La lettre juridique n°495 du 26 juillet 2012

La lettre juridique - Édition n°495

Éditorial

La sécurité juridique : le dernier "pilier de la sagesse"

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N3147BTQ

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Atteint du syndrome de Pénélope, le Gouvernement défait, aujourd'hui, ce qu'il venait de promulguer, hier. "Pour frapper l'opinion ou répondre aux sollicitations des différents groupes sociaux, l'action politique a pris la forme d'une gesticulation législative" avait pu regretter, déjà en 2001, le vice-Président du Conseil d'Etat, Renaud Denoix de Saint-Marc. L'encre à peine sèche de l'ancien Président de la République apposée sur la loi portant relèvement du taux de TVA, aux fins de financer partiellement et diversement la protection sociale, n'aura pas suffi à sceller le sort de cette disposition controversée : si tôt dans les murs du Palais Bourbon, les représentants de la nouvelle majorité s'employaient donc à détricoter les dispositions les plus emblématiques de leurs prédécesseurs. Tout y passe ou presque : de la TVA dite sociale, à la fin de l'exonération des heures supplémentaires en passant par le relèvement des droits de succession. Et, bientôt, la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs...

La fille d'Icarios n'aurait, certes, pas renié le procédé, d'autant que le choix de l'alternance politique prononcé au printemps 2012 est clair. Mais si elle éconduisait ainsi ses prétendants, symboles de tous les maux de l'humanité (orgueil, cupidité, violence et irrespect) en attendant Ulysse, qu'attend ainsi le législateur, au risque que cela ne dure, comme pour la reine d'Ithaque, pas moins de vingt ans ? Si les gouvernants attendent ainsi le regain économique, il n'est pas certain que le détricotage législatif soit de bon aloi pour impulser la confiance et renouer avec la croissance. Cette dernière est, comme chacun le sait, grandement affaire de sécurité. Et, parmi ses piliers, trône en bonne place la sécurité juridique.

On savait les lois nombreuses, complexes, parfois illisibles et incohérentes, au point de les "moderniser" et de les "simplifier" régulièrement ; on les savait rétroactives, voire validant une situation de fait pourtant contraire au droit ; l'on sait, également, et l'actualité ne fait que le révéler encore un peu plus, que les lois sont précaires et instables. Si "faire et défaire, c'est toujours travailler", le travail législatif donne le tournis.

Près de 10 % des dispositions législatives, codifiées ou non, font l'objet, chaque année, d'une modification. On pourrait penser que, tous les 10 ans, notre droit se renouvelle, ce qui serait alors salutaire pour accompagner le développement de notre société et notre économie intégrée au sein de l'Union européenne. Mais, il est à craindre que les dispositions faisant l'objet de ces modifications régulières, sinon récurrentes, sont peu ou prou les mêmes. Elles ont trait essentiellement aux matières sociale et fiscale. Ces tergiversations législatives montrent, indubitablement, que nos représentants manquent de faire un choix clair de société, pour s'y tenir ne serait-ce que le temps des mutations et transitions douloureuses nécessaires.

"La loi qui hésite, tâtonne, bafouille" avait pu dire Pierre Mazeaud, alors Président du Conseil constitutionnel. Mais, pire : "quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête qu'une oreille distraite" sanctionnait un rapport public du Conseil d'Etat, dès 1991. Et, si le citoyen, et néanmoins acteur économique, n'écoute plus les orientations et ne voit plus les stigmates de la loi, lui permettant de croire en des jours meilleurs, comment planifier la confiance et organiser la croissance ?

La sécurité juridique n'est pas une chimère et doit, encore moins, être une Arlésienne. "Le souci contemporain accentué' de sécurité juridique apparaît comme une réaction face aux risques que comporte le droit pour ses sujets dans les sociétés modernes" introduisait Anne-Laure Valembois, dans les Cahiers du Conseil constitutionnel n° 17 (Prix de thèse 2004). "Dans sa conception classique, la sécurité juridique constitue avec la justice et le progrès social la trilogie des buts du droit", poursuivait-elle ; et "dans sa conception moderne, elle a une fonction de sécurisation de l'ordre juridique". Ce n'est clairement pas une mince affaire !

L'actuelle Professeur d'Institutions politiques comparées à Sciences Po Paris reconnaissait que "le processus implicite de constitutionnalisation de l'exigence de sécurité juridique en France se caractérise par une maturation très progressive de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il se manifeste essentiellement par une amélioration de la qualité formelle des lois et par une protection renforcée des sujets de droit contre l'application immédiate et la rétroactivité des lois".

Reste que la note, en la matière, est donnée par la jurisprudence européenne, depuis l'arrêt "Bosch" de la Cour de justice, en 1962 et l'arrêt "Sunday Times" de la Cour européenne, en 1979. Et, le Conseil constitutionnel tarde, quant à lui, à "l'intégrer au bloc", au grand dam d'Olivier Dutheillet de Lamothe, alors membre du Conseil constitutionnel ; même si, tel Monsieur Jourdain, les Sages protègent la sécurité juridique sans le savoir, ou du moins sans le reconnaître. Rendant ses décisions sur le fondement de la "sûreté" consacrée à l'article 2 de la DDHC, ou sur celui de la "garantie des droits" inscrit à l'article 16 de la même Déclaration, la rue de Montpensier se pave de bonnes intentions, mais ne saute pas le pas, pour ériger cette barrière constitutionnelle, désormais nécessaire, que serait la consécration explicite de la sécurité juridique. Et, pour cause, celle-ci entraînerait, sans doute, un contrôle, sinon de l'opportunité des lois, du moins de leur processus d'adoption et de révision, au regard des impératifs liés à l'établissement de rapports préalables et autres études d'impact qui ne manqueraient pas de contrarier la "gesticulation politique".

La reconnaissance du principe de clarté de la loi, la consécration de l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité des lois, la promotion constitutionnelle de la codification et de la simplification du droit et la censure des dispositions législatives non-normatives ne suffisent plus. "Contrairement à ses homologues européens, le juge constitutionnel français appréhende les problèmes d'application des lois dans le temps de manière principalement objective et abstraite. Cette particularité se manifeste par la timidité de la protection accordée aux droits acquis, par le caractère très récent de la sauvegarde de la stabilité contractuelle et par le refus de consacrer explicitement le principe de confiance légitime. Au contraire, la rétroactivité est classiquement encadrée, en tant qu'elle est une modalité de la mutabilité législative qui est objectivement dangereuse pour la sécurité juridique" avait pu regretter, encore, Anne-Laure Valembois.

En refusant de "consacrer explicitement la face subjective du principe de sécurité juridique, à savoir le principe de confiance légitime", et contrairement à ses voisins du Palais-Royal, le Conseil constitutionnel refuse de fermer la boîte de Pandore. Ainsi, les maux de l'instabilité législative continueront de parcourir notre société pour fragiliser, au final, les plus faibles.

Et, si la fable du loup et du chien nous enseigne que "l'adversaire d'une vraie liberté est un désir excessif de sécurité", après l'insécurité internationale fruit du terrorisme, l'insécurité financière puis bancaire, fruit de l'insouciance collective, après l'insécurité économique et son pendant, l'insécurité sociale, fruit de la défiance dans le progrès et le développement, le dernier domino, et finalement premier pilier des sociétés modernes, la sécurité juridique, pourrait bien vaciller.

Si l'on peut s'accorder sur le fait que le droit français du XXème siècle, tout empreint de sécurité, est celui ayant accompagné le développement de l'essor industriel du XIXème siècle, et qu'il doit dès lors évoluer pour accompagner l'économie numérique du XXIème siècle, l'évanescence de cette nouvelle économie doit-elle remettre en cause le principe même de sécurité juridique et plus précisément celui de confiance légitime ? C'est un risque que l'on ne saurait prendre. Et, pour un peu que les citoyens n'intentent alors une action (toujours individuelle à défaut d'action collective) contre l'Etat pour préjudice d'anxiété, à l'image de ces enseignants de Vitry-sur-Seine, pour défaut de protection suffisante... Le XXIème siècle sera sécuritaire ou ne sera pas...

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Avocats/Responsabilité

[Chronique] Chronique de responsabilité professionnelle de l'avocat - Juillet 2012

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

Le 26 Juillet 2012

Lexbase Hebdo - édition professions vous propose, cette semaine, de retrouver la Chronique de responsabilité professionnelle de l'avocat réalisée par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI). En premier lieu, l'auteur s'est arrêté sur un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation qui rappelle que les compétences et connaissances du client ne dispensent pas le professionnel du droit de ses obligations (Cass. civ. 1, 28 juin 2012, n° 11-18.968, F-D). En second lieu, l'auteur a choisi une décision, également rendue le 28 juin 2012, qui énonce que la possibilité de procéder à une divulgation contrevenant au secret professionnel ne s'étend pas aux documents couverts par le secret médical (Cass. civ. 1, 28 juin 2012, n° 11-14.486, F-P+B+I).
  • Les compétences et connaissances du client ne dispensent pas le professionnel du droit de ses obligations (Cass. civ. 1, 28 juin 2012, n° 11-18.968, F-D N° Lexbase : A1157IQW)

On sait bien, pour y avoir insisté à plusieurs reprises dans cette Revue compte tenu de l'importance du contentieux en la matière, que la faute de l'avocat susceptible d'engager sa responsabilité civile peut consister dans un manquement à l'une quelconque des obligations découlant du mandat qui le lie à son client (1) : que l'avocat, investi d'une mission d'assistance et de représentation (2), le soit en vertu d'un mandat ad litem, c'est-à-dire d'un mandat général l'obligeant, dans le cadre de l'activité judiciaire, à accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure, ou bien d'un mandat ad negotia, c'est-à-dire d'un mandat qui peut n'avoir aucun lien avec une procédure judiciaire ou bien être l'accessoire ou une extension du mandat ad litem. A vrai dire, la règle est plus générale, et dépasse le cas particulier du mandat : elle signifie que la responsabilité de l'avocat doit être appréciée au regard de la mission qui est la sienne. Et, sous cet aspect, s'il est évident que la solution vaut dans l'hypothèse dans laquelle l'avocat agit en vertu d'un mandat, elle a naturellement vocation à s'appliquer à toutes les hypothèses dans lesquelles il interviendrait en tant que conseil, ou de rédacteur d'actes, et ce en dehors de tout mécanisme de représentation propre au mandat. C'est qu'il faut comprendre que ce qui est déterminant dans l'appréciation de la responsabilité de l'avocat tient moins à la qualification juridique de son intervention (mandat ou autre) qu'à la détermination de la mission qu'il accepte d'assumer, le mandat n'étant d'ailleurs qu'un instrument permettant, précisément, de déterminer le contenu de cette mission. Au demeurant, la jurisprudence décide, sans qu'il soit nécessaire de recourir à la théorie du mandat, que l'exécution par l'avocat de son obligation d'information et de conseil s'apprécie au regard de la mission qui lui a été confiée, jugeant ainsi que "le devoir de conseil et d'information du conseil juridique qui s'exerçait préalablement à la conclusion de l'acte pour assurer son efficacité ne s'étend pas, sauf mission particulière confiée à celui-ci [...], à la réalisation de formalités extrinsèques à l'acte qui ne relevaient que de la seule initiative des parties" (3). Tout cela est bien connu. La question se pose tout de même de savoir, dans certaines hypothèses, si le manquement de l'avocat, qui en tant que tel revêt bien les caractéristiques d'une faute, ne cesse pas d'être illicite en raison des circonstances. Telle était la question posée à la Cour de cassation dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de sa première chambre civile en date du 28 juin 2012.

En l'espèce, à la suite de la rupture d'un contrat de maîtrise d'oeuvre, un architecte, assisté de son avocat, avait engagé contre le maître d'ouvrage, d'abord, une procédure de référé, sans succès puisque la juridiction saisie a jugé qu'il ne lui appartenait pas de faire application d'une clause pénale, puis une action au fond pour obtenir le paiement d'une somme équivalente à titre de rémunération, action qui a été rejetée par un jugement devenu irrévocable à défaut d'appel interjeté à son encontre. L'architecte a alors déchargé son avocat du dossier pour se faire assister d'un autre défenseur qui a introduit sur le fondement de la clause pénale une nouvelle procédure au fond, laquelle s'est heurtée à une fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose précédemment jugée. C'est dans ce contexte que l'architecte a engagé une action en responsabilité contre l'avocat initialement choisi, lui reprochant ses erreurs de stratégie. Les juges du fond, pour le débouter de ses demandes indemnitaires, ont considéré qu'il était établi que l'argumentation développée par l'avocat avait été arrêtée d'un commun accord avec le client, ce qui démontrait que le professionnel du droit n'avait commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité. Leur décision est, sans grande surprise à vrai dire, cassée, sous le visa de l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT), la Haute juridiction décidant, en effet, "qu'en statuant ainsi par des motifs impropres à exclure la faute de l'avocat, dès lors que les compétences et connaissances du client ne dispensent pas le professionnel du droit de ses obligations, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Evidemment, au cas présent, le manquement de l'avocat constituait sans doute, en tant que tel, une faute : le mandat de l'avocat l'oblige en effet, dans le cadre de l'activité judiciaire, à accomplir tous les actes et formalités nécessaires à la régularité de forme et de fond de la procédure et emporte une mission d'assistance qui lui confère pouvoir et devoir de conseiller la partie et de présenter sa défense devant le juge. Or, commet certainement une faute l'avocat qui engage son client dans une procédure manifestement vouée à l'échec (4). En réalité, dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 28 juin 2012, la question ne portait pas tant sur le point de savoir si l'avocat avait ou non commis une faute que sur la question de savoir si les compétences supposées du client étaient ou non susceptibles de constituer une sorte de fait justificatif propre à neutraliser la faute de l'avocat. C'est que, en effet, il n'est pas rare que le défendeur fasse valoir, pour échapper à sa responsabilité, qu'il était dispensé de son devoir d'information et de conseil en raison des compétences de son client, voire, comme dans l'affaire du présent arrêt, que les risques inhérents à la stratégie adoptée par l'avocat pour la défense de son client avaient été pris en concertation avec celui-ci, risques qu'il était à même de mesurer compte tenu de ses connaissances. Mais on sait bien que la jurisprudence, rigoureuse en la matière, n'entend pas en principe pas exonérer sur ce motif le professionnel de sa responsabilité. Elle décide, par exemple, que le devoir d'information et de conseil du débiteur subsiste lorsque le créancier se fait assister par une personne compétente : ainsi a-t-il été jugé que la présence d'un avoué dans la procédure d'appel ne dispense pas l'avocat de son devoir de conseil (5), ou encore que la présence d'un conseiller personnel aux côtés d'un client ne saurait dispenser le notaire de son devoir de conseil (6). Et l'on n'ignore pas non plus, suivant la même logique, que la compétence personnelle du client ne supprime pas dans son principe le devoir d'information et de conseil du professionnel : la jurisprudence est en effet constante pour dire que les compétences professionnelles d'un client ne peuvent, à elles seules, dispenser l'avocat choisi par celui-ci de toute obligation de conseil (7). La solution vaut naturellement également pour le notaire, qui n'est pas déchargé par les compétences personnelles de son client (8), y compris, d'ailleurs, lorsque le client est lui-même notaire (9). Plus généralement, il est acquis que les compétences personnelles du client ne dispensent pas le rédacteur d'actes de son devoir de conseil (10). On relèvera d'ailleurs que la formule retenue par l'arrêt du 28 juin 2012, qui ne vise pas seulement l'avocat mais "le professionnel du droit", atteste de la généralité de la règle.

  • La possibilité de procéder à une divulgation contrevenant au secret professionnel prévue par l'article 4 du décret du 12 juillet 2005 ne s'étend pas aux documents couverts par le secret médical (Cass. civ. 1, 28 juin 2012, n° 11-14.486, F-P+B+I N° Lexbase : A9897IPA)

La mise en oeuvre de la responsabilité civile de l'avocat suppose, bien entendu, qu'une faute puisse lui être imputée. Et l'on a à ce titre rappelé plus haut que cette faute peut, d'abord, consister dans un manquement de celui-ci à son obligation d'information et de conseil (11), étant entendu que le devoir de conseil est plus étendu que la simple obligation d'information et implique aussi que l'avocat soit tenu de donner des avis qui reposent sur des éléments de droit et de fait vérifiés, en assortissant ses conseils de réserves s'il estime ne pas être en possession d'éléments suffisants d'appréciation une fois effectuées les recherches nécessaires (12). Il lui incombe encore, à ce titre, d'informer son client de l'existence de voies de recours, des modalités de leur exercice et de lui faire connaître son avis motivé sur l'opportunité de former une voie de recours. Ce à quoi il faut ajouter, ensuite, que la faute de l'avocat peut, plus généralement, consister dans un manquement à l'une quelconque des obligations découlant du mandat qui le lie à son client (13). Tout cela est parfaitement connu. Mais il est évident que l'existence d'une faute imputable à l'avocat ne suffit pas à engager sa responsabilité civile : encore faut-il que la victime rapporte la preuve d'un préjudice causé par cette faute. Or, la preuve du préjudice suscite, on le sait bien, de sérieuses interrogations, particulièrement lorsque ce préjudice consiste dans la perte d'une chance. Il n'est pas question de revenir ici, tant la règle est acquise, sur le fait que l'élément de préjudice constitué par la perte d'une chance présente, en tant que tel, un caractère direct et certain chaque fois qu'est constatée la disparition, par l'effet du délit, de la probabilité d'un événement favorable, encore que, par définition, la réalisation d'une chance ne soit jamais certaine (14). Il appartient, dès lors, aux juges du fond de rechercher la probabilité d'un événement favorable, autrement dit de mesurer l'éventualité de réalisation de l'événement favorable allégué, étant entendu que seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable (15), alors qu'un risque, fût-il certain, ne suffit pas à caractériser la perte certaine d'une chance, le préjudice qui en résulte étant purement éventuel (16). On imagine assez facilement que, dans certaines hypothèses, l'avocat fera tout pour démontrer que la chance prétendument perdue n'était pas réelle et sérieuse, autrement dit que le préjudice allégué par la victime n'existe pas. Tel était d'ailleurs le cas dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation le 28 juin 2012, affaire dans laquelle un client avait engagé une action en responsabilité contre son avocat, lui reprochant d'avoir refusé de restituer les pièces dont il était le dépositaire, une fois déchargé de l'affaire qui lui avait été confiée.

En l'espèce en effet, l'avocat reprochait à un arrêt de cour d'appel d'avoir écarté des débats un certificat médical que lui avait remis son client alors, selon le moyen, qu'en vertu de l'article 4 du décret du 12 juillet 2005, relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat (N° Lexbase : L6025IGA), l'avocat peut, pour les strictes exigences de sa propre défense devant une juridiction, procéder à une divulgation contrevenant au secret professionnel. C'est précisément sur cette base que l'avocat, pour établir que le client, au soutien de sa demande de réparation d'un préjudice moral, attribuait à tort à la faute qu'il lui imputait les troubles psychologiques dont il disait souffrir, produisait un certificat médical tiré d'un autre dossier et attestant de l'antériorité de ces troubles. Aussi bien l'avocat faisait-il valoir que la cour d'appel, en se bornant à énoncer que cette production ne saurait être justifiée par les strictes exigences de sa propre défense sans indiquer de quels éléments de la cause, de droit ou de fait, était déduite cette affirmation, n'avait pas donné de base légale à sa décision au regard de cet article, et de l'article 226-13 du Code pénal (N° Lexbase : L5524AIG). La Cour de cassation rejette cependant le pourvoi, et décide que "si l'avocat est délié du secret professionnel auquel il est normalement tenu, lorsque les strictes exigences de sa propre défense en justice le justifient, ce fait justificatif ne s'étend pas aux documents couverts par le secret médical qui ont été remis à l'avocat par la personne concernée et qui ne peuvent être produits en justice qu'avec l'accord de celle-ci ; que par ce motif de pur droit substitué à ceux critiqués dans les conditions de l'article 1015 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L5884IA8), l'arrêt se trouve légalement justifié".

L'apport de l'arrêt est très clair. Sans doute celui qui, quelle que soit sa profession, a reçu un secret en qualité de confident est-il tenu de le respecter, à peine d'ailleurs de commettre une infraction (C. pén., art. 226-13). L'avocat est évidemment concerné par la règle (17), comme le sont le notaire, le journaliste ou le médecin. Pour autant, on sait bien que celui qui est tenu au secret professionnel peut tout de même dévoiler des informations couvertes par le secret pour les besoins de sa défense (18). Ainsi s'exprime la recherche d'un nécessaire équilibre, variable et fragile, entre le secret (19) et la transparence (20). Mais le domaine de cette possibilité de se délier ainsi du secret professionnel est circonscrit : la portée de la justification de la violation du secret professionnel par l'avocat est relativisée par la nature des informations qu'il peut dévoiler puisqu'en sont exclues les informations couvertes par le secret médical. Un auteur a pu se réjouir de cette solution consacrant manifestement une conception stricte du secret (21), au motif que "l'information médicale" serait "plus secrète que les autres" (22). En dehors du fait qu'il resterait sans doute à vérifier l'exactitude d'une telle justification, on s'étonnera qu'il soit possible, sans nuance, d'approuver la solution retenue par la Cour de cassation tout en reconnaissant, ce qui paraît cette fois assez difficilement contestable, qu'elle "semble privilégier la mauvaise foi" (23).


(1) Cass. civ. 1, 18 janvier 1989, n° 86-16.268 (N° Lexbase : A8645AAG), Bull. civ. I, n° 17.
(2) Sur la règle selon laquelle la détermination de la responsabilité de l'avocat suppose d'apprécier l'étendue du mandat qui lui a été confié, v. not. Cass. civ. 1, 17 juin 2010, n° 09-15.697, F-P+B (N° Lexbase : A1017E33).
(3) Cass. civ. 1, 23 mars 2004, n° 01-03.903, F-D (N° Lexbase : A6177DBE).
(4) Comp., pour le cas de l'avocat qui engage des procédures inutiles et ne respecte pas les délais de procédure, CA Colmar, 3ème ch., 27 septembre 2010, n° 09/02274 (N° Lexbase : A4956GAS) ; ou pour le cas de l'avocat qui commet une faute dans l'appréciation de l'opportunité d'exercer une voie de recours, CA Bordeaux, 1ère ch., sect. A, 14 février 2011, n° 10/05690 (N° Lexbase : A1166GXH).
(5) Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 94-21.217 (N° Lexbase : A0136ACZ), Bull. civ. I, n° 132.
(6) Cass. civ. 1, 10 juillet 1995, n° 93-16894 (N° Lexbase : A9438CGN), Bull. civ. I, n° 312 ; Cass. civ. 3, 28 novembre 2007, n° 06-17.758 (N° Lexbase : A9422DZY), Bull. civ. III, n° 213 (présence d'un autre notaire aux côtés d'une des parties à l'acte).
(7) Cass. civ. 1, 12 janvier 1999, n° 96-18.775 (N° Lexbase : A2743ATR), Bull. civ. I, n° 15. Voir encore, assez récemment, CA Versailles, 1ère ch., 1ère sect., 16 septembre 2010, n° 09/03538 (N° Lexbase : A7997E93) et CA Limoges, 20 octobre 2010, n° 10/00050 (N° Lexbase : A3566GC3).
(8) Cass. civ. 1, 28 novembre 1995, n° 93-15.659 (N° Lexbase : A8057C48), Rép. Defrénois, 1996, p. 361, obs. J.-L. Aubert.
(9) Cass. civ. 1, 3 avril 2007, n° 06-12.831 (N° Lexbase : A9109DUW), Bull. civ. I, n° 142.
(10) Cass. civ. 1, 7 juillet 1998, n° 96-14.192 (N° Lexbase : A4535AG3), Bull. civ. I, n° 238.
(11) Cass. civ. 1, 1er octobre 1986, n° 84-13.800 (N° Lexbase : A5384AAN), Bull. civ. I, n° 229.
(12) Cass. civ. 1, 21 mai 1996, n° 94-12.974 (N° Lexbase : A1188CYN).
(13) Cass. civ. 1, 18 janvier 1989, n° 86-16.268 (N° Lexbase : A8645AAG), Bull. civ. I, n° 17.
(14) Cass. crim., 9 octobre 1975, n° 74-93.471 (N° Lexbase : A2248AZB), Gaz. Pal., 1976, 1, 4 ; Cass. crim., 4 décembre 1996, n° 96-81.163 (N° Lexbase : A1138AC7), Bull. crim., n° 224.
(15) Cass. civ. 1, 21 novembre 2006, n° 05-15.674, F-P+B (N° Lexbase : A5286DSL), Bull. civ., I, n° 498, RDC, 2006, p. 266, obs. D. Mazeaud.
(16) Cass. civ. 1, 16 juin 1998, n° 96-15.437 (N° Lexbase : A5076AWW), Bull. civ. I, n° 216, Contrats, conc., consom., 1998, n° 129, obs. L. Leveneur ; Cass. civ. 1, 19 décembre 2006, n° 05-15.716, FS-D (N° Lexbase : A0934DTR), JCP éd. G, 2007, II, 10052, note S. Hocquet-Berg.
(17) Ce qui n'est pas, dans certaines hypothèses, sans susciter l'inquiétude du barreau. La question s'est notamment posée au sujet de l'application aux avocats de la Directive européenne (Directive 2001/97 N° Lexbase : L9218A48) et de sa transposition en droit interne imposant aux professionnels de dénoncer aux autorités financières françaises les actes de blanchiment d'argent. Le Conseil d'Etat a, dans un avis en date du 10 avril 2008 (CE Contentieux, 10 avril 2008, n° 296845 N° Lexbase : A8060D7N), finalement considéré que "ne porte pas une atteinte excessive au droit fondamental du secret professionnel la Directive du 4 décembre 2001 [...] dès lors qu'étaient exclues du champ des obligations d'information et de coopération les informations reçues ou obtenues à l'occasion des activités professionnelles des avocats" et "qu'est annulé l'article 1er du décret du 26 juin 2006, relatif à la lutte contre le blanchiment (N° Lexbase : L1049HK3)" permettant à Tracfin de demander directement des informations à un avocat sans passer par le Bâtonnier.
(18) B. Py, Le secret professionnel, L'Harmattan, 2005, p. 118.
(19) Voir Le secret et le droit, Travaux Assoc. H. Capitant, t.XXV, 1974.
(20) La transparence, Colloque de l'Association droit et commerce (Deauville), RJC n° spécial, 1993.
(21) La protection stricte du secret professionnel par les juges français n'est d'ailleurs pas toujours du goût de la Cour de Strasbourg, qui décide que le secret professionnel ne peut que très exceptionnellement contrarier la liberté d'expression de l'avocat. Voir not., admettant que l'exercice des droits de la défense peut rendre nécessaire la violation du secret professionnel, CEDH, 15 décembre 2011, req. 28198/09 (N° Lexbase : A6142IAQ) : Procédures, 2012, comm. 40, obs. N. Fricero ; Procédures, 2012, comm. 46, note A.-S. Chavent-Leclère ; D., 2012, p. 667, note L. François.
(22) J.-B. Thierry, JCP éd. G, 2012, 846.
(23) Ibid..

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Droit de la famille

[Jurisprudence] La responsabilité du parent qui ne respecte pas les droits de l'autre

Réf. : CA Nîmes, 20 juin 2012, n° 10/02716 (N° Lexbase : A2640IPH)

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N3143BTL

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux et Directrice du CERFAP

Le 26 Juillet 2012

L'arrêt rendu le 20 juin 2012 par la cour d'appel de Nîmes mérite une attention particulière en ce qu'il constitue une des rares décisions qui sanctionne le non-respect par un parent des droits de l'autre, garantissant ainsi l'effectivité de la coparentalité, principe cardinal du droit de l'autorité parentale depuis la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 (N° Lexbase : L4320A4R). En l'espèce, le père avait organisé pendant l'exercice de son droit de visite et d'hébergement "la communion dans le culte israélite (bar-mitsva)" de l'enfant âgé de douze ans lors d'un voyage en Israël sans que la mère n'en ait été informée. Cette dernière estimant que ce faisant, le père n'avait pas respecté ses droits parentaux, réclamait dans le cadre de la procédure de divorce, des dommages et intérêts, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ). La cour d'appel fait droit à cette demande, considérant que le père aurait dû obtenir l'accord de la mère pour faire procéder à la communion de l'enfant (I) et admettant l'existence d'un préjudice moral pour la mère découlant d'une "violation de l'autorité parentale conjointe" (II). I - Le non-respect de l'exigence du consentement de l'autre parent

Il ressort du raisonnement de la cour d'appel de Nîmes que l'acte relatif à la personne de l'enfant en cause nécessitait le consentement des deux parents et que la mère n'avait pas donné son accord pour cet acte particulier.

Acte non usuel. En se fondant sur l'article 371-1 du Code civil (N° Lexbase : L2894ABS), la cour d'appel de Nîmes affirme que "parmi les décisions importantes concernant la vie des enfants, figure au troisième rang la religion", qualifiant ainsi l'acte religieux d'acte important, en opposition à l'acte de la vie courante ou acte usuel. En effet, l'article 372-2 du Code civil (N° Lexbase : L2902AB4) établit dans le cadre de l'exercice en commun de l'autorité parentale, une présomption d'accord entre les parents pour les actes usuels relatifs à la personne de l'enfant. Il en résulte, a contrario que l'accord des deux parents, est nécessaire pour que soit réalisé un acte non usuel ; en cas de désaccord, l'un d'eux peut saisir le juge aux affaires familiales pour trancher le conflit. L'acte usuel ne fait l'objet d'aucune définition légale. Il s'agit d'une de ces notions cadre auxquelles le législateur a souvent recours en droit de la famille et qui constitue davantage une catégorie générale, dont le juge est chargé de définir le contenu, plutôt qu'une notion aux contours précis (1). Le rapport "Léonetti" intitulé "Intérêt de l'enfant, autorité parentale et droits des tiers" remis le 7 novembre 2009 au Premier ministre, et qui devait donner son point de vue sur l'avant-projet de loi relatif à l'autorité proposé la même année par Nadine Morano a affirmé que "c'est à la jurisprudence d'apprécier, dans chaque cas d'espèce, s'il s'agit d'un acte usuel ou bien d'un acte grave, inhabituel, pour lequel une décision collégiale s'impose. [...] On considère généralement qu'un acte est important ou non usuel, s'il rompt avec le passé ou s'il engage l'avenir de l'enfant. Ainsi, tout choix inhabituel ou important dans la vie de l'enfant requiert l'accord systématique des deux parents". La cour d'appel d'Aix-en-Provence, dans le contexte de l'assistance éducative (2), a également, dans un arrêt en date du 28 octobre 2011, proposé une définition particulièrement intéressante des actes usuels qui seraient "des actes de la vie quotidienne, sans gravité, qui n'engagent pas l'avenir de l'enfant, qui ne donnent pas lieu à une appréciation de principe essentielle et ne présentent aucun risque grave apparent pour l'enfant, ou encore, même s'ils revêtent un caractère important, des actes s'inscrivant dans une pratique antérieure non contestée" (3).

Dans l'affaire jugée par la cour d'appel de Nîmes, l'acte en question n'était à l'évidence pas un acte usuel. En effet, tout d'abord, la bar-mitsva est en elle-même un acte religieux important qui implique le consentement des deux parents, mais en l'espèce elle avait une importance encore plus grande car elle emportait la conversion de l'enfant à la religion juive.

Consentement particulier. Le père semblait prétendre que la mère avait implicitement consenti à la conversion de l'enfant à la religion juive en acceptant que l'enfant reçoive une éducation religieuse. Il verse en effet aux débats une lettre dans laquelle la mère indique : "je n'ai jamais été contre que les enfants suivent l'éducation religieuse que tu voulais qu'ils aient et pour laquelle j'ai toujours été d'accord". Toutefois, la cour d'appel constate que "cet accord ne concernait que la participation à une éducation religieuse non nécessairement suivi d'un engagement suffisamment important et sérieux pour entraîner la conversion à cette religion". On pourrait même considérer que l'acceptation par un parent du fait que l'enfant suive une éducation religieuse ne dispense pas l'autre parent de solliciter son accord pour que l'enfant reçoive les différents sacrements prévus par cette religion. L'acte en lui-même, baptême ou communion, revêt en effet une importance qui implique la participation des deux parents (4). C'est ainsi de manière légitime que la mère regrette d'avoir été exclue "de ce moment important de la vie d'homme de Sacha".

Absence de motif sérieux. La cour d'appel de Nîmes relève que les parents étaient, certes, en situation de conflit mais parvenaient à échanger par le biais de leurs messageries respectives sur l'organisation des vacances et en particulier sur les modalités de trajet et en déduit qu'aucun motif sérieux n'empêchait, dès lors, le père d'informer le père du choix de cette conversion religieuse. La cour considère ainsi que l'attitude du père est une manifestation d'un certain mépris des positions de l'autre parent dans le cadre de l'exercice conjoint de l'autorité parentale.

II - La réparation du préjudice résultant du non-respect des droits parentaux

Préjudice moral. La cour d'appel de Nîmes considère que la mère a subi un préjudice moral du fait du non-respect de ses droits parentaux et lui accorde 5 000 euros de dommages et intérêts. Cette analyse est conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation qui a admis, dans un arrêt du 27 février 2007 (5), le "préjudice moral direct et certain éprouvé par [la mère] et tiré de la méconnaissance de ses prérogatives d'autorité parentale" ; en l'occurrence, le père avait autorisé la publication de photographie d'enfant mineur alors que la mère s'y était opposée. Elle rejette, ainsi, le pourvoi dans lequel l'éditeur de la publication avait tenté de démontrer que les fonctions attachées à l'autorité parentale ne comportent aucun attribut en faveur de la personne de leur titulaire et qu'il en résultait que celui-ci ne peut se prévaloir d'un préjudice personnel du fait d'un acte qui aurait requis son consentement au nom du mineur, seul ce dernier, agissant par ses représentants, pouvant demander, et à son seul profit, réparation du préjudice subi lui-même du fait de cet acte. Ainsi, le médecin qui pratique une circoncision sans l'accord de l'autre parent engage sa responsabilité à l'égard de ce dernier (6). La responsabilité du médecin psychiatre a été également retenue en raison de la délivrance de soins à un enfant mineur alors que le père a fait connaître son opposition au suivi psychologique de l'enfant par le médecin psychiatre par lettre recommandée avec accusé de réception (7).

Responsabilité d'un parent à l'égard de l'autre. La spécificité de la décision nîmoise réside cependant dans le fait qu'elle admet la responsabilité d'un parent à l'égard de l'autre. La plupart des décisions rendues sur cette question admettent, en effet, la responsabilité du tiers, médecin, éditeur, qui a accompli l'acte relatif à la personne de l'enfant. En l'espèce, il est vrai que la bar-mitsva ayant eu lieu en Israël, il était difficile de mettre en cause un tiers. Toutefois, une telle condamnation d'un parent au bénéfice de l'autre revêt une importance particulière en ce qu'elle vient sanctionner l'obligation spécifique de chacun des parents de respecter les droits parentaux de l'autre. Cette obligation est indirectement mentionnée à l'article 373-2, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L2905AB9) selon lequel "chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l'enfant et respecter les liens de celui-ci avec l'autre parent" ; par ailleurs, dans le même sens, l'article 373-2-11, 3° (N° Lexbase : L7191IMB), vise parmi les critères que le juge aux affaires familiales doit prendre en compte pour fixer les modalités d'exercice de l'autorité parentale, "l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l'autre". La condamnation du père qui n'a pas respecté le droit de la mère en matière religieuse constitue sans aucun doute une manifestation bienvenue de la volonté des juges d'assurer l'effectivité de la coparentalité.

Intérêt de l'enfant. Cette solution mérite d'autant plus d'être saluée qu'elle va à l'évidence dans le sens de l'intérêt de l'enfant et du respect du droit de celui-ci de maintenir des liens -de qualité- avec ses deux parents. Dans ses conclusions, reprises par la cour d'appel, la mère de l'enfant regrette légitimement que le père ait placé celui-ci dans un conflit de loyauté entre ses parents : "tu ne sais pas dans quel état d'esprit se trouve Sacha par rapport à cet événement, le pauvre petit le vit très mal, car il ne veut pas me faire du mal et il n'ose pas t'affronter"...


(1) A. Gouttenoire, Rep. Dalloz civil, V°Autorité parentale, 2012.
(2) La notion d'acte usuel est également mobilisée lorsque l'enfant est confié à un tiers par le juge aux affaires familiales (C. civ., art. 373-4 N° Lexbase : L2907ABB) ou par le juge des enfants (C. civ., art. 375-7 N° Lexbase : L7179IMT).
(3) CA Aix-en-Provence, 28 octobre 2011, n° 11/00127 (N° Lexbase : A9428IQA).
(4) Il en va évidemment de même de la circoncision (le tribunal de Cologne (Allemagne) a récemment interdit, dans une décision du 26 juin 2012, en estimant que "le corps d'un enfant était modifié durablement et de manière irréparable par la circoncision" et que "cette modification est contraire à l'intérêt de l'enfant qui doit décider plus tard par lui-même de son appartenance religieuse. Le droit d'un enfant à son intégrité physique prime sur le droit des parents".
(5) Cass. civ. 1, 27 février 2007, n° 06-14.273, F-P+B (N° Lexbase : A4205DUB), RTDCiv., 2007, 327, obs. J. Hauser ; Dr. fam., 2007, 124, obs. P. Murat.
(6) CA Paris, 1ère ch., sect. B, 29 septembre 2000, n° 1999/08304 (N° Lexbase : A2758ATC), D., 2001, 1585, note Duvert.
(7) CA Nîmes, 15 septembre 2009, n° 07/04215 (N° Lexbase : A9462IQI).

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Droit disciplinaire

[Jurisprudence] Preuve de l'employeur contre le salarié : de la loyauté avant tout !

Réf. : Cass. soc., 4 juillet 2012, n° 11-30.266, FS-P+B (N° Lexbase : A4789IQG)

Lecture: 7 min

N3218BTD

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par Lise Casaux-Labrunée, Professeur à l'Université Toulouse 1 Capitole

Le 26 Juillet 2012

Si chacun sait que tout licenciement doit reposer sur une cause réelle et sérieuse, sans doute n'insiste-t-on pas assez sur le fait que cette cause doit être prouvée et surtout, qu'elle doit l'être de façon loyale. Nombre d'employeurs l'apprennent à leurs dépens... au double sens du terme. Le salarié présumé fautif aura beau avoir été pris "la main dans le sac", les faits indiscutablement prouvés, si le mode de preuve utilisé contre lui n'a pas été loyal, aucune conséquence juridique ne pourra être tirée du comportement ainsi établi. Le licenciement sera déclaré sans cause réelle et sérieuse et l'employeur perdra son procès, ce qu'il aura sans doute quelque mal à digérer dans la mesure où les faits à l'origine de la décision de licencier étaient réels, sérieux et prouvés... sauf que ces faits n'auront pas été prouvés dans les règles de l'art, id est "conformément à la loi" ainsi que l'exige l'article 9 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1123H4D) (I). Reste à définir les caractéristiques de la preuve loyale. L'arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 4 juillet 2012, illustre ce schéma assez classique d'un employeur perdant son procès par qualité insuffisante de la preuve rapportée en justice (II).
Résumé

Si l'employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle clandestin et à ce titre déloyal.

Commentaire

I - L'exigence de loyauté de la preuve

L'affaire. Elle concerne une institution nationale : La Poste... et les courriers, chacun a connu cela au moins une fois dans sa vie, qui n'arrivent pas à destination ou qui arrivent endommagés. Une employée engagée en qualité d'agent de tri-collecte puis de factrice, suspectée d'être à l'origine de spoliations de courriers observées dans un centre de tri, est prise en défaut grâce à la technique, bien connue semble-t-il dans les services postaux, des "lettres festives" (lettres ayant la particularité de diffuser un encre bleue si elles sont ouvertes). La technique a bien fonctionné puisque les mains de la salariée maculées d'encre bleue ont un jour finalement conduit cette dernière à reconnaître les faits qui lui étaient reprochés. Un licenciement pour faute grave s'en suit, contesté par la salariée qui saisit la juridiction prud'homale d'une demande en paiement d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La cour d'appel de Chambéry déboute la salariée de sa demande. Elle estime que La Poste, chargée d'une mission de service public, est tenue de garantir aux usagers le secret et l'intégrité des correspondances confiées. Elle prend en considération le nombre accru de signalisations relatives à des lettres spoliées dans le centre dont dépendait la salariée pour justifier l'introduction de lettres festives dans la tournée de cette dernière, avec l'objectif de mettre fin à ces agissements frauduleux. Pour les juges de Chambéry, "ces lettres banalisées ne constituent pas un procédé de surveillance destiné à collecter des informations sur les salariés mais ont vocation à être traitées comme les autres correspondances ; il n'y a donc ni stratagème, ni provocation à commettre une infraction, ni utilisation d'un procédé déloyal par l'employeur". Le raisonnement est solide.

Une exigence procédurale légale. La Cour de cassation ne l'entend pas de la même façon et casse la décision de la cour d'appel en considérant surtout le caractère clandestin du contrôle effectué par l'employeur : "si l'employeur a le pouvoir de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel pendant le temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle clandestin et à ce titre, déloyal [...] L'utilisation de lettres piégées à l'insu du personnel constitue un stratagème rendant illicite le moyen de preuve obtenu". La décision est rendue au visa de l'article 9 du Code de procédure civile : "il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention". Les procédés frauduleux, destinés à tromper autrui ou à lui porter préjudice en utilisant la ruse, la clandestinité ou autre... ne peuvent pas produire de preuves admissibles en justice.

Une exigence jurisprudentielle constante. La solution n'est pas nouvelle. La Cour de cassation insiste sur l'exigence de loyauté en matière de preuve depuis 1991 : "la loyauté, qui doit présider aux relations de travail, interdit à l'employeur de recourir à des artifices et stratagèmes pour placer le salarié dans une situation qui puisse ultérieurement lui être imputée à faute" (Cass. soc. 16 janvier 1991, n° 89-41.052, publié N° Lexbase : A9408AAP). La formulation de l'arrêt rendu le 4 juillet dernier rappelle, par ailleurs, celle du fameux arrêt "Néocel" rendu le 20 novembre 1991 : "si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps de travail, tout enregistrement, quels qu'en soient les motifs, d'images ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite" (1). Plus récemment, en 2008, deux affaires ont également conduit à la condamnation d'employeurs insuffisamment informés des exigences du droit de la preuve... deux arrêts expliqués ensemble dans un commentaire célèbre du Doyen Philippe Waquet : "halte aux stratagèmes !" (2).

Dans l'un, un employeur souhaitait confondre l'un de ses salariés qui travaillait, en partie sur son temps rémunéré, dans un restaurant exploité par son épouse. Pour établir la faute (abandon de poste), il avait demandé à plusieurs cadres de l'entreprise de se rendre dans ledit restaurant en s'y comportant comme de simples clients et de témoigner par la suite de ce qu'ils y avaient vu (Cass. soc. 18 mars 2008, n° 06-45.093, FS-P+B N° Lexbase : A4784D7C). Dans l'autre, l'employeur cherchait à établir qu'une vendeuse procédait à des détournements d'espèces. Il avait fait appel à un huissier, lequel avait demandé à des tiers d'effectuer des achats en espèces, de façon à pouvoir constater en fin de journée que des fonds manquaient dans la caisse. Dans tous les cas, la Cour de cassation sanctionne les preuves obtenues par stratagème, aucune conséquence juridique ne pouvant en être tirée. Dans l'arrêt du 4 juillet 2012, elle affirme spécialement que l'utilisation de lettres piégées à l'insu du personnel constitue un stratagème, une ruse destinée à tromper ou piéger l'adversaire, rendant illicite le moyen de preuve obtenu.

II - Les caractéristiques de la preuve loyale

Transparence. C'est la première règle d'or à respecter pour que la preuve de l'employeur contre le salarié soit loyale (3). L'affirmation revient comme une constante dans tous les arrêts où l'employeur se retrouve pris à son propre piège : les preuves résultant de contrôles opérés à l'insu des salariés ne peuvent produire aucun effet juridique, indépendamment de la réalité des fautes dont le salarié a pu se rendre coupable. L'on pourra objecter que cette exigence de transparence, qui implique que le salarié soit au courant des procédés de surveillance utilisés par l'employeur (C. trav., art. L. 1222-4 N° Lexbase : L0814H9Z), rend difficile si ce n'est impossible le "flagrant délit". L'on rétorquera que la transparence a moins pour but de piéger le salarié que de lui éviter de commettre des fautes. Sa fonction est préventive, en plus de s'inscrire dans le respect des droits de la personne. Elle signifie simplement que la surveillance des salariés doit se faire ouvertement. L'utilisation de lettres piégées à l'insu du personnel de La Poste est illicite parce qu'elle ne répond pas à ce premier critère de transparence.

Information et consultation. La jurisprudence "Néocel" condamnant les procédés de surveillance réalisés à l'insu des salariés a été traduite dans la loi par diverses obligations d'information et de consultation à la charge de l'entreprise (loi du 31 décembre 1992 relative à l'emploi, au travail à temps partiel et à l'assurance-chômage N° Lexbase : L0944AIS). La mise en place de tout procédé de surveillance doit être soumise à la consultation préalable du comité d'entreprise (4), également à une information individuelle des salariés concernés (5). Le cas échéant, le CHSCT pourra être consulté, certains modes de surveillance pouvant se révéler "stressants" pour les salariés (6). Enfin, pour les procédés de surveillance donnant lieu à un traitement de données à caractère personnel, l'employeur sera tenu d'en faire déclaration à la CNIL et de respecter les formalités prévues par la loi "informatique et libertés" (7).

Aucune de ces obligations n'est évidemment évoquée dans l'arrêt, le procédé de contrôle utilisé pour confondre la salariée de La Poste y apparaissant comme un dispositif de contrôle clandestin (probablement voulu comme tel). La question qui se pose est cependant de savoir si la solution des juges eût été la même si, au lieu de jouer la surprise, l'employeur eût préféré la transparence vis à vis des salariés et de leurs représentants et inscrit, par exemple dans un règlement intérieur (qui est le document idoine pour accueillir ce genre de dispositions) qu'en cas de spoliations de courriers répétées dans un centre de tri donné, des contrôles intempestifs pourraient y être opérés par le biais de lettres festives... Gageons que oui.

Nécessité. Espérons surtout que La Poste corrigera rapidement ce qui, vu de loin, apparaît comme une importante faille dans son droit disciplinaire. Car l'objectif poursuivi par l'employeur était en l'occurrence parfaitement louable. Les juges de Chambéry ont eu raison de souligner que "la SA La Poste a agi non pour la sauvegarde de ses intérêts propres, mais pour des motifs impérieux d'intérêt public en vue de faire cesser des agissements répréhensibles pénalement sanctionnés" (violation du secret des correspondances privées) (8). La Poste, chargée d'une mission de service public, est tenue de garantir aux usagers le secret et l'intégrité des correspondances confiées, et de mettre fin le plus rapidement possible aux agissements frauduleux observés ou suspectés. Les lettres festives n'ont pas pour but de collecter des informations sur les salariés ou de les pousser à la faute. Elles constituent un procédé de contrôle relativement neutre, presque "sympathique" au regard d'autres procédés de surveillance mis en oeuvre aujourd'hui dans les entreprises (vidéosurveillance, géolocalisation, logiciel "surveillermonsalarié.com"...) ayant pour seul objectif de rapporter la preuve de faits avérés, ou plus exactement de retrouver l'auteur de faits que l'on peut considérer inadmissibles dans un service public comme celui-là. Le contrôle est donc nécessaire. Encore faut-il et enfin qu'il soit proportionné à l'objectif.

Proportionnalité. Les procédés de surveillance utilisés par l'employeur, dans la mesure où ils sont susceptibles de porter atteinte aux libertés individuelles des salariés, doivent non seulement être justifiés par la nature de la tâche à accomplir, mais ils doivent en outre être proportionnés au but recherché par l'employeur (C. trav., art. L. 1121-1 N° Lexbase : L0670H9P). Les restrictions apportées par les dispositifs de surveillance aux droits et libertés des personnes doivent par conséquent être correctement " dosées ", ce qui interdit toute systématisation ou généralisation.


(1) Cass. soc. 20 novembre 1991, n° 88-43.120, inédit (N° Lexbase : A9301AAQ) ; Dr. soc., 1992, p. 28, rapport Ph. Waquet.
(2) SSL, n° 1348, 7 avril 2008, p. 5.
(3) L. Casaux-Labrunée, Vie privée des salariés et vie de l'entreprise, Dr. soc., 2012, p. 334 s..
(4) "Le comité d'entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés" (C. trav., art. L. 2323-32, alinéa 3 N° Lexbase : L2810H9X) ; "le comité d'entreprise est informé et consulté, préalablement à tout projet important d'introduction de nouvelles technologies, lorsque celles-ci sont susceptibles d'avoir des conséquences sur l'emploi, la qualification, la rémunération, la formation ou les conditions de travail" (C. trav., art. L. 2323-13 N° Lexbase : L2755H9W).
(5) "Aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance" (C. trav., art. L. 1222-4 N° Lexbase : L4383DLW).
(6) "Le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail et, notamment, avant toute transformation importante des postes de travail découlant de la modification de l'outillage, d'un changement de produit ou de l'organisation du travail, avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail" (C. trav., art. L. 4612-8 N° Lexbase : L1754H9T).
(7) La cybersurveillance sur les lieux de travail, Rapport CNIL, édition 2004 ; Guide pratique de la CNIL pour les employeurs et les salariés, édition 2010.
(8) C. pén., art. 226-15 (N° Lexbase : L3257IQP).

Décision

Cass. soc., 4 juillet 2012, n° 11-30.266, FS-P+B (N° Lexbase : A4789IQG)

Cassation, CA Chambéry, 15 mars 2011, n° 09/00221 (N° Lexbase : A9456HBT)

Texte visé : C. proc. civ., art. 9 (N° Lexbase : L1123H4D)

Mots-clés : licenciement, cause réelle et sérieuse, exigence de preuve loyale, pouvoir de contrôle de l'employeur, refus des stratagèmes.

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Fiscalité des entreprises

[Chronique] Chronique de droit fiscal des entreprises - juillet 2012

Lecture: 11 min

N3151BTU

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par Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la cour, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines

Le 26 Juillet 2012

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Frédéric Dal Vecchio, Avocat à la cour, Docteur en droit et Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de fiscalité des entreprises. Ce mois-ci, notre auteur a choisi de s'arrêter sur trois arrêts rendus par le Conseil d'Etat. Dans le premier arrêt, en date du 20 juin 2012, la Haute juridiction administrative se prononce contre la déduction des dépenses de représentation des membres du conseil de surveillance dans une société anonyme, car les dispositions impératives du droit des sociétés n'ont pas été respectées (CE 3° et 8° s-s-r., 20 juin 2012, n° 342753, mentionné aux tables du recueil Lebon). Dans la deuxième décision, rendue le même jour, le Conseil d'Etat traite d'un contentieux entre l'administration fiscale et une collectivité publique quant à l'assujettissement d'une régie autonome assurant l'exploitation d'un port de plaisance (CE 3° et 8° s-s-r., 20 juin 2012, n° 341410, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, dans le troisième arrêt sélectionné, toujours en date du 20 juin 2012, le Conseil d'Etat se prononce quant à la possibilité de déduire de la base imposable des astreintes prononcées à l'encontre d'une société anonyme n'ayant pas exécuté une décision de justice la condamnant à démolir une construction illégalement édifiée (CE 3° et 8° s-s-r., 20 juin 2012, n° 342714, publié au recueil Lebon).
  • Frais de voyage et de déplacement : ce qu'il en coûte de méconnaître le droit des sociétés (CE 3° et 8° s-s-r., 20 juin 2012, n° 342753, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5168IP4)

A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a remis en cause la déductibilité des frais de voyage et de déplacement des membres du conseil de surveillance pour les exercices 1998 à 2000, au motif qu'aucune décision préalable n'avait été prise en ce sens par le conseil de surveillance de la société. Tant en appel (CAA Douai, 3ème ch., 24 juin 2010, n° 08DA01124, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5393E4I), qu'en cassation (CE 3° et 8° s-s-r., 20 juin 2012, n° 342753, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5168IP4), la position de l'administration fiscale sera confirmée au visa des dispositions de l'article 39 du CGI (N° Lexbase : L1212HLH) et de l'article 118 du décret du 23 mars 1967 (décret n° 67-236 du 23 mars 1967, art. 118 N° Lexbase : L2351AHK ; aujourd'hui : C. com., art. R. 225-60 N° Lexbase : L4637H9M).

Il faut malheureusement constater qu'en France, le dirigeant d'une société éprouve généralement un intérêt inversement proportionnel au nombre de documents que son comptable, dans la pratique professionnelle, devra lui faire signer dans les six mois de la clôture de l'exercice : une formalité perçue comme désuète dans la très grande majorité des petites entreprises dont l'exercice se fait sous couvert d'une société obéissant à des règles juridiques souvent mal comprises, lorsqu'elles ne sont pas tout simplement ignorées. Il est d'ailleurs assez piquant, en pratique, de constater l'affolement soudain de ces mêmes dirigeants lorsque les statuts et les actes de sociétés n'ont pas été mis à jour depuis, parfois, de nombreuses années : indirectement, ce sont les banques qui font respecter "le secrétariat juridique" -terminologie honnie qui tend à dévaloriser ce que les juristes appellent des "actes de société"- en exigeant des documents juridiques à jour préalablement au renouvellement de leurs concours bancaires.

Tous ces actes de société sont pourtant une source d'information et de contentieux intarissable avec l'administration fiscale : pour s'en convaincre, il suffira de se reporter aux derniers avis du Comité de l'abus de droit fiscal dans lesquels l'administration et le Comité s'appuient, notamment, sur les résolutions adoptées par les associés des sociétés concernées, la disparition de l'affectio societatis de ces sociétés, leur activité "réelle" (instruction du 21 mai 2012, BOI 13 L-4-12 N° Lexbase : X2540AKB), pour en conclure à l'existence d'un abus de droit.

La jurisprudence témoigne du respect du droit des sociétés et des conséquences que doivent en tirer les contribuables et l'administration : à titre d'exemple, en matière d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), les dispositions du CGI permettent un régime d'exception au principe d'imposition du patrimoine du contribuable pour les biens professionnels. Par principe, les dirigeants de sociétés de capitaux peuvent alors prétendre à l'exonération des titres de société à la triple condition d'être rémunérés pour plus de la moitié de leurs revenus d'activité, de détenir au moins 25 % des droits de vote et d'avoir été nommés en qualité de dirigeant. C'est ce dernier point qui a opposé une contribuable à l'administration fiscale : selon la requérante, les dispositions de l'article 885 O bis du CGI (N° Lexbase : L1126ITU), relatives à la qualification de biens professionnels des parts et actions de sociétés soumises à l'IS "ne pose aucunement la condition suivant laquelle la nomination des dirigeants des SA visés à l'alinéa 1er doit respecter le formalisme de la loi sur les sociétés commerciales, alors que cette condition est posée pour les gérants des SARL". La contribuable, qui faisait une mauvaise interprétation de la loi fiscale, soutenait que la notion de dirigeant devait s'entendre comme étant détachée de toute référence à la loi commerciale : le directeur des services fiscaux soutiendra exactement le contraire et appuiera sa démonstration sur les dispositions de la loi du 24 juillet 1966, relatives au droit des sociétés, applicables aux faits de l'espèce. Par conséquent, pour l'administration fiscale -suivie par le juge de l'impôt judiciaire- point d'autonomie : le fonctionnement des organes sociaux de la société anonyme dépend du droit des sociétés et le droit fiscal en tire les conséquences (Cass. com., 26 novembre 2003, n° 01-14.079, publié N° Lexbase : A3105DAA ; instruction du 3 août 2004, BOI 7 S-5-04 N° Lexbase : X3220ACA ; CA Paris, 1ère ch., sect. B, 18 décembre 2003, n° 2002/11330 N° Lexbase : A8932DA3).

Si certains esprits chagrins regretteront l'excès de "juridisme" dont l'administration fiscale sait si bien faire preuve en opposant -non sans une certaine facilité au cas d'espèce- l'absence d'une délibération d'un conseil de surveillance respectant la lettre de l'article R. 225-60 du Code de commerce pour réintégrer l'ensemble des frais de voyage et de déplacement de leurs membres, ils pourront également observer que le service n'est jamais démuni pour aller au-delà des apparences issues d'un acte juridique lorsque les intérêts du Trésor le commandent. En conclusion, quitte à croiser le fer avec l'administration fiscale, autant respecter les prescriptions du droit des sociétés et ne pas lui offrir un motif de redressement qui se révèlera impossible à combattre sur le fond.

  • Soumission à l'IS de l'exploitation d'un port de plaisance par une commune : le caractère désintéressé de l'activité n'est pas démontré du seul fait que les excédents d'exploitation ne sont pas intégralement réinvestis dans l'activité (CE 3° et 8° s-s-r., 20 juin 2012, n° 341410, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5166IPZ)

La décision ici commentée a trait au régime spécifique de l'impôt sur les sociétés pour les personnes morales de droit public. Aux termes des dispositions applicables au cas d'espèce, les établissements publics, les organismes de l'Etat jouissant de l'autonomie financière, les organismes des départements et des communes et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif, sont passibles de l'impôt sur les sociétés (CGI, art. 206 N° Lexbase : L3761HLU), sous réserve des dispositions des 6° et 6° bis du 1 de l'article 207 (N° Lexbase : L3781HLM). Le CGI précise également que : "les établissements publics, les exploitations industrielles ou commerciales de l'Etat ou des collectivités locales [...] doivent [...] acquitter, dans les conditions de droit commun, les impôts et taxes de toute nature auxquels seraient assujetties des entreprises privées effectuant les mêmes opérations" (CGI, art. 1654 N° Lexbase : L1897HM9). Il s'agit d'éviter toute forme de distorsion de concurrence avec des entreprises privées. C'est d'ailleurs la même logique qui prévaut avec les associations "loi 1901" (instruction du 18 décembre 2006, BOI 4 H-5-06 N° Lexbase : X7805ADG ; CE Section, 1er octobre 1999, n° 170289, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4697AXA ; C. David, O. Fouquet, B. Plagnet, P.-F. Racine, Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Dalloz, coll. : Grands arrêts, 5ème édition, 2009, p. 526).

Au cas particulier, après avoir fait l'objet d'une procédure de taxation d'office (LPF, art. L. 66 N° Lexbase : L8556AEM) pour ne pas avoir souscrit ses déclarations d'impôt sur les sociétés pour les années 1997 à 1999 après mises en demeure obligatoirement adressées, sauf exceptions (1), par l'administration fiscale en septembre 2000, l'appel relevé par la commune de La Ciotat a été rejeté au motif que la régie dotée de l'autonomie financière exploitant le port de plaisance de La Ciotat avait dégagé d'importants résultats d'exploitation (2) et qu'il ne résultait pas de l'instruction que ces excédents avaient été affectés à la seule exploitation de ce port de plaisance (CAA Marseille, 3ème ch., 10 mai 2010, n° 07MA03673, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1091E48).

De plus, selon la cour, l'exonération prévue au 6° du 1 de l'article 207 du CGI (3) (N° Lexbase : L3781HLM) n'est applicable que si les régies locales ont pour objet l'exploitation ou l'exécution d'un service indispensable à la satisfaction des besoins collectifs des habitants de la collectivité en question, ce qui n'était pas le cas en l'espèce (CE, 16 janvier 1956, n° 13019, Dupont 1956, p. 239 ; v. par exemple : exploitation d'un laboratoire : CAA Douai, 3ème ch., 30 décembre 2003, n° 01DA00011, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8070DA7 ; exploitation d'une régie municipale de télévision : QE n° 57439 de M. Lang Pierre, JOANQ 8 février 2005 p. 1227, min. Eco., réponse publ. 24 mai 2005 p. 5339, 12ème législature N° Lexbase : L7216G8R). On notera toutefois que le Conseil d'Etat a récemment jugé qu'un établissement public gérant, en régie, un port de plaisance, peut être exonéré d'impôt sur les sociétés, si le service exploité est indispensable à la satisfaction d'intérêts collectifs, quand bien même il aurait été doté de la personnalité morale (CE 3° et 8° s-s-r., 7 mars 2012, n° 331970, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3339IEE).

Au soutien de son arrêt, la cour administrative d'appel avait recherché l'existence d'une gestion susceptible d'entrer en concurrence avec des entreprises selon le mode opératoire suivant (comp. : CAA Marseille, 3ème ch., 13 avril 2012, n° 09MA02005, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1551IKN ; CAA Douai, 3ème ch., 14 décembre 2004, n° 02DA00159, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9734DEA) :
-la gestion de la personne morale a un caractère désintéressé ;
-les services rendus ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d'attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique ;
-même dans le cas où cette personne morale intervient dans un domaine d'activité et dans un secteur géographique où existent des entreprises commerciales, elle reste exclue du champ de l'impôt sur les sociétés si elle exerce son activité dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales, soit en répondant à certains besoins insuffisamment satisfaits par le marché, soit en s'adressant à un public qui ne peut normalement accéder aux services offerts par les entreprises commerciales, notamment en pratiquant des prix inférieurs à ceux du secteur concurrentiel et, à tout le moins, des tarifs modulés en fonction de la situation des bénéficiaires, sous réserve de ne pas recourir à des méthodes commerciales excédant les besoins de l'information du public sur les services qu'elle offre.

En cassation, le Conseil d'Etat va censurer pour erreur de droit l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille pour ne pas avoir recherché, in concreto, si l'exploitation était lucrative "eu égard à l'objet du service en cause et aux conditions particulières", dans lesquelles était géré le port de plaisance et dont on peut regretter qu'elles ne soient pas mentionnées dans l'arrêt rendu par la Haute juridiction administrative. Cette jurisprudence, qui condamne la doctrine administrative selon laquelle l'exploitation en régie d'un port de plaisance par une commune devait être considérée comme une activité soumise à l'impôt sur les sociétés (QE n° 12493 de Mme Bouillé Marie-Odile, JOANQ 11 décembre 2007, p. 7756, réponse publ. 3 mars 2009, p. 2039, 13ème législature N° Lexbase : L0128ID4) va contraindre la cour administrative d'appel de Marseille, saisie sur renvoi, d'analyser avec précision les conditions d'exploitation de ce port de plaisance et d'en tirer les conséquences en conformité avec la jurisprudence du Conseil d'Etat.

  • Non-déductibilité de l'astreinte prononcée en exécution d'un jugement condamnant une violation du Code de l'urbanisme (CE 3° et 8° s-s-r., 20 juin 2012, n° 342714, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3097IPE)

La société requérante, dont l'activité est le négoce de matériaux et de carrelages, a été condamnée, en 1989, par le juge judiciaire, à démolir une construction édifiée sans permis de construire, sous peine d'une astreinte (C. urb., art. L. 480-7 N° Lexbase : L5524C84) et liquidée en 1992 par le juge correctionnel, dès lors que la décision de justice n'avait pas été exécutée pour des montants de 2 506,11 euros (16 439 francs) en 1998, 17 656,04 euros (115 816 francs) en 1999 et 16 449,25 euros (107 900 francs) en 2000.

A la suite d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale a réintégré les astreintes déduites du résultat comptable et elle a remis en cause une provision pour litige correspondant aux astreintes encourues mais non encore liquidées dans les comptes de l'exercice clos en 2000. Dans ces conditions, les sommes versées constituaient-elles une amende ou une pénalité non déductible ? On sait, en effet, qu'aux termes des dispositions de l'article 39 du CGI (N° Lexbase : L1212HLH), si le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, une réserve est toutefois expressément formulée par le législateur s'agissant, dans la rédaction applicable aux faits de l'espèce, des "transactions, amendes, confiscations, pénalités de toute nature mises à la charge des contrevenants aux dispositions légales régissant les prix, le ravitaillement, la répartition des divers produits et l'assiette des impôts, contributions et taxes". Ce principe de non-déductibilité, toujours d'actualité et qui a fait l'objet d'une intervention législative récente permettant un élargissement du champ d'application de ce texte (loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007, de finances pour 2008 N° Lexbase : L5488H3N ; instruction du 16 octobre 2008, BOI 4 C-5-08 N° Lexbase : X4357AE4), offre toutefois une exception pour les pénalités contractuelles, dans le cadre de relations commerciales, si elles ne sanctionnent pas des manquements à des obligations légales. Cependant, hormis cette exception, de nombreuses décisions ont été rendues pour lesquelles des amendes ou des pénalités ont été réintégrées au résultat imposable de l'entreprise (v. par exemple : amendes pour infraction aux lois pénales : CE 7° et 8° s-s-r., 25 avril 1990, n° 71053, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4720AQU ; contraventions douanières : CE 9° et 10° s-s-r., 13 juillet 2007, n° 289233, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A2856DX3 ; en droit de la concurrence depuis l'adoption de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L0383AW4 : CE Section, 29 décembre 2004, n° 269992, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1243DG7). Admettre l'inverse aurait permis aux contribuables de faire participer le Trésor au financement de ces sanctions par le biais d'une économie d'impôt : outre que cette hypothèse n'aurait pas été neutre pour les finances publiques, elle permet également de satisfaire, dans le même temps, le moraliste qui sommeille dans chaque contribuable tant qu'il n'est pas concerné par une telle procédure...

En appel (CAA Marseille, 4ème ch., 22 juin 2010, n° 07MA03212, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A1455E7Z), les juges du fond rejetteront la requête de la société en soulignant qu'une astreinte visant à garantir l'exécution d'une décision de justice n'a pas de valeur punitive. Ainsi, pour la cour, les astreintes payées ne peuvent être regardées comme ayant été effectuées au titre de l'exploitation de l'entreprise, ce qui justifie leur rejet des charges déductibles. Ce raisonnement sera repris par le juge de cassation (CE 3° et 8° s-s-r., 20 juin 2012, n° 342714, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A3097IPE), compte tenu de la finalité comminatoire attachée à l'astreinte : incitant la personne condamnée à exécuter la décision rendue et participant ainsi au respect de l'autorité de la chose jugée, les sommes versées ne peuvent être regardées comme une charge d'exploitation déductible du résultat imposable.


(1) "Il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure si le contribuable change fréquemment de lieu de séjour ou séjourne dans des locaux d'emprunt ou des locaux meublés, ou a transféré son domicile fiscal à l'étranger sans déposer sa déclaration de revenus, ou si un contrôle fiscal n'a pu avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers", LPF, art. L. 67 (N° Lexbase : L7602HEB) ; "il n'y a pas lieu de procéder à cette mise en demeure : 1° Si le contribuable change fréquemment son lieu de résidence ou de principal établissement ; 2° Si le contribuable a transféré son activité à l'étranger sans déposer la déclaration de ses résultats ou de ses revenus non commerciaux ; 3° Si le contribuable ne s'est pas fait connaître d'un centre de formalités des entreprises ou du greffe du tribunal de commerce ou s'il s'est livré à une activité illicite ; 4° Si un contrôle fiscal n'a pu avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers ; 5° Pour les fiducies, si les actes prévus à l'article 635 du code général des impôts n'ont pas été enregistrés ; 6° Lorsque l'administration a dressé un procès-verbal de flagrance fiscale dans les conditions prévues à l'article L. 16-0 BA, au titre de l'année ou de l'exercice au cours duquel le procès-verbal est établi", LPF, art. L. 68 (N° Lexbase : L2895IGC).
(2) 3 709 154 francs (565 457 euros) en 1997, 3 757 970 francs (572 899 euros) en 1998 et 3 185 914 francs (485 689 euros) en 1999.
(3) "1. Sont exonérés de l'impôt sur les sociétés : [...] 6° Les régions et les ententes interrégionales, les départements et les ententes interdépartementales, les communes, (les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre) syndicats de communes et syndicats mixtes constitués exclusivement de collectivités territoriales ou de groupements de ces collectivités ainsi que leurs régies de services publics".

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QPC

[Jurisprudence] QPC : évolutions procédurales récentes - Avril à Juin 2012

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N3149BTS

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par Mathieu Disant, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC)

Le 26 Juillet 2012

La question prioritaire de constitutionnalité est à l'origine d'une jurisprudence abondante du Conseil constitutionnel comme du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation. Cette chronique trimestrielle, rédigée par Mathieu Disant, Maître de conférences à l'Ecole de droit de la Sorbonne (Université Paris I) et membre du Centre de recherche en droit constitutionnel (CRDC) (1), s'attache à mettre en exergue les principales évolutions procédurales de la QPC, les apports au fond du droit étant, quant à eux, traités au sein de chacune des rubriques spécialisées de la revue de droit public. I - Champ d'application

A - Normes contrôlées dans le cadre de la QPC

1 - Notion de "disposition législative"

Au cours de la période considérée, le Conseil constitutionnel s'est plusieurs fois penché sur des dispositions législatives anciennes, passant au crible de la Constitution des institutions juridiques parfois séculaires. Saisi de dispositions relatives au mandat des juges des tribunaux de commerce et à la discipline des juges de ces tribunaux, le Conseil n'a pas désapprouvé la situation singulière de la justice consulaire, vieille de cinq siècles, et au charme pourtant de plus en plus désuet (Cons. const., décision n° 2012-241 QPC du 4 mai 2012 N° Lexbase : A5659IKS). A travers l'examen des articles L. 147-6 (N° Lexbase : L5431DKD) et L. 222-6 (N° Lexbase : L5380DKH) du Code de l'action sociale et des familles, le Conseil s'est, également, prononcé sur l'impossibilité de connaître le secret de ses origines qui découle de ce que l'on appelle couramment aujourd'hui l'accouchement sous X, mais dont le pratique a été codifiée en 1793 (Cons. const., décision n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012 N° Lexbase : A5087ILY), ou encore sur le régime de la répression de l'ivresse publique codifié à l'article L. 3341-1 du Code de la santé publique (N° Lexbase : L9774IPP) dont les origines remontent à la loi "Roussel" du 23 janvier 1873 (Cons. const., décision n° 2012-253 QPC du 8 juin 2012 N° Lexbase : A4075INA). De même, on notera que le Conseil a statué sur les dispositions issues de la loi du 29 mars 1935, relative au statut professionnel des journalistes destinées à garantir leur indépendance (Cons. const., décision n° 2012-243/244/245/246 QPC du 14 mai 2012 N° Lexbase : A1879IL8), et sur l'article 3 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 (N° Lexbase : L6499BH8) qui définit les causes de suspension de la célèbre "prescription quadriennale" pour les créances détenues contre les personnes publiques (Cons. const., décision n° 2012-256 QPC du 18 juin 2012 N° Lexbase : A8705INQ).

Le droit de l'expropriation a tout particulièrement retenu l'attention du Conseil constitutionnel, que ce soit par l'examen des conditions de prise de possession d'un bien ayant fait l'objet d'une expropriation pour cause d'utilité publique (Cons. const., décision n° 2012-226 QPC du 6 avril 2012 N° Lexbase : A1495II9), la fixation du montant de l'indemnité principale d'expropriation (Cons. const., décision n° 2012-236 QPC du 20 avril 2012 N° Lexbase : A1146IKN), ou, plus largement, l'intervention du juge judiciaire lors de la prise de l'ordonnance d'expropriation d'utilité publique (Cons. const., décision n° 2012-247 QPC du 16 mai 2012 N° Lexbase : A5086ILX). A l'occasion de la deuxième affaire citée, le Conseil a fait quelque peu progresser sa jurisprudence sur l'article 17 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1364A9E) en jugeant, notamment, que les exigences de cet article "doivent en principe conduire au versement de l'indemnité au jour de la dépossession". On insistera pour souligner que l'examen du Conseil ne s'est pas cantonné à la procédure d'expropriation tant les dispositions examinées, qui concernaient d'ailleurs le droit de préemption urbain, fixent le régime général de droit commun de l'indemnisation des propriétaires privés de leur bien par décision de la collectivité publique. Cela illustre combien, par le jeu des renvois, se trouvent aussi visées, dans les affaires examinées, les associations foncières urbaines, les associations foncières pastorales, les servitudes de passage et d'aménagement, ou encore l'alignement en matière de voirie routière.

Au plan procédural, on s'arrêtera surtout sur deux décisions. L'une conforte et l'autre clarifie un peu plus la notion de "disposition législative" au sens de l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ).

D'une part, pour vérifier la nature législative de la disposition contestée et donc la recevabilité de la QPC déposée à son encontre, le Conseil constitutionnel rappelle que les ordonnances prises par le Comité français de Libération nationale ont un caractère législatif (1), ce qui est le cas de l'ordonnance du 7 mars 1944, relative au statut des Français musulmans d'Algérie (Cons. const., décision n° 2012-259 QPC du 29 juin 2012 N° Lexbase : A9502IPM).

D'autre part, et surtout, le juge constitutionnel a fixé la nature du contrôle à exercer sur la qualification des dispositions d'une loi du pays de la Nouvelle-Calédonie (Cons. const., décision n° 2012-258 QPC du 22 juin 2012 N° Lexbase : A4289IPK). Bien que ces "lois" soient des normes juridiques régionales adoptées par le congrès de la Nouvelle-Calédonie, il n'a jamais été sérieusement envisagé de les faire échapper au contrôle a posteriori de constitutionnalité. Leur justiciabilité dans le cadre de la QPC n'a pas été véritablement discutée, elle s'est imposée assez naturellement (2), tant il est clair que la loi organique du 19 mars 1999, relative à la Nouvelle-Calédonie (N° Lexbase : L6333G9G), dans ses articles 99 à 107, investit le Congrès d'un véritable pouvoir législatif, dont on comprendrait mal qu'il puisse bénéficier d'une immunité constitutionnelle. De surcroît, on peut analyser l'article 3 de la loi organique du 10 décembre 2009, en tant qu'il prévoit expressément que les lois du pays peuvent faire l'objet d'une QPC comme une sorte de parallélisme des compétences, les lois du pays pouvant déjà faire l'objet d'un contrôle a priori, dans des conditions particulières, et fort complexes d'ailleurs.

Tout cela est bel et bon, mais cette situation contentieuse soulève toute une série d'interrogations que cette position générale ne règle pas. Celle de la nature véritable de ces "lois" est au coeur du sujet de fond mais, en elle-même, dépasse de loin l'objet de la présente chronique, laquelle se limite ici aux principaux aspects de procédure attachés à la QPC, quoique ceux-ci soient loin d'être sans répercussions sur le sujet.

La décision n° 2011-205 QPC du 9 décembre 2011 ( Cons. const., décision n° 2011-205 QPC, du 9 décembre 2011 N° Lexbase : A1701H4R) avait déjà implicitement souligné que le niveau et les méthodes du contrôle exercé par le Conseil à l'égard des lois du pays est fondamentalement identique à celui opéré sur les lois ordinaires -y compris l'obligation faite au législateur néo-calédonien, sur le fondement non pas de l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L0860AHC) mais sur celui de l'article 21 de la loi organique de 1999, de ne pas priver de garanties légales les exigences constitutionnelles-. De ce point de vue, une sorte de normalisation (uniformisation ?) du traitement juridique des lois de pays est en marche, elles qui sont finalement placées au même niveau que les lois nationales ou, en tout cas, sous l'effet du contrôle de constitutionnalité, assimilées à la loi de l'Etat. Cela met à plat les débats, longtemps tendus et fort contrastés, mais désormais d'un intérêt essentiellement théorique, pour déterminer si la loi du pays est à proprement parler une loi, mais cela aiguise d'autant, pas un marqueur inattendu, le caractère politique de la collectivité de Nouvelle-Calédonie.

A l'occasion de la seconde saisine du Conseil constitutionnel d'une QPC concernant une loi du pays, la décision n° 2012-258 QPC rapportée va plus loin dans cette démarche d'assimilation, quitte à neutraliser sans détour l'élément matériel dans la définition de la loi du pays. Car, en effet, un acte appelé loi du pays et adopté selon la procédure qui lui est applicable par le congrès de la Nouvelle-Calédonie peut très bien ne pas avoir la nature d'une loi du pays. Pour comprendre la difficulté, il faut rappeler brièvement que les troisième et quatrième alinéas de l'article 107 de la loi organique de 1999 prévoient que les dispositions d'une loi du pays intervenues en dehors du domaine défini à l'article 99 ont un caractère réglementaire et donnent compétence au Conseil d'Etat, dûment saisi à cet effet, pour se prononcer sur la nature d'une loi du pays et son éventuel déclassement. Dès lors, pour pouvoir faire l'objet d'une QPC, la disposition doit-elle, non seulement être intervenue selon les formes requises pour l'adoption des lois du pays (élément formel), mais aussi correspondre au domaine d'intervention défini par l'article 99 de la loi organique de 1999 (élément matériel) ?

Si, dans son arrêt de renvoi, le Conseil d'Etat conditionnait la recevabilité de la QPC à la combinaison de ces critères (3), le Conseil constitutionnel ne l'a pas suivi et a livré deux éléments de précision importants.

En premier lieu, le Conseil juge qu'il résulte de l'article 107 de la loi organique de 1999 que la procédure relative à l'examen d'une QPC portant sur une loi du pays exclut l'application des dispositions relatives à la procédure de déclassement de ces textes. "Cette procédure est différente de celle applicable à la QPC, avec laquelle elle ne peut être associée", précisent les commentaires complétant la décision. On retrouve ici l'application d'une règle générale, bien consolidée dans le contrôle de constitutionnalité a priori (4) : le contentieux du déclassement est indépendant du contentieux de la constitutionnalité.

En second lieu, il résulte du même article 107 qu'une disposition d'une loi du pays peut faire l'objet d'une QPC, dès lors qu'elle n'a pas fait l'objet d'une décision du Conseil d'Etat constatant qu'elle serait intervenue en dehors du domaine défini à l'article 99. Ce qui signifie qu'il n'y a pas lieu de contrôler, à l'occasion de l'examen de la QPC, si la loi du pays est effectivement intervenue dans les matières "législatives". Pour apprécier la recevabilité d'une QPC soulevée à l'encontre d'une loi du pays, il suffit donc de vérifier deux choses : d'une part, que la loi du pays en cause a été adoptée selon la procédure fixée par les articles 100 et suivants de la loi organique pour cette catégorie d'actes et, d'autre part, qu'elle n'a pas fait l'objet, depuis lors, d'un éventuel déclassement décidé par le Conseil d'Etat selon la procédure prévue par l'article 107 (Cons. const., décision n° 2012-258 QPC du 22 juin 2012, précitée, troisième considérant). Cette solution est cohérente et simplificatrice mais, inévitablement, laisse ouvert le risque (préexistant) qu'une loi du pays transmise, voire déclarée conforme à la Constitution, fasse l'objet d'un déclassement dans un second temps.

2 - Statut de l'interprétation/de l'application de la loi

Le Conseil constitutionnel, saisi en application de l'article 61-1 de la Constitution doit examiner "la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à la disposition législative" (5). Au cours de la période étudiée, le Conseil constitutionnel a examiné, à plusieurs reprises, la disposition dont il était saisi telle qu'interprétée par la jurisprudence des juridictions ordinaires, que ce soit celle du Conseil d'Etat (Cons. const., décision n° 2012-230 QPC du 6 avril 2012 N° Lexbase : A1499IID), ou celle de la Cour de cassation (Cons. const., décision n° 2012-243/244/245/246 QPC du 14 mai 2012 N° Lexbase : A1879IL8). La doctrine du droit vivant "à la française" trouve ainsi de nouvelles manifestations, désormais banalisées, quoiqu'employée selon des modalités ou des degrés variables.

C'est ainsi qu'à été reprise l'interprétation jurisprudentielle de la Cour de cassation sur le régime contentieux des sentences de la Commission arbitrale des journalistes (Cons. const., décision n° 2012-243/244/245/246 QPC du 14 mai 2012), qu'est prise en compte la jurisprudence administrative pour déterminer la portée du dispositif d'inéligibilité au mandat de conseiller général (Cons. const., décision n° 2012-230 QPC du 6 avril 2012), ou que la disposition contestée est examinée selon la qualification que le juge retient du dispositif mis en place, tel le statut civil de droit local des musulmans d'Algérie (Cons. const., décision n° 2012-259 QPC du 29 juin 2012, précitée).

En revanche, seule la jurisprudence procédant à une interprétation de la disposition législative contestée peut constituer une "interprétation jurisprudentielle" au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, à l'exclusion de l'appréciation que le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation peuvent livrer à la lumière des stipulations de la CESDH. Dans le cas contraire, les réserves de conformité sur le terrain conventionnel feraient obstacle à ce que le Conseil constitutionnel contrôle la conformité de la disposition législative aux principes constitutionnels. L'affaire n° 2012-250 QPC du 8 juin 2012 (Cons. const., décision n° 2012-250 QPC du 8 juin 2012 N° Lexbase : A4074IN9), à propos de la composition de la commission centrale d'aide sociale, illustre bien l'autonomie des deux sphères de contrôle : si l'interprétation du Conseil d'Etat retenue à la lumière "des principes généraux applicables à la fonction de juger" tendait à ce que les dispositions contestées soient "mises en oeuvre dans le respect du principe d'impartialité qui s'applique à toute juridiction" (6), cette solution n'a pas empêché le Conseil constitutionnel de prononcer leur inconstitutionnalité pour défaut de "garanties appropriées" d'indépendance sur le fondement de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D).

3 - Disposition n'ayant pas déjà été déclarée conforme à la Constitution

Le critère du "déjà jugé" ne peut s'apprécier qu'au regard de précédentes décisions DC ou QPC. Dans ses décisions n° 2012-226 QPC du 6 avril 2012 et n° 2012-247 QPC du 16 mai 2012, le Conseil constitutionnel a jugé que la circonstance qu'il se soit déjà prononcé sur les dispositions contestées dans une décision "L" n'implique nullement qu'elles aient été déclarées conformes à la Constitution. Cette solution n'est guère surprenante car il est de jurisprudence constante que, "lorsqu'il est saisi dans les conditions prévues à l'article 37, alinéa 2, de la Constitution (N° Lexbase : L0863AHG), il appartient seulement au Conseil constitutionnel d'apprécier si les dispositions qui lui sont soumises relèvent du domaine législatif ou du domaine réglementaire" (7). De telles dispositions -à condition, bien entendu, qu'elles n'aient pas été déclassées- sont donc des dispositions législatives pouvant faire l'objet d'une QPC.

On notera que la première Chambre civile de la Cour de cassation, invitée à apprécier l'existence d'un changement de circonstances de droit résultant du prononcé de décisions de la Cour européenne des droits de l'Homme, juge que celui-ci ne concerne pas directement la disposition législative contestée et est donc dépourvu d'incidence sur l'appréciation de la constitutionnalité de cette disposition (8). Cette solution tend à admette implicitement qu'une évolution ou intervention de la jurisprudence européenne peut constituer un changement de circonstances au sens des dispositions organiques relatives à la QPC, ce qui serait en contradiction tant avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel (9) qu'avec celle du Conseil d'Etat (10).

B - Normes constitutionnelles invocables

1 - Notion de "droits et libertés que la Constitution garantit"

a) Droits et libertés individuels

Confirmant la construction qu'il avait retenue dans sa décision relative à l'action du ministre contre des pratiques restrictives de concurrence (11), le Conseil constitutionnel rattache à la liberté contractuelle le droit, pour l'employeur, de connaître les éléments liés à la personne de son cocontractant qui déterminent le cadre légal des obligations qui résultent du contrat de travail (Cons. const., décision n° 2012-242 QPC du 14 mai 2012 N° Lexbase : A1878IL7).

En l'état actuel de la jurisprudence, pour le Conseil constitutionnel, le droit au respect de la vie privée protégé par l'article 2 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1366A9H) n'implique pas un droit d'accès aux origines (Cons. const., décision n° 2012-248 QPC du 16 mai 2012, précitée). Cette position marque une différence avec celle de la CEDH qui retient une conception plus extensive sur le fondement de l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR). Le Conseil constitutionnel retient, en outre, que le droit pour toute personne de connaître ses origines personnelles ne trouve pas de fondement constitutionnel dans le droit de mener une vie familiale normale.

Par ailleurs, sur une question encore plus sensible, on retiendra que le Conseil constitutionnel refuse de considérer que le principe de la liberté personnelle est applicable aux prélèvements et aux utilisations des cellules du sang de cordon ou placentaire et de cellules du cordon ou du placenta (Cons. const., décision n° 2012-249 QPC du 16 mai 2012 N° Lexbase : A5088ILZ).

b) Droits de procédure

On ne peut que souligner le développement de la jurisprudence constitutionnelle sur l'impartialité et l'indépendance de la justice découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1363A9D). Outre la décision n° 2012-241 QPC du 4 mai 2012 précitée, relative au mandat et à la discipline des juges consulaires, le Conseil s'est penché sur l'article L. 134-2 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L8428GQ9) qui fixe les règles de composition de la juridiction administrative spécialisée qu'est la commission centrale d'aide sociale (Cons. const., décision n° 2012-250 QPC du 8 juin 2012, précitée). Cette dernière affaire s'inscrit très clairement dans le précédent n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011 (Cons. const., décision n° 2010-110 QPC, du 25 mars 2011 N° Lexbase : A3846HHW) qui portait sur la composition des commissions départementales d'aide sociale, y compris jusqu'à la modulation dans le temps des effets de la censure partielle qui avait été également prononcée (cf. infra). Au fond, on assiste à l'affirmation des principes constitutionnels applicables à la fonction de juger, lesquels sont incontestablement inspirés des principes européens et de la jurisprudence administrative et judiciaire développée sur le fondement de l'article 6 § 1 de la Convention (N° Lexbase : L7558AIR). Le Conseil, et c'est de bonne politique, cultive l'analogie entre les exigences conventionnelles et constitutionnelles relatives au principe d'indépendance et d'impartialité des juridictions.

En se prononçant sur le terrain des articles 8 (N° Lexbase : L1372A9P) et 9 (N° Lexbase : L1373A9Q) de la Déclaration de 1789, le Conseil s'est penché pour la première fois sur une question relative à la transmissibilité des sanctions pénales ou fiscales à des tiers à l'infraction (Cons. const., décision n° 2012-239 QPC du 4 mai 2012 N° Lexbase : A5657IKQ). A cette occasion, la jurisprudence constitutionnelle gagne en précision quant au périmètre du principe selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait, le Conseil ayant, notamment, inauguré une distinction entre les majorations et intérêts de retard, d'une part, et les amendes et majorations tendant à sanctionner les contrevenants fiscaux, d'autre part.

c) Droits et libertés des collectivités territoriales

Si le Conseil constitutionnel rappelle que le principe de la libre administration des collectivités territoriales inclut l'élection des assemblées délibérantes, il est constant dans l'appréciation qu'il retient de ce principe que les inéligibilités, loin d'y porter atteinte, sont de nature à le garantir (Cons. const., n° 2012-230 QPC du 6 avril 2012 N° Lexbase : A1499IID).

Dans l'affaire relative au fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) perçus par les départements (Cons. const., n° 2012-255/265 QPC du 29 juin 2012 N° Lexbase : A9490IP8), il semble que le Conseil constitutionnel n'ait pas fait droit à l'argumentation consistant à durcir sa jurisprudence du 29 décembre 2009 relative aux conditions de constitutionnalité des mécanismes de péréquation financière (Cons. const., décision n° 2009-599 DC, du 29 décembre 2009 N° Lexbase : A9026EPY) en incluant, au titre de ces conditions, le respect du principe de l'autonomie financière. En effet, ce fonds de péréquation "horizontal" s'inscrit dans une logique large de compensation des écarts de richesse entre départements, pas seulement des recettes provenant des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), et poursuit davantage un objectif de péréquation horizontale généralisée. Entre péréquation et autonomie, qui n'est finalement ici qu'une forme technicisée de la conciliation fondamentale entre égalité et liberté, l'exigence de l'article 72-2 de la Constitution (N° Lexbase : L8824HBG) marque un point avec la décision de conformité rendue dans cette affaire. En laissant de côté ici le fonctionnement hautement technique du fonds, on retiendra que celui-ci n'opère pas une redistribution qui entraverait la libre administration des collectivités départementales car, aux yeux du Conseil, la redistribution qui est opérée entre les départements ne porte que sur une fraction limitée de l'une des recettes fiscales dont disposent les départements (au maximum 10 % d'une recette fiscale représentant en moyenne 20 % des recettes fiscales des départements).

2 - Normes constitutionnelles exclues du champ de la QPC

Dans sa décision n° 2012-230 QPC du 6 avril 2012 précitée, le Conseil constitutionnel a rappelé, reproduisant son considérant désormais habituel (12), que la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une QPC. L'affaire mérite, toutefois, d'être mentionnée car, précisément, cet objectif était ici invoqué en combinaison avec le grief tiré de l'incompétence négative : le requérant faisait ainsi grief au législateur de ne pas avoir "dépoussiéré" l'article L. 195 du Code électoral (N° Lexbase : L2553AAS) qui fait référence à des fonctions ou administrations aujourd'hui disparues et de ne pas avoir tenu compte de l'évolution des fonctions elles-mêmes. Si la décision, au cas d'espèce, ne prête pas à discussion, la disposition contestée n'étant manifestement ni confuse, ni inintelligible (tout au plus attentatoire à la clarté de la loi), on voit s'écarter une possibilité d'assouplissement de la position ferme selon laquelle un tel objectif ne constitue pas un "droit et liberté" au sens de l'article 61-1 de la Constitution.

De même, et c'est là aussi une jurisprudence bien acquise (13), les griefs tenant à une méconnaissance des normes constitutionnelles relatives à la procédure législative sont inopérants en QPC. Aussi, dans le droit fil de cette solution qui distingue le domaine respectif des contrôles a priori et a posteriori, le Conseil a expressément exclu du champ des griefs susceptibles d'être invoqués dans le cadre de la QPC celui tiré de la méconnaissance de la compétence du législateur organique (décision n° 2012-241 QPC du 4 mai 2012, précitée).

II - Procédure devant les juridictions ordinaires

A - Instruction de la question devant les juridictions ordinaires et suprêmes

1 - Introduction de la requête

Si, par principe, l'arbitre est investi de son pouvoir juridictionnel par la volonté commune des parties et ne constitue donc pas une juridiction relevant de la Cour de cassation au sens de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (N° Lexbase : L0276AI3) (14) , la Cour a admis la recevabilité d'une QPC transmise par la Commission arbitrale des journalistes (15). En réalité, la nature de cette commission est profondément discutée et demeure assez ambiguë, tant elle se trouve à la croisée des chemins entre instance arbitrale (c'est tout au moins son esprit) et juridiction d'exception. Cette institution baroque est composée de façon paritaire par des membres qui, sans être de véritables juges, sont plus que des arbitres... Quoi qu'il en soit, cette commission, qui s'écarte du droit commun de l'arbitrage en se rapprochant techniquement d'une juridiction consulaire, est investie de son pouvoir juridictionnel par l'effet de la loi, et la reconnaissance de la faculté de poser une QPC devant elle confirme son caractère juridictionnel que le Conseil constitutionnel n'a pas entendu infirmer (décision n° 2012-243/244/245/246 QPC du 14 mai 2012, précitée).

2 - Portée de la décision relative à la transmission et au renvoi de la question

La QPC est-elle recevable si, postérieurement à son renvoi au Conseil constitutionnel, les requérants se sont désistés du pourvoi qu'ils avaient formé devant le juge a quo ? Cette singularité procédurale s'est produite de façon inédite dans l'affaire n° 2012-247 QPC du 16 mai 2012 (Cons. const., décision n° 2012-247 QPC du 16 mai 2012 N° Lexbase : A5086ILX), les requérants n'ayant d'ailleurs pas produit d'observation devant le Conseil constitutionnel et n'étant pas intervenus à l'audience. L'issue n'était pourtant pas douteuse tant il ressort très expressément de l'article 23-9 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 que l'hypothèse de l'extinction de l'instance en cours d'examen de la QPC par le Conseil constitutionnel est, quelle qu'en soit la cause, sans incidence sur la procédure de QPC. En effet, le renvoi devant le Conseil constitutionnel dissout le caractère incident de la QPC, celle-ci n'étant plus l'accessoire de l'instance à l'occasion de laquelle elle a été soulevée. Cette autonomie, ainsi qu'on a pu la qualifier (16), se rattache au caractère objectif du contrôle de constitutionnalité opéré par le Conseil constitutionnel et à l'effet erga omnes de la décision rendue.

III - Procédure devant le Conseil constitutionnel

A - Organisation de la contradiction

1 - Interventions devant le Conseil constitutionnel

Les observations en intervention des tiers à l'occasion d'une QPC transmise au Conseil constitutionnel sont de plus en plus courantes, ce qui témoigne du caractère abstrait et d'intérêt collectif de l'examen que le Conseil opère et, dans le même temps, suscite. On peut ainsi relever que le Conseil constitutionnel a admis l'intervention de la Fédération nationale de l'Union des jeunes avocats, du Conseil national des barreaux, de deux Ordres des avocats du barreau de deux cours d'appel et de deux avocats dans une affaire portant sur la constitutionnalité de dispositions relatives à des contributions pour l'aide juridique et d'un droit dû par les parties à l'instance d'appel (Cons. const., décision n° 2012-231/234 QPC du 13 avril 2012 N° Lexbase : A5138II7) ; l'intervention de l'association "groupes informations asiles" à l'appui d'une QPC relative à des dispositions législatives portant les soins psychiatriques sous contrainte (Cons. const., décision n° 2012-235 QPC du 20 avril 2012 N° Lexbase : A1145IKM) ; ou encore les interventions de l'association "Conférence générale des juges consulaires de France", d'une société et de deux particuliers lors de l'examen des dispositions relatives au mandat et à la discipline des juges consulaires (Cons. const., décision n° 2012-241 QPC du 4 mai 2012 N° Lexbase : A5659IKS).

2 - Procédure orale et déroulement de l'audience

Nicolas Sarkozy a siégé pour la première fois lors de l'audience publique du 19 juin 2012 pour y entendre les observations présentées sur l'affaire relative au statut civil de droit local des musulmans d'Algérie (Cons. const., décision n° 2012-259 QPC du 29 juin 2012, précitée). L'évènement ne relève pas que de l'information de gazettes, c'est aussi la première fois qu'un membre de droit siège en matière de QPC, compte tenu du "déni de justice constitutionnelle a posteriori" du président Giscard d'Estaing. On observera, toutefois, que l'intéressé n'a pas siégé lors de l'audience du 26 juin, ni, en conséquence, au délibéré du 28 juin 2012.

B - Modalités de contrôle

1 - Etendue de l'examen du Conseil constitutionnel

a) Champ de la saisine

L'objet de la QPC se limite aux dispositions qui ont été contestées devant la juridiction de renvoi. Par principe, le Conseil constitutionnel refuse de se prononcer sur une conclusion directement soulevée devant lui à l'encontre de nouvelles dispositions (décision n° 2012-241 QPC du 4 mai 2012, précitée).

b) Champ du contrôle

Comme il l'a fait à plusieurs reprises déjà (17), le Conseil constitutionnel a délimité le champ de son contrôle dans plusieurs affaires, pour exclure certains alinéas de l'article examiné (Cons. const., décision n° 2012 238 QPC du 20 avril 2012 N° Lexbase : A1147IKP), ou pour circonscrire le champ de sa saisine aux seules dispositions contestées (Cons. const., décision n° 2012-242 QPC du 14 mai 2012 N° Lexbase : A1878IL7). Ainsi, dans la décision n° 2012-260 QPC du 29 juin 2012 (N° Lexbase : A9516IP7), le Conseil constitutionnel a limité le champ de sa saisine au premier alinéa de l'article 460 du Code civil (N° Lexbase : L8446HWQ) en tant compte de ce que la QPC ne mettait en réalité en cause que le régime du mariage d'une personne en curatelle.

2 - Contrôle de l'incompétence négative

Depuis la jurisprudence "Kimberly Clark" (Cons. const., décision n° 2010-5 QPC du 18 juin 2010 N° Lexbase : A9571EZI), ajustée par la jurisprudence "ASFC de Metz" (Cons. const., décision n° 2010-28 QPC, du 17 septembre 2010 N° Lexbase : A4759E97), il est admis que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une QPC que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit. L'applicabilité de cette solution à des dispositions antérieures à 1958 -qui pose la question de la confrontation de ces dispositions aux exigences de l'article 34 de la Constitution- a été confirmée par le Conseil constitutionnel : dès lors qu'une telle disposition a fait l'objet d'une modification postérieure, le Conseil en déduit que le législateur de la Vème République s'est approprié le texte de la loi. Ainsi, indépendamment de l'importance des modifications, une codification suffit (implicitement décision n° 2012-254 QPC du 18 juin 2012 N° Lexbase : A8704INP). Il en est ainsi, également, même si les dispositions contestées ont une histoire ancienne, comme par exemple celles issues de la loi de 1871 sur les conseils généraux (décision n° 2012-230 QPC du 6 avril 2012, précitée).

C - Effets dans le temps des décisions du Conseil constitutionnel

1 - Application immédiate aux instances en cours

S'agissant de l'enregistrement audiovisuel des interrogatoires en garde à vue et de dispositions qui excluaient jusqu'alors cette garantie pour certaines mises en cause en matière criminelle (Cons. const., décision n° 2012-228/229 QPC du 6 avril 2012 N° Lexbase : A1496IIA), le Conseil précise que la déclaration d'inconstitutionnalité visant cette exception prend effet au jour de la publication de sa décision, sans, toutefois, permettre à l'auteur de la QPC de se prévaloir de l'abrogation.

En revanche, suivant la règle selon laquelle la déclaration d'inconstitutionnalité doit, en principe, bénéficier à l'auteur de la QPC, le Conseil a jugé que la censure du délit de harcèlement sexuel est applicable immédiatement, à compter de la publication de sa décision, à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date (Cons. const., décision n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012 N° Lexbase : A5658IKR). Cette solution est emblématique car, outre qu'elle a pu susciter un certain émoi médiatique en réaction à la dissolution des affaires en cours, la mise en oeuvre dans le temps de la déclaration d'inconstitutionnalité constituait le véritable enjeu de l'examen de cette QPC, dont le sort était jeté sur le fond. Il semble être acté, c'était du moins l'argumentaire développé par la partie requérante, que le caractère "fondamental" ou "essentiel" de la protection contre l'arbitraire et du respect du principe de légalité des délits et des peines s'opposait à ce que les effets de l'abrogation soient ici différés. On trouve d'ailleurs une logique analogue dans la décision n° 2011-163 QPC du 16 septembre 2011 (N° Lexbase : A7447HX4) qui a censuré, par une abrogation sèche, l'incrimination d'inceste en raison de son imprécision. On ne peut s'empêcher de déceler, dans le raisonnement sous-jacent de cette position, l'idée selon laquelle il existerait des inconstitutionnalités, sinon plus "grave" ou accablantes que d'autres, à tout le moins insupportables le temps d'envisager que le législateur reprenne la main. La mise en oeuvre du pouvoir de modulation trouve là une limite à géométrie variable, le Conseil constitutionnel ne l'éclaire pas vraiment au risque d'autoriser toutes sortes de spéculations (est-ce la "qualité" -laquelle ?- de certaines normes de constitutionnalité et/ou le contexte d'application de la loi qu'il faut prendre en considération ?). Plus fondamentalement, les conséquences d'une telle analyse pour la compréhension générale du principe de constitutionnalité en droit français paraissent encore bien incertaines.

2 - Modulation dans le temps des effets de la décision

En contrepoint, la faculté dont dispose le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l'article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L0891AHH), de reporter ad futurum les effets de sa décision confère à ce dernier un pouvoir discrétionnaire considérable dont il use en opportunité. Il l'a mis en oeuvre lors de la déclaration d'inconstitutionnalité de dispositions du Code de l'expropriation publique qu'il juge contraire au droit de propriété en estimant que leur abrogation immédiate aurait des "conséquences manifestement excessives" (décision n° 2012-226 QPC du 6 avril 2012 N° Lexbase : A1495II9). En faisant une application pragmatique de ce standard désormais habituel mais toujours nébuleux par nature, le Conseil octroie au législateur près de 16 mois pour adopter de nouvelles dispositions ; si cela n'est pas expressément justifié dans la décision ou son commentaire, il s'agissait manifestement de tenir compte des échéances électorales.

Un report record de plus de dix-sept mois a été prononcé à la suite d'une nouvelle censure de dispositions relatives aux soins psychiatriques sans consentement, concernant la transmission d'informations au représentant de l'Etat par l'autorité judiciaire (Cons. const., décision n° 2012-235 QPC du 20 avril 2012 N° Lexbase : A1145IKM).

3 - Extension des effets de la décision pour le passé

Dans sa décision n° 2012-250 QPC du 8 juin 2012 précitée, le Conseil constitutionnel a limité les effets rétroactifs de sa décision en y consacrant un considérant entier. Il juge, d'une part, que sa décision produit tous ses effets dès sa publication, la commission centrale d'aide sociale ne pouvant plus siéger dans une composition comprenant des fonctionnaires. Il précise, d'autre part, s'agissant des décisions déjà rendues par la CCAS à la date de publication de sa décision, que la déclaration d'inconstitutionnalité pourra être invoquée à l'encontre d'une décision n'ayant pas acquis un caractère définitif uniquement par les personnes ayant déjà invoqué l'inconstitutionnalité de la composition de la CCAS au jour de la publication de la décision. Ce faisant, le Conseil constitutionnel a retenu une solution identique à celle qu'il avait choisie dans sa décision du 25 mars 2011 sur la composition des commissions départementales d'aide sociale.

Dès lors qu'elle fait corps avec la disposition législative, une réserve d'interprétation est censée être par principe d'application rétroactive, c'est-à-dire dès l'entrée en vigueur des dispositions interprétées (18). Il en est ainsi de la réserve qui interdit que soient soumises à la taxe les boues que le producteur n'a pas l'autorisation d'épandre (Cons. const., décision n° 2012-251 QPC du 8 juin 2012 N° Lexbase : A3379INH). Le Conseil précise que les sociétés requérantes, pour les années durant lesquelles les dispositions contestées se sont appliquées et sous réserve des règles de prescription applicables, peuvent revendiquer à bon droit l'application de cette réserve.

Toutefois, le Conseil s'autorise à moduler les effets d'une réserve, comme celle émise au sujet de la durée d'audition en enquête préliminaire (Cons. const., décision n° 2012-257 QPC du 18 juin 2012 N° Lexbase : A8706INR). En limitant cette réserve d'interprétation à l'article 78 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9758IP4) qui n'a pas été modifié par la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, portant réforme de la garde à vue (N° Lexbase : L9584IPN), le Conseil constitutionnel a entendu permettre que, bien que formulée à l'occasion du contrôle d'une disposition dans sa rédaction antérieure à cette loi, la réserve puisse continuer à produire ses effets pour l'application de la rédaction qui lui est postérieure. Le Conseil précise, par ailleurs, que la réserve ne sera applicable qu'aux auditions réalisées postérieurement à la publication de sa décision.


(1) CE, 22 février 1946, Sieur Botton, Rec. p. 58 ; v. not. Cons. const., décision n° 2011-211 QPC du 27 janvier 2012 (N° Lexbase : A4116IB3), s'agissant de l'article 4 de l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945, relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels (N° Lexbase : L7650IGG).
(2) Voir notre ouvrage, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, Lamy, 2011, n° 46.
(3) CE 9° et 10° s-s-r., 11 avril 2012, n° 356339, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6191II7).
(4) Voir récemment Cons. const., n° 2012-649 DC du 15 mars 2012 (N° Lexbase : A7449IEM), dixième considérant.
(5) Cons. const., n° 2011-127 QPC du 6 mai 2011 (N° Lexbase : A7886HPR), cinquième considérant.
(6) CE, Ass., 6 décembre 2002, n° 240028, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4673A4T).
(7) Cons. const., décision n° 95-177 L du 8 juin 1995 (N° Lexbase : A8334ACN), premier considérant.
(8) Cass. QPC, 12 avril 2012, n° 12-40.010, F-D (N° Lexbase : A6949II9).
(9) Cons. const., décision n° 2011-150 QPC du 13 juillet 2011 (N° Lexbase : A9938HUM).
(10) Not. CE 3° s-s., 19 juillet 2011, n° 347223, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3211HWT).
(11) Cons. const., décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011 (N° Lexbase : A3181HQU), neuvième considérant.
(12) Cons. const., décision n° 2010-4/17 QPC du 22 juillet 2010 (N° Lexbase : A9190E47), huitième et neuvième considérant ; Cons. const., décision n° 2011-134 QPC du 17 juin 2011, (N° Lexbase : A6175HTU), vingt-sixième considérant ; Cons. const., décision n° 2011-175 QPC du 7 octobre 2011 (N° Lexbase : A5945HYT), neuvième considérant.
(13) Cons. const., n° 2010-4/17 QPC du 22 juillet 2010 (N° Lexbase : A9190E47), septième considérant.
(14) Cass. QPC, 28 juin 2011, n° 11-40.030, FS-P+B (N° Lexbase : A9077HUQ).
(15) Cass. QPC, 9 mars 2012, n° 11-40.109, FS-P+B (N° Lexbase : A4970IES).
(16) Voir notre ouvrage, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, Lamy, 2011, n° 115 et 206.
(17) Not. Cons. const., décision n° 2010-81 QPC du 17 décembre 2010 (N° Lexbase : A1873GNP), Cons. const., décision n° 2011-218 QPC du 3 février 2012 (N° Lexbase : A6685IB9), Cons. const., décision n° 2011-181 QPC du 13 octobre 2011 (N° Lexbase : A7385HY8) ; voir notre ouvrage, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, op. cit., pp. 310 et s..
(18) Voir notre ouvrage, Droit de la question prioritaire de constitutionnalité, op. cit., n° 464 et s..

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Sociétés

[Evénement] La gouvernance d'entreprise au risque des crises : un regard franco-italien - Compte-rendu de la réunion de la Commission ouverte Italie du barreau de Paris

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires et Martina Barcaroli, avocat aux barreaux de Paris et de Rome, responsable de la Commission ouverte Italie du barreau de Paris

Le 26 Juillet 2012

La Commission ouverte Italie du barreau de Paris tenait, le 16 juillet 2012, sous la responsabilité de Maître Martina Barcaroli, avocat aux barreaux de Paris et de Rome, sa deuxième réunion ayant pour thème "La gouvernance d'entreprise au risque des crises : un regard franco-italien", animée par cette dernière ainsi que par Maître Dominique de la Garanderie, ancien Bâtonnier du barreau de Paris, membre du conseil d'administration de Renault, Sophie Schiller, Professeur agrégée des facultés de droit, Université de Paris Dauphine, membre du conseil scientifique de l'Institut français des administrateurs (IFA) et Massimo Mantovani, Directeur juridique de ENI S.p.A. Le thème choisi pour cette deuxième réunion se justifie, selon Maître Barcaroli, par le fait que la France et l'Italie ont connu une évolution similaire voire convergente de la gouvernance d'entreprise en raison d'un tissu industriel et économique proche, tout en conservant des spécificités qui leur sont propres. A cela s'ajoute un second facteur endogène : la crise, d'abord financière puis économique, qui frappe le monde depuis quelques années et qui a des impacts importants sur la structure même des entreprises. Ces dernières ont notamment dû et doivent encore se réorganiser sous la pression notamment de nouvelles règles contraignantes en matière de gouvernance d'entreprises mais également en raison de l'impact grandissant de la soft law.

Les interventions se sont concentrées autour de trois axes : l'émergence et l'évolution de la gouvernance d'entreprise (1), le programme anti-bribery des sociétés cotées (2) et le printemps de la gouvernance (3).

1 - Emergence et évolution de la gouvernance d'entreprise

En introduction de son intervention, Sophie Schiller a rappelé que les questions de gouvernance s'inscrivent parfaitement dans un contexte international car ce sont des problématiques communes aux divers Etats qui reçoivent, en toute logique, des réponses qui sont relativement proches, d'autant que les grandes entreprises, implantées dans plusieurs pays poussent pour cette uniformisation dans un évident souci de confort. A ce mouvement d'uniformisation et d'internationalisation s'ajoute un lien entre l'évolution des règles de gouvernance et la crise : la crise impose de faire un point sur ces règles et suggère en conséquence leur évolution nécessaire, la gouvernance pouvant apparaître alors, à tort ou à raison, comme un moyen d'éviter les crises.

Cette idée se traduit parfaitement dans le discours de Michel Barnier, membre de la Commission européenne chargé du marché intérieur et des services, lorsqu'il a déclenché la réflexion sur le Livre vert le 5 avril 2011, et selon lequel "l'excès de court-termisme a eu des conséquences désastreuses. C'est pourquoi nous lançons aujourd'hui le débat sur l'efficacité du cadre actuel de gouvernance des entreprises. Ce dont nous avons surtout besoin, c'est que les conseils d'administration soient plus efficaces et que les actionnaires assument pleinement leurs responsabilités".

Le même discours est tenu par l'OCDE, en juin 2011, qui entend ainsi, en raison de la nouvelle crise, lancer une modification des règles de gouvernance, qui avaient été édictées à la suite des scandales "Enron" et "WordCom".

Sophie Schiller identifie donc deux temps dans l'évolution des règles de la gouvernance d'entreprise : celles qui ont pour origine les scandales financiers et celles nées à la suite des crises économiques.

1.1 - Les premières règles en matière de gouvernance d'entreprise au lendemain des scandales financiers du début des années 2000

Le scandale "Enron" a donc été la source de la première réaction internationale en matière de gouvernance d'entreprise. Pour rappel, cette société américaine, créée en 1985, est très vite devenue un très important groupe : à la veille de sa faillite en 2001, elle était la septième capitalisation boursière des Etats-Unis (avec une augmentation colossale de 90 % en 1 an). Cette croissance très rapide a eu pour effet de faire d'Enron un exemple de gestion. D'ailleurs six années de suite la revue Fortune va l'élire comme l'entreprise la plus innovante et les analystes financiers la présentaient comme le modèle de société. Or, le pot-aux-roses est découvert : cette société gonflait artificiellement ses profits en masquant ses déficits en utilisant une multitude de sociétés écrans et en falsifiant ses comptes avec la complicité du cabinet d'audit Arthur Andersen.

A la suite de ces révélations, Enron se déclare en faillite, 20 000 personnes perdent leur emploi mais également leur fonds de retraite.

Le premier enseignement qui est tiré de ce scandale est la nécessité de réformer les normes comptables afin de mieux encadrer la situation réelle des entreprises par un renforcement des règles de transparence et de contrôle et une extension du cercle de décision.

Le cas "Enron" n'est pas isolé :
- aux Etats-Unis en 2002, les manipulations comptables de la société WorldCom, qui avait déclaré près de 11 milliards de dollars de revenus totalement fictifs en 2001 et 2002, sont découvertes ;
- en France c'est le cas de la société Vivendi qui en 2002 défraye la chronique ;
- en Italie, la société Parmalat est secouée par un scandale financier fin 2003 qui l'a obligée à se déclarer en faillite.

En réaction à ces évènements, les pouvoirs publics s'intéressent aux rapports sur la gouvernance d'entreprise qui avaient été rédigés quelques années auparavant et qui avaient justement mis en exergue la nécessité d'une réforme en la matière. Le premier rapport est le rapport "Cadbury" de 1992 qui a conclu à la mise en place de best practices pour les conseils d'administration et les sociétés cotées. Emergent ici deux idées que l'on retrouvera dans toutes les réformes :
- d'abord que le conseil d'administration est la clé de la vertu en matière de gouvernance ;
- ensuite que les règles de gouvernance doivent au premier chef concerner les sociétés cotées, car il est plus facile de leur imposer des normes contraignantes et couteuses et car leur organisation interne est souvent plus complexe, de telle sorte que la gouvernance doit être en premier lieu améliorée dans ces structures.

Dès 1992, sont ainsi lancées les idées de création d'un comité d'audit, la vérification par les administrateurs du contrôle interne et l'obligation d'information des actionnaires, qui s'est d'ailleurs traduite en France en jurisprudence par le renforcement de la responsabilité des administrateurs en matière de transmission d'informations erronées.

En France, le rapport de l'AFEP dit rapport "Viennot" de 1995 va dans le même sens : il insiste sur le contrôle, l'information donnée aux actionnaires et le rôle du conseil d'administration. Mais, à la différence du rapport "Cadbury", il souligne également l'importance de la composition des conseils d'administration comme condition de l'exercice effectif de son rôle et de l'appropriation de ses fonctions. En effet, l'idée qui préside ici est que l'efficacité du contrôle exercé par le conseil suppose d'éviter la "consanguinité" en choisissant des membres d'horizons divers. Par ailleurs et bien que cela puisse paraître évident, le rapport "Viennot" fait de la compétence des administrateurs l'une des conditions essentielles de leur choix.

Il préconise également la mise en place d'un règlement intérieur pour déterminer, notamment, la fréquence des réunions du conseil d'administration.

Comme le relève le Professeur Schiller, de ces rapports vont naître de nouvelles normes de gouvernance, qui sont de deux ordres : des règles formelles et des règles informelles.

Les règles formelles. Aux Etats-Unis, la loi Sarbanes-Oxley de juillet 2002 pose une multitude de contraintes, notamment un encadrement plus sévère de la production des documents comptables et financiers, la séparation très nette des activités d'audit et de conseil, l'obligation pour les présidents et les directeurs financiers de signer les comptes, l'évaluation du contrôle interne et un alourdissement colossal des sanctions qui pèsent sur les dirigeants en cas de falsification (jusqu'à 20 ans de prison).

En France, les scandales du début des années 2000 se traduisent également par l'édiction de normes nouvelles de gouvernance :

- la loi "NRE" (loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 N° Lexbase : L8295ASZ) qui va tenter de pousser vers le rééquilibrage des pouvoirs en demandant que les statuts se prononcent sur la dissociation des fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général et va renforcer l'information et la transparence ;

- la "LSF" (loi n° 2003-706 du 1er août 2003, de sécurité financière N° Lexbase : L3556BLB -pendant de la "SOX", moins contraignante certes, mais en en raison de l'avance de la France sur les Etats-Unis en matière de gouvernance et de contrôle financier-), qui opère un renforcement du contrôle des comptes, une amélioration de la transparence et crée le rapport sur le fonctionnement du conseil et le contrôle interne ;

- la loi n° 2008-649 du 3 juillet 2008, portant diverses dispositions d'adaptation du droit des sociétés au droit communautaire (N° Lexbase : L7047H77) qui met en place le complain or explain ;

- l'ordonnance n° 2008-1278 du 8 décembre 2008, transposant la Directive 2006/43/CE du 17 mai 2006 et relative aux commissaires aux comptes (N° Lexbase : L1151ICM) qui rend obligatoire le comité des comptes dans les sociétés.

Cette série de texte édicte donc un certain nombre de règles contraignantes mais dans un environnement relativement souple.

Les règles informelles. En parallèle émerge un droit informel, la soft law qui va se traduire à la fois dans des principes internationaux et des principes français. Au niveau international, il s'agit d'abord des principes directeurs de l'OCDE de 2004 émis en réponse aux scandales, selon lesquels il convient au premier chef de procéder à un renforcement des droits des actionnaires et à un traitement équitable de ces derniers, et qui préconisent aussi une plus grande transparence et une responsabilité accrue des membres des conseils d'administration. La nouveauté réside ici, d'une part, dans le rôle des actionnaires avec l'idée selon laquelle une partie du contrôle peut venir d'eux, et d'autre part, dans la nécessité de limiter la possibilité pour les majoritaires d'imposer leurs vues aux minoritaires en garantissant l'exercice des droits à ces derniers.

En France, la principale source de soft law est le Code AFEP-Medef d'octobre 2003 complété par une série de recommandations de janvier 2007 et d'octobre 2008 sur la rémunération des dirigeants mandataires sociaux de sociétés cotées.

Mais se pose dès lors la question de la force de cette soft law ? Or, comme le relève le Professeur Schiller, l'application de ce droit informel dépend, d'abord, de la communication sur les avantages que les règles qui en sont issues vont pouvoir procurer aux entreprises : meilleur fonctionnement, meilleure performance, etc.. Mais le succès des règles informelles tient également à la possibilité pour l'entreprise de communiquer sur l'application de ces règles et donner de la sorte une bonne image d'elle-même, notamment pour les sociétés qui font appel aux marchés et donc à des investisseurs extérieurs.

Cette communication sur la gouvernance a d'ailleurs été renforcée par la loi du 3 juillet 2008. Désormais les articles L. 225-37 (N° Lexbase : L3625IPX, pour le conseil d'administration et L. 225-68 (N° Lexbase : L3636IPD, pour le conseil de surveillance) disposent que "lorsqu'une société se réfère volontairement à un code de gouvernement d'entreprise élaboré par les organisations représentatives des entreprises, le rapport [du président] précise également les dispositions qui ont été écartées et les raisons pour lesquelles elles l'ont été. Se trouve de surcroît précisé le lieu où ce code peut être consulté. Si une société ne se réfère pas à un tel code de gouvernement d'entreprise, ce rapport indique les règles retenues en complément des exigences requises par la loi et explique les raisons pour lesquelles la société a décidé de n'appliquer aucune disposition de ce code de gouvernement d'entreprise". Aujourd'hui deux codes sont considérés comme répondant aux conditions posées par le texte : le code AFEP-Medef et le code Middlenext.

Toutes ces règles ont eu pour objectif de rééquilibrer les intérêts et les pouvoirs dans l'entreprise. Mais, comme le résume la Commission à l'aube du lancement du Livre vert, en 2010, "le gouvernement d'entreprise est aujourd'hui accusé de ne pas avoir tenu ses promesses face à la crise financière des années 2010", ce qui conduit à une seconde salve de modifications.

1.2 - La deuxième salve de règles en matière de gouvernance d'entreprise au lendemain de la crise financière des années 2010

La Commission européenne a ouvert des pistes de réflexion en s'interrogeant d'abord dans les années 2009-2010 sur la gouvernance des établissements financiers qui a abouti par la publication, le 2 juin 2010, du Livre vert "Le gouvernement d'entreprise dans les établissements financiers et les politiques de rémunération" qui synthétise le retour de l'enquête et a donné lieu à plusieurs Directives sur la réglementation bancaire. Mais cette crise financière n'est pas seulement le fait des établissements financiers et impose de mener une réflexion plus générale sur la gouvernance des entreprises. Est donc lancé, le 5 avril 2011, un Livre vert "Le cadre de la gouvernance d'entreprise dans l'UE", suivi des consultations jusqu'au 22 juillet 2011 et de la publication des réponses reçues le 15 novembre 2011. Il en ressort, d'abord, trois idées :

- il faut améliorer le suivi de la mise en oeuvre du complain or explain et assurer notamment une meilleure vérification des informations qui sont données par les entreprises ;

- la gouvernance doit être adaptée à la taille de l'entreprise ;

- il est nécessaire de distinguer la gouvernance dans les sociétés cotées et celle dans les sociétés non-cotées.

Ces consultations ont également mis à jour deux grands axes d'actions qui se concentreront une nouvelle fois sur les conseils d'administration et les actionnaires.

Concernant les conseils d'administration d'abord, il ressort des réponses apportées à la Commission la nécessité d'améliorer encore leur fonctionnement. Cette amélioration passera en particulier par une meilleure information sur la dissociation des fonctions et son évolution, le renforcement de la diversité des membres et la définition des profils attendus pour les administrateurs en vue d'accroître la compétence de la collégialité et éviter des choix arbitraires. Est également souhaitée une consolidation de l'évaluation externe des conseils en intégrant la contrainte du coût inhérent à un tel audit et des préconisations en matière de rémunération

Concernant les actionnaires, ensuite, les consultations invitent à opérer une distinction entre les actionnaires à long terme (c'est-à-dire essentiellement les fonds de pension, les fonds souverains, les entreprises d'assurance...) et les actionnaires à court terme (investisseurs institutionnels et gestionnaires d'actifs). Afin de privilégier les premiers et assurer une implication accrue de leur part il est préconisé de les contraindre à publier une politique de vote et des comptes-rendus de vote, et de faciliter leur représentation en mettant en place, par exemple, des forums de discussion entre actionnaires. Pour les seconds, et afin d'éviter les effets pervers inhérents à leur perspective court-termisme, il conviendrait de mettre en place des moyens efficaces pour modifier leur mode de rémunération et leur intérêt. Enfin, un certain consensus est apparu sur deux points : le refus de toute intervention communautaire sur l'actionnariat salarié et sur les droits des minoritaires.

En France, le renforcement de la gouvernance au lendemain de la crise financière s'est essentiellement traduit dans un texte : la "LRBF" du 22 octobre 2010 qui contient deux séries de dispositions en la matière :

- les premières concernent exclusivement les établissements bancaires et financiers et les entreprises d'assurance et mettent en place une extension de la mission du comité d'audit qui sera chargé de contrôler les procédures de contrôle interne et de gestion des risques ;

- les secondes traduisent une modification plus générale de la gouvernance et procèdent à une réforme de la responsabilité du comité d'audit.

Selon le professeur Schiller, il ressort de cette présentation un nombre important de normes nationales et internationales en matière de gouvernance, qui sont nées d'une évolution majeure au cours de la décennie écoulée.

2 - Le programme anti-bribery des sociétés cotées

Monsieur Massimo Mantovani, directeur juridique de ENI SpA, est intervenu sur le rôle de la compliance interne, des systèmes ("modelli organizzativi") mis en place pour combattre la corruption et les recommandations du Groupe de travail du B20 présentées au G20 de Los Cabos au Mexique. Il a également soulevé l'intérêt du témoignage du rôle des "in-house lawyers" qui de plus en plus sont impliqués dans le risk management. Il a illustré comment la question de la lutte contre la corruption est prise en compte dans les grands groupes internationaux. En Italie, la pratique plus diffuse est de mettre en place des programmes et/ou codes internes pour détecter le phénomène de la corruption (active, passive et de privé à privé). Ces types de programmes doivent respecter la législation nationale où le groupe opère. En Italie il s'agit donc de la loi n° 231 du 2001 qui a introduit la responsabilité pénale des entreprises.

3 - Le printemps de la gouvernance d'entreprise

Madame le Bâtonnier Dominique de la Garanderie relève plusieurs éléments positifs dans la gouvernance d'entreprises. En premier lieu, la loi relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration (loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 N° Lexbase : L2793IP7) représente, selon elle, une avancée majeure et un bouleversement important dans ces conseils (25 % de femmes à échéance 2013 et 40 % à échéance 2017). Les entreprises du CAC 40 sont aujourd'hui en adéquation avec leurs obligations ; elles l'étaient même avant la loi puisqu'une recommandation AFEP-Medef allait déjà en ce sens. Le passage à 40 % sera certainement plus difficile.

La présence grandissante des femmes dans les conseils d'administration est aussi une réponse à l'exigence plus générale de diversité dans les conseils. D'ailleurs Dominique de la Garanderie milite pour que les juristes et notamment les femmes juristes, à son image, intègrent des conseils d'administration. Les avocats cumulent certaines qualités qui sont essentielles pour exercer de telles fonctions : compétence particulière en terme de compliance et d'analyse des risques, sens du secret, de l'indépendance et du conflit d'intérêts. Or, ces règles déontologiques se retrouvent dans les dispositifs de gouvernance pour les conseils d'administration.

A côté du rôle des femmes dans les conseils d'administration, l'intervenante estime que le rôle des actionnaires et notamment celui des salariés fait pleinement partie des questions intéressantes qu'il convient de suivre tout particulièrement. En France, des salariés siègent dans les conseils d'administration lorsque le seuil de 3 % de salariés actionnaires est atteint. Or, Madame le Bâtonnier de la Garanderie, faisant part de son expérience, estime que ce sont des administrateurs particulièrement bien formés, souvent même les mieux formés en ce qui concerne la compliance et les règles de soft law. Ils ont en outre l'avantage indéniable de connaître l'entreprise de l'intérieur ce qui est extrêmement précieux pour les conseils d'administration. Il est naturel qu'ils jouent leur rôle : ainsi, ils s'abstiennent en général lors du vote de la rémunération des dirigeants, mais en ce qui concerne la stratégie de l'entreprise, ils agissent en administrateur responsable. La réticence des milieux patronaux français pour le développement des salariés administrateurs ne serait donc pas, selon elle, justifiée, surtout dans le contexte industriel actuel dans lequel il est essentiellement question de productivité. Ouvrir les conseils d'administration aux salariés représenterait ainsi un grand pas et permettrait assurément un dialogue bénéfique pour tous les intervenants et donc pour l'entreprise, différent de celui des comités d'entreprise encore très imprégnés de lutte des classes.

Pour ce qui concerne les actionnaires, l'une des questions à l'étude est de savoir si les rémunérations des dirigeants seront votées en assemblées générales. Une certitude apparaît : on semble s'orienter, selon Maître de la Garanderie, vers une information beaucoup plus développée. Ira-t-on jusqu'au vote ou les textes se contenteront-ils d'imposer un avis ? Rien n'est encore certain mais cette question mérite assurément d'être suivie de très près.

Autres avancées significatives en matière de gouvernance d'entreprise : le cumul des mandats, qu'il serait question de limiter à trois, au lieu de cinq aujourd'hui, et le rapport sur la responsabilité sociale et environnementale. Depuis le "Grenelle II" (loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement N° Lexbase : L7066IMN), en effet, les sociétés cotées et les sociétés dépassant certains seuils (500 salarié et 100 millions d'euros de chiffre d'affaires) ont pour obligation de faire un rapport sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité ainsi que sur ses engagements sociétaux en faveur du développement durable et en faveur de la lutte contre les discriminations et de la promotion des diversités. Ce texte a été complété par le décret du 24 avril 2012 (décret n° 2012-557 du 24 avril 2012 N° Lexbase : L8543IS9) qui liste les informations que la société doit donner à ce titre. Ces informations sont déjà traitées dans un certain nombre d'entreprises dans des rapports, parfois annexes, parfois intégrées au rapport annuel ; désormais elles seront présentées dans le rapport de gestion. Assez curieusement, la règle complain or explain resurgit à ce niveau puisque, si parmi les informations contenues dans cette grille, certaines ne peuvent être produites ou ne paraissent pas pertinentes, le rapport doit en fournir toutes explications utiles. Les informations sociales et environnementales figurant ou devant figurer au regard des obligations légales et réglementaires font l'objet d'une vérification par un organisme tiers indépendant. Cette vérification donne lieu à un avis qui comporte notamment une attestation sur la présence de toutes les informations devant figurer au regard des obligations légales ou réglementaires.

Désormais un pôle extra-financier est rentré dans la gouvernance, particulièrement précis et technique, qui traduit une volonté politique d'équilibrer le "tout financier" avec des implications sociales et environnementales.

Enfin, concernant les rémunérations des dirigeants, l'évolution résulte de plusieurs "affaires" dont la presse s'est emparée et dont la dernière en date est la rémunération différée de Maurice Lévy. En France, la situation est un peu particulière, puisque les attributions d'actions et les stock-options sont traitées comme des rémunérations. La démarche capitalistique qui voulait distinguer ces éléments de la rémunération est donc aujourd'hui totalement biaisée. De la même façon, les retraites complémentaires, sur-complémentaires et les retraites chapeaux sont perçues par les dirigeants comme des rémunérations alors que tel n'était pas l'objectif qui leur était assigné. Dernièrement, les éléments de rémunération variables ont été liés à la performance, notion qui a été accrochée à tout-va : à la distribution d'actions, aux stock-options, aux clauses parachutes et même aux retraites complémentaires. Cette notion est relativement floue. Il est une certitude : l'interdiction de lier la rémunération variable et donc la performance au cours des actions de la société, au risque qu'il y ait des manipulations de cours. Il est préconisé d'avoir une multitude de critères de performance. Certaines sociétés spécialisées font cela très bien, peut-être même de façon un peu trop sophistiquée, selon Madame le Bâtonnier Dominique de la Garanderie, et vont devoir revoir leur copie assez rapidement pour répondre aux impératifs de transparence. Parmi les critères de performance, il y a toutefois une véritable tendance à inclure de plus en plus des critères liés à la RSE.

Il reste au demeurant encore quelques certitudes en ce qui concerne les rémunérations et qui se retrouvent dans le code AFEP-Medef :

- l'exhaustivité : la détermination d'une rémunération doit être exhaustive. Partie fixe, partie variable, options d'actions (stock-options), actions de performance, jetons de présence, conditions de retraite et avantages particuliers doivent être retenus dans l'appréciation globale de la rémunération.

- l'équilibre entre les éléments de la rémunération : chaque élément de la rémunération doit être clairement motivé et correspondre à l'intérêt général de l'entreprise.

- le Benchmark : cette rémunération doit être appréciée dans le contexte d'un métier et du marché de référence européen ou mondial.

- la cohérence : la rémunération du dirigeant mandataire social doit être déterminée en cohérence avec celle des autres dirigeants et celle des salariés de l'entreprise.

- la lisibilité des règles : les règles doivent être simples, stables et transparentes et les critères de performance utilisés pour établir la partie variable de la rémunération doivent être transparents avec une information immédiate du marché.

- la mesure : la détermination de la rémunération et des attributions d'options ou d'actions de performance doit réaliser un juste équilibre et tenir compte à la fois de l'intérêt général de l'entreprise, des pratiques du marché et des performances des dirigeants.

Pour terminer, Dominique de la Garanderie a présenté les pistes de réflexion actuelles à la suite de l'affaire "Levy" qui a beaucoup secoué le milieu. L'idée serait ainsi de favoriser le long terme, en fixant des performances sur une longue période sur laquelle ne percevrait la rémunération variable que celui qui serait présent au moment de l'échéance avec une information annuelle des performances. Il est même avancé de faire présenter en assemblée générale par le président du comité des rémunérations toutes les informations sur la rémunération du dirigeant et sur les éléments de performance. Reste alors un point : la clause de non-concurrence. Si celle-ci serait toujours valable, elle devrait faire l'objet d'une discussion en conseil d'administration. Serait également prévue la possibilité pour le conseil d'y renoncer. En outre, elle ne serait pas due en cas de départ proche de la retraite.

Enfin le parachute doré serait limité à deux années de rémunération fixe et variable, à la condition que la performance soit au rendez-vous. Par ailleurs, si la clause de non-concurrence est payée le cumul de cette dernière avec le parachute doré ne pourrait jamais dépasser cette limite de deux années.

Sur ce sujet, Madame le Bâtonnier de la Garanderie a tenu à rappeler qu'avec le renforcement de la transparence, si beaucoup ont cru que cela limiterait les excès, un constat s'impose : concernant les rémunérations des dirigeants de sociétés, la publication a eu l'effet inverse, puisque celles-ci ont depuis considérablement augmentées.

Et de relever, que la France est plutôt en avance en matière de gouvernance d'entreprises. Il faut compter sur l'exemplarité : les sociétés du CAC 40 appliquent les règles avec sérieux ; les autres doivent suivre..."Il faut savoir jouer dans la cour des grands" conclut la première femme Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Paris !

***

Maître Martina Barcaroli a conclu la séance en remerciant les intervenants et le public nombreux et a donné rendez-vous à la prochaine rencontre de la Commission Italie qui se tiendra le 24 septembre avec Gaetano Pecorella, député et président de la Commission Justice de l'Assemblée nationale italienne, et Serge Portelli, vice-président du tribunal de grande instance de Paris, pour débattre sur le thème du procès accusatoire.

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