Le Quotidien du 29 janvier 2025 : Fiscalité internationale

[Jurisprudence] À propos du couple « bénéficiaire effectif/bénéficiaire apparent » de dividendes

Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 8 novembre 2024, n° 471147, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A57096E8

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par Franck Laffaille, Professeur de droit public (IDPS) - Université de Sorbonne Paris Nord

le 27 Janvier 2025

Mots-clés : retenue à la source • bénéficiaire effectif • convention fiscale • dividendes

Contentieux il y a ici dans la mesure où l’administration fiscale a remis en cause l’exonération de retenue à la source dont une société – FVR – s’est prévalue en vertu de l’article 119 ter du CGI, à raison de l’acompte sur dividendes par elle versée (en 2014) à une société luxembourgeoise (VRI).


 

Le montant est de 3,6 millions d’euros. FVR se tourne vers le TA de Montreuil afin que soit prononcée – à titre principal - la décharge de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie. À titre subsidiaire, il est demandé au juge la réduction de ladite retenue par application du taux de 5 % visé à l’article 8 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958. Le TA de Montreuil ne fait pas droit aux demandes de la société (TA Montreuil, 23 septembre 2021, n° 2003368), décision confirmée par la CAA de Paris (CAA Paris, 7 décembre 2022, n° 21PA05986 N° Lexbase : A86868XY).

Le Conseil d’État fait lecture, de prime abord, du 2 de l’article 119 bis du CGI N° Lexbase : L6035LMH [1], de l’article 119 ter du CGI N° Lexbase : L3837KWZ [2], de l’article 187 du CGI N° Lexbase : L8918MCB [3], de l’article L. 64 du LPF N° Lexbase : L9266LNI [4].

Le Conseil d’État récuse l’argumentation de la requérante selon laquelle l’administration aurait implicitement utilisé la procédure de répression des abus de droit, et ce sans lui offrir les garanties inhérentes à l’article L. 64 du LPF. Il est constaté que VRI (la société de droit luxembourgeois) a reçu de FVR (la requérante française) – dont elle détient l’intégralité du capital social – un acompte sur dividendes de 3,6 millions d’euros en juillet 2014. Il est encore constaté que cette même somme est reversée le lendemain même par VRI à son associée unique (la société luxembourgeoise D.I.) et que VRI ne dispose pas d’autres fonds disponibles. Le juge est alors fondé à considérer que VRI (Luxembourg) – qui a pour seule activité le port des titres de FVR (France) – ne peut être considérée comme le bénéficiaire effectif (cf. l’article 119 ter du CGI) de la somme de 3,6 millions d’euros « sans écarter aucun acte comme ne lui étant pas opposable ». Les juges du fond n’ont pas commis d’erreur de droit et n’ont pas donné aux faits une inexacte qualification juridique.

Selon la requérante, une erreur de droit a été réalisée par la CAA en ce qu’elle a estimé non invocable le moyen tiré de la violation de la liberté d’établissement (articles 49 et 54 du TFUE). Plus précisément, FVR soutient que la mise en œuvre des articles 119 bis et 119 ter s’avère constitutive d’une atteinte à cette liberté d’établissement consacrée par le droit de l’UE. Le Conseil d’État fait lecture des articles 4 [5], 5 [6] et 6 [7] de la Directive (UE) n° 2011/96/UE du Conseil, relative au régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents. Le Conseil d’État s’appuie sur la jurisprudence de la CJUE (CJUE, 26 février 2019, aff. C-116/16, T Danmark N° Lexbase : A0975YZ7) pour cogiter sur la notion de bénéficiaire effectif des dividendes : « la qualité de bénéficiaire effectif doit être regardée comme une condition du bénéfice de l’exonération de retenue à la source prévue par l’article 5 de la Directive (UE) n° 2011/96/UE du 30 novembre 2011 ». Le 2 de l’article 119 ter du CGI – en vertu duquel la personne morale percevant les dividendes doit justifier être le bénéficiaire effectif pour profiter de l’exonération de retenue à la source – n’est pas réputé incompatible avec les objectifs de la directive. En outre, ajoute le Conseil d’État, le régime des sociétés mères issu du droit français (cf. les articles 145 N° Lexbase : L6168LUY et 216 N° Lexbase : L0832MLE du CGI) emporte transposition des objectifs de la Directive UE. Le législateur français n’a aucunement entendu traiter différemment les situations relatives aux sociétés françaises et les situations relatives aux sociétés d’États membres différents. Les articles 145 et 216 du CGI devant être lus à la lumière des objectifs de la directive UE – et la loi française étant conforme à ces objectifs – l’argument de la requérante n’est pas opératoire. Elle ne peut soutenir à bon droit que la loi française institue une différence de traitement fiscal (« entre sociétés mères percevant d’une filiale établie en France des dividendes dont elles ne sont pas les bénéficiaires effectifs, selon qu’elles sont elles-mêmes établies en France ou dans un autre État membre de l’Union européenne ») synonyme de violation de la liberté d’établissement. Outre cette argumentation tirée de la relation droit national/droit UE, le Conseil d’État rappelle que l’application d’une retenue à la source à une filiale distributrice établie en France (en vertu du 2 de l’article 119 bis du CGI) est « inhérente à cette technique d’imposition ». De plus, est-il ajouté, cela est sans incidence sur la qualité de contribuable de la société bénéficiaire non résidente ; la filiale peut d’ailleurs demander à cette dernière la restitution de l’imposition payée. La requérante ne saurait soutenir à bon droit que la remise en cause de l’exonération pèse uniquement sur la filiale distributrice française ; ne peut être réceptionné l’argument selon lequel une société mère française supporte seule la remise en cause du régime inhérent aux articles 145 et 216 du CGI « dont elle aurait indument bénéficié ». Enfin, la requérante n’est pas fondée en ses prétentions lorsqu’elle soutient qu’a été appliqué à l’assiette brute reconstituée un taux supérieur à celui prévu à l’article 187 du CGI. Certes, la retenue à la source – non spontanément prélevée lors du versement de dividendes - a bien été établie sur une assiette augmentée du montant de la retenue pour reconstituer le montant brut des dividendes perçus ; toutefois, une telle opération n’a eu « ni pour objet ni pour effet » d’appliquer un taux supérieur à celui visé à l’article 187 du CGI mentionné en amont. D’ailleurs, ajoute le juge, ce taux est inférieur au taux de l’IS qui aurait été appliqué à une société mère française ne pouvant jouir des mécanismes institués par les articles 145 et 216 du CGI (« à raison de la perception d’un même montant brut de dividendes »).

Quid de la convention fiscale signée entre la France et le Luxembourg en 1958 au regard du couple bénéficiaire effectif/bénéficiaire apparent ? [8] La convention est-elle applicable quand le récipiendaire de dividendes de source française n’est qu’un bénéficiaire apparent ? La société requérante fait valoir l’absence de toute clause expresse, dans la convention, qui subordonne l’application du taux réduit de retenue à la source à la qualité de bénéficiaire effectif d’un dividende de source française. Certes, concède le Conseil d’État ; pour autant, l’absence d’une clause expresse n’empêche nullement que l’administration fiscale refuse un tel avantage au récipiendaire dès lors que ce dernier n’est qu’un bénéficiaire apparent. Après avoir fait lecture des articles 8 [9], 10 bis [10] de la convention de 1958, le Conseil d’État estime que rien ne s’oppose à ce que « le bénéfice de l’application du taux réduit de retenue à la source (prévu) pour les revenus de dividendes payés par un résident de l’autre partie à la convention soit subordonné » à une condition. Cette condition est tout simplement que le résident soit « le bénéficiaire effectif de ces revenus ». Il appert alors que la convention n’est pas applicable dans l’hypothèse où le bénéficiaire de dividendes de source française – et résidant au Luxembourg – a la qualité de bénéficiaire apparent. Il va de soi que la convention a vocation à s’appliquer dans une autre configuration, immédiatement envisagée : celle où le bénéficiaire effectif réside dans un des deux États, y compris quand les sommes ont été versées à un intermédiaire établi dans un État tiers. Qu’il y ait intermédiation ne pose pas souci, au regard du point soulevé, dès lors que nous sommes en présence d’un bénéficiaire effectif ayant résidence dans l’un des deux pays. Le Conseil d’État conclut en posant qu’il n’y a pas lieu de faire application de l’article 8 de la convention franco-luxembourgeoise en ce qu’il prévoit un taux de retenue à la source de 15 %.

La requérante est déboutée ; l’arrêt de la CAA de Paris reçoit confirmation.

Pour aller plus loin, v. ÉTUDE : Luxembourg (Convention du 1er avril 1958), in Conventions fiscales internationales, Lexbase N° Lexbase : E17564ER
 

[1] « 2. Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France […] ».

[2] « 1. La retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis n'est pas applicable aux dividendes distribués à une personne morale qui remplit les conditions énumérées au 2 du présent article par une société ou un organisme soumis à l'impôt sur les sociétés au taux normal.

2. Pour bénéficier de l'exonération prévue au 1, la personne morale doit justifier auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement de ces revenus qu'elle est le bénéficiaire effectif des dividendes et qu'elle remplit les conditions suivantes :

a) Avoir son siège de direction effective dans un État membre de l'Union européenne ou dans un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales et n'être pas considérée, aux termes d'une convention en matière de double imposition conclue avec un État tiers, comme ayant sa résidence fiscale hors de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen […] ».

[3] « […] le taux de la retenue à la source prévue à l’article 119 bis est fixé à : […] 30 % pour tous les autres revenus ».

[4] « Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles.

En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité.

Les avis rendus font l'objet d'un rapport annuel qui est rendu public ».

[5] « 1.  Lorsqu’une société mère ou son établissement stable perçoit, au titre de l’association entre la société mère et sa filiale, des bénéfices distribués autrement qu’à l’occasion de la liquidation de cette dernière, l’État membre de la société mère et l’État membre de son établissement stable:

a) soit s'abstiennent d'imposer ces bénéfices dans la mesure où ces derniers ne sont pas déductibles par la filiale, et les imposent dans la mesure où ils sont déductibles par la filiale;

b) soit les imposent tout en autorisant la société mère et l’établissement stable à déduire du montant de leur impôt la fraction de l’impôt sur les sociétés afférentes à ces bénéfices et acquittée par la filiale et toute sous-filiale, à condition qu’à chaque niveau la société et sa sous-filiale relèvent des définitions de l’article 2 et respectent les exigences prévues à l’article 3, dans la limite du montant dû de l’impôt correspondant.

2.  Rien dans la présente directive n’empêche l’État membre de la société mère de considérer une filiale comme fiscalement transparente sur la base de l’évaluation par cet État membre des caractéristiques juridiques de la filiale au titre de la législation en vertu de laquelle elle a été constituée et, par conséquent, d’imposer la société mère sur la part des bénéfices de la filiale qui lui revient au moment où naissent ces bénéfices. Dans ce cas, l’État membre de la société mère s’abstient d’imposer les bénéfices distribués de la filiale.

Lorsqu’il détermine la part des bénéfices de la filiale qui revient à la société mère au moment où naissent ces bénéfices, l’État membre de la société mère exonère ces bénéfices ou autorise la société mère à déduire du montant de l’impôt dû la fraction de l’impôt sur les sociétés afférentes à la part des bénéfices de la société mère que sa filiale et toute sous-filiale ont acquittée, à condition qu’à chaque niveau la société et sa sous-filiale relèvent des définitions de l’article 2 et respectent les exigences prévues à l’article 3, dans la limite du montant dû de l’impôt correspondant.

3.  Tout État membre garde la faculté de prévoir que des charges se rapportant à la participation et des moins-values résultant de la distribution des bénéfices de la société filiale ne sont pas déductibles du bénéfice imposable de la société mère ».

[6] « Les bénéfices distribués par une filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source ».

[7] « L’État membre dont relève la société mère ne peut recevoir de retenue à la source sur les bénéfices que cette société reçoit de sa filiale ».

[8] Il est encore fait mention de la convention franco-allemande de 1959.

[9] « 1. Les dividendes payés par une société qui a son domicile fiscal dans un État contractant à une personne qui a son domicile fiscal dans l'autre État contractant sont imposables dans cet autre État. / 2. a) Toutefois, ces dividendes peuvent être imposés dans l'État contractant où la société qui paie les dividendes à son domicile fiscal, et selon la législation de cet État, mais l'impôt ainsi établi ne peut excéder : 1. 5 % du montant brut des dividendes si le bénéficiaire des dividendes est une société de capitaux qui détient directement au moins 25 % du capital social de la société de capitaux qui distribue les dividendes ; 2. 15 % du montant brut des dividendes, dans tous les autres cas ».

[10] « Pour bénéficier des dispositions de l'article 8, paragraphes 2, 3 et 4, (...) la personne qui a son domicile fiscal dans un des États contractants doit produire aux autorités fiscales de l'autre État contractant une attestation, visée par les autorités fiscales du premier État, précisant les revenus pour lesquels le bénéfice des dispositions visées ci-dessus est demandé et certifiant que ces revenus et les paiements prévus à l'article 8, paragraphes 3 et 4, seront soumis aux impôts directs, dans les conditions du droit commun, dans l'État où elle a son domicile fiscal. / (...) ».

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