Lexbase Social n°109 du 26 février 2004 : Social général

[Jurisprudence] Une nouvelle cause d'interruption de la prescription quinquennale des salaires

Lecture: 7 min

N0633AB3

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Jurisprudence] Une nouvelle cause d'interruption de la prescription quinquennale des salaires. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3162441-jurisprudence-une-nouvelle-cause-dinterruption-de-la-prescription-quinquennale-des-salaires
Copier

par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Décision

Cass. soc., 11 février 2004, n° 01-45.561, Société Thevenin et Ducrot distribution c/ M. Alain Roux, F-P+B+I (N° Lexbase : A2697DBI)

Interruption de la prescription des salaires

C. civ., art. 2246 (N° Lexbase : L2534ABH) ; C. civ., art. 2277 (N° Lexbase : L2564ABL) ; C. trav., art. L. 143-14 (N° Lexbase : L5268AC4) ; C. trav., art. R. 516-8 (N° Lexbase : L0658ADQ).

Lien base :

Faits

A la suite de la requalification de son contrat en un contrat de travail, un salarié avait sollicité devant le conseil de prud'hommes un rappel de salaire. La cour d'appel avait fait droit à sa demande et avait débouté l'employeur qui invoquait la prescription des sommes litigieuses.

Solution

1. "L'action engagée par la société procédait des relations contractuelles ayant lié les parties et avait dès lors un effet interruptif quant à l'action engagée par le salarié qui procédait également des relations contractuelles ayant lié les parties".

2. Cette nouvelle cause d'interruption de la prescription trouve à s'appliquer "même si la relation fait l'objet d'une autre qualification".

Rejet

Commentaire

1. L'interruption de la prescription quinquennale consécutive à une requalification

L'espèce était particulière. Entre les deux demandes successivement formées par l'employeur et le salarié, la relation contractuelle avait fait l'objet d'une requalification en contrat de travail.

La première demande avait été le fait de l'employeur qui souhaitait obtenir la condamnation du salarié au paiement du déficit de la caisse dont il avait la garde. La seconde instance, introduite postérieurement par le salarié, avait pour objet un rappel de salaire. La question se posait alors de savoir si cette dernière action ne devait pas se voir opposer la prescription. La réponse négative de la Cour de cassation brille par son originalité.

Pour se dégager des principes traditionnels, la Cour de cassation se fonde, de manière totalement nouvelle, sur le lien contractuel ou, plus justement, "les relations contractuelles ayant lié les parties". Elle privilégie ainsi l'origine de la demande sur son objet et sa nature.

Il faut donc et il suffit qu'il existe un lien contractuel entre l'employeur et le salarié pour que la demande de l'un ou de l'autre soit recevable. Il leur est ainsi désormais possible d'obtenir qu'une première demande interrompe la prescription quinquennale indépendamment de son objet. Dans la mesure où l'instance introduite trouve son fondement dans une relation contractuelle (ce qui sera le cas dans 99 % des hypothèses), la prescription sera interrompue.

Ce fondement dispense, en outre, la Haute juridiction de toute justification supplémentaire qu'aurait pu entraîner la requalification. Aucune précision ni aucune exigence n'étant formulée sur la nature de la relation contractuelle, il est totalement logique, comme le souligne la Haute juridiction, que "l'action (première de l'employeur)...ait eu un effet interruptif...quant à l'action (postérieure) engagée par M. Roux, ..., peu important que ces relations aient fait l'objet d'une autre qualification".

Cette absence de référence à l'objet des demandes semble enfin impliquer que non seulement le salarié, mais encore l'employeur, puissent se prévaloir de l'interruption de la prescription. L'un comme l'autre pouvant user de la prescription, ils devraient tous deux être admis à invoquer leur relation contractuelle pour bénéficier de cette nouvelle cause d'interruption.

Le fondement du lien contractuel, bien que judicieux, nous semble pourtant à plusieurs titres contestable. Cette solution déroge, en effet, de manière injustifiée aux principes traditionnels gouvernant la matière salariale. Elle constitue, en premier lieu, une dérogation au principe de l'unicité de l'instance qui gouverne en principe le procès prud'homal et qui veut que toutes les demandes dérivant d'un même contrat de travail soient soulevées devant le juge initialement saisi (C. trav., art. R. 516-1 N° Lexbase : L0611ADY). Elle entre, en second lieu, en contradiction avec la décision dans laquelle la Haute juridiction fondait son refus de retenir le procès pénal comme cause d'interruption de la prescription quinquennale sur la différence d'objet d'une instance pénale et d'un procès prud'homal (Cass. soc., 27 mai 1992, n° 89-40.581, Mme Chenevat c/ M. Montmeat, publié N° Lexbase : A0280ABY).

Elle ne semble, pour ces raisons, trouver sa justification que dans la particularité de l'espèce commentée. La requalification n'est pas sans incidence sur la solution puisqu'elle en est à notre avis à l'origine.

2. L'incidence de la requalification sur l'interruption de la prescription

Malgré la portée que la Haute juridiction semble vouloir lui donner, le champ d'application de cette nouvelle cause d'interruption de la prescription semble devoir être limité au cas d'espèce. L'impropriété des règles traditionnellement applicables à justifier cette exception à la prescription laisse en effet douter de sa généralité.

Les actions en rappel de salaires, comme de manière plus générale de tout ce qui est payable par année ou à des échéances plus courtes, se prescrivent par 5 ans à compter de la date d'exigibilité des sommes (C. trav., art. L. 143-13 N° Lexbase : L5776ACW ; C. civ., art. 2277 N° Lexbase : L2564ABL). Toute contestation portée devant un conseil de prud'hommes au-delà de ce délai doit, en principe, être déclarée irrecevable.

Le législateur prévoit toutefois trois hypothèses d'interruption de la prescription quinquennale. La prescription est interrompue par une citation en justice, un commandement ou une saisie signifiée au débiteur (C. civ., art. 2244 N° Lexbase : L2532ABE ; C. civ., art. 2246 N° Lexbase : L2534ABH), ou la reconnaissance de la dette par le débiteur (C. civ., art. 2248 N° Lexbase : L2536ABK).

L'espèce commentée aurait a priori pu trouver sa solution dans la première cause d'interruption : la citation en justice. Cette dernière justifie en effet l'interruption de la prescription même si le juge saisi se révèle en définitive incompétent (C. civ., art. 2246 N° Lexbase : L2534ABH). La première instance, introduite par l'employeur devant le tribunal de grande instance, aurait donc théoriquement pu avoir pour effet d'interrompre la prescription quinquennale.

Comme toute exception, la citation en justice fait l'objet d'une interprétation restrictive par la jurisprudence. Son champ d'application se trouve en effet limité. L'interruption par citation en justice ne peut en principe produire d'effet que si les demandes successives ont le même objet. Traditionnellement, la Cour de cassation refuse pour cette raison de faire jouer l'interruption de la prescription lorsque la première instance est pénale (Cass. soc., 27 mai 1992, n° 89-40.581, Mme Chenevat c/ M. Montmeat, publié N° Lexbase : A0280ABY).

Même en dehors de ce cas et lorsque les demandes successives ont le même objet, la jurisprudence impose que la comparaison soit effectuée par rapport aux demandes formées dans la requête initiale et non en fonction de celles qui ont été présentées ultérieurement en cours d'instance (Cass. soc., 15 avril 1992, n° 88-45.457, M. Pouytes c/ M. Ollier, publié N° Lexbase : A4529ABD). La différence de demandeur et d'objet des demandes aurait donc dû avoir pour effet d'exclure le jeu de cette cause d'interruption.

Ces arguments avaient d'ailleurs été relevés par le moyen qui invoquait le fait qu'aucune demande de rappel de salaire n'avait été originairement formée par le salarié et que la demande de remboursement du déficit de la caisse introduite par l'employeur avait un objet différent de la seconde. L'action de l'employeur ne pouvait donc, pour cette seule raison, "avoir interrompu la prescription de l'article 2277 du Code civil".

Plus qu'une décision venant modifier de manière générale ces règles traditionnelles d'interprétation, il s'agit donc ici d'une solution d'opportunité.

La Haute juridiction retrouve, à travers cette décision, l'"esprit" d'une dérogation qu'elle avait antérieurement portée à l'interruption de la prescription. Dans deux décisions déjà anciennes, la Haute juridiction avait affirmé que la prescription ne commence pas à courir lorsque la créance n'est pas déterminée du fait de l'employeur (Cass. soc., 12 février 1992, n° 89-41.082, M. Pesce c/ Société Guiguesson N° Lexbase : A4955AB7 ; Cass. soc., 26 janvier 1989, n° 86-43.081, Société Portrex c/ M. Ginestière, publié N° Lexbase : A1350AAA). Forte de ce principe, il aurait simplement pu être considéré que la créance salariale n'a été déterminée et donc n'est devenue exigible qu'au jour de la requalification et non à l'échéance de chaque créance salariale. La Cour de cassation aurait ainsi pu justifier la solution en affirmant que l'employeur, qui a participé à la mauvaise qualification de la relation contractuelle, a rendu impossible la détermination de la créance et n'est donc plus fondé à invoquer une quelconque prescription. Ce fondement aurait, à notre avis, été tout aussi pertinent que celui qu'elle retient en l'espèce. Au moins aurait-il eu le mérite de la clarté. Son exclusion signifie que la décision dispose d'un autre fondement.

Plus qu'une sanction indirectement infligée à l'employeur, l'élément déterminant de la décision et, partant, de la dérogation, semble avoir été la requalification a posteriori de la relation en un contrat de travail.

Il faut à notre avis y voir une manifestation de la volonté de la Cour de cassation d'éviter que la requalification n'ait une conséquence néfaste pour le salarié : celle de lui fermer toute action en paiement des salaires qui rétroactivement ne lui auraient pas été versés.

Tel aurait, en principe, dû être le cas en l'espèce. L'application stricte de la requalification et de ses conséquences était de nature à interdire au salarié toute réclamation à quelque titre que ce soit. Le propre de la requalification est en effet sa rétroactivité. Celle-ci est généralement avantageuse pour le salarié puisqu'elle lui permet de se prévaloir rétroactivement d'une relation et de tous les avantages qui lui sont attachés. Elle peut, en revanche, dans de rares hypothèses, s'avérer préjudiciable. Telle était la conséquence de la requalification dans l'espèce commentée. La relation de travail avait cessé en octobre 1988. La prescription aurait donc dû être acquise en octobre 1993, soit bien avant que le salarié n'ait introduit une quelconque demande en paiement des salaires.

Cette tendance de la Cour de cassation à adapter les règles afin d'éviter qu'elles ne soient défavorables aux salariés n'est pas nouvelle et est louable. Il serait dès lors souhaitable que la Haute juridiction accepte d'afficher clairement sa position.

newsid:10633

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.