Lecture: 4 min
N2093B3W
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Axel Valard
le 14 Avril 2025
Il avait annoncé qu’il n’en resterait pas là. Il a attendu huit mois. Mais finalement, il a tenu sa promesse et mis sa menace à exécution. Le trompettiste Ibrahim Maalouf a décidé, récemment d’assigner le festival du cinéma américain de Deauville devant le tribunal des affaires économiques de Paris (ex-tribunal de commerce). Au civil donc, il réclame un peu plus de 500 000 euros en guise de réparation pour avoir été écarté du jury du festival, l’été dernier, en raison du « malaise » que suscitait sa présence.
Pour bien comprendre cette affaire, il faut d’ailleurs remonter à l’été dernier. Au mois d’août exactement. Dans un premier temps, Aude Hesbert, la directrice du festival, dévoile la liste des prestigieux membres qui constitueront le jury, à l’occasion des 50 ans du festival. Mais quelques semaines plus tard, alors que le festival s’apprête à s’ouvrir, elle révèle, dans les colonnes de la Tribune Dimanche, d’abord, du Parisien, ensuite, qu’Ibrahim Maalouf a finalement été écarté de ce jury.
La raison ? La « contestation très forte » qui s’est « élevée de tout horizon » quant à la participation du musicien à ce festival célèbre dans le monde entier. Selon Aude Hesbert, l’annonce de la présence d’Ibrahim Maalouf au sein du jury avait suscité des « réactions sur les réseaux sociaux et dans les médias » et « un malaise dans l’équipe » du festival, en raison d’une affaire d’agression sexuelle sur mineure visant le musicien dans le passé.
« Les Américains sont vigilants sur le sujet des violences sexuelles »
Condamné en 2018 à quatre mois de prison avec sursis, 20 000 euros d’amende et une inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuelles, le jazzman, lauréat de quatre Victoires de la musique et d’un César de la meilleure musique de film, avait finalement été relaxé par la cour d’appel de Paris en juillet 2020.
« La preuve matérielle des faits (…) n’est pas rapportée, notait ainsi la cour dans son arrêt. Ce qui ne signifie pas que [l’adolescente] a menti, mais que sa vérité n’est pas partagée, en l’absence d’éléments suffisamment pertinents, précis et concordants. »
« Il convient en conséquence d’infirmer le jugement [rendu en première instance] en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de relaxer Ibrahim Maalouf et de les renvoyer des fins de la poursuite. »
Quatre ans après, Aude Hesbert affirme dans les colonnes du Parisien, n’avoir pas eu l’ambition de se « substituer à la justice » mais avoir pris la décision de retirer le musicien du jury en raison de « menaces » sur le bon déroulement de son festival. « Nous sommes un festival de cinéma américain, et les Américains sont très vigilants sur le sujet des violences sexuelles », terminait-elle.
Le musicien a décliné des participations à des concerts
De quoi relancer tous les débats sur le difficile respect de la présomption d’innocence, du respect de l’innocence même dans le cas très précis d’Ibrahim Maalouf, à l’ère nécessaire de la libération de la parole en matière de violences sexuelles et sexistes.
Évidemment, le trompettiste n’a jamais compris pourquoi il avait été évincé du festival, alors qu’il avait été définitivement relaxé par la justice, la plaignante n’ayant pas formé de pourvoi en cassation. D’autant plus qu’il était allé jusqu’à faire condamner Le Parisien en diffamation pour avoir révélé l’affaire à l’origine « sans base factuelle solide », selon les termes du jugement.
C’est pour cela qu’il vient donc d’assigner le festival devant la justice pour faire reconnaître ses préjudices. À commencer par le manque à gagner économique évidemment. Son raisonnement est simple : pour se rendre disponible pour le festival de Deauville avant d’en être écarté, il a décliné plusieurs propositions de concerts et d’autres propositions de représentations. Arles, Thuir, Monte-Carlo, Bruxelles, Anvers… Il estime ainsi son préjudice économie à un peu plus de 340 000 euros. Si l’on ajoute 150 000 euros réclamés au titre du préjudice moral et réputationnel et les frais d’avocat, la demande du musicien dépasse les 500 000 euros.
Après une première audience, fin mars, les deux parties doivent se revoir devant un juge conciliateur pour tenter de trouver un terrain d’entente. Il y a du travail : Patrick Maisonneuve, l’avocat du festival, a déjà prévenu que les organisateurs de la cérémonie étaient en « désaccord total avec les demandes formulées par Ibrahim Maalouf ».
Une position que déplore Fanny Colin, l’avocate du musicien. « Il est regrettable que le festival de Deauville s’entête à ne pas reconnaître sa faute. C’est ici une question de principe et Ibrahim Maalouf ira, cela va sans dire, jusqu’au bout de la procédure » ; Si la conciliation n’aboutit pas, l’affaire devrait faire l’objet d’une audience devant le tribunal des affaires économiques de Paris. Sans doute pas avant l’automne.
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:492093