Le Quotidien du 29 janvier 2025 : Responsabilité

[Observations] Dépenses périodiques futures : le juge est libre de sa méthode, mais la capitalisation ne peut se faire dans le passé

Réf. : Cass. crim., 14 janvier 2025, n° 23-84.994, F-B N° Lexbase : A25216QG

Lecture: 5 min

N1568B3H

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Observations] Dépenses périodiques futures : le juge est libre de sa méthode, mais la capitalisation ne peut se faire dans le passé. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/115167770-observationsdepensesperiodiquesfutureslejugeestlibredesamethodemaislacapitalisationne
Copier

par Christophe Quézel-Ambrunaz, Professeur à l’Université Savoie Mont Blanc

le 28 Janvier 2025

Le juge est libre de capitaliser les rentes correspondant à des dépenses périodiques au jour du premier renouvellement, ou au jour de la liquidation ; en revanche, toute liquidation dans le passé est à proscrire.

Cet arrêt opère un rappel, et tranche un point nouveau. Le rappel est que la capitalisation ne peut se faire dans le passé. La nouveauté est que le juge est libre, en cas de dépenses périodiques futures, de capitaliser au premier renouvellement, ou non.

La capitalisation ne peut se faire dans le passé. Lorsqu’une rente indemnitaire est allouée, il est possible de la capitaliser. On suppose alors que la victime place son argent à un taux déterminé, et retire périodiquement sa rente, chaque retrait étant indexé pour tenir compte de l’inflation ; les barèmes de capitalisation tiennent compte de ces paramètres, mais aussi de la probabilité que la victime décède pendant ce temps.

Il est ainsi absolument dépourvu de sens de capitaliser dans le passé (au jour de la consolidation, par exemple) : cela reviendrait à prendre en compte les revenus d’un capital que la victime n’a pas perçu, une inflation qu’elle n’a pas subie si l’actualisation a bien été faite au jour de la liquidation, et une probabilité de décès, alors que par définition, elle est encore en vie.

La cour d’appel avait, dans la décision ici commentée, repris le prix de l’euro de rente retenu en première instance pour la tierce personne, alors que deux ans s’étaient écoulés entre les décisions : la victime était passée de 38 à 40 ans. L’arrêt est cassé, confirmant qu’il ne faut pas capitaliser dans le passé.

Quel est l’impact ? Sur le barème 2025 de la Gazette du Palais récemment publié, avec des tables prospectives, pour la vie entière, le prix de l’euro de rente à 38 ans est de 42,458 ; à 40 ans, 40,728. En négligeant la question de la revalorisation des sommes, on peut avancer que si la capitalisation se fait, non dans le passé à l’âge de 38 ans, mais en comptant deux annuités entre 38 et 40 ans, puis une capitalisation à 40 ans, alors la différence entre la méthode erronée et la méthode correcte est de (40,728 +2) – 42,578 = 0,15. Autrement dit, pour chaque euro de rente accordé, le capital est amputé de 15 centimes. Pour cette victime dont la rente annuelle s’élevait à un peu plus de 50 000 euros, l’écart est de 7 560 euros entre la méthode appliquée par la cour d’appel et celle préconisée.

La capitalisation des dépenses périodiques. Il n’est sans doute pas inutile de proposer un cas d’école pour présenter l’enjeu lié à la capitalisation des dépenses périodiques. Par dépenses périodiques, l’on vise ici celles qui sont à renouveler à une fréquence supérieure à l’année : frais de véhicules adaptés, prothèses, gros appareillage lié au handicap comme un fauteuil roulant…

Supposons – c’est le cas d’école – que la victime subisse un accident en 2018, soit consolidée en 2022, et que la liquidation intervienne en 2025. Elle a besoin d’un fauteuil roulant à renouveler tous les quatre ans, évalué à 8 000 euros au jour de la liquidation, et elle a acheté son premier fauteuil en 2019, le second en 2023, elle aura besoin d’un autre fauteuil en 2027. Le premier fauteuil doit être indemnisé au titre des DSA. Le second, acheté en 2023, doit l’être au titre des DSF, comme les suivants : il faut capitaliser une rente, représentant 2 000 euros par an, pour les achats ultérieurs.

Une possibilité est de capitaliser au jour de la liquidation, ce qui est techniquement le plus simple. Cette liquidation intervient au milieu de la période de renouvellement ; pour la période entre la liquidation et la date à laquelle le matériel devra être renouvelé, il y a une sorte de double indemnisation.

Une autre possibilité, évitant cet écueil, est de capitaliser au premier renouvellement suivant la date de liquidation (voir M. Le Roy, J-D. Le Roy, F. Bibal, A. Guégan, L’évaluation du préjudice corporel, 22è Ed, LexisNexis, 2022, n° 236). En toute rigueur, il s’agit alors de la capitalisation d’une rente différée, qui exige le respect d’une méthode particulière, et non l’utilisation du prix de l’euro de rente pour une personne de l’âge de la victime au jour de ce renouvellement (C. Quézel-Ambrunaz, Le droit du dommage corporel, Lextenso, 2è Ed., 2023, n° 467).

Dans l’arrêt sous commentaire, la cour d’appel avait utilisé, pour capitaliser, l’âge de la victime au jour de la décision, et le moyen lui reprochait de ne pas avoir effectué la capitalisation au premier renouvellement. La question était donc de savoir s’il fallait, ou non, capitaliser au premier renouvellement.

La Cour de cassation ne tranche pas entre les deux méthodes, elle retient que la cour d’appel « a souverainement apprécié les modalités de capitalisation les mieux à même d’assurer une réparation intégrale du dommage sans perte ni profit ». Aucune des deux méthodes n’est condamnée ! Si était examiné un arrêt qui a capitalisé au premier renouvellement, il y a fort à parier que le moyen serait de même rejeté.

Cette prise de distance de la Cour de cassation par rapport à la méthode de capitalisation n’est pas surprenante, dans la mesure où, souvent, les Hauts magistrats ont abandonné cette question à l’appréciation souveraine des juges du fond, notamment sur le choix du barème de capitalisation (Cass. civ. 2, 12 septembre 2019, n° 18-13.791, F-P+B+I N° Lexbase : A0800ZNX ; Cass. civ. 2, 10 décembre 2015, n° 14-27.243 N° Lexbase : A9030NY4 ; Cass. crim., 5 avril 2016, n° 15-81.349, FS-P+B N° Lexbase : A1714RCH). Pourtant, il n’est pas certain qu’il soit toujours question d’appréciations de fait ici.

newsid:491568

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus