Lecture: 6 min
N1592B3D
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
le 03 Février 2025
Mots clés : intelligence artificielle • incubateurs • financement • projets innovants • CNB
Alors que le premier quart de siècle vient de s’écouler, la profession d’avocat, comme beaucoup d’autres, est bousculée par l’essor des nouvelles technologies, doit se remettre en question et évoluer pour rester pertinente aux yeux des justiciables. C’est pourquoi le Conseil national des barreaux a créé la Commission Prospective et Innovation, avec pour mission d’observer et d’évaluer les mutations de la société auxquelles les avocats doivent adapter leur exercice et le fonctionnement de leur cabinet. Pour faire le point sur cette instance et ses missions, ainsi que sur l’impact à venir du développement de l’intelligence artificielle sur la profession, Lexbase Avocats a interrogé François Girault, avocat au barreau de Montpellier et président de la Commission Prospective et Innovation du CNB*.
Lexbase : Pouvez-vous nous expliquer les buts de la Commission Prospective et Innovation ?
François Girault : Elle a été créée assez récemment dans l'histoire du CNB. Je suis président de la Commission prospective innovation pour la mandature 2024-2026, donc sur une période de 3 ans. L’objectif, c'est d'analyser les tendances de la société, les signaux faibles, que ce soit au niveau économique, sociologique ou technologique, et faire en sorte d'anticiper les évolutions de la profession par rapport au futur qui s'annonce. À l'époque, on réfléchissait à tout ce qui était télétravail, legaltech, justice prédictive, et on voit bien que ce sont des sujets qui sont actuels aujourd'hui, qui vont emporter des conséquences au niveau de la structuration et de la configuration de la profession d'avocat.
Au début de la mandature, j'ai fixé quatre axes de réflexion.
Le premier était de suivre les travaux sur la qualité de vie au travail à la suite du rapport sur le bien-être des avocats de la commission PI sous la présidence de Sophie Ferry qui avait été publié et voté par l'assemblée générale du CNB en décembre 2023. Le but était de s'interroger pour améliorer la qualité de vie au travail, diminuer les burnout et les risques psychosociaux chez les avocats. En effet, nous sommes une profession qui a tendance à s'isoler et l'objectif est d'essayer d'identifier les confrères qui sont en difficulté pour pouvoir les aider à temps et éviter cette situation. Le 26 mai 2025, lors des États généraux de la prospective et de l'innovation, le sujet de la qualité de vie au travail sera abordé. Nous allons aussi lancer un réseau de référents au niveau national pour que le maillage territorial au niveau des barreaux nous permette d'identifier et de sensibiliser les confrères.
Il y a un deuxième sujet sur le financement de l'innovation par la profession d'avocat, des projets portés par les confrères. Quand j'étais en responsabilité à l'incubateur du barreau de Montpellier, j'ai accompagné des confrères qui ont raccroché la robe pour développer leur structure et qui manquaient de moyens financiers pour se développer. Et donc ce point identifié, j'ai déroulé un plan d'action en quatre étapes pour y remédier.
Le premier niveau d'action, c'est de créer des synergies entre les différents incubateurs et notamment un maillage territorial entre les confrères qui innovent.
Le deuxième point est la création d'un concours complémentaire à ce qui existe déjà, à savoir le concours des projets innovants porté par l’observatoire du CNB. L’idée serait que l’on ait deux concours distincts, le concours précité et un concours pour les projets plus aboutis pour les confrères qui ont déjà créé un business plan et ont peut-être fait un premier tour de table. Mais l'objectif est de démontrer qu’ils sont éligibles à des projets un peu plus matures. On est en parallèle aussi en discussion avec la Banque Publique d’investissement pour essayer d'harmoniser au niveau national la gestion des projets portés par des confrères.
La troisième étape serait de créer un véhicule de financement, mais abondé par les confrères. On créerait un véhicule par projet et ouvert aux 77 000 avocats. Il serait proposé aux confrères de monter au capital de ce projet porté par ce confrère. En effet, un confrère de Paris peut vouloir venir sur un projet qui se passe à Montpellier sans connaître l'existence de ce projet. L'objectif c'est de créer ce projet pour faciliter le financement, que les confrères puissent aller chercher des tickets, par exemple en amorçage de 50 000 à 100 000 euros.
Le quatrième projet serait un fonds d'investissement de la profession, à l’instar de ce qui existe déjà chez les notaires ou les experts-comptables. Nous sommes en discussion avec la Conférence des Bâtonniers et avec le barreau de Paris mais ce sont des enjeux importants qui engagent quand même les deniers de la profession.
Le troisième chantier sur lequel on travaille beaucoup, c'est l'intelligence artificielle. L'intelligence artificielle a été organisée au niveau du CNB par un groupe de travail transversal entre les différentes commissions CNB, qui a rendu un guide pratique en juillet 2024 pour démythifier ce domaine et sensibiliser les confrères aux bonnes pratiques, notamment préserver le secret professionnel et l’identité des clients. Les sujets de cybersécurité sont aussi évoqués. Il y a un autre chantier traité par le CNB depuis le début de la mandature, à savoir un benchmarking de solutions proposées par les éditeurs, les industriels et les legaltech. Concernant la formation initiale, le CNB travaille justement sur ce sujet-là avec les écoles d'avocat pour former et proposer des modules IA aux élèves avocats en formation.
Il y a également un sujet concernant la notion de consultation juridique, qui emporte des conséquences sur le périmètre du droit et la responsabilité professionnelle de l’avocat. L’utilisation d’un module IA peut-elle être considérée comme une consultation ? C’est une vraie question.
Lexbase : Justement, selon vous, quelles sont les transformations de la profession d’avocat à attendre du fait du développement de l’intelligence artificielle ?
François Girault : L’IA va transformer la profession. À titre d'exemple, des tâches auparavant effectuées par des élèves avocats ou des stagiaires seront mieux prises en charge demain par l’IA.
En revanche, il ne faut pas se leurrer, ce n’est pas parce que les outils vont nous améliorer qu'il faut oublier la formation. Il est essentiel à ce titre que les étudiants apprennent dans les écoles d'avocat à utiliser ces outils tout en gardant la notion d'analyse humaine parce que, finalement, cela reste des probabilités et il faut faire très attention à ce qu'il y a derrière. Nous allons passer d'un tryptique recherche/production/restitution par des avocats et collaborateurs à un nouveau tryptique recherche et production par une IA/vérification et restitution par les confrères. La profession d'avocat existait avant la machine à écrire, avant l'imprimerie, avant Internet et elle continuera d'exister après l'IA.
Le client aura toujours besoin d'un contact humain, d’un avocat avec qui discuter de la stratégie et ce n’est pas l’IA qui fera l'analyse psychologique des gens, qui reste une part essentielle du métier. Ce n’est pas elle non plus qui ira plaider au Palais à la place du pénaliste (par exemple).
C’est à la nouvelle génération de se saisir de ces outils de la manière la plus pertinente possible.
* Propos recueillis par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Public
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:491592