La lettre juridique n°965 du 23 novembre 2023 : Collectivités territoriales

[Jurisprudence] L’information des conseillers municipaux sur une convention de délégation de service public : une garantie au sens de la jurisprudence « Danthony »

Réf. : CE, 2°-7° ch. réunies, 13 octobre 2023, n° 464955, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A80271NM

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par Mathilde Haas, Avocat au barreau de Paris

le 22 Novembre 2023

Mots clés : conseil municipal • Danthony • délibération • délégation de service public • droit à l’information

Par une décision du 13 octobre 2023, le Conseil d’État a apporté des précisions, d’une part, sur l’étendue et les modalités d’exercice du droit d’information des conseillers municipaux à l’occasion de l’attribution, par le conseil municipal, d’une délégation de service public et d’autre part, sur la « Danthonysation » d’un vice tiré du défaut d’information des conseillers municipaux.


 

I. Le droit à l’information des conseillers municipaux

Aux termes de l’article L. 2121-12 du Code général des collectivités territoriales N° Lexbase : L3336KGN : « Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal. Si la délibération concerne un contrat de service public, le projet de contrat ou de marché accompagné de l'ensemble des pièces peut, à sa demande, être consulté à la mairie par tout conseiller municipal dans les conditions fixées par le règlement intérieur. (…) ».

Comme le rappelle Monsieur Romain Victor dans ses conclusions sous l’arrêt « Commune de Dourdan » rendu par le Conseil d’État en 2021 : « Le défaut d’envoi de cette note comme son insuffisance entachent d’irrégularité les délibérations prises, à moins que le maire n’ait fait parvenir aux membres du conseil, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d’une information adéquate pour exercer utilement leur mandat » [1].

L’obligation d’information des conseillers municipaux « qui doit être adaptée à la nature et à l'importance des affaires, doit permettre aux intéressés d'appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions ; qu'elle n'impose pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés, à qui il est au demeurant loisible de solliciter des précisions ou explications conformément à l'article L. 2121-13 du même code, une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises » [2].

Ainsi, par exemple, doit être annulée une délibération prise sans que les conseillers municipaux aient été mis à même d’apprécier la portée financière d’une décision [3].

Toutefois, l’insuffisance de la note explicative est une irrégularité dite « danthonysable » [4] en application de l’arrêt “Danthony” [5] de 2011.

Dans le cas particulier des délégations de service, s’ajoutent à l’obligation générale d’information des conseillers municipaux posée par l’article L. 2121-12 du Code général des collectivités territoriales, des dispositions particulières prévues à l’article L. 1411-7 du même code N° Lexbase : L2862LNC, lequel dispose que « Deux mois au moins après la saisine de la commission prévue à l'article L. 1411-5, l'assemblée délibérante se prononce sur le choix du délégataire et la convention de délégation de service public. Les documents sur lesquels se prononce l'assemblée délibérante doivent lui être transmis quinze jours au moins avant sa délibération ».

La combinaison de ces dispositions est le point de départ du litige soumis au Conseil d’État.

Par une délibération du 22 juin 2017, le conseil municipal de Limoux, dans le département de l’Aude a, à l’issue d’une procédure de mise en concurrence, autorisé le maire à conclure une convention de délégation de service public pour la production et la distribution de l'eau potable avec la société Veolia Eau - Compagnie générale des eaux. La convention a été signée le 18 juillet 2017.

Le collectif alétois gestion publique de l'eau actions sur le Limouxin et le Saint-Hilairois ainsi qu’un conseiller municipal d’opposition ont formé un recours en annulation contre la convention signée. Le tribunal administratif de Montpellier et la cour administrative d’appel de Marseille ont successivement rejeté leur demande, raison pour laquelle les requérants se pourvoient en cassation.

Le double apport de cette décision réside dans la réponse apportée par le Conseil d’État au premier moyen du pourvoi – les autres moyens moins intéressants ne feront pas l’objet de ce commentaire - selon lequel la cour administrative d’appel aurait commis une erreur de droit en jugeant qu’à supposer que le conseiller municipal d’opposition, requérant, n’ait pas reçu le projet de convention de délégation de service public dans le délai, ce vice n’avait pas été de nature à avoir une incidence sur le sens du vote du conseil municipal. Le conseiller municipal d’opposition avait, en effet, soutenu devant les juges du fond que faute « pour le maire de lui avoir adressé, au moins quinze jours avant la délibération du 22 juin 2017 du conseil municipal, le projet de convention de délégation de service public, cette délibération aurait été adoptée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 1411-7 du Code général des collectivités territoriales. »

En premier lieu, le Conseil d’État juge, au terme de l’analyse de la combinaison des articles L. 1411-7 et L. 2121-12 du Code général des collectivités territoriales, que « lorsque la délibération concerne une convention de délégation de service public, tout conseiller municipal doit être mis à même, par une information appropriée, quinze jours au moins avant la délibération, de consulter le projet de contrat accompagné de l'ensemble des pièces, notamment les rapports du maire et de la commission de délégation de service public, sans que le maire ne soit tenu de notifier ces mêmes pièces à chacun des membres du conseil municipal ».

Ce considérant éclaire l’interprétation qu’il convient d’avoir de l’article L. 1411-7 dont le manque de précisions avait été relevé par le rapporteur public. En effet, l’article vise « les documents » sans préciser de quels documents il s’agit et indique que ceux-ci doivent être transmis à l’assemblée délibérante. Or, tant le terme de transmission que d’assemblée délibérante sont flous. Transmission ? Communication ? Mise à disposition ? Notification ? Conseil municipal dans son ensemble ? Chacun des conseillers municipaux ?

Dans ses conclusions, le rapporteur public estimait : « il n’est pas aberrant que la transmission à un organisme collégial prenne la forme, à l’échelle individuelle, d’une simple mise à disposition ». Il justifiait sa position, suivie par le Conseil d’État, par les contraintes techniques de la dématérialisation de documents volumineux, représentant non seulement un coût non négligeable mais également des difficultés de réception. Il lui paraissait donc « guère prudent de retenir une solution qui, sans réellement, améliorer les conditions d’exercice des mandats locaux, multiplierait les risques contentieux ».

Cette décision peut également être vue comme une « responsabilisation » des élus : sans notification individuelle obligatoire, le conseiller municipal mis à même de consulter le projet de convention de DSP doit exercer son droit à l’information en faisant la démarche personnelle et volontaire, pour le plein exercice de son mandat, de consulter les documents mis à sa disposition.

II. L’application de la jurisprudence Danthony aux contrats et au vice tiré du défaut d’information des membres d’une assemblée délibérante

En second lieu, cette décision du Conseil d’État apporte des précisions sur l’application de la jurisprudence « Danthony ».

En effet, le premier moyen ici analysé soulevait, selon Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public sous cette affaire, une interrogation préalable à l’analyse de la bonne application de la jurisprudence « Danthony » par la cour administrative d’appel, celle de « savoir s’il est possible d’invoquer la jurisprudence Danthony dans le cadre d’un recours en contestation de validité d’un contrat » dès lors que la jurisprudence « Danthony » ne vise que le cas d’une « décision ».

Et pour cause, il précise que les « précédents n’ont jamais expressément répondu » à cette question. Le rapporteur public proposait d’y apporter une réponse positive en se fondant sur l’application de la jurisprudence « Danthony » au sujet notamment des clauses réglementaires d’un contrat [6] ou à des actes détachables de la conclusion de contrats [7].

Si le Conseil d’État ne développe pas ce point, son raisonnement y répond implicitement par la positive en confirmant que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit dans l’application de la jurisprudence « Danthony » à son raisonnement.

III. Une application partielle de la jurisprudence « Danthony »

Les juges d’appel ont relevé que le vice de procédure tiré du défaut d’information des conseillers municipaux n’avait pas eu d’incidence sur le sens du vote du conseil municipal, mais ils ont omis de rechercher si le requérant, conseiller municipal, avait été privé d’une garantie.

La Cour administrative d’appel a donc fait qu’une application partielle de la jurisprudence « Danthony » en omettant d’en analyser la deuxième branche, celle de la privation d’une garantie. Or, si les juges doivent, dans un premier temps, rechercher si le vice a exercé une influence sur le sens de la décision prise, ils doivent, dans un second temps, rechercher s’il a privé les intéressés d’une garantie [8].

Cette erreur de la juridiction d’appel est pour le moins surprenante tant le juge administratif semble désormais familier de la jurisprudence « Danthony ».

IV. L’information adéquate des élus : une garantie au sens de la jurisprudence « Danthony »

En relevant cette erreur de droit, le Conseil d’État juge « que l'information adéquate de l'ensemble des membres d'une assemblée délibérante, afin qu'ils puissent exercer utilement leur mandat, constitue, en principe, une garantie pour les intéressés ». Il fait ainsi du droit à l’information des conseillers municipaux, une garantie, par principe, pour les intéressés.  

Certes, le juge d’appel avait ouvert la voie à l’affirmation du Conseil d’État, et notamment la cour administrative d’appel de Bordeaux en jugeant en 2016 que des conseillers municipaux qui n’avaient pas « bénéficié en temps utile d'informations suffisantes qui les auraient mis à même de pouvoir réellement délibérer sur le projet de cession soumis à leur vote » s’étaient « trouvés privés de la garantie que constitue pour eux une complète et préalable information » [9].

Toutefois, outre quelques jurisprudences, dans la majorité des contentieux, le juge administratif vérifiait, au cas par cas, si le défaut d’information des élus siégeant à l’assemblée délibérante avait pu constituer une garantie dont ils avaient été privés [10].

Dans le cas d’espèce, le Conseil d’État aurait pu, considérant l’erreur de droit relevée, annuler l’arrêt de la cour administrative d’appel, mais il choisit d’opérer, à son initiative, une substitution de motif à celui retenu par l’arrêt attaqué.

Ainsi, si la cour administrative d’appel a bien commis une erreur de droit en rejetant le moyen tiré du défaut d’information des conseillers municipaux au motif que l’absence d’envoi du projet de contrat aux conseillers municipaux n’avait pas exercé d’influence sur le sens de la décision prise par le conseil municipal, le Conseil d’État relève que la délibération concernant une convention de délégation de service public « le maire n'était pas tenu de notifier le projet de contrat aux conseillers municipaux mais seulement de les mettre à même, par une information appropriée, de le consulter quinze jours avant la délibération ». Dès lors, il est possible de substituer ce motif à celui retenu par la cour administrative d’appel – à savoir que le vice n’avait pas exercé d’influence sur le sens de la décision- dans la mesure où, d’une part, il « répond au moyen invoqué devant la cour et n'appelle l'appréciation d'aucune circonstance de fait » et d’autre part, justifie légalement le dispositif adopté par l’arrêt attaqué.

En conséquence de cette substitution de motif, le Conseil d’État a rejeté le pourvoi du conseiller municipal d’opposition et du collectif alétois gestion publique de l'eau actions sur le Limouxin et le Saint-Hilairois.

À retenir :

Lorsque la délibération concerne une convention de délégation de service public, la combinaison des articles L. 2121-12 et L. 1411-7 du Code général des collectivités territoriales relatifs au droit d’information des conseillers municipaux implique seulement qu’ils soient mis à même, par une information appropriée, quinze jours au moins avant la délibération, de consulter le projet de contrat accompagné de l'ensemble des pièces, notamment les rapports du maire et de la commission de délégation de service public.

L’article L. 1411-7 du Code général des collectivités territoriales n’impose pas au maire de notifier le projet de contrat et l’ensemble des pièces à chacun des membres du conseil municipal.

L'information adéquate de l'ensemble des membres d'une assemblée délibérante, afin qu'ils puissent exercer utilement leur mandat, constitue, en principe, une garantie pour les intéressés au sens de la jurisprudence « Danthony ».


 


[1] CE, 13 septembre 2021, n° 439653 N° Lexbase : A9243444.

[2] CE, 14 novembre 2012, n° 342327 N° Lexbase : A8643IWZ.

[3] CE, 13 septembre 2021, n° 439653, préc.

[4] CE, 17 juillet 2013, n° 350380 N° Lexbase : A0041KKQ.

[5] CE, 23 décembre 2011, n° 335033 N° Lexbase : A9048H8M.

[6] CE, 30 juin 2016, n° 393805 N° Lexbase : A9991RUL.

[7] CE, 4 avril 2014, n° 358994 N° Lexbase : A6449MIP ; CE, Sect., 23 octobre 2015, n° 369113 N° Lexbase : A0318NUC.

[8] CE, 17 juillet 2013, n° 350380, préc.

[9] CAA Bordeaux, 27 octobre 2016, n° 15BX01775 N° Lexbase : A6513SHP.

[10] Voir par exemple : CAA Marseille, 27 février 2015, n° 13MA03886 N° Lexbase : A5574NDS.

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