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le 10 Avril 2025
Mots clés : environnement • compétitivité • climat • responsabilité des entreprises • droits humains
Plus que jamais, à l’heure d’une nouvelle bataille économique entre continents, l’environnement semble relégué au second plan car perçu comme une entrave à l’enrichissement des nouveaux empires. Alors que deux d’entre eux (États-Unis et Russie) ne s’embarrassent guère de sentiments en la matière, l’Union européenne avait voulu s’ériger en modèle de vertu dès 2021, avant de revoir ses ambitions face à la dénonciation par certains groupes et politiques de la surcharge normative affectant la compétitivité des entreprises européennes. Pour en savoir plus sur le sujet, Lexbase Avocats a rencontré Muriel Guillin-Modaine, avocate associée, De Gaulle Fleurance*.
Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les objectifs initiaux de la loi européenne sur le climat adoptée le 24 juin 2021 ?
Muriel Guillin-Modaine : La loi européenne sur le climat (Règlement (UE) n° 2021/1119 du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique N° Lexbase : L1361L7K) entérine la neutralité climatique d'ici 2050 et fixe un objectif intermédiaire qui est la réduction des gaz à effet de serre d'au moins 55 % d'ici à 2030. La loi fixe un cadre juridique contraignant avec l’obligation pour les États membres de prendre les mesures permettant d’atteindre lesdits objectifs. Ils sont tenus en particulier de renforcer leur adaptation au changement climatique et d'élaborer des stratégies pour limiter les impacts de l’activité économique sur le climat. Un certain nombre de moyens ont également été décidés, comme la création d’un Conseil supérieur indépendant et l'introduction d’un budget carbone pour l'Union européenne.
Lexbase : Quels en sont les textes les plus emblématiques ? Ont-ils déjà connu un début de mise en oeuvre ?
Muriel Guillin-Modaine : On peut déjà mentionner la Directive « CS3D » (Directive (UE) n° 2024/1760 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2024, sur le devoir de vigilance des entreprises N° Lexbase : L0909MNY), adoptée par l'Union européenne en juillet 2024 et qui n'est, pour l'instant, pas entrée en vigueur en France puisque les États membres ont jusqu'en juillet 2026 (juillet 2027 si le paquet Omnibus est adopté) pour la retranscrire dans leur droit national. La directive CS3D peut être qualifiée de directive "to do", c'est-à-dire une Directive imposant une obligation de faire, par opposition à la Directive « CSRD » (Directive (UE) 2022/2464 du 14 décembre 2022), qui relève davantage d'une obligation de reporting (« to report » ). Cette dernière impose aux entreprises la publication d’informations extra-financières en matière de durabilité N° Lexbase : L1830MGU). Le calendrier d‘application de la CS3D est progressif en fonction de la taille de l'entreprise, avec à terme (d’ici 2029), un dispositif qui s'applique à toutes les entreprises européennes employant plus de 1 000 personnes et générant un chiffre d'affaires mondial annuel de plus de 450 millions d'euros.
Cette Directive qui instaure le devoir de vigilance européen, oblige les entreprises à identifier, à prévenir, à atténuer, voire à stopper leurs impacts négatifs sur les droits humains et sur l'environnement. Le cœur de ce dispositif est l'élaboration d'un plan de vigilance qui comprend une cartographie des risques avec une évaluation des sous-traitants, des fournisseurs et enfin, de toute la chaîne de valeur de l'entreprise.
L’entreprise a pour obligation, dans le cadre de l’établissement de son plan de vigilance, de mener des échanges avec les parties prenantes, avec l’objectif de mettre en œuvre des mesures de prévention et d'atténuation afin de diminuer son impact tant sur les droits humains que sur l'environnement.
Enfin, l’entreprise est tenue au titre du devoir de vigilance d’élaborer un plan de transition climatique qui doit permettre de s'assurer de la compatibilité du modèle économique et de la stratégie de l'entreprise avec une transition vers une économie durable, la limitation du réchauffement climatique à 1,5 degré et l'objectif de neutralité climatique d'ici à 2050.
Le deuxième texte central qui découle du Pacte Vert Européen est la Directive « CSRD », qui fixe des obligations en matière de reporting extra-financier pour les entreprises permettant une comparabilité et une cohérence des informations publiées par les différentes entreprises européennes. Le but est d’encadrer les données extra-financières aussi étroitement que les données financières, afin de faciliter une prise de décision stratégique des investisseurs au bénéfice de la durabilité.
Contrairement à l'approche adoptée aux États-Unis, la CSRD s'appuie sur un principe de double matérialité, c'est-à-dire une matérialité dite « financière » qui mesure les impacts des enjeux de durabilité sur les performances financières de l'entreprise et une matérialité dite « d’impact » qui mesure les conséquences des activités de l'entreprise sur la société et l'environnement.
La CSRD est entrée en application en France au 1er janvier 2024 avec, comme pour la CS3D, une application lissée dans le temps comportant trois vagues de sociétés en fonction du nombre de salariés et du chiffre d’affaires annuel réalisé.
Les grandes entreprises et les entreprises cotées ont commencé leur reporting extra-financier au titre de la CSRD « exercice 2024 » pour un reporting 2025. Les deux autres vagues concernent l’exercice 2025 pour un reporting en 2026 et l'exercice 2026 pour un reporting en 2027.
Le « paquet omnibus », présenté par la Commission européenne le 26 février dernier, propose de réajuster certaines obligations réglementaires à la suite du rapport « Draghi » qui a pointé un problème de compétitivité des entreprises européennes du fait des lourdeurs réglementaires - encore aggravé depuis l’élection de Donald Trump. La première modification est le report de l’entrée en vigueur des obligations de reporting de la CSRD pour les deuxième et troisième vagues. La seconde est la modification des seuils avec une application aux entreprises employant plus de 1 000 salariés (contre 250 auparavant), réalisant plus de cinquante millions d’euros de chiffres d’affaires ou ayant vingt-cinq millions d’euros de bilan total, ce qui entraînerait une diminution du périmètre de plus de 80 % des entreprises par rapport à l’objectif initial. Le « paquet omnibus » comprend toutefois un encouragement au reporting volontaire.
La CS3D comprend moins de modifications avec un report de la transposition du 1er juillet 2026 au 1er juillet 2027 et de l’entrée en vigueur au 1er juillet 2028 pour les grandes entreprises. En outre, l’évaluation est désormais limitée aux partenaires commerciaux directs, sauf informations mettant en cause un partenaire commercial indirect qui ne respecterait pas les droits humains ou environnementaux. En cas de risques identifiés, l’entreprise aura juste une obligation de suspendre la relation avec le partenaire (et non plus d’y mettre fin). Mentionnons aussi l’évaluation de la chaîne de valeur, qui deviendrait non plus annuelle mais quinquennale, la limitation de la notion de parties prenantes aux salariés et leurs représentants et aux communautés dont les droits ou intérêts pourraient être affectés par les activités de l’entreprise, et la suppression du régime de responsabilité harmonisé au niveau européen et un renvoi aux droits nationaux des États membres en la matière.
Malgré ces modifications importantes, l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré reste paradoxalement maintenu.
Lexbase : Que faut-il attendre selon vous pour l'avenir de ce texte ?
Muriel Guillin-Modaine : Le « paquet omnibus » est une simple proposition de modification émanant de la Commission européenne et l’adoption des nouveaux textes n’interviendra qu’après l’aboutissement du trilogue Parlement-Commission Conseil.
En France, est passé devant le Sénat le 10 mars dernier un texte de modification de la loi de transposition de la CSRD qui devrait arriver devant l’Assemblée nationale au mois d’avril. Est pour l’instant prévu un report de quatre ans de l’application.
Ce qui est sûr en l’état c’est que la CSRD et la CS3D vont forcément subir des modifications. La question est celle de leur ampleur.
*Propos recueillis par Virginie Natkin, chargée d’affaires grands comptes Avocats et Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public
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