La lettre juridique n°123 du 3 juin 2004 : Fiscalité des entreprises

[Focus] Le crédit d'impôt recherche : un avantage fiscal mal maîtrisé

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N1806ABI

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le 07 Octobre 2010

A l'horizon 2010, un ambitieux objectif doit être atteint, celui de porter le taux des dépenses françaises de recherche et de développement au niveau de celui de nos partenaires européens, soit 10 % du produit intérieur brut (PIB). Cet objectif, qui impose aux entreprises privées de pratiquement doubler leur effort de recherche en 6 ans (aujourd'hui, les dépenses françaises de recherche et de développement représentent 2,2 % du PIB, dont 1 % est financé par l'Etat et 1,2 % par les entreprises), ne semble réalisable qu'avec le concours des pouvoirs publics. L'instrument adéquat est le crédit d'impôt recherche, dont le régime a été rénové par la dernière loi de finances, afin de stimuler l'innovation. Toutefois, au-delà des avantages certains qu'il procure, sa difficile mise en oeuvre et, surtout, la méfiance qu'il inspire nuisent à son efficacité.


1. La difficile accessibilité des entreprises au crédit d'impôt recherche

L'encouragement de l'innovation et de la recherche dans les entreprises commence par la mise en oeuvre des dispositions concernant le CIR, ce qui suppose résolu le problème de leur accessibilité.

Or, en pratique, les entreprises ont beaucoup de mal à appréhender le crédit d'impôt recherche, en raison, notamment, de l'opacité de son régime qui ne cesse d'être modifié. En effet, né en 1982, il a été remanié 7 fois en 15 ans !

S'ajoutent à cela des soucis administratifs, qui ne sont pas des moindres pour des entreprises qui ne sont guère habituées à considérer les innovations comme des investissements, même si une récente enquête menée sur 250 sociétés de haute technologie contredit l'image d'Epinal du "savant dans les nuages". En effet, la plupart de ces entreprises sont "bien gérées, économiquement viables et réussissent à l'international" (Le succès entrepreneurial des chercheurs français, Les Echos.fr, 2004).

Toutefois, le crédit d'impôt est et demeure un système optionnel. Ainsi, même si la loi de finances pour 2004 a pérennisé ce mécanisme, les entreprises sont contraintes de déposer chaque année la déclaration spéciale n° 2069 A en annexe de la déclaration annuelle de leurs résultats et cela indépendamment de leur situation au regard du crédit d'impôt au titre des années antérieures.

Si cette formalité a été accomplie dans les formes et délais requis, il reste, néanmoins, un obstacle de taille : l'acceptation du dossier par l'administration fiscale. En effet, chaque année, quelques milliers d'entreprises déposent une déclaration CIR (en 2002, 7 000 entreprises avaient souscrit une déclaration de crédit d'impôt au titre de 2001), et pourtant moins de la moitié a le droit d'en profiter. La raison invoquée est que l'administration rencontre des difficultés à définir une dépense éligible, à identifier ce qu'est une "recherche", qui, de plus, doit être "innovante". Finalement, règne une incertitude inquiétante et décourageante concernant la mise en oeuvre du CIR.

2. Une application décourageante du crédit d'impôt recherche

En fait, les entreprises innovantes sont confrontées à deux problèmes majeurs : d'une part, le contrôle systématique des entreprises demandant à bénéficier du CIR, accentué par la difficulté à justifier les opérations de recherche, et d'autre part l'impossibilité de bénéficier immédiatement du CIR.

Ces deux obstacles répondent aux craintes permanentes de l'administration fiscale de voir se développer des montages frauduleux destinés à détourner le dispositif du crédit d'impôt de son objet.

Selon les entrepreneurs, l'utilisation du crédit d'impôt pour financer la recherche et le développement conduit, presque systématiquement, à un contrôle fiscal se finissant souvent par un redressement, ce qui décourage les entreprises.

Pour s'en protéger, ces dernières doivent constituer des dossiers importants justifiant les caractères de recherche et d'innovation. Il convient de remarquer que la difficulté de cet exercice varie en fonction du secteur d'activité. En effet, il est plus facile aux entreprises des secteurs de la défense ou de la pharmacie, qui disposent de personnel diplômé de titre de "docteur" ou d'"ingénieur" d'obtenir ce CIR, qu'aux entreprises du secteur bancaire ou du BTP, qui certes sont innovantes, mais qui ont du mal à recenser et documenter leurs travaux de recherche éligibles au CIR.

Pourtant, aux termes de l'article L. 80 B, alinéa 3, du LPF (N° Lexbase : L1387DP3), les entreprises peuvent se protéger de cet abus de contentieux en demandant à l'administration si son projet de recherche est éligible au bénéfice du crédit d'impôt recherche. Dans cette hypothèse, l'entreprise constitue un dossier CIR "a priori" sur la base du questionnaire du livre des procédures fiscales et le soumet à la direction des services fiscaux. Cette dernière le transmet au service de la Délégation régionale à la recherche et à la technologie (DRRT) compétent qui le fait expertiser. Son avis sera alors notifié à l'entreprise directement par la direction des services fiscaux. Cet avis engage l'administration fiscale et permet à l'entreprise de se prévaloir pour l'avenir d'une prise de position formelle du service fiscal.

Si l'avis émis par la DRRT est défavorable, l'entreprise a le droit de le contester auprès de l'administration centrale du ministère de la recherche.

Une autre difficulté relevée lors de contrôles fiscaux est l'évaluation correcte des dépenses liées à l'innovation, en particulier les frais de personnel. C'est pourquoi, il est recommandé de mettre en place une "traçabilité" des dossiers techniques, avec notamment des relevés précis des heures consacrées à la recherche et de constituer des équipes stables sur les projets susceptibles d'être contrôlés.

Enfin, un nombre important d'entreprises innovantes hésite à investir dans le domaine de la recherche en raison des modalités de déblocage du CIR. En effet, aux termes des articles 199 ter B et 220 B du CGI , le remboursement du crédit d'impôt à l'entreprise s'effectue soit par imputation sur l'impôt sur le revenu ou sur l'impôt sur les sociétés dû par l'entreprise au titre de l'année au cours de laquelle elle a accru ses dépenses de recherche, et, en cas d'excédent, sur l'impôt des trois années suivantes. A l'expiration de cette période, la fraction non utilisée est remboursée. Or, ces modalités d'imputation et de remboursement du crédit d'impôt sont de nature à créer des difficultés de trésorerie pour les entreprises, qui, en général, ont engagé un programme pluriannuel de recherche, mais qui ne peuvent pas bénéficier immédiatement de ces avantages fiscaux du fait du blocage pendant trois ans de cette somme imputable sur l'impôt, même si, il est vrai, la fraction non imputée sur l'impôt peut être transformée en créance mobilisable auprès des établissements financiers (QE n° 70657 de M. Hillmeyer Francis, JOANQ 17 décembre 2001 p. 7180, min. Eco., réponse publ. 11 février 2002 p. 725, 11e législature N° Lexbase : L6808BEU).

Ainsi, pour prétendre au bénéfice de la réduction d'impôt, la mise en place du CIR doit être suffisamment justifiée tant sur le plan de la forme que du fond. Des textes législatifs clairs et précis et une jurisprudence explicite pourrait restaurer la confiance dans le dispositif et, en conséquence, provoquer un élan d'investissement dans la recherche et l'innovation.

Sabine Dubost
DESS de fiscalité internationale, Université de Paris II Panthéon-Assas
DEA de droit fiscal, Université de Paris I Panthéon-Sorbonne


Lire également :

- Le crédit d'impôt recherche rénové pour stimuler l'innovation, Sophie Duval, Lexbase Hebdo n° 104 du 21 janvier 2004 - édition Lettre Juridique (N° Lexbase : N0163ABN) ;

- Consultation nationale sur l'avenir de la recherche : premiers axes de réflexion, rapport de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP) et du MEDEF du 18 mars 2004 ;

- La complexité du crédit d'impôt recherche nuit à son efficacité, Yan de Kerorguen, La Tribune du 13 avril 2004.

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