La lettre juridique n°604 du 12 mars 2015 : Éditorial

Causa, causa, causam, causae, causae, causa : en tout état de cause, la disparition de la cause n'est pas si entendue que cela !

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Causa, causa, causam, causae, causae, causa : en tout état de cause, la disparition de la cause n'est pas si entendue que cela !. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/23574742--i-causa-causa-causam-causae-causae-causa-i-en-tout-etat-de-cause-la-disparition-de-la-cause-nest-pa
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 17 Mars 2015


"Enfin !" poufferont les plus sceptiques ; "Déjà !" loueront les plus enthousiastes. Le projet d'ordonnance portant réforme du droit de contrat a fuité ; il est désormais soumis à la consultation publique jusqu'à fin avril 2015 : c'est dire le court laps de temps qui sera accordé aux non initiés pour annoter ledit projet et porter la contradiction. Il faut dire que l'affaire n'aura que trop duré : 10 ans d'avant-projets de réforme pour les plus optimistes, 200 ans de vie tortueuse, interprétative et contrastée pour les plus critiques. Au final, un projet d'ordonnance de 2015, datant en réalité... de 2013 ; un projet d'ordonnance de 2015 qui reprend, pour beaucoup, les innovations initiées en 2009, voire 2006. Le problème n'était ni l'étendue, ni les motifs inspirant la réforme, mais avant tout la méthode. Parlementaire ou non : la loi du 16 février 2015, relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures aura tranché par une départementalisation, relative, de la réforme du droit des contrats. Le Conseil constitutionnel aura beau avoir été saisi, la sanction tomba le 22 février dernier : la loi d'habilitation est suffisamment précise pour permettre de légiférer en la matière par voie d'ordonnance (sous-entendu, le Gouvernement sait où il va, le sujet est ma foi trop complexe et peu susciter l'inertie : la procédure de l'article 38 est un bon compromis si l'on veut que la réforme voit un jour... le jour).

Ceci étant écrit, nous laisserons à d'autres beaucoup plus légitimes et avertis que nous le soin de détailler le texte présenté quelques heures après la décision du Conseil constitutionnel. De toute manière, "Toutes les Sorbonne sont empoisonnées de réfutations", écrivait Alain dans La cause des livres. Nous n'apporterons ainsi, qu'on veuille bien nous le permettre, que deux pierres à l'édifice contradictoire de cette réforme -étant entendu que le fait que le droit français des contrats soit plus concurrentiel est un axiome (c'est-à-dire une vérité invérifiable, indémontrable, mais sur laquelle est basé notre raisonnement ; ici la nécessité d'une réforme et d'une modernisation dit-on).

Première pierre : le projet d'ordonnance fait oeuvre d'une pédagogie hors pair ! On peut certainement se satisfaire d'un volet de définitions des notions tirées du vocabulaire juridique de Cornu sans doute, que tout étudiant en droit doit connaître sur le bout des doigts. Le droit prétorien y est intégré pour une grande part ; et le projet prend même le risque de contrarier quelques jurisprudences constantes (au chapitre des promesses unilatérales, du pacte de préférence, de la réticence dolosive ou de la théorie de l'imprévision, par exemple). L'objet du nouveau corpus, proposé à la consultation tout de même, emporte le plus souvent l'adhésion, fruit de la réflexion approfondie des Professeurs Catala et Terré, pour ne citer que les noms des rapporteurs principaux. Il semble que l'on se profile donc vers un droit commun des contrats plus intelligible, insistant sur le consensualisme comme sur la responsabilité des contractants affublés d'une somme d'obligations plus nombreuses avec la complexité des contrats en cause. Qu'il nous soit permis de poser une seule question : à l'heure où l'on sait, avec 200 ans de recul, que le droit des contrats n'a pas empêché l'émergence d'un droit commercial dérogatoire, d'un droit de la consommation très encadrant et d'un droit de la concurrence empreint d'ordre public commercial, quid de la nécessité de réformer un droit commun des contrats, quand l'écueil principal est qu'il n'est pas suffisamment concurrentiel, justement, pas assez attractif sur le terrain... des affaires ? Autrement dit, l'effort de clarification, l'effort de définition, de conceptualisation n'aurait-il pas mieux valu en droit spécial des contrats ? Pour faire oeuvre de pédagogie et sécuriser les contrats d'affaire, n'aurait-il pas mieux valu chapitrer, définir et décrire ou reprendre le régime des contrats spéciaux les plus courants (bail, vente...), comme les plus modernes (vente électronique, crowdfunding...) ou les plus complexes (contrats de distribution...), dans un ensemble individualisé, plutôt que détailler des principes généraux qui devront de tout manière être une nouvelle fois... soumis à l'interprétation de la Cour de cassation ?

Seconde pierre : la disparition de la cause. Jugée obsolète, la cause relève de la langue morte dont la déclinaison ne devrait plus donner lieu qu'à une chansonnette, comme la Rosa, rosa, rosam de Brel. C'est, dit-on, la grande innovation de cette réforme. On retire la cause des conditions de formation du contrat ; du moins expressément : parce que le projet énumère plusieurs motifs (pour ne pas dire causes) qui justifient la nullité des contrats lorsqu'ils contreviennent à l'ordre public par leur but, en cas de contrepartie illusoire ou dérisoire au moment de leur formation, étant précisé que la clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite... Il faut dire que si certains sont amateurs de latin : "Personne ne doit être juge de sa propre cause, parce qu'on ne peut être juge et partie", pour justifier une disparition expresse de la cause dans la formation du contrat ; d'autres renvoyaient aux Hellènes, tels Démocrite : "Les mêmes causes qui nous procurent des biens peuvent également nous causer des maux, tout en nous offrant le moyen de les éviter" ; autrement dit, il aurait été envisageable que pour la clarté du contrat, voire pour éviter toute erreur interprétative magistrale, on impose que soit exprimée la cause du contrat... Les auteurs du projet auront limité la casse.

La cause est morte... Vive la Cause !

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