La lettre juridique n°612 du 14 mai 2015 : Pénal

[Jurisprudence] Saisie immobilière : nullité de la promesse synallagmatique de vente d'un immeuble dont la vente forcée a été ordonnée par un jugement d'orientation

Réf. : Cass. civ. 2, 9 avril 2015, n° 14-16.878, FS-P+B (N° Lexbase : A5290NGZ)

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par Jean-Baptiste Donnier, Agrégé des facultés de droit, Professeur à la Faculté de droit d'Aix-Marseille

le 14 Mai 2015

C'est une question nouvelle que vient de trancher la Cour de cassation dans un arrêt de la deuxième chambre civile rendu le 9 avril 2015 : celle de savoir si la vente volontaire d'un immeuble saisi est possible, avec l'accord de tous les créanciers, après le jugement d'orientation ayant ordonné la vente forcée mais avant l'audience d'adjudication. En l'espèce, le débiteur saisi avait signé, la veille du jour fixé pour l'adjudication, une promesse synallagmatique de vente sous la condition suspensive de mainlevée des hypothèques et inscriptions grevant l'immeuble et de radiation du commandement valant saisie immobilière. A la suite d'un arrangement manifestement intervenu entre les parties, le créancier poursuivant avait ensuite cédé sa créance au bénéficiaire de la promesse et donné son accord, ainsi que les autres créanciers, à la mainlevée des hypothèques et du commandement de saisie. La condition suspensive s'étant ainsi réalisée, l'acte authentique de vente aurait dû être signé mais le promettant, débiteur saisi, demanda l'annulation de la promesse de vente. Il faut préciser ici qu'entre temps, un tiers s'était substitué au bénéficiaire initial de la promesse, de sorte que la vente aurait dû être conclue au profit d'un autre que le cessionnaire de la créance à cause de la saisie, ce qui peut expliquer, en fait, l'attitude du débiteur saisi.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans un arrêt du 6 décembre 2012 (1), fit droit à la demande d'annulation de la promesse de vente et la Cour de cassation, dans son arrêt du 9 avril 2015, rejette le pourvoi formé contre cet arrêt en se fondant sur une double motivation. D'une part, la Haute juridiction relève que "le jugement d'orientation qui ordonne la vente forcée de l'immeuble saisi interdit de procéder à la vente du bien selon une autre modalité que celle qu'il a prévue". D'autre part, l'arrêt appuie le rejet du pourvoi sur le fait, relevé par les juges du fond, "qu'à aucun moment le juge de l'exécution n'avait autorisé [...] la vente amiable telle que prévue par la promesse synallagmatique de vente". La nullité de la promesse est ainsi justifiée par l'interdiction de recourir à une autre forme de vente que celle prévue par le jugement d'orientation, mais c'est aussi l'occasion, pour la Cour de cassation, de marquer la spécificité de la vente amiable sur autorisation judiciaire prévue par l'article L. 322-3 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L2422ITU) qui, bien qu'amiable, se distingue par nature d'une vente volontaire en ce sens que la volonté des parties ne suffit pas à sa perfection. Ce faisant, la Cour de cassation affirme clairement la nullité de la vente volontaire de l'immeuble dont la vente forcée a été ordonnée (I), mais adopte une position plus ambiguë quant à la possibilité de recourir, après le jugement d'orientation ayant ordonné la vente forcée, à une vente amiable sur autorisation judiciaire de l'immeuble saisi (II).

I - La nullité de la vente volontaire

L'arrêt du 9 avril 2015 fait clairement apparaître l'impossibilité de recourir à une vente volontaire de l'immeuble saisi. Cela, à vrai dire, ne fait pas de doute dans la mesure où le commandement valant saisie immobilière, aux termes de l'article L. 321-2 du Code des procédures civiles d'exécution (N° Lexbase : L5874IRY), "rend l'immeuble indisponible" (2) et en empêche l'aliénation par le saisi "sous réserve des dispositions de l'article L. 322-1 (N° Lexbase : L5879IR8)" (3) qui prévoient la possibilité d'une vente amiable sur autorisation judiciaire. Les parties à la promesse synallagmatique de vente avaient cru pouvoir contourner cette indisponibilité en stipulant une condition suspensive de mainlevée du commandement valant saisie. La cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, ne suit pas ce raisonnement, ce qui se comprend parfaitement. L'indisponibilité, édictée par l'article L. 321-2 du Code des procédures civiles d'exécution, fait en effet sortir le bien qui en est l'objet du commerce juridique, de sorte que, au moment où l'acte a été passé, le débiteur saisi n'avait pas le pouvoir de disposer de son bien, même avec le consentement de tous les créanciers. Seule l'autorisation du juge de l'exécution, donnée dans le cadre d'une vente amiable sur autorisation judiciaire (4), pourrait en quelque sorte faire rentrer l'immeuble saisi dans le commerce juridique. Ce n'est là que la conclusion nécessaire d'un syllogisme très simple qui s'appuie sur l'article 1128 du Code civil (N° Lexbase : L1228AB4). Aux termes de ce texte, "il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l'objet des conventions". Or, l'immeuble saisi est, dès l'acte de saisie, indisponible et donc hors du commerce ; il ne peut par conséquent faire l'objet d'une convention. Dès lors, la réalisation ultérieure de la condition suspensive contenue dans un acte que l'une des parties n'avait pas le pouvoir de passer, ne saurait valider rétroactivement cet acte. Tant qu'il n'a pas été donné mainlevée du commandement, l'immeuble saisi ne peut être aliéné que selon l'une des deux modalités prévues par le Code des procédures civiles d'exécution : soit la vente forcée par adjudication, soit la vente amiable sur autorisation judiciaire.

Ce raisonnement aurait suffi à justifier un rejet du pourvoi. Or, la Cour de cassation va au-delà de ce raisonnement et paraît bien interdire non seulement la "vente volontaire" de l'immeuble saisi, ce que l'indisponibilité suffirait à justifier, mais aussi la "vente amiable sur autorisation judiciaire" à partir du moment où le jugement d'orientation a ordonné la vente forcée, sans toutefois que cette solution soit certaine.

II - L'incertitude quant à la possibilité de recourir à une vente amiable sur autorisation judiciaire

Si la solution donnée par l'arrêt du 9 avril 2015 paraît s'imposer, la motivation retenue suscite une certaine perplexité car elle s'appuie sur deux arguments qui, pris isolément, sont certes cohérents mais qui, mis bout à bout, semblent contradictoires.

La Cour de cassation retient, en effet, d'abord, à l'appui de sa décision, "que le jugement d'orientation qui ordonne la vente forcée de l'immeuble saisi interdit de procéder à la vente du bien selon une autre modalité que celle qu'il a prévue". A s'en tenir à ce seul motif, il semble que la Cour de cassation se fonde, pour rejeter le pourvoi, non sur l'indisponibilité de l'immeuble, résultant de la signification du commandement valant saisie, mais sur le jugement d'orientation qui, en ordonnant la vente forcée, aurait exclu tout recours à une autre "modalité" de vente. Or, si l'argument tiré de l'indisponibilité ne justifie que l'exclusion de la vente volontaire, l'argument retenu va plus loin : il impose la vente forcée de l'immeuble, à l'exclusion tant d'une vente volontaire que d'une vente amiable sur autorisation judiciaire. Il semble donc que, pour la Cour de cassation, la demande tendant à la vente amiable de l'immeuble ne puisse plus être présentée après le jugement d'orientation. Lorsque celui-ci a ordonné la vente forcée, il n'est plus temps de demander la vente amiable.

Cette position peut se comprendre. Le débiteur saisi a pu, en effet, présenter une telle demande soit avant la signification de l'assignation à comparaître à l'audience d'orientation (5), soit, même, "verbalement à l'audience d'orientation" (6). Après que le jugement d'orientation a été rendu, en revanche, aucun texte ne prévoit plus la possibilité de solliciter encore du juge l'autorisation de recourir à une vente amiable, ce qui peut se justifier par le souci d'éviter les manoeuvres dilatoires de dernière minute destinées uniquement à retarder l'adjudication, au risque de décourager les éventuels enchérisseurs. La solution consistant à figer la modalité retenue pour la vente de l'immeuble dans le jugement d'orientation correspond donc à une certaine logique. Mais le doute surgit à la lecture du second motif de l'arrêt. La Cour de cassation y affirme "qu'ayant relevé que le jugement d'orientation avait [...] retenu qu'à aucun moment le juge de l'exécution n'avait autorisé [...] la vente amiable telle que prévue par la promesse synallagmatique de vente [...], la cour d'appel a par ces seuls motifs légalement justifié sa décision".

Le second motif ainsi allégué a, lui aussi, sa logique. Il revient à justifier la nullité de la promesse synallagmatique par le fait que la vente qu'elle prévoit n'a pas été autorisée par le juge, alors que seule cette autorisation eut été de nature à lever l'indisponibilité de l'immeuble saisi. L'argument est donc parfaitement recevable, mais il paraît incompatible avec le premier motif de rejet du pourvoi, selon lequel, dès lors que la vente forcée a été ordonnée, il n'est plus possible de recourir à une autre "modalité" de vente de l'immeuble. Le second motif retenu par l'arrêt ne paraît pas écarter, lui, une telle possibilité puisqu'il fonde le rejet du pourvoi sur l'absence d'autorisation donnée par le juge à la vente amiable prévue par la promesse synallagmatique. Le doute quant à la portée exacte de l'arrêt est en outre renforcé par le fait que la Cour de cassation relève que le juge n'a autorisé la vente "à aucun moment". Est-ce à dire qu'il aurait pu l'autoriser "à tout moment", même après le jugement d'orientation ?

Il est peu probable que ce soit le cas, car il y aurait alors une contradiction flagrante entre les deux motifs de l'arrêt, mais la formulation est néanmoins malheureuse. En réalité, la Cour de cassation a vraisemblablement l'intention de renforcer le rôle central de l'audience d'orientation, ce qu'elle a au demeurant déjà entrepris récemment avec l'arrêt rendu le 19 février 2015 (7), dans lequel elle déclare que le montant de la mise à prix est irrévocablement fixé dans le jugement d'orientation. Il paraît cohérent de considérer, dès lors, que ce sont toutes les modalités de la vente qui sont définitivement arrêtées par le jugement d'orientation, tant le montant de la mise à prix, ce qui résulte de l'arrêt du 19 février 2015, que la forme de la vente, forcée ou amiable sur autorisation judiciaire.


(1) JCP éd. G. 2013, 101, obs. C. Gauchon.
(2) C. proc. civ. execution, art. L. 321-2, al. 1er (N° Lexbase : L5874IRY).
(3) C. proc. civ. execution, art. L. 321-2, al. 2.
(4) C. proc. civ. execution, art. L. 322-3 (N° Lexbase : L5881IRA) et 4 (N° Lexbase : L5882IRB) et art. R. 322-20 (N° Lexbase : L2439ITI) à 25.
(5) C. proc. civ. execution, art. R. 322-20, al. 1er (N° Lexbase : L2439ITI).
(6) C. proc. civ. execution, art. R. 322-17, in fine (N° Lexbase : L2436ITE).
(7) Cass. civ. 2, 19 février 2015, n° 14-13.786, F-P+B (N° Lexbase : A9966NBQ).

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