Lexbase Public n°365 du 12 mars 2015 : Droit des étrangers

[Jurisprudence] Le retrait d'un Etat de la liste des pays d'origine sûre n'est pas synonyme d'interdiction d'extradition

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 30 janvier 2015, n° 384545, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A6931NAX)

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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique

le 17 Mars 2015

Dans un arrêt rendu le 30 janvier 2015, le Conseil d'Etat retient que la seule circonstance que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ait retiré un Etat de la liste des pays d'origine sûre établie en application des dispositions de l'article L. 741-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5127IQX) est sans incidence sur la légalité d'un décret d'extradition à destination de cet Etat. Cette décision apporte donc un éclairage sur la vision par le juge administratif français des pays considérés à risque ou non pour les personnes réfugiées sur le territoire, y compris pour les pays en guerre, puisqu'il s'agissait d'une demande d'extradition par l'Ukraine dans le cas présent. I - Une personne, ressortissante arménienne, demandait l'annulation pour excès de pouvoir du décret accordant son extradition aux autorités ukrainiennes pour l'exécution d'une décision de justice le plaçant en détention provisoire dans le cadre d'une enquête pour des faits de "pillage commis avec violence". Elle alléguait, notamment, qu'en cas d'exécution du décret attaqué, elle risquait des persécutions tant en Ukraine, en raison de sa situation irrégulière tant dans ce pays, qu'en Arménie, en raison des activités politiques de son père et du conflit en cours au Haut-Karabagh. Les juges du Palais-Royal indiquent que les autorités ukrainiennes se sont engagées à ce que l'intéressé bénéficie d'un procès équitable, incluant, notamment, l'assistance d'un avocat et qu'en cas d'incarcération, les conditions de celle-ci ne seront pas inhumaines ou dégradantes, l'intéressé ne devant pas être soumis à un traitement portant atteinte à son intégrité physique ou psychique. En outre, pour s'assurer du respect de ces engagements, les agents consulaires et diplomatiques français seront autorisés à rendre visite à l'intéressé sur son lieu de détention, sans contrôle préalable des autorités.

Concernant les principes généraux du droit de l'extradition, la Haute juridiction administrative a déjà consacré l'interdiction d'une mesure de départ forcé d'un réfugié politique, ou d'un demandeur d'asile vers le pays dont il a la nationalité (CE, Ass., 1er avril 1988, n° 85234, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A7654AP8) en déduction de l'application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés (N° Lexbase : L6810BHP), qui stipule, à son article 33, qu'"aucun des Etats contractants n'expulsera de quelque manière que ce soit un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou liberté seraient menacés". Cet article, qui n'interdit pas par lui-même l'extradition d'un réfugié, est interprété par le Conseil d'Etat pour se prononcer contre l'extradition d'un réfugié vers son pays d'origine. Toutefois, la seule circonstance qu'un étranger ait déposé une demande en vue d'obtenir le statut de réfugié et se soit vu remettre une autorisation provisoire de séjour en application de l'article L. 742-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5116IP8) ne fait pas obstacle à ce que le Gouvernement français procède à son extradition. Cependant, il appartient au Conseil d'Etat statuant sur la légalité du décret d'extradition et saisi d'une contestation sur ce point, d'apprécier, au vu des éléments qui lui sont soumis et en faisant, le cas échéant, usage de ses pouvoirs d'instruction, si le requérant peut se prévaloir de la qualité de réfugié pour s'opposer à l'exécution du décret (CE 2° et 7° s-s-r., 30 décembre 2011, n° 347624, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A0835H9S, voir aussi CE, Sect., 9 novembre 1966, n° 58903, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6737B7N).

Rappelons que la France a assorti la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 d'une déclaration : "l'extradition pourra être refusée si la remise est susceptible d'avoir des conséquences d'une gravité exceptionnelle pour la personne réclamée" (Article 1er des réserves émises par la France lors de la ratification de la Convention européenne d'extradition). L'argument a été refusé pour un "risque de mauvais traitements en raison des conditions de détention et de l'insécurité régnant dans les prisons russes" (CE 2° et 7° s-s-r., 28 avril 2014, n° 372483, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7144MKS), mais admis pour une surveillance médicale (CE 1° et 2° s-s-r., 13 octobre 2000, n° 212865, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9036AH7) ou des pressions policières de l'Etat requérant (CE 1° et 2° s-s-r., 11 février 2002, n° 226839, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1621AYP). Le respect des droits de la défense (C. pr. pén., art. 696-4 N° Lexbase : L0804DYG) et de l'autorité de la chose jugée apparaît cardinal. Aussi, la loi du 10 mars 1927, relative à l'extradition des étrangers, la Convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 et l'article 696-4 4° du Code de procédure pénale posent que l'extradition n'est pas accordée "lorsque les crimes ou délits, quoique commis hors du territoire de la République, y ont été poursuivis et jugés définitivement".

II - Dans l'arrêt rapporté, le requérant soutenait que le système judiciaire ukrainien ne respecte pas les droits et libertés fondamentaux de la personne humaine. Rappelons que le juge administratif exerce un contrôle sur la fixation de la liste des pays d'origine sûrs par l'OFPRA (CE 2° et 7° s-s-r., 7 avril 2011, n° 343595, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A8949HME), à l'aune, le plus souvent, des critères de l'instabilité du contexte politique et social des pays concernés (CE 2° et 7° s-s-r., 13 février 2008, n° 295443, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9140D4B). La loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 (N° Lexbase : L9630DLA), modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952, relative au droit d'asile (N° Lexbase : L0885BD7), a institué en droit français la notion de "pays d'origine sûr". Elle en a donné une définition du, en précisant à l'article L. 741-4-2° du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'un pays ne pouvait être considéré comme sûr que "s'il veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l'Etat de droit, ainsi que des droits de l'Homme et des libertés fondamentales". Enfin, et ce point est essentiel, elle a explicitement prévu que "la prise en compte du caractère sûr du pays d'origine ne peut faire obstacle à l'examen individuel de chaque demande".

Une demande d'asile présentée par un ressortissant d'un "pays d'origine sûr" est soumise à un régime dérogatoire. D'une part, à l'instar des nationaux des pays relevant de la clause de l'article 1er C 5 de la Convention de Genève, relative au statut des réfugiés, les demandeurs d'asile ressortissants de ces pays ne bénéficient pas de l'admission sur le territoire, et le recours qu'ils peuvent former en cas de rejet de leur demande n'est pas suspensif : le préfet n'est donc pas tenu d'attendre que la Commission de recours des réfugiés se prononce pour prendre une mesure d'éloignement à destination d'un "pays d'origine sûr" (CAA Bordeaux, juge des reconduites à la frontière, 12 octobre 2006, n° 06BX01287 N° Lexbase : A9918DS7). Par la suite, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 4 décembre 2003, a validé la notion de "pays d'origine sûrs" (Cons. const., décision n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003 N° Lexbase : A0372DIM). Toutefois, ont souligné les Sages de la rue de Montpensier, la prise en compte du caractère sûr du pays d'origine ne peut faire obstacle à l'examen individuel de chaque demande.

Il appartient ensuite au Conseil d'Etat, saisi d'une requête dirigée contre un décret d'extradition, de se prononcer d'une part sur les vices propres du décret, et d'autre part, sur la légalité interne de la mesure d'extradition, au regard des lois et conventions internationales, afin de vérifier si, notamment d'après l'examen de l'affaire par la chambre d'accusation, le Gouvernement a pu légalement décider que les conditions de l'extradition, pour celles des infractions qu'il retient, étaient réunies. A titre d'exemple, il a été jugé que le système judiciaire espagnol respectant les droits et libertés fondamentaux de la personne, est légal au regard des principes généraux du droit de l'extradition, un décret accordant l'extradition d'un ressortissant basque espagnol pour "assassinats par groupes armés et organisés" (CE Ass., 26 septembre 1984, n° 62847, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6627ALZ). Il en est de même si les condamnations pour l'exécution desquelles l'extradition a été accordée ont été prononcées au terme d'une procédure contradictoire par une juridiction qui a respecté les droits et libertés fondamentaux de la personne humaine, ainsi que l'exigent les principes généraux du droit de l'extradition (CE Ass., 27 octobre 1989, n° 107711, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1710AQE).

Concernant plus spécifiquement l'Ukraine, la CEDH a jugé, dans un arrêt rendu le 30 avril 2013, que le système judiciaire ukrainien est, de manière générale, caractérisé par la pratique du placement en détention provisoire sans limitation de durée. Elle a également relevé que le contrôle juridictionnel de la détention provisoire, et en particulier la possibilité d'obtenir l'examen par un juge de la nécessité de la mesure, n'est pas garanti par le système judiciaire ukrainien (1). Cependant, la Haute juridiction administrative relève que les autorités ukrainiennes se sont engagées, dans le cadre de la présente procédure d'extradition, à ce que l'intéressé bénéficie d'un procès équitable, incluant, notamment, l'assistance d'un avocat. S'agissant par ailleurs des actes de procédure déjà accomplis, il ressort des pièces du dossier que la demande d'extradition est fondée sur la décision, motivée en fait et en droit et susceptible d'appel, par laquelle un magistrat du siège a ordonné le placement de l'intéressé en détention provisoire pour une durée limitée à soixante jours. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le Conseil d'Etat conclut donc logiquement au rejet de la demande d'annulation du décret accordant l'extradition du demandeur aux autorités ukrainiennes.


(1) Conclusions du rapporteur public, X. Domino.

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