Réf. : Cass. civ. 1, 10 juillet 2024, n° 23-19.042, F-B N° Lexbase : A22325PD
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par Jean Sagot-Duvauroux, Maître de conférences en droit privé (HDR) à l'Université de Bordeaux
le 24 Juillet 2024
►Les articles 4 et 11 de la Convention internationale des droits de l’enfant ne sont pas d’application directe et ne peuvent donc pas être invoqués devant les tribunaux pour demander le retour de l’enfant dans son pays d’origine lorsque la Convention de La Haye de 1980 est inapplicable ; l’article 7 de la Convention de La Haye de 1996, qui prévoit une règle de compétence dérogatoire en cas d’enlèvement d’enfants, ne trouve à s’appliquer qu’entre États contractants.
La Convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants N° Lexbase : L0170I8S constitue indéniablement le texte phare en matière de lutte contre les enlèvements internationaux d’enfants. En vigueur dans plus de cent États répartis dans le monde entier, il permet aux parents victimes d’enlèvements de demander au juge de l’État au sein duquel l’enfant a été illicitement déplacé qu’il ordonne son retour immédiat dans l’État d’origine. Cet instrument ne peut toutefois être mis en œuvre que lorsque l’enfant a été déplacé d’un État contractant vers un autre État contractant. Lorsque tel n’est pas le cas parce qu’un État non-signataire de la Convention de 1980 est impliqué, le parent victime doit s’efforcer de trouver un autre fondement pour demander le retour de l’enfant. Ces chances de succès sont alors beaucoup plus incertaines. C’est ce qu’illustre l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 10 juillet 2024.
En l’espèce, un couple résidant de manière habituelle en Inde donne naissance à deux enfants nés en 2007 et 2009. Le divorce est prononcé en France par un jugement en date du 15 juin 2016. Ce jugement homologue une convention prévoyant l'exercice conjoint de l'autorité parentale et la fixation de la résidence des enfants en alternance au domicile de chacun des parents. En juillet 2022, le père part vacances en France avec les deux enfants et y demeure après la fin des vacances d’été. La mère saisit alors un juge aux affaires familiales français afin que soit constaté le déplacement illicite et ordonné le retour des enfants en Inde.
Au second degré, la demande de retour exercée par la mère est rejetée. Elle se pourvoit alors en cassation. L’Inde n’étant pas signataire de la Convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, c’est naturellement sur un tout autre fondement que la requérante tente de faire ordonner le retour de l’enfant.
Dans son moyen unique, la requérante reproche tout d’abord aux juges du fond d’avoir violé l’article 9 de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) N° Lexbase : L6807BHL en rejetant sa demande de retour. Il est vrai qu’en vertu de cette disposition, « les États parties doivent veiller « à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré ». Toutefois, les juges de la première chambre civile écartent rapidement ces arguments tirés de la violation de l’article 9 de la CIDE les estimant irrecevables ou manifestement pas de nature à entraîner la cassation (CPC, art. 1014, al. 2 N° Lexbase : L5917MBR).
Est également alléguée une violation des articles 4 et 11 de la CIDE. Le premier de ces textes consacre, de manière générale, le devoir pour les États signataires de « prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la présente Convention ». Quant au second, il fait obligation aux États de lutter contre les déplacements et les non-retours illicites d’enfants à l’étranger.
La Cour de cassation rejette cet argument en considérant, à l’instar des juges d’appel, que les articles 4 et 11 de la CIDE ne sont pas dotés d’un effet direct. En d’autres termes, contrairement, par exemple, à l’article 3 § 1, qui fait de l’intérêt de l’enfant une considération primordiale dans toutes les décisions le concernant, et à l’article 12, qui consacre le droit du mineur à être entendu (v. Cass. civ. 1, 18 mai 2005, n° 02-20.613, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3029DIZ), ces dispositions ne créent d’obligations qu’à la charge des États et ne peuvent pas être utilement invoquées devant les tribunaux.
Enfin, au soutien de sa demande, la requérante invoquait l’article 7 de Convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l'exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants N° Lexbase : L1526KZK. Cette disposition confère au juge de l’État d’origine de l’enfant une compétence exclusive pour statuer sur la responsabilité parentale en cas de déplacement de l’enfant. La mère espérait ainsi empêcher les juridictions françaises de statuer sur le fond. Cependant, comme le rappelle la Cour de cassation, qui confirme la position des juges d’appel sur ce point, l’article 7, réservé par l’article 5, de la Convention de La Haye de 1996 n’est applicable qu’entre États contractants. En d’autres termes, si les règles de compétence et les règles de conflit de lois contenues dans cet instrument peuvent trouver à s’appliquer alors même qu’un État tiers est concerné, tel n’est pas le cas de l’article 7 qui, à titre dérogatoire, proroge la compétence du juge de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant en cas de déplacement de ce dernier.
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