Lexbase Avocats n°19 du 18 février 2010 : Avocats

[Focus] Les archives de l'avocat

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N1769BNT

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

L'archivage consiste à conserver, sans altération, pendant une certaine durée, des informations et documents, afin de pouvoir les exploiter ultérieurement. Outre le cas particulier de l'avocat séquestre (pour lequel il ne s'agit pas, à proprement parler, d'archivage), cette pratique fait partie des réflexes de tout avocat, pour deux raisons essentielles : il se doit de tenir à la disposition de ses clients les documents et informations les concernant, d'une part, et à titre probatoire, en cas de mise en cause de sa responsabilité professionnelle, d'autre part. La conservation des documents dans le cadre de la responsabilité professionnelle de l'avocat. Qu'il s'agisse de ses activités judiciaires ou de conseil, le délai pendant lequel la responsabilité professionnelle de l'avocat peut être engagée est, depuis la réforme de la prescription civile (loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 [LXB=L9102H3]), de cinq ans.

Ainsi, pour le cas spécifique de ses activités judiciaires, l'article 2225 du Code civil (N° Lexbase : L7183IAB) dispose que "l'action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission". En outre, pour tout ce qui ne relève pas de ses activités de contentieux, le délai sera, également, de cinq ans, cette fois, à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, en application de l'article 2224 (N° Lexbase : L7184IAC) du code, régissant la prescription des actions personnelles ou mobilières.

La responsabilité professionnelle de l'avocat lui impose, donc, une conservation des actes et des pièces pendant, au moins, cinq années, afin, le cas échéant de produire les preuves le déchargeant de tout ou partie de sa responsabilité, étant précisé que la charge de la preuve, en pareil cas, incombe à l'avocat, tenu par une obligation de conseil (cf. Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 94-21.217, M. X c/ Mme Y N° Lexbase : A0136ACZ).

Reste à savoir à quel type d'archivage recourir : papier ou électronique.

De l'archivage papier à l'archivage numérique. Jusqu'il y a peu, la profession d'avocat fonctionnait essentiellement sur support papier. Mais, les supports électroniques se multiplient dans les usages professionnels (ex. le courrier électronique), les documents se dématérialisent et certains contrats ou actes ne connaissent, depuis la reconnaissance de la valeur probatoire de l'écrit électronique, qu'une existence "virtuelle".

Ce mouvement du "tout électronique" a tendance à s'intensifier avec des initiatives à l'échelon national, telles que l'e-Barreau ou l'introduction prochaine de l'acte d'avocat en droit français. Il est, en effet, envisagé, dans ce cadre, de conserver les actes d'avocat, étant précisé que la piste de l'archivage électronique via le réseau privé des avocats (RPVA) est jusqu'à présent privilégiée. Ainsi, les avocats s'orientent lentement vers des solutions d'archivage numérique, d'autant que l'offre du marché en matière d'archivage (réorganisation de la gestion électronique des documents (GED), élaboration d'une politique d'archivage propre à chacun, etc.) a bien mûri, se préoccupant d'avantage de l'encadrement légal de la pratique. Toutefois, ne nous y trompons pas, si l'archivage "légal" a le vent en poupe, ce terme relève plus du concept que d'une réalité : aucune réglementation ne vient, en effet, encadrer l'archivage privé.

Absence de réglementation de l'archivage (électronique) privé. Si l'archivage public est défini et encadré par la loi (cf. loi n° 79-18, 3 janvier 1979, sur les archives N° Lexbase : L6501AGU) (1), aucune définition, ni aucun régime de l'archivage privé, et, a fortiori, de l'archivage électronique privé, n'est fixé par les textes. Les pistes doivent, dès lors, être recherchées dans les textes relatifs à la valeur probante des écrits.

Depuis la loi du 13 mars 2000, portant adaptation de la preuve aux technologies de l'information et relative à la signature électronique (loi n° 2000-230 N° Lexbase : L0274AIY), la valeur juridique de l'écrit électronique est pleinement reconnue. Or, qui dit écrit électronique dit, nécessairement, archivage électronique.

Ainsi, l'article 1316 du Code civil (N° Lexbase : L1427ABH) précise, désormais, que "la preuve littérale ou preuve par écrit, résulte d'une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quels que soient leur support et les modalités de transmission" et l'article 1316-1 (N° Lexbase : L0627ANK) prévoit expressément que "l'écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité".

Ce texte subordonne la force probante de l'écrit électronique à deux conditions : la personne à l'origine de l'écrit doit être clairement identifiée -ce qui nécessite que l'écrit soit signé électroniquement- et la conservation du document (autrement dit, son archivage) doit en garantir l'intégrité. Sur cette dernière exigence, rappelons que l'écrit électronique, à la différence de l'écrit papier, est susceptible de changer plusieurs fois de supports au cours de son existence.

Enfin, aux termes de l'article 1316-3 du Code civil (N° Lexbase : L0629ANM), "l'écrit sur support électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier". La règle ne pourrait être plus claire.

L'alinéa 2 de l'article 287 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L2016DKU) impose au juge, en cas de contestation, de vérifier que les exigences posées à ces articles sont remplies : "si la dénégation ou le refus de connaissance porte sur un écrit ou une signature électronique, le juge vérifie si les conditions, mises par les articles 1316-1 et 1316-4 du Code civil à la validité de l'écrit ou de la signature électronique sont satisfaites". Ainsi, le juge devra s'assurer que le document est signé électroniquement et que son intégrité a bien été conservée. Aucune précision n'est donnée sur les moyens de s'assurer que cette dernière condition a bien été honorée. Sur ce point, l'appréciation du juge sera souveraine. Il en ira de même pour tout conflit de preuve littérale, aux termes de l'article 1316-2 du Code civil (N° Lexbase : L0628ANL), puisque "lorsque la loi n'a pas fixé d'autres principes, et à défaut de convention valable entre les parties [-étant précisé que concernant la responsabilité de l'avocat, toute convention de preuve est exclue-], le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu'en soit le support".

Dans ce contexte et pour s'assurer de la "faveur" du juge, il peut être judicieux de recourir à une norme, car si elle n'a pas force de loi, celle-ci permet, cependant, de représenter un état de l'art dans le domaine auquel elle se rapporte (Cass. civ. 3, 4 février 1976, n° 74-12643, Gaz de France c/ Consorts Monsaingeon N° Lexbase : A9799CEN). L'AFNOR (Association française pour la normalisation) a édicté la norme NF Z 42 -013, qui donne un ensemble de spécifications concernant les mesures techniques et organisationnelles à mettre en oeuvre pour l'enregistrement, le stockage et la restitution de documents électroniques, afin d'en assurer la conservation et l'intégrité. Par ailleurs, confier la mission d'archivage à un tiers-archiveur, dont c'est précisément le métier, peut être judicieux, en ce que la plupart d'entre eux offre un service de qualité, accompagné d'un maximum de garanties.

Le recours à un tiers-archiveur. Il existe plusieurs freins à la mise en place d'un archivage électronique en interne, dont celui essentiel de la perte de temps pour les avocats (et donc, d'un moindre facturation) et celui des coûts (coûts de la formation des équipes et de l'équipement de numérisation, GED onéreuses, etc.). Souvent, il sera plus intéressant pour le cabinet d'externaliser l'archivage électronique. Mais avant de recourir à un tiers-archiveur, il convient de mener une réflexion en amont, afin d'identifier clairement les besoins du donneur d'ordre, puisque les solutions d'archivages en dépendront. Etablir un cahier des charges est, dans, cette optique, fortement conseillé.

Il faudra, également, prêter une attention toute particulière à certaines clauses du contrat : assurances du prestataire, respect de la confidentialité, garantie de la conservation de l'intégrité des écrits, délai de mise à disposition des archives, clauses limitatives de responsabilité, évolution des systèmes de stockage, réinternalisation de l'archivage ou transfert vers un autre archiveur en fin de contrat, sous-traitance, etc..

Précisons, enfin, que le tiers-archiveur est tenu d'une obligation de moyens et que sa responsabilité ne pourra être engagée qu'en cas de faute, dont la charge de la preuve incombe au donneur d'ordre. Quant au contenu des données archivées, il relèvera, toujours, de la responsabilité de ce dernier.

En conclusion, puisque l'archivage est indispensable à l'avocat dans le cadre de son activité et compte tenu du fort mouvement de dématérialisation entrepris, le recours à un archivage électronique peut se révéler opportun. Il est, néanmoins, regrettable que le régime de ce type de conservation n'ait pas été précisé à l'occasion de la reconnaissance de la pleine valeur de l'écrit électronique par la loi du 13 mars 2000. En attendant un encadrement légal (qui interviendra certainement prochainement, eu égard aux réflexions actuelles sur l'acte d'avocat), la prudence s'impose toutefois.


(1) Le texte définit les archives comme "l'ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale, et par tout service ou organisme public ou privé, dans l'exercice de leur activité".

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