Réf. : Projet de loi de sauvegarde des entreprises
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le 07 Octobre 2010
Apportons quelques observations rapides sur les principales modifications intervenues entre le texte, tel qu'il était présenté le 26 janvier 2004 et le texte adopté par le Conseil des ministres, après passage en Conseil d'Etat.
I - L'état de cessation des paiements, la conciliation et le redressement ou la liquidation judiciaire
L'une des grandes innovations, qui justifie d'ailleurs le titre du projet de loi, tient à l'instauration d'une procédure collective nouvelle, la procédure dite de sauvegarde. Cette procédure est ouverte à un débiteur qui n'est pas en état de cessation des paiements. Le paradoxe surgit lorsque l'on constate la possibilité d'ouverture d'une procédure de conciliation, qui remplace la procédure de règlement amiable, alors même que le débiteur est en état de cessation des paiements.
Avant le passage en Conseil d'Etat, le texte prévoyait la possibilité pour le débiteur de bénéficier de la procédure de conciliation alors même qu'il était en état de cessation des paiements, dès lors que cet état n'était pas caractérisé depuis plus d'un mois. D'une autre manière, cela revenait à obliger le débiteur à procéder à la déclaration de son état de cessation des paiements si celui-ci préexistait depuis un mois. Etait ainsi assuré un doublement du délai légal de déclaration de l'état de cessation de paiements, qui, en droit positif, est enfermé dans un délai de quinze jours.
Ce délai du mois est apparu trop court au Conseil d'Etat qui a décidé de le porter à 45 jours. Ainsi, une fois l'état de cessation des paiements intervenu, le débiteur a 45 jours pour décider de saisir le président du tribunal aux fins d'ouverture d'une procédure de conciliation ou d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. En revanche, il est déjà trop tard pour saisir le tribunal en vue de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, laquelle est réservée au débiteur n'étant pas en état de cessation des paiements.
Reste passible de la mesure de faillite personnelle le fait d'"avoir omis de faire, dans le délai de quarante-cinq jours, la déclaration de cessation des paiements, sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation" (C. com., art. 653-5, 5°).
II - Dispositions communes aux diverses procédures
Le projet de loi avait instauré un privilège au profit des personnes qui consentaient, dans l'accord de conciliation, un crédit, une avance ou des délais de paiement au débiteur en vue d'assurer la poursuite de l'activité de l'entreprise et sa pérennité. Les termes employés par le projet de loi étaient extrêmement larges. Il n'était nul besoin d'apporter de l'argent frais, l'octroi de délais de paiement étant suffisant. Le Conseil d'Etat a estimé que seules les personnes apportant de l'argent frais pourraient bénéficier de ce que la pratique a déjà appelé le "privilège de la new monnaie". C'est en ce sens que l'article L. 611-11 dispose que "les personnes qui consentent, dans l'accord mentionné à l'article L. 611-7, un crédit ou une avance au débiteur en vue d'assurer la poursuite d'activité de l'entreprise et sa pérennité, sont payées, pour le montant de ce crédit ou de cette avance, par privilège à toutes créances nées avant l'ouverture de la conciliation, dans les conditions prévues aux articles L. 622-15 et L. 641-13".
La réduction initiale du projet de loi avait fait naître une difficulté sur la détermination du nombre de contrôleurs que le juge commissaire pouvait désigner. En droit commun, le juge commissaire peut désigner un à cinq contrôleurs. Cependant, le projet de loi avait prévu que lorsque le débiteur exerce une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire, ou dont le titre est protégé, l'ordre professionnel ou l'autorité compétente dont il relève est d'office contrôleur. Dans ce cas, le juge-commissaire conservait-il la possibilité de désigner encore cinq contrôleurs ? Des avis divergents avaient été émis sur la question. Pour notre part, nous avions considéré que ce contrôleur désigné d'office devait être comptabilisé parmi les cinq contrôleurs ("La situation générale des créanciers dans l'avant-projet de réforme des entreprises en difficulté", Gaz. Pal. 10 et 11 déc. 2003, doctr. p. 1 " et s., sp. p. 39, n° 36.). La rédaction issue du passage en Conseil d'Etat supprime la difficulté, le texte énonçant clairement que, en ce cas, le juge-commissaire ne peut nommer plus de quatre contrôleurs (C. com., L621-9, al. 3).
Lorsqu'un administrateur judiciaire a été nommé, dans la procédure de sauvegarde, comme cela est aujourd'hui le cas dans la procédure de redressement judiciaire, il lui appartient d'opter pour la continuation des contrats en cours. En droit positif, dans la procédure de redressement judiciaire, en l'absence administrateur judiciaire, le débiteur peut décider d'opter pour cette continuation, mais il a besoin de l'autorisation du juge-commissaire.
Le projet de loi semble modifier, de manière sensible, les solutions applicables en matière de continuation des contrats en cours. Il appartiendra, dans la procédure de sauvegarde et de redressement judiciaire, au débiteur d'opter pour la continuation des contrats en cours, mais il devra avoir l'avis conforme du mandataire judiciaire. Ce sera là une condition de régularité de la continuation du contrat en cours. En revanche, il n'aura plus besoin de l'autorisation du juge-commissaire. Le juge-commissaire n'interviendra ici qu'en cas de désaccord. Pour cela, il sera saisi, par voie de requête, à la demande de tout intéressé.
En droit positif, en l'absence d'administrateur judiciaire, il appartient au représentant des créanciers de se positionner sur la demande en acquiescement de revendication ou de restitution qui est présentée par le propriétaire d'un meuble. Le mandataire doit recueillir l'avis conforme du débiteur.
Le projet de loi modifié inverse la solution en intervertissant les compétences. C'est le débiteur qui se positionnera sur la demande en acquiescement. Cependant, il aura besoins de l'avis conforme du mandataire judiciaire. La solution est d'importance pour les propriétaires de meubles car, en pratique, la demande en acquiescement de revendication ou de restitution ne devra plus être adressée seulement au mandataire de justice ; elle devra l'être assurément au débiteur, mais peut être aussi au mandataire judiciaire. Cela est source de complication pour le propriétaire de meuble, alors que la loi du 10 juin 1994 avait entendu - a-t-on dit du moins - lui faciliter la tâche. Le décret d'application devra en tout cas apporter les précisions indispensables en la matière. Le juge-commissaire sera saisi, par voie de requête, à la demande de tout intéressé en cas de désaccord. Il restera ici encore au décret d'application d'apporter les précisions indispensables.
III - La Sauvegarde
En droit positif, le jugement qui ouvre le redressement judiciaire suspend les actions contre les cautions personnelles, personnes physiques. Le projet de loi, dans sa version initiale, avait étendu cette suspension aux coobligés personnes physiques. Le projet de loi issu du texte après passage en Conseil d'Etat va plus loin et suspend également les poursuites contre les personnes physiques ayant constitué une garantie autonome (C. com., art. 622-26). Cette solution, qui peut se comprendre en opportunité, apparaît curieuse, sur le plan juridique. En effet, la solution qui consiste à interdire les poursuites contre les cautions pendant la période d'observation s'appuie sur la règle de l'accessoire qui interdit de traiter plus durement les cautions que le débiteur principal. Pareille justification ne peut évidemment être avancée en ce qui concerne les garanties autonomes. La règle de l'accessoire est, par nature, ici écartée. En procédant de la sorte, le législateur introduit de l'accessoire dans l'autonome ...
Dans la version initiale du projet de loi, le super privilège des salaires n'était pas instauré dans la procédure de sauvegarde. Il était réservé aux procédures de redressement et de liquidation judiciaires. Le Conseil d'Etat a modifié la solution et, changeant ainsi les articles du Code du travail instaurant le super privilège des salaires (C. trav., art. L 143-10 et L 143-11), il prévoit son application à la procédure de sauvegarde (C. com., art. L 625-9).
En droit positif les cautions solidaires et coobligés ne peuvent se prévaloir des dispositions du plan, lesquelles sont en revanche opposables à tous. Ce faisant, le droit positif écarte une règle qui est de la nature du cautionnement : la règle de l'accessoire.
Le projet de loi (C. com., art. L. 626-8) dispose pour sa part que "le jugement qui arrête le plan en rend les dispositions opposables à tous y compris aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une caution personnelle ou une garantie autonome, qui peuvent s'en prévaloir. En revanche, ne peuvent s'en prévaloir les cautions personnelles, les coobligés et les personnes ayant consenti une garantie autonome, lorsqu'il s'agit de personnes morales". Le texte entend assurer une symétrie. L'opposabilité des dispositions du plan de sauvegarde à certaines personnes - personnes physiques coobligées ou ayant consenti une caution personnelle ou une garantie autonome - rend symétriquement possible l'opposabilité par ces mêmes personnes des dispositions. Concrètement, les délais et remises du plan de sauvegarde profiteront aux personnes physiques, cautions personnelles, coobligés, mais aussi, et la chose est très surprenante, aux garants autonomes. Il y a là un mélange des genres fâcheux, puisqu'il s'agit ici tout simplement d'affirmer une chose et son contraire. Ou bien la garantie est autonome. Ou bien elle est accessoire. Dans le premier cas, le sort de l'engagement de base ne saurait l'affecter. Que le législateur fasse preuve de pragmatisme, d'accord, mais qu'il continue à faire du droit ! S'il trouve choquant qu'une personne souscrive un engagement de garantie autonome, qu'il légifère en la matière au lieu de jouer au contorsionniste juridique, en dénaturant complètement les mécanismes qu'il entend réglementer.
Quoi qu'il en soit, les personnes morales échapperont aux mesures de faveur. Elles ne pourront donc, pas plus qu'en doit positif avec le plan de continuation, bénéficier des dispositions du plan de sauvegarde. Délais et remises accordées au débiteur ne leur profiteront donc pas.
Le projet de loi avait institué la création de deux comités de créanciers - les établissements de crédit d'un côté, les principaux fournisseurs de biens et de services d'un autre côté -, devant voter les propositions tendant à l'adoption du plan de sauvegarde à la majorité. Les règles de majorité étaient déterminées au regard du montant des créances indiqué par le débiteur et certifié par son commissaire aux comptes. Le texte issu du passage en Conseil d'Etat modifie les règles de calcul de la majorité. Il est désormais prévu que "la décision est prise par chaque comité à la majorité des créanciers représentant au moins les deux tiers du montant des créances tel qu'il a été indiqué par le débiteur et certifié par son commissaire aux comptes" (C. com., art. L 626-7, al. 3). Est ainsi instaurée une double majorité, en créanciers d'une part, en montant de créances d'autre part, là où le texte d'origine ne prévoyait qu'une simple majorité en montant de créances.
L'article L. 626-31 du Code de commerce, issue de la rédaction que lui a donnée le Conseil d'Etat, éclaircit, en l'absence de vote favorable des comités de créanciers, la situation en prévoyant que "lorsque l'un ou l'autre des comités ne s'est pas prononcé sur un projet de plan dans les délais fixés, qu'il a refusé les propositions qui lui sont faites par le débiteur ou que le tribunal n'a pas arrêté le plan en application de l'article L. 626-28, la procédure est reprise pour préparer un plan dans les conditions prévues aux articles L. 626-4 à L. 626-4-2 afin qu'il soit arrêté", c'est-à-dire un plan de sauvegarde applicable aux petites entreprises, dont l'élaboration ressemblera alors fortement à celle d'un plan de continuation.
IV - Redressement judiciaire
Alors que, on l'a vu, le sort des personnes physiques, cautions personnelles, coobligées et garants autonomes dépend des dispositions du plan de sauvegarde, pareille mesure de faveur n'est pas accordée à ces mêmes personnes lorsque le débiteur obtient un plan de continuation. La règle de l'accessoire est ici écartée, par l'article L. 631-16, qui énonce que "par dérogation aux dispositions de l'article L. 626-8, les cautions personnelles, coobligés et les personnes ayant consenti une garantie autonome ne peuvent se prévaloir des dispositions du plan". Notons au passage, pour l'anecdote, que le législateur évoque une dérogation à une règle - celle applicable à la procédure de sauvegarde - qui n'est pourtant pas de principe, mais bien d'exception. La solution ici posée est logique pour le coobligé et le garant autonome, qui n'ont nulle vocation à bénéficier de la règle de l'accessoire. Elle l'est beaucoup moins pour les cautions. Les solutions du droit positif sont ici, en tout cas, purement et simplement maintenues.
V - Liquidation judiciaire
Reprenant une solution classique de la liquidation judiciaire, le projet de loi, dans sa version initiale, se contentait de prévoir que le juge-commissaire peut ordonner la remise au liquidateur ou, lorsqu'il en a été désigné, à l'administrateur, du courrier adressé au débiteur. Le Conseil d'Etat, tenant compte des systèmes modernes de communication, a ajouté que "le juge-commissaire peut autoriser l'accès du liquidateur au courrier électronique reçu par le débiteur dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat" (C. com., art. L. 641-15, al. 3).
Les créanciers titulaires de sûretés ou de privilèges peuvent solliciter du juge-commissaire un paiement provisionnel. Par principe, le juge-commissaire peut solliciter du créancier qu'il présente une garantie bancaire (C. com., art. L. 622-23, al. 2 ). Le projet de loi, dans sa rédaction d'origine, dispensait de cette fourniture de garantie le Trésor public et les organismes sociaux. Opportunément, le projet de loi, dans sa version actuelle, dispense également de la fourniture de la garantie bancaire les institutions gérant le régime d'assurance chômage prévu par les articles L. 351-3 et suivants du Code du travail (C. com., art. L. 643-3, al. 3).
VI - Sanctions pécuniaires
L'obligation aux dettes sociales, qui dans le projet de loi a remplacé les procédures de redressement et de liquidation judiciaires à titre personnel contre les dirigeants ayant commis l'un des faits visés l'article L. 624-4 du Code de commerce, était, dans le projet de loi initial, applicable non seulement dans la procédure de liquidation judiciaire, mais encore dans les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire.
L'article L. 652-1 du Code de commerce, tel qu'il résulte du projet de loi après passage en Conseil d'Etat limite la possibilité de prononcer cette sanction à la seule hypothèse d'ouverture, contre la personne morale débitrice, d'une liquidation judiciaire. Logiquement, le délai triennal de prescription de cette action aura pour seul point de départ le jugement de liquidation judiciaire prononcée contre la personne morale débitrice. La menace de cette sanction constituait, sans nul doute, un obstacle à la demande d'ouverture d'une procédure de sauvegarde. En opportunité, la solution doit donc être approuvée. Sur un plan technique, ensuite, la mesure est satisfaisante car, dès lors que le débiteur avait obtenu un plan de sauvegarde ou un plan de continuation, il n'y avait juridiquement plus de passif à mettre à la charge du dirigeant de cette personne morale débitrice.
Innovant par rapport à la solution classique et non modifiée en matière de comblement de passif, le projet décide également, en matière d'obligation aux dettes sociales qu'"en cas de pluralité de dirigeants responsables, le tribunal tient compte de la faute de chacun pour déterminer la part des dettes sociales mises à sa charge". Cette solution n'existe pas en matière d'action en comblement de passif, ce qui permet en droit positif de ne pas corréler le montant de la condamnation de chacun des dirigeants à la part respectivement prise dans la création du passif, la solution étant justifiée par l'observation que la faute de gestion n'a pas à être unie par un lien de causalité à l'insuffisance d'actif, seule étant exigée une "contribution" de la faute à la création du passif. Par décision motivée, le tribunal pourra cependant, en matière d'obligation aux dettes sociales, déclarer les dirigeants responsables in solidum (C. com., art. L. 652-2).
Il est enfin curieux de voir ressurgir une solution qui existait dans loi du 13 juillet 1967 et que la législation du 25 janvier 1985 avait supprimé : celle consistant, pour la répartition du produit de cette action - à l'époque il s'agissait de l'action en comblement de passif - en obligation aux dettes sociales, à tenir compte des droits de préférence existant entre les créanciers (C. com., art. L. 652-3). Il est d'ailleurs symptomatique de remarquer que la solution de répartition au marc le franc du produit de l'action en comblement de passif est maintenu (C. com., art. L. 651-2, al. 3).
Souhaitons bon courage au législateur, pour qui les "devoirs de non vacances" vont bientôt commencer !
P.-M. Le Corre
Professeur agrégé à l'Université de Toulon et du Var
(1) P.-M. Le Corre, "Réforme des procédures collectives : questions à ... Pierre-Michel Le Corre, professeur et avocat", Lexbase Hebdo n° 93 du 6 novembre 2003 - édition Affaires (N° Lexbase : N9272AAN), et "Premiers aperçus avant lecture du projet de loi de sauvegarde des entreprises", Lexbase Hebdo n° 106 du 5 février 2004 - édition Affaires (N° Lexbase : N0417AB3).
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