La lettre juridique n°568 du 1 mai 2014 : Avocats/Institutions représentatives

[Jurisprudence] De l'indépendance financière des syndicats d'avocats...

Réf. : CA Paris, 13 février 2014, n° 12/19369 (N° Lexbase : A1958MEA)

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par Stéphane Lallement, Président d'honneur de la FNUJA, membre du Conseil national des barreaux

le 26 Septembre 2014

Les Ordres et les syndicats d'avocats constituent à ce jour les deux composantes de la représentation nationale de la profession, dont l'organisation est actuellement débattue. C'est donc avec une acuité particulière qu'un arrêt rendu le 13 février 2014 par la cour d'appel de Paris soulève la question du financement des syndicats par les Ordres.

Les faits de l'espèce concernent le syndicat "Manifeste des Avocats Collaborateurs" (MAC), dirigé par Avi Bitton.
Une demande de subvention présentée par ce syndicat à hauteur de 5 000 euros est refusée le 24 juillet 2012 par le conseil de l'Ordre des avocats de Paris.
Les réclamations formées par Avi Bitton et deux autres membres du syndicat contre cette décision défavorable sont à leur tour rejetées le 5 mars 2013 par le conseil de l'Ordre.
Les intéressés saisissent donc la cour d'appel de Paris, sur le fondement de l'article 19 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ) et de l'article 15 du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID), afin de voir annuler la délibération litigieuse.
Par arrêt du 13 février 2014, la cour déclare les trois demandeurs irrecevables en leur recours, et les condamne à une indemnité pour frais irrépétibles de 500 euros chacun.
L'analyse de la décision révèle que les Ordres disposent en la matière d'un pouvoir quasi-discrétionnaire, puisqu'il est tout aussi difficile pour un avocat de contester l'octroi d'une subvention à un syndicat, que pour un syndicat d'en contester le refus. I - Les Ordres sont libres de financer les syndicats...

Aux termes de l'article 17-6° de la loi du 31 décembre 1971, le conseil de l'Ordre est investi de larges pouvoirs de gestion financière. Relèvent notamment de sa compétence :

- la gestion des biens de l'Ordre ;

- la préparation du budget ;

- la fixation et le recouvrement des cotisations des avocats ;

- l'affectation des ressources de l'Ordre aux "secours, allocations ou avantages quelconques attribués à ses membres ou anciens membres, à leurs conjoints survivants ou à leurs enfants dans le cadre de la législation existante".

Cette énumération n'est manifestement pas limitative, ainsi que le révèle l'emploi par le législateur de l'adverbe "notamment".

La question se pose, dès lors, de l'affectation des ressources de l'Ordre au financement d'opérations ou de structures qui ne profiteraient pas à l'ensemble des membres du barreau.

Tel est bien le cas des subventions allouées aux syndicats d'avocats, lesquels, par définition, ne regroupent chacun qu'une partie des effectifs du barreau.

A plusieurs reprises déjà, de tels financements ont été contestés par des avocats estimant que l'octroi de ces subventions serait étranger aux missions de l'Ordre, et ferait peser une charge indue sur les finances du barreau.

Dans une première approche, la Cour de Cassation avait exigé qu'il soit justifié que les actions financées au moyen de ces subventions "concourent à la réalisation de missions entrant dans les attributions du conseil de l'Ordre" (Cass. civ. 1, 1er mars 2005, n° 02-21.532, FS-P+B N° Lexbase : A0970DHE).

Il était ainsi mis à la charge des conseils de l'Ordre une véritable obligation de motivation de leur décision, impliquant de leur part une appréciation de la pertinence des actions menées par le syndicat financé.

Cette position, difficilement compatible avec la nécessaire indépendance syndicale, a fort heureusement été revue depuis.

Renversant la charge de la preuve, la Cour suprême exige, en effet, désormais de l'auteur du recours "qu'il précise en quoi les subventions contestées ne pourraient constituer le financement d'actions susceptibles de se rattacher ou de concourir à la réalisation de missions entrant dans les attributions de l'Ordre" (Cass. civ. 1, 7 février 2006, n° 05-11.400, F-P+B N° Lexbase : A8545DMG).

Il en résulte, ainsi, une présomption de légalité de la subvention accordée par un Ordre à un syndicat, sauf pour un membre du barreau à rapporter la preuve, difficilement concevable, du caractère extra-professionnel des activités ainsi financées.

Plusieurs juridictions du fond ont, depuis, fait application de ce principe, rappelant ainsi qu'il n'appartient pas à une cour d'appel :

- de statuer au fond sur la gestion des biens de l'Ordre, ni sur l'attribution des subventions, de la seule compétence du conseil de l'Ordre (CA Paris, Pôle 2, 1ère ch., 24 juin 2010, n° 09/15154 N° Lexbase : A3347E4Q) ;

- de contrôler l'opportunité économique d'une décision d'octroi de subvention, ni de porter d'appréciation sur le montant de la somme engagée (CA Aix-en-Provence, 27 mars 2014, n° 13/13602 N° Lexbase : A0998MIS).

Par son arrêt du 13 février 2014, et bien qu'elle ne soit pas saisie de la question de fond de la légalité de la subvention, la cour d'appel de Paris rappelle en filigrane ce principe.

Un récent arrêt divergent de la cour d'appel de Rouen (CA Rouen, 19 mars 2014, n°13/04940 N° Lexbase : A2097MH7), sanctionnant la souscription par l'Ordre d'une assurance collective au motif qu'elle ne profiterait qu'à certains membres du barreau, devrait prochainement donner l'occasion à la Cour de cassation de se prononcer à nouveau à ce sujet.

Sous réserve de cette dernière incertitude, la position largement dominante de la jurisprudence autorise donc, aujourd'hui, les Ordres à accorder leur soutien financier aux syndicats sans crainte de recours.

II - ...de leur choix !

Si la décision de financement d'un syndicat par un Ordre apparaît difficilement contestable, qu'en est-il de la situation inverse ? Un syndicat auquel le conseil de l'Ordre refuserait d'octroyer une subvention dispose-t-il d'un recours efficace contre cette décision ?

La loi du 31 décembre 1971 prévoit en son article 19 deux modalités de recours contre les délibérations du conseil de l'Ordre :

- l'une ouverte au procureur général contre toute décision qui s'avérerait "étrangère aux attributions [du] conseil" ou "contraire aux dispositions législatives ou règlementaires" ;

- l'autre ouverte à tout avocat qui entendrait contester une décision du conseil de l'Ordre "de nature à léser [ses] intérêts professionnels".

Dans ce dernier cas, l'intéressé dispose d'un délai de deux mois à compter de la notification ou de la publication de la décision critiquée pour saisir le bâtonnier de sa réclamation par lettre recommandée avec avis de réception (Décret du 27 novembre 1991, art. 15).

Le conseil de l'Ordre doit statuer dans le délai d'un mois sur ce recours amiable.

En cas de rejet de la réclamation ou d'absence de réponse sous le délai d'un mois, l'avocat peut alors déférer la décision du conseil de l'Ordre à la cour d'appel.

C'est ce cheminement qu'ont suivi, dans la présente espèce, les dirigeants du syndicat MAC, contestant successivement la décision du conseil de l'Ordre du 24 juillet 2012 refusant l'octroi de la subvention sollicitée, puis celle du 5 mars 2013 rejetant leur réclamation préalable.

Après une analyse approfondie des différents recours et de leur formulation, la cour considère être saisie :

- d'une part par le président et par deux membres du syndicat, agissant chacun à titre personnel en sa qualité d'avocat ;

- d'autre part par le syndicat lui-même, représenté à la procédure par son président.

En vertu de l'article L. 2132-3 du Code du travail (N° Lexbase : L2122H9H), tout syndicat professionnel est fondé de plein droit à agir en justice pour la défense des intérêts collectifs de la profession qu'il représente.

La cour rappelle toutefois, que cette qualité générale à agir ne peut se superposer à celle personnellement reconnue à un avocat qui s'estimerait lésé dans ses intérêts professionnels par une décision du conseil de l'Ordre.

La voie de recours ouverte par l'article 19, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971 à un avocat agissant à titre individuel ne peut donc être empruntée par un syndicat, dont l'action présente nécessairement un caractère collectif.

Le recours exercé par le syndicat MAC en sa qualité de personne morale est, par conséquent, déclaré irrecevable.

Après avoir écarté l'action du syndicat, la cour ferme également la voie du recours introduit à titre personnel par le président et par deux membres du syndicat, agissant en leur qualité d'avocat.

L'article 19, alinéa 2, de la loi précitée réserve, en effet, cette possibilité d'action à l'avocat dont les intérêts professionnels propres seraient lésés par une décision du conseil de l'Ordre.

En l'espèce, la cour estime à juste titre que ni le président du syndicat, ni l 'un de ses membres ne peuvent utilement contester le refus d'octroi d'une subvention dont ils ne sont pas personnellement bénéficiaires.

Leur recours est donc déclaré irrecevable, tout comme celui du syndicat.

Cette logique implacable exclut, ainsi, toute possibilité de recours contre la décision par laquelle un conseil de l'Ordre refuse l'octroi d'une subvention sollicitée par un syndicat.

Les Ordres bénéficient donc, de fait, d'un véritable pouvoir discrétionnaire, leur permettant d'accorder ou non leur soutien financier aux syndicats qui leur en feraient la demande sans avoir à justifier leur choix, et sans crainte d'une quelconque remise en cause de leur décision.

Cette constatation interroge nécessairement sur la possible dérive consistant pour un conseil de l'Ordre à réserver son concours aux syndicats les plus complaisants, et à refuser inversement son aide à ceux dont il souhaiterait limiter l'audience ou l'action.

A l'heure où certains s'interrogent sur une possible régionalisation du scrutin pour l'élection du Conseil national des barreaux, voici l'une des raisons qui militent pour le maintien de listes syndicales élues sur une large circonscription territoriale.

Mais ceci est un autre débat...

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