Réf. : CE 9° et 10° ch.-r., 29 novembre 2024, n° 470958 N° Lexbase : A94326KK et n° 469012 N° Lexbase : A94286KE, mentionnés aux tables du recueil Lebon
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par Denis Fontaine-Besset et Arnauld Spiner, Avocats, Couderc Dinh et Associés
le 20 Janvier 2025
« L’abus de droit a consisté, par des actes non fictifs, à faire en sorte que l’être moral CDA puisse survivre en apparence à la réalisation de cet objet ». Le Rapporteur public Olivier Lemaire auprès de la cour administrative d’appel de Paris justifiait ainsi en 2018 le recours à l’abus de droit dans la fameuse affaire Wendel. Selon lui, la société constituée par les managers du groupe Wendel n’avait comme seul véritable objet que la mise en œuvre de l’intéressement de ces managers. La réalisation de cet objet social devait nécessairement entrainer sa dissolution et a liquidation et donc l’imposition du boni de liquidation entre les mains des associés.
Cependant, ce moyen n'avait pas été retenu en appel et il n'avait plus ou peu été évoqué, jusqu'à deux affaires récentes examinées par le Conseil d’État le 29 novembre 2024.
La première affaire (n° 470958) concerne la société Manag’Air, qui, en 2011, avait cédé son unique avion, perdu sa certification de transporteur aérien et licencié ses pilotes. L’associé unique avait ensuite vendu la totalité des actions de la société, appliquant l’abattement prévu à l’article 150-0 D ter du Code général des impôts N° Lexbase : L9350LHR pour les départs en retraite des dirigeants. L’administration fiscale a considéré que le prix de cession, après déduction des apports, devait être traité fiscalement comme un boni de liquidation imposable au barème progressif de l’impôt sur le revenu. Le Conseil d’État a, au contraire, jugé que « la cession des éléments d'actif nécessaires à l'exercice de l'activité opérationnelle d'une société n'est pas de nature, à elle seule, à conférer à la cession, postérieure, des titres de cette société un caractère artificiel dissimulant en réalité la liquidation ».
Le Conseil d’État restreint donc significativement la possibilité de recourir à la procédure d’abus de droit pour contester la poursuite d’une société après l'accomplissement de son objet social. Il souligne que cette situation pouvait néanmoins priver le contribuable de l’abattement prévu à l’article 150-0 D ter du CGI, parce que l’exercice d’une activité par la société dont les actions cédées est une condition à l’application de ce régime. Cette décision écarte le caractère abusif de la poursuite d’une société qui n’a plus d’activité effective. Le Conseil d’État ne donne pas pour autant raison au contribuable dès lors que le bénéfice du régime fiscal en cause est conditionné à la poursuite d’une activité sociale.
Dans un second arrêt (n° 469012), le Conseil d’été a validé le recours à l’abus de droit en présence de la cessation d’activité d’une société dont l’existence juridique a été maintenue.
Dans cette affaire, la société Hellier du Verneuil (HV) avait acquis toutes les parts d'une SCI soumise à l’impôt sur les sociétés, dont l'actif principal était un immeuble à usage commercial et de bureaux. Cet immeuble avait été cédé les parts de la SCI à des sociétés liées immédiatement après l’acquisition. Le produit de la vente avait été distribué à HV qui a appliqué l'exonération prévue par les sociétés mères par les articles 145 N° Lexbase : L6168LUY et 216 N° Lexbase : L0832MLE du CGI. HV avait ensuite constitué une provision pour dépréciation des parts de SCI pour un montant proche de celui des dividendes distribués. Cette provision a été considérée comme fiscalement déductible s’agissant de parts d’une société à prépondérance immobilière. La SCI a finalement été dissoute deux mois après la fin de la deuxième année de son acquisition pour assurer le bénéfice du régime d’exonération des dividendes.
Toutefois, le juge n’invoque pas une liquidation déguisée à titre général. Il examine spécifiquement les conditions d’application du régime mère fille aux dividendes distribués par une société vidée de sa substance. Le Conseil d’État, confirmant l'analyse de la Cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 21 septembre 2022, n° 21PA04204 N° Lexbase : A01478KN), a considéré que la poursuite de la SCI, qui s’est défaite de tous ses actifs, n'avait pour seul objectif que de se conformer formellement à la durée de conservation des parts nécessaire pour l’application du régime des sociétés mères. Ce respect formel de la condition de conservation des titres a été jugé contraire à l'intention du législateur qui a voulu encourager l’implication des sociétés mères dans le développement économique de leurs filiales. Cette condition ne pouvait être remplie dans le cas d’une société ayant définitivement cessé toute activité.
Cette décision doit être rapprochée de la recherche de la substance des filiales pour l’application du régime mère fille. Il avait ainsi refusé le bénéfice du régime mère fille aux distributions effectuées par une filiale dont l’activité se limitait à redistribuer des intérêts retirés d’investissements passifs (CE 9° et 10° ssr., 11 mai 2015, n° 365564, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8878NHB). Il s’est aussi opposé à l’application du régime mère fille aux distributions effectuées par des sociétés acquises après avoir cessé toute activité (montages dits « coquillards) (CE 9° et 10° ssr., 17 juillet 2013, n° 352989, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9569KIA).
Dans la décision du 29 novembre dernier, le Conseil d’État fait une application nouvelle de l’abus de droit en considérant que la SCI aurait dû être dissoute après la réalisation de son objet social. La question de l’existence d’un « abus de droit par abstention » se pose à nouveau. La rapporteure Céline Guibé a déjà évoqué cette possibilité à propos du maintien de la date de clôture de l’exercice d’une société qui avait acquis un groupe intégré fiscalement clôturant à une date différente. Le maintien de la date de clôture avait eu pour effet de réduire la durée d’un exercice à moins de 30 jours et avait permis d’éviter l’imposition de la quote-part de frais et charges sur les dividendes perçus des filiales du groupe acquis, à l’époque plafonnée aux frais réellement encourus. Le Conseil d’État avait confirmé l’existence d’un abus de droit mais sur la base d’un autre moyen (CE 9° et 10° ch.-r., 19 mai 2021, n° 429476, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A25104SR).
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