La lettre juridique n°147 du 16 décembre 2004 : Droit financier

[Questions à...] Réflexions sur les difficultés de transposition de la directive "abus de marché": questions à... Sylvestre Tandeau de Marsac, avocat au Barreau de Paris

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N3944ABP

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[Questions à...] Réflexions sur les difficultés de transposition de la directive "abus de marché": questions à... Sylvestre Tandeau de Marsac, avocat au Barreau de Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3207060-questions-a-reflexions-sur-les-difficultes-de-transposition-de-la-directive-abus-de-marche-questions
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le 07 Octobre 2010

Adoptée le 28 janvier 2003 par le Parlement européen et le Conseil, la directive n° 2003/6/CE sur les opérations d'initiés et les manipulations de marchés (N° Lexbase : L8022BBQ) crée un cadre juridique destiné à renforcer la protection de l'intégrité des marchés. Dans cette optique, les Etats membres ont eu jusqu'au 12 octobre 2004 pour se mettre en conformité avec la directive. Avec pour objectif l'harmonisation boursière, le texte est complété par trois directives d'application et un règlement d'application directe qui attestent de l'intensité de l'activité normative communautaire sur le sujet. Traitant principalement du délit d'initié et des manipulations de marché, la directive n'emporte pas l'adhésion de tous les praticiens, tant les difficultés d'application demeurent importantes. L'harmonisation, processus complexe, est ici exacerbée, tant le droit pénal des affaires est disparate en Europe, d'autant qu'il faut composer avec la multiplication des textes auquel vient s'ajouter le récent règlement général de l'Autorité des marchés financiers. Pour en savoir plus, Lexbase a rencontré un spécialiste en la matière, Sylvestre Tandeau de Marsac, avocat associé du cabinet Fischer, Tandeau de Marsac, Sur & associés, qui a bien voulu répondre à nos questions. Lexbase : Quels problèmes majeurs soulève la transposition de la directive 2003/6 /CE ?

Maître Tandeau de Marsac : Plusieurs difficultés de mise en oeuvre se rencontrent dans la transposition de la directive.

Tout d'abord, il faut souligner que la directive 2003/6/CE constitue un exemple typique de ce que l'on peut appeler un "droit hybride". Cette norme résulte d'une influence réciproque du droit anglo-saxon et du droit franco-germanique. Ainsi, par exemple, si la définition du manquement d'initié est calquée sur le modèle français, en revanche, l'obligation de déclaration de soupçon s'inspire du droit anglais. Ce phénomène d'hybridation peut, certes, avoir pour conséquence une intégration moins rapide, dans les esprits français, du dispositif communautaire en vigueur. Néanmoins, il est incontournable, dans la mesure où le but poursuivi par la directive est, justement, une harmonisation des diverses législations.

Une autre difficulté vient de l'application "transfrontière" du dispositif en vigueur. L'article 10 de la directive prévoit, en effet, une internationalisation de la compétence des Etats en matière de répression. Concrètement, cela signifie que l'AMF sera compétente pour sanctionner les actes accomplis à l'étranger sur les titres admis à la cote d'un marché règlementé en France.

Les Etats membres, par ailleurs, doivent veiller à ce qu'il n'existe pas trop d'écarts entre leurs transpositions respectives. Ce problème s'est rencontré avec la directive du 4 décembre 2001 sur la lutte contre le blanchiment (N° Lexbase : L9218A48), où le but d'harmonisation n'a pas été atteint, des distorsions subsistant, aujourd'hui, entre les pays de l'Union Européenne. Cette question rejoint celle de l'existence d'une autorité de régulation européenne unique, idée pour laquelle les Etats membres restent réticents.

Une ambiguïté subsiste, enfin, quant au champ d'application de la directive. Celle-ci, aux termes de son article 9, s'applique "à tout instrument financier admis à la négociation sur un marché réglementé d'au moins un Etat membre". Faut-il comprendre, alors, que les marchés de gré à gré se trouvent exclus du champ d'application ? L'interprétation du texte laisse à penser qu'ils n'en sont pas exclus, mais il est regrettable de ne pas avoir déterminé le champ d'application de la directive de manière plus limpide.

Lexbase : Devant l'environnement éclaté des textes concernant les abus de marché (directive cadre n° 2003/6, les directives d'application N° Lexbase : L0340DMK ; N° Lexbase : L0341DML ; N° Lexbase : L1873DYZ, la loi de sécurité financière N° Lexbase : L3556BLB, le règlement européen du 22 décembre 2003 N° Lexbase : L0410DNI), pensez-vous retrouver une certaine cohérence et lisibilité de ce dispositif en vigueur ?

Maître Tandeau de Marsac : Il faut se féliciter, tout d'abord, du respect partiel des délais de transposition. Il est important de ne pas prendre de retard dans le processus d'harmonisation du droit boursier. Il convient également de saluer la précision de ce cadre réglementaire et la sécurité juridique qu'il apporte. L'Autorité des marchés financiers a fait de gros efforts en transposant, dans le livre VI de son Règlement Général (N° Lexbase : L3942APP), les dispositions sur les abus de marché. Néanmoins, subsistent des zones d'ombre et des problèmes fondamentaux auxquels il semble urgent de remédier.
D'une part, la nouvelle définition des sanctions administratives fait totalement disparaître l'élément intentionnel en faveur du manquement purement objectif. La directive "abus de marché" fait perdre au manquement de manipulation de cours son caractère "d'infraction de comportement" au profit d'une "infraction de résultat ".
D'autre part, la volonté de créer des règles déontologiques pour les journalistes financiers peut déraper vers une entrave à la liberté de la presse. Ceux-ci peuvent être facilement poursuivis pour abus de marché en cas de communication d'informations privilégiées ou de diffusion de fausses informations, ces derniers étant régulièrement en possession d'informations privilégiées.

Lexbase : La disposition novatrice, concernant le traitement des journalistes dans la qualité des informations financières données aux marchés, ne risque-t-elle pas d'entraver, de façon disproportionnée, la liberté de la presse ?

Maître Tandeau de Marsac : L'article 1er § 2 de la directive prévoit l'interdiction de diffuser des informations, par l'intermédiaire des médias (dont Internet) ou par tout autre moyen, qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses, alors que la personne ayant procédé à cette diffusion savait ou aurait dû savoir que les informations étaient fausses ou trompeuses. Ainsi, il apparaît que cette disposition nouvelle place les journalistes financiers sur un même pied que les autres intervenants financiers. Or, d'autres principes fondamentaux entrent ici en jeu. L'abus de cette interdiction peut porter une atteinte démesurée à la liberté de la presse financière. Plus généralement, il n'est pas certain que le livre VI du nouveau Règlement général de l'AMF, transposant la directive sur le plan réglementaire, respecte les droits fondamentaux tels que le droit à l'information. D'où la volonté actuelle de laisser les professionnels eux-mêmes, analystes et journalistes financiers, créer leurs règles déontologiques à travers l'autorégulation.

Lexbase : Certains auteurs évoquent la "nécessité de se doter d'un organisme de régulation qui ait de véritables pouvoirs, les moyens de faire respecter ces normes dans le but d'une efficacité optimale des mesures mises en place pour préserver l'intégrité des marchés". Néanmoins, la concentration de tels pouvoirs dans les mains d'un seul organisme ne porte-t-il pas atteinte à l'équilibre du marché ?

Maître Tandeau de Marsac : L'AMF joue un triple rôle dans la vie des marchés financiers. Avec son Règlement Général, même si celui-ci est homologué par le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, elle exerce les fonctions de régulateur, de "législateur de fait". A ce titre, le livre VI du Règlement Général traite des abus de marché. L'AMF a également un rôle de "gendarme du marché" puisqu'elle contrôle les acteurs financiers présents sur les marchés et veille au respect de la réglementation qu'elle édicte. Enfin, l'AMF dispose d'un pouvoir de sanction permettant de réprimer les atteintes à son propre Règlement Général. La confusion de ces trois pouvoirs sur une même tête et entre les mêmes mains crée un risque évident de conflit d'intérêts, situation paradoxale pour un organisme chargé précisément de dénoncer et réprimer les conflits d'intérêt. Le champ des matières confiées à l'AMF est tellement large que la réglementation des marchés financiers paraît échapper presque totalement aux pouvoirs législatif et réglementaire. Alors même que l'AMF n'a pas le pouvoir de prendre de simples mesures conservatoires, il est pour le moins étonnant que le législateur n'ait pas confié au seul juge judiciaire le pouvoir de prendre des sanctions en matière d'abus de marché.

Lexbase : La mission fondamentale de l'AMF est de protéger les investisseurs. Pour autant, quelle satisfaction pensez-vous que les victimes des manquements à la réglementation de l'AMF peuvent retirer du dispositif en vigueur ?

Maître Tandeau de Marsac : La directive 2003/6/CE définit le cadre répressif commun à tous les abus de marché, consacrant, à cette occasion, le système français de double sanction, à la fois pénale (articles L. 465-1 et suivants du Code monétaire et financier N° Lexbase : L3942APP) et administrative (règlements COB n° 90-04 relatif à l'établissement des cours N° Lexbase : L5347A9W et n° 90-08 relatif aux manquements d'initiés N° Lexbase : L4749A4N).
Mais, aucune place n'est faite à l'indemnisation des victimes des manquements à la réglementation de l'AMF. Il devrait pourtant s'agir d'une préoccupation majeure. En effet, les premières personnes lésées seront, par exemple, les particuliers dont les portefeuilles auront perdu toute valeur à la suite de l'abus sanctionné. La piste de réflexion de l'AMF qui envisage qu'en cas de transaction conclue avec l'auteur d'un abus de marché, ce dernier verse une somme affectée à un fonds d'indemnisation des investisseurs mérite d'être approfondie.

Propos recueillis par Florence Labasque et Damien Mancel

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