Lexbase Affaires n°385 du 12 juin 2014 : Transport

[Jurisprudence] Responsabilité du transporteur aérien en cas de retard : conjugaison des différentes règles de droit en la matière

Réf. : Cass. civ. 1, 2 avril 2014, n° 13-16.038, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3547MI9)

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par Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole

le 12 Juin 2014

La décision de la première chambre civile de la Cour de cassation du 2 avril 2014, publiée au Bulletin, est certainement la plus notable de cette période. Elle est relative à la responsabilité du transporteur aérien en cas de retard et permet de présenter la conjugaison des différentes règles de droit en la matière.
Dans cette affaire, un couple est titulaire de titres de transport aérien, d'abord pour un vol aller-retour Marseille-Paris avec la compagnie Air France, ensuite pour un vol aller-retour également Paris-Male (Maldives), via une escale au Sri Lanka, sur une compagnie non européenne (Silankan Airlines). A la suite d'un retard au départ de 2h15, les voyageurs ne peuvent prendre la correspondance prévue et sont contraints d'acheter de nouveaux billets à un nouveau transporteur. Ils assignent la société Air France, qui assurait le vol retardé en réparation de leur préjudice matériel, le coût des nouveaux billets, et de leur préjudice moral.
Le juge de proximité condamne la société Air France à indemniser les passagers de leur préjudice matériel, sur le fondement de la Convention de Montréal (N° Lexbase : L1209IUC). La décision fait l'objet d'un pourvoi de la part du défendeur. Est, d'abord, contestée la compétence de la Convention de Montréal : il s'agissait en l'espèce d'un transport interne, tandis que la Convention de Montréal régit les transports aériens internationaux.
D'autre part, conformément à la réglementation européenne, le transporteur aérien est seulement tenu, dans ces circonstances, d'une obligation d'assistance aux passagers et non d'une indemnisation. Celle-ci n'est possible qu'en cas d'annulation du vol, à laquelle la jurisprudence européenne a assimilé le retard d'au moins trois heures, durée qui n'était pas atteinte en l'espèce. Enfin, selon l'article 1150 du Code civil (N° Lexbase : L1251ABX), le débiteur n'est tenu que des dommages et intérêts prévisibles au moment de la conclusion du contrat. Les juges ont donc également violé ce texte en condamnant le transporteur sans préciser comment il pouvait prévoir que Paris ne constituait pas la destination finale du voyage. La Cour de cassation rejette le pourvoi, en tous ses arguments. Un Règlement européen étend, en effet, l'application de la Convention de Montréal à tous vols effectués par un transporteur communautaire, y compris les vols intérieurs (Règlement (CE) n° 889/2002 du Parlement européen et du Conseil du 13 mai 2002 modifiant le Règlement (CE) n° 2027/97 du Conseil relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en cas d'accident N° Lexbase : L6160A3K, JOCE n° L 140 du 30 mai 2002). L'indemnisation prévue par cette Convention en cas de retard est elle-même complémentaire des mesures d'assistance établies par la réglementation européenne. Les juges du fond ont donc fait à bon droit application de la Convention de Montréal. D'autre part si, aux termes de la Convention de Montréal, dont l'application est exclusive de celle de l'article 1150 du Code civil, seul le dommage prévisible est réparable, la société Air France n'ayant pas soutenu devant les juges du fond qu'elle ne pouvait prévoir quel était le terme du voyage, ceux-ci n'étaient pas tenus de procéder à une recherche qui ne leur était pas demandée.

Le transport aérien de passager est réglementé à plusieurs niveaux. Il est d'abord régi par deux conventions internationales, concernant au premier chef les transports internationaux : la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 et la Convention de Montréal du 28 mai 1999.

Usant de sa compétence législative en matière de transport, l'Union européenne a d'abord adopté le Règlement 2027/97 (Règlement (CE) nº 2027/97 du Conseil du 9 octobre 1997 relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en cas d'accident N° Lexbase : L4790AUX, JOCE n° L 285 du 17 octobre 1997), harmonisant les conditions d'indemnisation en cas de dommages corporels, pour tous les transporteurs communautaires. Tant pour les vols internationaux que nationaux, le Règlement pose ses propres conditions de responsabilité et d'exonération et exclut toute limite d'indemnisation. La Convention de Varsovie devient donc sans application pour les transporteurs de l'Union européenne.

A la suite de l'adoption de la Convention de Montréal, le Règlement est modifié (Règlement (CE) n° 889/2002 du 13 mai 2002, préc.). Le principe est posé selon lequel "la responsabilité d'un transporteur aérien communautaire à l'égard des passagers et de leurs bagages est régi par toutes les dispositions de la Convention de Montréal relative à cette responsabilité" (art. 3). Comme le précisent les travaux préparatoires, il s'agit d'"une application uniforme des règles de Montréal à toutes les opérations de transport exécutées par les transporteurs aériens communautaires", incluant les vols nationaux et, désormais, la responsabilité en cas de retard et concernant les bagages (proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 2027/97 relatif à la responsabilité des transporteurs aériens en cas d'accident, COM/2000/0340 final - COD 2000/0145, JOCE n° C 337 E du 28 novembre 2000).

Cette règle rend caduc, pour les transporteurs aériens titulaires d'une licence communautaire, l'article 6421-4 du Code des transports (N° Lexbase : L6160INH), soumettant les transports nationaux à la convention de Varsovie.

Force est alors de reconnaître que le pourvoi était mal inspiré en contestant l'application de la Convention de Montréal, sur le seul fondement de ses dispositions, au motif qu'il s'agissait du retard d'un vol national. Le Règlement, manifestement applicable à des faits survenus en 2012, supprime effectivement toute discussion. Comme le souligne son article 1er, il étend l'application des dispositions de la Convention de Montréal aux transports aériens effectués sur le territoire d'un seul Etat membre.

Le Règlement n° 2027/97 ne régit cependant pas seul les questions de responsabilité du transporteur aérien. Afin de compléter la protection des passagers, l'Union européenne a adopté le Règlement n° 261/2004, établissant diverses mesures en cas de retard, d'annulation d'un vol ou de refus d'embarquement (Règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol, et abrogeant le règlement (CEE) n° 295/91 N° Lexbase : L0330DYU, JOCE L 46 du 17/02/2004). L'article 6 de ce Règlement, concernant le retard au départ, instaure différentes mesures de prises en charge du passager. En revanche, il n'établit pas de droit à indemnisation en cas de retard, celle-ci ne concernant que l'annulation d'un vol.

La deuxième branche du pourvoi reprochait alors aux juges du fond d'avoir violé les dispositions réglementaires, en accordant une indemnisation pour retard qui n'était pas prévue par le Règlement. C'est la question de la conjugaison des textes réglementaires et conventionnels qui était alors posée. Textuellement, la solution paraît simple : le Règlement prévoit une prise en charge des passagers en cas de retard au départ. En revanche, la responsabilité et l'obligation d'indemnisation du transporteur, établis par la Convention de Montréal, concernent le retard à l'arrivée (art. 19). Il n'y a donc pas d'incompatibilité, mais complémentarité entre les dispositions.

La Cour de justice de l'Union européenne avait eu à se prononcer sur cette question dans un arrêt du 10 janvier 2006 (CJCE, 10 janvier 2006, aff. C-344/04 N° Lexbase : A2041DMK). Elle avait alors estimé que les dommages concernés par les diverses dispositions étaient différents (cons. 43 : "tout retard dans le transport aérien des passagers, et en particulier s'il est important, peut causer sur un plan général deux types de préjudice. D'une part, un retard trop important va causer des préjudices, quasiment identiques pour tous les passagers, dont la réparation peut prendre la forme d'une assistance ou d'une prise en charge, standardisées et immédiates, pour tous les intéressés par la fourniture, par exemple, de rafraîchissements, de repas, d'hébergements et d'appels téléphoniques. D'autre part, les passagers sont susceptibles de subir des préjudices individuels, inhérents au motif de leur déplacement, dont la réparation exige une appréciation au cas par cas de l'ampleur des dommages causés et ne peut, en conséquence, que faire l'objet d'une indemnisation a posteriori et individualisée") et avait relevé la possibilité de cumul des dispositions (cons. 47 : "Les mesures d'assistance et de prise en charge standardisées et immédiates ne font pas elles-mêmes obstacle à ce que les passagers concernés, au cas où le même retard leur causerait en outre des dommages ouvrant droit à indemnisation, puissent intenter, par ailleurs, les actions en réparation desdits dommages dans les conditions prévues par la Convention de Montréal").

La situation devenait cependant plus complexe à la suite de l'arrêt "Sturgeon" de la Cour de justice de l'Union, auquel se référait la troisième branche du moyen (CJCE, 19 novembre 2009, aff. C-402/07 N° Lexbase : A6589END). La Cour considérait alors que les passagers des vols subissant un retard de plus de trois heures devaient bénéficier du droit à indemnité offert par le Règlement au même titre que les passagers de vols annulés (cf. "Les articles 5, 6 et 7 du Règlement n° 261/2004 doivent être interprétés en ce sens que les passagers de vols retardés peuvent être assimilés aux passagers de vols annulés aux fins de l'application du droit à indemnisation et qu'ils peuvent ainsi invoquer le droit à indemnisation prévu à l'article 7 de ce Règlement lorsqu'ils subissent, en raison d'un vol retardé, une perte de temps égale ou supérieure à trois heures, c'est-à-dire lorsqu'ils atteignent leur destination finale trois heures ou plus après l'heure d'arrivée initialement prévue par le transporteur aérien"). Par la suite, dans l'arrêt "Nelson" du 23 octobre 2012 (CJUE, 23 octobre 2012, aff. C-581/10 N° Lexbase : A7627IUZ), la Cour confirmait sa jurisprudence : "Les articles 5 à 7 du Règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol, et abrogeant le Règlement (CEE) n° 295/91 (N° Lexbase : L6431AUQ), doivent être interprétés en ce sens que les passagers de vols retardés disposent du droit à indemnisation en vertu de ce Règlement lorsqu'ils subissent, en raison de tels vols, une perte de temps égale ou supérieure à trois heures, c'est-à-dire lorsqu'ils atteignent leur destination finale trois heures ou plus après l'heure d'arrivée initialement prévue par le transporteur aérien".

Le pourvoi se référait alors à cette jurisprudence, en invoquant la violation des dispositions réglementaires, alors que le retard de l'aéronef à sa destination finale était inférieur à trois heures.

L'argumentation n'est pas plus convaincante que la précédente : en effet, l'indemnisation reposait sur la Convention de Montréal, non sur le Règlement. Il était donc inutile de critiquer la violation des dispositions du Règlement relatives au droit à indemnisation du règlement, qui n'étaient pas pertinentes.

Restait alors la question de l'application de l'article 1150 du Code civil et de la prévisibilité du dommage. L'invocation par le pourvoi de la méconnaissance des dispositions de cet article n'est guère non plus justifiée. Les règles de responsabilité prévues par les conventions présentent, par leur source, un caractère autonome. Le régime qu'elles établissent est distinct des droits communs nationaux et sa mise en oeuvre n'exige pas de se référer aux règles nationales (pour l'article 1148 du Code civil N° Lexbase : L1249ABU, cf. Cass. civ. 1, 13 mars 2013, n° 09-72.962, FS-P+B+I N° Lexbase : A6912I9U).

L'affirmation de la Cour selon laquelle les dispositions de la Convention de Montréal ne permettent, par elles-mêmes, que la réparation du dommage prévisible n'en est que plus notable. La précision, incidente, ne s'imposait pas pour répondre au pourvoi et la Cour donne ici une précision à notre connaissance, inédite et originale. Nulle part, en effet, les dispositions de la Convention de Montréal, comme celle de Varsovie, n'exigent expressément un dommage prévisible. Tout au plus prévoient-elles une exonération du transporteur aérien lorsqu'il a pris les mesures permettant d'éviter le dommage résultant du retard. Cela reste peu pour fonder l'exigence de prévisibilité.

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