La lettre juridique n°149 du 6 janvier 2005 : Fiscalité des entreprises

[Jurisprudence] Le crédit d'impôt recherche est-il contraire à la liberté de prestation de services ?

Réf. : Conclusions de M. F. G. Jacobs à propos de l'affaire C-39/04

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par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau de Paris, Landwell & Associés

le 07 Octobre 2010


Le contentieux récemment porté devant la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) (Laboratoires Fournier SA) est une nouvelle illustration de la saga française des dispositions fiscales non conformes ou contraires aux libertés fondamentales du Traité CE. En effet, la question posée lors de cette affaire est de savoir si la législation d'un Etat membre, comme celle de la France, qui, par ses dispositions de l'article 244 quater B du CGI , octroie un crédit d'impôt recherche, uniquement lorsque les opérations de recherche sont réalisées en France, est compatible avec le droit communautaire et, plus particulièrement, avec l'article 49 du Traité CE (N° Lexbase : L5359BCH).

Il est rappelé qu'aux termes de l'article 49 du Traité CE "les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté sont interdites à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation".

Quant à l'article 244 quater B du CGI, celui-ci prévoit que "les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt égal à 50 % de l'excédent des dépenses de recherche exposées au cours d'une année par rapport à la moyenne des dépenses de même nature, revalorisées de la hausse des prix à la consommation, exposées au cours des deux années précédentes" et correspondant à des opérations réalisées en France .

Ainsi, la législation française critiquée comporte une différence de traitement entre les contribuables, selon le lieu d'exécution de la prestation du service jouant au détriment des prestataires de services d'autres Etats membres.

A la question ainsi posée, à titre préjudiciel, par le tribunal administratif de Dijon, l'Avocat général, M. F.G. Jacobs, propose à la Cour de dire pour droit (point 21) que les dispositions françaises, en ce qu'elles réservent le bénéfice du crédit d'impôt recherche aux seules recherches réalisées en France, s'opposent aux dispositions de l'article 49 du Traité CE dans la mesure elles ne sauraient échapper au champ d'application dudit article (points 15 à 20) en vertu du principe de la territorialité fiscale et en l'absence de toute justification (points 22 à 35), conduisant le législateur à anticiper la réforme des dispositions de l'article 244 quater B du CGI par voie d'amendement dans le cadre des discussions sur la loi de finances rectificative pour 2004 (LFR 2004).

1. La France a tenté de justifier que la différence de traitement découlait du principe de territorialité de l'impôt se référant ainsi à la jurisprudence "Futura" de la Cour, à propos de la liberté d'établissement visée à l'article 43 du Traité CE (CJCE 15 mai 1997, aff. C-250/95, Futura Participations SA et Singer c/ Administration des contributions, point 22 N° Lexbase : A0119AWC).

L'Avocat général, au cas d'espèce, écarte l'application de cette jurisprudence en faisant observer que le postulat essentiel sur lequel reposait cette dernière "était que les contribuables résidents ne fassent pas l'objet d'un traitement plus favorable que les non résidents".

Or, il se trouve que les dispositions françaises permettent "à des contribuables qui font appel à des centres de recherche nationaux bénéficient d'un traitement plus favorable que ceux qui recourent à des centres de recherche établis dans d'autres Etats membres" (CJCE, 28 avril 1998, aff. C-118/96, Jessica Safir c/ Skattemyndigheten i Dalarnas län, anciennement Skattemyndigheten i Kopparbergs län N° Lexbase : A0371AWN, points 20 à 25 des conclusions).

La législation française serait donc contraire à l'article 49 du Traité CE en ce qu'elle conduirait à créer "une barrière fiscale qui, en dissuadant les entreprises établies en France de recourir aux centres de recherche situés dans d'autres Etats membres, entrave la prestation transfrontalière de services".

Cette situation présente une très grande similitude avec l'arrêt "Baxter" à propos, toujours, de la liberté d'établissement visée à l'article 43 du Traité CE (CJCE, 8 juillet 1999, aff. C-254/97, Société Baxter, B. Braun Médical SA, Société Fresenius France et Laboratoires Bristol-Myers-Squibb SA c/ Premier Ministre, Ministère du Travail et des Affaires sociales, Ministère de l'Economie et des Finances et Ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation N° Lexbase : A0511AWT).

Il est rappelé que, dans cette affaire, la législation française, imposant une taxe aux entreprises du secteur pharmaceutique tout en admettant la déduction des dépenses afférentes aux seules opérations de recherche réalisées en France, a été considéré comme incompatible avec la liberté d'établissement inscrite à l'article 43 du Traité CE, dans la mesure où cette législation introduisait une discrimination entre, d'une part, les laboratoires français dont l'essentiel de la recherche est effectué en France, et, d'autre part, les laboratoires étrangers dont les principales unités de recherche étaient situées hors du territoire français.

La Cour constatant que la législation fiscale française constituerait un obstacle pour les entreprises ayant leur siège principal dans d'autres Etats membres et opérant en France par le biais d'un établissement secondaire, a jugé que cette législation était contraire à la liberté d'établissement (CJCE, 8 juillet 1999, aff. C-254/97, Société Baxter, B. Braun Médical SA, Société Fresenius France et Laboratoires Bristol -Myers-Squibb SA c/ Premier Ministre, Ministère du Travail et des Affaires sociales, Ministère de l'Economie et des Finances et Ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation, points 10, 13 et 21 ; CJCE, 13 juillet 1993, aff. C-330/91, The Queen c/ Inland Revenue Commissioners, ex parte Commerzbank AG, point 14 N° Lexbase : A9483AUR), aux motifs que "les règles d'égalité de traitement inscrites à l'article 43 CE prohibent non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité (ou le siège en ce qui concerne les sociétés), mais encore toutes formes dissimulées de discrimination, qui, par application d'autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat".

Trouvant ainsi, en l'espèce, une analogie avec l'arrêt "Baxter", l'Avocat général considère donc que la législation française sur le crédit impôt recherche "favorise les entreprises établies en France qui effectuent des recherches en France et dissuade ces entreprises de faire appel à des centres de recherche situés dans d'autres Etats membres "instituant ainsi une différence de traitement fiscal ayant "pour conséquence directe d'entraver la prestation transfrontalière de services à de telles entreprises par des établissements de recherche situés dans d'autres Etats membres".

Or, selon toujours l'Avocat général, la jurisprudence constante de la Cour sur l'application des dispositions de l'article 49 du Traité CE "exige non seulement l'élimination de toute discrimination à l'encontre du prestataire de services établi dans un autre Etat membre en raison de sa nationalité, mais également la suppression de toute restriction lorsqu'elle est de nature à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre Etat membre, dans lequel il fournit légalement des services analogues" (CJCE, 9 juillet 1997, aff. C-222/95, Société civile immobilière Parodi c/ Banque H. Albert de Bary et Cie, point 18 N° Lexbase : A0099AWL).

Il s'ensuit que toute différence de traitement fondée sur le lieu d'exécution d'une prestation de services est interdite par l'article 49 du Traité CE (CJCE, 28 avril 1998, aff. C-118/96, Jessica Safir c/ Skattemyndigheten i Dalarnas län, anciennement Skattemyndigheten i Kopparbergs län ; CJCE, 28 octobre 1999, aff. C-55/98, Skatteministeriet c/ Bent Vestergaard N° Lexbase : A0580AWE).

2. Ce traitement différencié ne serait, selon l'Avocat général, se trouver, en premier lieu, justifié par la "préservation de la cohérence du système de l'impôt sur les sociétés en France" (CJCE, 28 janvier 1992, aff. C-204/90, Hanns-Martin Bachmann c/ Etat belge N° Lexbase : A9890AUT) ; CJCE, 28 janvier 1992, aff. C-300/90, Commission des Communautés européennes c/ Royaume de Belgique N° Lexbase : A9599AU3) ou encore par des "raisons impérieuses d'intérêt général propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent, sans aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu'il soit atteint" (CJCE, 23 novembre 1999, aff. C-369/96, Procédures pénales c / Jean-Claude Arblade et Arblade & Fils SARL et Bernard Leloup, points 34 et 35 N° Lexbase : A5884AYL).

L'Avocat général souligne que, pour la Cour, pour qu'une telle justification puisse prospérer "il faut que soit établie l'existence d'un lien direct entre l'avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé" (CJCE, 7 septembre 2004, aff. C-319/02, Petri Manninen, point 42 N° Lexbase : A2692DD3 et points 51 à 80 des conclusions de l'Avocat général Kokott ; CJCE, 14 février 1995, aff. C-279/93, Finanzamt Köln-Altstadt c/ Roland Schumacker, point 42 N° Lexbase : A1803AWP)

En effet, selon lui et en l'espèce, il n'y a aucun lien direct entre la déduction visée par l'article 244 quater B du CGI et l'impôt français sur les sociétés par référence à la jurisprudence précitée, dans la mesure où "les entreprises pharmaceutiques assujetties à l'impôt français sur les sociétés ont le droit de déduire les frais afférents à des opérations de recherche réalisées en France".

En second lieu, toujours selon l'Avocat général, la différence de traitement ne se trouverait pas plus justifiée par "la promotion de la recherche et du développement" dont la Cour a déjà jugé ce moyen irrecevable (CJCE, 5 juin 1997, aff. C-398/95, Syndesmos ton en Elladi Touristikon kai Taxidiotikon Grafeion c/ Ypourgos Ergasias, point 23 N° Lexbase : A0323AWU ; CJCE, 28 avril 1998, aff. C-158/96, Raymond Kohll c/ Union des caisses de maladie, point 41 N° Lexbase : A0384AW7 ; CJCE, 23 novembre 1999, aff. C-369/96, Procédures pénales c/ Jean-Claude Arblade et Arblade & Fils SARL, points 34 et 35 et point 59 des conclusions de l'Avocat général Ruiz-Jarabo Colomer), étant observé en outre que la législation française serait contraire aux objectifs exprimés dans la troisième partie du traité, au titre XVIII intitulé "Recherche et développement technologique", qui mentionne "notamment la nécessité pour les entreprises d'être capables d'exploiter pleinement les potentialités du marché intérieur à la faveur, notamment, de [...] l'élimination des obstacles [...] fiscaux à [la coopération entre entreprises et centres de recherche]" .

Enfin, toujours selon l'Avocat général, la différence de traitement ne saurait être justifiée par l'invocation de "l'efficacité des contrôles fiscaux" et, notamment, par la difficulté de vérifier le montant des frais déductibles dans l'Etat membre au titre des dépenses de recherche, conduisant à la restriction à l'exercice d'une liberté fondamentale garantie par le Traité, dans le sens où la France ne saurait "par sa réglementation nationale empêcher de manière absolue le contribuable de rapporter la preuve que les dépenses afférentes aux activités de recherche réalisées dans d'autres Etats membres ont réellement été engagées" (CJCE, 8 juillet 1999, aff. C-254 /97, Société Baxter, B. Braun Médical SA, Société Fresenius France et Laboratoires Bristol-Myers-Squibb SA c/ Premier Ministre, Ministère du Travail et des Affaires sociales, Ministère de l'Economie et des Finances et Ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation, points 18, 19 et 20 ; CJCE, 15 mai 1997, aff. C-250 /95, Futura Participations SA et Singer c/ Administration des contributions, point 3).

3. Anticipant l'arrêt à venir de la Cour dans cette affaire, le Gouvernement a proposé, par voie d'amendement, dans le cadre des discussions sur la loi de finances rectificative pour 2004 (LFR 2004, n° 2004-1485 N° Lexbase : L5204GUB), de modifier les a, d et d bis du II de l'article 244 quater du CGI, pour permettre aux entreprises d'externaliser une part de leurs opérations de recherche auprès d'établissements agréés situés dans d'autres Etats membres de la Communauté européenne ou dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude fiscale ou l'évasion fiscale.

Pour qu'une entreprise soit éligible au dispositif du crédit impôt recherche, il ne sera donc plus nécessaire que les opérations de recherche qu'elle effectue soient réalisées uniquement en France.

Toutefois, ces opérations devront toujours correspondre à des dépenses retenues pour la détermination du résultat imposable dans les conditions de droit commun qu'elles soient réalisées en France ou dans l'espace économique européen.

La sous-traitance d'opérations de recherche auprès d'établissements publics ou privés agréés implantés en France ou dans l'espace économique européen ne saura autorisée que dans la limite d'un plafond global de 2 000 000 euros par an (CGI, art. 244 quater-II d ter).

L'extension des dépenses de sous-traitance à l'ensemble de la Communauté européenne devrait conduire à supprimer dans la loi, la référence aux centres techniques exerçant une mission d'intérêt général au regard du crédit d'impôt recherche lesquels devraient être assimilés, par voie d'instruction administrative, aux organismes de recherche publics et des universités.

Ces nouvelles dispositions ont été définitivement adoptées par le Parlement et s'appliquent au crédit d'impôt calculé au titre des dépenses de recherche exposées à compter du 1er janvier 2005.

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