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par Delphine Boesel, avocate au barreau de Paris, membre du conseil de l’Ordre, ancienne présidente de l’Observatoire International des Prisons, section française
le 05 Septembre 2024
Que peut-on dire de plus sur cet immense avocat qui vient de nous quitter ?
Tout a été écrit, tout a été dit sur Henri Leclerc par des avocats, des magistrats, des journalistes depuis ce soir du 31 août 2024 où la nouvelle se répandait dans le monde judiciaire et au-delà. Tout a été évoqué sur ce qu’il représentait pour des générations d’avocats, des plus anciens aux plus jeunes.
Toute sa vie professionnelle, militante, parfois personnelle a été mise à l’honneur avec émotion, avec talent par tant de plumes du barreau, par tant de compagnons de lutte, que ce soit la ligue des droits de l’homme, le syndicat des avocats de France, l’observatoire international des prisons et tant d’autres, que rajouter une voix pourrait apparaître superfétatoire.
Et pourtant.
Au-delà du barreau de Paris, auquel il appartenait depuis 1955 et qui avait voté son honorariat à l’occasion d’un conseil de l’Ordre en décembre 2021, tout le barreau français a exprimé sa tristesse tellement Henri Leclerc représentait l’image de ce qu’est « être un avocat ». Ainsi au-delà du périphérique, au-delà des frontières de la France métropolitaine et encore au-delà, il était celui qui ne se résignait jamais, qui « croyait au matin », qui rappelait que l’avocat veille à la fraternité, aimant rappeler les vers de la balade des pendus de François Villon « frères humains qui après nous vivez, n’ayez le cœur contre nous endurci ».
L’humanité et la fraternité chevillées au corps.
Henri Leclerc était de tous les combats pour la dignité des personnes et la défense des libertés et de l’État de droit, dont il était – et encore récemment – un protecteur intransigeant quand les attaques ont pu se faire pressantes au cours des dernières années.
Lorsque le monde judiciaire a rendu hommage, le 13 février 2024 à Robert Badinter, il était présent sur les marches du palais de justice de Paris, évoquant leur dernière conversation téléphonique. Ils étaient l’un et l’autre au seuil de leur vie et ils parlaient de la prison, de cette surpopulation carcérale qui n’en finit pas de s’aggraver. Jusqu’au bout des combats.
S’il a pu écrire qu’il a « toujours détesté la prison », il en a arpenté les couloirs et les parloirs pendant des années. Il est même monté sur le toit de la prison de la Santé pour aller discuter avec un prisonnier qui voulait se suicider mais qui l’ayant entendu se battre contre la prison, avait besoin de lui parler de sa vie dans ce vieil établissement. Il en a dénoncé l’inhumanité et l’indignité dans les prétoires à Nancy pour défendre ceux qui avaient engagé les mutineries des prisons de l’est au début des années 70.
Ces grandes révoltes qui ont peut-être été une des premières pierres, des années après, d’un mouvement permettant la naissance du droit pénitentiaire, l’entrée du droit derrière les barreaux et l’impérieuse nécessité de le faire respecter. Ainsi, il fut un compagnon de route de l’Observatoire international des prisons, répondant présent à l’appel de l’association lorsqu’il s’agissait de porter la voix de celles et ceux de l’intérieur, poursuivant tout au long de sa vie cette lutte contre l’indignité des conditions de détention, de salles d’audiences en colloques jusqu’aux marches du palais de justice un 13 février 2024.
Au travers des combats qu’il a pu mener, tant professionnels que politiques, cette humanité qui l’habitait lui faisait choisir le côté de celles et ceux qui sont écrasés par l’institution. S’il n’y a pas que le droit pénal ni les prisons dans les luttes à mener, il a pu se trouver du côté des plus vulnérables face à une société déshumanisante et qui fragilise au lieu de réparer.
Au moment d’accepter que la nuit recouvre ce matin dans lequel nous voulons toujours croire, au moment de dire adieu à cet avocat, honoré de toutes et tous, il est émouvant de dire que son barreau a pu lui rendre hommage de son vivant ; peut-être a-t-il trouvé la démarche étrange, anachronique ? « Pourquoi le Bâtonnier de Paris veut-il donner mon nom à la salle du conseil, je ne suis pas encore mort ? » a-t-il pu se dire. C’était le 30 avril dernier.
Mais justement c’était une manière pour celles et ceux qui prennent des décisions au nom des avocats parisiens de lui montrer toute l’admiration pour l’homme et l’avocat qu’il était, pour le modèle qu’il représente pour tant de générations de consœurs et confrères, qui garderont l’empreinte de la parole et de l’action.
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