Lexbase Social n°110 du 4 mars 2004 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Nature de droit privé du contrat emploi-solidarité

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N0704ABP

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par Christophe Willmann, Maître de conférences à l'Université de Picardie

le 07 Octobre 2010

Décision

T. confl., 19 janvier 2004, Mlle Kheira, n° C3373, inédit

Compétence du juge judiciaire pour connaître d'un litige relatif au contrat emploi-solidarité.

Textes applicables : C. trav., art. L. 322-4-8 (N° Lexbase : L6143ACI)

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Faits

Mlle Kheira, à la suite de la rupture du contrat emploi-solidarité qui la lie à un établissement public scolaire, intente une action en justice afin de se voir verser diverses indemnités. Une question de compétence se pose alors. 

Solution

1. Le litige qui oppose l'intéressée au lycée professionnel François Rabelais de Dardilly à la suite de la rupture du contrat emploi-solidarité avec cet établissement public relève des juridictions de l'ordre judiciaire.

2. Question de compétence, soulevée par le conseil de prud'hommes de Lyon, se déclarant incompétent. Annulation du jugement du TA de Lyon, se déclarant compétent et annulation du jugement du conseil de prud'hommes de Lyon, se déclarant incompétent.

Commentaire

Le Tribunal des conflits vient, une nouvelle fois, confirmer sa jurisprudence relative à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire pour connaître du contentieux du CES. En effet, s'en tenant à une stricte lecture de l'article L. 322-4-8 du Code du travail (N° Lexbase : L6143ACI), le Tribunal des conflits conforte la solution acquise : les contrats emploi-solidarité sont des contrats de travail de droit privé. Il en résulte que le litige qui oppose l'intéressée au lycée professionnel à la suite de la rupture du contrat emploi-solidarité conclu avec cet établissement public relève des juridictions de l'ordre judiciaire. Le conseil de prud'hommes saisi en premier lieu ne devait donc pas décliner sa compétence, alors même que l'employeur est une personne morale de droit public (un lycée professionnel).

L'hésitation était permise, car il est de principe que les agents non-statutaires travaillant pour le compte d'une personne publique gérant un service public administratif sont soumis, dans leurs rapports avec cette personne et quel que soit leur emploi, à un régime de droit public. Mais tel n'est pas le cas lorsqu'une disposition législative en décide autrement : en matière de contrat emploi-solidarité, par exemple.

1. Nature de droit privé du CES

  • Qualification de contrat de travail de droit privé définie par les textes

- La grande majorité des contrats aidés ne pose pas de difficulté juridique, au regard de sa nature juridique de contrat de droit privé, qu'il s'agisse des contrats de formation en alternance (contrat de qualification, contrat d'adaptation, contrat d'orientation), ou des contrats s'adressant à un public rencontrant des difficultés d'insertion, pour autant que l'employeur soit de droit privé (contrat emploi-solidarité, contrat emploi-consolidé).

La nature du contrat emploi-solidarité est plus difficile, parce que l'employeur peut être une personne morale de droit public. Pour éliminer toute difficulté contentieuse, le législateur a expressément décidé que ces contrats sont de droit privé (C. trav., art. L. 322-4-8 N° Lexbase : L6143ACI).

- Pourtant, il faut bien reconnaître que le droit public -plus précisément, le droit de la fonction publique- exerce un fort pouvoir d'attraction, aussi bien pour les salariés régis par le CES que pour leurs employeurs publics. Les salariés peuvent être tentés de contester la validité de leur CES devant le juge, afin que celui-ci requalifie la relation contractuelle : l'objectif poursuivi sera alors d'obtenir un poste stable auprès de l'employeur public.

Cette stratégie judiciaire peut expliquer que les intéressés préfèrent saisir le juge administratif plutôt que le juge judiciaire. De leur côté, les employeurs publics ont très largement recouru aux CES, car ils voyaient là un moyen efficace de contourner la pénurie de postes régis par le droit de la fonction publique. Dans son rapport public rendu en 1996, la Cour des comptes a relevé cette tendance lourde, en soulignant que l'interdiction des CES dans les services de l'Etat a été tournée, parfois sur un encouragement exprès de l'autorité hiérarchique. Ainsi, selon la Cour des comptes, le ministre de l'Intérieur a invité les préfets, en novembre 1994, à recruter sur des emplois de CES afin d'étoffer les services d'accueil dans les préfectures. De même, les DDTEFP ont reconnu avoir utilisé les services de salariés en CES. D'autres services de l'Etat ont fait de même, en recourant à une association créée à cette fin ou oeuvrant dans leur secteur d'activité. Ces montages anormaux recréent, dans la précarité, une nouvelle "catégorie D" parmi les agents de l'Etat.

C'est dans ce contexte bien précis que certaines administrations ont élaboré des stratégies de contournement de la loi par la technique de la mise à disposition de personnels régis par le droit du CES, à partir d'associations (parfois) fictives. Ces mises à disposition ne peuvent se faire que si des circonstances particulières se justifient, c'est-à-dire lorsque l'employeur ne peut, pour des raisons juridiques, embaucher directement les salariés ou lorsqu'elles facilitent la gestion. Les juges remettent parfois en cause un tel montage juridique, en redonnant aux relations nouées entre les salariés mis à disposition et l'entreprise utilisatrice (l'employeur public) leur véritable qualification juridique (Cass. soc., 30 septembre 2003, n° 01-42.575, Régie des transports de Marseille (RTM) c/ M. Charles Smadja, inédit N° Lexbase : A6605C9I J.Y. Kerbouc'h, L'Etat employeur d'un salarié sous contrat emploi-solidarité mis à disposition par une association relais, TPS 2002, chro. 4, p. 4 ; C. Roy-Loustaunau, La requalification du contrat emploi-solidarité avec une association-relais -Le contrôle de la chambre sociale sur la mise à disposition illicite d'un salarié dans un service de l'Etat-, Dr. soc. 2002, p. 945).

  • Contrat de droit privé et employeur public

La nature de droit privé du contrat de travail aidé au titre d'une politique publique de l'emploi (CES, en l'espèce) doit également être confrontée à une autre variable juridique, l'appartenance de l'employeur à la catégorie des personnes morales de droit public (L. Gamet, Les contrats de travail conclu au titre des dispositifs publics de mise à l'emploi, LGDJ 2002 ; Ph. Enclos, V. Cattoir-Joinville, Le contentieux juridictionnel des contrats de travail aidés dans le secteur non marchand, Rapport au Commissariat général du plan, janv. 2001).

La jurisprudence Berkani est en effet susceptible de complexifier le débat (T. confl., 25 mars 1996, Préfet de la région Rhône-Alpes, Préfet du Rhône et autres, n° 03000, publié N° Lexbase : A2712ATM Dr. soc. 1996, p. 735, obs. X. Prétot ; RFDA 1996, p. 819, ccl. P. Martin ; P. Boutelet, La jurisprudence Berkani fait-elle obstacle à l'emploi d'un contrat emploi-solidarité dans les services administratifs ?, AJFP 1997, p. 53). Selon cette jurisprudence, le juge administratif devient alors compétent pour tout litige opposant le contractant à un employeur public : "les personnels non statutaires travaillant pour le compte d'un service public à caractère administratif sont des agents contractuels de droit public, quel que soit leur emploi", y compris donc ceux qui sont titulaires d'un contrat emploi-solidarité (Pielberg, Les conséquences de l'application de la récente jurisprudence du Tribunal des conflits aux contrats emploi-solidarité, Gaz. Pal. 1997, n° 239, p. 10).

Mais cette jurisprudence n'a pas été suivie par la Chambre sociale de la Cour de cassation qui a décidé, au contraire, que le contentieux opposant le titulaire d'un contrat emploi-solidarité avec son employeur, personne de droit public (une université), relève du contentieux judiciaire en raison de la nature de droit privé du contrat de travail emploi-solidarité (Cass. soc., 9 décembre 1998, n° 96-45.559, Université René Descartes c/ M. Christian Birnbaum, inédit N° Lexbase : A5862CQ8 Les agents contractuels de l'Administration : retour à la case départ, M. Keller, Dr. soc. 1999, p. 143).

2. Contentieux de droit privé

Le débat sur la compétence juridictionnelle du contentieux né à l'occasion d'un contrat emploi-solidarité, a priori complexe et délicat dès lors que l'employeur est une personne morale de droit public, a été simplifié par le tribunal des conflits, dans un sens unifié de contentieux général des juridictions de l'ordre judiciaire (A. de Senga, Contrat emploi solidarité : quel juge pour quelle loi ?, Dr. ouv. 1999, p. 359).

Parce que la loi indique que le contrat emploi-solidarité a une nature de contrat de travail de droit privé, le tribunal des conflits retient de manière générale la compétence du juge judiciaire, sans tenir compte de la qualité de personne morale de droit public de l'employeur. Le litige résultant de la conclusion, l'exécution et la rupture d'un contrat emploi-solidarité qui a la nature juridique d'un contrat de droit privé (C. trav., art. L. 322-4-8 N° Lexbase : L6143ACI), relève de la compétence du juge judiciaire, peu important que le contrat ait été conclu par une personne morale de droit public (Cass. soc., 9 décembre 1998, n° 96-45.559, Université René Descartes c/ M. Christian Birnbaum, inédit N° Lexbase : A5862CQ8 ; Cass. soc., 16 mars 1999, n° 97-40.768, Université René Descartes c/ M Birnbaum, publié N° Lexbase : A6335AGQ ; T. confl., 7 juin 1999, Préfet de l'Essonne, n° 03152, publié N° Lexbase : A5506BQY ; Cass. soc., 4 janvier 2000, n° 97-43.750, Société France Telecom, société anonyme c/ Mme Carole Robert, inédit N° Lexbase : A1914CMT TPS 2001, chron. n° 17, obs. CW).

Cependant, si une question préjudicielle se pose au préalable, relativement à la légalité d'une convention de droit public passée par l'employeur (l'association concernée) avec l'Etat en vue de la conclusion de contrats emploi-solidarité, le juge judiciaire doit alors se déclarer incompétent au profit du juge administratif (Cass. soc., 8 juillet 1999, n° 97-15.903, Association sportive des PTT du pays de Lorient c/ Urssaf du Morbihan, publié N° Lexbase : A8133AGC). En effet, dans le cas où la contestation met en cause la légalité de la convention passée entre l'État et l'employeur, la juridiction administrative est seule compétente pour se prononcer sur la question préjudicielle ainsi soulevée (T. confl., 7 juin 1999, Préfet de l'Essonne, n° 03152, publié N° Lexbase : A5506BQY).

A titre comparatif, il faut relever que cette jurisprudence du tribunal des conflits relative au CES s'applique également pour un contrat de travail aidé très proche, le contrat emploi-consolidé. Selon le Tribunal des conflits, les litiges nés à l'occasion de la conclusion, de l'exécution ou de la résiliation du contrat emploi-consolidé relèvent de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire (T. confl., 13 mars 2000, Conflit sur renvoi du tribunal administratif de Marseille, n° 3159 N° Lexbase : A7203AHA). La jurisprudence, là encore, est constante (T. confl., 20 octobre 1997, Préfet du Finistère, n° 03086, publié N° Lexbase : A5645BQ7).

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