Réf. : Cass. civ. 3, 27 mars 2025, n° 23-21.501, FS-B N° Lexbase : A42260CI
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N2136B3I
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par Virginie Pezzella, Maître de conférences en droit privé (Université Jean Moulin Lyon 3), Directrice adjointe de l’Institut de droit patrimonial et immobilier de la faculté de droit, Avocate associée du cabinet Olympe Avocats
le 29 Avril 2025
Le recouvrement d’une créance réclamée au titre de dégradations locatives ne peut être demandé suivant la procédure d’injonction de payer dès lors que son montant n’est pas déterminé en vertu des seules stipulations du contrat de bail.
Dans la décision étudiée, rendue par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 27 mars 2025, les Hauts magistrats avaient à se prononcer sur la recevabilité d’une demande de recouvrement d’une créance au titre de réparations locatives suivant la procédure d’injonction de payer prévue à l’article 1405 du Code de procédure civile N° Lexbase : L6337H7T. La particularité de l’affaire - ayant certainement conduit les juges du fond à juger cette demande recevable - tenait en l’espèce au fait que l’indemnisation avait été fixée et payée au bailleur par une compagnie d’assurance auprès de laquelle il avait souscrit une police garantissant les obligations locatives des locataires. L’action était alors menée par la compagnie d’assurance, subrogée dans les droits du bailleur, contre les locataires. Considérant que la créance avait un caractère contractuel et qu’elle était déterminée, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Bordeaux avait rendu une ordonnance portant injonction de payer, contre laquelle les locataires ont formé opposition soulevant l’irrecevabilité des demandes de la compagnie d’assurance au motif que la créance résultant de dégradations locatives n’était pas susceptible d’être recouvrée suivant la procédure d’injonction de payer. Déboutés en première instance, les locataires ont formé un pourvoi en cassation. La troisième chambre civile de la Cour de cassation leur donne raison en jugeant que le recouvrement d’une créance réclamée au titre de dégradations locatives ne peut être demandé suivant la procédure d’injonction de payer dès lors que son montant n’est pas déterminé en vertu des seules stipulations du contrat de bail.
Il résulte de l’article 1405 du Code de procédure civile que la procédure d’injonction de payer (non-contradictoire, c’est là tout son intérêt) permet, notamment, le recouvrement d’une créance lorsque cette dernière « a une cause contractuelle et s'élève à un montant déterminé ». Le texte précise : « en matière contractuelle, la détermination est faite en vertu des stipulations du contrat ». Cette disposition pourrait laisser entendre que les dommages et intérêts résultant de l’inexécution d’un contrat entreraient dans le champ d’application de l’injonction de payer, mais ce serait faire fi de son interprétation téléologique. L’objectif du législateur, à travers cette procédure, est de permettre un recouvrement simplifié des créances qui paraissent indiscutables. Indiscutables quant à leur principe certes, mais également quant à leur montant. La clef de lecture de l’article 1405 du Code de procédure civile est alors la suivante : les deux conditions que pose cette disposition sont indissociables. La créance doit être de nature contractuelle et déterminée ou déterminable par le seul contrat.
Il s’agit précisément du principe posé par la Cour de cassation dans la décision étudiée : le recouvrement d’une créance contractuelle ne peut être demandé suivant la procédure d’injonction de payer que si son montant est déterminé en vertu des seules stipulations du contrat. Autrement dit, le juge doit trouver dans le contrat, et lui seul, les éléments lui permettant de fixer le montant de la créance, ce qui n’est évidemment pas le cas de dommages et intérêts pour inexécution contractuelle, sauf à ce que leur montant ait été fixé par les parties dès la conclusion de l’acte (v. déjà en ce sens Cass. com.,14 juin 1971, Bull. civ. IV, n°169, D. 1971.629). Appliquée aux faits de l’espèce, la solution est des plus évidentes : les réparations locatives – qui sont nécessairement fonction d’éléments factuels postérieurs à la conclusion du bail – ne peuvent entrer dans le champ d’application de la procédure d’injonction de payer. Les sommes dues par un locataire au titre des réparations locatives correspondent en effet à la réparation d’un manquement contractuel, qui donne lieu à des dommages et intérêts évalués en fonction de l’appréciation que le juge aura du préjudice subi par le bailleur en cours d’exécution du contrat (Cass. civ. 3, 14 décembre 2023, n° 21.19-488, F-D N° Lexbase : A255419H, Gaz. Pal. 23 avril 2024. 48, note J.-D. Barbier).
La portée de cette décision interroge toutefois quant à l’hypothèse inverse, c’est-à-dire celle dans laquelle le locataire recourt à la procédure d’injonction de payer pour obtenir restitution de son dépôt de garantie. De telles demandes sont courantes et jugées recevables. Elles permettent ainsi à des locataires d’obtenir un titre exécutoire sans avoir à rapporter de preuve de la restitution des lieux en bon état de réparations locatives. Peut-on pourtant considérer que le montant de la créance est ici déterminé par le contrat lui-même puisqu’il est fonction de l’état dans lequel le local sera restitué ? Peut-on même considérer que la créance existe réellement ici ? Le montant du dépôt de garantie est fixé par le contrat de bail, mais il ne constitue pas nécessairement une créance pour le locataire. Reste à espérer une saisine de la Cour de cassation sur cette question.
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