Le Quotidien du 30 décembre 2024 : Avocats/Structure d'exercice

[Textes] Dispositions réglementaires sur les sociétés d’avocats (1ère partie) : SCP et SEP

Réf. : Décret n° 2024-872 du 14 août 2024 relatif à l'exercice en société de la profession d'avocat N° Lexbase : L3126MN4

Lecture: 34 min

N0192B3I

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

[Textes] Dispositions réglementaires sur les sociétés d’avocats (1ère partie) : SCP et SEP. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/114084770-textes-dispositions-reglementaires-sur-les-societes-davocats-1ere-partie-scp-et-sep
Copier

par Bruno Dondero, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1), Avocat associé CMS Francis Lefebvre.

le 20 Décembre 2024

Mots-clés : avocat • sociétés •  SCP •  SEP •  professions libérales réglementées

Le décret n° 2024-872 du 14 août 2024 relatif à l'exercice en société de la profession d'avocat rend opérationnelles, pour les avocats, les dispositions de l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées.


 

1. Un texte attendu. Voici un texte qui était attendu, puisque le décret n° 2024-872 du 14 août 2024[1] relatif à l'exercice en société de la profession d'avocat rend opérationnelles, pour cette profession, les dispositions de l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées N° Lexbase : L7738MGP. Cette ordonnance avait repris, avec différentes modifications, les dispositions encadrant le fonctionnement des SCP et SCM, des SEL, des sociétés en participation et coopératives de professionnels libéraux, ainsi que des SPFPL[2]. L’ordonnance avait également prévu que « les conditions d’application » des dispositions relatives aux SCP « à chaque profession » seraient « déterminées par un décret en Conseil d’État pris après avis de l’autorité chargée de représenter la profession auprès des pouvoirs publics ou, à défaut, des organisations les plus représentatives de la profession considérée »[3], et des textes de même nature étaient également annoncés au titre des SEL[4]. Le décret qui est examiné ici fait partie d’une série de textes publiés le même jour et couvrant différentes professions du monde juridique, puisqu’il est accompagné de quatre autres textes traitant respectivement des notaires, des commissaires de justice, des greffiers des tribunaux de commerce et des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation[5].

2. … et « principalement à droit constant ». Ainsi que le formule la notice qui accompagne la publication du décret, celui-ci « reprend principalement à droit constant » les dispositions des décrets antérieurs sur les SCP, SEL et sociétés en participation d’avocats, ainsi que sur les SPFPL. L’ordonnance du 8 février 2023 reprenait en grande partie les textes préexistants sur les sociétés de professionnels libéraux, et le décret sur les sociétés d’avocats est lui aussi, pour beaucoup, une reprise des dispositions antérieures.

3. Entrée en vigueur et abrogation des décrets antérieurs. Le nouveau décret est entré en vigueur le 1er septembre 2024, aux termes de son article 151. Ce texte laisse par ailleurs aux sociétés existantes un délai d’un an, à compter de cette date, pour se mettre en conformité avec les nouvelles dispositions. Une exception est prévue, concernant ce délai de mise en conformité pour les sociétés d’avocats existantes, qui concerne l’obligation de communication au conseil de l’Ordre faite par l’article 44 de l’ordonnance n° 2023-77 aux SEL et aux SPFPL et portant notamment sur la composition du capital social et sur les pactes existant le cas échéant[6]. Le texte emporte en outre abrogation, aux termes de son article 148, du décret n° 92-680 du 20 juillet 1992 pris pour l'application à la profession d'avocat de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux SCP, et du décret n° 93-492 du 25 mars 1993 pris pour l'application à la profession d'avocat de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé.

4. Construction. Le nouveau décret est composé de six livres. Le premier Livre traite des sociétés civiles, c’est-à-dire des SCP et sociétés en participation (SEP). Le Livre II traite des SEL tandis que le Livre III est consacré aux SPFPL. Les Livres IV et V sont consacrés à l’application du dispositif dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle, d’une part, et à l’Outre-Mer, d’autre part. Un dernier livre renferme des dispositions diverses. Seront abordées dans cette première contribution les règles relatives aux SCP (I) et celles concernant les SEP (II)[7].

I. Règles relatives aux SCP

5. Une forme sociale en déclin, mais qui reste significative. C’est le Titre Ier du Livre Ier du décret qui encadre la constitution et le fonctionnement de ces sociétés pour la profession d’avocat. On sait que cette forme sociale est moins utilisée qu’autrefois par cette profession. On compte au 18 août 2024 un total de 11.262 SCP, toutes professions libérales confondues[8]. Les chiffres disponibles relatifs aux seules sociétés d’avocats sont un peu plus anciens, mais ils sont intéressants. Au 1er janvier 2022, on comptait 1.761 SCP d’avocats en France ce qui représente 13,8 % des groupements d’exercice actifs dans la profession ; on constate que ce groupement a perdu beaucoup de terrain, puisque dix ans auparavant, les SCP représentaient 34,1 % des groupements d’avocats[9].

6. Reconduction avec ses défauts de l’ancien décret. La SCP était jusqu’à présent encadrée par un décret n° 92-680 du 20 juillet 1992 (décret pris pour l'application à la profession d'avocat de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles N° Lexbase : L7112AZG), modifié à plusieurs reprises[10], qui se trouve abrogé par le nouveau décret, à compter du 1er septembre 2024[11]. Le nouveau décret reprend, avec une numérotation différente, l’essentiel de ce que prévoyait le décret précédent. Certaines règles à notre sens discutables, comme l’affirmation par voie réglementaire de l’incessibilité des parts d’industrie, contestable tant en opportunité qu’au regard de la norme choisie, sont reconduites à l’identique. L’article 12 du nouveau décret dispose ainsi dans son dernier alinéa que « Les parts d'intérêt correspondant aux apports en industrie sont incessibles et doivent être annulées lorsque leur titulaire se retire de la société pour quelque cause que ce soit, y compris lors de la dissolution de celle-ci ». L’ancien décret était, il est vrai, moins compréhensible sur ce dernier point, évoquant le cas où l’apporteur en industrie « se retire de la société pour quelque cause que ce soit, y compris la dissolution de celle-ci »[12]. On pourra également regretter que le copier-coller opéré sur certaines dispositions ait été jusqu’à en reprendre les coquilles[13], ou qu’une référence à la raison sociale qui s’était déjà maintenue dans le décret de 1992[14] ait réussi à se glisser également dans celui de 2024[15]. Plus substantiellement, il faut dire que peu a été fait pour faire évoluer le texte sur le fond.

A. Mise à jour

7. Mise à jour de certaines dispositions. Le nouveau décret prend en compte plusieurs évolutions opérées depuis la publication du décret du 20 juillet 1992, dont les dispositions n’avaient pas été modifiées. Ainsi, la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques N° Lexbase : L7957DNZ avait supprimé l’inscription des avocats sur la « liste du stage », mais le décret de 1992 appréhendait encore la situation, notamment pour exiger que tous les associés de la SCP ne soient pas des avocats stagiaires[16]. Le nouveau texte est expurgé de telles références[17]. C’est encore la référence à des dispositions du décret du 27 novembre 1991 qui est remplacée par celles du décret n° 2023-552 du 30 juin 2023 portant code de déontologie des avocats[18], tandis que le conseil de l’Ordre laisse la place, en matière de discipline, à « l’instance disciplinaire compétente »[19]. Ce sont encore les « mineurs et majeurs protégés » qui remplacent les incapables[20]. Une valeur en francs est enfin convertie en euros mais sans qu’il soit tenu compte de l’inflation, le montant nominal des parts de SCP ne pouvant désormais être inférieur à 15,25 euros, en lieu et place des cent francs précédemment exigés[21].

8. Précision accrue et rectifications. Parfois, les modifications apportées se limitent à préciser qu’un renvoi est fait, non plus « aux articles 101 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 », mais plus précisément « aux articles 101 à 103 » de ce même décret[22], ou bien à remplacer la référence précédemment faite au décret n° 84-406 du 30 mai 1984 par celle plus exacte aujourd’hui aux articles R. 123-31 et suivants du Code de commerce N° Lexbase : L9784HYZ [23], ce qui n’est pas toujours le cas d’ailleurs, la référence au décret de 1984 étant parfois maintenue[24]. D’autres modifications rectifient une erreur, comme la référence qui était faite à tort à l’article 1842 du Code civil N° Lexbase : L9480MM3 pour fonder la règle selon laquelle les apports en industrie des associés ne concourent pas à la formation du capital social[25]. N’est d’ailleurs plus visée « L’industrie des associés » mais plus clairement « Les apports en industrie des associés »[26].

B. Assouplissement

9. Anciennement, recours imposé à la LRAR. Le décret du 20 juillet 1992 imposait pour différentes opérations le recours à la lettre recommandée avec demande d’avis de réception. C’était le cas pour la demande d’inscription au barreau d’une SCP et pour l’information adressée à leur bâtonnier par les avocats inscrits dans un barreau autre que celui de la société (avec dans ces deux cas possibilité de recourir de manière alternative à la remise contre récépissé)[27], pour les notifications du projet de cession de parts en cas de demande d’agrément et pour d’autres notifications intervenant dans cette procédure[28], pour la notification du retrait à la société[29] et celle de l’exclusion à l’associé exclu[30], et enfin pour la demande des ayants droit d'un associé décédé tendant à l'attribution préférentielle à leur profit des parts sociales de leur auteur[31].

10. Remplacement par « tout moyen conférant date certaine à sa réception ». Le nouveau décret remplace la LRAR par une formule récurrente, qui vise, pour un envoi donné, « tout moyen conférant date certaine à sa réception ». Le travail d’adaptation des textes n’a pas toujours été fait de manière parfaite : par exemple, l’article 5 du nouveau décret ne prévoit plus que l’information adressée à leur bâtonnier par les avocats d’un barreau autre que celui de la société se fasse, comme précédemment par LRAR ou déclaration remise contre récépissé, mais lorsque le texte détermine le point de départ du délai d’un mois pour que le Bâtonnier qui le souhaite saisisse le conseil de l'Ordre pour faire connaître au bâtonnier saisi de la demande d'inscription de la SCP son avis sur la conformité des statuts aux dispositions législatives et réglementaires, ce point de départ est calculé « à compter de la réception de la lettre ou de la déclaration prévues au premier alinéa »… qui ne fait pourtant plus référence à une lettre ou déclaration !

11. Une incertitude regrettable. Au-delà de ces imperfections, que penser de cette évolution ? Il nous semble regrettable que les rédacteurs du décret du 14 août 2024 aient employé la formule de « date certaine » sans plus de précision, même si la formule retenue est présente dans un certain nombre de textes, par exemple en matière de procédure civile[32]. On aimerait simplement être certain de ce que sont précisément ces moyens conférant date certaine à leur réception. Le Code civil, lorsqu’il fait référence par son article 1377 à la « date certaine », conditionne l’acquisition par un acte sous seing privé d’une date certaine à l’égard des tiers à la survenance de trois événements alternatifs : (1) le jour de son enregistrement ; (2) le jour de la mort d'un signataire ; (3) le jour où sa substance est constatée dans un acte authentique. Ce n’est certainement pas en ce sens que la date certaine était entendue par les rédacteurs du décret du 14 août 2024. On peut supposer que la LRAR et la remise contre récépissé satisfont les exigences réglementaires… du moins si la remise intervient effectivement. S’agissant de la lettre recommandée électronique, on sait qu’elle était déjà équivalente à une lettre recommandée[33], mais qu’en est-il de l’envoi d’un courrier électronique, avec ou sans notification de réception ? Ces incertitudes sont d’autant plus gênantes que les utilisateurs de la SCP souhaiteront avoir une assurance absolue sur la date à prendre en compte, notamment dans le cadre de la procédure d’agrément des cessions de parts sociales. 

C. Evolutions sur le fonctionnement de la SCP

1) Décisions collectives

12. Décisions prises nécessairement en assemblée. On formulera là encore un regret, tenant au fait que le décret du 14 août 2024 a fait le choix de maintenir l’assemblée comme seul mode de prise de décision par les associés, en délaissant la consultation écrite, alors que celle-ci pourra très prochainement se faire par voie électronique dans les sociétés civiles de droit commun[34], et l’acte unanime des associés. Comme la loi du 29 novembre 1966 avant elle, l’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 laissait au décret particulier à chaque profession la liberté de déterminer « le mode de consultation des associés », et il ne nous apparaît pas que le singulier empêchait de prévoir des modes alternatifs. On peut estimer qu’il est préférable que les associés d’une SCP d’avocats se réunissent en assemblée, mais il faut encore souligner que la participation par visio-conférence ou par d’autres moyens de télécommunication n’est pas prévue et n’est donc pas autorisée.

13. Reprise à droit constant sauf une exception notable. Le fonctionnement des assemblées est repris à droit constant. S’agissant des décisions ordinaires, la référence à la « majorité des voix dont disposent les associés présents ou représentés »[35] est remplacée par celle visant la « majorité des voix des associés présents ou représentés »[36], ce qui ne devrait rien changer. Les statuts peuvent comme précédemment prévoir une majorité qualifiée ou exiger l’unanimité des associés, le nouveau texte comportant ici une coquille qui n’entrave toutefois pas la compréhension du dispositif[37]. Evolution de fond, en revanche : là où la modification des statuts supposait précédemment de réunir « la majorité des trois quarts des voix de l’ensemble des associés »[38], n’est plus requise désormais que « la majorité des deux tiers des voix de l'ensemble des associés »[39]. Le nouveau texte prévoit également que « Sauf clause contraire des statuts, la majorité requise pour approuver une des opérations mentionnées au deuxième alinéa de l'article 30 de l'ordonnance du 8 février 2023 », ce qui recouvre la transformation en SPPE ou la participation par voie de fusion à une telle société, est celle des deux tiers des voix de l’ensemble des associés[40].

14. Suppression de la cotation par le bâtonnier du registre des délibérations. Les procès-verbaux des assemblées sont comme précédemment « établis sur un registre spécial qui doit être conservé au siège de la société », mais il n’est désormais plus demandé que ce registre soit préalablement coté et paraphé par le bâtonnier du barreau du lieu de situation du siège de la société[41]. En revanche, les exigences résultant du droit commun des sociétés civiles devraient être respectées, ce qui implique que le registre spécial soit tout de même coté et paraphé dans les conditions de l’article 45 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978.

2) Cessions et transmissions de parts sociales

a) Mesure générale

15. Forme des notifications. On a déjà évoqué le remplacement de la LRAR par une notification par tout moyen conférant date certaine à sa réception. Ainsi qu’on l’a dit, cette évolution se retrouve aux différents stades de la procédure d’agrément[42] et de celle de retrait[43], ainsi que dans le cadre de la cession faisant suite à une exclusion[44] et en cas de demande par les ayant droits d’un associé décédé tendant à l’attribution préférentielle à leur profit des parts sociales de leur auteur[45].

b) Retrait

16. Référence modifiée à la procédure d’agrément en cas de retrait. Il était précédemment prévu par le décret du 20 juillet 1992, dans le cadre de la procédure de retrait, que lorsque la SCP mettait en place le rachat des parts par un tiers, les associés ou la société elle-même, un renvoi aux dispositions sur la procédure d’agrément. Le texte ancien comportait cependant une erreur, qui est corrigée par le nouveau décret, clarifiant en outre un renvoi. Ainsi, lorsque la cession mise en place par la SCP en réponse à la demande de retrait était consentie à un tiers, il était prévu qu’il était « procédé conformément aux dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l’article 25 »[46]. Or, le quatrième alinéa de l’article 25 du décret de 1992 visait l’hypothèse où les parts sociales sont acquises « par la société, par les associés ou l’un ou plusieurs d’entre eux ». C’est désormais, aux termes de l’article 27 du décret du 14 août 2024, « conformément aux dispositions des deuxième, troisième et cinquième alinéas de l'article 24 » qu’il doit être procédé, ce qui rectifie l’erreur. Par ailleurs, dans l’hypothèse où les parts sociales sont acquises par la société ou par tout ou partie des associés, il est renvoyé aux dispositions des quatrième et cinquième alinéas de l'article 24, ce qui clarifie les choses, l’ancien texte visant précédemment le seul cinquième alinéa de l’article 25[47].

c) Cession après décès

17. Clarification manquante. Si le dispositif est repris à droit constant, on s’étonnera que l’article 33 du nouveau décret, lorsqu’il envisage la cession à un tiers des parts sociales d’un associé décédé, n’ait pas été corrigé de la même façon que cela a été fait pour l’article 27 relatif au retrait[48].

3) Exercice de la profession

18. Simplification et précision. La disposition qui ouvre la section relative à l’exercice de la profession, l’article 40 du nouveau texte, procède à une simplification et à une précision. Il simplifie la rédaction antérieure, car si « toutes les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'exercice de la profession d'avocat » sont toujours déclarées applicables aux SCP et à leurs membres, il n’est plus précisé que cela vaut « spécialement » pour les dispositions relatives « à la déontologie, à la garantie et à la discipline », comme le faisait le texte antérieur[49]. En revanche, il est ajouté que cette applicabilité concerne non plus les « membres » de la SCP mais plus précisément les « membres exerçant au sein de la société ».

19. Prise en compte accrue de l’admission de la pluri-activité. L’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 avait posé par son article 8 comme règle de principe l’exercice par le professionnel libéral associé au sein d’une seule SCP, et l’exercice exclusif de son activité dans cette SCP. Dit autrement, on ne peut être associé que d’une SCP, et lorsque l’on a ce statut, on doit accomplir l’intégralité de son activité professionnelle au bénéfice de cette structure. Mais ce principe peut être écarté par la « disposition contraire du décret particulier à chaque profession », aux termes de l’article 8 précité de l’ordonnance. Cette possibilité est maintenue sans surprise par l’article 42 du nouveau décret et avec des renvois actualisés, lorsque ce texte dispose que « les statuts de la société peuvent prévoir la possibilité pour un associé d'exercer sa profession également selon une autre des modalités prévues à l'article 7 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée, notamment au sein d'une société pluri-professionnelle d'exercice prévue au livre IV de l'ordonnance du 8 février 2023 »[50]. Surtout, pour supprimer une incohérence, il n’est plus demandé comme précédemment que les avocats associés consacrent « à la société toute leur activité professionnelle d’avocat », ainsi que le faisait le texte ancien sans dérogation possible[51]. Notons encore que la dérogation à l’obligation d’exercer « les fonctions d’avocat au nom de la société », qui visait l’article 82 du décret de 1992, et qui concernait les mandataires judiciaires, n’est pas reprise[52].

D) Autres dispositions

1) Fusions et scissions

20. Reprise à droit constant… coquilles inclues ! Le nouveau texte reprend pour l’essentiel les dispositions du décret du 20 juillet 1992 sur les fusions et scissions. On notera que les coquilles sont reprises aussi, comme lorsque l’article 59 du nouveau décret dispose que « La société scindée est dissoute de plein droit à compter de la réalisation définitive de scission » (sic), formule que l’on trouvait déjà à l’article 57-3 du décret de 1992. L’apport partiel d’actif soumis au régime des scissions n’est pas reconnu davantage qu’il l’était sous le régime antérieur.

21. Absence de prise en compte des sociétés de droit commun. On regrettera que le nouveau texte n’appréhende que les opérations de fusion, scission et transformation avec des SCP ou SEL, mais pas avec une société d’avocats de droit commun. L’ordonnance du 8 février 2023 a certes réduit les différences entre ces structures et les SEL, mais les formes de droit commun demeurent formellement distinctes, et cela pourrait susciter des interrogations délicates au moment de réaliser une restructuration intégrant une société de l’une de ces formes.

22. Nouvelles règles de majorité pour les fusions et scissions. Avant la réforme, le décret du 20 juillet 1992 disposait que « Dans les sociétés civiles professionnelles d'avocats les opérations de fusion et de scission sont décidées par les trois quarts au moins des associés disposant des trois quarts des voix »[53]. Cette double majorité, en nombre d’associés et en nombre de voix, disparait, le nouveau texte n’exigeant plus que « la majorité des trois quarts des voix des associés »[54].

2) Dissolution et liquidation

23. Modification des règles de majorité. Pour l’essentiel, les règles relatives à la dissolution et à la liquidation sont maintenues par le nouveau décret, en tenant compte de l’allongement à deux ans, opéré par l’ordonnance du 8 février 2023, du délai de régularisation de la situation de la SCP devenue unipersonnelle[55]. Toutefois, un changement intervient à deux niveaux. Le premier changement est relatif aux majorités requises pour prononcer la dissolution anticipée en application de l’article 1844-7, 4° du Code civil N° Lexbase : L7356IZH. Là où était précédemment requise la double majorité des trois quarts, en nombre d’associés et en nombre de voix[56], seule la majorité des trois quarts des voix des associés est désormais exigée[57]. Le second changement concerne la majorité requise pour désigner le liquidateur en cas de survenance du terme statutaire ou de dissolution anticipée : d’une « majorité en nombre des associés détenant la moitié au moins des parts sociales et la moitié au moins des parts d'industrie »[58], on passe désormais à une exigence plus simple de la « majorité des voix des associés »[59]. On verra un peu plus loin que le dispositif pris globalement manque cependant encore de clarté[60].

24. Répétition de règles légales. On s’étonnera de voir le nouveau décret affirmer, dans la continuité de l’ancien, la règle de survie de la personnalité morale de la SCP pour les besoins de la liquidation[61]. Cette règle est déjà affirmée par le législateur pour toutes les sociétés à l’article 1844-8 du Code civil, et il n’était pas nécessaire de la reprendre. Une différence existe toutefois entre les deux textes : la disposition légale prévoit que la survie de la personnalité morale vaut « pour les besoins de la liquidation jusqu'à la publication de la clôture de celle-ci » là où la disposition réglementaire propre aux SCP mentionne une survie « pour les besoins de la liquidation jusqu'à la clôture de celle-ci ». La décision de clôture de la liquidation et la publication de cette décision n’interviennent pas nécessairement simultanément, et il y a donc une différence, mais on peut se demander si ce n’est pas par erreur que le texte réglementaire écarte la publication au profit de la seule date de clôture de la liquidation. D’autant que la hiérarchie des normes ne permettait peut-être pas au texte réglementaire une telle liberté. L’article 32 de l’ordonnance retient l’application aux SCP des articles 1832 N° Lexbase : L2001ABQ à 1870-1 N° Lexbase : L2068AB9 du Code civil, « dans leurs dispositions qui ne sont pas contraires à celles du [livre de l’ordonnance consacré aux sociétés civiles] ». En l’absence de dispositions de l’ordonnance de 2023 encadrant la liquidation des SCP, c’est donc la règle de l’article 1844-8 du Code civil N° Lexbase : L2028ABQ qui doit s’appliquer, sans qu’une disposition réglementaire puisse l’écarter. Par ailleurs, l’article 5 de l’ordonnance dispose certes que le décret en Conseil d’État propre à chaque profession détermine « les conditions d'application des articles 5 à 33 de la présente ordonnance » à cette profession, mais la liquidation elle-même n’est pas encadrée par l’ordonnance.

25. Maintien d’un système embrouillé. L’article 64 du nouveau décret dispose, reprenant à l’identique la formulation retenue précédemment par le décret du 20 juillet 1992[62], que « La liquidation est régie par les statuts, sous réserve des dispositions du présent chapitre et sauf les cas de nullité et de dissolution par suite de la radiation de la société ». Mais parce que les autres dispositions du décret ancien ont été reprises, on a maintenu un dispositif dont le moins qu’on puisse dire est qu’il est embrouillé. Le dispositif est tout d’abord confus dans ses relations avec le droit commun. Les SCP sont régies par le décret n° 78-704 du 3 juillet 1978 N° Lexbase : L1376AIS, qui consacre un certain nombre de dispositions à la liquidation des sociétés. Or, par la formule retenue, le nouveau texte semble exclure intégralement ce corps de dispositions réglementaires pour donner pleine compétence aux statuts, en l’absence de dispositions spécifiques aux SCP d’avocats. Ensuite, a été conservé un empilement de textes peu aisé à appliquer, particulièrement s’agissant de la désignation du liquidateur. La sous-section intitulée « Règles générales concernant la liquidation » dispose à l’article 65 que « Le liquidateur est désigné conformément aux statuts, sauf dans les cas prévus aux articles 64, 76 et 79 » et qu’ « A défaut, il est désigné soit par la décision judiciaire qui prononce la nullité ou la dissolution de la société, soit par la délibération des associés qui constatent ou décident cette dissolution ». On comprend donc que la majorité applicable pour la décision de désignation du liquidateur devrait être la même que celle décidant ou constatant la dissolution. Mais dans la sous-section consacrée aux « Dispositions particulières aux différents cas de nullité ou de dissolution de la société », un texte spécifique à la dissolution par survenance du terme et à la dissolution anticipée, l’article 74, dispose que « Le liquidateur est désigné à la majorité des voix des associés ».

II. Règles relatives aux sociétés en participation

26. Reprise quasi-intégralement à droit constant du texte ancien. Le Titre consacré aux SEP d’avocats reprend à droit quasi-constant le dispositif antérieur, qui résultait du décret n° 93-492 du 25 mars 1993 N° Lexbase : L4321A4S. On relèvera qu’aucune disposition particulière n’a été introduite pour appréhender l’innovation majeure opérée par l’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 en matière de SEP de professionnels libéraux, puisque l’on se souvient que ce texte a ouvert ces sociétés aux personnes morales[63], ce qu’une partie de la doctrine a à juste titre identifié comme une évolution importante[64]. De même, rien n’est dit sur les associations d’avocats ou sur les AARPI[65].

27. Modifications mineures. La première modification, de pure forme, mérite à peine d’être relevée, puisque le Titre sur les SEP est scindé en deux chapitres, l’un consacré à des dispositions générales, et l’autre au fonctionnement de la société. Il est par ailleurs procédé à une actualisation, l’ordonnance du 8 février 2023 remplaçant la loi du 31 décembre 1990 et la référence au stage étant supprimée. Plus au fond, la dernière modification consiste à reprendre la mesure de souplesse déjà rencontrée dans le cadre des SCP, remplaçant le recours obligatoire à la remise contre récépissé ou à la LRAR par l’emploi de « tout moyen conférant date certaine à sa réception »[66]. C’est la communication à chaque Bâtonnier concerné d’une copie de l’avis de constitution de la SEP et d’un exemplaire de la convention qui la fonde, et l’éventuelle mise en demeure adressée par un Bâtonnier, dans un délai d’un mois, de modifier la convention pour la mettre en conformité avec les règles applicables à la profession, qui sont concernées[67].

28. Attente d’un autre texte visant la SEP interprofessionnelle. Un décret en Conseil d’Etat était prévu par l’article 34 de l’ordonnance n° 2023-77 aux fins de déterminer les conditions dans lesquels « une société en participation peut (…) être constituée (…) entre personnes physiques et morales exerçant plusieurs professions libérales réglementées ». C’est un autre texte que celui sous examen qui édictera les règles en question.

 

[1] JORF n°0195 du 17 août 2024.

[2] Sur cette ordonnance, v. D. Gallois-Cochet, Réforme des sociétés des professions libérales réglementées, BJSavril 2023, p. 58 ; G. Valdelièvre, Réforme des sociétés de professions libérales réglementées par l’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023, Gaz. Pal. 20 juin 2023, p. 39 ; R. Mortier, M. Dubois et S. Bol, Réforme de l’exercice en société des professions libérales réglementées : analyse article par article de l’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023, Dr. Sociétés, oct. et nov. 2023, Dossier ; L. Grosclaude et J.-Ch. Pagnucco, Retour sur quatre apports essentiels de l’ordonnance du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales réglementées, JCP éd. E, 2023, 1248. Sur l’incidence sur la profession d’avocat, v. S. Nonorgue, La nouvelle réforme du droit des sociétés d'exercice des professions juridiques et judiciaires - À propos de l'ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023, JCP éd. E2023, 1092 ; A. Cadix, Les impacts de l’ordonnance du 8 février 2023 sur la profession d’avocat, Lexbase Avocats, mai 2024, N° Lexbase : L7738MGP.

[3] Ord. n° 2023-77 du 8 févr. 2023, art. 5, alinéa 4.

[4] Ord. n° 2023-77 du 8 févr. 2023, art. 45.

[5] Respectivement D. n° 2024-873 (notaires), n° 2024-874 (commissaires de justice), n° 2024-875 (greffiers des tribunaux de commerce) et n° 2024-876 (avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation), tous du 14 août 2024.

[6] D. n° 2024-872 du 14 août 2024, art. 111 et 136.

[7] Une seconde contribution à paraître traitera des SEL et des SPFPL.

[8] Source : site du CNGTC [en ligne].

[9] Source : site du barreau de Versailles [en ligne]. 

[10] Sur ce texte, v. not. J.-J. Daigre, Les sociétés civiles professionnelles d’avocats, BJS, 1992, p. 1047.

[11] D. n° 2024-372, art. 148, 1°.

[12] D. n° 92-680 du 20 juillet 1992 , art. 13, alinéa 3.

[13] V. ainsi art. 59 D. n° 2024-872, qui dispose que « La société scindée est dissoute de plein droit à compter de la réalisation définitive de scission » (sic), coquille déjà présente dans le texte antérieur (D. n° 92-680, art. 57-3).

[14] D. n° 92-680, art. 46, a).

[15] D. n° 2024-872, art. 45, 1°.

[16] D. n° 92-680 du 20 juillet 1992, art. 2, alinéa 2

[17] V. ainsi D. n° 2024-872 du 14 août 2024, art. 2. V. également art. 4,2, 23, 28, 35 et 46.

[18] D. n° 2024-872, art. 55, alinéa 2.

[19] D. n° 2024-872, art. 50.

[20] D. n° 2024-872, art. 29, alinéa 1er.

[21] D. n° 92-680, art. 13.

[22] D. n° 2024-872, art. 6.

[23] D. n° 2024-872, art. 14.

[24] V. ainsi, D. n° 2024-872. art. 20, alinéa 3.

[25] D. n° 92-680, art. 12, dernier alinéa.

[26] D. n° 2024-872, art. 11, dern. alinéa. Comp D. n° 2024-872, art. 38, alinéa 1er.

[27] D. n° 92-680, art. 4 et 5.

[28] D. n° 92-680, art. 24 et 25.

[29] D. n° 92-680, art. 28.

[30] D. n° 92-680, art. 30, 3ème alinéa.

[31] D. n° 92-680, art. 33, alinéa 1er.

[32] V. ainsi art. 82-1 C. pr. civ. : « Par dérogation aux dispositions de la présente sous-section, les questions de compétence au sein d'un tribunal judiciaire peuvent être réglées avant la première audience par mention au dossier, à la demande d'une partie ou d'office par le juge.

Les parties ou leurs avocats en sont avisés sans délai par tout moyen conférant date certaine. (…) ».

[33] V. C. postes et communications électroniques, art. L. 100, I N° Lexbase : L4899LAP : « L'envoi recommandé électronique est équivalent à l'envoi par lettre recommandée, dès lors qu'il satisfait aux exigences de l'article 44 du règlement (UE) n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 sur l'identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la Directive 1999/93/CE ».

[34] V. L. n° 2024-537 du 13 juin 2024 visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France N° Lexbase : L5923MMC, JORF, 14 juin 2024. Sur cette loi, v. A. Couret, La loi visant à accroître le financement des entreprises et l'attractivité de la France, Rev. Sociétés, 2024, p. 419 ; C. Coupet, Loi Attractivité : un vent de libéralisme souffle sur le droit des sociétés, BJS, sept. 2024, p. 45 ; B. Dondero, Loi visant à accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France : mesures de droit des sociétés, Lexbase Affaires [LXB=L5923MMCC].

[35] D. n° 92-680, art. 20, alinéa 1er.

[36] D. n° 2024-872, art. 19, alinéa 1er.

[37] D. n° 2024-872, art. 19, alinéa 2 : « Toutefois, les statuts peuvent prévoir une majorité plus forte ou de l'unanimité (sic) des associés, pour toutes les décisions ou seulement pour celles qu'ils énumèrent ».

[38] Art. 21, al. 1er

[39] D. n° 2024-872, art. 20, alinéa 1er.

[40] D. n° 2024-872, art. 20, alinéa 2.

[41] D. n° 2024-872, art. 17.

[42] D. n° 2024-872, art. 23 et 24.

[43] D. n° 2024-872, art. 27.

[44] D. n° 2024-872, art. 29.

[45] D. n° 2024-872, art. 32.

[46] D. n° 92-680, art. 28, alinéa 4. 

[47] D. n° 92-680, art. 28, alinéa 5.

[48] V. supra, n° 16.

[49] D. n° 92-680, art. 41.

[50] D. n° 2024-872, art. 42, alinéa 2.

[51] D. n° 92-680, art. 45. V. désormais D. n° 2024-872, art. 44.

[52] D. n° 2024-872, art. 43 

[53] D. n° 92-680, art. 57-5, alinéa 1er.

[54] D. n° 2024-872, art. 61, alinéa 1er.

[55] D. n° 2024-872, art. 82. 

[56] D. n° 92-680, art. 70, alinéa 2.

[57] D. n° 2024-872, art. 74, alinéa 2.

[58] D. n° 92-680, art. 70, alinéa 3.

[59] D. n° 2024-872, art. 74, alinéa 3.

[60] V. infra, n° 25.

[61] D. n° 2024-872, art. 63, alinéa 1er. V. précédemment D. n° 92-680, art. 59, alinéa 1er.

[62] V. D. n° 92-680, art. 60.

[63] Ord. n° 2023-7, art. 34.

[64] V. not. L. Grosclaude et J.-Ch. Pagnucco, art. préc., sp. n° 17-22.

[65] J.-J. Daigre, Les associations d’avocats : associations ou sociétés, personnes morales ou groupements de fait ?, JCP, éd. E, 1997, I.671 ; Les associations d’avocats après le décret du 15 mai 2007 : de bien curieuses associations…, Rev. Sociétés, 2008, p. 725. V. également J.-J. Caussain, La nouvelle donne des associations d’avocats, JCP éd. E, 2007, 1955 ; A. Rigaud, Conséquences de l’absence de personnalité morale et de patrimoine social sur e traitement fiscal des opérations effectuées par l’AARPI et ses membres associésGaz. Pal., 3 oct. 2015, p. 12 ; L’association d’avocats, ses associés, leur régime et la loi Macron, Gaz. Pal., 7 mars 2017, p. 19 ; J.-J. Daigre et Ch. Kaunan, Les « associations » d’avocats : des sociétés créées de faitD., 2023, p. 1247. Sur l’AARPI, v. le récent arrêt Cass. civ. 1, 24 avril 2024, n° 22-24.667, FS-B N° Lexbase : A7822289 ; Lexbase Avocats, mai 2024, obs. M. Le Guerroué ; Lexbase Avocats, juin 2024, note B. Dondero.

[66] V. supra, n° 9-11.

[67] D. n° 2024-872, art. 85.

newsid:490192

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus