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N1266B3B
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par Stéphanie Hiol, docteure en droit public, enseignante-chercheuse (LRU) en droit public à l’Université Polytechnique Hauts-de-France
le 18 Décembre 2024
Mots clés : transaction • médiation • règlement des différends • homologation
Les modes alternatifs de règlement des différends permettent de résoudre des contentieux avec l’administration sans avoir recours au juge administratif. Ils présentent de nombreux avantages, notamment en termes de célérité, de discrétion, d’adaptation et de désencombrement de l’office du juge. Ils permettent toutefois moins de garantir l’impartialité, la légalité et l’égalité que ne l’assure le recours au juge administratif. Parmi ces différents modes se trouve la transaction administrative.
Cette dernière renvoie à un contrat écrit par lequel des parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître [1]. Sa validité est soumise à plusieurs conditions. Conformément à l’article L. 423-1 du Code des relations entre le public et l’administration N° Lexbase : L1903KNS [2], une personne publique ne peut valablement transiger qu’à trois conditions : si l’objet de la transaction est licite, si elle contient des concessions réciproques et équilibrées et dans le respect de l’ordre public. Le contrôle du respect de ces conditions est opéré par le juge administratif lorsqu’il est saisi par les parties d’une demande d’homologation. La transaction administrative ayant force exécutoire, cette dernière est facultative. L’analyse du contrôle exercé par le juge révèle toutefois que ce dernier est marqué par une volonté accrue de protéger les intérêts de l’administration, en particulier les deniers publics de cette dernière. Pourtant, le juge de l’homologation se doit, entre autres, de vérifier le caractère équilibré des concessions réciproques. Mais, la volonté du juge de se rassurer que l’administration ne paye pas plus que ce qu’elle doit [3] le conduit à exercer parfois un contrôle déséquilibré des concessions réciproques (II). Ceci pourrait alors expliquer la force avec laquelle il encourage le recours à une transaction administrative, tout en y assurant sa présence (I). Le Conseil d’État encouragerait le recours à la transaction, dans laquelle il garantit sa présence, parce qu’elle constituerait le terrain sur lequel il pourrait assurer une meilleure protection des intérêts de l’administration. L’égalité, pourtant garantie par la justice étatique, se trouve ainsi mise à mal par le juge lui-même dans le cadre de la résolution amiable des différends.
I. Un recours à la transaction administrative encouragé par le juge
Le juge administratif développe une jurisprudence qui tend à favoriser le recours à la transaction administrative. En témoigne la multiplication des opportunités dans lesquelles l’administration pourrait transiger (A). Un tel encouragement ne traduit toutefois pas une volonté du juge de se dessaisir des affaires dans lesquelles celle-ci pourrait être impliquée. Bien que la demande d’homologation soit facultative, le juge multiplie aussi les opportunités pour lui d’être saisi par les parties d’une telle demande, garantissant ainsi sa présence dans ce mode alternatif de règlement des différends (B).
A. La multiplication des opportunités de recours à la transaction
L’administration et ses partenaires disposent de plus en plus d’opportunités de recourir à la transaction administrative pour régler les différends qui les opposent. Il en est ainsi car les domaines dans lesquels une transaction peut intervenir ont été multipliés par le juge.
Ce dernier admet, en effet, qu’une transaction administrative peut être conclue pour éteindre des différends nés ou à naître dans le cadre des rapports entre un service hospitalier et un agent de ce service [4], de même que dans le cadre de rapports entre un tel service et un usager [5]. Le juge administratif admet également qu’elle puisse intervenir dans le cadre d’une contestation à naître entre des concurrents sur une décision octroyant une autorisation, dans l’hypothèse où l’administration serait l’un des concurrents [6]. Il a également été admis que l’administration puisse transiger lorsqu’il est question de mettre un terme aux conséquences d’un accident subi dans le cadre d’une activité sportive organisée par un centre de loisirs dépendant d’une commune [7].
L’administration et ses partenaires ont également été encouragés à recourir à la transaction administrative par une multiplication des moments où celle-ci peut intervenir. Le Conseil d’État admet qu’une transaction puisse être conclue aussi bien en dehors de toute procédure juridictionnelle que dans le cadre de cette dernière. Elle peut également intervenir au cours d’une instruction faite par un établissement public à caractère administratif [8]. Il admet aussi, bien qu’il n’ait pas expressément traité de la question, qu’il lui est possible d’homologuer une transaction, à la demande d’une ou des parties, lorsqu’il est saisi d’un pourvoi en cassation [9]. En effet, au cours d’une instance, les parties avaient conclu un protocole transactionnel et le Conseil d’État avait été saisi, en cassation, d’une demande d’homologation de cette transaction. « Sans le détailler, ni le peser » [10], il avait accepté de l’homologuer. Une telle acceptation signifie qu’il avait validé l’idée qu’une transaction puisse intervenir en cassation. Cette même décision rend également compte de ce qu’une personne publique dispose de la faculté de transiger lorsque les juges de fond se sont déjà prononcés. En l’espèce, l’administration avait accepté notamment de renoncer à la moitié de la créance qu’elle détenait de la société compte tenu de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy en échange de l’engagement de cette société de maintenir une moyenne de 80 salariés au moins sur le site de Sarreguemines entre 2006 et 2011 ou à défaut de verser à la communauté d’agglomération une somme de 100 000 euros par année où cette moyenne ne serait pas atteinte.
Le juge a également multiplié les objets sur lesquels peut porter une transaction administrative. Cette dernière peut notamment porter sur une renonciation au recours pour excès de pouvoir. Ce qui n’a pas toujours été le cas. En effet, les conditions relatives à la licéité de l’objet et au respect de l’ordre public avaient conduit à rejeter une telle idée. Mais, le Conseil d’État en a jugé autrement puisqu’il est intervenu en juin 2019 [11] pour indiquer qu’une transaction peut porter sur une renonciation au recours pour excès de pouvoir. Il est ainsi désormais « permis de transiger sur le recours pour excès de pouvoir en contrepartie d’une indemnité » dès lors que ce type de recours n’est plus simplement conçu comme un outil du bon respect de la légalité, garant de l’intégrité du droit objectif, mais aussi comme un moyen d’obtenir la satisfaction d’un intérêt privé [12]. Le juge administratif admet aussi qu’une transaction puisse porter sur les droits d’un agent public [13]. De même, le recours à la transaction peut permettre à l’administration de mettre un terme à une procédure qui met en cause sa responsabilité [14]. La transaction administrative intervient ainsi de plus en plus dans des différends relevant des domaines de compétence du juge de l’excès de pouvoir et du juge du plein contentieux. Cette multiplication des champs d’intervention, des moments et des objets de la transaction ne traduit toutefois pas une volonté du juge de se dessaisir totalement des différends dans lesquelles l’administration est partie. Elle traduit simplement un encouragement fait à celle-ci de recourir à ce mode de règlement des différends où une meilleure protection pourra lui être accordée. Le juge multiplie, en effet, également ses opportunités d’intervention dans la transaction administrative, ce qui lui permettra par la suite d’exercer un contrôle bien plus favorable à l’administration.
B. Le renforcement de la présence du juge dans la transaction
Sur le principe, la transaction administrative a une force exécutoire. Elle a entre les parties autorité de chose jugée en dernier ressort [15]. En ce sens, celles-ci ne sont pas tenues de la demander. La demande d’homologation qui est adressée au juge est ainsi facultative. Le juge favorise toutefois le recours à cette demande d’homologation en évitant d’opérer un contrôle trop étroit. Il juge notamment que pour vérifier que la transaction ne constitue pas une libéralité de la part de la collectivité publique et présente, par conséquent, un caractère illicite, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le contenu de chacun des chefs de préjudice pris en compte dans l’accord transactionnel et d’apprécier, pour chacun d’eux, pris isolément, si les indemnités négociées sont manifestement disproportionnées. Pour lui, il convient simplement d’apprécier de manière globale les concessions réciproques consenties par les parties dans le cadre d’une transaction [16]. Une trop grande rigueur du juge pourrait, en effet, avoir pour conséquence de conduire à un faible recours à des demandes d’homologation [17]. Le juge choisit ainsi la souplesse pour favoriser de telles demandes. Il y parvient également en renforçant la possibilité pour les parties de le saisir d’une demande d’homologation.
À l’origine, la demande d’homologation ne pouvait être adressée au juge que si la transaction avait été faite en cours d’instance. Celui-ci pouvait soit conclure à l’existence d’un « contrat judiciaire », en déduisant du rapprochement entre les conclusions des parties en litige devant lui qu’un accord est intervenu entre elles sur un point particulier du litige,, soit sanctionner un accord intervenu entre les parties en cours d’instance [18]. Le Conseil d’État est par la suite intervenu pour élargir la possibilité pour les parties de lui soumettre une demande d’homologation. Il a admis qu’une telle demande puisse intervenir en dehors de toute procédure juridictionnelle à la condition que son exécution se heurte à des difficultés sérieuses ou qu’elle porte sur une situation complexe telle que celle créée par une annulation ou la constatation d’une illégalité non régularisable [19]. En le faisant, il a « créé une nouvelle voie de droit pouvant être empruntée par l'une des parties à la transaction qui souhaiterait, en dehors de tout litige, que celle-ci soit homologuée, afin par exemple que la partie intéressée puisse recourir contre la partie récalcitrante aux voies d'exécution forcée propres aux décisions de justice » [20]. Il n’a ainsi rien fait « de moins que créer de toutes pièces une nouvelle voie d’accès au juge administratif, aux côtés du recours pour excès de pouvoir, du recours de plein contentieux et d’autres formes de recours » [21]. Par ailleurs, la procédure élaborée par lui porte les marques du droit public. Elle n’est pas éloignée de celle généralement appliquée devant le juge administratif, mais l’est de l’homologation telle que pratiquée par le juge judiciaire [22]. Le juge administratif renforce ainsi sa présence dans ce mode de règlement alternatif de règlement des différends alors même que « le fait que la juridiction soit saisie d'une demande conjointe des signataires donne d'ailleurs à leur démarche un tour paradoxal. En l'absence de toute contestation entre les parties à l'acte, l'affirmation de la validité de la transaction ne revient-elle pas à reconnaître qu'au fond, le contrôle du juge n'était pas nécessaire ? » [23]. Le juge conçoit donc une transaction administrative à laquelle l’administration recourt fortement et dans laquelle il demeure présent, précisément dans la phase de l’homologation. L’analyse du contrôle exercé par lui dans cette phase rend compte qu’un tel encouragement de recourir à la transaction, avec un maintien de la présence du juge, se justifie par le fait qu’il s’agit là d’un terrain sur lequel ce dernier peut aisément assurer une meilleure protection des intérêts de l’administration, mettant ainsi à mal le principe d’égalité qu’offre le recours à la juridiction étatique.
II. Un contrôle déséquilibré de la transaction administrative réalisé par le juge
Le juge administratif exerce, sur la transaction administrative, un contrôle qui est encadré par des règles de compétence strictes. C’est ainsi qu’il n’est pas compétent lorsque la transaction est faite pour régler un différend en lien avec l’exécution de contrats conclus entre personnes morales de droit privé, qui présentent le caractère de contrat de droit privé et que les différends nés de leur exécution relèveraient de la compétence du juge judiciaire [24]. En effet, la transaction concernant un contrat qui n’est pas administratif n’est pas non plus administrative et le juge administratif n’est pas compétent pour la connaître. Les modalités du contrôle exercé par le Conseil d’État ont, quant à elles, été précisées dans son avis « l’Haÿ-les-Roses » de 2002 duquel il ressort qu’« il appartient au juge administratif de vérifier que les parties consentent effectivement à la transaction, que l’objet de celle-ci est licite, qu’elle ne constitue pas de la part de la collectivité publique une libéralité » [25].
Une analyse du contrôle exercé par le juge administratif, non centrée sur la manière dont ce dernier apprécie le caractère équilibré des concessions réciproques des parties à la transaction pourrait laisser croire à une préservation de l’équilibre entre ces dernières par l’exercice d’un contrôle équilibré (A). Or, une attention portée sur les éléments pris en compte par lui pour vérifier le caractère équilibré de ces concessions révèle un véritable déséquilibre de la nature de son contrôle et donc, un potentiel déséquilibre des concessions réciproques, dès lors que leur équilibre n’est même pas recherché (B).
A. Un équilibre apparent
Lorsqu’il exerce son contrôle sur la transaction administrative, le juge administratif apparaît souvent comme un protecteur de la légalité et un garant des deniers publics dans un contrôle équilibré. C’est ainsi qu’il n’hésite pas à annuler des transactions qui y portent atteinte. Dans une décision de la cour administrative d’appel de Bordeaux du 23 mai 2023 [26], cette dernière avait été amenée à contrôler une transaction administrative dans laquelle des avantages financiers avaient été accordés à une personne, précisément reconstruction de carrière, primes et indemnités. L’administration avait consenti à lui accorder de tels avantages alors même qu’elle n’avait pas réussi à un concours qui aurait seul pu justifier que cela lui soit accordé. Elle prévoyait aussi de lui accorder ce à quoi ce concours ne lui aurait pas donné droit. Par ailleurs, l’autorité qui avait signé cette transaction n’avait pas compétence pour le faire. La transaction en cause était ainsi doublement problématique : elle était entachée d’incompétence et son objet la rendait illicite. Toutes les décisions qui l’appliquaient étaient donc illégales. Sans surprise, le juge administratif procéda à une annulation. En se positionnant ainsi comme un juge de la légalité, le juge envoyait comme message à l’administration que la transaction administrative, dont le recours est fortement encouragé, ne saurait devenir un moyen détourné de porter atteinte à la légalité. La solution ainsi rendue par la cour est également parfaitement conforme au principe selon lequel l’administration ne doit pas payer ce qu’elle ne doit pas. La transaction ne devant pas constituer une libéralité de la part de celle-ci [27].
Le juge administratif assure également un contrôle satisfaisant du consentement donné dans la transaction. C’est ainsi qu’il valide un protocole transactionnel par lequel les parties renoncent à toutes réclamations ou actions de quelque nature que ce soit, pendant cinq ans au motif que le consentement de la société morale de droit privé qui avait accepté de transiger n’avait pas été vicié. Celle-ci ne s’étant pas trouvé dans un état de contrainte économique exercée par le groupe hospitalier avec qui elle avait transigé [28].
Le partenaire de l’administration se trouve également parfois protégé par le juge. Cela a notamment été le cas lorsque le Conseil d’État a jugé qu’une transaction administrative ne peut pas comporter renonciation aux intérêts moratoires [29]. L’objectif visé par cette décision étant alors de protéger la partie la plus faible du contrat administratif [30]. L’administration paraît, elle aussi, raisonnablement protégée par le juge lorsque ce dernier estime qu’un protocole transactionnel ne saurait s’étendre à la demande de paiement de travaux supplémentaires effectués postérieurement à la conclusion de ce protocole, ni à la réparation de préjudices subis postérieurement à la conclusion de ce protocole [31]. Elle l’est également lorsque le juge accepte d’homologuer une transaction qui lui permet de développer ses capacités d’action [32]. Le juge administratif a notamment accepté d’homologuer une transaction par laquelle l’administration consentait à renoncer à la moitié de la créance qu’elle détenait d’une société compte tenu d’un arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy, en échange de l’engagement de cette société à maintenir une moyenne de 80 salariés au moins sur le site de Sarreguemines entre 2006 et 2011 ou à défaut de verser à la communauté d’agglomération une somme de 100 000 par année où cette moyenne ne serait pas atteinte [33]. La protection de l’administration paraît toutefois moins raisonnable lorsque le contrôle, par le juge administratif, du caractère équilibré des concessions réciproques ne vise pas à garantir un équilibre entre les concessions des parties, mais le seul équilibre financier de l’administration.
B. Un déséquilibre avéré
Il convient d’indiquer que « le caractère équilibré de la concession implique que le juge fasse un contrôle de proportionnalité des concessions entre elles (soulignement personnel) » [34] et non simplement un contrôle de la concession faite par l’administration. Dans l’hypothèse où seule la concession faite par l’administration serait contrôlée par le juge, l’équilibre ne serait pas seulement faussé, il ne serait même pas recherché. La conséquence serait alors que des concessions réciproques potentiellement déséquilibrées seraient validées par le juge. Plusieurs affaires révèlent le caractère déséquilibré du contrôle exercé par le juge administratif.
La seule concession de l’administration est prise en compte par le Conseil d’État notamment lorsqu’il refuse d’attribuer à un contribuable d’obtenir une autorisation d’intenter une action en nullité de la transaction conclue par une communauté en vue de mettre fin à des conventions confiant à une société une délégation pour gérer les services publics de distribution des eaux et des assainissements dès lors que cela ne présente pas pour la commune un intérêt suffisant. Il considère, en effet, qu’une telle action est certes de nature à permettre à la commune, si elle aboutissait, de se faire rembourser l’indemnisation de 86,2 millions de francs versés en contrepartie de la fin anticipée des contreparties. Mais, elle la mettrait également, en cas de succès, dans l’obligation soit de résilier ces conventions en versant à son cocontractant une indemnité contractuelle de 282 millions, soit de saisir le juge du contrat d’une action tendant à ce que soit constatée leur nullité. Cette dernière action risquerait d’aboutir à ce que la ville soit tenue de verser à la société des eaux de Grenoble une indemnité supérieure à ce qu’elle s’est engagée à verser dans le cadre de la transaction [35]. Ce n’est pas tant le principe appliqué par le Conseil d’État dans cette affaire qui interpelle. Il juge, en effet, qu’il appartient à l’autorité compétente, lorsqu’elle examine une demande présentée par un contribuable sur le fondement des dispositions de l’article L. 2132-5 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L8673AAH [36], de vérifier, sans se substituer au juge de l’action, et au vu des éléments qui lui sont fournis, que l’action présente un intérêt suffisant pour la commune et qu’elle a une chance de succès » [37]. C’est davantage l’unique prise en compte de la concession faite par la commune qui retient l’attention. Mais, une telle démarche pourrait s’expliquer par le principe ci-dessus énoncé, justifié par la nature de la demande qui était adressée au Conseil d’État. La prise en compte de la seule concession de l’administration se comprend moins lorsque la demande est celle de l’homologation de la transaction et que le juge se doit de contrôler, notamment, le caractère équilibré des concessions réciproques.
Le Conseil d’État s’intéresse ainsi uniquement à la seule concession de l’administration notamment dans des hypothèses où il valide une transaction et accepte de l’homologuer. Le juge a ainsi eu à conclure à l’existence de concessions réciproques équilibrées dans une décision du 5 juin 2019, « Centre hospitalier de Sedan » [38]. Il y avait rappelé que l’administration peut, afin de prévenir ou d’éteindre le litige, légalement conclure avec un particulier un protocole transactionnel, sous réserve de la licéité de l’objet, de l’existence de concessions réciproques et équilibrées entre les parties et le respect de l’ordre public. Il a par la suite procédé au contrôle du caractère équilibré des concessions qui avaient été faites par les parties. Il a alors apprécié les éléments effectivement concédés par les parties : en l’espèce, la transaction prévoyait le versement par le centre hospitalier d’une somme de 35 000 euros en contrepartie de la renonciation de l’agent public à l’ensemble des contestations nées ou à naître du fait de sa carrière ou de sa sortie de service. Il a ensuite tenu compte de l’intérêt qui s’attache, pour les deux parties, au règlement rapide de leur différend. Mais, plutôt que de vérifier si les concessions sont proportionnelles entre elles et en déduire leur caractère équilibré, il s’est uniquement intéressé à la situation de l’administration. Il a tenu compte, d’une part, de la nature de la contestation faite par l’agent, des conséquences respectives d’une éventuelle annulation contentieuse prononcée pour les motifs de cette contestation [39], l’annulation pour l’un ou l’autre motif pouvant avoir pour conséquence l’obligation pour le centre de le réintégrer ou de le reclasser ou de lui ouvrir une rente viagère [40] et d’autre part, au droit à réparation des préjudices susceptibles de découler de l’illégalité de cette décision. Le juge conclut alors que la transaction ainsi contrôlée comporte des concessions équilibrées qui n’apparaissent pas manifestement déséquilibrées au profit de l’une ou l’autre parties. Pourtant, le contrôle exercé par lui met uniquement en balance ce qui a été payé par l’administration dans la transaction et ce qui aurait été payé par elle s’il y avait eu un recours contre la décision prise [41]. Il ne met pas en balance les concessions faites par les deux parties pour en faire un contrôle de proportionnalité entre elles.
Il apparaît ainsi que la volonté du juge de se rassurer que l’administration ne paye pas plus que ce qu’elle doit le conduit à exercer un contrôle déséquilibré des concessions réciproques, susceptible de fausser le caractère équilibré de ces concessions, pourtant recherché. L’idée de justice semble ainsi s’éloigner de la transaction administrative par le fait du juge dont on aurait pu croire que la présence aurait pu en assurer la garantie. Ainsi, l’analyse combinée de la nature du contrôle juridictionnel exercé sur le caractère équilibré des concessions réciproques et de la nature du régime construit par le juge offre une lecture particulière de ce mode de règlement des différends. Le recours à la transaction administrative est fortement encouragé par le juge, non par ce qu’il souhaite se dessaisir des affaires dans lesquelles l’administration est impliquée, puisqu’il y garantit sa présence, mais parce qu’il s’agit d’un terrain sur lequel il pourra garantir une meilleure protection de l’administration, notamment par l’exercice d’un contrôle déséquilibré des concessions réciproques.
[1] Définition issue d’une lecture combinée des articles 2044 du Code civil N° Lexbase : L2431LBN et L. 423-1 du Code des relations entre le public et l'administration.
[2] Pour plus de fluidité dans le texte, il sera par la suite parlé de Code des relations entre le public et l'administration.
[3] CE, Sect., 19 mars 1971, n° 79962 N° Lexbase : A2915B8H, Lebon p. 235. La règle est, en effet, que les personnes publiques ne doivent pas payer plus que ce qu’elles doivent.
[4] Voir not. CE, 5 juin 2019, n° 412732 N° Lexbase : A4275ZDP ; CAA Bordeaux, 23 mai 2023, n° 21BX00031 N° Lexbase : A69769WB.
[5] CE, 20 juin 2023, n° 460868 N° Lexbase : A094694S.
[6] CE, 7 novembre 2022, n° 454495 N° Lexbase : A01298SL.
[7] CE, 22 mars 2024, n° 455107 N° Lexbase : A47342WA.
[8] CE, 7 novembre 2022, n° 454495, préc.
[9] CE, 11 juillet 2008, n° 287354 N° Lexbase : A7071D9R.
[10] B. Pacteau, L’homologation encadre les transactions, elle ne les entrave pas, RFDA, 2008, p. 961.
[11] CE, 5 juin 2019, n° 412732, préc. ; voir également CE, 7 novembre 2022, n° 454495, préc..
[12] V. Cressin, Vers un essor de la transaction administrative, conséquence de l’évolution de son régime ?, AJCT, 2022, p. 263.
[13] CE, 5°-6° ch. réunies, 5 juin 2019, n° 412732, préc. : La transaction administrative peut permettre aux parties de mettre fin à l’ensemble des litiges nés de l’édiction d’une décision ou de prévenir ceux pouvant naître d’une décision admettant un fonctionnaire régi par la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière à la retraite pour invalidité non imputable au service, incluant la demande d’annulation pour excès de pouvoir de cette décision et celle qui tend à la réparation des préjudices résultant de son éventuelle illégalité.
[14] CE, 22 mars 2024, n° 455107 N° Lexbase : A47342WA.
[15] CE, avis, 6 décembre 2002, n° 249153 N° Lexbase : A4627A47.
[16] CE, 9 décembre 2016, n° 391840 N° Lexbase : A4014SPD.
[17] A. Lallet, Transaction administrative et contentieux de l’annulation des actes administratifs unilatéraux : l’aube d’une nouvelle ère ?, RFDA, 2020, p. 807.
[18] CE, Sect., 19 mars 1971, n° 79962, préc., Lebon p. 235.
[19] CE, avis, 6 décembre 2002, n° 249153, préc. Pour un exemple d'irrecevabilité d'une demande d'homologation qui ne satisfaisait pas ces conditions, TA Grenoble 2 mars 2004, Agence de maîtrise d'ouvrage des travaux du ministère de la Justice, BJCP, 2004, p. 291.
[20] P. Cassia, Les voies de recours ouvertes contre les jugements relatifs à l’homologation des transactions, AJDA, 2005, p. 1403.
[21] F. Donnat et D. Casas, Le juge administratif peut homologuer une transaction en dehors de tout litige, AJDA, 2003, p. 280.
[22] Ibid.
[23] P. Théry, Les voies de recours contre le refus d’homologation d’une transaction par le tribunal administratif ou mieux vaut prévenir que guérir…, RTD civ., 2006. 145.
[24] T. confl., 7 février 2022, n° C4233 N° Lexbase : A38907Q7.
[25] CE, avis, 6 décembre 2002, n° 249153, préc.
[26] CAA Bordeaux, 23 mai 2023, n° 21BX00031 N° Lexbase : A69769WB.
[27] CE Section, 19 mars 1971, n° 79962, préc.
[28] CE, 7 novembre 2022, n° 454495 N° Lexbase : A01298SL.
[29] CE, 18 mai 2021, n° 443153 N° Lexbase : A08234SB.
[30] Voir sur ce point J. Bousquet, Concessions d’aménagement, transaction et renonciation au paiement des intérêts moratoires, AJDA, 2021, p. 1873.
[31] CAA Marseille, 6ème ch., n° 19MA00604 N° Lexbase : A29477Z8.
[32] B. Pacteau, L’homologation encadre les transactions, elle ne les entrave pas », RFDA, 2008, p. 961.
[33] CE, 11 juillet 2008, n° 287354 N° Lexbase : A7071D9R.
[34] V. Cressin, Vers un essor de la transaction administrative, conséquence de l’évolution de son régime ?, AJCT, 2022, p. 263.
[35] CE, 29 décembre 2000, n° 219918 N° Lexbase : A2061AI8.
[36] Cet article dispose que : « Tout contribuable inscrit au rôle de la commune a droit d'exercer, tant en demande qu'en défense, à ses frais et risques, avec l'autorisation du tribunal administratif, les actions qu'il croit appartenir à la commune et que celle-ci, préalablement appelée à en délibérer, a refusé ou négligé d'exercer» .
[37] Ibid.
[38] CE, 5 juin 2019, n° 412732 N° Lexbase : A4275ZDP.
[39] En l’espèce, l’appréciation portée par l’administration sur son inaptitude à l’exercice de ses fonctions et sur l’imputabilité au service de son inaptitude de son accident qu’il estime être à l’origine de son invalidité.
[40] La rente viagère qui s’ajoute à la pension de retraite si l’invalidité est reconnue imputable au service.
[41] Voir également CE, 9 décembre 2016, n° 391840, préc.
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