Lexbase Droit privé n°578 du 10 juillet 2014 : Responsabilité

[Chronique] Chronique de droit de la responsabilité - Juillet 2014

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI), Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la responsabilité"

le 10 Juillet 2014

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose de retrouver la chronique de droit de la responsabilité de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI). A l'honneur de cette chronique, en premier lieu, un arrêt rendu le 4 juin 2014 par la première chambre civile de la Cour de cassation, en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, par lequel la Haute juridiction apporte des précisions sur le professionnel assimilé au producteur au sens de l'article 1386-6 du Code civil ; en second lieu, un arrêt en date du 18 juin 2014, rendu par la même formation en matière de responsabilité contractuelle, qui soulève un certain nombre d'interrogations au sujet de la nature et du régime de la responsabilité qu'encourt le débiteur à l'égard de son créancier pour le fait d'un tiers à l'origine de l'inexécution de son obligation contractuelle.
  • Responsabilité du fait des produits défectueux : précisions sur le professionnel assimilé au producteur au sens de l'article 1386-6 du Code civil (Cass. civ. 1, 4 juin 2014, n° 13-13.548, FS-P+B+I N° Lexbase : A6789MP7 ; cf. l’Ouvrage "Droit de la responsabilité" N° Lexbase : E3543EUR)

La responsabilité du fait des produits défectueux pèse sur le producteur, à propos duquel l'article 1386-1 du Code civil (N° Lexbase : L1494ABX), issu de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 (N° Lexbase : L2448AXX) ayant transposé en droit interne la Directive 85/374 du 25 juillet 1985 (N° Lexbase : L9620AUT), prévoit qu'il "est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime". Il n'est pas question ici de revenir sur les difficultés suscitées par la mise en oeuvre de la responsabilité des fournisseurs, envisageable dans les conditions de l'article 1386-7 (N° Lexbase : L1375HIR), autrement dit à titre subsidiaire : après plusieurs condamnations de la France par la Cour de justice des Communautés européennes (1), le législateur a finalement cantonné la responsabilité du fournisseur au cas dans lequel le producteur ne pourrait pas être identifié, "à moins qu'il ne désigne son propre fournisseur ou le producteur, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle la demande de la victime lui a été notifiée" (loi n° 2006-406 du 5 avril 2006 N° Lexbase : L9953HH4). Au-delà en effet de cette question, la détermination du producteur ne se fait pas, dans certains cas, sans quelques hésitations, comme en témoigne un intéressant arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, à paraître au Bulletin, en date du 4 juin 2014.

En l'espèce, une société avait vendu à deux autres sociétés un produit phytopharmaceutique pour lequel elle était titulaire d'une autorisation de mise sur le marché simplifiée lui permettant l'importation parallèle d'un produit d'une autre marque. Ce produit, utilisé pour traiter des parcelles de culture de pommes de terre, a provoqué la destruction des récoltes, les expertises réalisées ayant révélé que, par suite d'une erreur commise lors de la commande, le produit livré contenait une molécule toxique pour la pomme de terre, le meltsulfuron methyl, au lieu du rimsulfuron. L'assureur des acquéreurs les ayant indemnisés de ces pertes et n'ayant pu obtenir du vendeur et de son assureur le remboursement des indemnités versées, les a assignés en paiement. C'est dans ce contexte que l'assureur du vendeur a assigné en garantie le fournisseur du produit défectueux, lequel a d'ailleurs lui-même assigné son propre fournisseur.

On passera ici, afin de ne pas empiéter sur les prérogatives de nos collègues qui tiennent la chronique de droit des assurances, sur le second moyen du pourvoi principal et le moyen unique du pourvoi incident, portant sur la demande du vendeur tenant à la mise en oeuvre de la garantie de son propre assureur : la Cour de cassation casse, sous le visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), l'arrêt de la cour d'appel qui avait rejeté cette demande au motif que la garantie de l'assureur ne peut concerner que le secteur d'activité déclaré par l'assuré dans le contrat d'assurance, en l'occurrence "commerce de gros en produits phytosanitaires, principalement pour l'agriculture et l'horticulture", et que l'activité d'importation parallèle exercée par l'assurée, qui l'expose à la responsabilité de plein droit encourue par le producteur en application des articles 1386-1 et suivants du Code civil, même si elle ne fabrique pas elle-même le produit, n'induisait pas le même risque que celui résultant du simple commerce de gros, de sorte que cette activité n'ayant pas été déclarée lors de la souscription de la police, elle n'entrait pas dans le champ d'application de la garantie. Pour censurer cette décision, la Haute juridiction relève "qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à établir que l'importation parallèle de produits phytopharmaceutiques constituait une activité économique séparée de l'activité déclarée de commerce de gros de produits phytopharmaceutiques, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision".

S'en tenant donc à la seule question de droit de la responsabilité civile, objet du premier moyen du pourvoi principal, il s'agissait de savoir comment entendre l'article 1386-6 du Code civil dont on sait qu'il assimile à un producteur "toute personne agissant à titre professionnel [...] qui se présente comme un producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif" (1°) ou bien encore "qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d'une vente, d'une location, avec ou sans promesse de vente, ou de toute autre forme de distribution" (2°). Très concrètement, la question était posée de savoir :

- pour l'application de l'article 1386-6, 1°, si l'apposition sur le produit d'un nom, d'une marque ou de tout autre signe distinctif, en l'espèce le sur-étiquetage, doit procéder d'un acte volontaire consistant à se présenter aux yeux des tiers comme le producteur ou bien peut parfaitement ne consister que dans un acte imposé par la législation de l'Etat de commercialisation du produit ;

- pour l'application de l'article 1386-6, 2°, si l'assimilation de l'importateur au producteur pouvait jouer à l'endroit d'opérateurs économiques qui se bornent à effectuer des importations parallèles dans un cadre intracommunautaire ou bien, au contraire, s'ils se trouvent nécessairement exclus de la catégorie des personnes soumises au régime de responsabilité du fait des produits.

La Cour de cassation, pour rejeter le moyen du pourvoi, relève d'abord "qu'il ne résulte pas de l'article 1386-6, 2° du Code civil, aux termes duquel est assimilée à un producteur toute personne agissant à titre professionnel qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d'une vente, d'une location, avec ou sans promesse de vente, ou de toute autre forme de distribution, que l'assimilation d'un importateur à un producteur soit limitée au seul importateur de produits en provenance de pays tiers, dès lors que l'article 1386-6, 2° n'est pas exclusif de l'article 1386-6, 1°, lequel prévoit qu'est assimilable à un producteur, pour l'application du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux, toute personne agissant à titre professionnel qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif, sans opérer de distinction tenant à l'activité du professionnel concerné". Elle en déduit ainsi que c'est "à bon droit" que la cour d'appel a considéré "que ce texte n'excluait pas de son champ d'application l'importateur parallèle commercialisant un produit au titre d'une autorisation de mise sur le marché simplifiée".

Elle pose ensuite "qu'après avoir retenu que la Directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, transposée en droit français par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998, qui a inséré dans le Code civil les articles 1386-1 et suivants, et dont l'un des objectifs est la protection du consommateur, prévoit, en son article 3, paragraphe 1, que le terme producteur' désigne toute personne qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif, sans opérer de distinction selon que cet étiquetage est volontaire ou imposé par la législation de l'Etat membre dans lequel le produit est commercialisé, et constaté que la société E., titulaire depuis 2003 d'une autorisation de mise sur le marché simplifiée l'autorisant à procéder à l'importation parallèle en France du produit TITUS, où elle le commercialise sous le nom RIMSAM, a, conformément au décret n° 2001-317 du 4 avril 2001 et à son arrêté d'application du 17 juillet 2001, apposé sur ce produit une étiquette mentionnant notamment son nom et la dénomination du produit, a décidé à bon droit qu'en application de l'article 1386-6, 1° du Code civil, la société E. devait être assimilée au producteur du produit RIMSAM par elle importé en France, de sorte qu'elle était responsable de plein droit des dommages que le défaut de ce produit avait causés aux agriculteurs indemnisés par la société S.".

On relèvera que, au cas présent, personne ne contestait l'existence d'un défaut du produit, au sens de l'article 1386-4 du Code civil (N° Lexbase : L1497AB3) qui dispose qu'"un produit est défectueux [...] lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre", et à propos duquel la jurisprudence considère que le défaut n'est pas réductible à sa seule dangerosité, et qu'il doit s'entendre d'une dangerosité anormale, appréciée en tenant compte des divers critères énoncés à l'article 6 de la Directive (repris à l'article 1386-4 du Code civil) (2). Et la mise en circulation du produit, condition de la responsabilité, ne faisait pas davantage débat, la mise sur le marché du produit réalisant sa mise en circulation : au demeurant, "que le produit [...] bénéficie d'une autorisation de mise sur le marché ou non ou qu'il bénéficie simplement d'une autorisation temporaire d'utilisation s'il est disponible au public, il entre dans le champ d'application" de la loi du 19 mai 1998 (3). La seule véritable question portait en réalité sur la détermination de la personne responsable, et plus précisément sur la définition du producteur ou, plus exactement, des personnes qui doivent y être assimilées au sens de l'article 1386-6.

S'agissant, en premier lieu, de l'article 1386-6, 2°, qui assimile au producteur l'importateur du produit sur le territoire de l'Union européenne, il était assez légitime de considérer, comme le faisait d'ailleurs le pourvoi, que l'assimilation était limitée au seul importateur de produits en provenance de pays tiers : après tout, on a pu justifier l'assimilation, voulue par la Directive, et reprise par la loi du 19 mai 1998, par la volonté d'éviter que la victime ne soit contrainte de plaider dans un pays tiers à l'Union européenne et ne se voit ainsi appliquer un droit qui, par hypothèse, ne serait pas celui de la Directive (4). Mais encore fallait-il, au cas présent, tenir compte du reste de l'article 1386-6, et en l'occurrence du 1°, qui assimile au producteur le professionnel qui appose sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif : les deux dispositions ne sont en effet pas exclusives l'une de l'autre, si bien qu'on peut parfaitement concevoir, pour l'application du régime spécial issu de la Directive, que soit assimilé à un producteur le professionnel qui effectue des importations parallèles dans un cadre intracommunautaire, dès lors qu'il serait constaté qu'il a bien apposé sur le produit son nom, sa marque, ou un autre signe distinctif. Bref, pour l'assimilation du producteur à l'importateur, les deux dispositions de l'article 1386-6 doivent être combinées, et le 1° prime sur le 2° dès lors que l'importateur, certes dans le cadre d'importations intracommunautaires, aurait apposé sur le produit son nom, sa marque ou quelque autre signe distinctif que ce soit.

Cette sorte de prévalence, dans la lecture de l'article 1386-6, du 1° sur le 2°, obligeait tout de même, en second lieu, à s'assurer que le professionnel avait bien en l'espèce apposé son nom, sa marque ou un autre signe sur le produit litigieux au sens du texte. Le pourvoi, pour contester l'assimilation voulue par le texte déduite de l'apposition en question, avait tenté de faire valoir que celle-ci ne se concevait que volontaire, colorant ainsi la notion de considérations subjectives, ce qui ne serait évidemment pas le cas, suivant cette logique, dans l'hypothèse dans laquelle l'étiquetage du produit n'aurait été que le résultat d'un acte imposé par la loi -au sens large puisque, en l'occurrence, il s'agissait d'un décret, et d'un arrêté-. En somme, il n'y aurait d'apposition du nom, de la marque ou d'un autre signe distinctif du professionnel propre à justifier l'assimilation de l'importateur au producteur que volontaire, l'assimilation n'étant possible qu'à la condition que l'apposition soit révélatrice de l'intention de celui qui y procède de se présenter à l'égard des tiers comme un producteur -ou assimilé-. Certains auteurs avaient au demeurant paru accréditer dans une certaine mesure une telle analyse, relevant que l'assimilation au producteur de l'article 1386-6, 1°, viserait le cas de "professionnels qui se présentent, d'eux-mêmes (5), comme des producteurs" (6). Mais c'était sans doute là ajouter au texte, qui ne prévoit pas de limiter l'application de cette disposition de l'article 1386-6 au seul cas d'une apposition volontaire ou subjective, et d'en exclure l'apposition imposée ou, si l'on veut, objective.

  • La responsabilité du débiteur pour le fait d'un tiers qui participe à l'inexécution contractuelle (Cass. civ. 1, 18 juin 2014, n° 13-14.843, F-P+B+I N° Lexbase : A3536MRE ; cf. l’Ouvrage "Droit de la responsabilité" N° Lexbase : E0301EXG)

Un récent arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, en date du 18 juin 2014, à paraître au Bulletin, soulève un certain nombre d'interrogations au sujet de la nature et du régime de la responsabilité qu'encourt le débiteur à l'égard de son créancier pour le fait d'un tiers à l'origine de l'inexécution de son obligation contractuelle.

En l'espèce, une association d'élèves d'une école d'ingénieurs avait organisé une soirée qui s'était pour le moins mal terminée puisque le corps de l'un des étudiants qui y participait avait été retrouvé dans la Moselle. Une autopsie devait révéler que la cause la plus probable de la mort était une noyade par hydrocution, survenue dans un contexte d'alcoolisation aiguë. C'est dans ce contexte que, estimant que l'association avait manqué à son obligation contractuelle de sécurité envers le jeune homme, qui s'était présenté dans un état d'ébriété déjà avancé à l'entrée du chapiteau où s'était déroulée la manifestation, ses père, mère et frère l'ont assignée en indemnisation de leurs préjudices. Déboutés par la cour d'appel de Metz (7), ils formèrent un pourvoi en cassation, reprochant aux juges du fond d'avoir statué comme ils l'ont fait alors qu'ils auraient dû tirer toutes les conséquences des graves défaillances dans l'organisation de la sécurité et de la surveillance, en partie assurée par une société spécialisée contractuellement liée à l'organisateur. Concrètement, les agents de sécurité employés par la société de sécurité auraient dû, compte tenu de l'état alcoolique du jeune homme, lui refuser l'accès à la soirée et, en tout état de cause, du fait de l'aggravation de l'état de l'intéressé au cours de la soirée, prendre des mesures adéquates ou s'adresser aux organisateurs pour prévenir les pompiers ou un médecin. Le pourvoi est cependant rejeté : la Haute juridiction décide, en effet, "qu'en ayant relevé que [l'association] avait conclu le 22 février 2006 avec la société de surveillance T., une convention de partenariat aux termes de laquelle cette société s'engageait à assurer la surveillance et la sécurité des clients lors des soirées de type "boum" organisées par [l'association], fournissant pour chaque soirée cinq agents de sécurité et un maître-chien, que la mission de surveillance et de sécurité de la société T. devait s'effectuer aux entrées, à l'intérieur et aux abords directs du chapiteau, dans un rayon de cinquante mètres autour de celui-ci, ainsi que sur le parking de l'île du Saulcy où les clients de la boum' étaient susceptibles de stationner, ce, de vingt-deux heures à quatre heures du matin sans interruption, et que les agents de la société de surveillance étaient effectivement présents sur les lieux dans la nuit du 14 au 15 novembre 2007, outre des élèves ingénieurs, spécialement formés à cet effet, la cour d'appel a pu, sans encourir les griefs du moyen, retenir que l'association organisatrice, débitrice d'une obligation de moyens envers les participants à la soirée, avait pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ceux-ci, de sorte qu'elle n'avait commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité".

On passera rapidement sur la nature de l'obligation contractuelle de sécurité de l'association organisatrice de la soirée : en la qualifiant d'obligation de moyens, et non pas de résultat, l'arrêt parait conforme à la jurisprudence en la matière, qui décide notamment que, sauf convention contraire, l'entrepreneur de spectacles s'oblige seulement à observer, dans l'organisation et le fonctionnement de son exploitation, les mesures de prudence et de diligence qu'exige la sécurité du spectateur, et n'assume pas l'obligation de rendre celui-ci sain et sauf à la sortie de son établissement (8). D'autant plus conforme que, plus généralement on le sait bien, l'obligation qui pèse sur l'organisateur d'activités de loisir est de moyens (9). Il en résulte donc que le créancier doit, pour engager la responsabilité du débiteur, prouver sa faute, autrement dit prouver qu'il n'a pas mis en oeuvre les mesures appropriées en ne faisant pas preuve de prudence ou en n'accomplissant pas les diligences qui s'imposaient. Tout au plus, pourrait-on ici s'interroger sur le point de savoir si la responsabilité de l'association devait véritablement être recherchée sur le terrain contractuel : la lecture de l'arrêt nous apprenant, en effet, que les parents et le frère de la victime avaient agi "en indemnisation de leurs préjudices", on croit comprendre qu'ils demandaient la réparation d'un préjudice personnel, et pas du préjudice subi par la victime directe, de telle sorte que, tiers au contrat conclu par la victime avec l'association, leur action aurait dû être engagée sur le terrain délictuel.

A s'en tenir toutefois à l'arrêt, et donc à supposer que la responsabilité soit tout de même bien contractuelle, la nature de l'obligation, en l'occurrence de moyens, n'était pas discutable, ce qui devrait suffire à ne pas épiloguer davantage sur cet arrêt. Pourtant, à y regarder de plus près, les choses paraissent plus complexes.

On n'ignore pas qu'un important courant doctrinal, qui s'appuie d'ailleurs sur un certain nombre de décisions tirées de la jurisprudence, admet l'existence d'une responsabilité contractuelle du fait d'autrui, autonome par rapport à la responsabilité du fait personnel : pour reprendre l'intitulé d'un paragraphe du Traité de droit civil de Monsieur Ghestin, "la responsabilité du débiteur pour le fait des personnes qui participent à l'exécution de ses obligations contractuelles ou professionnelles" ne s'identifierait pas à la responsabilité du fait personnel du débiteur, mais s'analyserait en un cas de responsabilité contractuelle du fait d'autrui (10). Les partisans de cette analyse considèrent que ce qui importe, pour la mise en oeuvre de cette responsabilité, "c'est de déterminer si le débiteur, en agissant comme l'a fait la personne qu'il a introduite dans l'exécution de son obligation, aurait engagé sa responsabilité" : pour le dire autrement, "le débiteur répond du fait de son auxiliaire ou de son substitut exactement comme s'il avait agi lui-même" (11). Par suite, de deux choses l'une : ou bien l'obligation inexécutée est de résultat, auquel cas il suffit, pour engager la responsabilité du débiteur, de prouver que le résultat promis n'est pas atteint, sans que soit requise la preuve d'une faute de l'auteur direct -"puisque celle du débiteur n'aurait pas été nécessaire pour justifier sa responsabilité s'il avait agi personnellement"- ; ou bien l'obligation inexécutée est de moyens, auquel cas, cette fois, il faut prouver que la diligence promise n'a pas été fournie, ce qui "implique que l'auteur direct ait commis une négligence ou une imprudence puisque cette défaillance aurait été nécessaire pour engager la responsabilité du débiteur s'il avait agi lui-même" (12). En clair, lorsque l'obligation est de moyens, la responsabilité du débiteur pour le fait de celui qui participe à l'exécution de son obligation se déduirait de la preuve d'une faute imputable à l'auxiliaire ou substitut, c'est-à-dire à l'auteur direct.

L'application de ces solutions aurait dû conduire, au cas présent, à retenir la responsabilité de l'association organisatrice puisque : primo, son obligation est de moyens, et secundo, les juges du fond avaient manifestement constaté la négligence fautive des agents de sécurité contractuellement liés à l'association pour l'exécution de son obligation de sécurité à l'égard des participants à la manifestation. Or, ce n'est pas ce que décide la Cour de cassation qui, en l'espèce, relève au contraire que "l'association organisatrice, débitrice d'une obligation de moyens envers les participants à la soirée, avait pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ceux-ci, de sorte qu'elle n'avait commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité". Elle approuve ainsi la cour d'appel qui, plus nettement encore au regard de ce qui nous intéresse, avait considéré que l'association avait rempli son obligation de sécurité à l'égard des clients, au prétexte qu'elle avait, en passant une convention avec la société de sécurité, pris des mesures propres à lui permettre de remplir son obligation de sécurité à l'égard des participants, et que par ailleurs, les fautes commises au cours de la soirée étaient imputables, non à l'association, mais aux agents de la société de sécurité qu'elle avait chargés de la surveillance et de la sécurité des clients. Il paraît bien ainsi s'évincer de l'arrêt l'idée suivant laquelle le seul fait que le débiteur ait pris soin de confier la sécurité des clients à une société spécialisée suffisait à considérer qu'il avait fait preuve de prudence et de diligence dans l'exécution de son obligation de sécurité. Et on en arrive au fond à l'idée que la seule faute qui aurait pu lui être reprochée susceptible d'engager sa responsabilité serait celle consistant à avoir fait preuve de légèreté dans le choix de celui qu'il a introduit dans l'exécution de son obligation.

Mais raisonner ainsi, n'est-ce pas précisément nier l'autonomie de la responsabilité contractuelle du fait d'autrui par rapport à la responsabilité du fait personnel ? René Rodière faisait en effet valoir, pour contester cette autonomie, que sauf textes particuliers prévoyant une garantie exceptionnelle du fait d'autrui, le débiteur contractuel ne doit répondre que de ses fautes personnelles : il ne peut donc être déclaré responsable de l'inexécution du contrat, lorsque celle-ci est directement imputable au fait d'un auxiliaire ou d'un substitut, que s'il était tenu d'exécuter personnellement ou s'il est prouvé que la défaillance de l'auteur direct a été provoquée par une faute de choix, de surveillance ou de direction imputable au débiteur lui-même (13). L'arrêt pourrait ainsi être compris comme allant dans le sens de ceux qui pensent que la responsabilité que le débiteur encourt, sur le terrain contractuel, par le fait d'un tiers qui aurait participé à l'inexécution n'est pas à proprement parler une responsabilité du fait d'autrui mais, fondamentalement, la responsabilité personnelle du débiteur (14)...


(1) CJCE, 25 avril 2002, aff. C-52/00 (N° Lexbase : A8094AYG), D., 2002, p. 2462, note Larroumet, RTDCiv., 2002, p. 523, obs. P. Jourdain ; CJCE, 14 mars 2006, RDC, 2006, p. 835, obs. Borghetti.
(2) Cass. civ. 1, 5 avril 2005, n° 02-11.947, FS-P+B (N° Lexbase : A7474DHB), Bull. civ. I, n° 173, D., 2005, p. 2256, note Gorny, RTDCiv., 2005, p. 607, obs. Jourdain.
(3) En matière de santé, v. not. Guégan, RD sanit. soc., 2008, p. 1009.
(4) A. Outin-Adam, Les responsables, in La responsabilité du fait des produits défectueux, LPA, n° 155, 25 décembre 1998, p. 8.
(5) C'est nous qui soulignons.
(6) A. Outin-Adam, Les responsables, préc..
(7) CA Metz, 15 janvier 2013, n° 12/00536 (N° Lexbase : A3929I3W).
(8) Cass. civ., 17 mars 1947, D. 1947, p. 269 ; comp., à propos de l'exploitant d'une discothèque, Cass. civ. 1, 10 juin 1986, n° 85-10.345 (N° Lexbase : A5024AAC), Bull. civ. I, n° 164.
(9) Voir not., à propos d'un club sportif : Cass. civ. 1, 21 novembre 1995, n° 94-11.294 (N° Lexbase : A8023ABR), Bull. civ. I, n° 424. A propos de l'organisateur d'une compétition sportive : Cass. civ. 1, 19 février 2013 n° 11-23.017, F-D (N° Lexbase : A4207I8C), ou d'une compétition de motocross (Cass. civ. 1, 19 décembre 2013 n° 12-25.975, F-D (N° Lexbase : A7635KSL).
(10) J. Ghestin (dir.), Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, par G. Viney, P. Jourdain et S. Carval, 4ème éd., LGDJ, 2013, n° 814 et s., p. 1100 et s., et la jurisprudence citée.
(11) J. Ghestin (dir.), Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, op. cit., n° 830-831, p. 1124-1125.
(12) J. Ghestin (dir.), Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, op. cit., n° 831, p. 1125.
(13) R. Rodière, Y a-t-il une responsabilité contractuelle du fait d'autrui ?, D., 1952, Chr., p. 79. Comp. G. Durry, RTDCiv., 1977, p. 557.
(14) En ce sens, G. Durry, Rapport de synthèse, in La responsabilité du fait d'autrui, Actualité et évolutions, Resp. civ. et assur., 1998, n° spéc., synthèse, p. 32.

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