La lettre juridique n°496 du 6 septembre 2012

La lettre juridique - Édition n°496

Éditorial

Le malaise

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N3367BTU

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


Entendez la sirène assourdir, voyez le deux tons tournoyer, l'ambulance se précipite au chevet du patient ; ce dernier se nomme Justice. On le croyait sous la protection de Saint Yves et de Saint Martin, mais même ces deux Hautes autorités peinent à ranimer l'imposant malade. Atteint depuis des lustres de dépendance aux pouvoirs politiques, Justice souffre d'être l'éternel bouc émissaire du mal être social.

Insatisfaisant, trop lent, dépassé, en sous-effectif, ses carences sont, sans cesse, et notamment à chaque discussion budgétaire incurative, relevées. Tantôt montré du doigt pour incarcérations arbitraires -c'est-à-dire sans jugement préalable-, tantôt voué aux gémonies pour avoir relâché un récidiviste, alors que l'enfermement perpétuel n'existe pas, taxé d'inefficacité quand 100 000 peines de prison seraient en souffrance, Justice a eu un "léger coup de fatigue", nous livre un communiqué de presse des plus pudiques.

Il faut dire, aussi, qu'une nouvelle pression psychologique vient dernièrement d'atteindre ce grand corps malade. Voilà que Justice se retrouve, si ce n'est sous contrôle de la Chancellerie, malgré la loi de séparation des pouvoirs, sous l'oeil scrutateur, mais non averti, des citoyens eux-mêmes, notamment dans les tribunaux correctionnels. Après avoir professionnalisé l'Armée, on déprofessionnalise la paix sociale dont Justice est l'un des premiers acteurs. Justice pensait sans doute, à tort, être au service du public, quand on lui impose, depuis peu, d'être rentable. Et, comment réagiriez-vous, si l'on vous spoliait de 300 "maisons" sans compensation ?

Bien souvent, on ne s'est intéressé qu'au tiers de ses problèmes de santé ; sans doute parce qu'ils relèvent de la matière pénale ; mais le reste de ce corps régalien n'est pas mieux en point. Oui, en cette fin d'été, Justice a fait un malaise et son incarnation en a sans doute pris conscience depuis son investiture. Une session parlementaire extraordinaire s'ouvre, les chiens aboient, l'ambulance ne doit plus se contenter de passer...

newsid:433367

Avocats/Gestion de cabinet

[Questions à...] Avocats, quels outils pour votre communication ? Question à Charlotte Vier, fondatrice d'Avocom

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N3340BTU

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 06 Septembre 2012

Incontournable aujourd'hui dans un secteur de concurrence de plus en plus accrue, la communication est un savoir-faire que tout cabinet d'avocat doit maîtriser. Si les grosses structures sont souvent dotées en interne d'un service de communication, de nombreuses autres entités externalisent cette fonction auprès d'agences spécialisées dans ce domaine. Afin de savoir ce que recouvre le travail de ces agences et ce que les avocats attendent d'elles, Lexbase Hebdo - édition professions a rencontré Charlotte Vier, fondatrice de l'agence Avocom. Lexbase : Comment est née l'idée de créer une agence spécialisée dans la communication des cabinets d'avocats ?

Charlotte Vier : Après avoir travaillé plus de huit ans dans l'édition juridique, j'ai décidé de créer Avocom en 2003. Le constat, à l'époque, était que de nombreuses moyennes structures franco-françaises d'avocats n'avaient pas pris conscience de ce qu'il se passait sur leur marché et de l'efficacité des structures de management des gros cabinets anglo-saxons. Il fallait donc amener ces structures -cabinets de 10 à 40 personnes environ- à la culture de la communication et j'ai à ce moment là évalué que la meilleure offre était celle de l'externalisation. Le projet a très vite évolué, quant à la cible notamment, puisque ceux qui m'ont fait confiance dès le début, étaient des structures déjà avancées sur le plan de la communication et donc plusieurs cabinets anglo-saxons.

L'autre constat était aussi de se dire que même un grand cabinet d'avocats, reste une petite entreprise. Et il est, dans ce cadre, plus pertinent d'avoir, un interlocuteur unique pour tout ce qui relève de la communication au sens large (design, évènementiel, RP, etc.).

J'ai donc structuré une offre de services globale.

Lexbase : Quels sont les services que vous offrez à vos clients avocats ?

Charlotte Vier : Nos prestations se déclinent suivant une approche 360° de la communication. Plus concrètement elles s'organisent en quatre grands axes principaux :

- la stratégie et le positionnement du cabinet ;

- l'identité visuelle et les supports ;

- les relations presse ;

- les relations publiques.

Dans une démarche de création, ou d'évolution, de cabinet, nous travaillons en premier lieu sur le positionnement puis, très vite, nous démarrons le chantier de la création de l'identité visuelle : logo, site web, plaquette (nous considérons qu'une plaquette, même très simple, reste un outil important dès lors qu'elle permet de laisser une trace tangible après un premier contact direct ou indirect). Nous réfléchissons en parallèle avec les avocats à leur présence sur le marché : présence médiatique, présence dans les associations et cercles professionnels...

Une grande part de nos activités est dédiée aux relations presse. Ce que les avocats ont à promouvoir et "à vendre" c'est avant tout leur expertise. Cette expertise est valorisée par les supports de presse ciblés qui la "labellisent". Nous travaillons à cet égard avec un spectre très large et accordons beaucoup d'importance au ciblage des titres que nous proposons à nos clients, afin, principalement, de toucher les clients les plus pertinents, souvent les décideurs d'un secteur donné. Dans cette approche, il est essentiel de s'ancrer dans l'actualité et que l'information qu'on lui propose ait également une vraie valeur ajoutée pour le journaliste.

Aujourd'hui, forte de dix ans d'expérience, Avocom est identifiée par les journalistes comme un excellent point d'entrée pour avoir accès à des experts juridiques de qualité.

Si les relations presse sont très importantes, car être cité par un journaliste, être identifié comme un expert sérieux a beaucoup de poids, il ne faut pas négliger sa présence médiatique à travers la publicité. Nous conseillons également quotidiennement nos clients sur la bonne stratégie d'achat d'espace publicitaire.

Lexbase : Quels conseils donneriez-vous à un jeune avocat qui décide de s'installer pour mettre en avant son cabinet ?

Charlotte Vier : Dans un marché qui est extrêmement concurrentiel, il est important de se différencier. Si on regarde les offres des cabinets d'avocats elles sont finalement très similaires et, globalement, c'est normal même si on peut regretter parfois que les avocats ne soient pas un peu plus stratèges et donc créatifs dans leurs offres. La première démarche que doit effectuer l'avocat qui s'installe est de se poser la question de son offre. Qui sont mes clients ? Qu'est ce que je vais leur apporter ? Quelle place vais-je occuper sur le marché ? Comment vais-je me différencier du gros cabinet d'où je viens ? C'est là c'est une approche marketing primordiale.

Des réponses à ces questions et du ciblage de la clientèle va découler la stratégie de communication :

-choix du nom de la structure (les noms des associés ou une dénomination plus originale ?) ;

-définition du projet web (une présence web est évidement indispensable) ;

-communication sur la création (relations presse, relations clients...) ;

-stratégie de visibilité, il peut être par exemple très intéressant de mettre en avant, dans le domaine des activités du cabinet, des niches qui sans faire l'essentiel du chiffre d'affaires vont permettre de se faire un nom.

Pour les petites structures, il est pertinent de mettre l'accent sur la communication directe avec les clients : un beau carton d'annonce pas exemple, des mailings bien pensés, un budget "de représentation", déjeuners, et enfin le "networking" et les évènements de relations publiques au rang desquels les formations "offertes" au client et aux prospects (petits-déjeuners, cycles de formation chez le client...). Ce type d'exercice met en valeur les associés et permet de présenter des expertises croisées surtout quand on sait que, statistiquement, les meilleures opportunités de développement du chiffre d'affaires se trouvent dans le développement des services aux clients existants.

Finalement les cabinets qui se démarquent sont souvent ceux qui tout en étant organisés de manière très professionnelle ont su créer une identité forte. Cette identité se forge souvent autour des fondateurs. Il ne faut pas chercher à "faire institutionnel pour faire institutionnel". Il est essentiel que la structure ressemble aux avocats qui la composent, c'est comme cela qu'on fédère une équipe et qu'on peut ensuite rassembler les clients autour d'une marque forte.

Lexbase : Quel est le coût moyen que devra débourser un cabinet pour être accompagné par des spécialistes de la communication ?

Charlotte Vier : Il est toujours très difficile de donner des tarifs car nous ne pouvons fonctionner avec des grilles figées et rigides. D'abord parce qu'il est dans notre ADN de nous adapter aux besoins de nos clients ! Et ensuite parce que, par exemple, le coût d'un site web pour n'évoquer que cet outil peut varier du simple au quadruple selon ses fonctionnalités. Nous aidons le client à envisager son projet au plus près de ses besoins, y compris dans une logique d'anticipation (des développements de son cabinet, des usages du web qui se dessinent...) et de ses contraintes budgétaires.

De même pour donner un autre exemple, nous savons que la création de l'identité visuelle passe par des process de décision plus ou moins rapides notamment en fonction du nombre d'associés décisionnaires, c'est un aspect qui nous permet de pratiquer des tarifs très abordables pour les toutes petites structures.

Notre "pack de lancement" qui comprend un gros volet de conseil, la création de l'identité visuelle, la déclinaison de la papeterie, la création du site web et un accompagnement sur la communication liée à la création du cabinet peut tourner autour de 20 000 euros pour une petite structure. Pour un plus gros cabinet, organisé en département par pratique, qui va souhaiter dès le départ disposer d'un site plus sophistiqué, de supports plus variés mais pour lequel nous allons également mettre en place une stratégie de communication de lancement plus large et complète, ce pack de lancement peut assez vite atteindre le double, mais le cabinet dispose alors des mêmes outils de communication que les cabinets de premier plan. Ces fourchettes ne sont bien sûr que des évaluations grossières, chaque projet présente ces spécificités et aboutit donc à des budgets différents.

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Cotisations sociales

[Textes] Régime d'exonération sociale et fiscale des heures supplémentaires : abrogation pour les aides salariales mais maintien pour les aides patronales

Réf. : Loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 (N° Lexbase : L9357ITQ)

Lecture: 13 min

N3362BTP

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Protection sociale"

Le 06 Septembre 2012

La seconde loi de finances rectificatives pour 2012 (loi n° 2012-958 du 16 août 2012), déjà accompagnée de dispositions réglementaires (Circulaire n° DSS/5B/2012/319 du 18 août 2012, relative au régime social applicable aux heures supplémentaires et au taux du forfait social résultant de la loi n°2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 N° Lexbase : L0252IUU) (1) intervient dans un cadre et dans un contexte politique et électoral très différent de la première loi de finances rectificative 2012 votée seulement cinq mois plus tôt (loi n° 2012-354 du 14 mars 2012 N° Lexbase : L4518IS7 (2)), en raison de l'élection présidentielle et des élections législatives. La situation économique reste tendue, et l'analyse politique qui en faite évolue très sensiblement. Les réponses aux difficultés économiques et tensions sur le marché du travail apportées par le législateur en 2007 sont remises en cause en 2012. A titre emblématique, la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat (dite "loi TEPA" N° Lexbase : L2417HY8) avait ainsi consacré le slogan électoral "travailler plus pour gagner plus" en mettant en place un dispositif d'incitation fiscale (CGI, art. 81 quater N° Lexbase : L3720IBE) et sociale (exonération de charges sociales, CSS, art. L. 241-17 N° Lexbase : L4457IRI et 241-18 N° Lexbase : L5813IS4) au profit des salariés qui acceptent d'effectuer des heures supplémentaires (3) en aménageant les règles de droit commun des heures supplémentaires (4). Ce nouveau régime des heures supplémentaires visait à diminuer le coût du travail pour les entreprises qui augmentent la durée de travail de leurs salariés et à inciter les salariés à travailler plus par la garantie d'une augmentation substantielle de leurs revenus (hausse du pouvoir d'achat). L'allègement des prélèvements sur les heures supplémentaires avait pour objet de faciliter le recours aux heures supplémentaires comme instrument de flexibilité : cela permet aux entreprises de s'ajuster à une augmentation de leur volume d'activité. Mais le législateur, cinq ans après la loi "TEPA", est revenu sur ce dispositif ;

- il a abrogé le volet fiscal du régime des heures supplémentaires (loi n° 2012-958 du 16 août 2012, art. 3-II, abrogation de l'article 81 quater) ;

- il a abrogé le dispositif de l'allègement de charges sociales salariales (réduction salariale) (loi n° 2012-958 du 16 août 2012, art. 3-I, abrogation de l'article L. 241-17 du Code de la Sécurité sociale) ;

- il a abrogé le dispositif de déduction forfaitaire sur les cotisations patronales pour les entreprises de plus de vingt salariés (loi n° 2012-958 du 16 août 2012, art. 3-II, abrogation de l'article L. 241-17 du Code de la Sécurité sociale) ;

- mais il a maintenu ce dispositif, au profit des PME (entreprises de moins de vingt salariés), désormais intitulé "déduction forfaitaire des cotisations patronales", dont le montant sera fixé par décret (loi n° 2012-958 du 16 août 2012, art. 3-I, nouvelle rédaction de l'art. L. 241-18 du Code de la Sécurité sociale N° Lexbase : L9509ITD).

I - Abrogation du dispositif de l'allègement de charges sociales salariales au titre des heures supplémentaires.

Selon les travaux parlementaires (5), le coût social et fiscal du dispositif en faveur des heures supplémentaires est évalué à près de 5 milliards d'euros, soit 1,5 milliard d'euros au titre des exonérations fiscales et 3,5 milliards d'euros au titre des réductions de cotisations sociales.

A - Principe de la remise en cause de l'allègement de charges sociales des heures supplémentaires

De nombreux travaux parlementaires (6) ou institutionnels (7) se sont déjà prononcés sur le dispositif phare de la loi "TEPA". Dans leur ensemble, ils sont plutôt critiques.

Le comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales a souligné le rapport entre le montant annuel de la dépense fiscale et sociale (0,23 % du PIB) et l'efficacité en termes de points de PIB (0,15 %, essentiellement à travers la hausse de la consommation des ménages), et a conclu au manque d'efficience de la mesure.

Trois critiques ont été formulées :

- la mesure n'était pas favorable au développement de l'emploi, car elle revient à subventionner l'heure supplémentaire (la plus rentable pour l'employeur) alors qu'il faudrait subventionner la "première heure", dans la logique des allègements de charges généraux sur les bas salaires et pour favoriser la création d'emplois ;

- elle était injuste, compte tenu de la progressivité de l'exonération fiscale et de la proportionnalité des exonérations sociales, elle bénéficie le plus à ceux qui gagnent le plus ;

- enfin, la mesure n'a pas permis d'augmenter réellement le nombre d'heures supplémentaires, la vague d'augmentation de leur nombre en 2007 et 2008 tenant essentiellement à des effets d'aubaine.

Sous la législature précédente, le législateur avait déjà émis des réserves sur la pertinence économique et sociale de la mesure. En 2011 (8), les travaux de l'Assemblée nationale ont mis en évidence que le nombre annuel d'heures supplémentaires n'a pas connu de hausse significative et la durée moyenne effective du travail n'a pas substantiellement augmenté. L'application du dispositif était marquée par un fort effet d'aubaine, un certain nombre d'heures supplémentaires effectuées mais non déclarées comme telles avant la réforme ayant bénéficié des allègements fiscaux et sociaux. La mesure a entraîné des gains très variables : le dispositif n'a bénéficié ni aux non-salariés ni aux salariés n'effectuant pas d'heures supplémentaires. Il a peu bénéficié aux salariés à temps partiel. Seuls les foyers imposables ont pu effectivement bénéficier de la totalité du dispositif, le gain fiscal étant fonction du taux marginal d'imposition. De même, l'effet de la mesure diffère sensiblement selon les secteurs et les régions.

Enfin, en 2010 (9), le Conseil des prélèvements obligatoires dépassait ces conclusions critiques sur l'efficacité de la mesure, pour souligner le caractère ambigu et contradictoire du dispositif, ab initio. L'accroissement de la durée du travail a incité les entreprises à substituer des heures de travail aux salariés, ce qui a un impact négatif sur l'emploi ; mais la réduction du coût du travail consécutif à l'allègement des prélèvements a favorisé l'emploi. L'effet global sur l'emploi est donc ambigu. Au final, dans sa Proposition n° 38, le Conseil des prélèvements obligatoires proposait purement et simplement de remettre en cause le régime des heures supplémentaires.

B - Mise en oeuvre de l'abrogation du dispositif d'allègement de charges sociales des heures supplémentaires

1 - Objet

- incitation fiscale

Le dispositif de la loi "TEPA" visait à exonérer d'impôt sur le revenu les rémunérations perçues au titre de la réalisation d'heures supplémentaires, d'heures complémentaires ou d'un temps de travail additionnel comparable (heure choisie, heure considérée comme supplémentaire, temps de travail additionnel ou temps de travail résultant de la renonciation à un jour de repos), pour l'ensemble des salariés et des agents publics.

Les rémunérations exonérées d'impôt sur le revenu par l'article 81 quater CGI comprenaient les salaires versés au titre des heures supplémentaires et des heures assimilées effectuées par les salariés à temps plein soumis au droit commun (au-delà de 35 heures, donc) ; les salaires versés aux salariés à temps partiel (au titre des heures complémentaires) ; les salaires versés par des particuliers employeurs à des salariés au titre des heures supplémentaires ; les salaires versés aux assistants maternels au titre des heures supplémentaires et des heures complémentaires ; les éléments de rémunération versés aux agents publics au titre des heures supplémentaires ou d'un temps de travail additionnel (dans des conditions fixées par décret) ; les éléments de rémunération versés au titre des heures supplémentaires ou complémentaires de travail aux salariés non soumis au droit commun réglementant la durée du travail (dans des conditions fixées par décret).

- Réduction de cotisations sociales

La loi "TEPA" a également mis en place une réduction de cotisations salariales de Sécurité sociale proportionnelle à la rémunération des heures supplémentaires, dans la limite des cotisations et contributions d'origine légale ou conventionnelle rendues obligatoires par la loi dont le salarié est redevable au titre de cette heure. N'étaient donc concernées que les cotisations de Sécurité sociale (pour le salarié, les cotisations maladie, maternité, invalidité, décès et les cotisations vieillesse de base), à l'exclusion des contributions de Sécurité sociale (CSG et CRDS), des cotisations de retraite complémentaire ou enfin des cotisations d'assurance chômage. Le taux de la réduction de cotisations salariales a été fixé par le décret n° 2007-1380 du 24 septembre 2007 (N° Lexbase : L5255HYB) à 21,5 % (CSS, art. D. 241-21 N° Lexbase : L9951HZL).

La loi n° 2012-958 du 16 août 2012 (abrogation de l'article L. 241-17) prévoit la suppression totale de l'exonération de cotisations sociales salariales, sans envisager, du fait de leur coût, de solutions intermédiaires consistant à ne maintenir d'exonération que pour la seule majoration de rémunération ou à mettre en place un plafonnement.

2 - Date d'effet

La suppression des exonérations d'impôt sur le revenu s'applique aux rémunérations perçues à raison des heures supplémentaires et complémentaires effectuées à compter du 1er août 2012.

Mais la suppression des réductions de cotisations sociales salariales et patronales s'applique aux rémunérations perçues à raison des heures supplémentaires et complémentaires effectuées à compter du 1er septembre 2012 ; que, lorsque la période de décompte du temps de travail ne correspond pas au mois calendaire, le régime antérieur d'exonération des cotisations sociales salariales demeure applicable à la rémunération des heures supplémentaires et complémentaires versée jusqu'à la fin de la période de décompte du temps de travail en cours, au plus tard le 31 décembre 2012

3 - Validation constitutionnelle

Le Conseil constitutionnel (décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012 N° Lexbase : A4218IRN) a été sollicité par des députés hostiles au projet de loi de finances rectificative, lesquels ont avancé un certain nombre de griefs, relatifs au principe d'égalité (en traitant différemment les salariés, selon que la comptabilisation de leurs heures de travail s'effectue ou non sur une période d'un mois, le législateur aurait méconnu le principe d'égalité ; la loi aurait créé une rupture d'égalité entre salariés selon qu'ils ont effectué les heures supplémentaires avant ou après le 1er août 2012 et avant ou après le 1er septembre 2012) et de non-rétroactivité (l'abrogation des exonérations fiscales mises en place par la loi du 21 août 2007 aurait un caractère rétroactif dans la mesure où elle doit s'appliquer aux rémunérations perçues à raison des heures supplémentaires et complémentaires effectuées à compter du 1er août 2012, alors que la loi de finances rectificative sera promulguée postérieurement à cette date).

Ces deux griefs ont été écartés. Le premier, relatif au principe d'égalité, était pourtant susceptible d'être retenu, comme l'avaient relevés certains travaux parlementaires (10). Le Conseil constitutionnel n'a pas fait échos à de telles craintes (cons. 19), rappelant les principes qui président à la matière : la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse (article 6 de la Déclaration de 1789 N° Lexbase : L1370A9M) ; le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ; il n'en résulte pas pour autant que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes. Or, le Conseil constitutionnel (cons. 22) a relevé que la différence de traitement entre salariés (opérée par l'article 3 de la loi déférée pour l'exonération de cotisations sociales, selon que la période de décompte de leur temps de travail correspond ou non au mois calendaire) trouve sa justification dans la différence de situations existant entre ces salariés.

De plus, la différence de traitement qui résulte de la succession de deux régimes juridiques dans le temps n'est pas, en elle-même, contraire au principe d'égalité. Les différences de traitement entre salariés selon qu'ils ont effectué des heures supplémentaires ou complémentaires avant ou après le 1er août 2012 (en ce qui concerne la suppression des exonérations fiscales) ou avant ou après le 1er septembre 2012 (en ce qui concerne la suppression des réductions de cotisations sociales), résulte de la succession de deux régimes juridiques dans le temps. Bref, elles ne méconnaissent pas le principe d'égalité (cons. 23). Au final, l'article 3 de la loi déférée n'est contraire à aucune règle ni à aucun principe de valeur constitutionnelle.

II - Reconfiguration du dispositif de l'allègement de charges sociales patronales au titre des heures supplémentaires

La loi n° 2012-958 du 16 août 2012, contrairement à la présentation approximative qui en a été faite, n'abroge pas purement et simplement le dispositif de la déduction forfaitaire de cotisations sociales patronales au titre des heures supplémentaires mise en place par la loi "TEPA" : le législateur a opéré une distinction selon le type d'entreprise (petite ou grande). Pour les entreprises de moins de vingt salariés, le régime dérogatoire des heures supplémentaires a été maintenu (sous une autre appellation) ; pour les entreprises de plus de vingt salariés, en revanche, le dispositif d'aide de l'Etat a bien été supprimé.

Le Conseil des prélèvements obligatoires, dans un rapport de 2010, avait suggéré trois scenarii de sortie du dispositif mis en place par la loi "TEPA" : supprimer le régime fiscal et social des heures supplémentaires (scénario 1) ; cibler la mesure sur les revenus les plus modestes en supprimant l'exonération de l'impôt sur le revenu associée (scénario 2) ou enfin réintégrer les heures supplémentaires dans le calcul de l'allègement général sur les bas salaires (scénario 3). Le législateur ne l'a pas suivi dans ses recommandations, ou en partie seulement.

A - Dispositif de l'allègement de charges sociales patronales : suppression pour les entreprises de plus de vingt salariés

1 - Objet

La loi "TEPA" (CSS, art. L. 241-18) avait mis en place une déduction forfaitaire au titre des cotisations patronales sur les salaires perçus à raison des heures supplémentaires. Le champ de cette déduction était moins large que celui de la réduction de cotisations salariales, puisque la déduction ne s'appliquait qu'à la rémunération des heures de travail effectuées par des salariés des entreprises entrant dans le champ de la réduction générale de cotisations patronales de Sécurité sociale sur les bas salaires ("réduction Fillon", CSS art. L. 241-13 N° Lexbase : L9550ITU) (11).

La déduction s'appliquait aux rémunérations versées au titre des heures supplémentaires ou de toute autre durée du travail entrant dans le champ d'application fiscal ; mais les rémunérations versées au titre des heures complémentaires n'étaient pas concernées par le bénéfice des déductions forfaitaires.

La déduction présentait un caractère forfaitaire, fixé par le décret n° 2007-1380 du 24 septembre 2007 à 0,50 euro par heure concernée (CSS, art. D. 241-24 N° Lexbase : L9954HZP).

Les entreprises de moins de vingt salariés bénéficiaient d'une majoration d'un euro. Cette majoration pour les entreprises de moins de vingt salariés avait pour objectif de neutraliser l'accroissement du coût du travail résultant de l'augmentation de quinze points de la majoration salariale des heures supplémentaires du fait de la disparition anticipée, prévue simultanément, du régime dérogatoire prévu pour les entreprises de vingt salariés ou moins (la loi n° 2005-296 du 31 mars 2005, portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise N° Lexbase : L1144G8U, fixait la fin de ce régime dérogatoire au 31 décembre 2008). La loi "TEPA" a, en effet, mis fin à la possibilité de ne majorer que de 10 % la rémunération des heures supplémentaires dans ces entreprises (12). Le législateur a ensuite pris des mesures pour lisser dans le temps les effets de franchissement de seuils (13).

2 - Date d'effet

L'abrogation des exonérations de cotisations sociales salariales sur la rémunération des heures supplémentaires et complémentaires et la limitation de la déduction de cotisations patronales sur la rémunération des heures supplémentaires effectuées par les salariés des entreprises de moins de vingt salariés, entrant dans le champ de la "réduction Fillon", s'appliquent aux rémunérations perçues à raison des heures effectuées à compter du 1er septembre 2012.

Une exception est prévue à ce principe. Lorsque la période de décompte du temps de travail ne correspond pas au mois calendaire et est en cours au 1er septembre 2012, les dispositions des articles L. 241-17 et L. 241-18 du Code de la Sécurité sociale et L. 741-15 du Code rural et de la pêche maritime (N° Lexbase : L2740ICH), dans leur rédaction en vigueur antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012, demeurent applicables à la rémunération des heures supplémentaires et complémentaires de travail versée jusqu'à la fin de la période de décompte du temps de travail en cours, et au plus tard le 31 décembre 2012. Cette exception s'explique par la conception initiale de la mesure d'allègement de charges, qui visait l'ensemble des heures supplémentaires, quel que soit le mode d'organisation du temps de travail. Sont concernés les personnes dont les heures supplémentaires sont calculées selon un décompte annuel.

3 - Appréciation constitutionnelle

Certains députés ont soutenu devant le Conseil constitutionnel que la suppression des allégements sociaux et fiscaux attachés aux heures supplémentaires et complémentaires de travail aurait porté atteinte à la liberté d'entreprendre en faisant peser sur les entreprises des contraintes excessives au regard de l'objectif poursuivi de maintien de l'emploi. Sans surprise, le Conseil constitutionnel a écarté le grief, en rappelant (cons. 18) que la liberté d'entreprendre découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 (N° Lexbase : L1368A9K) et qu'il est loisible au législateur d'apporter à cette liberté des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi. Surtout (cons. 21), pour le Conseil constitutionnel, en abrogeant les dispositions de la loi "TEPA" relatives aux heures supplémentaires, le législateur a entendu favoriser le recours à l'emploi. A cette fin, il lui était loisible de modifier le dispositif d'exonérations fiscales et sociales attachées à ces heures. Aussi, ces dispositions issues de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 ne portent pas atteinte à la liberté d'entreprendre et ne méconnaissent pas le droit pour chacun d'obtenir un emploi.

B - Dispositif de l'allègement de charges sociales patronales : maintien pour les entreprises de moins de vingt salariés

Le maintien d'un avantage pour les TPE s'explique par des considérations tirées d'une logique de politique publique d'aide aux PME. En 2011, 44 % des heures supplémentaires étaient effectués dans les entreprises de 20 salariés ou moins, alors que ces entreprises représentaient un tiers seulement de l'emploi (14).

Le montant de la déduction forfaitaire des cotisations patronales sera, comme c'est le cas actuellement, fixé par décret. Selon les travaux parlementaires, il devrait être maintenu à 1,50 euro par heure (15).

1 - Objet

Le législateur a repris le champ d'application du dispositif en vigueur antérieurement, au titre de la loi TEPA. Les heures supplémentaires (prévues par le premier alinéa du 1° du I de l'article 81 quater du CGI, selon la rédaction de la loi "TEPA") visées comprennent : les heures supplémentaires de travail définies à l'article L. 3121-11 du Code du travail (N° Lexbase : L3752IBL) ; pour les salariés relavant de conventions de forfait annuel en heures (C. trav., art. L. 3121-42 [LXB= L3963IBE]), les heures effectuées au-delà de 1 607 heures ; les heures effectuées en application du troisième alinéa de l'article L. 3123-7 du même code (N° Lexbase : L3894IBT) ; les heures supplémentaires (C. trav., art. L. 3122-4 N° Lexbase : L3890IBP), à l'exception des heures effectuées entre 1 607 heures et la durée annuelle fixée par l'accord lorsqu'elle lui est inférieure.

2 - Régime

Le législateur a repris le régime du dispositif antérieur. Ainsi, les dispositions relatives à l'imputation de la déduction de cotisations et aux conditions de son cumul avec d'autres exonérations de cotisations patronales de Sécurité sociale ne sont pas modifiés (CSS, art. L. 241-18 ; Circulaire n° DSS/5B/2012/319 du 18 août 2012).

De même, le législateur a maintenu l'exigence de conditions, quasiment identiques à celles prévues par le dispositif issu de la loi TEPA. Le bénéfice de la nouvelle déduction est soumis au respect de plusieurs conditions :

- l'employeur doit respecter les dispositions légales et conventionnelles relatives à la durée du travail ;

- les salaires ou éléments de rémunération des heures supplémentaires ne doivent pas se substituer à d'autres éléments de rémunération, à moins qu'un délai de douze mois ne se soit écoulé depuis le dernier versement de l'élément de rémunération en tout ou partie supprimé ;

- le législateur a mis en place une nouvelle condition : l'heure supplémentaire effectuée doit faire l'objet d'une rémunération au moins égale à celle d'une heure non majorée (16) ;

- pour les entreprises de 20 salariés et plus, le législateur a modifié le dernier alinéa du IV de l'article L. 241-18 du Code de la Sécurité sociale (soumettant le bénéfice de la majoration du montant de la déduction au respect des règles communautaires sur les aides d'Etat). C'est la déduction elle-même, et non plus la majoration de son montant qui devra respecter le Règlement (CE) n° 1998/2006 de la Commission, du 15 décembre 2006 (N° Lexbase : L1322HUI), concernant l'application des articles 87 (N° Lexbase : L2739IP7) et 88 (N° Lexbase : L2740IP8) du Traité aux aides de minimis.


(1) C. Eckert, Rapport, Assemblée nationale n° 79, 12 juillet 2012, p. 80 ; D. Robiliard, Avis, Assemblée nationale n° 77, 11 juillet 2012, p. 9 ; F. Marc, Rapport, Sénat n° 689 (2011-2012), tome 1, 23 juillet 2012, p. 70 ; Y. Daudigny, Avis, Sénat n° 691 (2011-2012), 23 juillet 2012, p. 8 et s., p. 21 et s..
(2) M. Elbaum, Financement de la protection sociale : quelles perspectives au-delà des "solutions miracles" ?,Revue de l'OFCE, Débats et politiques, 2012, p. 265 ; E. Heyer, M. Plane et X. Timbeau, Impact économique de la "quasi TVA sociale" : Simulations macroéconomiques et effets sectoriels, Revue de l'OFCE, Débats et politiques, 2012 p. 373 ; v. les obs. de R. Obert, Les conséquences comptables du projet de loi de finances rectificative pour 2012, Lexbase Hebdo n° 473 du 16 février 2012 - édition fiscale (N° Lexbase : N0227BTL) ; F. Perrotin, Désaccord sur le projet de loi de finances rectificative pour 2012, LPA, 5 mars 2012, n° 46, p. 3 ; v. nos obs., Baisse de la cotisation famille, hausse de la TVA ("TVA sociale") : de profondes et incertaines réformes (loi n° 2012-354 du 14 mars 2012, de finances rectificatives pour 2012) Lexbase Hebdo n° 478 du 22 mars 2012 - édition sociale (N° Lexbase : N0931BTN) ; V. aussi n° spécial de la revue Dr. soc., juin 2012, p. 551. Travaux parlementaires : N. Bricq, Rapport, Sénat n° 390 (2011-2012), 21 février 2012, Tome 1 ; Y. Bur, Avis, Assemblée nationale n° 4338, 8 février 2012 ; T. Daudigny, Avis, Sénat n° 398 (2011-2012), 22 février 2012 ; G. Carrez, Rapport, Assemblée nationale n° 4339, 8 février 2012 ; N. Brick, Rapport, Sénat n° 441 (2011-2012), 29 février 2012 ; G. Carrez, Rapport, Assemblée nationale n° 4409, 27 février 2012.
(3) Bibliographie abondante. V. not. Bruno Ducoudré, Les heures supplémentaires au deuxième trimestre 2008, Premières informations, Premières Synthèses, n° 40-4, DARES, octobre 2008 ; Les heures supplémentaires au 1er trimestre 2010, n° 042, Dares indicateurs, juillet 2010 ; Recours aux heures supplémentaires et complémentaires et rachats de jours de RTT durant les premiers mois de mise en oeuvre des lois relatives au pouvoir d'achat, n° 029, Dares Analyses, mai 2010 ; J.-P. Gorges et J. Mallot, Rapport sur l'évaluation des dispositifs de promotion des heures supplémentaires prévus par l'article premier de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 en faveur du travail, de l'emploi et du pouvoir d'achat, Assemblée nationale n° 3615, 30 juin 2011 ; v. nos obs., Nouveau régime des heures supplémentaires et réduction Fillon, Lexbase Hebdo n° 272 du 13 septembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2907BCN).
(4) Rappel : les heures supplémentaires sont rémunérées, sauf si un accord prévoit le remplacement de tout ou partie de la rémunération par un repos compensateur. Les heures supplémentaires ouvrent droit à une majoration de salaire de 25 % de majoration pour les 8 premières heures (de la 36ème à la 43ème heure) et 50 % pour les heures suivantes. Un taux de majoration différent, d'au moins 10 %, peut être prévu par convention ou accord collectif.
(5) C. Eckert, Rapport, Assemblée nationale n° 79, 12 juillet 2012, préc., p. 80 ; D. Robiliard, Avis, Assemblée nationale n° 77, préc., p. 10 et s. (qui retient le même chiffrage) et p. 64 et s..
(6) N. Bricq, Rapport d'information, Sénat n° 64 (2011-2012) ; J.-P. Caffet, Avis, Sénat n° 78 (2011-2012) ; Y. Daudigny, Rapport n° 74 (2011-2012).
(7) Comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, sous la présidence de H. Guillaume, Rapport, juin 2011.
(8) J.-P. Gorges et J. Mallot (comité d'évaluation et de contrôle de l'Assemblée nationale), Rapport sur l'évaluation des dispositifs de promotion des heures supplémentaires prévus par l'article premier de la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007, Assemblée nationale n° 3615, 30 juin 2011, préc., p. 65.
(9) Conseil des prélèvements obligatoires, Entreprises et niches fiscales et sociales - Des dispositifs dérogatoires nombreux, Rapport octobre 2010, spéc. p. 227.
(10) C. Eckert, Rapport, Assemblée nationale n° 79, 12 juillet 2012, préc., p. 89, pour lequel l'exigence constitutionnelle d'égalité devant les charges publiques (article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 N° Lexbase : L1360A9A) empêche tout traitement différencié des salariés suivant la taille de leur entreprise.
(11) C'est-à-dire, employeurs du secteur privé soumis à l'obligation de cotiser au régime d'assurance chômage ; employeurs des régimes spéciaux de Sécurité sociale des marins, des mines et des clercs et employés de notaires et des agents publics ayant droit à l'allocation d'assurance (entreprises publiques, établissements publics à caractère industriel et commercial des collectivités territoriales et sociétés d'économie mixte dans lesquelles le secteur public détient au moins 30 % du capital). La déduction ne bénéficie donc pas aux autres employeurs publics ni aux particuliers employeurs.
(12) D. Robiliard, Avis, Assemblée nationale n° 77, préc., p. 10.
(13) La loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie (N° Lexbase : L7358IAR) (art. 48) a autorisé que cette majoration bénéficie aussi aux entreprises qui, en raison de l'accroissement de leur effectif, dépassent au titre de l'année 2008, 2009 ou 2010, pour la première fois, l'effectif de vingt salariés. La loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 (N° Lexbase : L9901INZ) (art. 135) a prolongé cet avantage pour les entreprises qui dépassent pour la première fois au titre de l'année 2011 le seuil de vingt salariés. L'article 76 de la loi de finances rectificative pour 2011 a prorogé le dispositif pour l'année 2012.
(14) C. Eckert, Rapport, Assemblée nationale n° 79, préc., p. 93.
(15) C. Eckert, Rapport, Assemblée nationale n° 79, prec., p. 93.
(16) Cette condition semble viser les seuls accords prévoyant le remplacement de tout ou partie de la rémunération d'une heure supplémentaire par un repos compensateur, la règle générale étant la majoration de la rémunération des heures supplémentaires par rapport aux heures "ordinaires" : F. Marc, Rapport, Sénat n° 689 (2011-2012), tome 1, préc., p. 78.

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Divorce

[Chronique] Chronique de droit du divorce - septembre 2012 - Octroi d'une prestation compensatoire : attention aux précédentes décisions

Lecture: 10 min

N3337BTR

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par Marjorie Brusorio-Aillaud, Maître de conférences à l'Université du Sud Toulon-Var

Le 04 Octobre 2012

Il existe des affaires, a priori simples, presque "réglées d'avance", pour lesquelles le résultat est inattendu du fait de l'obstination, de la ruse, de l'anticipation ou, au contraire, du manque d'inattention des parties et/ou de leurs conseils. Les arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, les 6 et 7 juin 2012 (Cass. civ. 1, 6 juin 2012, n° 11-12.275, FS-D et Cass. civ. 2, 7 juin 2012, n° 11-14.676, FS-D), en sont des exemples topiques. Dans la première espèce, l'arrêt rejetant la demande de prestation compensatoire, à défaut de disparité dans les conditions de vie des époux, fut cassé au motif que les juges du fond n'avaient pas tenu compte d'une décision précédente, validant l'engagement du défendeur d'assurer une couverture sociale au demandeur, comme si le lien matrimonial avait été maintenu. Dans la seconde affaire, la demande de prestation compensatoire fut écartée, bien que la disparité dans les conditions vie respectives eut été reconnue, au motif qu'il ne peut être statué sur une demande de prestation compensatoire qu'au cours de la procédure de divorce et qu'une précédente décision, rejetant la demande, avait autorité de la chose jugée.
  • Absence de disparité dans les conditions de vie mais décision précédente validant l'engagement du défendeur d'assurer une couverture sociale au demandeur, comme si le lien matrimonial avait été maintenu (Cass. civ. 1, 6 juin 2012, n° 11-12.275, FS-D N° Lexbase : A3835IND)

En 1997, un couple s'est séparé de corps par consentement mutuel. Selon la convention définitive homologuée, l'époux s'est engagé à assurer à l'épouse, en cas de divorce et jusqu'à la fin de ses jours, une couverture sociale égale à celle dont elle aurait bénéficié si le lien matrimonial avait été maintenu.

En 2009, un divorce a été prononcé pour altération définitive du lien conjugal. L'époux était alors âgé de 69 ans et l'épouse de 63 ans. Le mariage avait duré 45 ans. L'épouse n'avait exercé aucune activité professionnelle et était atteinte d'ostéoporose. Elle était propriétaire de deux studios et d'une résidence et avait bénéficié du règlement de deux successions. L'époux, qui vivait sur un bateau, touchait une retraite confortable et en versait près du tiers à l'épouse, au titre de la contribution aux charges du mariage.

Les juges du fond ont estimé qu'il n'y avait pas de disparité actuelle et prévisible dans les conditions de vie respectives des époux. La demande de l'épouse tendant à l'octroi d'une prestation compensatoire, sous forme de rente viagère, avec une couverture sociale à vie, a donc été rejetée. Les effets du divorce furent fixés au 9 décembre 1996, date à partir de laquelle les époux ont résidé séparément.

Le 6 juin 2012, la Cour de cassation a cassé cet arrêt en visant l'article 455 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6565H7B). Elle a reproché à la cour d'appel de ne pas avoir répondu aux conclusions de l'épouse qui faisait valoir, qu'à l'occasion du prononcé de la séparation de corps, l'époux avait, aux termes de la convention définitive homologuée, souscrit l'engagement de lui assurer, en cas de divorce et jusqu'à la fin de ses jours, une couverture sociale égale à celle dont elle aurait bénéficié si le lien matrimonial avait été maintenu.

La prestation compensatoire est versée en cas de disparité dans les conditions de vie respectives des époux et celle-ci doit être appréciée au moment du divorce. En pratique, lorsque les époux sont séparés depuis plusieurs années et gèrent leurs affaires chacun de leur côté, le divorce a rarement pour effet de créer une disparité dans leurs conditions de vie respectives. Les membres du couple ont généralement déjà cessé de cohabiter et de contribuer aux charges du ménage et il n'y a donc souvent pas lieu d'attribuer de prestation compensatoire.

La séparation de corps est une situation intermédiaire entre le mariage et le divorce. Les époux sont séparés de biens et ne sont plus tenus au devoir de cohabitation. Il leur est "seulement" imposé d'être fidèles, même si les juges apprécient cette obligation avec indulgence, et de se porter secours. Ainsi, lorsque, avant le divorce, les époux avaient opté pour une séparation de corps, cela facilite la preuve de la séparation et permet fréquemment de conclure à l'absence de disparité dans les conditions de vie.

Dans l'affaire examinée, la question posée aux juges était de savoir si, lorsque la séparation de corps a été prononcée par consentement mutuel, les juges doivent, pour décider de l'attribution d'une prestation compensatoire, tenir compte de la convention homologuée. Que deviennent, au moment du divorce, les engagements pris dans la convention, conclue par les époux et homologuée par le juge, lors d'une précédente séparation de corps par consentement mutuel ? Ceux-ci doivent-ils toujours être respectés ou sont-ils caduques, du fait que les époux ne sont plus séparés de corps mais divorcés ? De manière générale, la décision de séparation de corps lie-t-elle la décision de divorce ?

Lorsque la séparation de corps est convertie en divorce (C. civ., art. 306 et s. N° Lexbase : L2860DZX), l'article 308 du Code civil (N° Lexbase : L2721ABE) dispose clairement : "du fait de la conversion, la cause de la séparation de corps devient la cause du divorce ; l'attribution des torts n'est pas modifiée. Le juge fixe les conséquences du divorce. Les prestations et pensions entre époux sont déterminées selon les règles propres au divorce". Les effets du divorce remplacent ceux de la séparation de corps, même si la décision prononçant cette dernière est devenue irrévocable. Lorsque le divorce est prononcé à la suite d'une nouvelle demande, indépendamment de la séparation de corps, la même solution semble encore plus s'imposer. Le divorce, indépendant de la séparation de corps, n'en reprend ni les causes, ni les effets. Le juge de la séparation de corps ne lie pas le juge du divorce.

Dans les situations contentieuses, où les conséquences de la séparation sont fixées par le juge, la solution peut s'entendre. Un jugement "impartial" de séparation de corps est remplacé par un jugement "impartial" de divorce. Dans les séparations par consentement mutuel, la situation est différente. Les époux peuvent conclure, et le juge accepter d'homologuer, une convention déséquilibrée. Or, ignorer la convention homologuée lors de la séparation de corps revient à permettre à un conjoint, après avoir convaincu son partenaire d'accepter cette séparation par consentement mutuel, en lui concédant plusieurs avantages dans la convention, de faire ensuite fi de cette dernière lorsque, après deux ans de séparation, il obtient aisément un divorce pour altération du lien conjugal. De plus, depuis la réforme du divorce de 2004, le maintien du devoir de secours, en cas de divorce "pour cause de séparation", c'est-à-dire le divorce pour altération du lien conjugal qui a remplacé le divorce pour altération de la vie commune, a été supprimé. L'époux qui n'a pas droit à une prestation compensatoire n'a donc droit à... rien !

En l'espèce, il est vrai qu'il n'y avait pas de disparité actuelle et prévisible dans les conditions de vie respectives des époux. L'engagement pris par le mari, dans la convention, s'inscrivait davantage dans l'esprit du maintien du devoir de secours que de l'octroi d'une prestation compensatoire. Etant donné le patrimoine des époux, et notamment de l'épouse, le fait de perdre une couverture sociale ne pouvait pas réellement être assimilé à la création d'une disparité dans les conditions de vie. Néanmoins, permettre à l'époux de se dédouaner de ses engagements, au motif qu'un divorce était prononcé, alors que ceux-ci couvraient expressément cette hypothèse, eut été très critiquable.

La Cour de cassation n'a pas clairement tranché la question. Elle s'en est remise aux juges du fond en demandant à la cour d'appel de renvoi, contrairement à l'arrêt attaqué, de répondre aux conclusions de l'épouse sur ce point.

  • Disparité dans les conditions de vie mais décision précédente de rejet ayant autorité de la chose jugée (Cass. civ. 2, 7 juin 2012, n° 11-14.676, FS-D N° Lexbase : A3928INS)

En septembre 2003, un juge aux affaires familiales a prononcé un divorce et attribué à l'épouse, à titre de prestation compensatoire, la part du mari sur le domicile conjugal, à charge pour elle d'en régler le crédit d'acquisition. En novembre 2004, sur appel de l'époux, un arrêt a confirmé le divorce, conclu que la rupture du mariage créait une disparité dans les conditions de vie respectives des époux, sursis à statuer sur le montant de la prestation compensatoire et ordonné la réouverture des débats, en invitant les parties à conclure sur le montant en capital sollicité au titre de ladite prestation.

En juin 2005, un nouvel arrêt a débouté l'épouse de sa demande tendant à l'attribution, à titre de prestation compensatoire, de la part revenant au mari sur l'immeuble commun, en pleine propriété.

En 2009, l'épouse a de nouveau demandé une prestation compensatoire, sous la forme d'un capital, et un juge lui a accordé la somme de 100 000 euros. Le 28 avril 2010, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a, au contraire, déclaré la demande irrecevable et, le 7 juin 2012, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l'épouse.

A première vue, la décision peut surprendre. La demande de prestation compensatoire est rejetée alors qu'il n'est pas contesté que le divorce créait une disparité dans les conditions de vie respectives des époux. Néanmoins, lorsque l'on l'étudie attentivement, la solution de cette affaire est parfaitement logique. Elle rappelle l'importance de la formulation des demandes et les dangers de l'obstination.

D'abord, en novembre 2004, les magistrats de la cour d'appel ont dû apprécier si la rupture du mariage créait une disparité dans les conditions de vie respectives des époux. Selon les articles 273 (N° Lexbase : L2665ABC) et 274 (N° Lexbase : L2840DZ9) du Code civil, dans leur version en vigueur jusqu'au 1er janvier 2005, la prestation compensatoire avait un caractère forfaitaire et prenait la forme d'un capital dont le montant était fixé par le juge, lequel décidait des modalités selon lesquelles s'exécuterait l'attribution ou l'affectation de biens en capital. Or, à l'époque, l'épouse ne formulait pas une demande en capital. Elle sollicitait l'attribution de la part revenant au mari dans le bien immobilier commun. Selon un moyen annexe, elle estimait la valeur de ce bien à la somme de 91 469,41 euros, suivant l'évaluation figurant dans le projet de convention temporaire élaboré par notaire en 1998, alors que les époux avaient initié une procédure de divorce par consentement mutuel. Or, cette estimation, contestée par le mari, ne pouvait être retenue compte tenu de son ancienneté et de l'évolution du marché immobilier dans la région (PACA). Ainsi, d'une part, en l'absence de toute estimation objective actualisée, il ne pouvait être fait droit à la demande d'attribution en propriété du bien commun. D'autre part, à défaut de disposer des éléments pour déterminer le montant de la prestation compensatoire sollicitée, et en l'absence de tout subsidiaire, la cour d'appel ne pouvait statuer sur ce point sans prononcer la réouverture des débats, afin qu'il fût conclu sur le montant du capital sollicité, conformément aux anciens articles 273 et 274 du Code civil. Il est donc parfaitement logique que, en 2004, la cour d'appel, même si elle a constaté que la rupture créait une disparité dans les conditions de vie respectives des époux, a sursis à statuer sur le montant de la prestation compensatoire. Il est également parfaitement logique, à défaut de pourvoi, que cette décision soit devenue irrévocable.

Ensuite, en juin 2005, les magistrats ont rouvert les débats afin qu'il fût conclu sur le montant en capital sollicité, à titre de prestation compensatoire, en application des anciens articles 273 et 274 du Code civil.

Cependant, l'épouse s'est contentée de conclure sur une nouvelle estimation du bien commun (estimation officieuse et contestée par l'époux, par deux agences immobilières, à 89 797 euros) et de solliciter la confirmation du jugement entrepris, à savoir l'attribution de la part en pleine propriété revenant au mari sur le bien immobilier commun. Une telle prétention ne répondait pas à la demande de la cour d'appel. Cette dernière devait toujours, conformément aux anciens articles 273 et 274 du Code civil, allouer un capital, qu'elle fixait, avant d'en décider des modalités de paiement. Sauf à statuer "ultra petita", elle ne pouvait que débouter l'épouse de sa demande.

L'épouse n'ayant pas formé de pourvoi, cet arrêt est aussi devenu irrévocable. Il a acquis autorité de la chose jugée, tant sur le prononcé du divorce que sur ses effets, et notamment le débouté de la demande de prestation compensatoire.

Puis, le 28 avril 2010, la cour d'appel a rappelé, pour débouter l'épouse :

- d'une part, qu'effectivement, en novembre 2004, le juge du divorce avait constaté que la séparation créait une disparité dans les conditions de vie respectives des époux, mais que la demande de prestation compensatoire ne pouvait être formée qu'au cours de la procédure de divorce ;
- d'autre part, que l'arrêt définitif, de juin 2005, avait débouté l'épouse de sa demande tendant à l'attribution en pleine propriété de la part revenant au mari sur l'immeuble commun, à titre de prestation compensatoire.

Selon l'épouse, la cour d'appel de 2010 a violé les articles 480 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6594H7D) et 1351 du Code civil (N° Lexbase : L1460ABP). Les magistrats ont méconnu l'autorité de chose jugée de l'arrêt de 2005 :

- en ne déduisant pas que le principe du versement d'une prestation compensatoire était définitivement acquis ;
- en retenant, pour déclarer la demande irrecevable, que le juge avait débouté l'épouse de sa demande de prestation compensatoire, en 2005, tout en relevant que les termes mêmes du dispositif visaient la seule demande d'attribution en pleine propriété de la part revenant au mari sur l'immeuble commun.

Enfin, en juin 2012, la Cour de cassation a retenu, pour rejeter le pourvoi, qu'il ne pouvait être statué sur une demande de prestation compensatoire qu'au cours de la procédure de divorce et que l'arrêt irrévocable de 2005, qui avait débouté l'épouse de sa demande de prestation compensatoire, sous la forme de l'attribution en pleine propriété de la part revenant à son mari sur l'immeuble commun, avait mis fin à l'instance en divorce. C'était donc sans méconnaître l'autorité de la chose jugée attachée aux arrêts de 2004 et 2005 que la cour d'appel avait déclaré irrecevable la nouvelle demande de prestation compensatoire sous la forme d'un capital. Cela est parfaitement logique.

Neuf ans ! Neuf ans de procédure pour aboutir à la non-attribution d'une prestation compensatoire, alors qu'il n'était pas contesté que la rupture du mariage créait une disparité dans les conditions de vie respectives des époux. Si elle peut être déplorée en fait, la solution doit être approuvée en droit. Il faut espérer que ce résultat ne soit pas dû à la négligence du conseil de l'épouse, qui n'a pas formulé de demande subsidiaire, mais à l'obstination de cette dernière, qui voulait le bien immobilier, et rien d'autre... et n'a eu rien d'autre !

Deux épouses obstinées, deux situations opposées. Pour l'une, le divorce créait un déséquilibre, elle avait droit à une prestation compensatoire mais, parce qu'elle réclamait un bien précis, et seulement celui-ci, elle a fini, à force de décisions, par ne rien obtenir. L'affaire est close. Pour l'autre, le divorce ne créait pas un déséquilibre, elle réclamait une prestation compensatoire avec, surtout, le maintien d'une couverture sociale et, grâce à une précédente décision visant une convention bien rédigée, elle va peut-être l'obtenir...

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Expropriation

[Jurisprudence] Chronique de droit de l'expropriation - Septembre 2012

Lecture: 14 min

N3280BTN

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par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'IRENEE

Le 06 Septembre 2012

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de découvrir la deuxième chronique d'actualité de droit de l'expropriation rédigée par Pierre Tifine, Professeur à l'Université de Lorraine et directeur adjoint de l'Institut de recherches sur l'évolution de la Nation et de l'Etat (IRENEE). Elle traitera, tout d'abord, d'une décision aux termes de laquelle les Sages ont estimé que l'article L. 12-1 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L2904HL7), selon lequel le transfert de propriété des immeubles ou de droits réels immobiliers est opéré, à défaut d'accord amiable, par voie d'ordonnance du juge de l'expropriation, est conforme à la Constitution (Cons. const., décision n° 2012-247 QPC du 16 mai 2012). Dans la deuxième décision commentée, ils énoncent que les règles de droit commun relatives à la prise de possession à la suite d'une expropriation pour cause d'utilité publique sont contraires à la Constitution (Cons. const., décision n° 2012-226 QPC du 6 avril 2012). Enfin, dans un troisième arrêt, le Conseil constitutionnel déclare la procédure de fixation du montant de l'indemnité principale d'expropriation conforme à la Constitution (Cons. const., décision n° 2012-236 QPC, du 20 avril 2012).
  • La procédure de transfert de propriété est conforme à la Constitution (Cons. const., décision n° 2012-247 QPC du 16 mai 2012 N° Lexbase : A5086ILX)

Le transfert de propriété des immeubles expropriés fait l'objet soit d'un accord amiable, soit d'une ordonnance prononcée par le juge de l'expropriation, conformément aux dispositions de l'article L. 12-1 du Code de l'expropriation. Cet article précise que l'ordonnance "est rendue, sur le vu des pièces constatant que les formalités prescrites" dans le cadre de la phase administrative de la procédure ont été respectées. Plus précisément, selon l'article R. 12-1 du même code (N° Lexbase : L3079HLM), "dans un délai de quinze jours à compter de la réception du dossier complet au greffe de la juridiction, le juge saisi prononce, par ordonnance, l'expropriation des immeubles ou des droits réels déclarés cessibles au vu des pièces mentionnées à l'article R. 12-1". Ainsi, "le juge de l'expropriation qui, en matière de transfert de propriété, statue à la requête du préfet, rend son ordonnance au seul vu des pièces constatant que les formalités légales ont été accomplies, et sans que s'instaure devant lui un débat contradictoire" (1).

La conformité de ces dispositions aux normes constitutionnelles, et notamment à l'article 17 de la DDHC (N° Lexbase : L1364A9E), mais, également, à l'article 6 § 1 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR), est depuis longtemps débattue. Déjà, dans son rapport public pour l'année 2000, la Cour de cassation s'était demandée "si le caractère non contradictoire, à ce stade, de la procédure du transfert de propriété est conforme aux exigences de l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme" (2). Pourtant, statuant au contentieux, la troisième chambre civile a toujours refusé de considérer que les dispositions susvisées seraient inconstitutionnelles ou inconventionnelles (3), ce qui tient à deux raisons essentielles. Tout d'abord, l'ordonnance d'expropriation est rendue au visa d'une déclaration d'utilité publique et d'un arrêté de cessibilité, c'est-à-dire d'actes administratifs qui peuvent faire l'objet de recours contradictoires devant le juge administratif. Ensuite, la procédure devant le juge de l'expropriation fait l'objet d'un contrôle ultérieur de la Cour de cassation qui présente les garanties des articles 6 § 1 de la CESDH et 17 de la DDHC.

Plus récemment, la Cour de cassation a été saisie de cette question à deux reprises, dans le cadre de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité, ce qui a donné lieu à des arrêts du 26 mai (4) et du 15 décembre 2011 (5). Dans ces deux affaires, la Cour a considéré que les questions posées ne présentaient pas un caractère sérieux, au motif que "le juge de l'expropriation ne peut prononcer l'ordonnance portant transfert de propriété qu'au vu d'un arrêté portant déclaration d'utilité publique et d'un arrêté de cessibilité exécutoires et donc qu'après qu'une utilité publique ait été légalement constatée" et qu'il "doit seulement constater à ce stade, par une ordonnance susceptible d'un pourvoi en cassation, la régularité formelle de la procédure administrative contradictoire qui précède son intervention".

Pourtant, dans un autre arrêt du 15 mars 2012, la Cour de cassation a accepté de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le caractère non contradictoire de la procédure de transfert de propriété (6). Il ne s'agit pourtant pas d'un revirement, la Cour de cassation persistant à considérer que "les questions posées ne présentent pas un caractère sérieux, en ce que le juge de l'expropriation ne peut prononcer l'ordonnance portant transfert de propriété qu'au vu d'un arrêté portant déclaration d'utilité publique et d'un arrêté de cessibilité non susceptibles de recours suspensif et donc qu'après qu'une utilité publique ait été légalement constatée et en ce que la dépossession des biens expropriés ne peut être effective, sauf dans le cas d'extrême urgence, prévu par l'article L. 15-9 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L7735IMG), déclaré conforme à la Constitution, que dans les conditions prévues au chapitre III et à l'article L. 15-2 du même code". En revanche, la Cour considère que "la question qui vise le caractère non contradictoire de la procédure suivie devant le juge de l'expropriation, qui pourrait être considéré comme une atteinte au principe des droits de la défense et du procès équitable en contradiction avec l'article 16 de la Déclaration précitée, apparaît sérieuse".

Il faut ici rappeler que l'article 16 de la DDHC précise que "toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution". Cet article recouvre les principaux aspects du droit à un procès équitable : droit d'exercer un recours juridictionnel (7), droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction protégée par la Constitution (8), droit d'accès au juge et droits de la défense (9). En somme la question, qui se pose est de savoir si le juge de l'expropriation peut statuer, au vu du seul dossier qui lui est transmis, sans que les personnes expropriées n'aient été mises à même de présenter leurs observations devant lui.

Dans sa décision du 16 mai 2012, le Conseil constitutionnel considère que l'article L. 12-1 du Code de l'expropriation est conforme à l'article 16 de la DDHC. Curieusement, alors que cette question ne lui était pas posée par la Cour de cassation, il considère que ces dispositions sont également conformes à l'article 17 de la DDHC. Pour ce faire, le Conseil, qui s'inspire visiblement de la jurisprudence de la Cour de cassation, refuse d'envisager isolément la procédure de transfert de propriété, pour la replacer dans le cadre général de la procédure d'expropriation. Les différentes garanties dont bénéficient les personnes expropriées tout au long de cette procédure sont rappelées : l'existence d'une déclaration d'utilité publique et d'un arrêté de cessibilité qui peuvent contestés devant la juridiction administrative ; les pouvoirs limités du juge de l'expropriation lorsqu'il prononce le transfert de propriété et l'existence d'un recours en cassation contre l'ordonnance rendue ; l'existence d'une procédure contradictoire et de voies de recours contre le jugement fixant les indemnités.

L'analyse est somme toute classique, et la solution rendue n'a pas de quoi surprendre. Il n'est toutefois pas sûr que la Cour européenne des droits de l'Homme, si elle devait être saisie d'une contestation posant la question de la conformité de l'article L. 12-1 du Code de l'expropriation, conclurait au respect, par ces dispositions, des règles du procès équitable de l'article 6 § 1 de la Convention. Tout dépendrait probablement de la façon dont serait appréhendée la procédure de transfert de propriété : comme une composante d'une procédure d'expropriation qui respecte dans son ensemble le principe du contradictoire, toutes ses phases étant étroitement imbriquées les unes aux autres, ou comme un objet considéré isolément, l'absence de respect du principe susvisé pouvant alors être considéré comme une violation des règles du procès équitable.

Saisi le 16 janvier 2012, par la Cour de cassation, d'une question prioritaire de constitutionnalité (10), le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions des articles L. 15-1 et L. 15-2 du Code de l'expropriation, qui déterminent les règles de droit commun relatives à la prise de possession des biens, sont contraires à l'article 17 de la DDHC. La décision est importante, puisque c'est la première rendue par le Conseil constitutionnel dans le cadre de la procédure susvisée qui conclut à l'inconstitutionnalité de dispositions du Code de l'expropriation.

L'article L. 15-1 permet au bénéficiaire de l'expropriation de prendre possession des biens dans le délai d'un mois soit du paiement ou de la consignation de l'indemnité, soit de l'acceptation ou de la validation de l'offre d'un local de remplacement. L'article L. 15-2 précise, quant à lui, que, lorsque le jugement fixant les indemnités d'expropriation est frappé d'appel, l'expropriant peut prendre possession des biens moyennant le versement d'une indemnité au moins égale aux propositions qu'il a faites et consignation du surplus de celle fixée par le juge. Il est à noter qu'avant l'intervention du décret n° 2005-467 du 13 mai 2005, portant modification du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique (N° Lexbase : L4622G8P), l'article L. 15-2 précisait que cet appel n'était pas suspensif. Cette disposition a été abrogée par le décret et n'a pas été remplacée, ce qui conduit désormais à appliquer en la matière les règles de droit commun de l'article 539 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6689H7U) en vertu duquel l'appel a un caractère suspensif.

Il n'en demeure pas moins, cependant, qu'en application des articles L. 15-1 et L. 15-2, l'expropriant a la possibilité de prendre possession des biens sans payer d'indemnité, à condition de la consigner. Ces dispositions posent une difficulté au regard de l'article 17 de la DDHC, dont il résulte que "la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité". Plus précisément, il s'agit de déterminer si la possibilité ouverte à l'expropriant de consigner l'indemnité répond à l'exigence constitutionnelle d'une "juste et préalable indemnité". En outre, les requérants soutiennent qu'en avantageant, en cas d'appel, la collectivité expropriante, l'article L. 15-2 du Code de l'expropriation méconnaîtrait également ses articles 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 16 de la Déclaration de 1789 qui impliquent qu'une procédure doit être juste et équitable et garantir l'équilibre des droits des parties.

En l'espèce, le Conseil constitutionnel reprend mot pour mot le considérant de principe de sa décision "Loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles" du 25 juillet 1989 (11), précisant la portée des dispositions de l'article 17 de la DDHC : "afin de se conformer à ces exigences constitutionnelles, la loi ne peut autoriser l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation d'une opération dont l'utilité publique a été légalement constatée [...] la prise de possession par l'expropriant doit être subordonnée au versement préalable d'une indemnité [...] pour être juste, l'indemnisation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation [...] en cas de désaccord sur la fixation du montant de l'indemnité, l'exproprié doit disposer d'une voie de recours appropriée". C'est sur le fondement de cette interprétation que le Conseil constitutionnel a encore récemment considéré que la non-indemnisation du préjudice moral subi par les personnes évincées (12), les modalités de calcul de l'indemnité principale définies par l'article L. 13-17 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L2942HLK) (13), ainsi que le caractère non contradictoire de la procédure (14), sont conformes à l'article 17 de la DDHC.

S'agissant plus précisément du versement de l'indemnité, le Conseil constitutionnel avait déjà eu l'occasion de juger, dans la décision du 25 juillet 1989 susvisée, que, dans le cadre du dispositif organisé par l'article L. 15-9 du Code de l'expropriation (N° Lexbase : L7735IMG), qui prévoit une procédure d'extrême urgence permettant une prise de possession rapide, "l'octroi par la collectivité expropriante d'une provision représentative de l'indemnité due n'est pas incompatible avec le respect [des exigences constitutionnelles] si un tel mécanisme répond à des motifs impérieux d'intérêt général et est assorti de la garantie des droits des propriétaires intéressés", ce qui est le cas pour cette procédure. Le même raisonnement a ensuite été appliqué par une décision du 17 septembre 2010 concernant le régime spécial d'expropriation pour la résorption de l'habitat insalubre qui prévoit également l'octroi par la collectivité expropriante d'une provision représentative de l'indemnité due.

Il est utile de rappeler, cependant, que la procédure d'expropriation d'extrême urgence, ainsi que celle visant à résorber l'habitat insalubre, n'ont vocation à s'appliquer que dans des hypothèses exceptionnelles. C'est évidemment le cas de l'application de la loi sur la résorption de l'habitat insalubre (loi n° 70-612 du 10 juillet 1970 N° Lexbase : L2048A4M) et, s'agissant de la procédure d'extrême urgence, il faut relever qu'elle peut être mise en oeuvre "en vue de la réalisation de grands ouvrages publics d'intérêt national" dans le seul cas "de difficultés tenant à la prise de possession d'un ou plusieurs terrains non bâtis situés dans les emprises de l'ouvrage". Ainsi, au regard des deux décisions susvisées qui concernent, rappelons-le, des procédures dérogatoires du droit commun, l'octroi d'une provision représentative de l'indemnité due n'est pas incompatible avec le respect des exigences découlant de l'article 17 de la DDHC, à condition, toutefois, que ce mécanisme réponde à des motifs impérieux d'intérêt général et soit assorti de la garantie des droits des propriétaires intéressés.

En l'espèce, le Conseil constitutionnel considère que, "si le législateur peut déterminer les circonstances particulières dans lesquelles la consignation vaut paiement au regard des exigences de l'article 17 de la Déclaration de 1789, ces exigences doivent, en principe, conduire au versement de l'indemnité au jour de la dépossession". Dès lors, les dispositions de l'article L. 15-1 du Code de l'expropriation relatives à la consignation de l'indemnité, méconnaissent l'exigence selon laquelle nul ne peut être privé de sa propriété que sous la condition d'une juste et préalable indemnité. Cette déclaration d'inconstitutionnalité n'implique pas nécessairement, cependant, que le futur article L. 15-1 devra exclure toute possibilité de consigner l'indemnité : il s'agira de préciser dans quelles circonstances particulières la consignation peut valoir paiement.

De la même façon, en cas d'appel contre l'ordonnance fixant l'indemnité, les dispositions attaquées prévoient que, "quelles que soient les circonstances", l'expropriant peut prendre possession des biens expropriés "moyennant le versement d'une indemnité égale aux propositions qu'il a faites et inférieure à celle fixée par le juge de première instance et consignation du surplus". S'il peut être admis, dans des hypothèses précisément circonscrites -procédure d'extrême urgence, expropriation en vue de la résorption de l'habitat insalubre- que la consignation de l'indemnité permet la prise de possession, c'est la généralité du principe défini par les articles L. 15-1 et L. 15-2 qui conduit le Conseil constitutionnel à conclure à leur inconstitutionnalité au regard du principe selon lequel les personnes expropriées ont le droit à une "juste et préalable indemnité". Il est à noter, toutefois, que, conformément aux dispositions de l'article 62 de la Constitution , les juges décident, eu égard aux conséquences manifestement excessives qu'aurait une abrogation immédiate des dispositions susvisées, de reporter au 1er juillet 2013 la date de cette abrogation. Il appartiendra d'ici là au législateur de modifier ces textes pour les rendre conformes à la Constitution.

  • Les dispositions de l'article L. 13-17 de la Constitution relatives à la fixation de l'indemnité principale d'expropriation sont conformes à l'article 17 de la DDHC (Cons. const., décision n° 2012-236 QPC, du 20 avril 2012 N° Lexbase : A1146IKN)

Par une décision du 10 février 2012 (16), la Cour de cassation a saisi le Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité à l'article 17 de la DDHC de l'article L. 13-17 du Code de l'expropriation. Selon cet article, le montant de l'indemnité principale, fixée par le juge de l'expropriation, ne peut excéder l'estimation faite par le service des domaines lorsqu'une mutation à titre gratuit ou onéreux a donné lieu soit à une évaluation administrative rendue définitive en vertu des lois fiscales, soit à une déclaration d'un montant inférieur à cette estimation. Toutefois, cette estimation ne s'impose au juge de l'expropriation que lorsque la mutation est intervenue moins de cinq ans avant la date de la décision portant transfert de propriété. Elle ne lie pas davantage le juge si l'exproprié démontre que des modifications survenues dans leur consistance matérielle ou juridique, leur état ou leur situation d'occupation ont conféré à ses biens expropriés une plus-value. Dans sa décision du 20 avril 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution, tout en formulant une réserve d'interprétation.

L'objectif recherché par les dispositions de l'article L. 13-17 est de dissuader les propriétaires qui auraient sous-estimé leurs biens dans le cadre de leurs déclarations fiscales ou dans des actes de mutation, de les surestimer ensuite dans le cas où ils feraient l'objet d'une procédure d'expropriation. La question qui se posait en l'espèce était celle de la conformité de l'article L. 13-17 au principe visé par l'article 17 de la DDHC selon lequel toute personne expropriée a le droit à une "juste et préalable indemnité". Si, dans sa décision du 6 avril 2012 susvisée, la question posée par le mécanisme de consignation se posait sous l'angle du caractère "préalable" de l'indemnité, c'est le caractère "juste" de celle-ci qui est en cause dans la décision commentée. La requérante soutenait, par ailleurs, que les dispositions susvisées méconnaissaient, également, les principes de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire.

Le Conseil constitutionnel, après avoir relevé que l'estimation des services fiscaux ne s'impose pas automatiquement au juge de l'expropriation, considère que le législateur a "poursuivi un but de lutte contre la fraude fiscale qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle". Cette solution n'est pas inédite, le Conseil considérant, depuis sa décision "loi de finances pour 2000" du 29 décembre 1999 (17), qu'un tel objectif découle nécessairement de l'article 13 de la DDHC (N° Lexbase : L1360A9A). Cet objectif avait, d'ailleurs, été récemment visé dans une décision rendue dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité (18).

Cependant, si le Conseil constitutionnel valide le mécanisme de l'article L. 13-17, et, par conséquent, le principe selon lequel, sauf exception, l'estimation des services fiscaux s'impose au juge de l'expropriation, il définit une réserve d'interprétation. Il considère, en effet, que "les dispositions contestées ne sauraient, sans porter atteinte aux exigences de l'article 17 de la Déclaration de 1789, avoir pour effet de priver l'intéressé de faire la preuve que l'estimation de l'administration ne prend pas correctement en compte l'évolution du marché de l'immobilier".

En d'autres termes, nonobstant les dispositions de l'article L. 13-17, lorsqu'il fixe l'indemnité principale d'expropriation, le juge de l'expropriation devra prendre en compte l'évolution du marché alléguée par l'exproprié, dans les cas où il serait démontré que l'estimation du service des domaines serait sans rapport avec cette évolution. De cette façon, le Conseil constitutionnel veut éviter qu'un mécanisme imaginé pour lutter contre la fraude n'aboutisse à léser les personnes expropriées. La solution retenue permet, également, de rejeter implicitement le moyen soulevé par la requérante tenant à une violation des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire : compte tenu de la réserve d'interprétation introduite par le Conseil constitutionnel, il n'existe plus d'hypothèse où l'autorité expropriante est nécessairement tenue de ne pas dépasser l'évaluation faite par les services fiscaux. Dès lors que le juge de l'expropriation n'est pas privé de tout pouvoir d'appréciation, et qu'il n'est donc pas amputé, du fait de l'application des textes, d'une partie de sa compétence, il ne saurait y avoir atteinte à la séparation des pouvoirs et à l'indépendance de l'autorité judiciaire.


(1) Cass. civ. 3, 11 mars 1971, n° 70-70.087 (N° Lexbase : A0147CHW), Bull. civ. III, 1971, n° 131.
(2) Rapport public annuel de la Cour de cassation 2000, Etudes sur le thème de la protection de la personne, Doc. fr., 2001.
(3) Cass. civ. 3, 12 décembre 2001, n° 99-70.128 et n° 99-70.145, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A6233AX7), Bull. civ. III, 2001, n° 152, AJDI, 2002, p. 144, obs. R. Hostiou, D. 2002, inf. rap., p. 255, JCP éd. G, 2002, IV, 1164, Gaz. Pal., 31 mai-1er juin 2002, p. 13, note S. Petit ; Cass. civ. 3, 29 mai 2002, n° 01-70.175, FS-P+B (N° Lexbase : A7937AYM), Bull. civ. III, 2002, n° 117, AJDI, 2002, p. 702, note R. Hostiou, RD imm., 2002, p. 375, obs. C. Morel ; Cass. civ. 3, 6 juin 2012, n° 11-16.947, FS-D (N° Lexbase : A3883IN7).
(4) Cass. QPC, 26 mai 2011, n° 10-25.923, FS-P+B (N° Lexbase : A8841HSA), AJDA, 2011, p. 1504, note Hostiou, RD imm., 2011, p. 357.
(5) Cass. QPC, 15 décembre 2011, n° 11-40.075, FS-P+B (N° Lexbase : A9045H8I), AJDA, 2012, p. 509.
(6) Cons. const., décision n° 2012-247 QPC du 16 mai 2012 (N° Lexbase : A5086ILX), AJDA, 2012, p. 575, RD imm., 2012, p. 246.
(7) CE 1° et 4° s-s-r., 29 juillet 1998, n° 188715, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8092ASI), Rec. p. 313, AJDA, 1998, p. 1010, concl. Schwartz.
(8) CE 4° et 6° s-s-r, 17 décembre 2003, n° 258253, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1724IRB).
(9) CE 1° et 6° s-s-r., 8 juillet 2009, n° 317423, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7142EID).
(10) Cass. QPC, 16 janvier 2012, n° 11-40.085, FS-P+B (N° Lexbase : A1516IBR).
(11) Cons. const., décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989 (N° Lexbase : A8198ACM).
(12) Cons. const., décision n° 2010-87 QPC, du 21 janvier 2011 (N° Lexbase : A1520GQD).
(13) Cons. const., décision n° 2012-236 QPC, du 20 avril 2012 (N° Lexbase : A1146IKN).
(14) Cons. const., décision n° 2012-247 QPC, du 16 mai 2012 (N° Lexbase : A5086ILX).
(15) Cons. const., décision n° 2010-26 QPC du 17 septembre 2010 (N° Lexbase : A4758E94).
(16) Cass. QPC, 10 février 2012, n° 11-40.096, FS-P+B (N° Lexbase : A1146IKN).
(17) Cons. const., décision n°99-424 DC, du 29 décembre 1999 (N° Lexbase : A8787ACG).
(18) Cons. const., décision n° 2011-165 QPC du 16 septembre 2011 (N° Lexbase : A7449HX8).

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Fiscalité internationale

[Jurisprudence] L'arrêt de la CJUE du 5 juillet 2012 menace les mécanismes de lutte contre l'évasion fiscale articulés autour de l'article 238 A du CGI

Réf. : CJUE, 5 juillet 2012, aff. C-318/10 (N° Lexbase : A3542IQA)

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par Thibaut Massart, Professeur à l'Université Paris-Dauphine, Directeur du Master Fiscalité de l'entreprise, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 05 Septembre 2012

La lutte contre les paradis fiscaux (lire Th. Lambert (sous la dir.), La fin des paradis fiscaux ?, Montchrestien, coll. Grands colloques, 2011) est souvent l'occasion de vérifier le proverbe selon lequel l'enfer est pavé de bonnes intentions. L'arrêt du 5 juillet 2012 de la Cour de justice de l'Union européenne nous en fournit une illustration éclatante. Même si l'affaire concerne la loi fiscale belge, cette décision est d'une très grande portée, car elle intéresse en réalité tous les Etats, dont la France, qui ont prévu des mécanismes de lutte contre l'évasion fiscale lorsque le contribuable fait appel aux services d'un prestataire non résident situé dans un pays à fiscalité privilégiée. Dans cette situation, il est effectivement à redouter que le contribuable rémunère des prestations fictives ou rémunère anormalement des prestations réelles qui, présentées comme frais professionnels, seraient susceptibles comme tels d'être déduits du montant de l'impôt sur le revenu. Pour parer ce risque, certains pays ont donc choisi d'instaurer une sorte de présomption générale de fraude, sans même exiger des liens de dépendances entre le prestataire et le bénéficiaire. La déductibilité de la dépense est alors subordonnée à la démonstration, par le contribuable, du caractère réel, voire également sincère, de la prestation, ainsi que du caractère normal de la rémunération y afférente. Une telle règle apparaît à l'article 238 A du CGI français (N° Lexbase : L3230IGQ). Cette disposition est d'autant plus centrale dans la répression de l'évasion fiscale internationale qu'elle définit la notion de pays à fiscalité privilégiée, et sert ainsi de pivot à de nombreuses autres règles. On songe par exemple aux articles 209 B (soumission à l'IS des résultats bénéficiaires réalisés par l'intermédiaire de sociétés implantées dans des pays à fiscalité privilégiée ; N° Lexbase : L9422IT7), 155 A (sommes versées à l'étranger en rémunération de certains services ; N° Lexbase : L2518HLT), 123 bis (imposition en France des revenus non distribués à une personne physique par une entité étrangère soumise à un régime fiscal privilégié ; N° Lexbase : L3247IGD) ou encore 57 du CGI (prix de transfert ; N° Lexbase : L3365IGQ). L'article 238 A a pour cousin belge l'article 54 du Code des impôts sur les revenus de 1992 (CIR de 1992). Or, cet article de la loi fiscale belge fait l'objet, dans la présente décision, de critiques sévères de la part de la CJUE. L'étude de cet arrêt est, par conséquent, nécessaire pour apprécier si l'ire de la jurisprudence européenne pourrait s'abattre sur la loi française. Cette analyse est d'autant plus importante que la compatibilité de l'article 238 A avec les principes généraux du droit de l'Union européenne a déjà été mise en doute (Obligations en matière de charge de la preuve découlant de l'article 238 A du CGI : atteinte au droit communautaire et à la Conv. EDH (non), note sous CAA Lyon, 2ème ch., 7 mai 2008, n° 05LY00646, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3111D94, concl. G. Gimenez, Dr. fisc., n° 41, 2008, comm. 536) et que la plupart des dispositions fiscales qui se réfèrent à l'article 238 A font actuellement l'objet d'attaques violentes sur ce terrain (Ch. de la Mardière, L'article 155 A du CGI dans la mesure où il institue une présomption irréfragable d'évasion fiscale est-il compatible avec le principe communautaire de liberté d'établissement ?, Note sous CAA Douai, 14 décembre 2010, n° 08DA01103, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9081GQE, Dr. fisc., 2011, n° 4, comm. 132 ; P. Minne, Incompatibilité de l'article 155 A du CGI avec le droit communautaire, Concl. sur CAA Douai, 14 décembre 2010, n° 08DA01103, mentionné aux tables du recueil Lebon, Dr. fisc., 2011, n° 4, comm. 133 ; BDCF, 4/2011, n° 39 ; P. Monnier, Article 155 A du CGI : incompatibilité avec le droit de l'UE ?, Concl. sur CAA Lyon, 5ème ch., 23 novembre 2010, n° 09LY01539, inédit au recueil Lebon ; Dr. fisc., 2011, n° 4, comm. 132, note Ch. de la Mardière ; Ch. de la Mardière, Compatibilité de l'article 155 A du CGI avec le droit de l'Union européenne (oui en l'espèce), note sous CAA Paris, 2ème ch., 1er décembre 2011, n° 09PA02693, M. Mahul, concl. Y. Egloff, Droit fiscal, n° 7, 2012, comm. 148 ; Incompatibilité de l'article 155 A du CGI avec le droit de l'Union européenne, Dr. fisc., n° 25, 2011, instr. 14473 ; F. Dieu, Le réalisme économique du juge de l'impôt à propos des notions de régime fiscal privilégié et de montage purement artificiel, note sous CAA Paris, 9ème ch., 18 décembre 2008, n° 06PA03136, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6609ECR, Dr. fisc., n° 29, 2009, comm. 425 ; Incompatibilité de l'article 123 bis du CGI avec le droit communautaire, note CAA Nancy, 1ère ch., 22 août 2008, n° 07NC00783, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A1227EAP, concl. Mme M.-P. Steinmetz-Schies, Dr. fisc., n° 41, 2008, comm. 535).

Dans cette affaire, une société de droit belge avait constitué en 1991 une filiale commune avec un groupe nigérian pour l'exploitation de palmeraies en vue de la production d'huile de palme. La société tête du groupe nigérian était une société holding luxembourgeoise régie par la loi du 31 juillet 1929, relative au régime fiscal des sociétés de participations financières (Soparfi). La société belge avait convenu avec le groupe nigérian de fournir des services rémunérés, de vendre des équipements à la filiale commune et de rétrocéder une partie du bénéfice qu'elle tirerait de celle-ci, à titre de commission d'apport d'affaires, à la société luxembourgeoise. Comme la Soparfi n'était pas assujettie à un impôt analogue à l'impôt sur les revenus des sociétés applicable en Belgique, l'administration fiscale belge avait fait application de l'article 54 du CIR 1992 et n'avait pas admis la déduction des sommes versées à cette société au titre des frais professionnels.

A la suite du recours introduit par la société belge contre la décision de l'administration fiscale, le tribunal de première instance de Bruxelles, puis la cour d'appel de Bruxelles, ont confirmé la position de cette administration. Saisie d'un pourvoi, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE une question préjudicielle sur la compatibilité de l'article 54 du CIR 1992 avec la liberté de prestation de services visée à l'article 49 du Traité instituant la Communauté européenne (TFUE, art. 56 N° Lexbase : L2705IPU).

Rappelons que l'alinéa 1er de l'article 49 indique que "les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté sont interdites à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un pays de la Communauté autre que celui du destinataire de la prestation". L'alinéa 1er de l'article 49 est devenu l'alinéa 1er de l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (N° Lexbase : L2705IPU), sans changement rédactionnel. De manière constante, cette disposition est interprétée comme interdisant aux Etats membres de prendre des mesures restreignant la libre prestation des services, sauf si cette restriction poursuit un objectif légitime compatible avec le Traité CE et se justifie par des raisons impérieuses d'intérêt général, pour autant, en pareil cas, qu'elle soit propre à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et qu'elle n'aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre (voir, notamment, CJUE, 5 juin 1997, aff. C-398/95 N° Lexbase : A0323AWU, Rec. p. I-3091, point 21 ; et CJUE, 18 décembre 2007, aff. C-341/05 N° Lexbase : A1122D3X, Rec. p. I 11767, point 101).

Dans la présente affaire, la Cour de justice de l'Union européenne a, par conséquent, cherché à déterminer, d'une part, si la législation fiscale belge comportait une restriction à la libre prestation de services, d'autre part, si une telle restriction pouvait éventuellement être justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général, et enfin si cette restriction paraissait proportionnée au regard de l'objectif poursuivi. L'article 54 du CIR de 1992 échoue son examen de passage à la dernière étape du raisonnement. Pour la Haute cour, l'article 54 du CIR de 1992 ne satisfait pas aux exigences de la sécurité juridique qui imposent que "les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu'elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables" (voir, en ce sens, CJUE, 7 juin 2005, aff. C-17/03 N° Lexbase : A5588DIS, Rec. p. I 4983, point 80, ainsi que CJUE, 16 février 2012, C-72/10 et C 77/10 N° Lexbase : A5819ICI, point 74). Or, la loi belge s'applique lorsque le prestataire est établi dans un pays dont le régime de taxation est "notablement plus avantageux" que le régime belge, mais sans préciser, dans la loi ou dans la doctrine administrative, les critères permettant de déterminer ce qu'il faut entendre par régime fiscal "notablement plus avantageux".

Il ressort de cette décision que si, pour lutter contre l'évasion fiscale, un Etat membre peut parfaitement élaborer une présomption de fraude lorsque contribuable fait appel à un prestataire situé dans un pays à fiscalité privilégiée, c'est à la condition de ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi.

I - Une présomption de fraude fiscale peut légitimement constituer une restriction à la libre prestation de services

La CJUE indique très explicitement que les Etats membres sont, par principe, habilités à élaborer des règles de preuve en matière fiscale, en particulier des présomptions de fraudes, lorsque le contribuable fait appel à un prestataire situé dans un pays à fiscalité privilégiée. Même si le renversement de la charge de la preuve ainsi instauré constitue incontestablement une restriction à la libre prestation de services, plusieurs raisons impérieuses d'intérêt général sont susceptibles de justifier une telle restriction.

A - Une présomption de fraude fiscale peut constituer une restriction à la libre prestation de services

Comme le souligne l'arrêt de la Haute cour, la législation belge comporte une règle générale assortie d'une règle spéciale.

Selon la règle générale, prévue à l'article 49 du CIR de 1992, les frais professionnels sont déductibles s'ils sont nécessaires pour acquérir ou conserver les revenus imposables et si le contribuable en démontre la réalité et le montant. Cette règle instaure un principe de déductibilité des frais professionnels, même s'elle impose au contribuable de justifier "la réalité et le montant au moyen de documents probants ou, quand cela n'est pas possible, par tous autres moyens de preuve admis par le droit commun, sauf le serment".

La règle spéciale de l'article 54 du CIR 1992 institue le principe inverse, en posant que les rémunérations de prestations ou de services ne sont pas considérées comme des frais professionnels déductibles lorsqu'elles sont payées à des prestataires étrangers, qui, "en vertu des dispositions de la législation du pays où ils sont établis, n'y sont pas soumis à un impôt sur les revenus ou y sont soumis, pour les revenus de l'espèce, à un régime de taxation notablement plus avantageux que celui auquel ces revenus sont soumis en Belgique". Cette non-déductibilité de principe équivaut à une sorte de présomption de fraude que le contribuable peut, fort heureusement, combattre en justifiant "par toutes voies de droit que [ces frais] répondent à des opérations réelles et sincères et qu'ils ne dépassent pas les limites normales".

Les règles ne sont donc pas les mêmes selon que le contribuable fait appel aux services d'un prestataire domestique ou d'un prestataire étranger soumis à un régime de taxation notablement plus avantageux. Si la déductibilité des frais est possible dans les deux cas, les règles de preuve sont plus sévères lorsque le contribuable a recours à un prestataire étranger bénéficiant d'une fiscalité notablement plus avantageuse. Cette rigueur transparaît notamment du commentaire du Code des impôts, qui précise qu'il s'agit d'"emporter la conviction raisonnable du fonctionnaire taxateur au sujet de la réalité et de la sincérité des opérations ayant donné lieu aux dépenses visées par la loi" (voir numéro 54/29 du commentaire du Code des impôts sur les revenus 1992). Comme le soulignent les conclusions de l'Avocat général (point n° 35), un large espace de discrétionnarité est laissé à l'administration.

Une telle discrimination constitue bien une restriction à la libre prestation de services, puisqu'elle invite les contribuables belges à ne pas recourir aux services fournis par des personnes établies dans des Etats membres à la fiscalité notablement plus avantageuse que la fiscalité du Royaume de Belgique. Or, selon une jurisprudence constante, l'article 49 TCE confère des droits non seulement au prestataire de services lui-même, mais également au destinataire desdits services (voir, notamment, CJUE, 31 janvier 1984, aff. C-286/82 et 286/83 N° Lexbase : A8612AUI, Rec. p. 377 ; CJUE, 26 octobre 1999, aff. C-294/97 N° Lexbase : A0526AWE, Rec. p. I-7447, point 34 ; aff. C-290/04, précité, point 32, ainsi que CJUE, 1er juillet 2010, aff. C-233/09 N° Lexbase : A5668E3C, non encore publié au Recueil, point 24). Les contribuables belges qui exercent dans ces conditions leur droit à la libre prestation de services passive se trouvent donc dans une situation moins avantageuse que les contribuables n'ayant pas fait usage de cette liberté et ayant cantonné leur activité sur le territoire de l'Etat membre d'imposition. La législation belge en cause est donc dissuasive à leur égard (point 28 de l'arrêt). Comme le souligne l'Avocat général (point n° 40 des conclusions), elle est également de nature à entraver l'offre de services émanant de personnes établies dans les Etats membres dont la fiscalité est plus avantageuse qu'en Belgique à destination des contribuables résidant dans ce dernier Etat membre (en ce sens, arrêt CJUE, 20 mai 2010, aff. C 56/09 N° Lexbase : A4824EXX, Rec. p. I-4517, point 41).

Force est d'admettre que la législation française pourrait souffrir les mêmes critiques.

L'article 39-1 du CGI (N° Lexbase : L3894IAH) établit un principe général de déductibilité des charges, mais uniquement "dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu". Ces charges doivent être régulièrement comptabilisées et appuyées de justifications, les factures constituant les justifications les plus courantes.

L'article 238 A du CGI instaure un régime spécial pour "les intérêts, arrérages et autres produits des obligations, créances, [...] ou les rémunérations de services, payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France et y sont soumises à un régime fiscal privilégié". Ces dépenses ne sont admises comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt, sauf si "le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré".

Le fardeau de la preuve a même été alourdi avec la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009, de finances rectificative pour 2009 (N° Lexbase : L1817IGE), qui crée une nouvelle règle spéciale lorsque le prestataire est établi dans un Etat ou territoire non coopératif au sens de l'article 238-0 A (N° Lexbase : L3333IGK). Dans cette situation, le débiteur doit apporter la preuve, comme pour toutes les prestations émanant de pays à fiscalité privilégiée, que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré. Mais, en plus, il doit démontrer que "les opérations auxquelles correspondent les dépenses ont principalement un objet et un effet autres que de permettre la localisation de ces dépenses dans un Etat ou territoire non coopératif". Cette règle particulière ne semble pourtant pas heurter l'article 49 TCE, car les Etats membres de l'Union européenne ne peuvent être considérés, selon l'article 238-0 A du CGI, comme des Etats non coopératifs.

Il n'en reste pas moins que la règle spéciale posée par l'article 238 A du CGI instaure bien une restriction à la libre prestation de services puisque cette mesure concerne tous les pays à fiscalité privilégiée, membres ou non membres de l'Union.

Néanmoins, cette entrave n'est condamnable que si elle ne peut être justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général. Or, plusieurs raisons peuvent être invoquées par le législateur.

B - Les raisons impérieuses d'intérêt général justifiant une telle restriction

Comme il n'existe pas de définition de la "raison impérieuse d'intérêt général", l'imagination des Etats membres est souvent fertile pour justifier d'éventuelles restrictions. Toutefois, dans la présente affaire, les raisons invoquées étaient des plus classiques. L'Etat belge sollicitait deux raisons impérieuses d'intérêt général pour défendre l'article 54 du CIR 1992. Mais, pressentant peut-être qu'une telle décision risquait d'impacter sa propre législation, le Gouvernement français avait également présenté des observations qui ajoutaient une troisième justification.

En premier lieu, les Gouvernements belge et français invoquaient la préservation de la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition entre les Etats membres. Une telle justification a déjà été admise par la CJUE lorsque la restriction vise à prévenir des comportements de nature à compromettre le droit d'un Etat membre d'exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire (voir arrêt du 21 janvier 2010, aff. C 311/08 N° Lexbase : A4534EQY, Rec. p. I 487, point 60). Dans la présente espèce, la Cour reçoit l'argument alors même que l'Avocat général estimait que la justification tirée de la répartition équilibrée du pouvoir d'imposition devait être écartée. En effet, selon l'Avocat général, le mécanisme de l'article 54 du CIR 1993 n'opère pas de répartition du pouvoir de taxation des Etats membres concernés sur les bénéfices correspondant auxdites rémunérations puisque cette disposition ne vise que les contribuables belges et n'a d'autre finalité que s'assurer que les déductions de l'impôt sur leurs revenus sont justifiées. Cette position rejoint celle du commissaire du Gouvernement, Gilles Gimenez, qui indiquait devant la cour administrative d'appel de Lyon en 2008, pour admettre la compatibilité de l'article 238 A avec la liberté de prestation de services, "les dispositions de l'article 238 A du CGI, afférentes à des justifications de charges, n'ont ni pour objet, ni pour effet, d'instituer une différence d'imposition entre deux Etats membres, mais seulement, dans le but de prévenir le risque d'évasion fiscale et comme il a été déjà dit, d'imposer aux entreprises qui versent des sommes à des entreprises étrangères de justifier de la réalité, en l'espèce, des prestations de services dont les premières ont été bénéficiaires, et du caractère normal ou non exagéré des dépenses y afférentes" (CAA Lyon, 2ème ch., 7 mai 2008, n° 05LY00646, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3111D94, concl. G. Gimenez, Dr. Fisc. n° 41, 2008, comm. 536).

Néanmoins, la Cour estime que l'article 54 du CIR 1992 vise "à faire obstacle aux comportements qui consistent à diminuer la base imposable des contribuables résidents en rémunérant des prestations de services inexistantes dans le seul but d'éluder l'impôt normalement dû sur les bénéfices générés par des activités réalisées sur le territoire national" et qu'en conséquence ces comportements "sont de nature à compromettre le droit d'un Etat membre d'exercer sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées par les contribuables résidents sur son territoire et à porter atteinte à la répartition équilibrée des pouvoirs d'imposition entre les Etats membres".

En deuxième lieu, le Gouvernement français, au secours de la position belge, estimait que cette dernière était également justifiée par la nécessité de garantir l'efficacité des contrôles fiscaux. La Cour a effectivement déjà reconnu que la nécessité de garantir l'efficacité des contrôles fiscaux constitue une raison impérieuse d'intérêt général susceptible de justifier une restriction à l'exercice des libertés fondamentales garanties par le Traité (voir, en ce sens, CJUE, 20 février 1979, aff. C-120/78 N° Lexbase : A5743AUA, Rec. p. 649, point 8 ; CJUE, 15 mai 1997, aff. C-250/95 N° Lexbase : A0119AWC, Rec. p. I 2471, point 31 ; CJUE, 14 septembre 2006, aff. C-386/04 N° Lexbase : A9708DQM, Rec. p. I 8203, point 47 ; CJUE, 1er juillet 2010, aff. C-233/09, n° 58). De manière plus précise, il est admis que, "dans le but d'assurer l'efficacité des contrôles fiscaux, lesquels visent à lutter contre la fraude fiscale, un Etat membre est autorisé à appliquer des mesures qui permettent la vérification, de façon claire et précise, du montant des frais déductibles dans cet Etat au titre des frais professionnels" (voir, en ce sens, CJUE, 8 juillet 1999, aff. C-254/97 N° Lexbase : A0511AWT, Rec. p. I 4809, point 18 ; CJUE, 10 mars 2005, aff. C-39/04 N° Lexbase : A2728DHI, Rec. p. I 2057, point 24, et CJUE, 13 mars 2008, C-248/06 N° Lexbase : A3762D7H, point 34). Or, l'article 54 du CIR de 1992 a bien pour objectif de permettre à l'administration fiscale belge de vérifier de manière efficace la réalité et la sincérité des opérations effectuées, ainsi que le caractère normal des dépenses exposées.

En troisième et dernier lieu, les Gouvernements belge et français déclarèrent que la restriction à la libre prestation de services était justifiée par des raisons tenant à la nécessité de lutter contre l'évasion fiscale. La lutte contre la fraude fait effectivement partie des justifications classiques reconnues comme telles par la jurisprudence de la Cour de justice (Voir, notamment, CJUE, 20 février 1979, aff. C-120/78, Rec. p. 649, point 8 ; CJUE, 15 mai 1997, aff. C-250/95, Rec. p. I 2471, point 31 ; CJUE, 8 juillet 1999, aff. C-254/97, Rec. p. I 4809, point 18 ; CJUE, 10 mars 2005, aff. C-39/04, Rec. p. I 2057, point 24 ; CJUE, 14 septembre 2006, aff. C-386/04, Rec. p. I 8203, point 47 ; CJUE, 26 octobre 2010, aff. C-97/09 N° Lexbase : A5145GCK, non encore publié au Recueil, point 57, ainsi que CJUE, 30 juin 2011, aff. C-262/09 N° Lexbase : A5566HUP, non encore publié au Recueil, point 41). Elle figure même dans la liste fournie par la Directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006, relative aux services dans le Marché intérieur (N° Lexbase : L8989HT4). Toutefois, une exigence impérieuse n'est admise que si la restriction est propre à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi (caractère approprié), et qu'elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis (caractère de proportionnalité).

Il ne fait aucun doute que le but premier de l'article 54 du CIR 1992, voire d'ailleurs de l'article 238 A du CGI, est de lutter contre la fraude et l'évasion fiscale ou les abus, et plus précisément de prémunir les Etats concernés contre la pratique de rémunérations de prestations fictives ou de rémunérations anormales de prestations réelles qui, présentées comme frais professionnels et susceptibles comme tels d'être déduits du montant de l'impôt sur le revenu en Belgique ou en France, sont susceptibles de porter indirectement atteinte, à raison de leur caractère abusif, à l'exercice par l'Etat membre en question de sa compétence fiscale en relation avec les activités réalisées sur son territoire. Encore faut-il cependant que la restriction à la libre prestation de services réponde au critère de spécificité, c'est-à-dire qu'elle vise spécifiquement les montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique, dont la seule fin est d'obtenir un avantage fiscal. La CJUE affirme qu'en "prévoyant que les rémunérations payées à des prestataires non-résidents ne sont pas considérées comme des frais professionnels à moins que le contribuable ne justifie qu'elles répondent à des opérations réelles et sincères et qu'elles ne dépassent pas les limites normales, la législation en cause au principal permet d'atteindre l'objectif de prévention de la fraude et de l'évasion fiscales au regard duquel elle a été adoptée". Il est vrai qu'exiger des contribuables souhaitant bénéficier d'un avantage fiscal, tel que la déduction des frais professionnels, qu'ils fournissent les éléments établissant que lesdits frais correspondent à des opérations sincères et demeurent dans des limites normales a incontestablement pour objectif d'éviter que ces mêmes contribuables organisent la réduction de leur revenu imposable par la production de factures fictives ou anormalement élevées (voir point 62 des conclusions de l'Avocat général).

Toutes ces justifications peuvent s'appliquer sans mal à l'article 238 A du CGI, car l'objectif de cette mesure est le même que celui de l'article 54 du CIR de 1992. Cependant, pour échapper à toute critique, encore faut-il, pour ces deux textes, que la présomption de fraude soit proportionnée par rapport à l'objectif poursuivi. Sur ce terrain, si l'article 54 du CIR de 1992 était à l'évidence condamnable, il n'est nullement certain que l'article 238 A, même dans sa rédaction actuelle, pourrait satisfaire au critère de proportionnalité.

II - La présomption de fraude doit cependant être proportionnée

Aux termes d'une jurisprudence constante, les mesures nationales qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant la libre prestation de services n'échappent à l'interdiction énoncée par l'article 49 TCE que, en plus d'être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général et d'être propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent, elles ne vont pas au delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre, aucune autre mesure moins restrictive ne pouvant leur être substituée (JurisClasseur Europe Traité, fasc. 710, Droit d'établissement et libre prestation de services, par J.-G. Huglo).

Dans la présente affaire, l'article 54 du CIR de 1992 ne satisfait pas à cette condition de proportionnalité. A titre principal, il est reproché à cette disposition d'engendrer une insécurité juridique pour les contribuables, en raison du manque de clarté dans ses conditions d'application, le législateur se contentant d'affirmer, sans autres précisions, que la présomption de fraude s'applique lorsque le régime de taxation du prestataire est "notablement plus avantageux" que le régime national. A titre subsidiaire, la Cour semble également imputer à la présomption son caractère trop général, plus précisément l'universalité de son champ d'application.

Force est d'admettre que si la première critique ne peut plus être adressée à l'encontre de l'article 238 A du CGI dans sa rédaction actuelle, il n'en va pas de même de la seconde.

A - Les conditions d'application de la règle doivent être claires

L'article 54 du CIR de 1992 crée un renversement de la charge de la preuve lorsque les rémunérations sont versées à des prestataires qui, en vertu des dispositions de la législation de l'Etat membre où ils sont établis, n'y sont pas soumis à un impôt sur les revenus ou y sont soumis, pour les revenus concernés, à un "régime de taxation notablement plus avantageux que celui auquel ces revenus sont soumis en Belgique". Mais la Cour déclare que le champ d'application de cette règle n'est pas déterminé avec une précision suffisante puisque, comme l'a admis le Gouvernement belge, il n'existait aucune précision normative ou d'instructions administratives sur ce qu'il convenait d'entendre par "un régime de taxation notablement plus avantageux que celui auquel ces revenus sont soumis en Belgique", l'appréciation portant sur l'applicabilité de la règle étant effectuée au cas par cas par l'administration fiscale, sous contrôle des juridictions nationales. La Cour considère qu'une telle mesure ne satisfait pas "aux exigences de la sécurité juridique qui exige que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, en particulier lorsqu'elles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des conséquences défavorables" (voir, en ce sens, CJUE, 7 juin 2005, aff. C-17/03 N° Lexbase : A5588DIS, Rec. p. I 4983, point 80, ainsi que CJUE, 16 février 2012, C-72/10 et C-77/10, non encore publié au Recueil, point 74), pour en conclure qu'une "règle ne satisfaisant pas aux exigences du principe de sécurité juridique ne saurait être considérée comme proportionnée aux objectifs poursuivis".

L'on doit reconnaître que la rédaction originaire de l'article 238 A du CGI peut souffrir le même grief. L'alinéa 2 de cet article, dans sa rédaction issue de l'article 14 de la loi de finances pour 1974 (loi n° 73-1150 du 27 décembre 1973) précise seulement que les personnes domiciliées ou établies hors de France étaient regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré si elles n'y étaient pas imposables ou si elles y étaient assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus "notablement moins élevés qu'en France", sans autres précisions. La doctrine administrative (Doc. adm. DGI 4 C-9113, 30 octobre 1997) et la jurisprudence du Conseil d'Etat avaient toutefois comblé cette imprécision. La loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004, de finances pour 2005 (N° Lexbase : L5203GUA) a sécurisé le domaine d'application de la règle en posant que les personnes sont regardées comme soumises à un régime fiscal privilégié dans l'Etat ou le territoire considéré "si elles n'y sont pas imposables ou si elles y sont assujetties à des impôts sur les bénéfices ou les revenus dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l'impôt sur les bénéfices ou sur les revenus dont elles auraient été redevables dans les conditions de droit commun en France, si elles y avaient été domiciliées ou établies". En clarifiant la notion de régime fiscal privilégié et en légalisation cette définition, le législateur semble avoir satisfait à l'exigence du principe de sécurité juridique. Il convient toutefois de souligner qu'une grande incertitude demeure quant à la détermination ex post des pays à fiscalité privilégiée. Les dispositions de l'article 238 A du CGI imposent dans un premier temps, de déterminer la charge fiscale effectivement supportée par la société ayant perçu les sommes litigieuses à l'étranger puis, dans un second temps, d'évaluer la charge fiscale que supporterait la même société si elle était établie en France, et de comparer les résultats obtenus (cf. sur ce point les conclusions précitées d'O. Fouquet et les conclusions de P. Collin sous CE 8° et 3° s-s-r., 2 avril 2003, n° 237751, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A1987DEC, Dr. fisc., 2005, n° 48, comm. 776 ; RJF, 2003, n° 693 ; BDCF, 2003, n° 75). Même si un seuil précis a été fixé, l'imposition théorique française devant être supérieure au double de l'imposition effective étrangère, une comparaison in concreto doit toujours être opérée, ce qui n'est certainement pas une opération commode pour le contribuable.

Même si le législateur a pu dresser une liste d'Etats et de territoires non coopératifs selon l'article 238-0 A (N° Lexbase : L3333IGK), il aurait été certainement beaucoup plus difficile d'établir un catalogue des pays à fiscalité privilégiée, en raison, d'une part, de la grande disparité des modalités d'imposition des bénéfices ou des revenus à travers le monde et, d'autre part, de l'instabilité législative dans la plupart des pays. Il n'en reste pas moins que la difficulté à définir à coup sûr ce qu'est un régime fiscal privilégié (sur cette difficulté voir CE 9° et 10° s-s-r., 21 novembre 2011, n° 325214, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9934HZX, concl. P. Collin, note Ph. Durand, Dr. fisc., n° 5, 2012, comm. 128) génère une incertitude juridique dont on peut se demander si elle compatible avec le principe de la libre prestation de services. D'autant que l'universalité l'article 238 A du CGI pose une difficulté sérieuse.

B - Le champ d'application ne peut être universel

De manière particulièrement explicite, l'Avocat général reprochait à l'article 54 du CIR de 1992 son manque de spécificité. Il indiquait : "le principal problème que pose l'article 54 du CIR 1992 au regard de la libre prestation de services au sens de l'article 49 CE réside dans son absence de spécificité ou, si l'on préfère, dans l'universalité de son champ d'application" (point n° 70 des conclusions). En effet, le contribuable est tenu de justifier systématiquement la réalité et la sincérité de toutes les prestations, ainsi que de prouver le caractère normal de toutes les rémunérations y afférentes, sans que l'administration soit tenue de fournir ne serait-ce qu'un commencement de preuve de fraude ou d'évasion fiscales. D'autant que l'article 54 du CIR 1992, comme d'ailleurs l'article 238 A du CGI, trouve à s'appliquer sans qu'existe un lien de dépendance entre le contribuable belge et le prestataire de services établi dans un Etat membre à la fiscalité notablement plus avantageuse (ou dans un pays à fiscalité privilégiée). Comme le souligne l'Avocat général (point 72 des conclusions), une telle condition permettrait de constater plus aisément que la restriction ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation de l'objectif principal qu'il poursuit légitimement. Comme la Commission l'a également souligné, dans sa communication du 10 décembre 2007 (communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen, du 10 décembre 2007, L'application des mesures de lutte contre les abus dans le domaine de la fiscalité directe - au sein de l'Union européenne et dans les rapports avec les pays tiers [COM(2007) 785 final, p. 5 et 6]), "l'établissement de critères de présomption raisonnables contribue à une application équilibrée des mesures anti-abus en renforçant la sécurité juridique au profit du contribuable tout en facilitant la tâche de l'administration fiscale". Mais les règles anti-abus ne doivent pas cibler trop large, pour n'appréhender que les situations caractérisées par l'absence de justification commerciale. La CJUE a même jugé que, si la lutte contre l'évasion fiscale et l'efficacité des contrôles fiscaux peuvent être invoquées pour justifier des restrictions à l'exercice des libertés fondamentales garanties par le Traité (voir CJUE, 8 juillet 1999, aff. C-254/97, Rec. p. I 4809, point 18 ; CJUE, 26 septembre 2000, aff. C-478/98, Rec. p. I 7587, point 39 ; et CJUE, 4 mars 2004, aff. C-334/02, Rec. p. I 2229, point 27), "une présomption générale d'évasion ou de fraude fiscales ne saurait suffire à justifier une mesure qui porte atteinte aux objectifs du Traité" (voir, en ce sens, CJUE, 8 juillet 1999, point 45, et CJUE 4 mars 2004, point 27 ; CJUE, 6 avril 2006, aff. C-433/04 N° Lexbase : A2736DS7, n° 40).

Dans la présente affaire et sur ce point précis, la Cour, sans condamner ouvertement le caractère universel de la présomption, adresse toutefois de sérieuses réserves à l'égard d'une mesure générale qui "peut être appliquée en l'absence de tout critère objectif et vérifiable par des tiers et pouvant servir d'indice de l'existence d'un montage purement artificiel, dépourvu de réalité économique, dans le but d'éluder l'impôt normalement dû sur les bénéfices générés par des activités réalisées sur le territoire national, seul le niveau d'imposition du prestataire de services dans l'Etat membre où il est établi étant pris en compte" (point n° 56). Une telle mise en garde intéresse naturellement l'article 238 A du CGI.

Il a d'ailleurs été soutenu dans une décision du 14 décembre 2010 que "l'article 155 A du Code général des impôts, par son effet dissuasif à l'exercice du droit d'établissement et par les mécanismes d'imposition qu'il prévoit, poursuit un objectif légitime de lutte contre l'évasion fiscale. Il s'applique, toutefois, de manière générale à tout contribuable domicilié ou établi en France et se faisant rémunérer par l'intermédiaire d'une société qu'il contrôle, établie hors de France, sans distinguer les hypothèses où cette situation correspondrait à un montage purement artificiel, de celles où l'implantation hors de France de ladite société serait justifiée par des motifs légitimes, et sans permettre au contribuable de faire valoir de tels motifs pour échapper à l'imposition encourue. La loi comporte donc des effets disproportionnés à l'égard du droit d'établissement garanti par l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne au regard de l'objectif qu'elle poursuit" (CAA Douai, 2ème ch., 14 décembre 2010, n° 08DA01103, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9081GQE, Dr. fisc., 2011, n° 4, comm. 133, concl. P. Minne ; RJF, 4/2011, n° 400 ; BDCF, 4/2011, n° 39, concl. P. Minne). Il semble toutefois difficile d'assimiler l'article 238 A et l'article 155 A du CGI, car ce dernier texte institue une présomption d'évasion fiscale irréfragable, forme moderne de la probatio diabolica, alors que l'article 238 A instaure une présomption simple. Il en serait certainement autrement s'il s'avérait que la production des éléments de preuve exigée par l'article 238 A était pratiquement impossible ou excessivement difficile (CJUE, 15 septembre 2011, aff. C-310/09 N° Lexbase : A7302HXQ, Dr. fisc., 2012, n° 3, comm. 67, note J.-L. Pierre ; sur cette affaire, V. P. Dibout, Le précompte : incompatibilité avec le droit communautaire ? Eclairage sur le renvoi préjudiciel à la Cour de justice, Dr. fisc., 2009, n° 30, étude 430 ; E. Meier et R. Torlet, Le fabuleux destin des retenues à la source..., Dr. fisc., 2009, n° 26, étude 382 ; V. Daumas, Distributions transfrontalières de dividendes : avec avoir... ou pas ?, RJF, 2009, p. 715-721).

Il n'en reste pas moins que l'article 238 A, en créant une présomption de fraude sans exiger le moindre élément objectif autre que celui du niveau d'imposition du prestataire, semble aller bien au-delà de ce qui paraît nécessaire pour lutter contre la fraude fiscale. D'ailleurs, pour l'administration, le régime de l'article 238 A est plus efficace que d'autres dispositifs possibles, eux aussi dédiés à la lutte contre l'utilisation de paradis fiscaux et en particulier l'article 57 (V. JCl. Fiscal international, Fasc. 3840, ou Droit international, Fasc. 3840, ou Fiscal Impôts directs, Traité Fasc. 3840). Le renversement de la preuve opéré par l'article 238 A du CGI va donc bien au-delà de la présomption légale de transfert de bénéfices posée par l'article 57 du CGI. Ainsi lorsque la situation de fait est telle que, pour justifier un rehaussement, il existe une possibilité de choix entre l'article 57 du CGI et l'article 238 A, l'administration recommande de préférer la seconde procédure comme étant de nature à mieux assurer la sauvegarde des intérêts du Trésor (instruction du 30 octobre 1997, BOI 4 C-92, § 5). Incontestablement, une telle règle ne peut que freiner la circulation des services à l'intérieur du marché commun, même si, il convient de le souligner, la jurisprudence n'a que rarement admis l'existence d'un régime fiscal privilégié (voir les exemples cités par R. Coin, Répression de l'évasion fiscale internationale - Versements au profit de personnes dans des pays à fiscalité privilégiée (CGI, art. 238 A), JurisClasseur Fiscal international, Fasc. 3720, n° 52).

Il ressort de l'ensemble de ces réflexions que l'on ne peut conclure, comme une évidence, à l'incompatibilité de l'article 238 A du CGI avec le principe de la libre prestation de services posé par l'article 49 CE. Pour aller plus en avant dans l'analyse, la CJUE devra fournir des clés permettant de mieux cerner les limites que le législateur doit poser lorsqu'il élabore une présomption de fraude fiscale.

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[Jurisprudence] La Cour de cassation préfère le "notice and take down" au "notice and stay down", au risque de voir les ayants droit "knocked down"

Réf. : Cass. civ. 1, 12 juillet 2012, trois arrêts, n° 11-13.666, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7505IQZ) ; n° 11-13.669, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7506IQ3) et n° 11-15.165, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7507IQ4)

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par Antoine Casanova, avocat à la cour, Cabinet Danièle Véret,

Le 06 Septembre 2012

Depuis l'explosion du Web 2.0, prestataires techniques et titulaires de droits de propriété intellectuelle ne cessent de se livrer un combat sans merci autour de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 (N° Lexbase : L2600DZC dite "LCEN"). Ces derniers s'affrontent particulièrement sur la question de la responsabilité des hébergeurs lors de la remise en ligne d'une oeuvre sur une plateforme de partage de contenus (Google Vidéo, Youtube, Dailymotion...) alors que les ayants droit ont déjà procédé à une notification auprès de l'hébergeur afin de lui faire savoir que la mise en ligne d'une telle oeuvre sur sa plateforme de partage constitue une violation de leurs droits de propriété intellectuelle sur l'oeuvre en question. Si au cours de ces dernières années, les décisions des juges du fond ont, dans leur ensemble, été favorables aux ayants droit, laissant même penser que ces derniers menaient le combat aux points, les trois arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 juillet 2012 changent complètement la donne et pourraient mettre les ayants droit au tapis dans leur combat contre les exploitants des plateformes de partage de contenus. La solution à cette problématique juridique réside dans la force que les juridictions reconnaissent à l'article 6.I 7 de la LCEN qui dispose que les prestataires techniques, hébergeurs et fournisseurs d'accès, n'ont pas d'"obligation générale de surveiller les informations" transmises ou stockées par leur biais ni d'"obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites" (1).
Avec les trois arrêts rendus le 12 juillet 2012, la Cour de cassation affiche clairement sa volonté d'affirmer la primauté de l'absence d'obligation générale de surveillance des informations présentes sur le réseau. La Cour de cassation adopte une position extrêmement défavorable aux titulaires de droits de propriété intellectuelle puisqu'elle permet plus facilement aux prestataires techniques de bénéficier du régime de responsabilité atténuée prévu par la "LCEN". Deux des arrêts rendus par la première chambre civile de la Cour de cassation (n° 11-13.666 et n° 11-13.669) opposaient la société BAC films aux sociétés Google Inc et Google France (Google). La société BAC films a constaté que deux films documentaires dont elle détenait les droits de propriété intellectuelle étaient mis à disposition du public soit par téléchargement, soit par diffusion en "streaming", sur la plateforme "Google Vidéo". BAC films a donc notifié à Google la présence de ces vidéos, en précisant comme le veut la "LCEN", les adresses URL où ces contenus étaient disponibles, et a demandé à Google de faire cesser cette mise à disposition illicite. BAC films a en outre demandé à Google d'empêcher toute nouvelle communication au public de ces films par l'intermédiaire de la plateforme Google Vidéo. Google a alors procédé au retrait des films et en a informé la société BAC films. Cependant, la société BAC films, ayant ultérieurement constaté que les deux films en question étaient, à nouveau, disponibles sur la plateforme Google Vidéo mais, cette fois à partir d'adresses URL différentes, a assigné Google en contrefaçon de ses droits de propriété intellectuelle sur les deux films en question.

Le troisième arrêt rendu par la Cour de cassation (n° 11-15.165) ne concernait pas des films mais une photographie mise à disposition du public sur le site "www.aufeminin.com" ainsi que sur la plateforme Google Image. Le titulaire des droits sur la photographie a notifié à la société Aufeminin.com et à Google la présence de la photographie litigieuse ainsi que les adresses URL auxquelles cette dernière était accessible, et avait, bien évidemment, demandé son retrait. Les sociétés Aufeminin.com et Google ont informé le titulaire des droits du retrait de la photographie de leurs sites respectifs. Cependant, ce dernier ayant constaté que la photographie était de nouveau disponible sur ces sites, là encore à partir d'adresses URL différentes, a assigné la société Aufeminin.com et Google en contrefaçon de ses droits de propriété intellectuelle.

Ces trois affaires posent la même question juridique concernant la responsabilité des hébergeurs en matière de contenus lorsque ceux-ci ont déjà fait l'objet d'une notification mais qu'ils sont remis en ligne sur la plateforme à partir d'une adresse URL différente de celle qui était mentionnée dans la notification. Doivent-ils empêcher la remise en ligne du contenu en question sous peine d'engager leur responsabilité sans pouvoir bénéficier des cas d'exonération prévus par l'article 6.I 2 de la LCEN, ou, au contraire, la responsabilité de l'hébergeur peut-elle n'être recherchée qu'à partir du moment où la nouvelle mise en ligne de l'oeuvre à fait l'objet d'une nouvelle notification non suivie d'effet ?

La solution de la Cour de cassation s'analyse en un rejet de la théorie du "notice and stay down" qui avait pourtant, jusqu'à maintenant, les faveurs des juridictions du fond (I). Cette jurisprudence fait ainsi peser une sorte d'obligation de surveillance sur les épaules des ayants droit, le droit interne marquant ainsi sa volonté de rejoindre le droit européen en ce qu'il tend à empêcher toute obligation de surveillance pesant sur les prestataires techniques (II).

I - Le rejet du "notice and stay down" en rupture avec les juridictions du fond

La théorie du "notice and stay down", solution plutôt favorable aux ayants droit a longtemps eu les faveurs des juridictions du fond (A), mais, par ces trois arrêts, la première chambre civile de la Cour de cassation rejette incontestablement cette théorie et adopte une solution extrêmement défavorable aux ayants droit (B).

A - La percée de la théorie du "notice and stay down"

En matière de responsabilité des sites de partage de contenus, la jurisprudence est désormais constante et qualifie les exploitants de ces sites internet d'hébergeur des contenus disponibles sur leur plateforme et mis en ligne par des internautes (2). Les exploitants de ces sites peuvent donc prétendre au bénéfice du régime de responsabilité préférentiel que la "LCEN" accorde aux hébergeurs quant aux contenus stockés. Sous ce régime, la responsabilité est subordonnée à la démonstration d'une faute de l'hébergeur, cette dernière consistant dans le fait de ne pas retirer un contenu alors qu'il connaît son caractère illicite (3).

La "LCEN" précise que si le caractère illicite d'un contenu est notifié à l'hébergeur, la connaissance du caractère litigieux du contenu en question par l'hébergeur est présumée, et de ce fait, s'il n'a pas agi promptement pour le retirer, sa responsabilité est engagée. Cependant, pour cela, il est nécessaire que la notification respecte un certain formalisme et précise certaines informations, notamment la "localisation précise" du contenu litigieux (4), ce qui signifie, en pratique, l'adresse URL à partir de laquelle le contenu est accessible.

La théorie du "notice and stay down" consiste à considérer que l'hébergeur n'a pas seulement l'obligation de retirer promptement le contenu litigieux qui lui est notifié ("notice") mais que son obligation va plus loin en ce qu'il devrait veiller à rendre impossible toute rediffusion ultérieure du contenu, que le contenu en question soit mis en ligne par le même internaute ou par un autre, à une adresse URL différente ("stay down"), pourvu que le contenu soit stocké par l'hébergeur. Cette solution avantage bien évidemment les ayants droit dans la mesure où elle ne leur impose de procéder qu'à une seule notification par contenu, et leur permet, ensuite, de rechercher la responsabilité des hébergeurs qui laisseraient des oeuvres ayant déjà fait l'objet d'une notification être remises en ligne sur leur plateforme par des internautes, privant les hébergeurs du bénéfice du régime de responsabilité atténuée.

Cette solution a été adoptée pour la première fois en France dans un jugement rendu par la troisième chambre du TGI de Paris, le 19 octobre 2007 et concernant Google (5). Dans cette affaire les juges ont considéré qu'en étant "informée du caractère illicite du contenu en cause par la première notification, il lui appartenait de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires en vue d'éviter une nouvelle diffusion".  Les juges avaient estimé que "l'argumentation selon laquelle chaque remise en ligne constitue un fait nouveau nécessitant une nouvelle notification doit être écartée dans la mesure où, si les diffusions successives sont imputables à des utilisateurs différents, leur contenu et les droits de propriété intellectuelle y afférents sont identiques". Selon cette décision l'existence d'une notification portant à la connaissance de l'hébergeur la présence illicite d'un contenu sur sa plateforme empêche ce dernier de se prévaloir du bénéfice de l'article 6.I 2 de la "LCEN" et du régime de responsabilité atténuée qui y est prévu.

Les juges du TGI de Paris ne sont pas allés jusqu'à mettre à la charge de l'hébergeur une véritable obligation de résultat quant à rendre impossible la rediffusion du contenu objet de la première notification sur le site. En effet, les juges se sont contentés de reconnaître à Google une obligation de moyens, cette dernière ayant été sanctionnée pour ne pas avoir "justifier avoir accompli les diligences nécessaires en vue de rendre impossible la remise en ligne du documentaire".

De nombreuses solutions basées sur la théorie du "notice and stay down" ont été rendues par la suite par un certain nombre d'autres juridictions du fond (6). La cour d'appel de Paris a notamment rendu deux arrêts le 14 janvier 2011 et un troisième le 4 février 2011 dans lesquels elle a considéré qu'il appartenait à l'hébergeur non seulement de retirer le contenu mais également de "mettre en oeuvre tous les moyens techniques [...] en vue de rendre l'accès à ce contenu impossible" (7). Ce sont ces trois arrêts qui ont fait l'objet des pourvois en cassation ayant conduit la première chambre civile à rendre les trois arrêts ici commentés.

B - L'obligation de "notice ans stay down" assimilée à une obligation générale de surveillance

En censurant les trois arrêts précités de la cour d'appel de Paris, la Cour de cassation met un terme définitif au courant jurisprudentiel favorable à la théorie du "notice and stay down".

Dans l'affaire concernant la photographie, la cour d'appel de Paris avait précisé "qu'il importe peu que cette photographie soit accessible à partir d'une adresse différente de celle portée dans le constat du 28 novembre 2008 dès lors qu'il incombe au prestataire de services d'hébergement ayant reçu notification de l'oeuvre à laquelle il est porté atteinte et des droits de propriété intellectuelle qui la protègent de prendre les mesures nécessaires pour empêcher qu'elle soit à nouveau mise en ligne". La cour d'appel de Paris avait donc clairement statué en faveur d'une obligation de "notice and stay down" pesant sur l'hébergeur.

Dans ses trois arrêts la Cour de cassation censure la cour d'appel de Paris au visa des articles 6.I 2, 6.I 5 et 6.I 7 de la "LCEN". La Cour de cassation estime que "la prévention imposée aux sociétés Google pour empêcher toute nouvelle mise en ligne des vidéos contrefaisantes sans même qu'elles en aient été avisées par une autre notification régulière pourtant requise pour qu'elles aient effectivement connaissance de son caractère illicite et de sa localisation et soient alors tenues d'agir promptement pour la retirer ou en rendre l'accès impossible aboutit à les soumettre, au-delà de la seule faculté d'ordonner une mesure propre à prévenir ou à faire cesser le dommage lié au contenu actuel du site en cause, à une obligation générale de surveillance [nous soulignons]" (la motivation est sensiblement la même dans l'arrêt concernant la photographie).

La première chambre civile de la Cour de cassation avance que cette solution de la cour d'appel de Paris revient à mettre à la charge des hébergeurs la mise en place d'"un dispositif de blocage sans limitation dans le temps" ce qui est disproportionné par rapport au but poursuivi (à savoir la protection des droits de propriété intellectuelle des ayants droit). Aux yeux de la Cour de cassation, en l'absence de nouvelle notification régulière faite par les ayants droit à l'hébergeur, toute mesure tendant à lui imposer de faire en sorte que le contenu litigieux ne soit pas remis en ligne s'apparente à une obligation générale de surveillance car elle fait peser la vigilance uniquement sur l'hébergeur.

Or, le visa employé par la Cour de cassation, l'article 6.I 7 de la LCEN, démontre clairement, que, pour la Cour de cassation, il importe que les prestataires techniques ne se voient pas, même par des moyens indirects, mis à charge une quelconque obligation générale de surveillance. Est-il pourtant si déraisonnable de penser qu'il ne s'agit pas d'une réelle obligation générale de surveillance, prohibée par la "LCEN" et par la Directive "commerce électronique" (Directive 2000/31 du 8 juin 2000 [LXB= L8018AUI]), mais d'une simple obligation de surveillance particulière ? La "LCEN" reste d'ailleurs muette quant à la définition précise de l'obligation générale de surveillance.

Certaines juridictions du fond ont ainsi affirmé qu'il ne s'agit pas d'une obligation générale de surveillance mais bien d'une obligation particulière qui ne serait pas prohibée par la "LCEN". C'est, par exemple, le raisonnement suivi par le TGI de Paris dans un jugement du 28 avril 2011. Dans cette décision, les juges ont considéré que "l'obligation pour l'hébergeur de mettre en place un système propre à empêcher la réapparition d'un contenu déjà notifié ne met pas à sa charge une obligation générale de surveillance des contenus puisque le système d'identification par empreintes détectera et signalera automatiquement l'identité entre le contenu notifié objet de droits et le nouveau contenu mis en ligne, sans que cela suppose une connaissance préalable de l'ensemble des contenus présents sur le site" (8).

D'ailleurs, comme plusieurs auteurs l'ont fait remarquer, la prohibition des obligations générales de surveillance prévue par le premier alinéa de l'article 6.I 7 de la "LCEN" est tempérée par l'alinéa 2 qui précise que cette prohibition s'entend "sans préjudice de toute activité de surveillance ciblée et temporaire demandée par l'autorité judiciaire" (9).
Cependant, dans la plupart des cas, ce tempérament ne sera pas d'un secours fondamental pour les ayants droit, dans la mesure où la "surveillance ciblée et temporaire" doit être prononcée par une autorité judiciaire, ce qui suppose que les parties aient déjà été en conflit auparavant sur le contenu en question et qu'un juge ait expressément demandé à l'hébergeur de surveiller la présence du contenu en question afin d'empêcher toute nouvelle mise en ligne. De plus la "LCEN" précise bien que cette obligation de surveillance ciblée ne peut être que temporaire.

Toujours est-il que l'analyse consistant à considérer que l'obligation mise à la charge des hébergeurs d'empêcher la remise en ligne d'un contenu litigieux sur leur plateforme une fois que sa présence leur a été notifiée par les ayants droit est une obligation particulière de surveillance n'est pas celle retenue par la Cour de cassation. Pour la Cour de cassation il s'agit alors d'une obligation générale de surveillance prohibée par la "LCEN".

II - Une solution en harmonie avec le droit européen

La position adoptée par la Cour de cassation marque un revers important pour les ayants droit et complexifiera leur tâche dans la recherche d'une éventuelle responsabilité des plateformes de partage de contenus. En effet, ces derniers pourront se réfugier derrière le régime de responsabilité atténuée prévu par la "LCEN". En réalité, la solution retenue par la Cour de cassation décharge les hébergeurs d'une obligation de surveillance pour placer cette obligation de surveillance sur les épaules des ayants droit. En effet, si ces derniers ne veulent pas voir les contenus sur lesquels ils ont des droits de propriété intellectuelle proliférer sur une plateforme de partage, il leur appartient d'être vigilant et de notifier systématiquement toute présence d'un contenu violant leurs droits de propriété intellectuelle.

Cette solution semble tout de même un peu déconnectée de la pratique car elle aboutit au final à ce que l'obligation de surveillance ne pèse pas sur les opérateurs qui disposent des technologies permettant d'empêcher la remise en ligne d'un contenu qu'ils savent illicite. En effet les sites de partage de contenus comme Youtube, Dailymotion ou encore Google Video disposent de technologies dites de "fingerprinting" (littéralement "empreinte digitale") qui permettent de "marquer" un contenu en réalisant une empreinte numérique unique de ce dernier, rendant par la suite possible de l'identifier avant qu'il ne soit mis en ligne sur une plateforme de partage de contenus (10).

Cette solution démontre, comme la Cour de cassation l'a déjà fait auparavant, qu'elle n'entend pas que la responsabilité des hébergeurs quant aux contenus stockés soit recherchée avec succès trop facilement. La Cour de cassation rappelle ainsi, au détour de son attendu, que la notification effectuée par les ayants droit, pour produire son effet de présomption simple du caractère illicite d'un contenu doit être "régulière" (11). Les ayants droit doivent donc non seulement être vigilants quant aux contenus mis en ligne mais doivent également prêter une attention particulière à la forme des notifications qu'ils font parvenir aux exploitants des plateformes de partage de contenus.

Cette solution de la Cour de cassation doit surtout être rapprochée de la jurisprudence récente de la Cour de justice de l'Union européenne qui est assez peu favorable à toute idée d'obligation de surveillance mise à la charge des prestataires techniques, et ce, même si elle est ordonnée par une autorité judiciaire. En effet, dans les arrêts "Scarlet" et "Netlog" (12), la CJUE avait la délicate mission de trancher la question de savoir comment départager la prohibition des obligations générales de surveillance, établie par l'article 15 de la Directive "commerce électronique" de l'obligation, prévue par l'article 18, de rendre disponibles des recours juridictionnels permettant l'adoption de mesures ayant pour but de mettre un terme à une violation et de prévenir toute nouvelle violation. La CJUE interrogée de manière préjudicielle par les juridictions belges devait déterminer si la Directive "commerce électronique" interdisait le prononcé par un juge national d'enjoindre un prestataire technique (hébergeur ou fournisseur d'accès) de mettre en place un système de filtrage des contenus à titre préventif et sans limitation de temps. La CJUE s'est prononcée en défaveur de mesures trop générales, marquant ainsi même en présence d'une injonction judiciaire, son hostilité à la mise en place d'une obligation générale de surveillance des réseaux et des informations çà la charge des prestataires techniques.

La solution retenue par la Cour de cassation dans ses trois arrêts du 12 juillet 2012 s'inscrit donc dans la droite ligne de cette jurisprudence de la CJUE, puisque la Cour de cassation a clairement marqué sa désapprobation face à des mesures trop générales ou disproportionnées.
Il serait donc fort surprenant de voir le droit interne revenir vers une position plus favorable aux ayants droit. Les ayants droit doivent donc désormais considérer qu'ils ne doivent compter que sur leur propre vigilance pour éviter la prolifération de la contrefaçon de leurs oeuvres mises en ligne sur des plateformes de partage de contenus.

Toutes les voies ne sont peut être pas fermées pour les ayants droit. En effet, les trois arrêts de la Cour de cassation du 12 juillet 2012 ont été rendus au seul visa des articles 6.I 2, 6.I 5 et 6.I 7 de la LCEN. Or depuis 2009 et la fameuse loi HADOPI (13), le Code de la propriété intellectuelle a été enrichi d'un article L. 336-2 (N° Lexbase : L3536IEP). Cet article permet aux titulaires de droits de propriété intellectuelle, "en présence d'une atteinte à un droit d'auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d'un service de communication au public en ligne" (ce qui est le cas des plateformes de partage de contenus), de demander au juge de prononcer "toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier". 
Compte tenu de la généralité de cet article, une obligation s'apparentant dans une certaine mesure à une obligation de surveillance pourrait être prononcée par le juge. Dans tous les cas, la possibilité offerte par ce texte devra être étudiée "à la lumière" de la Directive "commerce électronique" et, surtout, des quelques lignes directrice dégagées par la CJUE dans les arrêts "Nelog" et "Scarlet" précités, la seule certitude étant que, même sur le fondement de ce texte, le juge national ne pourra pas mettre à la charge des hébergeurs une obligation de surveillance trop générale. Elle devra être très encadrée et bien délimitée.

En conclusion, si les ayants droit ne sont peut être pas encore KO, il semble bien que les solutions jurisprudentielles des plus hautes juridictions tant interne qu'européenne contribuent à ce qu'ils soient pour le moment "knocked down".


(1) L'absence d'obligation générale de surveillance des informations stockées par les hébergeurs ou transmises par les fournisseurs d'accès découle directement de la Directive 2000/31/CE/ du 8 juin 2000 "commerce électronique" (N° Lexbase : L8018AUI) qui visait à ne pas restreindre le développement de l'économie numérique en interdisant aux Etats membres de mettre une telle obligation de surveillance, jugée extrêmement lourde et contraignante, à la charge des prestataires techniques (hébergeurs et fournisseurs d'accès).
(2) Cass. civ 1, 17 février 2011, n° 09-67.896, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1445GXS).
(3) Loi n° 2004-575, art. 6.I 3.
(4) Loi n° 2004-575, art. 6.I 5.
(5) TGI Paris, 19 octobre 2007, n° 06/11874 (N° Lexbase : A5562DZZ).
(6) Voir notamment : CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 3 décembre 2010, n° 09/09563 (N° Lexbase : A8325GMB) ; TGI Créteil, 1re ch., sect. A, 14 décembre 2010 ; TGI Paris, 3ème ch., sect. 4, 13 janvier 2011, n° 09/14255 (N° Lexbase : A3003GRN affaire "Kaamelott").
(7) CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 14 janvier 2011, deux arrêts, n° 09/11729 (N° Lexbase : A7984GQR) ; n° 09/11779 (N° Lexbase : A7987GQU) et CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 4 février 2011, n° 09/21941 (N° Lexbase : A9067GWQ).
(8) TGI Paris, 3ème ch., sect. 4, 28 avril 2011, n° 09/08485 (N° Lexbase : A1332HQE) : à noter que dans cette affaire si les juges ont reconnu une obligation pesant sur les hébergeurs (Youtube et Google) d'empêcher les contenus d'être remis en ligne, les juges ont également pris en compte le refus des ayants droit, de collaborer avec les hébergeurs pour empêcher les remises en ligne afin d'écarter la responsabilité de ces derniers.
(9) Voir notamment sur cette analyse R. Hardouin, La jurisprudence, les textes et la responsabilité des hébergeurs, RLDI, 2008/39, n° 1313, spéc. p 68 ; et A. Debet, Responsabilité des sites de partage de vidéos : les représentants des ayants droit doivent coopérer, Communication Commerce Electronique, juillet 2011, comm. 67.
(10) Ainsi Youtube utilise une technologie dénommée "Youtube Video ID" et "Youtube Audio ID et Dailymotion utilise quant à elle la technologie Audible Magic.
(11) Dans son arrêt en date du 17 février 2011, la première chambre civile de la Cour de cassation avait déjà précisé qu'une notification effectuée par un ayant droit devait comporter toutes les mentions prescrites par l'article 6.I 5 de la "LCEN" pour être efficace (Cass. civ. 1, 17 février 2011, n° 09-67.896, préc.). Voir aussi, mais cette fois pour un défaut de base légale, Cass. civ. 1, 17 février 2011, n° 09-15.857, FS-P+B+I (N° Lexbase : A1448GXW).
(12) CJUE, Ch. 3, 24 novembre 2011, C-70/10 (N° Lexbase : A9797HZU) et CJUE, 16 février 2011, C-360/10 (N° Lexbase : A5815ICD) ; C. Zolinsky, Le filtrage ne doit pas être disproportionné, Lexbase Hebdo n° 293 du 19 février 2012 - édition affaires (N° Lexbase : N1586BTW).
(13) Loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 (N° Lexbase : L3432IET).

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Juristes d'entreprise

[Manifestations à venir] Campus AFJE 2012

Lecture: 1 min

N3335BTP

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Le 27 Mars 2014

L'Association française des juristes d'entreprise (AFJE) vous invite à participer le 26 octobre 2012 à la seconde édition de Campus AFJE 2012, le rendez-vous incontournable des juristes d'entreprise. Au programme de cette année, de nombreux ateliers porteront notamment sur les contrats d'entreprise, l'anglais juridique, la comptabilité et finance, la gestion du risque, le droit des nouvelles technologies ou encore les outils et compétences professionnelles.

Au-delà d'une journée de formation traditionnelle, Campus AFJE 2012 est avant tout un véritable carrefour d'échanges. Cette année d'ailleurs, la rencontre met l'accent sur l'interactivité entre professionnels en proposant des intervenants professeurs, avocats, juristes d'entreprise avec notamment les interventions d'Hervé Delannoy, Directeur juridique Rallye - Président de l'AFJE, Luc Athlan, Responsable Droit des Sociétés France Télécom - Orange, Vice-président de l'AFJE, Hélène Legras Direction Juridique Affaires Générales Areva, et Philippe Marchandise, juriste d'entreprise.

Enfin, Campus AFJE 2012 facilite les rencontres et les débats entre deux ateliers, au cours du déjeuner et du cocktail de clôture, en offrant un lieu convivial et de nombreuses pauses.

Retrouvez toute la richesse du programme, les modalités d'inscription et les tarifs groupe et adhérent à cette adresse : http://www.afje.org/PlaquetteampusAFJE-2012-web.pdf.

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Social général

[Manifestations à venir] Le chef d'entreprise face au risque social et au risque pénal

Lecture: 1 min

N3373BT4

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Le 06 Septembre 2012

Chantal Chabanon-Clauzel, Bâtonnier en exercice de l'Ordre des avocats près la cour d'appel de Nîmes, et les membres du conseil de l'Ordre et du barreau de Nîmes organisent un colloque sur "le chef d'entreprise face au risque social et au risque pénal", le 21 septembre 2012, au Novotel Atria à Nîmes (5 Boulevard de Prague, Nîmes). Durant la matinée seront organisées deux conférences sur le risque en droit social et le risque en droit pénal. Les participants pourront ensuite assister l'après-midi à plusieurs ateliers sur le risque Urssaf, le risque vieillesse, le risque AT ou sur la garde à vue, l'enquête et le procès pénal. Renseignements et inscriptions

100 euros HT, déjeuner inclus (soit 119.60 euros TTC). Tarif étudiant.

Le colloque est validé au titre de la formation continue par l'Université de Nîmes.

Inscription soit :

par courrier Antares Events, MPLS 30, 85 Allée Norbert Wiener, 30000 Nîmes ;

par fax 04 56 80 91 33 ;

par courriel ;

ou directement en ligne sur le site.

Renseignement téléphonique : 06 51 85 00 65

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