Le Quotidien du 25 juin 2025 : Fiscalité internationale

[Questions à...] Pas d’application (a priori) de l’ISF aux résidents luxembourgeois - Questions à Manfred Blot, Avocat associé, Koezyo Avocats

Réf. : Cass. com., 2 avril 2025, n° 23-14.568, F-D N° Lexbase : A12850GP

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N2505B38

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[Questions à...] Pas d’application (a priori) de l’ISF aux résidents luxembourgeois - Questions à Manfred Blot, Avocat associé, Koezyo Avocats. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/120702958-questions-a-pas-dapplication-a-priori-de-lisf-aux-residents-luxembourgeois-questions-a-manfred-blot-
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le 25 Juin 2025

Mots clés : convention fiscale • Luxembourg • IFI • sociétés immobilières • assiette de l'impôt

Dans un arrêt rendu le 2 avril 2025, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a dit pour droit que les parts de sociétés civiles immobilières ayant leur siège social en France et propriétaires de biens immobiliers situés en France doivent être regardées comme des biens immobiliers au sens de la convention fiscale franco-luxembourgeoise et sont donc imposables à l’ISF. Manfred Blot, Avocat associé, Koezyo Avocats, nous apporte son éclairage sur cette question*.


 

Lexbase : Quelle est la motivation de la Cour de cassation ? Vous apparaît-elle incontestable ?

Manfred Blot : La convention fiscale entre la France et le Grand-duché de Luxembourg du 1er avril 1958 ne contenait aucune définition des biens immobiliers.

La Cour s’est alors livrée à une interprétation de la convention fondée sur des stipulations qui créaient un lien entre le droit de taxer la fortune immobilière et le droit de taxer les gains tirés de l’aliénation d’immeubles ou de droits sociaux de sociétés à prépondérance immobilière,

Elle relève que l'article 20 de la convention de 1958 désignait comme seul compétent pour taxer la fortune consistant en des biens immobiliers, l'État qui était autorisé par cette convention à imposer le revenu qui provient de ces biens.

Elle relève ensuite que l’article 3 de cette convention permet à l’État de situation des immeubles de taxer les gains tirés de l'exploitation ou de l'aliénation d'immeubles réalisés au travers de sociétés et ceux tirés de l'aliénation de droits sociaux de sociétés à prépondérance immobilière.

Elle en conclut que les parts de SCI françaises propriétaires de biens immobiliers situés en France sont des biens immobiliers au sens de la convention.

La motivation apparaît contestable car la Cour de cassation déduit une définition conventionnelle des biens immobiliers d’une règle de désignation de l’État compétent pour taxer la fortune consistant en des biens immobiliers. Cela tient du syllogisme.

Lexbase : Existe-t-il un risque de transposition de cette solution à la convention fiscale du 20 mars 2018 actuellement en vigueur entra la France et le Luxembourg ?

Manfred Blot : Je ne le pense pas.

L’arrêt du 2 avril 2025 est motivé dans des termes qui permettent de penser sérieusement que les parts de SCI françaises détenues par des résidents luxembourgeois ne peuvent pas, en application de la convention entre la France et le Grand-duché de Luxembourg du 20 mars 2018, être assujetties à l’IFI en France.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a pris le soin de préciser que c’est « au sens de la convention » de 1958 que les parts de SCI françaises et propriétaires de biens immobiliers français constituent des biens immobiliers.

Ce sont donc les termes de la convention de 1958 qui ont motivé la décision des hauts magistrats.

La Convention de 2018 est rédigée de manière très différente à la convention de 1958.

En effet, dans son article 21, la convention de 2018 détermine l’État compétent pour taxer les éléments de la fortune des contribuables en fonction de la nature de ces éléments et sans lien avec le droit de taxer les gains tirés de l’aliénation des biens immobiliers.

Ainsi, selon la convention de 2018 (article 21), la fortune constituée de biens immobiliers est imposable dans l’État de situation de ces biens.

Au contraire de celle de 1958, la convention de 2018 ne fait aucun lien entre le droit de taxer la fortune immobilière et celui de taxer les revenus tirés de ces biens.

Par ailleurs, les stipulations de la convention de 2018 relatives aux revenus immobiliers ne reprennent pas les celles des paragraphes 3 et 4 de l’article 3 de la convention de 1958 sur lesquelles l’arrêt du 2 avril 2025 fonde son argumentation.

Pour la définition des biens immobiliers, la convention de 2018 renvoie à la définition de ces biens dans le droit de l’État de situation de ces biens.

Or, en droit français, les droits sociaux des sociétés détenant des immeubles y compris de manière prépondérante, constituent des biens meubles et non des biens immobiliers.

Lexbase : Des solutions antérieures de la Cour de cassation peuvent-elles nous apporter un éclairage sur la présente décision ?

Manfred Blot : La Cour de cassation, dans un arrêt du 2 octobre 2015 rendu par son Assemblée plénière [1], a jugé que les parts d’une société immobilière monégasque propriétaire d’immeubles en France constituaient des biens incorporels de nature mobilière pour l’application de la convention franco-monégasque du 1er avril 1950.

Il n’y a aucune raison de considérer que cette solution ne soit pas applicable à l’impôt sur la fortune et bien que cette décision ait été rendue dans un cas qui concernait une société monégasque, elle est transposable aux parts de sociétés françaises qu’elles soient ou non à prépondérance immobilière.

Cet arrêt du 2 octobre 2015 est d’autant plus important qu’il revenait justement sur une position contraire déjà exprimée par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 9 octobre 2012 [2].

Lexbase : Cette décision peut-elle soulever des craintes infondées selon vous ?

Manfred Blot : Encore une fois, l’arrêt du 2 avril 2025 ne se prononce que sur la convention de 1958 et sa motivation repose très étroitement sur la rédaction de cette convention.

La convention de 2018 est rédigée très différemment.

Aucune stipulation de la convention de 2018 ne permet de justifier une assimilation des titres de sociétés immobilières à des immeubles.

D’abord, son article 21 relatif à l’impôt sur la fortune ne mentionne aucunement les parts de sociétés immobilières.

À cet égard, la comparaison avec d’autres conventions fiscales signées par la France est intéressante. Ainsi, le deuxième alinéa du 1 de l’article 24 de la convention franco-suisse stipule que : « La fortune constituée par des actions, parts ou autres droits dans une société, une fiducie ou une institution comparable dont l'actif ou le patrimoine est principalement constitué, directement ou indirectement, de biens immobiliers définis au paragraphe 2 de l'article 6 et situés dans un État contractant ou de droits portant sur de tels biens est imposable dans cet État. »

Rien de tel dans la convention franco-luxembourgeoise de 2018.

Par ailleurs, dans son article 13, la convention de 2018 distingue précisément les gains tirés de l’aliénation des biens immobiliers de ceux tirés de l’aliénation de titres de sociétés à prépondérance immobilière.

On voit bien qu’au sens de la convention 2018, les parts de sociétés à prépondérance immobilière ne sont pas des biens immobiliers. Prétendre le contraire serait considérer qu’en droit français les parts de sociétés immobilières sont des biens immobiliers puisque la convention renvoie à la définition des biens immobiliers de l’État de situation de ces biens.

Or, en droit français, les parts de sociétés détenant des immeubles, y compris de manière prépondérante, ne sont pas des biens immeubles mais des biens meubles. Tel est le sens de la solution de l’arrêt de l’Assemblée plénière du 2 octobre 2015 évoqué précédemment.

C’est également le cas sur le plan fiscal au regard des dispositions du CGI relatives à l’IFI.

L’article 965 du CGI N° Lexbase : L9112LHX qui définit l'assiette de l'IFI distingue les biens et droits immobiliers des parts ou actions des sociétés établies en France ou hors de France détenant des biens ou droits immobiliers, lesquelles ne sont pas intégrées en tant que telles dans l’assiette de l’impôt mais seulement à hauteur de la fraction de leur valeur représentative de biens ou droits immobiliers détenus directement ou indirectement par la société.

*Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public

[1] Ass. plén., 2 octobre 2015, n° 14-14.256, P+B+R+I N° Lexbase : A0098NSG.

[2] Cass. com., 9 octobre 2012, n° 11-22.023, F-P+B N° Lexbase : A3451IUD.

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