Réf. : Loi n° 2003-721, 1er août 2003, relative à l'initiative économique (N° Lexbase : L3557BLC)
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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit
le 07 Octobre 2010
Alors cependant que l'on pouvait croire ces solutions acquises, elles ont récemment été, à la faveur de la réforme réalisée par la loi du 1er août 2003 relative à l'initiative économique, dite "loi Dutreil" (loi n° 2003-721 N° Lexbase : L3557BLC), profondément bouleversées (5). En étendant la sanction de la disproportion manifeste à tout cautionnement souscrit par une personne physique à l'égard d'un créancier professionnel, et ce en s'inspirant du mécanisme de l'article L. 313-10 plus haut évoqué, les dispositions nouvelles, recouvrant pour une large part la construction jusque là réalisée par la jurisprudence, assurent de l'existence d'une exigence générale de proportionnalité. La coexistence d'hypothèses demeurant soumises aux solutions de la jurisprudence et d'hypothèses régies, elles, par la loi nouvelle, rend toutefois l'appréhension de cette exigence difficile. Aussi bien, après s'être efforcé d'en saisir la teneur (I), faudra-t-il, logiquement, en préciser le régime (II).
I - L'exigence de proportionnalité
La loi du 1er août 2003, relative à l'initiative économique, a généralisé, on l'a déjà relevé, la sanction du cautionnement excessif telle qu'elle résultait, jusque-là, d'un texte spécial, en l'occurrence de l'article L. 313-10 du Code de la consommation. Les dispositions nouvelles, bien qu'insérées, de façon d'ailleurs contestable, dans le Code de la consommation, constituent donc aujourd'hui le siège de l'exigence de proportionnalité dans le cautionnement. L'intervention du législateur n'a cependant pas rendu les solutions qu'était progressivement parvenue à élaborer la jurisprudence en dehors du droit de la consommation totalement obsolètes, de sorte qu'il s'impose de distinguer proportionnalité jurisprudentielle et proportionnalité légale.
S'agissant de la jurisprudence d'abord, on se souvient certainement que, par un important arrêt en date du 17 juin 1997, dit Macron, la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait consacré, en matière de cautionnement, une exigence de proportionnalité entre le montant de la garantie et les ressources de la caution, et ce en dehors même du droit de la consommation (6). La même Chambre commerciale devait cependant, on ne l'ignore pas davantage, porter un coup d'arrêt au développement de l'exigence de proportionnalité ainsi dégagée en énonçant, dans un arrêt Nahoum rendu dans des circonstances de fait analogues à celles ayant donné lieu à l'arrêt Macron, que les cautions, "respectivement président du conseil d'administration et directeur général de la société [débitrice], qui n'ont jamais prétendu ni démontré que la banque aurait eu sur leurs revenus, leurs patrimoines et leurs facultés de remboursement raisonnablement prévisibles en l'état du succès escompté de l'opération immobilière entreprise par la société, des informations qu'eux-mêmes auraient ignorées, ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité de cette banque" (7). Aussi bien, sans condamner l'existence même de l'exigence de proportionnalité, la Cour de cassation en avait-elle seulement limité la mise en oeuvre en excluant de son champ d'application les cautions intégrées et donc, au premier chef, les cautions ayant la qualité de dirigeants de la société débitrice. Sauf en effet à pouvoir reprocher une réticence dolosive au créancier qui ne leur aurait pas communiqué des informations qu'elles-mêmes auraient ignorées, les cautions intégrées se voyaient donc refuser, du moins en principe, la faculté de se prévaloir de la disproportion de leurs engagements pour être libérées. Partant, la jurisprudence, en écartant la responsabilité du créancier au motif qu'aucune faute, déduite d'un éventuel manquement de sa part à son obligation d'information et de conseil, ne pouvait lui être objectivement reprochée, puisqu'il ne disposait pas d'informations que n'aurait pas eues la caution, renvoyait classiquement aux limites logiques et naturelles de l'obligation d'information. En relevant en effet, pour les raisons qui viennent d'être rappelées, l'absence de faute du créancier, la Cour mettait en oeuvre l'idée aujourd'hui acquise selon laquelle un contractant ne peut être tenu de renseigner son partenaire que s'il détient une information "pertinente" et si le créancier de cette obligation pouvait lui-même légitimement ignorer le fait recélé, autrement dit si son ignorance est légitime (8), ce qui n'est pas le cas des cautions dirigeantes "réputée[s] connaître les risques des engagements qu'elle[s] [souscrivent]" (9). C'est, dès lors, ce qui pouvait expliquer que "l'absence de biens de la caution ne [suffise] pas, à elle seule, à affecter la validité de son engagement" (10).
La loi du 1er août 2003 relative à l'initiative économique a profondément modifié la physionomie de l'exigence de proportionnalité telle qu'elle vient d'être décrite. Renforçant la protection des cautions personnes physiques, la loi nouvelle a, entre autres, généralisé la sanction du cautionnement excessif. Un nouvel article L. 341-4 a ainsi été inséré dans le Code de la consommation, aux termes duquel "le créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était lors de sa conclusion manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son engagement" . Le texte nouveau reprend textuellement, on l'aura immédiatement remarqué, la formulation de l'article L. 313-10 déjà existant qui, on le sait, réservait jusqu'ici la sanction de la disproportion manifeste aux seuls cautionnements souscrits en matière de crédit à la consommation et de crédit immobilier. Bien qu'insérée dans le Code de la consommation, la réforme dépasse ainsi largement les frontières du droit de la consommation et s'applique à tous les cautionnements souscrits par des personnes physiques en faveur d'un créancier professionnel - c'est-à-dire dont la créance serait, par hypothèse, née dans l'exercice de son activité professionnelle ou, comme en matière de clause abusive, serait en "rapport direct" avec celle-ci (11). On a certes pu s'interroger sur le point de savoir si les cautions dirigeantes devaient réellement pourvoir bénéficier de la règle, d'autant que la jurisprudence était parvenue, on le sait, à priver les cautions dirigeantes, sauf circonstances exceptionnelles, de la possibilité d'invoquer la disproportion de leurs engagements afin de se libérer. Certains ont d'ailleurs estimé, prenant appui sur l'insertion des dispositions nouvelles dans le Code de la consommation, qu'il convenait de limiter la portée de la réforme en excluant de son champ d'application les cautions dirigeantes, "intégrant" ainsi dans la réforme réalisée les acquis de la jurisprudence antérieure (12). Cette analyse doit pourtant, nous semble-t-il, être écartée. D'abord, force est bien de constater que le législateur n'a introduit aucune distinction parmi la catégorie des cautions "personnes physiques" ; or, il est probable que le juge confronté au problème refusera de distinguer là où la loi ne distingue pas (13). Au demeurant, à titre de comparaison, on se souvient que, au sujet de l'application de l'ancien article 48 de la loi du 1er mars 1984 - devenu L. 313-22 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9255DYG) -, la Cour de cassation, dans le passé, a déjà refusé d'opérer une distinction que le texte ne comportait pas et, par suite, a appliqué le texte aux cautions dirigeantes (14). Ensuite, on n'a pas manqué de relever, confortant ainsi la portée générale de l'exigence légale de proportionnalité, que si la loi nouvelle, complétant l'article L. 331-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6791AB7) relatif au surendettement, avait pris la peine d'exclure les dirigeants des dispositions nouvelles, elle ne l'avait pas fait pour les autres textes du même Code, ce qui attesterait de la volonté du législateur de protéger des cautionnements excessifs tous les acteurs économiques, et pas seulement les cautions profanes (15). Du reste, si l'objectif de la loi est bien de limiter les risques de surendettement, on doit admettre qu'il n'y a pas de raison de prendre en compte l'expérience professionnelle, le pouvoir ou l'intérêt de la caution. Aussi bien faut-il en conclure que, en définitive, seuls sont exclus de la règle légale les cautionnements souscrits par des personnes morales ainsi que ceux conclus entre particuliers, opérations qui, elles, restent soumises à l'exigence jurisprudentielle de proportionnalité.
II - Le régime de la proportionnalité
Pour ce qui est, pour commencer, de l'appréciation proprement dite de la disproportion, il faut redire que si personne n'a jamais douté du caractère objectif de l'appréciation de la disproportion légale (16), il n'en a pas toujours été de même lorsque s'est posée la question de la mise en oeuvre des solutions issues de la jurisprudence. Relevant notamment que, dans l'arrêt Macron lui-même, la Cour de cassation avait pris soin de relever que les circonstances de fait étaient "exclusives de toute bonne foi de la part de la banque", certains ont en effet estimé que le caractère excessif d'un cautionnement ne saurait suffire à engager la responsabilité du créancier (17). L'arrêt Nahoum, en déplaçant la question, au moins à l'égard des cautions intégrées, sur le terrain de l'obligation d'information (dol par réticence), avait d'ailleurs pu conforter cette analyse. Elle n'est, en tout état de cause, plus d'actualité, non seulement parce que les cautions intégrées sont aujourd'hui, on le sait, soumises au régime légal qui, lui, est indiscutablement objectif, mais aussi parce que, à l'égard des autres cautions, la Cour de cassation semble désormais vouloir privilégier une approche résolument objective de la disproportion (18). Le moment d'appréciation de la disproportion n'est toutefois pas le même selon qu'il s'agit de mettre en oeuvre les solutions jurisprudentielles ou légales. Selon le Code de la consommation en effet, le créancier ne peut se prévaloir du contrat de cautionnement s'il était "lors de sa conclusion" manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution, "à moins que le patrimoine de [celle-ci], au moment où elle est appelée, ne lui permette de faire face à son engagement" (19). Autrement dit, pour apprécier l'existence de la disproportion susceptible de justifier la mise en oeuvre de la sanction, il faut ici examiner la situation de la caution non seulement au jour de la formation du contrat, mais aussi au stade de son exécution, l'amélioration de sa situation de fortune pouvant finalement la contraindre à faire face à son engagement.
La technique, pour le moins originale, paraît bien discutable. Si, en effet, l'on s'accorde à reconnaître que le Code de la consommation, dans ses articles L. 313-10 et, aujourd'hui, L. 341-4, sanctionne, même sans le dire expressément, un manquement du créancier à un devoir de conseil et de vigilance qui implique que le montant de la créance garantie soit compatible avec les ressources du garant, il y a lieu d'en déduire que le manquement reproché au créancier se situe dans la période pré-contractuelle. Or, si tel est bien le cas, on voit mal au nom de quoi le "coupable" (20) échappera à la sanction si la situation de la caution a prospéré depuis l'époque de son engagement (21) : puisque le législateur a entendu sanctionner une certaine légèreté pré-contractuelle du créancier, il ne devrait pas être possible d'admettre que l'amélioration de la situation financière de la caution puisse "couvrir" la faute du créancier qui, en tant que telle, demeure. D'ailleurs, dans le système élaboré par la jurisprudence, où la mise en oeuvre de la responsabilité civile du créancier ayant sollicité un cautionnement excessif sanctionne également une faute pré-contractuelle, il n'y a pas lieu de tenir compte d'un éventuel enrichissement ultérieur de la caution. Comme on a pu le faire observer, répondant ainsi aux hésitations d'une partie de la doctrine sur ce point (22), si le créancier engage sa responsabilité pour faute, c'est pour avoir accepté un engagement disproportionné à l'époque de sa conclusion, de telle sorte que le devenir de la situation de la caution ne doit logiquement pas être pris en compte (23).
C'est principalement, en second lieu, sur le terrain de la sanction de la disproportion que les solutions jurisprudentielles et légales se distinguent le plus nettement. Si la diversité des solutions est déjà, en tant que telle, discutable puisqu'elle complexifie inutilement la matière, il ressort de surcroît, après analyse, qu'aucune d'elles, prises isolément, n'emporte finalement l'adhésion. D'abord, selon la jurisprudence, le non-respect du principe de mesure de la sûreté consentie eu égard aux facultés de paiement du garant constitue une faute de nature à engager la responsabilité, délictuelle (24), de son auteur (25). Le garant doit dès lors engager une action en responsabilité pour obtenir des dommages et intérêts pouvant se compenser avec les sommes dues au titre de la garantie. Il faut redire ici que le recours à la responsabilité pour faute n'étant pas, techniquement, exempt de critiques (26). En effet, en condamnant le créancier à verser à la caution des dommages et intérêts, afin de permettre à celle-ci d'exécuter l'obligation du débiteur principal, le juge lui confère ainsi la possibilité de se retourner, ensuite, contre le débiteur principal, non pas pour la seule fraction de la dette payée par elle sur son patrimoine propre, mais pour le paiement de la dette dans son intégralité puisqu'elle est, aux termes de l'article 2029 du Code civil, "subrogée à tous les droits qu'avait le créancier contre le débiteur" (27) . C'est dire que, théoriquement au moins, la caution a la possibilité de réaliser un enrichissement totalement injustifié. Dès lors, si l'on admet que la sanction de l'excès a pour objectif de protéger la caution en ajustant le montant de son engagement à ses possibilités financières, il faut en déduire que la seule sanction recevable et cohérente de l'excès consiste dans la réduction pure et simple de l'engagement de la caution (28).
Dans le système légal ensuite, l'article L. 341-4 nouveau du Code de la consommation dispose, comme le faisait avant lui l'article L. 313-10, que le créancier "ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus [...]". Ne pas pouvoir se prévaloir du cautionnement sous-entend bien qu'il est valable mais sans portée, ce qui a pu faire dire que le texte organisait une sorte d'inopposabilité du cautionnement à la caution, c'est-à-dire non pas à un tiers mais à la partie même qui l'a conclu (29). L'article L. 341-4, comme le faisait donc déjà l'article L. 313-10 du Code de la consommation, prévoit un cas de déchéance du créancier - déchéance particulière puisqu'elle est susceptible de cesser a posteriori du seul fait que l'événement qui lui a donné naissance a lui-même disparu (30).
En tout état de cause, la sanction retenue, une nouvelle fois, ne convainc pas : la déchéance prononcée à l'encontre du créancier en raison du seul caractère excessif de l'engagement de la caution nous paraît en effet fort contestable puisqu'elle empêche de préserver un juste équilibre entre les intérêts de la caution et ceux du débiteur. A cet égard, bien qu'elle-même critiquable (31), l'exploitation du droit commun par la mise en oeuvre de la responsabilité civile pour faute du créancier assure une plus grande souplesse et nous paraît ainsi, l'un dans l'autre, comme une "moins mauvaise" solution, à condition toutefois que la jurisprudence ne soit pas tentée, dans cette hypothèse, de condamner le créancier à verser à la caution des dommages et intérêts d'un montant égal à celui de la dette due par la caution (32). En réalité, quitte à se répéter, la seule sanction logique du cautionnement excessif ne peut être que la réduction de l'engagement de la caution. Les imperfections entachant les solutions finalement retenues expliquent que, aussi paradoxal que cela puisse paraître, on en soit déjà, après d'autres (33), à souhaiter une nouvelle réforme du cautionnement ...
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