Réf. : Cass. soc., 6 octobre 2004, n° 02-19.458, F-D (N° Lexbase : A5604DDW) ; Cass. soc., 6 octobre 2004, n° 02-19.459, F-D (N° Lexbase : A5605DDX)
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N3142ABY
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Décisions
Cass. soc., 6 octobre 2004, n° 02-19.458, Société Plastiserd c/ Confédération syndicale O OE TO OE RIMA, F-D (N° Lexbase : A5604DDW) Cass. soc., 6 octobre 2004, n° 02-19.459, Société Brasserie de Tahiti c/ Confédération syndicale O OE TO OE RIMA, F-D (N° Lexbase : A5605DDX) Rejets (cour d'appel de Papeete, chambre civile, 25 juin 2002) Mots clef : grève ; accord de fin de conflit ; action en justice de l'employeur ; contestation de la validité du préavis ; défaut d'intérêt à agir. Textes visés : article 1er du Code de procédure civile de la Polynésie française Liens base : |
Faits
1. A la suite du dépôt d'un préavis de grève, les syndicats de deux entreprises avaient appelé le personnel à se mettre en grève. L'employeur avait saisi le tribunal de grande instance afin que soit constatée l'irrégularité du préavis. Pendant le cours de l'instance, les salariés avaient repris le travail, après que l'employeur se fut engagé à ne prendre aucune sanction contre les grévistes. L'employeur ne s'était pas désisté de son action. 2. La cour d'appel de Papeete (25 juin 2002) avait jugé son action irrecevable, considérant qu'il n'avait plus d'intérêt à agir. |
Problème juridique
Lorsqu'une grève a pris fin, l'employeur a-t-il encore un intérêt à agir en annulation du préavis ? |
Solution
1. Rejet 2. "La cour d'appel qui a constaté que les parties étaient parvenues à un accord en a justement déduit que l'employeur n'avait plus d'intérêt à agir". |
Commentaire
1. L'accord de fin de conflit met un terme au conflit dans l'entreprise
Depuis la loi du 13 novembre 1982 (loi n° 82-957 du 13 novembre 1982, relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail N° Lexbase : L2703GUN), les procédures de fin de conflit ne présentent plus aucun caractère obligatoire. Les parties sont donc libres de se concilier, de recourir à la médiation ou à l'arbitrage, ou encore de négocier, formellement ou non, pour mettre un terme à leur différend (M. Moreau, Les règlements des fins de conflit, Dr. soc. 2001, p. 139). Certains accords de fin de conflit prennent parfois la forme d'un accord collectif d'entreprise, lorsqu'il est signé par l'employeur et au moins un délégué syndical d'entreprise ou d'établissement. Dans ce cas de figure, le régime juridique applicable à cet accord relève du droit commun (Cass. soc., 24 octobre 2000, n° 97-45.854, MM. Messahli et Samet c/ SA Tvo N° Lexbase : A0670A39). Dans de nombreuses hypothèses, un accord sera conclu par l'employeur en dehors du cadre légal, soit directement avec les grévistes, soit avec un délégué du personnel, soit avec le comité d'entreprise, soit avec un meneur, soit encore après une consultation directe du personnel, sous la forme d'un référendum (lire l'article classique de G. Lyon-Caen, Le conflit du Parisien Libéré et le système français de règlement des conflits du travail, Dr. soc. 1977, p. 438). Dans toutes ces hypothèses, il s'agira d'un accord atypique, que la jurisprudence assimile aujourd'hui à un engagement unilatéral de l'employeur.
C'est, sans doute, cette forme qu'avait pris l'accord passé par l'employeur et les grévistes de ces deux entreprises de Papeete. L'accord ainsi conclu oblige l'employeur, mais pas les salariés qui doivent l'avoir accepté individuellement. L'employeur s'engage généralement, pour apaiser les tensions, à ne pas prendre de sanctions contre les grévistes, à payer tout ou partie des jours de grève et donne parfois satisfaction aux grévistes sur certaines de leurs revendications. Ces engagements doivent être respectés par l'employeur qui engagera sa responsabilité civile, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ), s'il ne s'exécute pas. En revanche, les licenciements qui seraient prononcés en violation d'un engagement de ne pas poursuivre les salariés ne devraient pas pouvoir être annulés, dès lors qu'ils répondent aux exigences légales, c'est-à-dire, s'agissant de grévistes, qu'ils sont fondés sur l'existence de fautes lourdes commises à l'occasion de la grève (C. trav., art. L. 521-1 N° Lexbase : L5336ACM). Dans ce cas de figure, les salariés ne pourraient obtenir que des dommages et intérêts, mais qui pourraient s'élever à des montants importants puisqu'ils pourraient compenser la perte de l'emploi (Cass. soc., 22 janvier 1998, n° 95-45.400, M. Briou et autres c/ Société CMB Plastique N° Lexbase : A2585ACQ, Dr. soc. 1998, p. 375, note G. Couturier, à propos d'un engagement de maintien des emplois). Le licenciement des salariés pourrait également être prononcé pour des fautes sérieuses ou graves, si le conflit collectif devait ne pas être qualifié de grève. Il en irait notamment ainsi si la grève devait être déclenchée sans le dépôt d'un préavis syndical de cinq jours francs, dans les services publics. Seule cette exigence semble d'ailleurs de nature à entraîner la disqualification du mouvement, et non les seules irrégularités rédactionnelles du préavis (Cass. soc., 25 février 2003, n° 00-44.339, FS-P N° Lexbase : A3037A7M, Dr. soc. 2003, p. 554, obs. Ch. Radé).
Ainsi, la conclusion d'un accord de fin de conflit met bien un terme à la grève, en incitant les salariés à la reprise du travail, mais ne clôt pas nécessairement le litige. Certes, l'employeur qui s'est engagé à ne pas prendre de sanction aura tout intérêt à cesser toutes les actions judiciaires engagées, sous peine de s'exposer à des condamnations fondées sur l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ). Mais, il dispose encore théoriquement du droit de licencier les salariés. C'est dans ce contexte juridique précis qu'interviennent ces deux arrêts rendus le 6 octobre 2004, par la Chambre sociale de la Cour de cassation. Deux employeurs avaient, en effet, engagé une action pour faire constater l'illicéité des préavis de grève déposés par les syndicats de deux entreprises. En cours d'instance, un accord était intervenu pour faire cesser la grève, l'employeur s'engageant à ne pas sanctionner les salariés. L'employeur ne s'était pourtant pas désisté de son action et souhaitait que la justice statue sur la régularité du préavis. Or, cette demande n'a même pas été examinée, le tribunal de Papeete ayant considéré que l'employeur n'avait plus d'intérêt à agir, ce qui nous semble éminemment discutable. 2. L'accord de fin de conflit met un terme au conflit devant les tribunaux
L'employeur qui signe un accord de fin de conflit peut-il poursuivre les actions en justice engagées au préalable ? La question pourrait sembler saugrenue dans la mesure où, précisément, la conclusion d'un accord prive le recours au juge de tout intérêt, le différend ayant été réglé de manière négociée. Mais, si la réponse relève du bon sens, elle ne préjuge pas de la qualification juridique de l'intérêt à agir. La jurisprudence a pu, parfois, qualifier les accords de fin de conflit de "transaction", au sens de l'article 2044 du Code civil (N° Lexbase : L2289ABE) (Cass. soc., 25 avril 1979, n° 78-40.058, Condom, Campomanez, Ventosa, Lebas, Cangemi, Gramont, c/ Société Nordon, publié N° Lexbase : A2032ABU). Dans cette hypothèse, l'accord acquiert l'autorité de la chose jugée entre les parties et la voie judiciaire se trouve fermée, le juge saisi du différend en cours se trouvant alors dessaisi (article 481, alinéa 1er, du Nouveau Code de procédure civile N° Lexbase : L2721AD7) et un nouveau juge devant opposer au plaideur une fin de non-recevoir (article 122 du Nouveau Code de procédure civile N° Lexbase : L2068ADX). On sait, toutefois, que cette qualification a été abandonnée, car elle limitait l'effet de la transaction aux seules parties signataires, sans s'étendre aux tiers, ici les non-grévistes, à moins que ces derniers n'aient individuellement accepté la proposition de transaction faite par l'employeur.
Ce n'est pas sur le terrain de la transaction que cette affaire s'est réglée, mais sur celui de l'intérêt à agir qui constitue une condition de l'action en justice, tant dans le Nouveau Code de procédure civile français (article 31 N° Lexbase : L2514ADH) que dans le Code polynésien (article 1er). C'est en se fondant sur cette absence d'intérêt à agir que le tribunal de Papeete avait rejeté la contestation élevée par l'employeur concernant la régularité du préavis, dans la mesure où le conflit avait cessé. La référence à l'intérêt à agir permet au juge d'écarter une action en justice sans avoir à l'examiner au fond. Cette notion est appréciée souverainement par les juridictions du fond (Cass. civ. 1, 4 novembre 1980, n° 79-13.554, Davis, Oury, Colombet, Epoux Jégu c/ Association Communale de Chasse Agréée de Bais, publié N° Lexbase : A0952CGD). La doctrine a toujours souligné l'ambivalence de cette notion qui mélange, de manière indissociable, le fond du droit et la forme. Le juge ne peut pas, en effet, juger que le demandeur n'a pas d'intérêt à agir sous prétexte que ses prétentions ne seraient pas fondées juridiquement (à propos de l'exigence d'un préjudice pour engager la responsabilité civile, Cass. civ. 2, 6 mai 2004, n° 02-16.314, F-P+B N° Lexbase : A1615DCS). L'intérêt à agir peut alors se définir comme la recherche par le demandeur d'effets juridiques personnels s'attachant au jugement. C'est la raison pour laquelle l'employeur qui a cédé son entreprise n'a plus d'intérêt à agir en respect de la clause de non-concurrence stipulée par un ancien salarié. Dans d'autres hypothèses, toutefois, le défaut d'intérêt se vérifie non pas objectivement, mais subjectivement, le juge considérant que les conséquences juridiques qui s'attacheraient au jugement ne seraient pas légitimes. C'est en ce sens que la Cour de cassation conteste l'intérêt qu'un syndicat, dont tous les candidats ont été élus, aurait à contester la validité des élections professionnelles (Cass. soc., 23 juillet 1980, n° 80-60.157, Société Legris France S.A. c/ Bourgeois, publié N° Lexbase : A7290CIT D. 1981, IR p. 122, obs. P. Langlois).
C'est bien ici le jugement porté sur la légitimité de l'intérêt à agir, et non pas seulement sur son existence, qui fait difficulté. Nous avons en effet démontré, précédemment, que l'employeur avait bien un intérêt à agir en nullité du préavis de grève, en dépit de la conclusion d'un accord de fin de conflit, puisqu'il pourrait dès lors, et ce même s'il s'est engagé à ne pas le faire, invoquer cette irrégularité pour licencier les salariés. Or, dans cette hypothèse, les licenciements ne seraient pas nuls, au regard des exigences posées par l'article L. 521-1 du Code du travail (N° Lexbase : L5336ACM), mais exposeraient l'employeur au paiement de dommages-intérêts pour violation de son engagement. En rejetant la demande de l'employeur pour défaut d'intérêt à agir, le tribunal règle ainsi, en amont de l'action et par anticipation, la question de la validité d'éventuels licenciements. L'employeur ne pourra pas faire constater l'irrégularité de la grève et, partant, se fonder sur celle-ci pour engager des procédures de licenciement contre les grévistes. L'argument est toutefois limité. L'employeur qui le souhaiterait dispose bien du pouvoir de licencier les salariés, en dépit de l'accord de fin de conflit, car ce droit est d'ordre public et l'employeur ne saurait, par conséquent, y renoncer. Les salariés licenciés devraient alors agir en justice pour faire valoir leurs droits, et c'est à ce moment que le débat s'engagerait sur la régularité du préavis, puisque de cette discussion dépend la validité des licenciements prononcés. La référence à l'intérêt à agir est alors détournée de sa fonction première, qui est de fixer les conditions de l'action en justice, puisque ici elle permet, en réalité, d'empêcher l'employeur de procéder au licenciement. Elle constitue alors une sanction déguisée du non-respect par l'employeur de l'accord de fin de conflit. La solution dote alors l'accord de fin de conflit d'une portée procédurale inattendue, lui conférant ainsi une efficacité très forte. Mais est-ce bien le rôle de la notion d'intérêt à agir ? |
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