La lettre juridique n°521 du 28 mars 2013

La lettre juridique - Édition n°521

Éditorial

Laïcité dans les crèches privées : le loup est-il entré dans la bergerie ?

Lecture: 3 min

N6324BTE

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Qui trop embrasse mal étreint... A trop vouloir porter la laïcité urbi et orbi, le principe constitutionnel en arrive à défaillir devant les portes... d'une simple crèche de quartier. L'arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation, rendu le 19 mars 2013, est loin d'être l'épilogue d'une saga judiciaire suivie avec entrain et, parfois même, trop de passion, mais les Hauts magistrats ne pouvaient que rappeler, en droit, qu'il ne faut pas confondre lieu public, lieu d'accueil du public et service public. Trois univers sur lesquels "Dieu" n'a pas la même emprise.

La législation épidermique va tôt faire de limiter la portée de la décision du Quai de l'Horloge, pour servir le combat politique contre les atteintes à la laïcité et pour la protection de l'enfance, comme l'a immédiatement soutenu la porte-parole du Gouvernement, et néanmoins, ministre des Droits des femmes -et ceci présente son importance-. Mais, la position de la Cour suprême judiciaire est incontestable et son raisonnement des plus limpides : "le principe de laïcité instauré par l'article 1er de la Constitution n'est pas applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public ; [...] il ne peut dès lors être invoqué pour les priver de la protection que leur assurent les dispositions du Code du travail". Or, il résulte des dispositions du Code du travail que "les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché" ; ce qui n'était manifestement pas le cas en l'espèce, le règlement intérieur de la crèche paraissant, aux yeux des Hauts magistrats, trop imprécis pour limiter l'exercice d'une liberté constitutionnelle.

Sortant de sa réserve, plus que de sa fonction, le ministre de l'Intérieur, et néanmoins ministre des Cultes, a dit regretter la décision de la Cour de cassation et "cette mise en cause de la laïcité". Taxer les magistrats de pourfendeurs de laïcité, voilà qui témoigne plus d'une atteinte à la séparation des pouvoirs, que de l'exercice d'une conscience politique à laquelle le Quai de l'Horloge ne fait que rappeler qu'aussi étrange que cela puisse paraître en France, des crèches, berceaux et terreaux de l'école publique, sont, et de plus en plus, des espaces privés. Et, ce que la puissance publique peut imposer au sein des services, les entreprises ou associations de droit privé ne le peuvent pas, ou pour être plus exact, le peuvent mais dans des conditions "non exorbitantes".

La Cour de cassation sait parfaitement que la neutralité confessionnelle devrait être de mise au sein des crèches, qu'elles soient privées ou publiques, encore fait-elle avec les "armes" législatives dont elle dispose ; et ces dernières offrent un espace de liberté plus important dans la sphère privée que seules des raisons objectives et insoupçonnables de discrimination religieuse peuvent circonscrire. C'est une page du manuel de la laïcité républicaine que les Hauts magistrats écrivent, dans leur exégèse de la loi de 1905... qui n'est pas applicable en l'espèce.

Et, la Cour de cassation n'aura pas été sensible au concept d'"entreprise de tendance" développé par son avocat général, dont l'un des axiomes serait la restriction des libertés politiques, philosophiques et religieuses. Les Hauts juges préfèrent voir dans cette atteinte aux libertés fondamentales un postulat : aux établissements concernés de démontrer en quoi cette restriction, toute légitime qu'elle puisse être, est justifiée, objective et inhérente à leur fonctionnement.

Finalement, c'est peut-être plus volontiers sur le terrain politique que la passe d'armes juridique aurait dû être conduite ; la crèche en cause étant connue pour son engament dans l'émancipation des femmes en leur permettant toute latitude pour travailler et le port du voile litigieux étant sujet à interprétation sexiste, plus que cultuelle, par nombre de ses opposants... Le terrain judiciaire eût été moins glissant.

D'aucuns rappelleront, enfin, que pour que toutes les crèches soient soumises au régime de "l'embargo religieux", il suffirait qu'elles soient délégataires d'un service public (cf. un arrêt du même jour, étendant l'obligation de neutralité à tout service public même géré par un organisme de droit privé) et que les collectivités territoriales s'y investissent un peu plus qu'aujourd'hui ; le développement des crèches privées n'étant que la résultante d'un désinvestissement public sur la petite enfance. Le Gouvernement pense contourner le problème de ce désinvestissement en imposant l'entrée à l'école au plus tôt... Or, là encore, crèche et école n'ont pas les mêmes fonctions sociales et pédagogiques ; à chaque âge ses plaisirs... Mais ceci est un autre débat.

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Avocats/Champ de compétence

[Jurisprudence] Périmètre du droit : l'étau se resserre

Réf. : Cass. com., 12 février 2013, n° 12-12.087, F-D (N° Lexbase : A0689I8Z)

Lecture: 5 min

N6295BTC

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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la Cour, Docteur en droit et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 27 Mars 2014

Les services juridiques représentent, sur le plan économique, un important marché (1), attisant la concurrence entre les professionnels du droit, les autres professions réglementées lorsqu'elles interviennent à titre accessoire (2), étant entendu que leur responsabilité peut être engagée de ce chef (3), les entités disposant d'une dérogation légale, comme les syndicats (4) et les fédérations (5), sans compter toutes les officines pullulant sur internet (qui n'appartiennent à aucune des catégories précitées) effectuant, pour le compte de leurs clients, des "démarches administratives" ou du "conseil en gestion d'entreprise", malgré les sanctions civiles (nullité de la convention) et pénales susceptibles d'être prononcées (loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, art. 66-2 et art. 72 N° Lexbase : L6343AGZ : amende et emprisonnement en cas de récidive (6)).
En effet, la loi du 31 décembre 1971 n'a pas instauré de monopole (7) au profit des professions juridiques et judiciaires relatif à la consultation et à la rédaction d'actes juridiques sous seing privé. Cette situation est nécessairement dommageable pour les intérêts des consommateurs du droit : aurait-on idée de substituer une aide-soignante à un chirurgien au seul motif que son intervention coûterait moins cher ou que la maladie du patient ne serait pas si grave que cela ? Beaucoup d'avocats déplorent avoir été saisis en dernier recours une fois la situation d'un client irrémédiablement compromise par l'intervention inopportune d'un tiers dont l'exercice du droit n'est pas le métier.
Par un arrêt rendu le 12 février 2013, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a précisé sa position en ce qui concerne les conseils en gestion d'entreprise, et leur tendance à intégrer, par certains actes, et illégalement, le périmètre du droit. I - Périmètre du droit : quelles frontières ?

Outre la tentation de certains individus d'user de la qualité d'avocat qu'ils n'ont pas (TGI Meaux, 3ème ch. corr., 16 mars 2010, n° 07606 ; Gaz. Pal., n° 297, 24 octobre 2010, p. 22), la jurisprudence témoigne de l'intense concurrence de tous ces acteurs économiques régulièrement attraits en justice pour avoir illégalement proposé :

- la rédaction d'actes de société : statuts, baux, cession de parts sociales ou d'actions, assemblées générales couramment appelé -à tort !- "secrétariat juridique" (8) ou de contrats commerciaux ;

- la défense d'un contribuable face à l'administration fiscale (Cass. civ. 2, 17 juin 1999, n° 97-13.694, publié au Bulletin [LXB=A8812CH]) ;

- la représentation en justice à titre habituel et rémunéré aux fins de recouvrer des créances impayées devant le tribunal de commerce (Cass. civ. 1, 21 janvier 2003, n° 01-14.383, FS-P N° Lexbase : A7269A4Y) ;

- la présentation à l'exequatur d'une sentence arbitrale par une personne s'étant auto-désignée comme arbitre et titulaire d'un mandat de négocier "une indemnité, toutes mesures conservatoires et procédures inclusives éventuellement" (Cass. crim., 21 février 2006, n° 05-84.899, inédit ; R. Martin, Droit de la profession d'avocat, JCP éd. G, 2006, I, 188) ;

- le conseil et la défense des automobilistes lorsque des infractions au Code de la route ont été relevées à leur encontre (TGI Créteil, 11ème ch., 18 novembre 2011, n° 1124400112) ;

- des "prestations de permanence juridiques généralistes, avec une spécialité dans le domaine des droits des femmes et du droit de la famille" au titre d'un marché public pour lequel candidatait une association loi 1901 (TA Cergy-Pontoise, 3 février 2011, n° 1100321 N° Lexbase : A3818HKM ; F. Linditch, Illégalité d'un marché de consultation juridique attribué à une association pour violation de la loi du 31 décembre 1971 relative au périmètre du droit, JCP éd. E, 2011, comm. 1386 ; F. Sartorio et M.-Y. Benjamin, Marchés publics de conseils juridiques : n'est pas habilité à se porter candidat qui veut... - Le barreau de Paris met en garde les acheteurs publics, JCP éd. A, 2012, comm. 2190 ; E. Bintz Rémond, La stricte application du périmètre du droit en matière de consultation juridique, Lexbase Hebdo n° 73 du 27 avril 2011 - éditions professions N° Lexbase : N0651BSW) ;

- une "information, [une] assistance et [un] accompagnement juridique face à des problématiques posées en droit immobilier, en droit du travail, en droit des obligations, en droit des contrats et de la consommation, en droit des sociétés et en droit de la famille" proposés par une société commerciale. La juridiction fera injonction à la société poursuivie "d'interrompre immédiatement toute activité de consultation juridique et de rédaction d'acte, sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée et de retirer sa documentation commerciale accessible à partir de son site internet", ainsi que la suppression de "toute référence à l'accomplissement d'une activité de consultation juridique et/ou de rédaction d'actes de ce site et de tous autres sites internet y faisant référence à son initiative, ainsi que dans la presse écrite et audiovisuelle, et ce dans un délai de huit jours sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée" (TGI Nanterre, 1ère ch., 5 juillet 2012, n° 11/06572 N° Lexbase : A6371IQZ ; F. Girard de Barros, Périmètre du droit : les agences de legal planner mises hors la loi, Lexbase Hebdo n° 130 du 19 juillet 2012 - éditions professions N° Lexbase : N2994BT3) ;

- l'audit de cotisations sociales sans que le niveau de complexité des problèmes posés puisse être opposé par ce prestataire de services (Cass. civ. 1, 15 novembre 2010, n° 09-66.319, FS-P+B+I N° Lexbase : A0232GH3 ; Ch. Jamin, Périmètre du droit : coup d'arrêt aux pratiques des conseillers en réduction de coûts !, JCP éd. G, 2011, comm. 46 [NDLR : la cour d'appel de renvoi n'a pas encore statué à ce jour ; la cour d'appel initialement saisie, et dont la décision a été cassée, s'étant fondée sur des motifs impropres à démontrer que, dans leur ensemble, les consultations juridiques offertes relevaient directement de l'activité principale de conseil en affaires, gestion et sélection ou mise à disposition de personnel en considération de laquelle l'agrément ministériel a été conféré] ; v. également : CAA Lyon, 4ème ch., 22 mars 2012, n° 11LY01404, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1652IKE ; F. Girard de Barros, "Périmètre du droit" : de la reconquête opérée par la profession d'avocat... en attendant Picquigny, Lexbase Hebdo n° 119 du 3 mai 2012 - édition professions N° Lexbase : N1607BTP) ;

- l'audit de baux notamment au regard des "demandes de remboursement des charges locatives en ce compris les taxes, impôts, frais, redevances grevant les lieux loués et les parties à usage commun au visa de la convention des parties, de l'ordre commun et de la jurisprudence" (Cass. civ. 1, 20 décembre 2012, n° 11-28.292, F-D N° Lexbase : A1732IZ8) ;

- des services rémunérés d'assistance et de conseil juridique par un syndicat (Cass. soc., 15 novembre 2012, n° 12-27.315, FS-P+B+I N° Lexbase : A9795IWP ; L. Pécaut-Rivolier, CGT-SAP : variations sur le périmètre des confédérations et l'objet d'un syndicat, JCP éd. S, 2012, comm. 1533 (9)).

II - Le conseil en gestion d'entreprise : où commence le dépassement de frontière ?

La décision du 12 février 2013 précise les services qui ne ressortent pas de la compétence d'un conseil en gestion, mais de celle d'un avocat. Elle a été provoquée par les faits suivants : une société commerciale a eu recours aux services d'un tiers, "conseil en gestion d'entreprise", afin d'être éclairée quant aux réductions des coûts et tous remboursements susceptibles d'être obtenus pour des charges sociales et fiscales. Précisons qu'il existe un nombre important de ce type d'entreprises, à en croire les publicités figurant sur internet et dans les revues à l'intention des entreprises.

Ce prestataire a alors rédigé un rapport permettant à la société cliente d'appliquer la déduction forfaitaire spécifique pour le calcul des cotisations de Sécurité sociale sur la rémunération de ses agents commerciaux.

A la suite d'une assignation en paiement, la convention conclue entre ces deux sociétés a été annulée par les juges du fond qui vont être confortés dans leur analyse par la Cour de cassation. En effet, les Hauts magistrats estiment que la vérification, au regard de la réglementation fiscale en vigueur, de la situation des salariés de la société, est une prestation à caractère juridique réalisée à titre principal en infraction aux dispositions des articles 54 et 60 de la loi du 31 décembre 1971.

Observons que nombre d'entreprises clientes, au fait de la jurisprudence par l'intermédiaire de leurs avocats respectifs, plaident à l'unisson la cause illicite afin d'obtenir, avec succès, la nullité de la convention. L'abondante floraison de ces contentieux annonce l'automne de ces activités juridiques sous couvert d'une "aide à la gestion".


(1) Un important marché sur lequel veillent également, depuis quelques années, de nouveaux acteurs en matière de formation initiale et professionnelle et qui tentent de remettre en cause le monopole des facultés de droit : les écoles de commerce et Sciences Po, cette dernière ayant obtenu en 2007 une dérogation (arrêté du 21 mars 2007 N° Lexbase : L9357HU4 ; CE 4° et 5° s-s-r., 23 juillet 2008, n° 306321, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7923D9C) pour présenter ses étudiants à l'examen d'entrée aux CRFPA (écoles d'avocats), non sans avoir suscité quelques interrogations (F. Rome, Arrêté du 21 mars 2007 : beaucoup de bruit ! Pourquoi ?, D., 2007 ; F. Rolin, "Ce n'est pas en trois semestres que l'on forme un juriste", AJDA, mai 2007).
(2) Les architectes et les géomètres-experts peuvent également, dans le cadre de leur profession, donner des consultations juridiques relevant de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé s'ils sont accessoires à leur activité principale.
(3) Pour la mise en responsabilité d'un expert-comptable rédacteur d'acte de cession de parts sociales sans avoir obtenu préalablement la mainlevée des cautionnements des cédants (Cass. com., 4 décembre 2012, n° 11-27.454, F-P+B N° Lexbase : A5554IYD, voir Bastien Brignon, Le devoir de conseil de l'expert-comptable rédacteur d'acte, Lexbase Hebdo n° 322 du 9 janvier 2013 - édition affaires N° Lexbase : N5158BT9, D., 2012, p. 2963).
(4) Loi n° 71-1130, art. 64.
(5) Loi n° 71-1130, art. 65.
(6) Cass. crim., 5 février 2013, n° 12-81.155, FS-P+B (N° Lexbase : A6410I7K).
(7) Art. 54 : "Nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé, pour autrui :
1° S'il n'est titulaire d'une licence en droit ou s'il ne justifie, à défaut, d'une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d'actes en matière juridique qu'il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66. Les personnes mentionnées aux articles 56, 57 et 58 sont réputées posséder cette compétence juridique. Pour les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée mentionnées à l'article 59, elle résulte des textes les régissant. Pour chacune des activités non réglementées visées à l'article 60, elle résulte de l'agrément donné, pour la pratique du droit à titre accessoire de celle-ci, par un arrêté, pris après avis d'une commission, qui fixe, le cas échéant, les conditions de qualification ou d'expérience juridique exigées des personnes exerçant cette activité et souhaitant pratiquer le droit à titre accessoire de celle-ci. Pour chacune des catégories d'organismes visées aux articles 61, 63, 64 et 65, elle résulte de l'agrément donné, pour la pratique du droit à titre accessoire, par un arrêté, pris après avis de la même commission, qui fixe, le cas échéant, les conditions de qualification ou d'expérience juridique exigées des personnes pratiquant le droit sous l'autorité de ces organismes. La commission mentionnée aux deux alinéas précédents rend son avis dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. Cette commission peut émettre, en outre, des recommandations sur la formation initiale et continue des catégories professionnelles concernées. Un décret fixe la composition de la commission, les modalités de sa saisine et les règles de son fonctionnement. L'agrément prévu au présent article ne peut être utilisé à des fins publicitaires ou de présentation de l'activité concernée ;
2° S'il a été l'auteur de faits ayant donné lieu à condamnation pénale pour agissements contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs ;
3° S'il a été l'auteur de faits de même nature ayant donné lieu à une sanction disciplinaire ou administrative de destitution, radiation, révocation, de retrait d'agrément ou d'autorisation ;
4° S'il a été frappé de faillite personnelle ou d'autre sanction en application du titre VI de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985
(N° Lexbase : L7852AGW) précitée ou, dans le régime antérieur à cette loi, en application du titre II de la loi n° 67-563 du 13 juillet 1967 (N° Lexbase : L7803GT8) précitée ;
5° S'il ne répond en outre aux conditions prévues par les articles suivants du présent chapitre et s'il n'y est autorisé au titre desdits articles et dans les limites qu'ils prévoient. Une personne morale dont l'un des dirigeants de droit ou de fait a fait l'objet d'une sanction visée au présent article peut être frappée de l'incapacité à exercer les activités visées au premier alinéa par décision du tribunal de grande instance de son siège social, à la requête du ministère public. La commission mentionnée au 1° est installée au plus tard dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi n° 97-308 du 7 avril 1997
(N° Lexbase : L4398IT3). La condition de diplôme ou de compétence juridique prévue au 1° est applicable à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi n° 97-308 du 7 avril 1997".
(8) En réalité, la tenue "physique" des assemblées n'a -presque- jamais lieu : ce sont bien souvent des "assemblées papier" qui n'emportent pas moins des effets juridiques et sont qualifiées pénalement de faux en écriture de commerce (C. pén., art. 441-1 N° Lexbase : L2006AMA ; Cass. crim., 6 septembre 2000, n° 00-80.327, F-D N° Lexbase : A8734AY7, Bull. Joly, 2001, p. 41).
(9) "[...] si bien évidemment, les syndicats bénéficient de la faculté qui leur est réservée par loi du 31 décembre 1971, régissant la profession d'avocat, de donner des conseils juridiques et rédiger des actes sous seing privé, au profit des personnes dont la défense des intérêts est visée par leurs statuts, sur des questions se rapportant directement à leur objet (article 64), encore faut-il que cet exercice ne soit qu'accessoire à l'activité globale du syndicat, sauf à porter atteinte au privilège d'assistance et de représentation, de postulation et de plaidoirie, dont bénéficie cette profession réglementée, par ailleurs soumise au contrôle d'un ordre professionnel (article 15 de la loi), au secret professionnel (article 12) et à l'obligation de souscrire une assurance garantissant leur responsabilité civile professionnelle (article 77)".

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Contrats administratifs

[Jurisprudence] Chronique de droit interne des contrats publics - Mars 2013

Lecture: 13 min

N6384BTM

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par François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers - Institut de droit public (EA 2623)

Le 28 Mars 2013

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité de droit interne des contrats publics de François Brenet, Professeur à la Faculté de droit et des sciences sociales de l'Université de Poitiers-Institut de droit public (EA 2623). Par un arrêt du 11 mars 2013 (CE 2° et 7° s-s-r., 11 mars 2013, n° 364551, mentionné aux tables du recueil Lebon), le Conseil d'Etat rappelle que le recours à la procédure du dialogue compétitif en matière de marchés publics est subordonné au respect des conditions fixées par l'article 36 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L3201ICK). Le juge du référé précontractuel contrôle le respect de la condition relative à la complexité et le juge de cassation exerce un contrôle de la qualification juridique opérée par le juge du référé. Par une décision du 28 janvier 2013 (CE 2° et 7° s-s-r., 28 janvier 2013, n° 358302, mentionné aux tables du recueil Lebon), la Haute juridiction précise que la commission d'appel d'offres et l'organe délibérant du pouvoir adjudicateur doivent siéger dans des compositions régulières au moment de se prononcer sur l'attribution d'un contrat public. Tel n'est pas le cas, lorsqu'une commission d'appel d'offres intervient dans une formation ne tenant pas compte du renouvellement des membres du conseil municipal. Cette irrégularité peut, cependant, être régularisée dans des conditions précisées par le Conseil d'Etat. Enfin, dans un arrêt du 20 février 2013 (CE 2° et 7° s-s-r., 20 février 2013, n° 363656, mentionné aux tables du recueil Lebon), la jurisprudence reconnaît la possibilité au pouvoir adjudicateur de limiter le nombre de lots pouvant être attribué à chaque candidat.
  • Contrôle de la légalité du recours au dialogue compétitif par le juge du référé précontractuel et par le juge de cassation (CE 2° et 7° s-s-r., 11 mars 2013, n° 364551, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4459I9Z)

Introduite en droit français par le Code des marchés publics de 2004, à la place de l'ancien appel d'offres sur performances et sous l'effet du droit de l'Union européenne (et spécialement de la Directive (CE) 2004/18 du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services N° Lexbase : L1896DYU, à son article 29), la procédure du dialogue compétitif présente l'avantage de la souplesse. En effet, elle permet aux pouvoirs adjudicateurs de mener une véritable discussion avec les candidats à l'attribution du contrat, dans une perspective d'amélioration de la qualité de la prestation. L'article 36, alinéa 1er, du Code des marchés publics la définit comme "la procédure dans laquelle le pouvoir adjudicateur conduit un dialogue avec les candidats admis à y participer en vue de définir ou de développer une ou plusieurs solutions de nature à répondre à ses besoins et sur la base de laquelle ou desquelles les participants au dialogue seront invités à remettre une offre". Concrètement, le dialogue compétitif permet au pouvoir adjudicateur d'obtenir une vision assez complète et comparative des différentes propositions formulées par les opérateurs économiques en vue de répondre à ses besoins.

Malgré d'incontestables avantages, le dialogue compétitif comporte aussi un certain nombre d'inconvénients. Cette procédure est le plus souvent assez longue. Elle nécessite, de la part des personnes publiques et des entreprises, un investissement important, tant en moyens humains, matériels que financiers. De même, elle peut parfois porter atteinte au secret de la vie des affaires. En effet, lors des discussions avec les candidats, le pouvoir adjudicateur peut être conduit à formuler un certain nombre de questions révélant en creux les détails technique de l'offre formulée par un autre candidat.

En raison des inconvénients qu'il présente, le dialogue compétitif est une procédure de passation strictement réglementée, qui ne peut être utilisée que sous réserve du respect de plusieurs conditions. L'article 36, alinéa 2, du Code des marchés publics, qui ne fait que reprendre les exigences de la Directive (CE) 2004/18, dispose que "le recours à la procédure de dialogue compétitif est possible lorsqu'un marché public est considéré comme complexe, c'est-à-dire lorsque l'une au moins des conditions suivantes est remplie [...] le pouvoir adjudicateur n'est objectivement pas en mesure de définir seul et à l'avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins [...] le pouvoir adjudicateur n'est objectivement pas en mesure d'établir le montage juridique ou financier d'un projet".

L'arrêt n° 364551 rendu le 11 mars 2013 est l'occasion pour le Conseil d'Etat de préciser le contrôle exercé par le juge administratif sur le respect des conditions précitées. En l'espèce, à la suite de la réforme des chambres consulaires opérée par la loi n° 2010-853 du 23 juillet 2010, relative aux réseaux consulaires, au commerce, à l'artisanat et aux services (N° Lexbase : L8265IM3), l'Assemblée des chambres françaises de commerce et d'industrie (ACCI), agissant en tant que centrale d'achat pour l'ensemble des établissements relevant du réseau des chambres de commerce et d'industrie, avait lancé, par un avis d'appel public à la concurrence publié en 2012, une procédure de dialogue compétitif en vue de l'attribution d'un marché de services composé de deux lots portant respectivement sur l'assurance collective en matière de prévoyance et sur les frais de soins de santé des personnels des chambres de commerce et d'industrie et des "entités liées" et leurs ayants droits. La Mutuelle du personnel de la CCI de Paris (MPCCIP) et la Mutuelle des chambres de commerce et d'industrie (MCCI) ont chacune déposé une offre pour ce second lot, lequel a finalement été attribué à la MCCI. La MPCCIP a alors saisi le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Paris qui a annulé la procédure de passation de ce lot n° 2 au motif que les conditions du recours au dialogue compétitif n'étaient pas remplies. Plus précisément, le juge des référés a considéré que l'ACCI ne pouvait pas être regardée comme n'étant pas en mesure de définir seule et à l'avance l'ensemble des moyens techniques pouvant répondre à ses besoins et que la condition relative à la complexité n'était pas remplie.

Ce n'est évidemment pas la première fois que la question de la signification de la condition relative à la complexité était posée au juge administratif. Elle lui avait déjà été soumise en matière de contrat de partenariat, ou encore en matière de marché public. Mais, l'on observe que dans les contentieux antérieurs, la question s'était principalement posée au sujet de contrats portant sur la réalisation de travaux et rarement sur des prestations de services. Tout juste pouvait-on relever qu'une réponse ministérielle de 2004 (1) avait indiqué que rien ne s'opposait à ce que le dialogue compétitif soit utilisé pour la passation de marchés publics d'assurance. De même, une ordonnance du juge des référés précontractuel du tribunal administratif de Paris en date du 10 janvier 2008 (2) avait admis le recours au dialogue compétitif pour la passation d'un marché de fourniture, d'hébergement, d'assistance, de formation et de maintenance de la place de marchés interministériels permettant la dématérialisation des procédures de marchés publics de l'Etat, car le pouvoir adjudicateur n'était pas à même de définir seul et à l'avance l'ensemble des moyens techniques pouvant répondre à ses besoins, ni le montage juridique et financier pour acquérir la maîtrise et la propriété de l'outil informatique à développer.

L'arrêt du Conseil d'Etat du 11 mars 2013 est intéressant à double titre. En premier lieu, il rappelle que le juge du référé précontractuel, saisi d'un moyen en ce sens (lequel n'est donc pas d'ordre public), doit contrôler la légalité du recours au dialogue compétitif. Et en l'espèce, le Conseil d'Etat considère que le juge des référés a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en soulignant que l'ACCI ne pouvait être regardée comme n'étant pas en mesure de définir seule et à l'avance l'ensemble des moyens techniques pouvait répondre à ses besoins, alors qu'il avait également souligné que la passation de ce marché s'inscrivait dans le contexte particulier de refonte d'ensemble des différents dispositifs d'assurance en vigueur au sein du réseau des chambres de commerce et entités liées. Pour la Haute assemblée, "les difficultés tenant à la mise en place pour la première fois d'un marché unique se substituant progressivement aux multiples contrats de protection de santé existants, dans un contexte de réforme profonde du réseau consulaire, ne permettaient pas à l'ACCI d'être objectivement en mesure de définir seule et à l'avance les moyens techniques pouvant répondre à ses besoins". En second lieu, le contrôle exercé par le juge du référé précontractuel sur cette condition relative à la complexité n'est pas laissé à sa libre appréciation. Le juge de cassation exerce sur elle un contrôle de la qualification juridique. Par ce biais, le Conseil d'Etat pourra donc développer sa propre conception de la condition relative à la complexité et éviter des divergences d'interprétation entre les juges des référés précontractuels.

  • Composition irrégulière de la commission d'appel d'offres : conditions dans lesquelles une régularisation du marché public peut intervenir (CE 2° et 7° s-s-r., 28 janvier 2013, n° 358302, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A0151I4D)

L'arrêt rendu le 28 janvier 2013 apporte d'intéressantes précisions relatives aux conséquences de la composition irrégulière d'une commission d'appel d'offres et précise qu'elle ne doit pas nécessairement déboucher sur la remise du marché public irrégulièrement conclu.

En l'espèce, un syndicat mixte ayant pour objet le traitement et la valorisation des déchets ménagers a décidé, par une délibération du 22 septembre 2004, de procéder à la passation de deux marchés de travaux portant sur la conception et la construction d'un centre de valorisation énergétique. Lors de sa séance du 10 avril 2008, la commission d'appel d'offres du syndicat a attribué le marché de construction de cet équipement au groupement X. Le 25 juin 2008, le comité syndical a autorisé le président du syndicat à signer ce marché. Saisi par un tiers au contrat, le tribunal administratif de Lille a annulé lé délibération du 25 juin 2008 autorisant le président du syndicat mixte à signer le marché de génie civil concernant le centre et lui a enjoint de saisir le juge du contrat dans un délai de trois mois. Par un arrêt du 31 janvier 2012, la cour administrative d'appel de Douai (CAA Douai, 2ème ch., 31 janvier 2012, n° 10DA01526, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0744IEB) (3) a rejeté l'appel formulé par le syndicat.

L'arrêt rendu par le Conseil d'Etat opère un rappel et apporte deux précisions.

En premier lieu, il rappelle sa jurisprudence "Ministre de l'Intérieur" du 23 décembre 2011 (4) qui, en plus d'avoir requalifié le déféré préfectoral dirigé contre un contrat administratif en recours de pleine juridiction, avait pris soin de déterminer les conséquences du renouvellement des conseils municipaux sur les pouvoirs des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale. Le Conseil d'Etat avait interprété les dispositions de l'article L. 2121-3 du Code général des collectivités territoriales (N° Lexbase : L8542AAM) comme signifiant que l'organe délibérant d'un établissement public de coopération intercommunale, à la suite du renouvellement des conseils municipaux des communes membres de cet établissement, ne peut que gérer les affaires courantes jusqu'à l'installation du nouvel organe délibérant issu de ce renouvellement. Cette solution vaut également pour la commission d'appel d'offres antérieurement désignée. En conséquence, elle ne peut pas procéder à l'attribution d'un marché excédant, en raison du coût, du volume et de la durée des travaux prévues et en l'absence d'urgence particulière s'attachant à sa réalisation, la gestion des affaires courantes.

En deuxième lieu, l'arrêt du 28 janvier 2013 complète utilement cette solution en précisant les conditions dans lesquelles un marché attribué dans ces conditions (i.e. par un organe délibérant constitué de ses anciens membres et non de ceux qui viennent d'être élus à la suite du renouvellement des conseils municipaux) peut être régularisé. La jurisprudence "Ministre de l'Intérieur" était, en effet, assez imprécise sur ce point puisque le Conseil d'Etat s'était borné à annuler le marché avec un effet différé de trois mois et à la condition que l'organe délibérant de l'EPCI n'ait pas, dans ce délai, régularisé le marché en adoptant, pour décider de le passer, une délibération régulière. La Haute juridiction complète utilement cette solution en indiquant que la régularisation doit être double. Elle nécessite une décision de l'organe délibérant et une décision de la commission d'appel d'offres issus du renouvellement général des collectivités membres de l'établissement. La décision de l'organe délibérant ayant pour objet de réitérer l'autorisation donnée à l'exécutif de l'établissement public de signer le marché, et la décision de la commission d'appel d'offres ayant pour objet de confirmer le choix de l'attributaire du marché.

En l'espèce, le problème venait de ce que si la délibération du 25 juin 2008 avait bien été prise par le comité syndical dans sa composition renouvelée à la suite des élections municipales de mars 2008, ce même comité s'était prononcé sur la base des propositions émises par la commission d'appel d'offres. Or, cette commission avait statué quelques jours plus tôt dans une composition procédant du comité syndical non renouvelé, alors qu'à cette date ladite commission ne pouvait prendre que des décisions limitées aux affaires courantes. Le Conseil d'Etat confirme le raisonnement de la cour administrative d'appel. En effet, la règle de la limitation des compétences aux affaires courantes pendant la période suivant les élections s'applique et s'impose aux commissions d'appel d'offres comme à toute autre instance élue. Le fait que le comité syndical se prononce ensuite dans une composition renouvelée ne change strictement rien. Il faut, tout à la fois, que la commission d'appel d'offres, dans un premier temps, et l'organe délibérant, dans un second temps, se prononcent dans une composition renouvelée. Cette solution nous paraît fondée. Elle évite le risque, sans doute réel en pratique, que des décisions d'attribution de contrats publics soient adoptées au lendemain des élections municipales sans attendre que les nouveaux élus soient installés dans toutes leurs fonctions.

Il restait à déterminer les conséquences de cette irrégularité. Faisant application de la jurisprudence "Ophrys" (5), les juges d'appel avaient enjoint au président du comité syndical de saisir le juge du contrat pour que celui-ci se prononce sur le contrat. En vérité, la cour administrative d'appel avait fait une application assez sommaire de la grille d'analyse fixée par l'arrêt "Ophrys" du 21 février 2011, en n'évoquant pas la possibilité d'une régularisation de l'illégalité de l'acte détachable et de la signature du marché par l'adoption d'une nouvelle décision de la commission d'appel d'offres et de l'organe délibérant du syndicat. Le Conseil d'Etat casse donc l'erreur de droit commise par les juges d'appel et offre une possibilité de régularisation à la commission d'appel d'offres et au comité syndical. Possibilité leur est donnée, dans un délai de trois mois à compter de la notification de l'arrêt, de régulariser la signature du marché par une décision de la commission d'appel d'offres et par une décision du comité syndical issus du renouvellement général des communes ayant pour objet de confirmer le choix du groupement X comme attributaire du marché et de confirmer l'autorisation donnée au président du syndicat de le signer. A défaut, le Conseil d'Etat enjoint aux parties, eu égard à la gravité du vice entachant la délibération annulée, de résoudre leurs relations contractuelles ou, à défaut d'entente sur cette résolution, de saisir le juge du contrat afin qu'il en règle les modalités s'il estime que la résolution peut être une solution appropriée.

  • Possibilité pour le pouvoir adjudicateur de limiter le nombre de lots pouvant être attribué à chaque candidat (CE 2° et 7° s-s-r., 20 février 2013, n° 363656, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2763I8T)

L'arrêt n° 363656 du 20 février 2013 vient régler une question jusque-là restée sans réponse : le pouvoir adjudicateur peut-il limiter le nombre de lots pouvant être attribué à chaque candidat ? En l'espèce, le ministère de la Justice avait informé les laboratoires agrémentés pour procéder à des identifications génétiques (lors d'une procédure judiciaire ou extrajudiciaire (6)) du lancement d'une consultation, selon la procédure adaptée, en vue de la passation d'un marché ayant pour objet l'analyse de prélèvements biologiques effectués sur les individus aux fins d'enregistrement de leur profil génétique dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques. Le marché a été scindé en trois lots géographiques, étant entendu que le règlement de la consultation prévoyait que les soumissionnaires ne pouvaient se voir attribuer plus d'un lot. Saisi par un institut de génétique, dont l'offre sur le lot n° 1 n'a pas été retenue, le juge des référés précontractuels a annulé la totalité de la procédure de passation au motif que la limitation à un seul du nombre de lots susceptibles d'être attribués à chaque candidat devait être regardé comme un critère de jugement des offres soumis aux conditions prévues par l'article 53 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L1072IR7).

Le Conseil d'Etat censure l'erreur de droit commise par le juge des référés. Avant d'examiner le raisonnement développé par la haute juridiction, il faut rappeler que l'article 10 du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2670HPL) pose le principe selon lequel l'allotissement est la règle, et le marché global l'exception. La priorité donnée à l'allotissement s'explique par le souci de susciter la plus large concurrence. Le pouvoir adjudicateur est libre de choisir le nombre de lots (7), en tenant compte, cependant, des caractéristiques techniques des prestations demandées, de la structure du secteur économique en cause et, le cas échéant, des règles applicables à certaines professions. Les candidatures et les offres sont alors examinées lot par lot, et les candidats ne peuvent présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d'être obtenus (8).

Pour le Conseil d'Etat, et même si le Code des marchés publics est silencieux sur ce point, le pouvoir adjudicateur qui recourt à l'allotissement peut décider, afin de mieux assurer la satisfaction de ses besoins en s'adressant à une pluralité de cocontractants ou de favoriser l'émergence d'une plus grande concurrence, de limiter le nombre de lots qui pourra être attribué à chaque candidat, à condition, cependant, que ce nombre soit indiqué dans les documents de la consultation. Le problème se pose, toutefois, de savoir selon quelles modalités un candidat peut présenter plusieurs offres alors qu'il ne pourra, en définitive, obtenir qu'un seul lot. Selon l'arrêt du 20 février 2013, rien n'interdit, par principe, la présentation d'une candidature pour un nombre de lots supérieur à celui pouvant être attribué à un même candidat. En revanche, les documents de la consultation doivent, dans ce cas, indiquer les modalités d'attribution des lots, en les fondant sur des critères ou règles objectifs et non discriminatoires (proximité géographique, lot pour lequel le candidat a obtenu la meilleure note, etc.). Ces critères ou règles objectifs ne sont, alors, pas des critères de jugement des offres au sens de l'article 53 du Code des marchés publics, mais, plus simplement, des modalités d'attribution des lots des marchés. La différence entre ces deux notions peut paraître ténue. En réalité, elle correspond à une certaine logique. Le critère de jugement des offres vise à sélectionner l'offre économiquement la plus avantageuse (dans le respect des règles fixées par l'article 53 du Code des marchés publics (9), tandis que le critère d'attribution des lots permet de déterminer le lot qui sera finalement attribué à un candidat ayant obtenu, au préalable, plusieurs premières places lors de la sélection des offres. Les enjeux ne sont assurément pas les mêmes dans les deux cas et l'on comprend, dès lors, fort bien que le Conseil d'Etat ait cherché à préserver la marge de manoeuvre du pouvoir adjudicateur.


(1) QE n° 36955 de M. Roman Bernard, JOAN du 6 avril 2004, p. 2797, réponse publ. 19 octobre 2004, p. 8116, 12ème législature (N° Lexbase : L4241IWY), Contrats Marchés publ., 2004, n° 261.
(2) TA Paris, 10 janvier 2008, Société Achatpublic.com, CP-ACCP, 2008, n° 74, p. 24.
(3) CAA Douai, 2ème ch., 31 janvier 2012, n° 10DA01526, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0744IEB).
(4) CE 2° et 7° s-s-r., 23 décembre 2011, publiés au recueil Lebon, n° 348647 (N° Lexbase : A8248H8Y) et n° 348648 (N° Lexbase : A8249H8Z).
(5) CE 2° et 7° s-s-r., 21 février 2011, n° 337349, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7022GZ4), Rec., p.54, Contrats Marchés publ., 2011, comm. 123, note J.-P. Pietri, Dr. adm., 2011, comm. 47, note F. Brenet.
(6) Lors de l'identification de personnes décédées par exemple.
(7) Sous le contrôle du juge, cependant : CE 2° et 7° s-s-r., 21 mai 2010, n° 333737, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A4097EXZ), Contrats Marchés publ., 2010, comm. 239, note P. Devillers.
(8) Solution qu'on ne peut qu'approuver au regard des inconvénients que présenterait celle permettant aux candidats de moduler leurs offres en fonction du nombre de lots obtenus.
(9) Article 53 du Code des marchés publics dont on sait qu'il détermine les critères permettant de choisir l'offre économiquement la plus avantageuse et qu'il impose le prix comme seul critère en cas de recours à un critère unique.

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Contrat de travail

[Manifestations à venir] Droit du travail en prison : d'un déni à une reconnaissance ?

Lecture: 2 min

N6333BTQ

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Le 28 Mars 2013

L'article 717-3 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9399IET) précise que "les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l'objet d'un contrat de travail". Il s'ensuit, malgré quelques bribes d'encadrement du travail en prison, un véritable déni de droits pour les détenus travailleurs. Cette situation fait régulièrement l'objet de dénonciations impuissantes et de contentieux voués à l'échec. Deux questions prioritaires de constitutionnalité (Cass. soc., 20 mars, n° 12-40.104, FS-P+B N° Lexbase : A9043KA8 et n° 12-40.105, FS-P+B N° Lexbase : A9046KAB) permettent d'envisager, pour la première fois en France, la reconnaissance d'un droit du travail en prison. Le Comptrasec (Centre de droit comparé du travail et de la Sécurité sociale) organise à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV, les 11 et 12 avril 2013, un colloque sur cette possible reconnaissance.
  • Programme

- Jeudi 11 avril 2013 : Etats des lieux

13h30 : Accueil

13h45 : Ouverture

Yannick Lung, Président de l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Isabelle Daugareilh, Directrice du Comptrasec, UMR CNRS-Université Montesquieu-Bordeaux IV

14h00 : Droit, Histoire, Sociologie

Modérateur : Evelyne Garçon, Professeur de droit privé à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Institut de sciences criminelles et de la justice

Philippe Auvergnon, Juriste, Directeur de recherche au CNRS, Université de Bordeaux

Jeanne-Marie Tuffery-Andrieu, Professeur d'histoire du droit, Université de Strasbourg

Fabrice Guilbaud, Sociologue, Maître de conférences à l'Université d'Amiens

16h15 : Questions de conventionalité

Modérateur : Adeline Gouttenoire, Professeur de droit privé à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Centre européen d'études et de recherches en droit de la famille et des personnes

Bénédicte Lavaud-Legendre, Juriste, Chargée de recherche au CNRS

Pierre Lyon-Caen, Avocat général honoraire à la Cour de cassation, Membre de la Commission d'experts pour l'application des Conventions de l'O.I.T.

18h00 : Grand témoin

Aude Muscatelli, Secrétaire générale du Contrôleur général des lieux de privation de liberté


- Vendredi 12 avril 2013 :
Perspectives

8h45 : Question prioritaire de constitutionnalité

Modérateur : Jean du Bois de Gaudusson, Professeur émérite des Universités, Groupement de recherches comparatives en droit constitutionnel, administratif et politique

Antoine Lyon-Caen, Professeur à l'Université de Paris-Ouest Nanterre-La Défense, Président d'honneur de l'Association française de droit du travail

Christophe Radé, Professeur de droit privé à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Centre de droit comparé du travail et de la Sécurité sociale

Anne Levade, Professeur de droit public à l'Université de Paris-Est Créteil Val-de-Marne, Secrétaire général de l'Association française de droit constitutionnel

11h00 : Droits d'ailleurs, d'ici et d'après

Modérateur : Philippe Auvergnon, Directeur de recherche au CNRS - Université de Bordeaux, Centre de droit comparé du travail et de la Sécurité sociale UMR CNRS 5114

Aude Rouyère, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

François Petit, Maître de conférences en droit privé à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


  • Renseignements et inscription

Lieu du colloque : Université Montesquieu - Bordeaux IV, Salle de Conférence Manon Cormier, avenue Léon Duguit 33 608 Pessac cedex

Inscription : Colloque ouvert à tous dans la limite des places disponibles, inscription avant le 31 mars 2013

Contact : anne-cecile.jouvin@u-bordeaux4.fr

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Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - Mars 2013

Lecture: 11 min

N6356BTL

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par Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université

Le 28 Mars 2013

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Thierry Lambert, Professeur à Aix Marseille Université, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures fiscales. Ce mois-ci, notre auteur a choisi de s'arrêter, tout d'abord, sur un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, le 26 février 2013, relatif à la recevabilité de la saisine du juge par un cohéritier. Cette saisine est recevable, le cohéritier démontrant son intérêt à agir par le fait qu'il est le destinataire des actes de la procédure d'examen et de redressement engagée par l'administration (Cass. com., 26 février 2013, n° 12-13.877, FS-P+B). La même chambre, le même jour, a rendu deux décisions liées et concernant la même société, relatives au champ d'application du droit de communication de l'administration lors d'une visite domiciliaire. Ainsi, concernant le droit de communication, la Haute juridiction judiciaire décide que l'administration peut demander l'accès à toutes les pièces comptables, ainsi qu'aux pièces en corrélation avec ces dernières, c'est-à-dire la facturation, les commandes, les contrats et les avenants (Cass. com., 26 février 2013, n° 12-14.771, F-P+B). Lors de la procédure de visite et saisies, le service peut saisir des pièces numériques, sans que la loi impose de support (CD-ROM, clé USB, etc.) (Cass. com., 26 février 2013, n° 12-14.772, F-P+B).
  • Successions : recevabilité de la saisine du juge par un cohéritier, son intérêt à agir résultant du fait qu'il doit être destinataire des actes de la procédure engagée par l'administration (Cass. com., 26 février 2013, n° 12-13.877, FS-P+B N° Lexbase : A8911I8K)

Dans cette affaire, se pose la question de savoir si un cohéritier, destinataire de l'ensemble des actes afférents à la procédure de rectification, a un intérêt à agir.

En l'espèce, à la suite d'un décès, l'administration a notifié des rectifications à des héritiers concernant des droits de succession dus par eux. Après la mise en recouvrement des droits et pénalités correspondants, et en l'absence de réponse à sa réclamation, un des héritiers a saisi le tribunal de grande instance afin d'être déchargé de cette imposition.

Rappelons que, quel que soit l'impôt contesté, les contribuables ont l'obligation de présenter à l'administration une "réclamation contentieuse". En effet, l'administration a le pouvoir de statuer sur les réclamations préalables qui lui sont présentées (LPF, art. R. 198-10 N° Lexbase : L3076HPM). L'article R. 196-3 du LPF (N° Lexbase : L5551G4D) prévoit que le délai de réclamation est égal à celui dont l'administration dispose pour établir l'impôt. Ce délai est ouvert aussi bien en ce qui concerne les impositions primitives sur lesquelles a porté la procédure de rectification engagée par l'administration, que les impositions supplémentaires qui en résultent. En principe, les décisions sur les réclamations préalables doivent être prises par l'administration dans un délai de six mois. Si, pour diverses raisons, ce n'est pas possible, l'administration, qui dispose d'un délai supplémentaire de trois mois, doit en informer le contribuable. L'absence de décision sur la réclamation pendant plus de six mois vaut rejet implicite, ce qui autorise le contribuable à saisir directement le juge (notre ouvrage, Procédures fiscales, Montchrestien, collection : Domat, 2013, pp. 501 et suivantes).

L'article 1705 du CGI (N° Lexbase : L3350HMZ) fixe pour principe que toutes les parties qui ont figuré dans un acte sont tenues solidairement aux droits d'enregistrement auxquels cet acte est soumis. En conséquence, il a été jugé que l'administration peut notifier une rectification à l'un quelconque des redevables solidaires de la dette fiscale (Cass. com., 21 janvier 1997, n° 95-10.180 N° Lexbase : A1691ACM, Droit fiscal, 1997, com. 445).

Pour sa part, l'article 1709 du CGI (N° Lexbase : L4051ICZ) dispose que l'administration peut notifier à l'un des héritiers solidaires une rectification portant sur des droits afférents à une succession. En conséquence, les parties qui figurent dans un acte étant tenues solidairement aux droits d'enregistrement auxquels cet acte est soumis, l'administration peut notifier une mise en demeure à l'un quelconque des redevables solidaires de la dette fiscale (Cass. com. 2 décembre 2008, n° 07-19.845, F-D N° Lexbase : A5232EBE, RJF, 2009, 4, com. 412). Il est toutefois recommandé à l'administration, en matière de droits de succession, de veiller à informer l'ensemble des héritiers solidaires des procédures de rectifications engagées à l'égard de l'un ou de plusieurs d'entre eux (rép. min. n° 50096, JOAN, 29 mars 2005, p. 3218).

La cour d'appel de Paris a jugé que l'un des héritiers était irrecevable à saisir le juge concernant l'irrégularité de la procédure fiscale, au motif, d'une part, qu'il a été destinataire de l'ensemble des actes afférents à celle-ci et que, d'autre part, seul son cohéritier serait en droit d'invoquer la méconnaissance du principe de la contradiction et de loyauté des débats (CA Paris, Pôle 5, ch. 5-7, 13 décembre 2011, n° 2010/20695 N° Lexbase : A1606H8Y). L'administration doit respecter le caractère contradictoire de la procédure (LPF, art. L. 57 N° Lexbase : L0638IH4) En outre, il est constant qu'un devoir général de loyauté s'impose à l'administration dans la mise en oeuvre des rectifications (Cass. com., 8 mars 2005, n° 01-17.758, FS-P+B+I N° Lexbase : A2449DH8, RJF, 2005, 7, com. 793).

La Cour de cassation a censuré la cour d'appel pour violation des articles 1709 du CGI et 16 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1133H4Q), en jugeant dépourvu d'intérêt à soulever l'irrégularité de la procédure fiscale un héritier destinataire de l'ensemble des actes afférents à celle-ci, au motif que seul son cohériter serait en droit d'invoquer la méconnaissance du principe de la contradiction et de la loyauté des débats, le non respect de ce principe ne lui fait pas grief. Autrement dit, la Cour retient que le cohéritier est recevable à ester en justice et a un intérêt à agir s'il n'a pas reçu de l'administration des actes de la procédure, quand bien même l'autre cohéritier les a reçus.

Cette position de la Cour s'inscrit à la suite d'une décision inédite rendue le 18 novembre 2008, par laquelle elle a jugé que l'administration peut choisir de notifier des rectifications à l'un des redevables solidaires d'une dette fiscale. Toutefois, la procédure doit être contradictoire et la loyauté des débats oblige l'administration à notifier, au cours de la procédure, à l'ensemble des personnes qui peuvent être poursuivies, les actes de la procédure les concernant (Cass. com., 18 novembre 2008, n° 07-19.762, F-PB N° Lexbase : A3476EBD, RJF, 2009, 2, com. 174).

  • Le droit de communication de l'administration porte sur les pièces comptables mais aussi sur les pièces qui sont en corrélation avec ces données (facturation, commande, contrat et avenant) (Cass. com., 26 février 2013, n° 12-14.771, F-P+B N° Lexbase : A8730I8T) ; lors d'une procédure de visite saisies, l'administration peut saisir des pièces numériques, sans imposition de support (Cass. com., 26 février 2013, n° 12-14.772, F-P+B N° Lexbase : A8792I87)

Une fois encore, la Cour de cassation vient d'apporter quelques précisions utiles quant à la mise en oeuvre de l'article L. 16 B du LPF (N° Lexbase : L0277IW8), concernant des opérations de visites et saisies domiciliaires.

En application de l'article L. 16 B précité, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance a délivré à l'administration, le 2 mars 2011, une ordonnance l'autorisant à exécuter les opérations susvisées. Aux yeux de l'administration, l'entreprise était suspecte de se soustraire à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les sociétés et de la TVA.

Le premier président de la cour d'appel a rendu une ordonnance, le 10 février 2012, qui n'a pas invalidé la procédure. Dans ces conditions, il ne restait plus à l'entreprise que le pourvoi en cassation.

Dans le premier arrêt (n° 12-14.771), la Cour a jugé que sont d'origine licite les pièces produites par l'administration, à l'appui d'une demande de mise en ouvre de l'article L. 16 B du LPF, qui ont été remises par une autre société dans le cadre de l'exercice du droit de communication par l'administration, visé par les articles L. 81 (N° Lexbase : L8857IRH), L. 85 (N° Lexbase : L5753ISU) et L. 102 (N° Lexbase : L0648IHH) du LPF.

Le droit de communication est régi par les articles L. 81 et suivants du LPF. C'est le droit reconnu à l'administration de prendre connaissance, et au besoin copie, de documents détenus par des tiers : entreprises, administration, établissements et organismes divers. Le droit de communication peut être exercé, en application des article L. 85 et R. 85-1 (N° Lexbase : L7055AEZ) du LPF, à l'encontre de toutes personnes physiques ou morales passibles de l'un quelconque des impôts et qui, ayant la qualité de commerçant, sont soumises aux obligations comptables du Code de commerce.

L'exercice du droit de communication n'est assorti d'aucun formalisme particulier et n'oblige pas l'administration à préciser au contribuable qu'il a, s'il le souhaite, la possibilité de se faire assister du conseil de son choix. Le droit de communication est limité au relevé passif d'écritures comptables ou à la copie de documents. Le vérificateur qui intervient à ce titre doit s'abstenir de tout examen critique de la comptabilité (CE Sect., 6 octobre 2000, n° 208765, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9611AHG, RJF, 2000, 12, com. 1497, concl. Bachelier).

Les dispositions de l'article L. 76 du LPF (N° Lexbase : L5568G4Y) imposent à l'administration d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus auprès des tiers et sur lesquels elle s'appuie pour motiver des rectifications. A la demande du contribuable, elle doit communiquer ces documents avant la mise en recouvrement des impositions. Toutefois, le Conseil d'Etat a considéré que cette obligation ne s'impose pas lorsque l'origine des renseignements se déduit implicitement, mais nécessairement, de la teneur de l'information (CE 10° et 9° s-s-r., 27 avril 2009, n° 300760, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6410EGI, M. Mateu, Droit fiscal, 2009, 25, com. 379, Bulletin des conclusions fiscales, 2009, 7, n° 92, concl. Burguburu). Pour sa part, la Cour de cassation affirme que l'administration doit communiquer les informations recueillies au contribuable, y compris si celui-ci en a déjà eu connaissance, dès lors qu'elles servent de fondement aux rectifications (Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-14.806, FS-P+B N° Lexbase : A0698EIP, Procédures, 2009, 8, note L. Ayrault, comm. 297).

L'article L. 85 précité prévoit que les contribuables doivent communiquer "tous les livres et documents annexes, pièces de recettes et de dépenses". A suivre la Cour de cassation, les documents annexes visés par cette disposition ne sont pas seulement les pièces comptables, mais aussi toutes celles qui ont une corrélation certaine avec les éléments de la comptabilité commerciale. De ce point de vue, on peut considérer qu'il convient de prendre en compte les facturations qui s'y rattachent, y compris les commandes, contrats et avenants, quand ils sont liés à la comptabilité.

La Cour de cassation a une conception parfois extensive de la notion de "document annexe". Elle a jugé, par exemple, que la consultation du registre de police d'une clinique ne constitue pas une violation du secret médical, au motif que le document consulté est "un document annexe" à la comptabilité susceptible de faire l'objet d'un droit de communication visé à l'article L. 85 du LPF (Cass. com., 1er février 1977, Bull. civ. IV, n° 40, p. 97 ; Cass. crim., 21 mai 1979, Bull. crim. n° 178, p. 494).

Dans l'affaire qui nous occupe, la Cour de cassation a jugé que les pièces obtenues dans le cadre de l'exercice du droit de communication et produites par l'administration à l'appui de sa demande d'autorisation de visite et de saisie domiciliaires sont d'origine licite.

Dans un second arrêt (n° 12-14.772), la question s'est posée de savoir si l'article L. 16 B du LPF permet, ou non, la saisie de tous documents dématérialisés accessibles depuis les locaux visités et impose, ou non, de recueillir les fichiers informatiques saisis sur un support particulier.

Le troisième alinéa de l'article L. 80 F du LPF (N° Lexbase : L0377IWU) prévoit que les agents de l'administration peuvent se faire présenter, par tous moyens ou sur tous supports, les factures, la comptabilité matière ainsi que les livres, registres et documents professionnels pouvant se rapporter à des opérations ayant donné lieu, ou devant donner lieu, à la facturation. Ils peuvent aussi procéder à des constatations matérielles des éléments physiques de l'exploitation et prendre copie des pièces dématérialisées. Aucun formalisme particulier n'est établi pour ce qui concerne la demande de copie de documents sur supports informatiques, ainsi que pour l'obligation de restitution des documents. Cet article précité autorise l'extraction de données informatiques et le tri. En conséquence, il est possible que l'administration procède à une sélection qui peut être, suivant les hypothèses, par période, par nom, par montant ou encore par type de produit, à condition que les données ne permettent pas le rapprochement avec les déclarations de chiffre d'affaires. L'administration, généralement, fait des sondages en pratiquant des extractions ponctuelles et proportionnées aux données disponibles. Les pièces peuvent être délivrées sur tout support : clé USB, CD-ROM, ou encore transfert sur le matériel administratif. Une copie est emportée par l'agent de l'administration et une copie est laissée dans l'entreprise en tant que pièce copiée.

Un principe a été posé par la Cour de cassation : l'administration n'est autorisée à n'appréhender que les documents se rapportant aux agissements retenus par l'autorisation de visite et de saisie documentaire. Toutefois, il ne lui est pas interdit de saisir des documents pour partie utiles à la preuve des agissements qualifiés par elle de frauduleux. Il appartient au juge chargé du contrôle de la régularité des opérations d'exécution d'estimer, souverainement, si les pièces en question étaient, ou non, étrangères au but de l'autorisation accordée (Cass. crim., 19 novembre 2003, F-D, RJF, 2004, 6, comm. 619). L'autorisation qui limite les pouvoirs des agents de la direction générale des finances publiques à la seule saisie de documents utiles concerne aussi bien les documents sur support papier que sur support informatique.

L'article L. 102 B du LPF (N° Lexbase : L0376IWT) fixe les règles relatives aux obligations de conservation des documents sur lesquels peuvent s'exercer les droits de communication et de contrôle. Un délai général de conservation de six ans s'applique aux livres, registres, documents ou pièces auxquels l'administration a accès pour procéder au contrôle des déclarations et des comptabilités de contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. Lorsque ces documents sont établis ou reçus sur support informatique, ils doivent être conservés pendant une durée au moins égale au délai de reprise, soit trois ans (LPF, art. L. 169 N° Lexbase : L5755IRL). A l'issue de ce délai, et jusqu'à l'expiration du délai général de six ans, les documents peuvent être conservés sur tout support au choix du contribuable.

La documentation relative aux analyses, à la programmation et à l'exécution des traitements doit être conservée jusqu'à la troisième année suivant celle à laquelle elle se rapporte, sur les supports (informatique ou papier) sur lequel elle a été élaborée. La doctrine administrative précise que "les solutions d'archivage et de traçabilité retenues par les entreprises pourront s'accompagner, par exemple, d'une sécurisation des documents dématérialisés et des données, notamment comptables au moyen d'une signature électronique fiable" (BOI 13 L-1-06, instruction du 24 janvier 2006 N° Lexbase : X5665AD8, repris dans le BoFip - Impôts, BOI-CF-COM-10-20-10 N° Lexbase : X7115AL4).

Le deuxième alinéa de l'article L. 81 du LPF prévoit que le droit de communication s'exerce quel que soit le support utilisé pour la conservation des documents, y compris quand celui-ci est magnétique (décret n° 90-799 du 10 septembre 1990 N° Lexbase : L1755ISS). Conformément aux articles 29 et 43 de la loi 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (N° Lexbase : L8794AGS), un accès direct aux informations contenues dans les fichiers informatisés est réservé aux agents de la direction générale des finances publiques. Toutefois, il est exclu qu'ils obtiennent des copies entières de fichiers, afin de respecter les principes énoncés par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (rép. min., Léonard, n° 17369, JOAN, 24 avril 1987, p. 2399).

Dans cette affaire, la Cour de cassation a jugé que l'article L. 16 B précité permet la saisie de tous documents dématérialisés accessibles depuis les locaux visités et n'impose pas de recueillir les fichiers informatiques saisis sur un support particulier.

Finalement, les deux arrêts rendus le même jour, le 26 février 2013, sont en défaveur de la même entreprise qui a initié la procédure contentieuse.

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Propriété

[Jurisprudence] L'animus : seule constante de la possession utile pour prescrire

Réf. : Cass. civ. 3, 20 février 2013, n° 11-25.398, FS-P+B (N° Lexbase : A4293I8I)

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par Séverin Jean, docteur en droit privé, Université Toulouse I Capitole (IEJUC)

Le 29 Mars 2013

Celui qui entend se prévaloir d'une prescription acquisitive immobilière doit justifier d'une possession utile. Or, la possession, présentée le plus souvent comme un pouvoir de fait, requiert l'existence tant du corpus que de l'animus. Pourtant, la Cour de cassation, par un arrêt du 20 février 2013, vient nuancer cette exigence, ou du moins, l'envisage selon qu'il est question de constituer ou de conserver la possession utile pour prescrire. En l'espèce, des époux assignèrent la Polynésie française pour se voir déclarer propriétaires, par prescription acquisitive, de deux parcelles dont ils disent avoir la possession depuis 1934. La cour d'appel de Papeete, par un arrêt du 9 décembre 2010 (CA Papeete, 9 décembre 2010, n°  11/Terre/08 N° Lexbase : A4139GQD), rejeta la demande au motif, d'une part, qu'aucun fait matériel d'occupation effective n'a été constaté lors du transport sur les lieux en 2007 et, d'autre part, que les témoignages n'étaient pas suffisamment probants pour établir une possession trentenaire. Les époux formèrent alors un pourvoi en cassation. Dès lors, la Cour de cassation devait se demander si l'absence d'actes matériels d'occupation réelle excluait toute possession utile pour prescrire ? La Cour de cassation, au visa de l'ancien article 2229 du Code civil (N° Lexbase : L2517ABT ; aujourd'hui C. civ., art. 2261 N° Lexbase : L7210IAB), cassa l'arrêt d'appel au motif que si la possession légale utile pour prescrire ne peut s'établir à l'origine que par des actes matériels d'occupation réelle, celle-ci se conserve, tant que le cours n'en est pas interrompu ou suspendu, par la seule intention, de sorte que la cour d'appel aurait dû rechercher si la possession ne s'était pas poursuivie par la seule intention des possesseurs d'en être propriétaires.

L'arrêt commenté a un double intérêt. En effet, en distinguant l'établissement de la conservation de la possession utile pour prescrire, les magistrats du quai de l'Horloge rappellent que si le corpus et l'animus sont nécessaires lors de l'établissement de la possession, l'animus, en revanche, suffit au stade de la conservation de la possession.

I - L'exigence du corpus et de l'animus lors de l'établissement de la possession

De la possession avant toute chose. La possession, contrairement à la propriété, est un pouvoir de fait sur bien, une situation de fait qui a vocation à devenir une situation de droit. En effet, l'article 712 in fine du Code civil (N° Lexbase : L3321ABM) prévoit la possibilité d'acquérir la propriété par prescription. Or, en matière immobilière ce mécanisme, que l'on nomme prescription acquisitive ou usucapion, consiste à "acquérir un bien [immobilier] par l'effet de la possession [...]" (1). Dès lors, avant même de s'intéresser aux conditions spécifiques de la prescription acquisitive, il convient de rapporter la preuve d'une possession. A cet égard, il n'y a de possession en matière immobilière que si celui qui entend en bénéficier démontre qu'il dispose tant du corpus que de l'animus (A). Ces deux éléments constitutifs de la possession sont un préalable à toute possession utile dont l'appréciation relève des juges du fond (B).

A - Corpus et animus : éléments constitutifs de la possession

Définition du corpus. La Cour de cassation affirme, en l'espèce, que "la possession légale utile pour prescrire ne peut s'établir à l'origine que par des actes matériels d'occupation réelle [...]". Il résulte de cette affirmation que la possession ne saurait s'établir -c'est-à-dire être constituée- sans l'existence du corpus. En effet, l'article 2255 du Code civil (N° Lexbase : L7201IAX ; ancien article 2228 N° Lexbase : L2516ABS) dispose que "la possession est la détention ou la jouissance d'une chose ou d'un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l'exerce en notre nom". Dès lors, le corpus correspond à l'accomplissement d'actes matériels que le titulaire du droit réaliserait en cette qualité. En d'autres termes, la possession requiert la maîtrise effective du bien -ici immobilier-. Cela étant, même si l'arrêt commenté ne l'évoque pas expressément, le corpus est insuffisant pour caractériser la possession dans la mesure où l'article 2255 précité invite à penser que l'on puisse posséder à plusieurs titres : propriétaire, locataire...etc.. Aussi, la Cour de cassation, en visant l'ancien article 2229 du Code civil (2261 nouveau), renvoie au second élément constitutif de la possession.

Définition de l'animus. L'ancien article 2229 (2261 nouveau) du Code civil dispose que "pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue, non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire". Si cette disposition traite des qualités que doit avoir la possession pour être utile, c'est-à-dire être en mesure de produire son effet acquisitif, la référence d'une possession à titre de propriétaire est, en réalité, le second élément constitutif de la possession : l'animus. L'animus est l'élément psychologique en ce sens qu'il manifeste, d'une part, la volonté de détenir un bien pour accomplir des actes matériels et, d'autre part, l'intention de se comporter comme le propriétaire du bien pour lequel il réalise des actes matériels. Le doyen Gérard Cornu a remarquablement fait ressortir la conjugaison nécessaire entre le corpus et l'animus au stade de la constitution de la possession quand il écrit que "la possession est -avec ou sans droit- l'imitation parfaite de la propriété, corps et âme de la propriété, c'est la propriété vécue en action et en intention, en acte de pensée, fût-ce par qui sait bien n'être pas propriétaire" (2). L'animus est donc tout autant indispensable que le corpus lors de l'établissement de la possession, puisqu'en son absence les actes matériels ne sont pas significatifs, ces derniers pouvant simplement correspondre à des actes de détention pour autrui. Si abstraitement, l'exigence du corpus et de l'animus n'appelle pas d'autres commentaires, il en va autrement, quand il revient aux juges d'en apprécier le contenu.

B - L'appréciation du corpus et de l'animus

L'animus présumé. La preuve de l'animus est sans aucun doute plus facile à établir que celle du corpus dans la mesure où l'article 2256 du Code civil (N° Lexbase : L7200IAW ; ancien article 2231 N° Lexbase : L2519ABW) dispose qu'"on est toujours présumé posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s'il n'est pas prouvé qu'on a commencé à posséder pour un autre". Dès lors, le possesseur jouit d'une présomption simple de possesseur à titre de propriétaire qui ne cédera que si le véritable propriétaire rapporte la preuve contraire. En revanche, le contenu du corpus appelle davantage d'observations.

Le contenu du corpus. L'arrêt commenté voit dans le corpus "des actes matériels d'occupation réelle". Si le législateur (3) exclut du corpus les actes de pure faculté (4) et ceux de simple tolérance (5), il n'en demeure pas moins qu'il convient de se demander ce que signifie la notion d'acte matériel. Par acte matériel, la jurisprudence entend assurément exclure les actes juridiques accomplis par le possesseur. Bien que critiquée par une partie de la doctrine, cette position s'expliquerait de deux manières. D'une part, en matière de prescription acquisitive immobilière, la nature du bien que l'on souhaite prescrire imposerait la réalisation d'actes matériels tandis qu'en matière de biens incorporels, la dématérialisation du corpus invite à prendre en compte les actes juridiques, lesquels intellectualisent, transcendent le corpus dématérialisé. D'autre part, et plus globalement, la jurisprudence ne saurait se contenter d'actes juridiques puisqu'ils pourraient très bien être effectués par d'autres personnes n'ayant pas la qualité de possesseur. Ainsi, par exemple, il a été jugé que la détention d'un acte de notoriété constatant une possession de trente ans ainsi qu'un procès-verbal de bornage et une attestation de paiement des impôts fonciers étaient insuffisants pour caractériser une possession utile pour prescrire, laquelle requiert la réalisation d'actes matériels (6). Dès lors, les actes juridiques échappent au corpus, ou du moins, ne sont pris en considération que s'ils corroborent des actes matériels (7).

L'appréciation des actes matériels. La Cour de cassation a, depuis bien longtemps, admis qu'il appartenait aux juges du fond d'apprécier les faits de possession (8). L'étude de la jurisprudence montre que les actes matériels de possession sont tous ceux qui témoignent d'une véritable occupation, jouissance, détention du bien litigieux. Ainsi, même si la jurisprudence utilise des termes différents -actes matériels effectifs (9)- il n'en demeure pas moins que tous les actes accomplis, pour être qualifiés de matériels au sens du corpus, doivent apparaître comme ceux que le véritable propriétaire aurait réalisés du fait de cette qualité. Il en va, par exemple, ainsi de la construction d'un phare, du fait d'habiter les lieux et de cultiver le terrain en cause (10). On peut encore citer le fait de construire une maison, puis une chapelle. En revanche, la simple occupation ne suffit pas, puisqu'il a par exemple été jugé, que la simple occupation (utilisation d'un chemin appartenant au domaine privé d'une commune) ne suffisait pas à caractériser un acte matériel de possession (12). Dès lors, en l'espèce, on comprend que la Cour de cassation ait effectivement retenu la présence d'actes matériels d'occupation réelle (13) dans la mesure où le terrain avait été nettoyé et des arbres fruitiers plantés. En définitive, la difficulté dans l'arrêt commenté ne résidait pas tant dans la constatation de l'établissement de la possession, laquelle était acquise par la réunion du corpus et de l'animus, mais dans sa conservation. En effet, la Cour de cassation semble admettre que la conservation de la possession pendant trente ans est possible en l'absence d'actes matériels de possession.

II - La seule exigence de l'animus lors de la conservation de la possession

Quand la possession animo solo est suffisante. L'enseignement principal de cet arrêt tient au fait qu'il convient de distinguer entre la constitution de la possession, laquelle marque le point de départ de la prescription acquisitive, et la conservation de celle-ci. L'animus et le corpus sont exigés lors de la constitution de la possession, alors que seul l'animus est requis pour sa conservation (A). Toutefois, les magistrats du quai de l'Horloge prennent soin de préciser que cela n'est vrai qu'à la condition que le cours de la prescription ne soit pas interrompu ou suspendu (B).

A - Le principe de la possession animo solo

L'ancien article 2229 du Code civil (2261 nouveau). Rappelons que ce dernier dispose que "pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue, non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire". Si cette disposition vise les qualités que doit avoir la possession pour être utile, c'est-à-dire produire son effet acquisitif, il n'est pas inutile de voir que l'on y retrouve encore la nécessité de posséder à titre de propriétaire. Aussi, peut-être faut-il voir dans cette qualité, qui n'en n'est pas une, le signe que l'animus est exigé tant au niveau de la constitution que de la conservation de la possession. Par conséquent, une lecture a contrario conduit à ne plus exiger la réalisation d'actes matériels.

L'indifférence des actes matériels. Comment expliquer que la Cour de cassation considère que la possession n'a pas cessé malgré l'absence d'actes matériels ? Il nous semble que la réponse soit en définitive très simple. En effet, le possesseur qui entend prescrire doit se comporter comme un propriétaire. Or, on sait que la propriété ne se perd pas par le non-usage de sorte que l'absence de réalisation d'actes matériels, lors de la conservation de la possession, ne saurait s'analyser comme une renonciation à la prescription acquisitive (14). En d'autres termes, un propriétaire demeure propriétaire même s'il n'accomplit pas d'actes matériels, et ce d'autant plus, que le non-usage est en soi une forme d'exercice de la propriété. Le possesseur devant se comporter comme un propriétaire, il n'y a pas de raison qu'il ne bénéficie pas de la même appréciation. Dès lors, seul compte le maintien de l'animus comme l'indique la Cour de cassation.

De l'animus encore et toujours. L'animus au stade de la conservation de la possession est naturellement une exigence impérieuse car si celui-ci n'existe plus, alors la possession cesse, car on peut alors, par exemple, posséder pour le compte d'autrui. En revanche, la perte du corpus n'entraîne pas la fin de la possession à la condition que subsiste l'animus. Cela étant dit, on pourrait y voir une contradiction avec l'exigence de continuité dans la mesure où l'on voit mal comment celle-ci est satisfaite alors même que le possesseur ne réalise pas d'actes matériels sur le bien qu'il entend prescrire. Pourtant, la contradiction n'est qu'apparente. En effet, si les actes matériels ont cessé, ils ont toutefois présidé à l'établissement de la possession. Et puisque le possesseur est présumé posséder à titre de propriétaire, il demeure celui qui a accompli et qui est susceptible, encore et toujours, de réaliser des actes matériels. L'animus confère au possesseur une vocation à effectuer -comme tout propriétaire- des actes matériels, mais comme tout propriétaire, il n'est pas obligé d'y procéder. Toutefois, il convient de préciser que la Cour de cassation, par un arrêt remarqué, a nuancé cette position en indiquant que "la possession est continue, lorsqu'elle a été exercée dans toutes les occasions, comme à tous les moments où elle devait l'être, d'après la nature de la chose possédée, sans intervalles anormaux assez prolongés pour constituer des lacunes" (15). Là encore, il appartient aux juges du fond d'apprécier le caractère continue de la possession au regard des critères édictés par la jurisprudence : nature du bien, intervalles anormaux...etc.. En l'espèce, cet argument aurait pu être avancé puisque seule la période allant de 1934 à 1948 était acquise. Cependant, le défendeur au pourvoi, en ne rapportant des preuves que pour la période postérieure à 1977, ne démontre pas que le possesseur n'a pas effectué d'actes matériels contredisant la continuité entre 1948 et 1964 -terme de la prescription trentenaire-. Par conséquent, les magistrats du quai de l'Horloge se satisfont du seul animus, ce dernier présumant sans doute, faute de preuve contraire, l'accomplissement d'actes matériels pour la période de 1948 à 1964.

B - Le principe conditionné de la possession animo solo

Suspension et interruption. Si l'animus suffit lors de la conservation de la possession, reste que celle-ci peut-être troublée ou cessée si elle est interrompue ou suspendue comme l'indique l'arrêt commenté.

De la suspension. La suspension ne met pas fin à la possession, elle "en arrête temporairement le cours sans effacer le délai déjà couru" (16) en raison de certaines circonstances. Le législateur a effectivement prévu de nombreuses hypothèses dans lesquelles la prescription acquisitive est suspendue. D'une part, ces situations visent, par exemple, à protéger des personnes qui ne sont pas en mesure de remédier à la prescription qui les menace. Il en va ainsi, par exemple, des mineurs non émancipés (17), des majeurs en tutelle (18) ou encore des époux (19) et des partenaires liés par un pacte civil de solidarité (20). D'autre part, le législateur a, par exemple, consacré la jurisprudence antérieure à la loi du 17 juin 2008 puisque l'article 2234 du Code civil (N° Lexbase : L7219IAM) évoque désormais comme cause de suspension la force majeure. Toutes ces causes de suspension, que du reste il est inutile de lister, ne remettent pas en cause pour autant l'animus, celui-ci est juste dans l'impossibilité de s'exprimer. En revanche, il va tout autrement de l'interruption de la prescription acquisitive.

De l'interruption. L'interruption, contrairement à la suspension, "efface le délai de prescription. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien" (21). Les causes d'interruption, parce qu'elles mettent fin à la possession, contredisent l'animus. En effet, la prescription sera interrompue soit que le possesseur cesse effectivement sa possession, soit qu'il reconnaisse qu'un tiers est le véritable propriétaire ou encore si celui-ci démontre son intention d'exercer son droit. Une observation terminale. On remarquera que la perte du bien lui-même ne constitue pas un véritable abandon dans la mesure où la possession peut être animo solo. L'interruption vise donc l'animus et montre là encore que lui seul est nécessaire au stade de la conservation de la possession. Cela est d'autant plus juste à la lecture de l'article 2240 du Code civil (N° Lexbase : L7225IAT), lequel dispose que "la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription". En effet, l'aveu par le possesseur de n'être qu'un détenteur précaire a pour conséquence de démentir son animus et partant, met fin à la possession. En définitive, l'enseignement de cet arrêt est double : si en matière de prescription acquisitive immobilière, il est nécessaire de rapporter la preuve au stade de l'établissement de la possession tant du corpus que l'animus ; en revanche, seul ce dernier est requis lors de la conservation de la possession.


(1) C. civ., art. 2258 (N° Lexbase : L7194IAP).
(2) G. Cornu, Vocabulaire juridique, 4ème éd. PUF, v° possession.
(3) C. civ., art. 2262 (N° Lexbase : L7209IAA) (ancien article 2232 N° Lexbase : L2520ABX).
(4) Les actes de pure faculté "consistent dans l'exercice normal du droit de propriété : n'empiétant pas sur le fonds d'autrui, ils ne constituent pas, a fortiori, des actes de possession susceptibles de faire acquérir par usucapion un droit sur ce fond" (J. Ghestin (dir.), Les biens, 2ème éd., LGDJ, 2010, n° 199).
(5) Les actes de simple tolérance "sont des actes d'immixtion sur le fonds d'autrui qui sont accomplis avec la permission tacite ou expresse du propriétaire de ce fonds" (J. Ghestin (dir.), op. cit., loc. cit.).
(6) Cass. civ. 3, 27 avril 1983, n° 82-11.511 (N° Lexbase : A1942CK7), Bull. civ. III, n° 98. V. encore Cass. civ. 3, 9 juillet 2008, n° 07-11.601, FS-D (N° Lexbase : A6231D9N).
(7) Cass. civ. 3, 4 octobre 2000, n° 98-11.780, publié (N° Lexbase : A0815CGB), Bull. civ. III, n° 158. La Cour de cassation décide que "si l'existence d'un acte notarié constatant une usucapion ne peut, par elle-même, établir celle-ci, il appartient au juge d'en apprécier la valeur probante quant à l'existence d'actes matériels de nature à caractériser la possession invoquée [...]".
(8) Cass. civ. 3, 7 mars 1972, n° 70-14.512, publié (N° Lexbase : A4302CGG), Bull. civ. III, n° 158.
(9) Cass. civ. 3, 13 novembre 1997, n° 95-21.952 (N° Lexbase : A0796ACH), Bull. civ. III, n° 200. En l'espèce, l'exploitation du bien, la plantation d'arbres, le fauchage de l'herbe ou encore le fait de cueillir les fruits.
(10) Cass. civ. 3, 19 mai 2004, n° 02-19.800, FS-P+B (N° Lexbase : A1978DCA).
(11) Cass. civ. 3, 22 janvier 2013, n° 11-25.390, F-D (N° Lexbase : A8808I3M).
(12) Cass. civ. 3, 11 décembre 2012, n° 11-27.004, F-D (N° Lexbase : A1113IZA).
(13) On notera un arrêt de la première chambre civile du 10 février 1965 qui, au visa de l'ancien article 2229 du Code civil, affirme dans son chapeau que "la possession légale utile pour prescrire s'établit par des actes d'occupation réelle" (Cass. civ. 1, 10 février 1965, n° 62-10.627, publié N° Lexbase : A0133KBK, Bull. civ. I, n° 119).
(14) Cass. civ. 3, 9 juillet 2003, n° 02-11.621, FS-P+B (N° Lexbase : A1157C9Q), Bull. civ. III, n° 156.
(15) Cass. civ. 1, 3 mai 1960, n° 2335 (N° Lexbase : A0134KBL), Bull. civ. I, n° 230.
(16) C. civ., art. 2230 (N° Lexbase : L7215IAH).
(17) C. civ., art. 2235 (N° Lexbase : L7220IAN anc. art. 2252).
(18) Ibid..
(19) C. civ., art. 2236 (N° Lexbase : L7221IAP).
(20) Ibid..

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Santé

[Jurisprudence] Stress et épuisement professionnels : la Cour de cassation franchit le pas

Réf. : Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-22.082, FS-P+B (N° Lexbase : A9750I9Y)

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N6354BTI

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par Sébastien Tournaux, Professeur à l'Université des Antilles et de la Guyane

Le 28 Mars 2013

Depuis une dizaine d'années, les risques psychosociaux font l'objet de nombreux travaux et colloques universitaires, cela traduisant l'émergence de risques d'une nouvelle nature encourus par les salariés. Malgré l'urgence sociale que ces risques impliquent, le droit du travail est resté très en retrait de ces évolutions, seuls les partenaires sociaux ayant véritablement tenté de s'approprier le problème avec une efficacité très relative. Le législateur ne s'est à ce jour pas encore véritablement intéressé à cette problématique sauf par le prisme des harcèlements qui, eux, sont relativement bien encadrés. Confrontée à cette carence, la Chambre sociale de la Cour de cassation décide donc de franchir un véritable cap en reconnaissant les concepts de stress professionnel et, surtout, d'épuisement professionnel par une décision rendue le 13 mars 2013. Par cet arrêt, la Haute juridiction juge que l'absence prolongée d'un salarié résultant d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ne peut être invoquée pour justifier un licenciement et que, par conséquent, les juges du fond devaient rechercher si l'état de santé du salarié était lié à un stress et un épuisement professionnels (I). Cette décision est importante, tant sur le plan technique puisqu'elle encadre un peu plus encore le licenciement pour absences prolongées ou répétées que sur le plan théorique puisqu'elle permet une véritable prise en compte, via l'obligation de sécurité, de nouveaux risques psychosociaux (II).
Résumé

Lorsque l'absence prolongée du salarié pour cause de maladie résulte d'un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité de résultat, ses conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise ne peuvent être invoquées pour justifier un licenciement.

Les juges du fond devaient rechercher si la salariée n'avait pas été exposée à un stress permanent et prolongé à raison de l'existence d'une situation de surcharge de travail conduisant à un épuisement professionnel de nature à entraîner une dégradation de son état de santé susceptible de caractériser un lien entre sa maladie et un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Commentaire

I - Stress et épuisement professionnels : pas de licenciement pour désorganisation de l'entreprise en raison des absences du salarié

  • La prise en compte des risques psychosociaux par le droit du travail

Les risques psychosociaux au travail apparaissent, depuis une dizaine d'années, comme l'une des problématiques majeures de la santé au travail dans les entreprises françaises. Pour autant, leur prise en considération par le droit du travail reste balbutiante (1). Les harcèlements et les discriminations sont seuls véritablement encadrés par le Code du travail, mais il s'agit davantage de comportements adoptés par l'employeur ou par un collègue que des conséquences de ceux-ci sur la santé mentale du salarié.

Quelques textes conventionnels ont cependant été adoptés sur la question tels que l'accord-cadre européen sur le stress au travail du 8 octobre 2004 (2) et sa transposition par l'accord national interprofessionnel sur le stress au travail le 24 novembre 2008 (N° Lexbase : L4997IUM) (3).

La Chambre sociale de la Cour de cassation prend parfois, elle aussi, en compte l'existence des risques psychosociaux. Ainsi, notamment, envisage-t-elle les situations de stress mais, le plus souvent, dans le cadre de qualifications de harcèlement moral (4). La question des suicides au travail a principalement été traitée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en matière d'accident du travail (5). La notion de burn out ou épuisement professionnel était, quant à elle, jusqu'ici totalement occultée par la jurisprudence, quelques tentatives de définition ayant tout de même été apportées par la doctrine (6).

  • Risques psychosociaux et obligation de sécurité de l'employeur

Qu'il s'agisse de stress, d'angoisses, de troubles somatiques, d'addictions, d'épuisement professionnel ou, a fortiori, de suicides, tous les risques psychosociaux emportent par définition une atteinte à la santé du salarié et, à ce titre, peuvent caractériser un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité si tant est, bien entendu, que ces symptômes soient causés par le travail.

En effet, l'article L. 4121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3097INZ) impose à l'employeur une obligation de sécurité de résultat, obligation lui imposant de veiller à "protéger la santé physique et mentale des travailleurs" (7). L'article L. 4121-2 (N° Lexbase : L8844ITQ) propose des principes généraux de prévention qui résonnent très clairement avec les risques psychosociaux : l'employeur doit "adapter le travail à l'hommeplanifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel [...]" (8).

Pour autant, en matière de risques psychosociaux, l'obligation de sécurité de l'employeur n'avait jusqu'ici été mobilisée que pour sanctionner des harcèlements (9), des violences faites au salarié (10) voire, par une conception extensive, des mesures de réorganisation pouvant porter atteinte à la santé ou à la sécurité des salariés (11).

  • L'affaire

Engagée dix mois plus tôt, une salariée était licenciée pour absences prolongées ou répétées perturbant l'organisation et le bon fonctionnement de l'entreprise, licenciement que la salariée contesta devant le juge prud'homal. La cour d'appel de Lyon débouta la salariée de ses demandes en estimant que la salariée n'avait jamais alerté son employeur sur une situation de stress anormal et qu'elle n'avait pas contacté le médecin du travail.

La Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles L. 1232-1 (N° Lexbase : L8291IAC), L. 4121-1 (N° Lexbase : L3097INZ) et L. 4121-2 (N° Lexbase : L8844ITQ) du Code du travail. Par une formule générale, la Cour dispose que "lorsque l'absence prolongée du salarié pour cause de maladie résulte d'un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité de résultat, ses conséquences sur le fonctionnement de l'entreprise ne peuvent être invoquées pour justifier un licenciement". Ainsi, la cour d'appel devait rechercher si la salariée "n'avait pas été exposée à un stress permanent et prolongé à raison de l'existence d'une situation de surcharge de travail conduisant à un épuisement professionnel de nature à entraîner une dégradation de son état de santé susceptible de caractériser un lien entre [sa] maladie [...] et un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité".

Malgré son niveau de publicité relativement banal (arrêt simplement publié au Bulletin), cette décision est d'une grande importance, sur le plan technique comme sur le plan théorique.

II - Stress et épuisements professionnels : la prise en compte prétorienne effective des risques psychosociaux

  • Apport technique : nouvelle limitation du licenciement à raison d'absences prolongées désorganisant l'entreprise

Malgré les dispositions de l'article L. 1133-3 du Code du travail qui n'autorisent que les différences de traitement "fondées sur l'inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l'état de santé ou du handicap", la Chambre sociale accepte de longue date qu'un salarié puisse être licencié lorsque ses absences répétées ou prolongées désorganisent le fonctionnement de l'entreprise et rendent son remplacement définitif indispensable (12).

Les conditions d'un tel licenciement sont relativement strictes. Outre l'exigence d'absences prolongées ou répétées, la nécessité du remplacement du salarié doit être démontrée et, surtout, ce remplacement doit être définitif, si bien qu'en pratique, un autre salarié doit être engagé par contrat à durée indéterminée (13). Faute que ces conditions soient réunies, malgré l'inévitable prise en compte de l'état de santé du salarié (14), la sanction demeure une absence de cause réelle et sérieuse et non la nullité du licenciement (15).

Par la décision commentée, la Chambre sociale apporte une nouvelle limite à ce type de licenciement : le juge doit rechercher si le licenciement ne résulte pas d'une altération de santé découlant d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, auquel cas le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse. L'employeur ne peut se prévaloir d'une altération de l'état de santé dont il est responsable pour licencier un salarié (16).

L'analogie avec le harcèlement moral ou sexuel vient immédiatement à l'esprit. On se souviendra, en effet, que le licenciement en raison des absences répétées ou prolongées d'un salarié victime de harcèlement moral ou sexuel (17) est sanctionné par la nullité compte tenu des prescriptions du Code du travail qui interdisent un tel licenciement (18). De manière plus générale, le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité déteint très souvent sur la qualification de la rupture du contrat de travail comme le démontre la jurisprudence relative à la prise d'acte de la rupture (19) ou à la résiliation judiciaire (20) du contrat de travail produisant alors les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

  • Un licenciement causé par la désorganisation de l'entreprise ou par l'état de santé du salarié ?

Si la règle posée semble logique, elle pourrait avoir pour effet de restreindre assez sérieusement le champ de ce motif de licenciement. Celui-ci pourra encore être invoqué lorsque les absences du salarié seront liées à une altération de l'état de santé sans aucun lien avec son travail, par exemple en cas de répétition de maladies non professionnelles. En revanche, dès lors qu'un lien avec le travail pourra être établi, un doute s'instillera quant à l'éventualité d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et, à tout le moins, le juge aura la charge de rechercher si ce lien existe.

Une autre remarque, plus théorique, peut être formulée s'agissant cette fois des fondements de ce motif de licenciement. Comme nous l'avons rappelé, les magistrats de la Cour de cassation, Assemblée plénière en tête, considèrent qu'il ne s'agit pas d'un licenciement justifié par l'état de santé du salarié mais d'un licenciement fondé sur la désorganisation causée à l'entreprise par les absences du salarié. Somme toute, ce qui devrait donc être essentiel dans la détermination de la cause réelle et sérieuse du licenciement, c'est l'existence et l'importance de cette désorganisation et non l'origine de la maladie du salarié... En cherchant à protéger le salarié contre les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, la Chambre sociale montre tout le caractère fictif du raisonnement tendant à objectiver cette cause de licenciement et à nier qu'il repose, au moins pour partie, sur la santé du salarié.

  • Apport théorique : la prise en compte du stress et de l'épuisement professionnel

Une autre dimension doit être prise en compte dans cette décision puisque c'est, à notre connaissance, la première fois que la Chambre sociale de la Cour de cassation s'appuie sur le stress et l'épuisement professionnels de manière autonome pour motiver une de ses décisions. Il n'est, en effet, pas question ici de harcèlement moral comme cela est généralement le cas des décisions retenant l'existence d'un stress. Quant à la notion d'épuisement professionnel, elle est quasiment inédite dans les arrêts de la Chambre sociale. L'apport est peut-être essentiellement symbolique. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'une véritable reconnaissance prétorienne de ces concepts sur le plan juridique.

On peut d'abord relever que la Chambre sociale, suivant ainsi les demandes de la salariée, impose aux juges du fond une recherche de causalité dont la chaîne est particulièrement étendue : une surcharge de travail a causé un stress permanent et prolongé qui a lui-même entraîné un épuisement professionnel source d'une atteinte à l'état de santé de la salariée. Ce raisonnement, très subtil, est indispensable car le stress ou les burn out peuvent résulter d'autres causes que le travail si bien qu'il est nécessaire que soit démontré le lien avec le travail pour que le manquement à l'obligation de sécurité soit avéré. A la suite de cette décision de cassation, les juges de renvoi devront donc remettre l'ouvrage sur le métier et l'on peut penser que la tâche ne sera pas aisée sur le plan probatoire. En effet, contrairement au harcèlement qui bénéficie de règles probatoires spécifiques, le stress, l'épuisement professionnel et, même, d'une certaine manière, l'obligation de sécurité relèvent des règles de preuve de droit commun.

On peut ensuite noter qu'une fois encore, l'obligation de sécurité à la charge de l'employeur sert d'argument subsidiaire pour sanctionner des comportements étrangers aux concepts juridiques du droit du travail. Si cela n'a rien d'étonnant, il serait certainement préférable qu'un cadre législatif intervienne pour définir et encadrer les risques psychosociaux dans notre pays. La seule tentative de mesures générales résulte de l'ANI sur le stress au travail dont les insuffisances ont été souvent dénoncées si bien que l'on peut malheureusement demeurer pessimiste quant à l'avènement d'un régime légal plus détaillé et solide que ne l'est le seul soutien de l'obligation de sécurité de l'employeur.


(1) L. Lerouge, La reconnaissance d'un droit à la protection de la santé mentale en droit du travail, LGDJ, Bibl. droit social, t. 40, 2005 ; P. Adam, La prise en compte des risques psychosociaux par le droit du travail français, Dr. ouvr., 2008, p. 315 ; D. Jourdan, P.- H. Antonmattei, A. Derue, M. Morand, Les risques psychosociaux, éditions Lamy, 2010 ; F. Pelletier, K. Bézille, L'entreprise à l'épreuve des risques psychosociaux, éditions Liaisons, 2011.
(2) V. l'accord cadre du 8 octobre 2004 avec les commentaires d'Y. Lasfargue.
(3) P.- Y. Verkindt, L'ANI du 2 juillet 2008 sur le stress au travail entre lumière et ombre, JCP éd. S, 2008, 483 ; B. Legros, La transposition de l'accord-cadre européen du 8 octobre 2004 sur le stress au travail, JCP éd. S, 2009, 1264.
(4) V. les décisions citées par l’Ouvrage "Droit du travail" (N° Lexbase : E4547EXP). De manière plus autonome, v. également Cass. civ. 2, 8 novembre 2012, n° 11-23.855, F-D (N° Lexbase : A6811IW8) et les obs. de M. Del Sol, Accident cardiaque du salarié : les pratiques managériales liées au stress au révélateur de l'obligation de sécurité et de la faute inexcusable, Lexbase Hebdo n° 510 du 20 décembre 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N4958BTS).
(5) Cass. civ. 2, 10 mai 2007, n° 06-10.230, FS-P+B (N° Lexbase : A1135DWX) et les obs. de Ch. Willmann, La qualification d'accident du travail du suicide consécutif à un harcèlement moral, Lexbase Hebdo n° 261 du 24 mai 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N1670BBH).
(6) Notamment F. Pelletier, K. Bézille, préc., pp. 29-32. V. tout de même une décision relative à une qualification de harcèlement moral appuyée, notamment, sur un état d'épuisement professionnel, Cass. soc., 23 mars 2011, n° 08-45.140, F-D (N° Lexbase : A7587HIT). D'autres risques psychosociaux sont encore totalement ignorés en tant que tel : alcoolisme, addictions diverses, isolement professionnel, etc..
(7) Nous soulignons.
(8) Comme toujours, l'adverbe notamment joue un rôle fondamental permettant, par exemple, d'étendre cette obligation de prévention à d'autres situations que celles de harcèlement.
(9) Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-44.019, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6087ERU) et nos obs., La vigueur retrouvée de l'obligation de sécurité de résultat, Lexbase Hebdo n° 383 du 18 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2358BNN).
(10) Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-40.144, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6060ERU).
(11) Arrêt "Snecma", Cass. soc., 5 mars 2008, n° 06-45.888, FS-P+B+R (N° Lexbase : A3292D73) et les obs. de Ch. Radé, L'obligation de sécurité de l'employeur plus forte que le pouvoir de direction, Lexbase Hebdo n° 297 du 20 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4384BE4).
(12) Cass. soc., 16 juillet 1998, n° 97-43.484, publié (N° Lexbase : A3150ABB) ; Dr. soc., 1998, p. 950, obs. A. Mazeaud ; RJS, 1998, p. 728.
(13) Cass. soc., 18 octobre 2007, n° 06-44.251, FS-P+B (N° Lexbase : A8190DYY) ; Ass. plén., 22 avril 2011, n° 09-43.334, P+B+R+I (N° Lexbase : A1067HP9) et les obs. de G. Auzero, La notion de remplacement définitif précisée à son tour par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 438 du 5 mai 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1350BSS).
(14) Ce qui n'est pas l'avis de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, v. Ass. plén. 22 avril 2011, préc..
(15) Cass. soc., 14 décembre 2005, n° 04-41.787, F-D (N° Lexbase : A0116DMA) ; Cass. soc., 16 septembre 2009, n° 08-41.879, F-P+B (N° Lexbase : A1132ELI) et les obs. de G. Auzero, De l'office du juge en cas de licenciement d'un salarié malade, Lexbase Hebdo n° 365 du 1er octobre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9394BLI).
(16) Cela peut être analysé comme une forme altérée d'application de l'adage Nemo auditur..., la turpitude étant caractérisée par le manquement à l'obligation de sécurité.
(17) Cass. soc., 11 octobre 2006, n° 04-48.314, F-P+B+R (N° Lexbase : A7726DRL) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Licenciement d'un salarié absent : le harcèlement moral affiche sa singularité, Lexbase Hebdo n° 233 du 26 octobre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N4311ALA) ; Cass. soc., 16 décembre 2010, n° 09-41.640, F-D (N° Lexbase : A2490GNK).
(18) C. trav., art. L. 1152-3 (N° Lexbase : L0728H9T) ; C. trav., art. L. 1153-4 (N° Lexbase : L0741H9C).
(19) V. par ex. Cass. soc., 12 janvier 2011, n° 09-70.838, FS-P+B (N° Lexbase : A9810GPZ) et nos obs., Prise d'acte, obligation de sécurité et charge de la preuve, Lexbase Hebdo n° 425 du 27 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1679BRM).
(20) Dans une affaire où la résiliation judiciaire était demandée en raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, v. Cass. soc., 4 avril 2012, n° 11-10.570, FS-P+B (N° Lexbase : A1271IIW) et les obs. de Ch. Radé, L'employeur peut-il s'exonérer de son obligation de sécurité de résultat ?, Lexbase Hebdo n° 482 du 19 avril 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N1460BTA).

Décision

Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-22.082, FS-P+B (N° Lexbase : A9750I9Y)

Cassation partielle, CA Lyon, 8 juin 2011, n° 10/00464 (N° Lexbase : A0707HUQ)

Textes visés : C. trav., art. L. 1232-1 (N° Lexbase : L8291IAC), L. 4121-1 (N° Lexbase : L3097INZ) et L. 4121-2 (N° Lexbase : L8844ITQ)

Mots-clés : stress professionnel, épuisement professionnel, obligation de sécurité, licenciement, désorganisation de l'entreprise

Liens base : (N° Lexbase : E3245ETD)

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Transport

[Chronique] Chronique de droit des transports - Mars 2013

Lecture: 11 min

N6353BTH

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par Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole

Le 28 Mars 2013

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique trimestrielle d'actualité en droit des transports de Christophe Paulin, Professeur de droit, Directeur du Master de droit des transports, Université Toulouse I Capitole. Ce mois-ci l'auteur a choisi de revenir en premier lieu sur un arrêt, promis aux honneurs du Bulletin, rendu le 12 mars 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans lequel cette dernière rappelle les principes d'indemnisation dans le transport routier international de marchandises (Cass. com., 12 mars 2013, n° 09-12.854, F-P+B). Le Professeur Paulin commente ensuite un arrêt rendu par la même formation le même jour qui apporte une réponse bienvenue à la question de la place du destinataire dans le cas où le contrat, relatif à un transport maritime, a donné lieu à un connaissement (Cass. com., 12 mars 2013, n° 10-24.465, F-D). L'auteur nous livre ensuite ses réflexions sur un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne qui a répondu, le 31 janvier 2013, à la question de savoir si le transporteur aérien est tenu de prendre le passager en charge lorsque l'exécution de cette obligation est, par son ampleur, pratiquement irréalisable. Enfin deux arrêts sont signalés : dans le premier, la cChambre commerciale affirme clairement que le contrat de transport s'accommode d'une pluralité de prestations, dès lors que les obligations autres que le déplacement sont accessoires à celui-ci (Cass. com., 11 décembre 2012, n° 11-18528, F-D) ; dans le second, qui fera l'objet d'un commentaire dans la prochaine chronique, la première chambre civile se prononce sur les causes d'exonération de responsabilité du transporteur aérien (Cass. civ. 1, 13 mars 2013, n° 09-72.962, FS-P+B+I).
  • Les principes d'indemnisation dans le transport routier international de marchandises (Cass. com., 12 mars 2013, n° 09-12.854, F-P+B N° Lexbase : A9724I9Z)

L'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 12 mars 2013, qui a reçu les honneurs d'une publication au Bulletin, vient opportunément rappeler aux plaideurs les principes d'indemnisation du préjudice dans le transport routier international de marchandises.

En l'espèce, une cargaison de crevettes surgelées est confiée à un prestataire pour un transport entre Vitrolles et Lisbonne. Les marchandises, endommagées à la suite d'un incendie, sont finalement détruites. Le transport ayant donné lieu à diverses sous-traitances, les assureurs de la marchandise et ceux du transporteur principal assignent les transporteurs effectifs en responsabilité. La cour d'appel de Rennes calcule alors l'indemnité d'après le prix de vente de la marchandise par l'expéditeur au destinataire, lui permettant ainsi d'obtenir une réparation non seulement des marchandises perdues, mais également du gain manqué, en l'occurrence le bénéfice de la vente (CA Rennes, 14 janvier 2009, n° 07/04453 N° Lexbase : A0897HGC).
L'arrêt est cassé sur pourvoi, sous le visa des articles 23 et 25 de la Convention du 19 mai 1956, relative au contrat de transport international de marchandises par route ([LXB=L4084IPX)] dite "CMR") : "selon ces textes, l'indemnité mise à la charge du transporteur pour perte ou avarie doit être calculée d'après la valeur de la marchandise au lieu et à l'époque de la prise en charge", de sorte que l'indemnité aurait dû être fonction du prix payé par l'expéditeur pour acquérir la marchandise et non du prix de vente, au lieu et à l'époque de la livraison.

L'arrêt rappelle deux enseignements pratiques.

D'abord, il précise que le demandeur d'une indemnité doit impérativement établir son préjudice, c'est-à-dire le prouver, tant dans son existence que dans son montant, conformément aux principes élémentaires de la responsabilité civile. Il est fréquent, en effet, que l'on réclame au transporteur le montant de l'indemnité d'assurance, l'indemnisation d'une marchandise censée ne plus être commercialisable et qui a été opportunément détruite, une somme déterminée arbitrairement et unilatéralement par le demandeur... quand on ne se contente pas de demander simplement le montant des limitations de responsabilité du transporteur, comme si celles-ci constituaient une réparation forfaitaire. La censure de l'arrêt d'appel remémorera aux juges du fond, parfois indulgents à cet égard, la nécessité de la preuve du préjudice.

Il rappelle, ensuite, l'identique nécessité d'évaluer le préjudice conformément à la règle de droit, lorsque le texte applicable prévoit des règles d'évaluation. Ce n'est pas le cas du droit français, en vertu duquel l'arrêt n'aurait probablement pas été censuré. C'est, en revanche, celui de la CMR.

Le texte régit le contrat de transport routier lorsque le lieu de prise en charge de la marchandise et celui de la livraison sont situés dans deux Etats différents, dont l'un au moins est partie à la convention. En vertu de ce principe simple, tous les transports au départ de la France, comme en l'espèce, sont soumis à la CMR, dont l'application est impérative pour le juge français, qui doit, si besoin, la relever d'office. Or, l'article 23 de la CMR pose une règle précise, selon laquelle l'indemnité due par le transporteur est calculée d'après la valeur de la marchandise au lieu et à l'époque de la prise en charge. Ceci exclut effectivement que le juge retienne le prix de revente de la marchandise au moins lorsqu'il est clairement établi qu'il s'apprécie à la date et au lieu de la livraison (Cass. com., 27 mai 1981, n° 80-10157, publié N° Lexbase : A2064CKN, Bull. civ. IV, n° 254).

Faut-il pour autant, comme paraît le faire la Cour de cassation, poser en postulat que le prix de revente s'apprécie au regard de la livraison et retenir le prix d'achat, qui s'apprécierait lors de la prise en charge ? Cela semble discutable. D'abord, le prix de revente pourrait correspondre aux conditions de la convention : le contrat de vente est généralement conclu lors de la prise en charge, voire avant et non lors de la livraison. Ensuite, le lieu de conclusion du contrat est celui de l'émission de l'acceptation, c'est-à-dire celui de l'acheteur et donc, en pratique, le lieu de destination. Il n'est donc pas établi que l'évaluation retenue par la cour d'appel violait ouvertement les critères légaux et il aurait été intéressant qu'il y ait une précision à cet égard. Il n'est pas davantage acquis que le prix d'achat de la marchandise par l'expéditeur réponde aux conditions légales : ce prix correspond-il à la valeur de la marchandise au lieu de la prise en charge ? Il paraît plutôt refléter celle en vigueur dans le pays du premier vendeur.

Le prix de la marchandise dans les relations entre l'expéditeur et l'acheteur ne constitue pas, du reste, un critère pertinent au regard de la CMR. L'article 23 précise, en effet, non seulement qu'il convient de se référer à la valeur de la marchandise, mais également comment celle-ci s'apprécie. La référence se fait alors par rapport au cours de la bourse, à défaut au prix courant du marché ou, enfin, d'après la valeur usuelle de marchandises de même nature et qualité.

Il ne suffira donc pas, devant la cour de renvoi, d'établir le prix d'achat de la marchandise par l'expéditeur pour satisfaire aux conditions légales et obtenir l'évaluation d'un préjudice dont la réparation sera ensuite limitée par les plafonds d'indemnisation.

  • Le destinataire et le connaissement de transport maritime (Cass. com., 12 mars 2013, n° 10-24.465, F-D N° Lexbase : A9734I9E)

La question de la place du destinataire dans le contrat de transport est une question récurrente. Le présent arrêt rendu le 12 mars 2013 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation y apporte une réponse, tardive mais sans doute bienvenue, dans le cas où le contrat, relatif à un transport maritime, a donné lieu à un connaissement.

En l'espèce, un transport de véhicules est réalisé par la société CMA CGM entre le Japon et la Lybie, en vertu de deux connaissements émis dans le cadre d'une opération de crédit documentaire. Le transporteur assignait alors le destinataire mentionné au connaissement, en l'occurrence un établissement bancaire, en paiement de surestaries, frais supplémentaires afférents au stockage des conteneurs. L'action était portée devant les juridictions françaises, conformément à la clause attributive de compétence insérée aux connaissements. La cour d'appel ayant admis l'application de cette clause, le pourvoi la contestait, au motif que rien n'établissait que les parties au litige étaient liées par une convention (CA Aix-en-Provence, 12 mai 2010, n° 09/05386 N° Lexbase : A4930E3Y, rendu sur renvoi après cassation par Cass. civ., 1, 16 décembre 2008, n° 07-18.834, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8595EBX, Bull. civ. I, n° 283).

C'est donc la question de la place du destinataire dans le contrat de transport, en vertu du connaissement, qui était clairement posée à la Cour de cassation.

Il est parfaitement admis que le destinataire est partie au contrat de transport, quand bien même il n'a pas participé à sa conclusion. Cette solution repose sur un impératif pratique : il convient d'éviter que le destinataire ne puisse, en agissant en responsabilité délictuelle contre le transporteur, éluder l'application des réglementations du contrat de transport, et dont la finalité est précisément de protéger le prestataire.

Pour les transports terrestres, l'intégration du destinataire au contrat de transport repose sur l'article L. 132-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L5640AIQ), quoique son interprétation demeure controversée. S'agissant du transport maritime, ce texte n'apporte pas même un modeste secours, faute d'être applicable. La solution la plus généralement admise par la doctrine est que le destinataire adhère au contrat par une acceptation manifestée au moment où il prend livraison de la marchandise. Cette conception n'est pas satisfaisante. Elle invoque une volonté utopique : le destinataire, qui entend seulement recevoir sa marchandise, n'envisage pas d'adhérer au contrat de transport. Par ailleurs, le destinataire qui refuse la marchandise échappe alors au contrat de transport, de sorte que le transporteur est privé du bénéfice de la réglementation, au moment où il en a le plus besoin. Il en est de même en cas de perte de la marchandise.

L'existence d'un connaissement de transport maritime peut alors donner un autre fondement et une plus grande généralité à l'intégration du destinataire dans le contrat de transport. Le connaissement, en effet, est un titre de transport, négociable. La transmission du connaissement permet alors à ses titulaires successifs d'intégrer le contrat de transport et de s'en voir appliquer les clauses. Cette conception, dite cambiaire, du connaissement, se pratique surtout dans les droits anglo-saxons.

Le droit français se montre plus réservé. La jurisprudence, non sans ambiguïté, estime qu'il ne résulte d'aucun texte que le porteur du connaissement, en acceptant la livraison de la marchandise, succède aux droits et obligations du chargeur (Cass. com., 4 mars 2003, n° 01-01.043, FS-P N° Lexbase : A3581A7R, Bull. civ. IV, n° 33), tandis que la doctrine se montre plutôt hostile à la théorie cambiaire du connaissement.

L'arrêt pourrait alors constituer un pas dans cette direction. Certes, en l'espèce, la négociabilité du connaissement n'était pas en cause et le destinataire ne devenait pas partie au contrat de transport par la transmission de ce document. En revanche, la Cour régulatrice estime que le destinataire figurant sur le connaissement se trouve partie au contrat, "matérialisé" par le connaissement. Dès lors que la Cour admet, ainsi, que ce document représente le contrat, un pas important est franchi, l'adhésion au contrat se faisant naturellement par la mention sur le connaissement ou la transmission de ce titre représentatif.

On regrettera, en revanche, la précision selon laquelle le destinataire se prévalait du contrat de transport. Un élément volontaire serait-il encore requis, qui relativiserait la représentativité du connaissement. Il est vrai que, en ce qui concerne le destinataire simplement mentionné au connaissement, rien n'établit sa volonté d'être partie au contrat, tant qu'il ne s'est pas prévalu du connaissement. Il en va différemment de celui qui, succédant au destinataire initial, accepte le connaissement qui lui est transmis, donnant ainsi son accord à son intégration dans le contrat.

Le transporteur aérien est-il tenu de prendre le passager en charge lorsque l'exécution de cette obligation est, par son ampleur, pratiquement irréalisable ? C'est à cette question que répond l'arrêt de la CJUE rendu le 31 janvier 2013, s'inscrivant dans l'interprétation consumériste la plus absolue de la réglementation européenne.

Le Règlement n° 261/2004 du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol (N° Lexbase : L0330DYU), a pour objectif, clairement établi et maintes fois répété, la protection des passagers aériens. Dans cette perspective, ce texte accorde différents droits aux passagers, dont celui à une "prise en charge", comprenant notamment hébergement et restauration, en cas d'annulation d'un vol. En l'espèce, cette obligation du transporteur aérien était confrontée à l'annulation massive des vols suite à l'éruption d'un volcan islandais devenu célèbre. La compagnie Ryanair n'avait pas assumé son obligation à l'égard d'un passager dont le vol avait été annulé, en raison de la fermeture des espaces aériens, suite à l'éruption. Le passager, qui était resté bloqué près d'une semaine sur son lieu de départ, assignait la compagnie en remboursement des sommes qu'il avait dû engager à la suite de son immobilisation, et qui représentaient près de dix fois le prix du billet.

A la demande du transporteur, la juridiction posait alors une question préjudicielle à la Cour de justice, sur le point de savoir si l'obligation de prise en charge restait exigible alors que des circonstances "éminemment extraordinaires" avaient entraîné l'annulation du vol. Il semblait nécessaire de rajouter ce qualificatif, des circonstances simplement extraordinaires ne suffisant pas, en effet, à dispenser le transporteur de son obligation, conformément à la lettre du texte.

Peut-être maladroitement posée, ou habilement interprétée par la Cour de justice, la question ne pouvait susciter qu'une réponse négative. En effet, le passager ressent le même besoin de prise en charge quelle que soit la cause de l'annulation de son vol. Le Règlement, qui n'exonère pas le transporteur en cas de "circonstances extraordinaires", n'évoque pas la notion de circonstances particulièrement extraordinaires. Du reste, les premières, qui comprennent tous les incidents hors de la maîtrise du transporteur, ne laissent guère d'événement hors de leur champ d'application. C'est ce que rappelle la Cour en rejetant la question et en maintenant, par conséquent, l'obligation et la responsabilité du transporteur.

On peut alors déplorer que la question de la possibilité même d'exécuter une telle obligation n'ait pas été plus clairement posée à la Cour. En effet, alors que la fermeture des espaces aériens avait immobilisé environ 10 millions de passagers, dont 1,4 million pour la seule compagnie en cause, la question se posait clairement de savoir si les circonstances ne devaient pas dispenser le transporteur, non en ce qu'elles affectaient la réalisation des vols, mais au regard de la possibilité même d'exécuter l'obligation. Comment en effet les transporteurs auraient-ils pu prendre en charge tous les passagers touchés par un tel événement ? Et, ne pouvant tous les assister, pouvaient-ils ne le faire que pour certains d'entre eux ? Une dispense s'imposait alors, devant l'impossibilité manifeste d'exécuter l'obligation.

Pour autant, si une réponse plus précise eût alors pu être donnée, il n'est nullement acquis que la Cour aurait adopté cette solution favorable au transporteur. Dans le présent arrêt, la Cour estime déjà que l'objectif de protection des passagers justifie des "conséquences économiques négatives, mêmes considérables" pour les transporteurs.

  • Qualification de contrat de transport : la perspective d'un revirement de jurisprudence (Cass. com., 11 décembre 2012, n° 11-18528, F-D N° Lexbase : A1072IZQ)

La question de la qualification du contrat de transport est récurrente, en raison des intérêts pratiques attachés à l'opération, comme de l'absence de réponse satisfaisante de la jurisprudence. En particulier, la Cour de cassation a longtemps laissé entendre que cette qualification supposait que le déplacement constitue non seulement l'obligation principale du contrat, mais, au-delà, la prestation unique, à défaut de quoi le contrat se devait d'être qualifié de contrat d'entreprise.

Cet arrêt de la Cour de cassation affirme enfin clairement que le contrat de transport s'accommode d'une pluralité de prestations, dès lors que les obligations autres que le déplacement sont accessoires à celui-ci. En l'espèce, il s'agissait d'un contrat portant sur la collecte et le transport d'échantillons d'analyse. L'arrêt est d'autant plus significatif qu'auparavant, la même juridiction avait rejeté la qualification de contrat de transport à l'égard d'une convention semblable (Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-11.255 , F-D N° Lexbase : A7761HIB ; cf. nos obs. in Chronique trimestrielle de droit des transports - Juin 2011 (3ème commentaire), Lexbase Hebdo n° 255 du 16 juin 2011 - édition affaires N° Lexbase : N4337BSG).

  • Transport aérien de voyageurs : quid de la force majeure ? (Cass. civ. 1, 13 mars 2013, n° 09-72.962, FS-P+B+I N° Lexbase : A6912I9U)

On ne peut manquer de signaler ce très important arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation, qui recevra un commentaire plus étoffé dans une prochaine édition. En l'espèce, il s'agissait de l'affrètement d'un aéronef destiné à emmener des voyageurs assister à une manifestation sportive en Europe. L'aéronef ne s'étant pas présenté au départ et le voyage ayant été annulé, l'organisateur a assigné le fréteur en réparation, sur le fondement de l'article 19 de la Convention de Montréal du 28 mai 1999, relative à la responsabilité du transporteur aérien. Le texte pose le principe de la responsabilité du transporteur en cas de retard. L'arrêt, qui mérite d'être précisé en raison de diverses confusions quant aux textes concernés, se prononce sur les causes d'exonération de responsabilité du transporteur aérien.

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