Le Quotidien du 28 février 2025 : Éditorial

[A la une] Intelligences (collectives et économies) artificielles

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par Dr Nicolas Catelan, Associate Professor, Sorbonne University Abu Dhabi - SAFIR

le 27 Février 2025

Être dans l’air du temps, on le sait, est l’ambition de la feuille morte. Difficile toutefois d’échapper à la tornade de l’intelligence artificielle. Rarement mot aura été sur autant de lèvres. L’IA bouleverse d’ores-et-déjà la médecine (et notamment la détection des cancers), la guerre, le renseignement, la conduite automobile ou encore le travail fourni par les salariés et… nos étudiants. Et le sommet sur l’IA en France, débouchant sur un partenariat de plusieurs dizaines de milliards d’euros avec les Émirats arabes unis, achève de s’en convaincre. Si le présent est d’ores et déjà tourné vers l’IA, tout porte à croire que l’avenir sera IA… ou ne sera pas. L’humanité semble en effet prête à confier son destin à des équations que personne ou presque ne comprend. Cela ne la changera pas outre mesure puisque peu saisissent les lois physiques qui rendent possible leur vie sur Terre. Consciente du miracle à réaliser pour se sauver elle-même d’errements accélérant la finitude des ressources essentielles à sa survie, l’humanité en vient logiquement à penser qu’une machine réellement intelligente saura nous prémunir de la bêtise naturelle qui affuble les hommes et les conduit inexorablement à leur perte.

Sommés de trouver des axes de développement, les ministères eurent la lourde tâche en ce début d’année de produire des documents afin de mettre en exergue les 1001 vertus que l’IA pourrait présenter une fois déployée dans leur champ d’action. En période de dérapages, tout sauf contrôlés, des dépenses publiques et alors que le budget national a fait l’objet d’âpres négociations, mieux vaut effectivement y réfléchir à deux fois avant de solliciter quelques deniers (publics) pour acquérir ou développer une IA au sein des chiches administrations françaises. Cela va sans dire. 

Que nous apprend alors la production du Ministère de la justice en ce temps où IA est synonyme de miracle et d’oracle ?

« l’IA pourrait apporter une réelle valeur ajoutée :

  • retranscription d’entretiens : l’IA pourrait automatiser et accélérer la mise en texte de réunions dans un premier temps puis de tous les entretiens utiles aux différents métiers de la justice ;
  • aide à la recherche : des outils d’IA pourraient faciliter l’accès aux jurisprudences et aux textes juridiques pour les professionnels du droit ;
  • interprétariat et traduction : l’IA permettrait d’améliorer l’accompagnement des justiciables et des professionnels confrontés à la barrière de la langue ;
  • résumé de dossiers : des solutions pourraient aider à synthétiser des volumes importants de documents juridiques pour un traitement plus rapide et efficace des affaires ».

Rien de très audacieux à dire vrai. Les perspectives sont modestes au sein d’un Ministère où l’objectif essentiel consiste à faire des économies. Puisque ni inspecteurs spécialisés, ni experts, ni greffiers ni traducteurs ne peuvent être payés, l’IA devient la panacée des DRH de la justice sommés de liquider les nouvelles obsolescences humaines. Le Ministère prend tout de même le soin de rappeler le souci de protéger les données personnelles (bien vu) et la nécessité de développer de la soft law pour accompagner les praticiens (audacieux).

Le ministère entretient une relation délicate avec les nouvelles technologies. On se souvient il y a peu de l’impossibilité de développer data just, d’une ordonnance n° 2021-443 N° Lexbase : L1730L4T passéiste à propos des véhicules autonomes ou encore des minibons stockés au sein d’une blockchain, créés en 2016 et déjà supprimés... 

Il y a loin de la coupe aux lèvres. Vouloir être le chantre de l’IA est une noble ambition si tant est que les annonces politiques ne soient pas décorrélées de la science, et qu’on ne coupe pas les juristes de la quête (frénétique) du juste. L’auteur de ces quelques lignes est intimement convaincu que l’IA peut contribuer à l’amélioration du sort des justiciables, même dans le champ pénal. Que le Ministère de la justice français soit en mesure, seul, d’amorcer un tel progrès laisse en revanche sceptique. Si le modèle capitalistique français laisse pareillement à désirer lorsqu’il s’agit d’investir sur des entreprises innovantes… qu’on se rassure… la science française, elle, regorge d’idées. Le Sorbonne Centre for Artificial Intelligence (SCAI) en est la preuve, tout comme la plateforme Saclay-IA, Pr(AI)rie ou encore les 1120 chercheurs CNRS dédiés à cette thématique… et tant d’autres. Reste aux enseignants-chercheurs en droit à amorcer des partenariats stratégiques avec leurs homologues des sciences dures et molles car, à dire vrai, préparer les citoyens à la société qui advient ne paraît pas inopportun. 

Chacun peut rêver d’une IA au service du droit et de la justice (même dans le champ pénal). Évitons en revanche que Bercy, via la place Vendôme, impose des économies de bouts de chandelle en dictant le contenu et le calendrier des réformes. L’intelligence collective des chercheurs sera toujours plus rassurante que le new public management. Comme l’action collective définit mieux l’État que la très indolente startup nation.

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