques compacts intitulé "Concerti français". En l'espèce, le juge administratif parisien poursuit en concluant à l'existence incontestable de compléments de prix, particulièrement à propos de la fourniture à prix coûtant. Que les sommes versées aient permis de couvrir partiellement les coûts de production et non les prix de vente, au demeurant identiques à ceux pratiqués habituellement, ne le trouble pas. La conformité de cet arrêt au droit communautaire demeure, toutefois, incertaine au regard de la 6ème directive TVA (N° Lexbase : L9279AU9) telle qu'interprétée par la CJCE.

1. Le mécénat confronté à la 6ème directive TVA

Aux termes de l'article 11, A, § 1, a), de la 6ème directive TVA (N° Lexbase : L9279AU9), la base d'imposition des livraisons de biens et des prestations de services est formée par "tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir par le fournisseur ou le prestataire pour ces opérations de la part de l'acheteur, du preneur ou d'un tiers, y compris les subventions directement liées au prix de ces opérations". Selon la CJCE, "la notion de subventions directement liées au prix, au sens de l'article 11 A § 1 sous a, de la 6ème directive, doit être interprétée en ce sens qu'elle comprend uniquement les subventions qui constituent la contrepartie totale ou partielle d'une opération de livraison de biens ou de prestation de services et qui sont versées par un tiers au vendeur ou au prestataire..." (CJCE, 22 novembre 2001, aff. C-184/00, Office des produits wallons ASBL c/ Etat belge N° Lexbase : A5858AXA ; lire Yolande Sérandour, Les critères d'identification de la subvention à inclure dans l'assiette de la TVA, Dr.fiscal 2003, n° 3, p. 84).

Cette interprétation s'impose au regard de l'article 2 de la 6ème directive TVA définissant le champ d'application de la TVA (N° Lexbase : L9279AU9), texte transposé sous l'article 256-I du CGI . La TVA ne frappe pas les recettes, mais seulement "les livraisons de biens et les prestations de services, effectuées à titre onéreux[...]par un assujetti agissant en tant que tel".

La CJCE exige la vérification de l'existence d'une consommation imposable en soulignant qu'"il importe[...]qu'elle (la subvention) soit spécifiquement versée à l'organisme subventionné, afin qu'il fournisse un bien ou effectue un service déterminé" (CJCE, 22 novembre 2001, aff. C-184/00, Office des produits wallons ASBL c/ Etat belge précité, § 12). Pour le juge communautaire, "il faut, dans tous les cas, examiner quelle partie a fourni le bien ou le service et quelle partie a payé la contrepartie. En effet, ce sont les livraisons de biens et les prestations de services qui sont soumises à la TVA et non les paiements effectués..." (CJCE, 9 octobre 2001, aff. C-108/99, Commissioners of Customs & Excise c/ Cantor Fitzgerald International N° Lexbase : A4483AWX). Si "la base d'imposition est constituée : pour les livraisons de biens et les prestations de services...par tout ce qui constitue la contrepartie obtenue ou à obtenir[...]pour ces opérations..." (6ème directive TVA, art. 11 A§-a), la constatation d'une opération taxable précède le calcul de l'assiette. Le régime dépend de la qualification, et non l'inverse. Le Conseil d'Etat en convient, en subordonnant l'extension de l'assiette aux subventions à l'existence de prestations de services au profit de la partie versante ou à la souscription, par le bénéficiaire de la subvention, d'un engagement sur le prix ou la nature des prestations commercialisées (C. David/ O. Fouquet/ B. Plagnet/ P.F. Racine, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, 4ème édition, Dalloz, p. 673, n° 2).

En matière d'aide financière, la CJCE considère que "l'article 11 A de la sixième directive vise des situations où trois parties sont en cause, à savoir l'autorité qui accorde la subvention, l'organisme qui en bénéficie et l'acheteur du bien ou le preneur du service respectivement livré ou fourni par l'organisme subventionné" (CJCE, 22 novembre 2001, aff. C-184/00, Office des produits wallons ASBL c/ Etat belge précité, § 10 ; CJCE, 13 juin 2002, aff. C-353/00, Keeping Newcastle Warm Limited c/ Commissioners of Customs & Excise N° Lexbase : A8770AYH). Cela exclut de l'assiette les subventions de fonctionnement ou d'équilibre attribuées sans affectation précise à une production commercialisée. Une subvention ne constitue la contrepartie d'une opération imposable à inclure dans l'assiette de la TVA que si l'organisme versant conclut, en qualité de stipulant, avec un opérateur économique prenant la qualité de promettant un accord aux termes duquel le promettant s'engage à fournir des prestations précises à telle catégorie de tiers bénéficiaires, moyennant une contrepartie versée sous forme de subvention par le stipulant. Ainsi, se trouve caractérisé le rapport juridique exigé par l'arrêt "Tolsma" (CJCE, 3 mars 1994, aff. C-16/93, R. J. Tolsma c/ Inspecteur der Omzetbelasting Leeuwarden N° Lexbase : A7246AHT ; lire Maurice Cozian, note sous l'arrêt, Petites affiches, 5 octobre 1994, n° 119 ; Le Gentil et Daniel-Thézard, La notion de contrat, nouvelle borne au champ d'application de la TVA, Dr.fiscal 1996, n° 28, p. 940). La stipulation pour autrui établit le lien direct entre les opérations et la subvention, c'est-à-dire le caractère onéreux déterminant l'entrée des opérations dans le champ d'application, puis celle de la subvention dans l'assiette de la TVA.

Ce rapport juridique doit précéder le fait générateur constitué par une livraison ou l'achèvement d'une prestation de services (CJCE, 22 novembre 2001, aff. C-184/00, Office des produits wallons ASBL c/ Etat belge précité, § 13). Le calcul de l'assiette s'effectuant à la date du fait générateur (CJCE, 27 octobre 1997, aff. C-281/91, Muys' en De Winter's Bouw- en Aannemingsbedrijf BV c/ Staatssecretaris van Financiën N° Lexbase : A7501AHB), la CJCE exige que le prix sous forme de subvention soit déterminé ou déterminable lors de la survenance dudit fait. Cela écarte de l'assiette de la TVA les subventions d'équilibre versées en vue de couvrir le déficit d'un exercice constaté, par définition, postérieurement au fait générateur. Le Conseil d'Etat fait sienne cette analyse (CE contentieux, 18 septembre 1998, n° 152656, Ministre chargé du Budget c/ Société d'économie mixte de construction de La Roche-sur-Yon (Semyon) N° Lexbase : A8152ASQ (lire G. Goulard, conclusions,  Dr. fiscal 1999, n° 4, comm. 67) ; CE contentieux, 31 mai 2000, n° 182012, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ Association Strasbourg musique et congrès N° Lexbase : A4041AWL ; lire J. Courtial, conclusions, Dr. fiscal 2000, n° 50, comm.1002 et F. Deboissy, RTD com. 2001, p. 267).

La preuve de la détermination d'un prix couvert par une subvention peut résulter de la constatation, dans les comptes annuels, d'une différence entre le prix de vente et le prix de revient normal ou d'une réduction du montant de la subvention par suite de l'absence ou de la moindre quantité produite (CJCE, 22 novembre 2001, aff. C-184/00, Office des produits wallons ASBL c/ Etat belge précité, § 16). Un rapport exact entre la diminution du prix et la subvention n'est pas nécessaire. Un rapport significatif suffit. La CJCE admet qu'une subvention forfaitaire puisse constituer un complément de prix (CJCE, 22 novembre 2001, aff. C-184/00, Office des produits wallons ASBL c/ Etat belge précité, § 17 et 28). Elle avait, déjà, affirmé que "la possibilité de taxer une transaction ne requiert pas[...]la connaissance, ni par l'assujetti livrant les biens ou exécutant le service ni par l'autre partie à la transaction, du montant exact de la contrepartie servant de base d'imposition" (CJCE, 14 juillet 1998, aff. C-172/96, Commissioners of Customs & Excise c/ First National Bank of Chicago N° Lexbase : A0388AWB). Ce contexte communautaire s'oppose à l'analyse du mécénat retenue par la cour administrative d'appel de Paris.

2. Le mécénat confronté au juge administratif

En l'espèce, la cour administrative d'appel de Paris a-t-elle caractérisé le paiement, au moins partiel, par la société anonyme Segespar-Titres, à la société VMG., pour le compte de l'Orchestre philharmonique de France de 100 000 disques compacts de son concert du 30 juin 1989 à Sully-sur-Loire ? Certes, la convention de parrainage prévoyait, moyennant une subvention globale de 2 190 000 francs, la fourniture de disques à prix coûtant, mais aussi la réalisation d'un coffret de cinq disques compacts. La subvention, versée en 1990, de 1 200 000 francs ne couvrait que les frais de production d'un coffret de quatre disques compacts. L'engagement antérieur à la réalisation des prestations promises visait, essentiellement, la couverture des frais de production de disques. Or, les subventions à la production sont hors du champ d'application de la TVA (CJCE, 15 juillet 2004, aff. C-495/01, C-463/02, C-381/01, C-144/02, Commission des Communautés européennes c/ République de Finlande N° Lexbase : A0941DD9 ; lire Yolane Sérandour, note sous l'arrêt, Dr. fiscal 2004, n° 42, comm. 770 et du même auteur Les aides à la production ne relèvent pas de la TVA, Lexbase Hebdo n° 131, du 29 juillet 2004 - édition fiscale N° Lexbase : N2504ABD). Peu importe que le financement par une subvention permette de couvrir partiellement le prix de revient. La relation entre des aides et les prix se traduit par une diminution des prix de vente en proportion des subventions accordées (CJCE, 22 novembre 2001, aff. C-184/00, Office des produits wallons ASBL c/ Etat belge précité, § 17 et 28 ; C-495/01 § 14 ; CJCE, 15 juillet 2004, aff. C-495/01, C-463/02, C-381/01, C-144/02, Commission des Communautés européennes c/ République de Finlande précité, § 39, 43 et 38). En l'espèce, le prix de commercialisation des disques, dont la réalisation a été subventionnée, n'a pas varié en proportion des aides accordées, puisqu'il est demeuré celui du prix de vente en gros pratiqué habituellement.

Manifestement, les aides attribuées par la société anonyme Segespar-Titres à la société VMG. pour couvrir le prix de revient de la réalisation de disques échappent à la TVA. La question demeure posée à l'égard de la fraction de la subvention datant de 1989 remise en contrepartie, selon la cour administrative d'appel de Paris, de la livraison de disques à l'Orchestre philharmonique de France. Dans la mesure où la CJCE exclut du champ d'application de la TVA les subventions globales d'exploitation (CJCE, 22 novembre 2001, aff. C-184/00, Office des produits wallons ASBL c/ Etat belge précité, § 15) et les subventions à la production, le juge administratif ne peut pas inclure dans l'assiette de la TVA une somme ne rémunérant pas complètement des livraisons ou services précisément désignés. Il lui faudrait établir quelle est la partie de l'aide attribuée en 1989 destinée à payer partiellement le prix des disques livrés à l'Orchestre philharmonique de France. Ajoutons que l'absence de marge bénéficiaire caractérisée par la fourniture à prix coûtant n'influence pas l'assiette de la TVA. Le prix fixé par les cocontractants constitue obligatoirement la base d'imposition (CJCE, 10 avril 1984, aff. C-324/82, Commission des Communautés européennes c/ Royaume de Belgique N° Lexbase : A8682AU4 ; CJCE, 23 novembre 1988, aff. C-230/87, Naturally Yours Cosmetics Limited c/ Commissioners of Customs and Excise N° Lexbase : A7745ATZ  (lire Da Cruz Vilaça, conclusions, Dr.fiscal, 1989, comm. 815) ; CJCE, 27 mars 1990, aff. C-126/88, Boots Company plc c/ Commissioners of Customs and Excise N° Lexbase : A8609AUE ; CJCE, 9 juillet 1992, aff. C-131/91, "K" Line Air Service Europe BV c/ Eulaerts NV et Etat belge N° Lexbase : A9706AUZ ; CJCE, 2 juin 1994, aff. C-33/93, Empire Stores Ltd c/ Commissioners of Customs and Excise N° Lexbase : A7746AT3 ; CJCE, 24 octobre 1996, aff. C-317/94, Elida Gibbs Ltd c/ Commissioners of Customs and Excise N° Lexbase : A0131AWR ; CJCE, 29 mai 1997, aff. C-63/96, Finanzamt Bergisch Gladbach c/ Werner Skripalle N° Lexbase : A0356AW4 ; CJCE, 16 octobre 1997, aff. C-258/95, Julius Fillibeck Söhne GmbH & Co. KG c/ Finanzamt Neustadt N° Lexbase : A9969AUR ; CJCE, 29 mars 2001, aff. C-404/99, Commission des Communautés européennes c/ République française N° Lexbase : A9919AS8 ; CJCE, 20 janvier 2005, aff. C-412/03, Hotel Scandic Gåsabäck AB c/ Riksskatteverket N° Lexbase : A3119DGM ; lire Yolande Sérandour, La fourniture de repas moyennant une contrepartie inférieure au prix de revient n'est pas une livraison ou un service à soi-même, Lexbase Hebdo n° 153, du 2 février 2005 - édition fiscale N° Lexbase : N4492ABY).

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