Réf. : Cass. civ. 3, 12 septembre 2024, n° 22-17.070, FS-B N° Lexbase : A77015YU
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par Christine Lebel, Maître de conférences HDR, Université de Franche-Comté
le 23 Septembre 2024
► Il résulte des articles L. 411-4, alinéa 1, du Code rural et de la pêche maritime et 1328 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qu'en présence de deux baux ruraux successifs portant sur les mêmes biens consentis à des preneurs différents, le bail ayant acquis le premier date certaine est opposable au locataire qui, à cette date, était déjà en possession des biens loués en vertu d'un titre antérieur n'ayant pas date certaine si le preneur qui se prévaut de l'antériorité de son titre est de bonne foi, à défaut pour lui de connaître cette situation.
En l’espèce, un premier contrat de bail rural a été conclu par acte sous seing privé du 1er juillet 2013 au profit d’un exploitant agricole ayant mis les terres louées à disposition d’une SCEA. Puis par un second acte sous seing privé du 15 juillet 2015 enregistré le 23 juillet suivant, les bailleurs ont donné à bail rural les mêmes biens à une EARL. Le bailleur est décédé laissant plusieurs héritiers indivis. Par requête du 25 mai 2018, la SCEA et son associé-exploitant ont fait convoquer devant le tribunal paritaire des baux ruraux les bailleurs ainsi que l’EARL et ses associés-exploitants. Par un arrêt du 31 mars 2022 (CA Dijon, 2e ch. civ., 31 mars 2022 N° Lexbase : A99377RH), la cour d’appel de Dijon a confirmé le premier jugement ayant rejeté la demande de l’associé exploité et de l’EARL tendant à la condamnation in solidum des bailleurs et elle a infirmé le jugement critiqué en ordonnant la libération des fonds loués à l’associé-exploitant de la SCEA par bail du 1er juillet 2013, par toute personne, animal ou bien ne procédant pas de ce bail. L’EARL et les bailleurs ont formé un pourvoi.
Question. En cas de conflit entre deux baux successifs conclus par le bailleur avec deux preneurs distincts et portant sur les mêmes biens, lequel est opposable à l’autre preneur ?
Enjeu. Seul le bail rural jugé opposable aux tiers permet au preneur d’être ou de rester en possession des biens loués et de les exploiter.
Réponse de la Cour de cassation. Par un arrêt du 12 septembre 2024, la Cour de cassation rappelle, que selon l’article L. 411-4, alinéa 1er, du Code rural et de la pêche maritime N° Lexbase : L3136AEU les contrats de baux ruraux doivent être écrits. En outre, aux termes de l’article 1328 du Code civil N° Lexbase : L1438ABU, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, les actes sous seing privé n'ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l'un de ceux qui les ont souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans les actes dressés par des officiers publics, tels que procès-verbaux de scellé ou d'inventaire. « Il en résulte qu'en présence de deux baux successifs portant sur les mêmes biens consentis à des preneurs différents, le bail ayant acquis le premier date certaine est opposable au locataire qui, à cette date, était déjà en possession des biens loués en vertu d'un titre antérieur n'ayant pas date certaine si le preneur qui se prévaut de l'antériorité de son titre est de bonne foi, à défaut pour lui de connaître cette situation ».
Toutefois, la cour d’appel a ordonné la libération des parcelles louées à l’associé-exploitant de la SCEA par bail du 1er juillet 2013 et condamné l'EARL et les bailleurs in solidum, à payer diverses sommes à la SCEA et à son associé-exploitant, au motif que certains des propriétaires indivis des parcelles ont indiqué avoir eu connaissance de la mise à disposition des terres louées à la SCEA, ce dont il résulte qu'ils ne remettaient pas en cause la validité du bail consenti le 1er juillet 2013 par leurs auteurs, qu'il était démontré qu'au cours des années antérieures à l'entrée sur les parcelles de l'EARL, l’associé-exploitant de la SCEA avait réglé à certains héritiers leur part indivise dans le montant du fermage stipulé à ce bail et qu'il en résultait que ce preneur était bénéficiaire, sur les fonds concernés, d'un bail rural antérieur à celui du 15 juillet 2015. La Cour de cassation censure les juges du fond pour défaut de base légale au motif que la cour d’appel aurait dû rechercher, comme il le lui était demandé, si l'EARL, preneuse du bail du 15 juillet 2015 enregistré le 23 juillet 2015, avait connaissance de l'occupation antérieure des parcelles par le premier preneur et la SCEA en vertu du bail du 1er juillet 2013 qui n'avait pas été enregistré.
En cas de baux successifs, comment régler le conflit entre les preneurs dont l’un seulement a conclu un bail rural enregistré ayant par conséquent date certaine ? Il semble que la bonne foi soit le critère déterminant pour trouver une solution. En effet, la Cour de cassation précise que « le bail ayant acquis le premier date certaine est opposable au locataire qui, à cette date, était déjà en possession des biens loués en vertu d'un titre antérieur n'ayant pas date certaine si le preneur qui se prévaut de l'antériorité de son titre est de bonne foi, à défaut pour lui de connaître cette situation ». Le reproche formulé à l’encontre des juges du fond est de ne pas avoir vérifié si le bail du preneur ayant acquis le premier date certaine (celui de 2013 l’ayant acquis en raison du décès du bailleur), était ou non de bonne foi, autrement dit s’il avait eu connaissance au moment de la conclusion du bail en 2015 de la possession des biens loués en vertu d’un bail rural n’ayant pas été enregistré. Telle sera la mission de la cour de renvoi.
La solution n’est pas nouvelle, la Cour de cassation ayant jugé dans un arrêt publié du 25 juin 1975 (Cass. civ. 3, 25 juin 1975, n° 74-10.397 N° Lexbase : A9676CI9) que le bail ayant acquis le premier date certaine n’est pas opposable au preneur en possession des lieux loués dès lors que ceux invoquant l’antériorité de leur titre avaient connaissance de la situation du preneur titulaire d’un bail rural conclu antérieurement mais sans date certaine.
Pour aller plus loin : cf. ÉTUDE : Établissement du contrat de bail, spéc. Contrat écrit de bail rural in Droit rural (dir. Ch. Lebel) Lexbase N° Lexbase : E8923E9D. |
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