La lettre juridique n°465 du 8 décembre 2011

La lettre juridique - Édition n°465

Éditorial

Tarifs réglementés de vente de gaz naturel : réaction thermidorienne au Palais-Royal

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N9087BSD

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


C'est une histoire de "ciseau tarifaire" des plus communes, mais qui constitue, pour nombre d'entre nous, un imbroglio byzantin, et qui ne mériterait guère l'attention, si elle n'impactait pas, au final, le porte-monnaie des consommateurs, et ne mettait pas le Gouvernement et le Président Candidat dans l'embarras, à l'avant-veille d'échéances politiques majeures. C'est l'histoire d'un arrêté ministériel, relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel, dont l'exécution a été suspendue par un arrêt du Conseil d'Etat en date du 28 novembre 2011 ; le Haut conseil sommant les ministres de l'Economie et de l'Industrie de se prononcer à nouveau sur la fixation de ces tarifs, dans un délai d'un mois.

Et, ce que les caciques de "l'opérateur historique", selon la formule consacrée, n'avaient pas réussi à arracher, une révision à la hausse du tarif réglementé, à la défaveur d'une stabilisation -toute relative- des prix du gaz, les fournisseurs alternatifs l'ont ainsi obtenu, devant les tribunaux, arguant de l'atteinte à la libre concurrence. Comme le veut l'adage populaire : "les ennemis de mes ennemis sont mes amis"...

En l'espèce, les sociétés requérantes demandaient au juge des référés du Conseil d'Etat la suspension de l'arrêté en question, qui maintenait à l'identique les tarifs réglementés applicables aux clients résidentiels et aux petits clients professionnels, et augmentait en moyenne de 4,9 % les tarifs réglementés applicables aux autres clients.

Après avoir relevé que, dans un avis du 29 septembre 2011, la Commission de régulation de l'énergie avait estimé que l'évolution des tarifs fixée par l'arrêté contesté était très insuffisante pour couvrir les coûts d'approvisionnement de "l'opérateur historique" au 1er octobre 2011, et que l'application de la formule tarifaire prévue par l'arrêté du 9 décembre 2010 conduisait en moyenne, compte tenu des hausses des coûts d'approvisionnement en gaz naturel, à une hausse des tarifs variant de 8,8 % à 10 % selon les tarifs, le Haut conseil a fait droit à cette demande de suspension. Il en profita, au passage, pour donner une leçon d'économie libérale au Gouvernement -chacun appréciera le comble de l'ironie- en précisant qu'un gel durable des tarifs réglementés est de nature à créer un phénomène de "ciseau tarifaire" selon lequel les coûts complets des opérateurs concurrents seraient supérieurs aux tarifs réglementés, affectant leurs marges et compromettant leur présence sur le marché de la distribution du gaz, ainsi que l'objectif public d'ouverture de ce marché à la concurrence.

La décision, toute emprunte des vertus juridiques et économiques qu'elle puisse être, nous laisse perplexe.

D'abord, parce qu'elle jette le trouble sur l'idée reçue, selon laquelle la préservation d'un tarif réglementé garantit une stabilité des prix, voire l'application d'un prix à l'avantage des consommateurs. Or, si l'on compare le prix du gaz réglementé à celui du gaz commercialisé dans le cadre d'offres libres, notamment dans les pays ayant opté pour une ouverture totale à la concurrence de la fourniture d'énergie, le tarif réglementé français n'est guère compétitif, sur la durée. Et pour cause, ce "prix réglementé" est un avatar vernaculaire du dirigisme jacobin français, qui n'a réellement de "réglementé" que le nom. La privatisation du fournisseur de gaz historique et l'ouverture à la concurrence ont obligé les pouvoirs publics à rabattre leurs prétentions quant à un dirigisme social effectif. D'un côté, l'intérêt social de l'entreprise commande la rentabilité et la distribution de dividendes, et la libre concurrence oblige la liberté des prix, de l'autre, l'intérêt sociétal face à l'inflation des matières premières énergétiques rend difficile, aux yeux des consommateurs/électeurs, l'abandon total de souveraineté étatique sur la distribution du gaz, comme de l'électricité. C'est toute l'ambiguïté d'une entreprise privée dont l'Etat est actionnaire prépondérant, à qui il a confié, au surplus, une mission de service public (approvisionnement, gestion du réseau de distribution de gaz), eu égard à son ancien monopole juridique, et son quasi monopole de fait actuel. Les tarifs réglementés dépendent, ainsi, de coûts de différentes natures :

- les coûts d'approvisionnement en gaz naturel indexés sur les cours des produits pétroliers (55 % du tarif) ;

- les coûts d'utilisation des réseaux de transport fixés par la Commission de régulation de l'énergie (5 % du tarif) ;

- les coûts des stockages pour répondre à la saisonnalité des consommations selon les prix proposés par les deux opérateurs de stockage (GDF Suez et TIGF, filiale de Total) (5 % du tarif) ;

- les coûts d'utilisation des réseaux de distribution fixés par la Commission de régulation de l'énergie (25 % du tarif) ;

- les coûts de commercialisation, dépendant de l'organisation du fournisseur (10 % du tarif).

En tout état de cause, si le tarif du gaz est réglementé, il l'est par le jeu de la concurrence commerciale classique et ne revêt, dans sa composition, qu'un faible soupçon de dirigisme étatique. Mais, c'est ce soupçon là qui paraît de trop aux concurrents de "l'opérateur historique".

Ensuite, si l'ouverture à la libéralisation du marché du gaz devait permettre la baisse des prix et améliorer la qualité de service, force est de constater que cette ouverture à la concurrence est un échec cuisant, en France. Plus de 90 % des consommateurs, surtout les particuliers, sont restés fidèles à l'ancien monopole ou aux entreprises locales de distribution -qui, elles aussi, bénéficient des tarifs réglementés-. Les entreprises alternatives peinent à diffuser leurs offres, mais il faut dire qu'avec une indexation sur la flambée des prix du pétrole, la période paraît peu propice à un développement de la concurrence libre. Et, le gain d'un transfert d'un contrat auprès d'un opérateur alternatif paraît des plus faibles, lorsque le prix proposé par ces entreprises concurrentes peut éventuellement être inférieur de 5 % aux prix proposés par l'opérateur historique. Alors, ce sont finalement les prix dits "libres" qui sont indexés sur les coûts de fonctionnement d'un opérateur historique qui dispose d'un monopole de l'approvisionnement et, par filiale interposée, de la gestion du réseau de distribution. Finalement, seule la commercialisation, en France, est véritablement sujette à libéralisation. Et, si l'on considère la composition du tarif réglementé à destination du grand public, ce coût ne représente que 10 % de l'ensemble...

Enfin, "Je considère la concurrence légitime, à condition qu'il y ait quelque chose en face", disait Steve Ballmer, PDG de Microsoft, grand habitué des monopoles de fait. C'est pourquoi on n'aurait pu préconiser à nos chers Hauts conseillers de "mettre de l'eau dans leur vin pour qu'il n'y ait pas d'eau dans le gaz" entre les onze millions de consommateurs de gaz et la majorité présidentielle, à la veille des élections présidentielles. Mais, c'est sans doute le spectre de la loi du maximum général, instituant le maximum décroissant du prix des grains sous "la Terreur", qui incita les juges du Palais-Royal à satisfaire aux canons libéraux. Cette loi du 4 mai 1793, plusieurs fois remaniée, avait abouti à la disette et la spéculation ; les paysans préférant cacher leur production agricole plutôt que de la vendre à perte et les spéculateurs faisant feu de tous bois pour acquérir à bas prix des grains qu'ils pourraient vendre à prix d'or, par la suite... Mais, même si depuis la dynastie des Han, dans cette Chine du Ier siècle avant J.C., on sait transporter le gaz dans de simples tiges de bambou, le stockage occulte du gaz présente de grandes difficultés, compte tenu de la volatilité et la dangerosité de l'énergie en question. On est, également, bien loin de condamner à l'échafaud les accapareurs et autres spéculateurs sur le prix des énergies, comme ce fut le cas avant la réaction thermidorienne et l'abrogation de cette loi de contrôle général des prix si peu en adéquation avec le souffle libéral de la Révolution française...

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Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Le point de vue d'un Bâtonnier aujourd'hui... Christiane Féral-Schuhl, Bâtonnier de l'Ordre des avocats du barreau de Paris

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N9157BSX

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 08 Décembre 2011

Paris... plus grand barreau de France... Environ 24 000 avocats et à leur tête une femme : Christiane Féral-Schuhl a été élue, le 7 décembre 2011, futur Bâtonnier du barreau de Paris, la deuxième femme à ce poste dans l'histoire du barreau. Pour mener à bien sa mission, elle sera épaulée par Yvon Martinet futur vice-Bâtonnier. Après une campagne très active, en 2010, le tandem avait mis en place, en 2011, un certain nombre de commissions de travail afin de pouvoir démarrer au 1er janvier 2012 des actions concrètes. Les éditions Lexbase vous proposent, au lendemain de son discours d'investiture prônant son rôle de Bâtonnier vigie des libertés, un entretien avec le nouveau Bâtonnier de Paris. Lexbase : Bâtonnière au 1er janvier 2012, où en est votre projet de centrale de référencement que vous appeliez de vos voeux pour apporter des réponses aux préoccupations économiques des avocats ? Que devrait-elle offrir aux avocats parisiens ?

Christiane Féral-Schuhl : Cette centrale était effectivement une des promesses de notre campagne. C'est aujourd'hui chose faite. Yvon Martinet et moi-même sommes heureux d'annoncer la création de Praeferentia, un réseau d'échanges communautaires entre avocats. Dès le début de l'année 2012, les avocats parisiens pourront découvrir sur le site internet de l'Ordre des avocats du barreau de Paris les premiers produits labellisés à des tarifs négociés, notamment dans le domaine des fournitures de bureau, de la reprographie et de la documentation juridique. Les avocats pourront également accéder à un catalogue portant sur les voyages, les loisirs et plus généralement la culture. D'autres produits et services suivront en 2012 : logiciels de gestion de cabinet, services de réservation de taxis, services d'aides à la personne, etc., et bien d'autres produits et services dont nous avons tous besoin pour faciliter la vie pratique. Bien au-delà de l'intérêt économique d'appartenance, Praeferentia est un trait d'union entre tous les avocats de notre barreau et, pourquoi pas, un service que nous pourrons proposer à d'autres barreaux.

Lexbase : Durant votre campagne vous évoquiez un "grand chantier de la communication qui doit aboutir très vite", quels sont sur ce point les avancées et les projets qui seront mis en oeuvre au début de votre mandat ?

Christiane Féral-Schuhl : Dès le début de mon Dauphinat, avec l'aide d'Emmanuelle Hoffman, j'ai créé une commission de travail RPVA rassemblant plusieurs acteurs du monde judiciaire. Pendant toute l'année 2011, nous avons mis en place un plan d'actions pour informer et former les avocats. Nous avons créé une adresse électronique spécialement dédiée aux questions des avocats utilisateurs de la plateforme et chaque semaine nous publions dans le bulletin de l'Ordre une réponse à l'une de ces questions. Nous avons également mis en ligne sur le site internet de l'Ordre un mode d'emploi et une FAQ. Nous avons également constitué une brigade d'une quarantaine d'avocats pour dispenser des formations à e-Barreau. Ce sont au total plus de 3 000 avocats qui ont été formés en quelques mois. Enfin, en concertation avec le Conseil national des barreaux, nous sommes en train de travailler sur les évolutions de l'outil e-Barreau afin de proposer aux avocats une solution simple, sécurisée, harmonisée et compétitive. Elle doit nous permettre, à terme, non seulement de dialoguer avec les juridictions mais également d'échanger entre confrères.

Lexbase : La défense des collaborateurs a été mise en avant lors de vos réunions de campagne. Quelles modifications du statut de collaborateur envisagez-vous ?

Christiane Féral-Schuhl : J'ai créé cette année une commission "collaboration" composée de collaborateurs, de jeunes installés et d'associés de cabinets. Je leur ai confié l'élaboration d'une charte. Cette charte, dénommée "chance collaboration" a pour objectif d'inciter les cabinets à adopter les bonnes pratiques en matière de gestion des carrières. Cette charte aborde plusieurs sujets comme la prévention des conflits, l'aménagement des conditions de travail pour les collaboratrices enceintes et des horaires pour les jeunes parents, l'égalité des rémunérations ou encore la fin de la collaboration. En adhérant à cette charte, les cabinets adresseront un message fort aux collaborateurs : celui de leur adhésion aux valeurs citoyennes et humaines de la société d'aujourd'hui. Par ailleurs, dès le début de 2012, nous allons proposer aux 9 000 collaborateurs du barreau de Paris de souscrire à une assurance "perte de collaboration". Pour 180 euros par an -charge entièrement déductible- chaque collaborateur qui le souhaite pourra bénéficier d'une indemnisation pendant les périodes de transition entre deux collaborations. En cette période de crise profonde, nous avons la volonté de répondre ainsi au besoin de sécurité exprimé par les jeunes avocats, tout particulièrement dans les premières années d'exercice professionnel.

Lexbase : Enfin, quelle sera votre première action en tant que Bâtonnier ?

Christiane Féral-Schuhl : Ma toute première action sera de m'adresser aux avocats du barreau de Paris pour les remercier de la confiance qu'ils me témoignent et leur présenter dans le détail les grandes lignes de mon bâtonnat. Il est important qu'ils sachent que, dès le 1er janvier, je serai, ce que j'ai promis d'être, à leur service et animée par une volonté de les rassembler et de les valoriser. Ensuite, mon agenda étant bien rempli, je répondrai à l'invitation de la commission "culture et avocat" qui m'a demandé d'inaugurer l'exposition d'une oeuvre contemporaine dans le hall de la Maison du barreau. Favorable à toute initiative qui valorise l'image de notre Ordre, j'y vois là un très beau moyen de fédérer les avocats de notre barreau.

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Contrats et obligations

[Chronique] Chronique de droit des contrats - Décembre 2011

Lecture: 10 min

N9125BSR

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par David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI)

Le 08 Décembre 2011

Lexbase Hebdo - édition privée vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit des contrats de David Bakouche, Agrégé des Facultés de droit, Professeur à l'Université Paris-Sud (Paris XI). Cette chronique revient, en premier lieu, sur un arrêt du 4 novembre 2011, par lequel la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré que n'est pas nul comme ayant une cause contraire aux bonnes moeurs le contrat de courtage matrimonial conclu par une personne déjà mariée (Cass. civ. 1, 4 novembre 2011, n° 10-20.114, FS-P+B+I). En second lieu, l'auteur s'est arrêté sur un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 3 novembre 2011, qui rappelle les conditions d'application de l'exécution forcée d'un pacte de préférence en cas de vente conclue au mépris de ce droit de priorité (Cass. civ. 3, 3 novembre 2011, n° 10-20.936, FS-P+B).
  • N'est pas nul comme ayant une cause contraire aux bonnes moeurs le contrat de courtage matrimonial conclu par une personne déjà mariée (Cass. civ. 1, 4 novembre 2011, n° 10-20.114, FS-P+B+I (N° Lexbase : A5172HZL)

Le droit français fait de la cause une condition de validité du contrat. Ainsi, l'article 1108 du Code civil (N° Lexbase : L1014AB8), ouvrant le chapitre II "Des conditions essentielles pour la validité des conventions" du Titre III du Livre III, subordonne-t-il la validité d'une convention à l'existence, non seulement du consentement de la partie qui s'oblige, à condition, bien entendu, qu'elle soit capable de contracter, et d'un objet certain formant la matière de l'engagement, mais aussi, d'"une cause licite dans l'obligation". Les articles 1131 (N° Lexbase : L1231AB9) et 1133 (N° Lexbase : L1233ABB) du même code reprennent cette exigence, le premier énonçant que "l'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet", le second précisant que "la cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes moeurs ou à l'ordre public". Aussi n'est-il sans doute pas exagéré de dire que la cause apparaît comme la "pièce maîtresse" du mécanisme contractuel (1). En vérifiant que la cause existe, le juge s'assure en quelque sorte, pour chaque obligation souscrite, de l'existence d'une justification suffisante : c'est en ce sens que l'on a pu dire que la condition tenant à l'existence de la cause était posée dans un souci de protection individuelle (2) afin de permettre de contrôler la cohérence du contrat dans son ensemble (3). Et en vérifiant, en outre, que la cause soit licite et morale, le juge s'assure de la conformité de l'engagement à l'ordre public et aux bonnes moeurs : par où la condition tenant à la licéité de la cause remplit, cette fois, une fonction de protection sociale. Et, précisément sur ce terrain, l'évolution contemporaine est marquée par un recul de l'ordre public et des bonnes moeurs, propre à favoriser la liberté contractuelle. Un récent arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 4 novembre 2011, à paraître au Bulletin, en constitue d'ailleurs un nouvel exemple.

En l'espèce, une cour d'appel avait, pour annuler le contrat de courtage matrimonial conclu par un consommateur avec une société, et condamner le premier à verser des dommages et intérêts à la seconde, relevé que l'intéressé s'était présenté, lors de la signature de la convention, comme divorcé en cochant dans l'acte la case correspondante, bien qu'il ait été alors toujours engagé dans les liens du mariage puisque le jugement de divorce le concernant n'a été prononcé que le 22 avril 2008, soit près d'une année plus tard. Les premiers juges avaient au reste fait valoir que s'il avait avisé la société de sa situation, elle n'aurait pas manqué de l'informer de l'impossibilité de rechercher un nouveau conjoint en étant toujours marié. Aussi bien en avaient-ils déduit que le contrat litigieux devait être annulé pour cause illicite comme contraire à l'ordre public de protection de la personne ainsi qu'aux bonnes moeurs, "un homme encore marié ne pouvant légitimement convoler en une nouvelle union". Cette décision est cependant cassée, sous le visa de l'article 1133 du Code civil : la Haute juridiction décide, en effet, "qu'en statuant ainsi alors que le contrat proposé par un professionnel, relatif à l'offre de rencontres en vue de la réalisation d'un mariage ou d'une union stable, qui ne se confond pas avec une telle réalisation, n'est pas nul, comme ayant une cause contraire à l'ordre public et aux bonnes moeurs, du fait qu'il est conclu par une personne mariée, la cour d'appel a violé le texte susvisé".

Le débat ne portait naturellement pas sur la validité de principe du courtage matrimonial, du moins lorsqu'il a pour objet de permettre à des célibataires de se rencontrer. Sans doute n'ignore-t-on pas que tant que le mariage n'est pas célébré, les parties demeurent en principe libres : doit, en effet, être préservée la liberté de chacun de s'engager ou de ne pas s'engager jusqu'au jour du mariage (d'où, d'ailleurs, l'absence de force obligatoire des fiançailles). Cet impératif avait, du reste, conduit la jurisprudence, au XIXème siècle, à faire preuve d'une grande sévérité à l'égard du courtage matrimonial, la pratique selon laquelle un intermédiaire est chargé de mettre en relation deux personnes afin que celles-ci concluent un contrat ayant longtemps été considéré comme immorale. Mais une évolution s'est ensuite réalisée, un simple contrôle destiné à vérifier l'absence de pression sur les individus et le caractère proportionné de la rémunération demandée se substituant au principe de prohibition. Aujourd'hui, le courtage matrimonial est soumis à l'emprise du droit de la consommation, une loi du 23 juin 1989 (loi n° 89-421, 23 juin 1989, relative à l'information et à la protection des consommateurs ainsi qu'à diverses pratiques commerciales N° Lexbase : L7752A8M), assortie d'un décret du 16 mai 1990 (décret n° 90-422, 16 mai 1990 N° Lexbase : L6370G4P, portant application, en ce qui concerne les offres de rencontres en vue de la réalisation d'un mariage ou d'une union stable, de la loi du 23 juin 1989), étant venue réglementer le courtage lorsqu'il est le fait d'un professionnel, imposant, notamment, l'apposition de certaines mentions informatives dans le contrat dans un souci de protection des clients.

En réalité, ici, la question se posait de savoir s'il fallait s'en tenir à cette approche dans l'hypothèse dans laquelle le contrat conclu entre le professionnel et le consommateur avait pour objet de permettre à celui-ci de rencontrer l'âme soeur alors même qu'il était déjà marié. On saisit bien le problème : si on laisse de côté le cas dans lequel les rencontres offertes au consommateur par le professionnel en vertu du contrat proposé aboutiraient à la réalisation d'un nouveau mariage -ce qui, somme toute, pourrait se concevoir à condition bien entendu que le premier mariage soit dissout avant d'en contracter un autre-, il reste que, dans le cas dans lequel les rencontres en question aboutiraient à ce que l'arrêt appelle une union stable, celle-ci, sauf à ce que le mariage existant au jour de la conclusion du contrat de courtage matrimonial soit ensuite dissout, sera en réalité une union en marge d'un mariage existant, autrement dit une relation adultère, donc illicite. La Cour de cassation ne l'a cependant pas entendu ainsi au motif que le contrat litigieux, qui a certes pour objet d'offrir au consommateur des rencontres en vue de la réalisation d'un mariage ou d'une union stable, ne se confond pas avec une telle réalisation. Soit. On aura tout de même du mal à ne pas considérer que la validité d'un tel contrat, propre à favoriser dans certains cas une relation adultère, participe de la constitution d'une situation illicite parce que contraire au devoir de fidélité entre époux (C. civ., art. 212 N° Lexbase : L1362HIB). Mais faut-il s'en étonner à une époque où l'on a dépénalisé l'adultère et abandonné le caractère péremptoire de l'adultère comme faute civile susceptible de constituer une cause de divorce (4) , dissocié la question de l'attribution des torts de celle du règlement des conséquences patrimoniales du divorce (5) et, bien entendu, considéré que "n'est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes moeurs la libéralité consentie à l'occasion d'une relation adultère" (6) ?

  • Le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur dès lors que ce tiers avait connaissance, lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir (Cass. civ. 3, 3 novembre 2011, n° 10-20.936, FS-P+B N° Lexbase : A5243HZ9)

Le pacte de préférence est un avant-contrat par lequel un promettant s'engage, dans l'hypothèse dans laquelle il se déciderait à conclure un contrat donné, à en faire prioritairement la proposition au bénéficiaire. Le plus souvent accessoire d'un autre contrat, le pacte de préférence peut ainsi, par exemple, être stipulé dans un bail au profit du locataire, ou encore dans une vente, soit au profit du vendeur afin de racheter prioritairement le bien dans le cas où l'acquéreur le revendrait, soit au profit de l'acquéreur, par exemple afin de bénéficier d'une priorité pour l'acquisition de parcelles voisines appartenant au même propriétaire. L'essence du pacte de préférence le distingue de la promesse unilatérale de vente : alors que, par celle-ci, le promettant s'engage à vendre, il n'accorde, avec celui-là, qu'une priorité au bénéficiaire. On s'est longtemps demandé si le bénéficiaire du pacte de préférence pouvait, dans l'hypothèse dans laquelle le promettant aurait finalement conclu le contrat sans avoir respecté son droit de priorité, demander l'exécution forcée du pacte et donc obtenir non seulement l'annulation de l'opération conclue avec le tiers acquéreur, mais encore la possibilité d'être substitué dans les droits de celui-ci. Un temps hostile à cette solution, la Cour de cassation a finalement opéré un revirement de jurisprudence, par un important arrêt rendu en Chambre mixte le 26 mai 2006 (7). L'arrêt de la troisième chambre civile du 3 novembre 2011, qui en constitue une application, permet de revenir sur les conditions posées par la jurisprudence auxquelles elle entend subordonner l'exécution forcée du pacte de préférence.

En l'espèce, une société exerçant une activité de marchand de biens avait conclu une promesse synallagmatique de vente portant sur un immeuble à usage commercial, et avait ensuite consenti sur le même bien un bail commercial à une société tierce, stipulant un droit de préférence au profit du locataire, et comportant une clause qui faisait remonter les effets l'opération à une date antérieure à la promesse. Le promettant reprochait aux premiers juges d'avoir prononcé la nullité de la vente consentie au bénéficiaire de la promesse synallagmatique et de lui avoir substitué le bénéficiaire du pacte de préférence alors que, selon le pourvoi : d'une part, si le bénéficiaire d'un pacte de préférence est en droit d'exiger l'annulation du contrat passé avec un tiers en méconnaissance de ses droits et d'obtenir sa substitution à l'acquéreur, c'est à la condition que ce tiers ait eu connaissance, et ce lorsqu'il a contracté, de l'existence du pacte de préférence et de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir, connaissance dont la preuve ne serait précisément pas rapportée en l'espèce ; et, d'autre part, la connaissance du pacte de préférence et de l'intention de son bénéficiaire de s'en prévaloir s'apprécie à la date de la promesse de vente, qui vaut vente, et non à celle de sa réitération par acte authentique, en sorte que la fraude aux droits du bénéficiaires du pacte ne serait pas établie puisque la formation de la promesse lui était antérieure. La Cour de cassation rejette cependant le pourvoi au motif "qu'ayant constaté que les sociétés L. et B. [le promettant et le bénéficiaire de la promesse synallagmatique] étaient, lors des opérations litigieuses, représentées par la même personne physique et souverainement retenu que la société B. avait connaissance, lorsqu'elle a contracté le 7 novembre 2002, de l'existence du pacte de préférence consenti par la société L. à la société S. [bénéficiaire du pacte], inséré au contrat de bail signé le 11 mars 2002, et de l'intention de la bénéficiaire de s'en prévaloir, et, à bon droit, que la promesse synallagmatique de vente consentie par la société L. le 8 janvier 2002 ne pouvait priver d'effet le pacte de préférence dès lors que le contrat de bail prenait effet, en toutes ses clauses et conditions, au 1er janvier 2002, la cour d'appel a pu déduire de ces seuls motifs que la vente de l'immeuble avait été réalisée en violation du pacte de préférence et qu'elle devait être annulée".

La solution est, dans son principe, à présent parfaitement acquise : dans l'hypothèse dans laquelle le promettant aurait conclu le contrat sans avoir respecté son droit de priorité, la jurisprudence admet l'exécution forcée du pacte. On sait bien, en effet, que la Haute juridiction a, depuis 2006, abandonné la position qui avait longtemps été la sienne et qui faisait application de l'article 1142 du Code civil (N° Lexbase : L1242ABM), aux termes duquel les obligations de faire se résolvent en dommages et intérêts, pour refuser toute substitution du bénéficiaire dans les droits de l'acquéreur. Il faut dire que cette solution était critiquée par la majorité de la doctrine qui faisait valoir, d'une part, que, historiquement, la formule de l'article 1142 signifiait simplement, dans l'esprit de ses rédacteurs, qu'il n'est pas possible de contraindre le débiteur à s'exécuter en nature quand sa liberté personnelle est en jeu et, d'autre part, que le principe de la force obligatoire des conventions et du respect de la parole donnée justifiait que le débiteur s'exécute dans les termes convenus plutôt que de n'avoir à payer que des dommages et intérêts. On rappellera que le revirement, approuvé dans son principe, avait tout de même été discuté en ce qu'il exigeait, pour permettre la substitution du bénéficiaire du pacte de préférence dans les droits de l'acquéreur, que celui-ci ait eu connaissance, au moment où il a contracté, de l'intention du bénéficiaire d'utiliser son droit, refusant ainsi de considérer que la connaissance du pacte puisse suffire à constituer le tiers de mauvaise foi (8). Toujours est-il que, en dépit des critiques exprimées jugeant ces conditions excessivement rigoureuses, la Cour de cassation a entendu maintenir le cap, ce que confirme d'ailleurs l'arrêt du 3 novembre 2011.

Si l'on s'en tient ici à la double preuve de la connaissance de l'existence du pacte par le tiers ainsi que de l'intention du bénéficiaire de s'en prévaloir (9) , l'arrêt montre en tout cas que, certes difficile, cette preuve n'est pour autant pas impossible (10). Mais il est vrai qu'il faut des circonstances bien particulières et, sans doute, on le concèdera, assez rares en pratique : ici, c'est parce que l'auteur du pacte et le bénéficiaire de la promesse synallagmatique étaient des sociétés représentées par la même personne physique, et qu'une lettre émanant du bénéficiaire du pacte dans laquelle il manifestait son intention de s'en prévaloir avait pu être produite, que la double preuve requise pour permettre l'exécution forcée du pacte a pu finalement être établie.


(1) En ce sens, voir H., L. et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, T. II, vol. 1, Obligations, Théorie générale, 9ème éd. par F. Chabas, 1998, Montchrestien, n° 255, p. 262.
(2) F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequelle, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, n° 336.
(3) A. Bénabent, Droit civil, Les obligations, Domat-Montchrestien, 11ème éd., n° 181.
(4) Loi n° 75-617 du 11 juillet 1975, portant réforme du divorce.
(5) Loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 (N° Lexbase : L2150DYB).
(6) Ass. plén., 29 octobre 2004, n° 03-11.238, P (N° Lexbase : A7802DDC), D., 2004, p. 3175, note D. Vigneau ; JCP éd. G, 2005, II, 10011, note F. Chabas.
Add. Y. Lequette, D'une célébration à l'autre (1904-2004), in 1804-2004, Le Code civil, Un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 21.
(7) Cass. mixte, 26 mai 2006, n° 03-19.376, P+B+R+I (N° Lexbase : A7227DPD), D., 2006, p. 1861, note P.-Y. Gautier et p. 1864, note D. Mainguy.
(8) Pour une critique, voir not. P.-Y. Gautier, note préc..
(9) En l'espèce, contrairement à ce que soutenait le pourvoi, la fraude aux droits du bénéficiaire du pacte de préférence avait bien été appréciée à la date de formation de la promesse synallagmatique, et non pas à celle de sa réitération. Voir déjà, en ce sens, Cass. civ. 3, 25 mars 2009, n° 07-22.027, FS-P+B (N° Lexbase : A1966EEK), RTDCiv., 2009, p. 337, obs. P.-Y. Gautier.
(10) Voir, déjà, Cass. civ. 3, 14 février 2007, n° 05-21.814 (N° Lexbase : A2160DUK), D. 2007, p. 2444, note J. Théron ; Cass. civ. 3, 25 mars 2009, préc..

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Droit des étrangers

[Doctrine] Chronique de droit des étrangers - Novembre 2011

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N9086BSC

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 08 Décembre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit interne de droit des étrangers, rédigée par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz. Au sommaire de cette chronique, tout d'abord, deux arrêts rendus par le Conseil d'Etat en date respectivement des 9 et 18 novembre 2011. Le premier arrêt vient confirmer la légalité de la création des centres de rétention administrative du Mesnil-Amelot 2 et 3 (CE 2° et 7° s-s-r., 18 novembre 2011, n° 335532, publié au recueil Lebon). Le juge estime que ces deux centres, parce qu'ils sont séparés et autonomes bien qu'ayant des services mutualisés, ne peuvent pas être regardés comme n'en faisant qu'un. Dès lors, leur capacité d'accueil n'excède pas la capacité maximale d'accueil d'un centre de rétention. Dans le deuxième arrêt (CE 2° et 7° s-s-r., 9 novembre 2011, n° 348773, mentionné aux tables du recueil Lebon), le Conseil d'Etat se prononce sur une question plus spécifique tenant à la légalité de la circulaire (circ. min., n° IOCV1108038C, du 23 mars 2011 N° Lexbase : L0451IQR) sur les conséquences de l'avis du Conseil d'Etat du 21 mars 2011, relatif à l'effet direct de la Directive "retour" (CE 2° et 7° s-s-r., 21 mars 2011, n° 345978, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6964HEN). Pour le juge, le défaut de publication de cette circulaire sur le site "circulaires.gouv.fr" n'empêche pas que les consignes qui y sont insérées soient valides. La troisième décision étudiée est une décision du juge européen, décision très attendue concernant la conventionalité du "délit d'aide au séjour irrégulier d'un étranger", dit "délit de solidarité". Procédure très contestée, elle n'a pas été remise en cause par la Cour dans le cas d'espèce et dans la mesure où, pour le juge, les autorités ont su ménager "un juste équilibre" entre les divers intérêts en présence. Ce faisant, et en se concentrant sur les seules circonstances de l'espèce, la Cour n'établit pas clairement les contraintes de conventionalité applicables à ce mécanisme pénal (CEDH, Req. n° 29681/08, 10 novembre 2011).
  • Légalité de la création des centres de rétention administrative du Mesnil-Amelot 2 et 3 (CE 2° et 7° s-s-r., 18 novembre 2011, n° 335532, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A9259HZX)

La création des centres de rétention administrative du Mesnil-Amelot 2 et 3 a marqué une nouvelle étape dans le phénomène que les associations de défense des droits des migrants ont qualifié depuis 2004 "d'industrialisation de la rétention". Les deux centres en question comptent 240 places, dont 40 places réservées aux familles, et sont organisés autour de deux bâtiments administratifs jumeaux, eux-mêmes reliés par une passerelle de commandement. Une double enceinte grillagée et barbelée entoure l'ensemble du centre. Les deux centres de rétention, séparés par une simple clôture, sont installés dans une enceinte commune avec une entrée unique sur une route départementale, et disposent de certains services mutualisés pour les personnels. Présentés par l'administration comme constituant deux centres de rétention, tous ces éléments peuvent faire conclure, au contraire, à l'existence d'un seul centre. Or, la capacité maximale d'accueil de chacun de ces centres étant de 120 personnes, le regroupement des centres ferait dépasser le seuil maximal de 140 places qui est imposé pour les centres de rétention par l'article R. 553-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L1743HWH).

La création de ces centres est donc contestée par les associations de défense des droits des migrants qui dénoncent, dans ces conditions, la possibilité limitée pour les étrangers d'exercer leurs droits et de bénéficier d'une véritable aide juridique. En effet, le nombre important de dossiers à traiter pour le juge des libertés et de la détention statuant sur la situation des retenus des centres de Mesnil-Amelot conduit forcément à un traitement très rapide et superficiel de la situation de chacun et à la mise en place conséquente d'une justice d'exception pour les étrangers.

En conséquence, les associations ont d'abord saisi le Conseil d'Etat d'un référé-suspension visant plusieurs arrêtés successifs pris en application de l'article R. 553-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L7359IMI), en tant qu'ils ajoutaient à la liste des centres de rétention administrative les centres du Mesnil-Amelot 2 et 3. Le Conseil d'Etat rejette ces demandes, considérant, notamment, "que l'ouverture effective d'un centre de rétention dans les conditions prévues par le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'est pas de nature, en soi, à créer une situation d'urgence justifiant le prononcé d'une mesure de suspension en référé" (1).

Au fond, les associations ont, d'abord, fait valoir la méconnaissance des principes d'indépendance et d'impartialité de la justice et une violation conséquente du droit à un procès équitable prévu à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR). Ceci, dans la mesure où, notamment, les audiences du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Meaux auront lieu dans deux salles intégrées à un ensemble de bureaux de police attenant au centre. Le Conseil d'Etat estime que les conditions permettent de statuer publiquement dans le respect de l'indépendance des magistrats et de la liberté des parties. Pour le juge, "la tenue d'une audience dans une salle à proximité immédiate d'un lieu de rétention n'est, dès lors qu'elle n'est pas située dans le centre lui-même, pas contraire à l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales [...] il ressort des pièces du dossier que les salles d'audience, dépendant du ministère de la justice, sont prévues en dehors des centres eux-mêmes, qu'il existe une entrée publique autonome située avant l'entrée dans les centres et que ces salles ne sont pas reliées aux bâtiments composant les centres".

Par ailleurs, sur le moyen relatif à l'exposition au bruit des centres, le Conseil d'Etat considère que "les centres sont situés dans des zones de forte exposition aux nuisances sonores du fait de la proximité de l'aéroport de Roissy et de la route départementale [...] toutefois, compte tenu du caractère temporaire de la rétention dans ces bâtiments, de la destination des lieux, ainsi que de l'isolation acoustique des bâtiments, l'ouverture des centres construits sur ce terrain n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation".

Les associations mettent, également, en avant le caractère abusif du placement en rétention des mineurs et la violation de l'article 17 de la Directive du 16 décembre 2008 (2) qui oblige, notamment, l'administration à prendre en compte l'intérêt supérieur de l'enfant ou encore un lieu d'hébergement séparé pour la famille. De même, est dénoncé le fait que l'accueil des enfants mineurs dans le centre puisse permettre, à terme, aux autorités préfectorales de prendre des mesures privatives de liberté à l'encontre de ses enfants mineurs alors que le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile interdit l'expulsion des mineurs étrangers (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 511-4 N° Lexbase : L7191IQE).

La Haute assemblée juge "que le centre du Mesnil-Amelot 2 est autorisé à accueillir des familles [...] il ressort des pièces du dossier qu'en conséquence un bâtiment spécial a été aménagé à cet effet [...] ces dispositions n'ont pas pour objet de permettre aux autorités préfectorales de prendre des mesures privatives de liberté à l'encontre des enfants mineurs des personnes placées en rétention [...] elles visent seulement à organiser l'accueil des familles, et notamment des enfants mineurs, des étrangers placés en rétention".

Enfin, et de manière principale, le Conseil d'Etat estime que ces deux centres, parce qu'ils sont séparés et autonomes bien qu'ayant des services mutualisés, ne peuvent pas être regardés comme n'en faisant qu'un. Dès lors, leur capacité d'accueil n'excède pas les 140 places autorisées par l'article R. 553-3 précité. Ensuite, le passage de l'un à l'autre centre est impossible pour les personnes retenues et, enfin, chaque centre dispose d'un service d'accueil, d'un système de surveillance, d'une équipe de direction et de personnels propres. En outre, la décision d'affectation d'une personne retenue doit préciser lequel des deux centres sera retenu.

Le Conseil d'Etat, par la décision d'espèce, caractérise, ainsi, l'unité d'un centre de rétention. Celle-ci est déterminée par l'autonomie de son administration et l'autonomie de l'organisation de l'accueil, de la vie et de la surveillance des personnes retenues. En revanche, les locaux destinés au personnel et qui ne sont pas directement affectés à la rétention peuvent être mutualisés, une passerelle reliant les deux centres et destinée à la police aux frontières n'étant pas jugé comme liant les deux centres. Au final, et en dépit des controverses et des critiques également formulées par la Cour des comptes (3) et plusieurs commissions nationales qui y voient des risques de sécurité (notamment après l'incendie d'un tel centre double à Vincennes en juin 2008), de troubles à l'ordre public, et de suivi individuel insuffisant, le couplage des deux centres de rétention du Mesnil-Amelot est jugé légal.

  • Légalité de la circulaire du 23 mars 2011, sur les conséquences de l'avis du Conseil d'Etat du 21 mars 2011, relatif à l'effet direct de la Directive "retour" (CE 2° et 7° s-s-r., 9 novembre 2011, n° 348773, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9085HZI)

Les mesures d'éloignement des étrangers en situation irrégulière font l'objet d'un encadrement normatif à la fois complexe et dense, résultant, notamment, de la superposition des réglementations nationale et communautaire. En cette matière, le poids des contraintes communautaires ne manque pas de se faire sentir, suscitant parfois des difficultés d'application.

C'est le cas à propos de la Directive dite "retour" adoptée le 16 décembre 2008 par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne, et relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Le délai d'expiration pour la transposition de la Directive en droit interne a expiré le 24 décembre 2010. Le tribunal administratif de Montreuil a alors saisi pour avis le Conseil d'Etat quant à la portée et l'applicabilité, en l'absence de mesures de transposition, des articles 7 et 8 de la Directive. La question étant de savoir si la Directive "retour" pouvait être directement invocable par les étrangers contestant la mesure de reconduite à la frontière dont ils faisaient l'objet.

L'article 7 de la Directive dispose que "la décision de retour prévoit un délai approprié allant de sept à trente jours pour le départ volontaire" au terme duquel la mesure d'éloignement peut être exécutée, permettant que ce délai fût réduit, voire supprimé, dans des cas particuliers énumérés à son paragraphe 4. L'article 8 prévoit qu'"à l'expiration dudit délai ou dans les cas où aucun délai n'a été accordé, les Etats prennent toutes mesures nécessaires pour exécuter la décision de retour". En ce sens, les dispositions de l'article L. 511-1 II du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L7189IQC) définissant le régime des arrêtés de reconduite à la frontière étaient donc incompatibles avec la Directive en ce qu'elles n'imposaient pas qu'une mesure de reconduite à la frontière soit assortie d'un délai approprié.

L'avis confirme l'applicabilité de la Directive dans une application littérale de la jurisprudence "Dame Perreux" (4), et reconnaît donc, que, dès lors que les dispositions de la Directive sont inconditionnelles et précises, la circonstance que l'Etat ne les ait pas transposées ne peut, dans ce cadre, faire obstacle à ce que les dites dispositions puissent être directement invoquées (5). A la suite de cet avis, le ministre de l'Intérieur, de l'Outre-mer, des Collectivités territoriales et de l'Immigration a adressé, le 23 mars 2011, au Préfet de police et aux préfets une circulaire dont l'objet était de préciser les conséquences à tirer, à titre transitoire, de l'avis du Conseil d'Etat du 21 mars 2011 "dans l'attente de la transposition de l'ensemble de la directive que permettra l'adoption prochaine, par le Parlement, du projet de loi relatif à l'immigration, l'intégration et la nationalité". Il s'agissait, ainsi, pour le ministre, de présenter "à titre transitoire" les modalités d'application non de l'avis du Conseil d'Etat en soi, mais des modalités de lecture à retenir de cet avis (6).

C'est l'objet de la circulaire du 23 mars 2011 (circ. min., n° IOCV1108038C) attaquée par l'association requérante, cette dernière demandant l'annulation pour excès de pouvoir de certains des termes de cette instruction, notamment ceux en liaison avec les dispositions des articles 7 et 8 de la Directive. L'association invoquait principalement l'absence de publication de la circulaire attaquée sur le site "circulaires.gouv.fr".

Pour le Conseil d'Etat, l'association n'est pas fondée à demander l'annulation des dispositions de la circulaire qu'il conteste. Il relève, en effet, que le défaut de publication d'une circulaire sur le site en question n'empêche pas que les consignes qui y sont insérées soient valides. En conséquence, même non publiée immédiatement sur le site comme l'exigeait le décret du 8 décembre 2008, relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires (8), et alors même que les moyens d'une telle publication sont à la portée de toute administration, la circulaire est validée.

Selon l'article 1er du décret mentionné, "une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site [...] n'est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s'en prévaloir à l'égard des administrés". Pour autant, le Conseil d'Etat juge que ces dispositions ne font pas obstacle à ce qu'un ministre fasse cesser une application irrégulière du droit et qu'il prescrive, par cette voie, à ses services, de prendre des décisions en conformité avec les normes, notamment communautaires, qui s'imposent légalement à l'administration. C'est l'application immédiate des dispositions qui prédomine sur la publication des dispositions de la circulaire. Les mesures en cause relèvent aujourd'hui de la loi du 16 juin 2011, relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité (8).

  • La CESDH ne s'oppose pas à une condamnation avec dispense de peine pour aide au séjour irrégulier d'un étranger (CEDH, Req. n° 29681/08, 10 novembre 2011 N° Lexbase : A9119HZR)

La décision n° 29681/08 rendue le 10 novembre 2011 a donné à la Cour européenne des droits de l'Homme l'occasion de se prononcer sur l'application du "délit d'aide au séjour irrégulier d'un étranger" prévue par l'article L. 622-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L5886G4R) qui punit de cinq ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende "toute personne qui aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en France". Symbole de la tendance répressive qui sévit en France et popularisé par les associations françaises sous le terme de "délit de solidarité", l'examen de sa conventionalité était très attendu.

Le texte vise toute personne dont les agissements favorisent l'immigration clandestine et l'introduction irrégulière sur le territoire français d'étrangers, quelle que soit la raison de leur présence. En l'espèce, le requérant fut condamné en 2006 pour avoir hébergé son gendre, alors que l'autorisation donnée à ce dernier de pouvoir rester sur le territoire français avait expiré. L'on précisera que sa fille était, alors, enceinte et que des démarches administratives au titre du regroupement familial étaient en cours. Le requérant est poursuivi, et finalement jugé coupable, à deux reprises. Il est cependant dispensé de peine, d'abord en raison de la cessation de l'infraction (le gendre ayant finalement, entre temps, été régularisé), ensuite parce que son comportement avait été dicté par la générosité. Mais deux décisions de justice considèrent qu'il a bien commis un délit. Son pourvoi en cassation est rejeté. Devant la Cour de Strasbourg, le requérant se plaignait d'une violation de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR) garantissant le droit au respect de sa vie privée et familiale. Nul doute que la solution alors adoptée par le juge strasbourgeois va faire couler beaucoup d'encre.

La Cour refuse, dans un premier temps, de suivre l'analyse du Gouvernement défendeur sur le terrain de la recevabilité, et juge l'article 8 de la CESDH et le droit au respect de la vie privée et familiale applicable aux faits de l'espèce (point n° 31). Sur le fond, elle constate l'existence d'une ingérence dans le droit du requérant fondé sur l'article 8, que celle-ci était prévue par la loi (C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 622-1), et qu'elle poursuivait un but légitime, la protection de l'ordre public et la prévention des infractions pénales (point n° 38). Mais la reconnaissance conventionnelle d'un tel lien familial ne revient pas à lui offrir une protection absolue contre toute ingérence des pouvoirs publics (point n° 35). Seules celles qualifiables d'"arbitraires" aux yeux de la Cour sont susceptibles de faire l'objet d'une condamnation par le juge européen.

Après avoir légitimé la déclaration de culpabilité prononcée par les juridictions pénales françaises qui "ne pouvaient que statuer dans le sens de la responsabilité pénale du requérant" (point n° 40), la Cour relève favorablement, dans un second temps, que ces mêmes juridictions ont assorti la déclaration de culpabilité d'une dispense de peine. Pour la Cour, une telle issue témoigne du fait que "les autorités ont ménagé un juste équilibre entre les divers intérêts en présence à savoir la nécessité de préserver l'ordre public et de prévenir les infractions pénales d'une part, et de protéger le droit du requérant au respect de sa vie familiale, d'autre part" (point n° 40). En l'absence d'atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée, et eu égard au faible impact de sa condamnation sur son casier (§ 41), il n'y a pas eu violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

En jugeant de la sorte, la Cour se concentre sur les seules circonstances de l'espèce et il est difficile de déterminer si ce "juste équilibre" aurait aussi été respecté dans l'hypothèse où une peine, fût-elle minime, aurait été prononcée contre le requérant. La Cour ne prend pas, également, en compte la question de l'existence même de l'infraction, que celle-ci débouche ou non sur le prononcé d'une peine. Ainsi que le révèle parfaitement le cas d'espèce, cette infraction pénale peut être le support de poursuites pénales. Dans ce cadre procédural, divers actes peuvent intervenir -au premier rang desquels figure le placement en garde à vue- et ces derniers ne sont pas dénués de retombées négatives sur les personnes qui en sont l'objet, notamment jusque dans leur vie familiale. De plus, en raison du flou qui affecte le champ d'application de cette infraction, cette dernière peut faire figure de menace potentielle à même de dissuader une personne d'agir d'une certaine manière (9).

Il faut, à cet égard, mentionner dans un rapport en date du 6 janvier 2011 rendu public par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme une note sur les cas d'application du délit d'aide à l'entrée, au séjour, à la circulation et au séjour irréguliers. La démarche de la Commission consistait, alors, à ne pas se limiter aux seuls exemples de condamnation par un tribunal, et à considérer le procès pénal dans son ensemble -de l'interpellation à la condamnation- selon l'idée que la condamnation au sens strict ne constitue pas l'unique sanction à prendre en compte pour une analyse pertinente des conséquences de la disposition en question sur les personnes en cause.

La Commission regrette, en premier lieu, le manque de clarté de la définition de l'infraction et sa nature trop large et trop englobante. Elle préconise, par ailleurs, une indispensable inversion de logique dans le dispositif afin que les immunités prévues à l'article L. 622-4 précité deviennent le principe et, le délit, l'exception. Enfin, elle déduit de son étude qu'aujourd'hui, en France, une personne peut effectivement être inquiétée pour des actes de pure solidarité, c'est-à-dire dans une approche humanitaire envers un étranger en situation irrégulière.

Il peut s'agir d'actes sur la durée, comme la distribution de nourriture par des bénévoles, ou exercées de manière ponctuelle face à une situation d'urgence. Ainsi, une femme a comparu devant le tribunal correctionnel pour avoir hébergé un mineur isolé sans domicile. Elle a bénéficié d'une relaxe mais l'affaire n'a pas été classée sans suite. Elle a, en effet, été relaxée sur le fondement de l'état de nécessité et non pas de l'immunité "humanitaire". De plus, un homme a été condamné pour avoir transporté un migrant jusqu'au supermarché pour qu'il puisse se restaurer (10). Ainsi, il apparaît que certains actes qui pourraient être couverts par l'immunité dite "humanitaire" prévue à l'article L. 622-4, alinéa 3, du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne le sont pas.

La définition de l'infraction manque effectivement de clarté en ce sens et peut, par certains côtés, se révéler assez imprécise. Il faut, à cet égard, mentionner l'existence d'une opinion dissidente de la juge Power-Forde, pour qui l'ingérence était, en l'espèce, "totalement disproportionnée", et ne répondait à aucun "besoin social impérieux" au sens de la jurisprudence européenne. Reprenant les critiques adressées à la législation en question, dont celles émises par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, elle remet en cause la qualité de la loi, estimant que les dispositions de l'article L. 622-1 sont "trop générales et sans nuances" et, en ce sens, "incompatibles avec le respect des droits de l'Homme dans un Etat régi par la prééminence du droit".

La juge pose une question qui peut interpeller : "Quel danger ou risque [le requérant] avait-il fait courir à la société en permettant à son gendre de rester sous son toit alors que l'épouse de celui-ci, sa fille, connaissait une grossesse difficile et qu'une demande de regroupement familial avait été adressée aux autorités et était en cours d'examen ?", et d'évoquer une autre interrogation qui pourrait bien se poser dans de prochaines affaires : "que veut dire aider' ou faciliter' le séjour irrégulier d'un immigré ? Lui acheter une carte téléphonique grâce à laquelle il pourra appeler chez lui, lui offrir un pull-over chaud ou un bol de soupe en hiver ou l'héberger un soir de Noël, est-ce aider' ou faciliter' -directement ou indirectement- son séjour en France ?".


(1) Pour le Conseil d'Etat, "si les associations requérantes font valoir que les centres du Mesnil-Amelot 2 et 3 sont exposés, du fait de leur localisation, à d'importantes nuisances sonores causées en particulier par la circulation aérienne et qu'ils auraient été implantés en méconnaissance des prescriptions législatives relatives aux plans d'exposition au bruit, que certains aménagements intérieurs des deux centres ne respecteraient pas les normes fixées par l'article R. 553-3 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment pour ce qui concerne la surface des salles de loisir et de détente, et que les deux salles d'audience auraient été installées en méconnaissance des dispositions de l'article L. 552-1 du même code, ces circonstances ne traduisent pas une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts que les associations requérantes entendent défendre justifiant le prononcé d'une mesure de suspension, alors que le Conseil d'Etat devrait, ainsi qu'il a été dit, statuer prochainement sur les requêtes au fond" (CE référé, 13 septembre 2011, n° 352155, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7596HXM, AJDA, 2011, p. 1920).
(2) Directive (CE) 2008/115 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (N° Lexbase : L3289ICS), JOUE, 24 décembre 2008, p. 98-107.
(3) Cour des comptes, rapport sur la gestion de la rétention administrative, juillet 2009.
(4) CE, Ass., 30 octobre 2009, n° 298348, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6040EMN), AJDA, 2009, p. 2385, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi, D., 2010, p. 553, obs. M.-C. de Montecler, note G. Calvès, RFDA, 2009, p. 1125, concl. M. Guyomar.
(5) CE 2° et 7° s-s-r., 21 mars 2011, n° 345978, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6964HEN), JCP éd. A, 2011, n° 2173, comm. S. Slama, AJDA, 2011, p. 1688, note H. Alcaraz, Constitutions, 2011, p. 328, obs. A. Levade.
(6) En particulier, la circulaire prescrivait, à cet effet, de "laisser aux étrangers qui sont susceptibles, conformément à l'article 7 de la Directive, d'en revendiquer le bénéfice, un délai pour quitter volontairement le territoire national". La circulaire interdisait, en outre, "d'opposer le risque de fuite pour refuser d'accorder un délai de départ volontaire d'au moins sept jours".
(7) Décret n° 2008-1281 du 8 décembre 2008, relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires (N° Lexbase : L1366ICL), JO du 10 décembre 2008, p. 18777.
(8) JO du 17 juin 2011, p. 10290.
(9) Voir, en ce sens, Nicolas Hervieu, Conventionalité du "délit d'aide au séjour irrégulier d'un étranger" dit "délit de solidarité", in Lettre "Actualités Droits-Libertés" du CREDOF, 11 novembre 2011.
(10) CA, Metz, 17 novembre 1995.

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Santé

[Jurisprudence] Le juge judiciaire et l'indemnisation du salarié protégé licencié et harcelé

Réf. : Cass. soc., trois arrêts, 15 novembre 2011, n° 10-10.687, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9349HZB), n° 10-30.463, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9350HZC) et n° 10-18.417, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9352HZE)

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N9088BSE

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 08 Décembre 2011

Les salariés dits "protégés", dont le licenciement ne peut être prononcé sans une autorisation administrative préalable, peuvent également bénéficier d'autres dispositions protectrices, notamment de celles des victimes de harcèlement. Dans trois décisions en date du 15 novembre 2011, la Chambre sociale de la Cour de cassation rappelle que le harcèlement ne suppose pas l'intention de nuire (I) et affirme, de manière inédite et parfaitement justifiée, que le juge judiciaire doit assurer la réparation des préjudices causés aux salariés, même s'ils sont protégés et qu'ils ont été valablement licenciés après la délivrance d'une autorisation administrative (II).
Résumé

Le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel. La charge de la preuve du harcèlement moral ne pèse pas sur le salarié.

Si l'autorisation de licencier accordée par l'autorité administrative ne prive pas le salarié du droit d'obtenir l'indemnisation du préjudice causé par des faits de harcèlement, elle ne lui permet toutefois plus de contester pour ce motif la validité ou la cause de la rupture.

Commentaire

I - Du harcèlement "par destination"

Sanction du harcèlement "par destination". L'article L. 1152-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0724H9P) définit, depuis la loi de modernisation sociale du 27 janvier 2002 (loi n° 2002-73 N° Lexbase : L1304AW9), le harcèlement moral comme "les agissements répétés [...] qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".

La référence à des agissements ayant "pour effet" démontre à l'évidence qu'un comportement peut parfaitement être qualifié de harcèlement même si son auteur n'a pas souhaité harceler le salarié, parce qu'il poursuivait un autre but qui lui semblait légitime (management intensif, humour déplacé, etc.), à tort ou à raison. Comme il existe des armes par nature et des armes par destination, il y a donc aussi des harcèlements "par nature" (ayant pour objet) et des harcèlements "par destination" (ayant pour effet).

Cette définition qui admet des harcèlements non intentionnels, et qui correspond d'ailleurs également à celle de l'infraction pénale de l'article 222-33-2 du Code pénal (N° Lexbase : L1594AZ3), interdit par conséquent de subordonner la condamnation de l'employeur à la preuve du caractère intentionnel du harcèlement (1), comme l'affirme la Chambre sociale de la Cour de cassation depuis 2009 (2).

La solution a été reprise depuis. Ainsi, la Cour de cassation considère que fait présumer l'existence d'un harcèlement moral "l'absence d'entretien annuel [...], la rédaction d'un curriculum vitae erroné ou incomplet, l'affectation dans un emploi 'artificiel' et le retrait ou la privation d'instruments de travail, [...] indépendamment des intentions de leurs auteurs" (3). Sont également sanctionnés les juges du fond qui déboutent le salarié de ses demandes après avoir relevé que les faits dénoncés ne s'inscrivaient pas "dans une entreprise de déstabilisation", alors que "le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur" (4).

Confirmation en l'espèce. C'est ce que confirment deux nouveaux arrêts en date du 15 novembre 2011 (Cass. soc., 15 novembre 2011, n° 10-10.687 et n° 10-30.463).

Dans ces affaires très proches, les salariés, titulaires de différents mandats, avaient été licenciés pour inaptitude après autorisation administrative et avaient saisi la juridiction prud'homale de demandes en réparation du préjudice qu'ils prétendaient avoir subi en raison d'un supposé harcèlement. Les juges judiciaires s'étaient déclarés compétents mais les avaient déboutés de leurs demandes.

Dans la première affaire, la cour d'appel, pour débouter le salarié de ses demandes, avait retenu qu'il ne démontrait pas que les travaux qui lui étaient confiés lui étaient dévolus dans l'unique but de le harceler, la situation décrite trouvant son origine dans une réorganisation de l'entreprise, et que, si ces changements de tâches nécessités par l'évolution de l'environnement juridique, économique et social et la nécessaire adaptation à cet environnement ont pu occasionner du stress chez l'intéressé et conduit à modifier ses habitudes tout comme chez les autres salariés, ces changements au demeurant cantonnés dans le temps ne peuvent s'analyser en faits répétés de harcèlement moral, partager son bureau avec un collègue n'ayant pas les mêmes qualifications ne présentant pas de caractère dégradant ou attentatoire à la dignité. Les juges avaient ajouté que le salarié ne pouvait à la fois refuser de se présenter à des entretiens d'évaluation et se prévaloir d'une note établie de manière non contradictoire hors sa présence. L'arrêt est cassé. Après avoir rappelé que "lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement", la Cour considère qu'"en exigeant du salarié qu'il démontre que les agissements imputés à l'employeur avaient pour unique but de le harceler et sans analyser les documents médicaux produits par l'intéressé, afin de vérifier s'ils permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale".

Dans la seconde affaire, une salariée avait été licenciée, après avoir été désignée comme déléguée syndicale, pour inaptitude médicale après autorisation de l'inspection du travail. Pour la débouter de ses demandes en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, la cour d'appel avait affirmé que si les changements d'affectation avec permutation d'horaires suivant les besoins, qui entrent dans le cadre des dispositions contractuelles, ont été effectivement répétitifs, la salariée n'en produit pas pour autant les éléments objectifs permettant d'en conclure que l'employeur a agi intentionnellement pour lui nuire et entraîner les conséquences visées à l'article L. 1152-1 du Code du travail. L'arrêt est également cassé. Après avoir relevé "qu'il résulte de l'article L. 1152-1 du Code du travail que le harcèlement moral est constitué indépendamment de l'intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d'altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel", et "que selon l'article L. 1154-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0747H9K) la charge de la preuve du harcèlement moral ne pèse pas sur le salarié", la Haute juridiction casse pour violation des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du Code du travail, la cour d'appel se voyant reproché d'avoir fait "peser sur la salariée la charge de la preuve du harcèlement".

Des cassations justifiées. Les cassations sont logiques dans la mesure où les deux cours d'appel se faisaient du régime juridique du harcèlement une bien curieuse conception en imposant la preuve d'une intention de nuire, contraire à la lettre et à l'esprit du dispositif, et en ne tenant aucun compte des dispositions de l'article L. 1154-1 du Code du travail permettant au salarié de rapporter uniquement la preuve d'éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination.

II - L'office du juge prud'homal et l'indemnisation du salarié protégé harcelé

Salarié protégé et office du juge administratif. L'intervention d'une autorité administrative dans des rapports de droit privé pose de sérieux problèmes d'articulation des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif, en raison du principe constitutionnel garantissant la spécificité des juridictions administratives (5). Le principe de "séparation des autorités judiciaires et administratives", fondé sur les dispositions de la loi des 16 et 24 août 1790, protège ainsi le juge administratif contre les empiètements éventuels du juge judiciaire et impose à ce dernier de lui renvoyer toute discussion qui mettrait en cause la légalité de décisions prises par une autorité publique.

Ce principe d'articulation des compétences fait classiquement difficulté dans de nombreux secteurs du droit du travail, singulièrement lorsqu'est en cause le licenciement des salariés protégés, car tout ce qui a été examiné par l'inspecteur du travail relève alors de la compétence exclusive du juge administratif dans le cadre de la procédure du recours pour excès de pouvoir (6). C'est pourquoi le juge judiciaire n'est pas compétent pour discuter la qualité même de salarié protégé (7), remettre en cause le respect de la procédure de licenciement (8), statuer sur la justification du licenciement ou le respect par l'employeur de son obligation de reclassement dans la mesure où c'est précisément sur ces points que porte l'autorisation délivrée par l'autorité administrative (9). Comme l'indique régulièrement la Chambre sociale de la Cour de cassation en matière disciplinaire, "lorsque le juge administratif a apprécié des faits reprochés à un salarié protégé en retenant qu'ils étaient d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, les mêmes faits ne peuvent être appréciés différemment par le juge judiciaire" (10).

Rappel en l'espèce. Cette règle est logiquement rappelée dans l'une des trois décisions en date du 15 novembre 2011 (Cass. soc., 15 novembre 2011, n° 10-18.417).

Dans cette affaire, le salarié, titulaire de plusieurs mandats, avait été licencié, après autorisation administrative, pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement, et contestait la validité de son licenciement devant le juge prud'homal.

Cette demande avait été accueillie favorablement en appel, les magistrats ayant considéré que "la demande du salarié en nullité du licenciement, qui est fondée sur les dispositions de l'article L. 1152-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0728H9T), n'implique pas la vérification préalable de la régularité de la procédure de constatation de l'inaptitude, de l'accomplissement par [l'employeur] de son obligation de reclassement, et de l'existence d'un lien, ou non, entre ses fonctions de représentant du personnel et son licenciement", et "qu'en conséquence la juridiction prud'homale est compétente pour vérifier que la rupture du contrat de travail [...] et par voie de conséquence, son inaptitude physique, a eu ou non pour cause le harcèlement moral dont il prétend avoir été victime, sans qu'il soit pour autant porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs".

Tel n'est pas l'avis de la Cour de cassation qui, au visa de la loi des 16 et 24 août 1790 et de l'article L. 2421-3 du Code du travail (N° Lexbase : L0209H9M), indique que "l'autorisation de licencier accordée par l'autorité administrative [...] ne [...] permet [...] plus de contester pour [...] la validité ou la cause de la rupture".

Détermination de la compétence résiduelle du juge prud'homal. L'office du juge administratif définit donc positivement l'étendue de l'incompétence du juge judiciaire mais révèle également en creux la liste des litiges dont il continue d'assurer le règlement. Ainsi, s'agissant du licenciement des salariés protégés, le juge prud'homal demeure compétent pour les différends salariaux opposant les parties, mais aussi lorsqu'il s'agit des droits indemnitaires du salarié, comme le bénéfice de l'indemnité de licenciement ou de préavis, ou le respect par l'employeur des dispositions relatives au plan de sauvegarde de l'emploi (11), ce qui permet au juge judiciaire, même s'il est tenu de considérer que le licenciement du salarié est intervenu pour une cause réelle et sérieuse, d'écarter la faute grave (12), dès lors que le licenciement du salarié n'était pas subordonné à cette exigence (13).

Application au salarié protégé harcelé. C'est une nouvelle application de cette compétence résiduelle du juge prud'homal qui se trouve consacrée dans ces trois arrêts en date du 15 novembre 2011, même si on observera que dans aucune de ces affaires la juridiction prud'homale ne s'était déclarée incompétente.

La solution nous semble parfaitement justifiée.

La condamnation de l'employeur pour manquement à son obligation de sécurité de résultat (14) peut, en effet, parfaitement porter sur des faits qui peuvent ne pas avoir été pris en compte dans l'autorisation de licenciement, et en toute hypothèse il ne s'agit pas de contester la pertinence de ces faits au regard des conditions qui conduisent l'autorité administrative à autoriser ou à refuser d'autoriser le licenciement. Le juge administratif peut, en effet, décider d'autoriser le licenciement, en considération de la réalité de l'inaptitude et de l'impossibilité de procéder au reclassement du salarié, et même si cet état peut résulter de stratégies de harcèlements mises en oeuvre de longue date par l'employeur. Juridiquement, l'autorité administrative pourrait refuser d'autoriser le licenciement, mais ce refus n'aurait aucun sens lorsque le salarié et l'employeur souhaitent que ce licenciement puisse intervenir. Il est donc nécessaire de laisser le juge judiciaire la possibilité d'en tirer librement toutes les conséquences indemnitaires et d'accorder au salarié de substantielles indemnités pour compenser le préjudice qui peut lui avoir été causé. On comprend alors que la condamnation de l'employeur à des dommages et intérêts ne remet pas nécessairement en cause la pertinence de l'autorisation administrative de licenciement.


(1) En ce sens, B. Lapérou-Schenedider, Les mesures de lutte contre le harcèlement moral, Dr. soc., 2002, p. 313.
(2) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 07-45.321, FS-P+B (N° Lexbase : A1629ENN), voir les obs. de F. Lalanne, Les méthodes de gestion d'un supérieur hiérarchique peuvent caractériser un harcèlement moral ! La Cour de cassation à l'aune du harcèlement "managérial"..., Lexbase Hebdo n° 374 du 3 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5838BM8) ; JCP éd. S, 2010, 1125, étude C. Leborgne-Ingelaere ; RDT, 2010, p. 40, obs. F. Géa.
(3) Cass. soc., 2 février 2011, n° 09-42.733, F-D (N° Lexbase : A9706GSB) - Cass. soc., 1er mars 2011, n° 09-69.616, F-P+B (N° Lexbase : A1528HCL), v. nos obs. Le harcèlement managérial de nouveau sanctionné, Lexbase Hebdo n° 434 du 30 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7668BRG) ; Cass. soc., 4 mai 2011, n° 09-42.988, F-D (N° Lexbase : A2628HQE).
(4) Cass. soc., 23 novembre 2011, n° 10-18.195, F-D (N° Lexbase : A0133H3C).
(5) Cons. const., n°80-119 DC DC du 22 juillet 1980 (N° Lexbase : A8015ACT), GDCC, n° 29 ; Cons. const., n° 2001-448 DC du 25 juillet 2001 (N° Lexbase : A2570AUQ), AJDA, 2002, p. 59, note P. Jan.
(6) Cass. soc., 12 juillet 2010, n° 08-44.642, FS-P+B (N° Lexbase : A6740E4E) (légalité discutée de l'autorisation de licenciement donnée en raison de l'inaptitude de l'intéressé qui imputait cette dernière à des discriminations syndicales dont l'intéressé prétendait avoir été victime) ; Cass. soc., 29 septembre 2010, n° 09-41.127, FS-P+B (N° Lexbase : A7612GA8) (irrecevabilité de la demande de résiliation judiciaire dès lors que l'autorisation de licencier le salarié avait été délivrée). La même solution prévaut lorsque l'autorité administrative a autorisé le transfert du contrat du salarié protégé, s'agissant des conditions du transfert du contrat de travail : Cass. soc., 17 juin 2009, n° 08-42.614, FS-P+B (N° Lexbase : A3147EIE) ; Cass. soc., 3 mars 2010, n° 08-40.895, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6509ESU).
(7) Cass. soc., 1er février 2011, n° 08-44.569, F-D (N° Lexbase : A3487GRL).
(8) Cass. soc., 19 octobre 2010, n° 09-67.049, F-D (N° Lexbase : A4318GCW).
(9) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-42.660, FS-P+B (N° Lexbase : A1911EN4) ; Cass. soc., 3 mars 2010, n° 08-42.526, FS-P+B, sur le troisième moyen (N° Lexbase : A6514ES3) (reclassement interne ou externe) ; Cass. soc., 26 octobre 2010, n° 09-42.409, FS-P+B, sur le premier moyen (N° Lexbase : A0353GDG) (obligation légale ou conventionnelle).
(10) Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-71.950, FS-P+B (N° Lexbase : A2486HQ7).
(11) Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 06-45.766, F-D (N° Lexbase : A4845EAP).
(12) Cass. soc., 10 novembre 2010, n° 09-41.452, F-D (N° Lexbase : A9016GGZ) ; Cass. soc., 3 mai 2011, n° 09-71.950, FS-P+B (N° Lexbase : A2486HQ7).
(13) Il s'agira de l'autorisation de licencier une femme enceinte, un salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, ou d'un gréviste, car dans ces hypothèses l'immunité légale s'impose à l'autorité administrative et au juge judiciaire.
(14) Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9600DPA) et voir nos obs., L'employeur responsable du harcèlement moral dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 223 du 13 juillet 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N0835ALI) ; Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-44.019, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6087ERU) et Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-40.144, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6060ERU) et voir les obs. de S. Tournaux, Prise d'acte, obligation de sécurité et charge de la preuve, Lexbase Hebdo n° 425 du 27 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1679BRM). Par la suite : Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-41.741, F-D (N° Lexbase : A2962DUA).

Décisions

Cass. soc., 15 novembre 2011, n° 10-10.687, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9349HZB)

CA Paris, Pôle 6, 1ère ch., 23 septembre 2009, n° 07/05967 (N° Lexbase : A8087EL4)

Textes visés : C. trav., art. L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P) et L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K)

Mots-clés : harcèlement moral, salarié protégé, juge administratif, juge prud'homal, indemnisation, compétence juridictionnelle

Liens base :

Cass. soc., 15 novembre 2011, n° 10-30.463, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9350HZC)

Cassation partielle, CA Versailles, 15ème ch., 7 mai 2009, n° 07/01041 (N° Lexbase : A2565EWW)

Textes visés : C. trav., art. L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P) et L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K)

Mots-clés : harcèlement moral, intention de nuire, preuve

Liens base :

Cass. soc., 15 novembre 2011, n° 10-18.417, FS-P+B+R (N° Lexbase : A9352HZE)

Cassation, CA Riom, 4ème ch., 30 mars 2010, n° 09/01091 (N° Lexbase : A9487E8U)

Texte visé : Loi des 16 et 24 août 1790 et C. trav., art. L. 2421-3 (N° Lexbase : L0209H9M)

Mots-clés : harcèlement moral, salarié protégé, juge administratif, juge prud'homal, indemnisation, compétence juridictionnelle

Liens base : (N° Lexbase : E9576ESH)

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Sociétés

[Jurisprudence] La validité de la garantie hypothécaire conférée à un tiers par une société civile immobilière

Réf. : Cass. com., 8 novembre 2011, n° 10-24.438, F-D (N° Lexbase : A8873HZN)

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par Deen Gibirila, Professeur à la Faculté de droit et science politique (Université Toulouse I Capitole)

Le 08 Décembre 2011

Les impératifs de la vie économique conduisent fréquemment les sociétés à garantir les engagements de tiers (1). C'est particulièrement le cas dans les groupes de sociétés où la société mère accepte de cautionner les engagements de ses filiales ou de ses sous filiales et, à l'inverse, l'une de celles-ci se porte garante des dettes de la société mère ou de ses sociétés soeurs. La garantie consentie au créancier, en principe un établissement bancaire ou de crédit, consiste généralement en un cautionnement personnel assorti d'un nantissement ou d'une hypothèque, illustrant ainsi un cautionnement réel. Néanmoins, en raison du danger créé par l'usage du crédit social auquel s'expose la société garante, le législateur n'a pas manqué d'instaurer des règles de fond et de forme qui, d'une part, interdisent absolument le cautionnement de certaines personnes, d'autre part, soumettent les engagements pris par une société à un contrôle strict ou à des conditions devant être respectées, sous peine d'invalidation desdits engagements.
A cet égard, la Haute juridiction nous convie à prendre connaissance de son arrêt du 8 novembre 2011 qu'elle vient de rendre en matière de sûreté donnée par une société au profit d'un tiers. Bien que cette décision ne figure pas parmi celles publiées au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (D) et, de surcroît, ait été rendue en formation restreinte (F), elle n'est cependant pas dépourvue d'intérêt ; loin s'en faut. Le litige qu'elle tranche oppose un établissement de crédit (la caisse) à une société civile immobilière (SCI) contre qui elle a engagé des poursuites en sa qualité de garante hypothécaire d'un prêt consenti le 8 septembre 2003 à une société tierce. La SCI ayant opposé la nullité de cette sûreté contraire à son intérêt social, un jugement incident a déclaré nulle la procédure.
A la suite de la confirmation de ce jugement par l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 21 juin 2010, la caisse a formé un recours en cassation (CA Montpellier, 21 juin 2010, n° 09/07581 N° Lexbase : A0737GMA). Elle fait grief aux juges de seconde instance d'avoir statué de la sorte, notamment d'avoir annulé le commandement valant saisie immobilière qu'elle a fait délivrer à la SCI le 22 février 2008.

Son pourvoi est rejeté par la Chambre commerciale au motif que, pour être valable, la sûreté donnée par une société doit, non seulement résulter du consentement unanime des associés (I), mais également être conforme à son intérêt social (II). Ladite chambre de la Cour de cassation confère ainsi un caractère cumulatif et non alternatif à ces deux conditions. Autrement dit, elle rend insuffisante la première condition qui doit nécessairement être complétée par la seconde ou, tout au moins, ne pas être contredite par la seconde.

I - Le consentement unanime des associés à la garantie hypothécaire

L'arrêt rapporté pose clairement la question de savoir si une société civile immobilière peut se porter garante de l'engagement contracté par une autre société. A priori, les dispositions du Code civil applicables à une pareille société ne s'y opposent pas, sauf si évidemment il s'agit d'engagements personnels du ou des gérants.

Certes, les pouvoirs du gérant se heurtent aux limites fixées par la loi, c'est-à-dire l'objet social ou l'intérêt social, par les clauses statutaires et par les attributions des organes sociaux. Néanmoins, la Cour de cassation érige ici en principe la nécessité pour le dirigeant de recueillir l'accord de tous les associés. Cette solution qui n'est pas nouvelle résulte d'une stricte application de l'article 1852 du Code civil (N° Lexbase : L2049ABI) ; elle se justifie par le fait que l'octroi d'une garantie par la société constitue une décision qui excède les pouvoirs reconnus aux gérants (2).

Si la règle de l'unanimité s'impose tout naturellement, reste à savoir selon quelles modalités ? A ce propos, les articles 1853 (N° Lexbase : L2050ABK) et 1854 (N° Lexbase : L2051ABL) du Code civil mentionnent plusieurs possibilités : une décision prise par les associés réunis en assemblée ; une consultation écrite, sous réserve que les statuts le prévoient ; ou une décision résultant du consentement de tous les associés exprimé dans un acte.

Cette exigence d'unanimité, constitutive d'une règle à la fois de fond et de forme, signale la qualité de contractant en laquelle se prononce les associés et les membres des sociétés et groupements de personnes, autrement dit ceux à risque illimité (3). En effet, l'intuitus personae qui les caractérise implique la soumission des associés aux statuts dont le consentement unanime est nécessaire à la modification de ceux-ci, en vertu de l'article 1836 du Code civil (N° Lexbase : L2007ABX) (4). Il ne faut cependant pas exclure une société telle que la SAS qui, en dépit de la responsabilité limitée des associés, est marquée par une grande liberté contractuelle qui laisse libre cours à ceux-ci d'aménager les modalités d'autorisation des garanties. Toujours est-il que la règle de l'unanimité qui assure le respect de l'intégrité du consentement de chaque associé, permet au contrat de société de s'exprimer pleinement (5), puisque ce sont les statuts qui constituent ce contrat.

La prééminence des statuts est d'une évidence telle qu'une quelconque dérogation ou modification qui y est apportée exige également le consentement unanime des associés, le simple accord apparent ou réel de ces derniers n'étant pas suffisant (6), pas plus d'ailleurs qu'une pratique même constante qui ne pourrait efficacement modifier les statuts. Il a été ainsi décidé, à propos d'une société civile immobilière d'attribution, que la clause introduite dans les statuts stipulant une prise de décisions des assemblées générales extraordinaires à la majorité des deux tiers n'est valable que dans la mesure où elle a été acceptée à l'unanimité, ce qui n'était pas le cas en l'occurrence (7).

Le juge du droit ne se prive pas d'analyser avec objectivité et rigueur le formalisme relatif au respect de l'unanimité, afin de s'assurer que tous les associés ont effectivement consenti dans un acte à la réalisation de l'opération. Il a rappelé en des termes tout à fait expressifs l'importance absolue de la réalité du consentement des associés : en l'absence d'une réunion d'assemblée ou de consultation écrite, les décisions résultant du consentement unanime des associés doivent être exprimés dans un acte (8). En outre, dans un arrêt de cassation, rendu au visa de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), il a assimilé le refus de participer à une consultation écrite à une absence de réponse et non à une réponse valant participation à celle-ci (9).

La Cour de cassation a censuré pour manque de base légale l'arrêt d'appel qui a annulé l'engagement de caution donné par une SCI en dehors de l'objet social, en retenant que la garantie a été donnée postérieurement à la date de l'acte lui-même aux termes d'un procès-verbal irrégulier, sans rechercher si, en signant l'engagement de caution, les deux seuls associés de la SCI n'ont pas donné leur accord à cet acte (10). En revanche, elle a prononcé la validité d'un cautionnement hypothécaire accordé au nom d'une société civile, dès lors que les associés y ont unanimement consenti (11).

Cette question ne donne pas lieu à controverse en l'espèce. Effectivement, le demandeur au pourvoi le souligne dans son moyen, comme l'a relevé la cour d'appel auparavant, ce que la Cour de cassation ne dément pas, l'opération juridique a bel et bien été autorisée par une délibération de l'ensemble des associés. Seule une fraude aurait pu entraîner l'annulation de la garantie hypothécaire (12). En effet, dès lors que la collectivité des associés a compétence pour apprécier unanimement la conformité ou non d'un acte à l'intérêt social, la validité de celui-ci ne pourrait être remise en cause que pour fraude.

Le débat porte sur la conformité à l'intérêt social de la garantie hypothécaire. Il constitue le point de divergence entre l'établissement bancaire et la cour d'appel de Montpellier, alors que l'on aurait pu penser que l'assentiment de tous les associés suffirait à faire présumer la conformité de l'opération à l'intérêt social et, par conséquent, à la rendre valide. Il n'en est rien en vérité.

II - La conformité à l'intérêt social de la garantie hypothécaire

Les tribunaux font traditionnellement référence à l'objet social pour apprécier la validité des cautions, avals et garanties conférés par une société au profit d'un tiers. La particularité de la présente espèce réside dans le rôle déterminant qu'elle accorde à l'intérêt social en tant que "boussole" de la société (13).

Sans s'exclure l'une de l'autre, ces deux notions ne se confondent pas. Si l'objet social est le type d'activité que la société envisage d'exercer afin d'obtenir les bénéfices escomptés (prestations de services, fabrication et vente de tel ou tel produit, négoce...), l'intérêt social est l'intérêt à la fois des associés et de la personne morale (14).

La conformité à l'objet social tient uniquement à la nature de l'acte, tandis que la conformité à l'intérêt social dépend de l'utilité de l'acte et de son opportunité vis-à-vis de la société et de ses membres. Il en découle qu'un acte peut être profitable à la société, tout en excédant les limites de l'objet social. Il est alors nul à l'égard de quiconque. Inversement, un acte, quoique conforme à l'objet social, peut nuire à la société. Il est dans ce cas inopposable aux associés. Si l'objet social joue dans les relations avec les tiers, l'intérêt social ne produit d'effets que dans les relations entre associés ; aussi, bien que conforme à l'intérêt social, un acte n'engage pas la société s'il ne respecte pas l'objet social (15).

En la matière, la Chambre commerciale paraît plus sévère, mais plus cohérente que la troisième chambre civile de la Cour de cassation. Elle donne en effet la possibilité à une société de contester la garantie consentie par elle, même à l'unanimité des associés, si l'opération ne correspond pas à l'intérêt social. Ainsi, dans une espèce mettant en cause une société en nom collectif, elle a considéré que celle-ci est engagée par le cautionnement qu'elle a donné avec l'accord de tous les associés, dès lors qu'il n'est pas allégué que la garantie porte atteinte à l'intérêt social (16). Il faut en déduire que le consentement unanime des associés crée seulement une présomption simple de conformité à l'intérêt social ; il supporte donc la preuve contraire.

A l'inverse, la troisième chambre civile estime que l'absence de conformité à l'objet social ou à l'intérêt social d'un cautionnement unanimement donné par les associés n'entraîne pas la nullité du cautionnement en l'absence de fraude du créancier (17). La réticence de cette chambre à s'enquérir de la conformité de la garantie à l'objet social ou à l'intérêt social suscite la perplexité, surtout d'ailleurs s'agissant d'une société civile, à propos de l'intérêt social dont le rôle est essentiel dans les sociétés de personnes (18) puisqu'il coïncide avec l'intérêt commun des associés tel qu'ils l'ont défini par une décision prise à l'unanimité (19).

Pour apprécier la preuve de la conformité d'un acte à l'intérêt social, les juges se préoccupent de savoir s'il existe une communauté d'intérêts entre la société garante et le débiteur garanti. Ainsi, la première chambre civile de la Cour de cassation a consacré un arrêt d'appel qui, "par une interprétation nécessaire des statuts, exclusive de la dénaturation alléguée, a estimé que le cautionnement souscrit se rattachait indirectement à l'objet social de la société civile immobilière en raison de la communauté d'intérêts unissant cette société à la société débitrice principale" (20). Elle a considéré comme valable un cautionnement, bien que n'entrant pas directement dans l'objet de la société caution, en raison de l'existence d'une communauté d'intérêts entre celle-ci et la société cautionnée (21).

La Chambre commerciale s'accorde en matière de communauté d'intérêts avec les première et troisième chambres civiles de la Cour de cassation (22). Ainsi, selon elle, dès lors que le gérant d'une SCI caution est également président de la société bénéficiaire du prêt participatif garanti par le cautionnement, que sa mère et sa soeur sont également associées de la SCI, qu'un contrat de bail à construction a été conclu entre les deux sociétés, il y a lieu de reconnaître une communauté d'intérêts entre celles-ci rendant valable le cautionnement litigieux (23). Elle confère validité au cautionnement donné par une SCI, quand bien même n'entrerait-il pas directement dans l'objet social, dès lors qu'existe une communauté d'intérêts caractérisée par le fait qu'il garantissait un prêt consenti à un couple d'associés de la SCI, afin de servir en partie au remboursement intégral d'engagements contractés par cette dernière (24). A ce sujet, elle a fait grief à une cour d'appel de n'avoir pas recherché si le cautionnement n'était pas contraire à l'intérêt de la société dans la mesure où le montant de l'engagement cautionné était tel qu'en cas de défaillance de l'associé, la société devait réaliser son entier patrimoine pour l'honorer, ce qui était susceptible de compromettre son existence (25).

Le présent arrêt de la Chambre commerciale se situe dans le prolongement de cette tendance jurisprudentielle qui subordonne la validité d'une garantie consentie par une société à la justification de l'intérêt de celle-ci à souscrire l'engagement. En effet, bien qu'autorisée par une délibération de tous les associés, la SCI a soutenu avec succès et sans que l'établissement de crédit puisse apporter la preuve contraire, que l'immeuble donné en garantie constituait son unique bien immobilier, que l'opération ne lui rapportait rien, mais au contraire grevait très lourdement son patrimoine menacé de disparition totale, sans aucune contrepartie pour elle, au risque donc de l'existence même de la société garante. La cour d'appel de Montpellier, confortée par la Cour de cassation, en a justement déduit que la souscription de la garantie hypothécaire était préjudiciable à la SCI et, par conséquent, nuisible à l'intérêt de celle-ci.

Il ne faut cependant pas perdre de vue que la communauté d'intérêts établie pour valider la garantie accordée peut justifier l'extension d'une procédure collective sur le fondement de la confusion de patrimoines. Ce fut le cas de l'extension d'une procédure de liquidation judiciaire d'une SA à la SCI, propriétaire des immeubles loués à la première et caution hypothécaire de celle-ci, à la procédure collective de laquelle elle avait négligé de déclarer sa créance de loyers (26).


(1) Sur cette question, nos obs., La société caution, Rev. sociétés, 2011, p. 663.
(2) Cass. civ. 3, 25 avril 2007, n° 06-11.833, FS-P+B (N° Lexbase : A0289DWM), Bull. Joly Sociétés, 2007, p. 1022, note B. Saintourens ; Rev. sociétés, 2008, p. 839, note C. Malecki, à propos de la décision d'accorder à un associé le droit d'occuper gratuitement un immeuble social contrairement à une disposition statutaire.
(3) Sauf clause contraire des statuts, l'unanimité préside au fonctionnement de la SNC (C. com., art. L. 221-6 N° Lexbase : L5802AIQ) et du GIE (C. com., art. L. 251-10 N° Lexbase : L6490AI9).
(4) V. en ce sens à propos des commandités qui ont un statut identique aux associés en nom collectif et à propos de qui l'article L. 226-11 du Code de commerce (N° Lexbase : L6152AIP) dispose "La modification des statuts exige, sauf clause contraire, l'accord de tous les commandités".
(5) R. Libchaber, La société, contrat spécial : Prospectives du droit économique. Dialogue avec Michel Jeantin, Dalloz, 1999, p. 281, spéc. n° 4, p. 286.
(6) Cass. civ. 1, 21 mars 2000, n° 98-14.933 (N° Lexbase : A5483AWY), D., 2000, act. jur. p. 191, obs. A. Lienhard et p. 475, note Y. Chartier ; Rev. sociétés, 2000, p. 509, note Y. Guyon ; Bull. Joly Sociétés, 2000, p. 659, note P. Le Cannu ; Defrénois, 2000, p. 849, note B. Saintourens, selon lequel le consentement doit être exprimé dans un acte.
(7) Cass. civ. 3, 15 novembre 1995, n° 93-13.830, publié (N° Lexbase : A7701ABT), Bull. Joly Sociétés, 1996, p. 140, note P. Le Cannu.
(8) Cass. civ. 1, 21 mars 2000, préc., note 6.
(9) Cass. civ. 3, 14 février 2007, n° 05-20.312, FS-D (N° Lexbase : A2131DUH), Bull. Joly Sociétés, 2007, p. 878, note B. Saintourens ; Dr. sociétés, avril 2007, n° 68, obs. F.-X. Lucas.
(10) Cass. civ. 3, 25 septembre 2002, n° 00-22.362, FS-D (N° Lexbase : A4911AZW), Bull. Joly Sociétés, 2003, p. 27, note P. Le Cannu. Dans le même sens, Cass. com., 28 mars 2000, n° 96-19.260, publié (N° Lexbase : A3190AUP), Bull. civ. IV, n° 69 ; LPA, 15 août 2000, n° 162, p. 13, note M. Keita. Sur cet arrêt, également, M.-A. Rakotovahiny, Validité du cautionnement donné par une SCI à une société commerciale : l'incertitude continue..., Bull. Act. Lamy droit du financement, novembre 2000, p. 1.
(11) Cass. com., 12 octobre 2004, n° 03-13.999, F-D (N° Lexbase : A6154DDB), Dr. sociétés, 2005, n° 5, obs. F.-X. Lucas. V. également A. Delfosse, Une SCI peut-elle se porter caution ?, Dr. & patrimoine, 1994, n° 22, p. 28.
(12) Cass. com., 14 décembre 1999, n° 97-15.554, inédit (N° Lexbase : A4608H33), Dr. sociétés, 2000, n° 51, obs. Th. Bonneau ; Defrénois, 2000, p. 505, obs. H. Hovasse ; JCP éd. G, 2000, I, 257, n° 6, obs. Ph. Simler, à propos d'une fraude paulienne justifiant l'annulation d'un cautionnement autorisé par un vote unanime des associés d'une société civile.
(13) A. Pirovano, La boussole de la société - Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l'entreprise ?, D., 1997, chron. p. 189.
(14) B. Delecourt, L'intérêt social, thèse Lille II, 2001 ; B. Dupuis, La notion d'intérêt social, thèse Paris XIII, 2001 ; G. Goffaux-Callebaut, La définition de l'intérêt social, RTDCom., 2004, p. 35.
(15) Cette règle ne vaut que pour les sociétés à risque illimité (C. civ., art. 1849, al. 1er N° Lexbase : L2046ABE, pour les sociétés civiles et C. com., art. L. 221-5, al. 1er N° Lexbase : L5801AIP pour les sociétés en nom collectif), car pour celles à risque limité les dirigeants, disposant des plus larges pouvoirs pour agir en toute circonstance au nom de la société, engagent la société même pour les actes qui excèdent l'objet social (C. com. art. L. 223-18, al. 5 N° Lexbase : L3772HBC, pour les SARL, L. 225-56, I N° Lexbase : L5927AID et L. 225-64, al. 2 N° Lexbase : L5935AIN, pour les sociétés anonymes et, enfin, L. 227-6, al. 2 N° Lexbase : L6161AIZ, pour les sociétés par actions simplifiées).
(16) Cass. com., 18 mars 2003, n° 00-20.041, FS-P (N° Lexbase : A5454A77), RJDA, 6/2003, n° 605 ; D., 2003, act. jur., p. 975, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés, 2003, p. 500, obs. Y. Guyon ; Rev. sociétés, 2004, p. 104, note D. Randoux. V. aussi à propos d'une SCI, Cass. com., 28 mars 2000, préc., note 10.
(17) Cass. civ. 3, 1er décembre 1993, n° 91-16.327, inédit (N° Lexbase : A8370CK9), Dr. sociétés, juillet 1994, p. 12, obs. H. Le Nabasque ; RTDCom., 1995, p. 149, obs. E. Alfandari et M. Jeantin.
(18) C. civ., art. 1848 (N° Lexbase : L2045ABD société civile) ; C. com., art. L. 221-4 (N° Lexbase : L5800AIN société en nom collectif).
(19) V. parmi les nombreuses études consacrées à l'intérêt social, A. Pirovano, art. préc., note 13 ; C. Bailly-Masson, L'intérêt social, une notion fondamentale, LPA, 9 novembre 2000, n° 224, p. 6 ; A. Constantin, L'intérêt social : quel intérêt ? : Mélanges B. Mercadal, p. 315, F. Lefebvre, 2000. Sur l'intérêt commun, D. Schmidt, De l'intérêt commun des associés, JCP éd. E, 1994, I, 404. V. aussi, Q. Urban, La "communauté d'intérêts", un outil de régulation du fonctionnement du groupe de sociétés, RTDCom., 2000, p. 1.
(20) Cass. civ. 1, 15 mars 1988, n° 85-18.312 (N° Lexbase : A7574AAR), D., 1988, somm., p. 273, obs. L. Aynès ; RTDCom., 1988, p. 459, obs. E. Alfandari et M. Jeantin ; Rev. sociétés, 1988, p. 415, note Y. Guyon.
(21) Cass. civ. 1, 1er février 2000, n° 97-17.827 (N° Lexbase : A8156AG8), RJDA, 7-8/2000, n° 768 ; JCP éd. E, 2000, n° 12, p. 490, note P. Bouteiller ; Rev. sociétés, 2000, p. 301, note Y. Guyon ; Bull. Joly Sociétés, 2000, p. 502, note A. Couret ; Dr. sociétés, avril 2000, n° 50, obs. Th. Bonneau. Sur cet arrêt, M.-A. Rakotovahiny, art. préc., note 10 ; D., 2000, act. jur., p. 147, obs. J. Faddoul ; Dr. sociétés, 2000, n° 50, Th. obs. Bonneau ; Rev. sociétés, 2000, p. 301, note Y. Guyon : cautionnement donné par une SCI en garantie des engagements d'une société commerciale, la SCI donnant à bail des locaux à la société commerciale, les deux sociétés ayant pour seuls associés le mari et la femme.
(22) Cass. com., 28 mars 2000, n° 96-19.260 (N° Lexbase : A3190AUP), Bull. Joly Sociétés, 2000, p. 501, note Couret ; LPA, 15 août 2000, n° 162, p. 13, note M. Keita, cf. également M.-A. Rakotovahiny, art. préc., note 10, à propos d'une SCI. V., également, Cass. com., 18 mars 2003, n° 00-20.041, FS-P (N° Lexbase : A5454A77) ; RJDA, 6/2003, n° 605 ; D., 2003, act. jur. p. 975, obs. A. Lienhard ; Rev. sociétés, 2004, p. 104, note D. Randoux, à propos d'une SNC.
(23) Cass. com., 3 décembre 2003, 01-00.485, FS-P+B (N° Lexbase : A3547DAM), Bull. Joly Sociétés, 2004, p. 358, note J.-F. Barbiéri.
(24) Cass. com., 26 juin 2007, n° 06-10.766, F-D (N° Lexbase : A9416DWN), Bull. Joly Sociétés, 2008, p. 23, note F.-X. Lucas.
(25) Cass. com., 3 juin 2008, n° 07-11.785, F-D (N° Lexbase : A9271D8U), BRDA, 14/2008, n° 7 ; Rev. sociétés, 2009, p. 383, note D. Randoux.
(26) Cass. com., 26 mai 1998, n° 96-10.582 (N° Lexbase : A2610ACN).

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Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)

[Jurisprudence] Le critère du prolongement direct, permanent et nécessaire peut suffire à lui seul à définir une activité accessoire de placement de produits financiers

Réf. : CE 9° et 10° s-s-r., 21 octobre 2011, n° 315469, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8317HYP)

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par Guy Quillévéré, Président-assesseur à la cour administrative d'appel de Nantes

Le 08 Décembre 2011

Le Conseil d'Etat, dans sa décision du 21 octobre 2011, confirme l'arrêt rendu par la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 2ème ch., 6 février 2008, n° 06PA02097, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5511D7A) et juge, d'une part, qu'étaient assujettis à la TVA des revenus provenant de bons du Trésor américain, et, d'autre part, que ne constituent pas des produits accessoires exonérés de TVA les produits financiers issus de dépôts bancaires et de contrats d'échanges de taux d'intérêt. En effet, le placement litigieux a le caractère d'une activité située dans le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de gestion immobilière de la société. De plus, les opérations financières en cause étaient indissociablement liées à l'activité économique taxable de la société et en avaient représenté, au cours des années en litige, le complément indispensable, direct et permanent au point d'en constituer une condition nécessaire, sans qu'il doive être tenu compte du critère quantitatif, au demeurant non établi, en l'espèce, avec précision, de l'utilisation des moyens de la société. Les faits dans cette affaire étaient les suivants : une société en nom collectif (SNC), qui a pour activité la location, la gérance et l'exploitation de biens et droits immobiliers pour son propre compte et pour le compte de tiers, et qui a opté pour son assujettissement à la TVA, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période allant du 1er janvier 1995 au 31 mai 1998, au terme de laquelle l'administration a considéré qu'elle était un redevable partiel de la TVA dans la mesure où, parmi ses produits, figuraient des produits financiers provenant d'opérations exonérées de taxe en application des dispositions de l'article 261 C du CGI (N° Lexbase : L5553ICN) ; le service estimant que ces produits financiers devaient être inclus dans le dénominateur du prorata utilisé, en vertu des articles 212 (N° Lexbase : L2999HNE) et 219 (N° Lexbase : L0869HNI) de l'Annexe II au même code, alors en vigueur, pour la détermination du montant de la TVA déductible imputable sur la taxe collectée, a notifié à la SNC des rappels de taxe d'un montant de 4 497 812 euros au titre de période vérifiée. L'administration a, en conséquence, demandé le remboursement du crédit de TVA présentée par la SNC au titre du deuxième trimestre de l'année 1997 ; la requête présentée devant le tribunal administratif de Paris le 4 avril 2006 avait été rejetée et le rejet confirmé par la cour administrative d'appel de Paris, contre lequel la SNC s'est pourvue en cassation.

Dans l'arrêt commenté, le Conseil d'Etat juge, d'une part, implicitement, que la notion d'opération accessoire exclue du calcul du prorata de déduction défini par l'ancien article 212 de l'Annexe II au CGI, applicable en l'espèce, est incompatible avec la 6ème Directive-TVA (Directive 77/388 du Conseil du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme N° Lexbase : L9279AU9) et, d'autre part, qu'il convient d'appliquer le critère du prolongement direct, permanent et nécessaire énoncé dans l'arrêt rendu par la CJUE le 11 juillet 1996 (CJUE, 11 juillet 1996, aff. C-306/94 N° Lexbase : A7255AH8) pour définir des opérations accessoires sur produits financiers. Ce faisant, le Conseil d'Etat, outre la confirmation selon laquelle la définition qu'il convient de donner au critère quantitatif est celle de l'article 19, 2 de la 6ème Directive-TVA, fait prévaloir le critère qualitatif relatif aux opérations dans le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité principale, regardé en l'espèce comme un critère à lui seul suffisant pour dénier tout caractère accessoire aux produits financiers de la SNC.

I - Les dispositions du b du 2 de l'article 212 de l'Annexe II au CGI, reprises par le 3° de l'article 206-3 de la même Annexe, sont incompatibles avec les objectifs de la 6ème Directive-TVA

Le Conseil d'Etat applique directement le droit de l'Union européenne et juge implicitement que la notion d'opérations financières accessoires exclues du calcul du prorata de déduction défini par l'ancien article 212 de l'Annexe II au CGI est incompatible avec la 6ème Directive-TVA.

A - Le critère quantitatif retenu par la CJUE est différent de celui retenu par le Conseil d'Etat

Dans l'arrêt commenté, le Conseil d'Etat juge que les produits financiers générés par l'opération de placement en bons du Trésor américain réalisée par la SNC sont indissociablement liés à l'activité économique taxable de la société et sont, en conséquence, la contrepartie d'opérations de prestations de services. Cette activité de placement est, nous dit le Conseil d'Etat, le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de gestion immobilière. De même, pour dénier tout caractère accessoire aux produits financiers de la SNC issus de dépôts bancaires et de contrats d'échange de taux d'intérêt, la Haute juridiction retient que les opérations financières en cause étaient, en l'espèce, indissociablement liées à l'activité économique taxable de cette société et en avaient représenté, au cours des années en litige, le complément indispensable, direct et permanent.

La solution n'allait pas de soi puisque la CJUE, dans un arrêt du 29 avril 2004 (CJUE, 29 avril 2004 (CJUE, 29 avril 2004, aff. C-77/01 N° Lexbase : A9953DBA), avait jugé, s'agissant de placements dans des dépôts bancaires et dans des titres de nature proche de ceux de l'espèce, que de tels placements devaient être considérés comme effectués par un assujetti agissant en tant que tel, dès lors qu'ils provenaient du patrimoine de l'entreprise. Pourtant, après avoir rappelé qu'une activité économique ne saurait être qualifiée d'accessoire au sens des dispositions de l'article 19, paragraphe 2 de la 6ème Directive-TVA, si elle constitue le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité de l'entreprise ou si elle implique une utilisation significative de biens et de services pour lesquels la TVA est due, le Conseil d'Etat fait application du seul critère du prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de l'assujetti dégagé par la CJUE dans l'arrêt du 11 juillet 1996.

B - L'ancien article 212 de l'Annexe II du CGI, applicable en l'espèce, est incompatible avec la 6ème Directive-TVA

La motivation de l'arrêt commenté nous livre deux enseignements : d'une part, le Conseil d'Etat juge implicitement mais nécessairement que le critère quantitatif posé par les dispositions du b du 2 de l'article 212 de l'Annexe II au CGI, dans leur rédaction applicable à l'espèce, est contraire aux objectifs de la 6ème Directive-TVA et, d'autre part, que le critère relatif aux opérations dans le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité principale est opérant.

Tirant les conséquences de la décision de la CJUE du 29 avril 2004, le législateur avait modifié la rédaction de l'article 212 de l'Annexe II. L'ancien article 212 de l'Annexe II au CGI excluait du prorata les opérations immobilières et financières exonérées de TVA ne représentant pas plus de 5 % du montant du chiffre d'affaires total, toutes taxes comprises. Bien que le seuil de 5 % ait été implicitement sanctionné, l'administration fiscale l'avait remplacé en définissant les opérations accessoires exclues comme les opérations immobilières ou financières exonérées de TVA ayant un lien avec l'activité principale et dont la réalisation ne nécessite qu'une utilisation limitée au maximum à un dixième des biens et services grevés de TVA. La modification du texte le 26 décembre 2005 avait été reprise sous les dispositions de l'article 206 III, 3, 3° b de l'Annexe II au CGI.

L'arrêt commenté confirme aussi l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 11 mars 2008 (CAA Versailles, 5ème ch., 11 mars 2008, n° 06VE01475, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A5284D7T), dans lequel la cour avait jugé que les dispositions du b du 2 de l'article 212 de l'Annexe II au CGI, dans leur rédaction applicable à l'espèce, étaient incompatibles avec les objectifs de la 6ème Directive-TVA, dont l'article 19, 2, tel qu'il a été interprété par la CJUE, et qui définit l'opération accessoire comme étant celle qui n'implique qu'une utilisation très limitée de biens ou de services pour lesquels la TVA est due. La quantification du produit, effectuée par l'administration fiscale, n'est pas un critère pertinent. En effet, si le critère quantitatif doit être appliqué, il convient à tout le moins de le définir au sens des dispositions de l'article 19, 2 de la 6ème Directive-TVA devenu article 174, 2 b et c de la Directive n° 2006/112/CE du 28 novembre 2006 (Directive 2006/112 du Conseil du 28 novembre 2006, relative au système commun de TVA N° Lexbase : L7664HTZ).

Par ailleurs, le Conseil d'Etat semble abandonner la définition des opérations immobilières et financières accessoires exclues du calcul du coefficient de taxation au sens de l'arrêt rendu par la CJUE le 29 avril 2004. Cet arrêt citait l'arrêt du 11 juillet 1996 pour définir les opérations accessoires, mais ne retenait pas le critère du prolongement direct, permanent et nécessaire dans son dispositif. L'arrêt commenté, au contraire, se place dans le prolongement notamment de l'arrêt du 29 octobre 2009 (CJUE, 29 octobre 2009, aff. C-174/08 N° Lexbase : A5607EMM), par lequel la CJUE avait effacé les hésitations de la doctrine quant à un abandon du critère de l'activité accessoire en venant confirmer le maintien du critère relatif aux opérations dans le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité principale.

II - Le critère du prolongement direct, permanent et nécessaire retenu par la jurisprudence de la CJUE et repris par le Conseil d'Etat permet de définir l'activité accessoire

L'arrêt commenté fait application du seul critère qualitatif tiré du critère relatif aux opérations dans le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité principale, pour exclure le caractère accessoire de produits financiers.

A - Le prolongement direct, permanent et nécessaire serait un critère suffisant à définir l'activité accessoire

Les décisions rendues par la CJUE dans les affaires du 11 juillet 1996, du 29 avril 2004, du 6 mars 2008 (CJUE, 6 mars 2008, aff. C-98/07 N° Lexbase : A1960D7Q) et du 29 octobre 2009 précisent qu'une activité économique ne saurait être qualifiée d'accessoire au sens des dispositions de l'article 19, paragraphe 2, de la 6ème Directive-TVA que si elle constitue le prolongement direct, permanent et nécessaire de l'activité taxable de l'entreprise ou si elle implique une utilisation significative de biens et de services pour lesquels la TVA est due.

En l'espèce, le ministre soutenait que l'activité financière faisait partie intégrante de l'activité immobilière de la SNC. Il n'était pas évident d'appliquer un critère qualitatif pour définir l'activité accessoire après la décision du 29 avril 2004, qui donnait une définition de la notion d'opérations accessoires en retenant que des "opérations financières entrant dans le champ d'application de la TVA mais qui en sont exonérées doivent être considérées comme des opérations accessoires au sens de l'article 19 § 2 de la 6ème Directive-TVA dans la mesure où ces opérations n'impliquent qu'une utilisation très limitée de biens ou de services pour lesquels la TVA est due" ; cette décision s'appuyait donc, à titre principal, sur le critère quantitatif. Cependant, le rapporteur public, Janine Evgenas, faisait remarquer dans ses conclusions sous l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris qu'une application du critère quantitatif sans appréciation qualitative conduirait à exclure de façon automatique les activités financières développées par une société, dès lors qu'en règle générale, elles nécessitent, pour elles-mêmes, la mise en oeuvre de moyens matériels et humains limités.

Le Conseil d'Etat, dans sa décision commentée, a prolongé ce raisonnement en jugeant que la cour pouvait, sans commettre d'erreur de droit, retenir le seul critère qualitatif, "sans tenir compte du critère quantitatif", pour dénier tout caractère accessoire aux produits financiers. Ce faisant, le Conseil d'Etat regarde les deux critères comme alternatifs et semble, à tout le moins, s'agissant de produits financiers, faire prévaloir le critère qualitatif sur le critère quantitatif.

B - Il appartenait à la SNC de justifier du caractère accessoire de l'activité de placement de produits financiers

En l'espèce, les placements effectués par la SNC se trouvaient placés dans le prolongement nécessaire de l'activité immobilière de la société. Les placements de fonds donnaient lieu à la perception d'intérêts sur bons du Trésor américain. La SNC avait l'obligation de consigner ces fonds à titre de garantie dans le cadre de l'opération immobilière avec la Compagnie générale des eaux et un groupe américain, afin d'obtenir l'engagement des investisseurs et la cession de la gestion des immeubles. Leur perception était donc indissociable de l'activité immobilière. Ces placements constituaient, dès lors, le prolongement nécessaire de l'activité immobilière développée par la société.

Par ailleurs, la SNC avait perçu des intérêts en 1997 sur fonds de garantie en dépôt à terme auprès d'une banque, dans le cadre d'opérations immobilières. La société, sur ce second point du litige, n'apportait pas la preuve qui lui incombe du caractère accessoire de l'activité. Il appartenait, en effet, à la SNC de justifier du caractère de cette activité. Enfin, la SNC avait perçu des sommes au titre de conventions de swaps de taux d'intérêt ; ces conventions avaient été conclues par la société qui garantissait à ses clientes un revenu forfaitaire pour se couvrir contre les risques d'exploitation. Le montage ainsi conçu apparaissait comme une condition des opérations immobilières et ne se détachait pas de cette activité, les conventions de swaps étant conclues dans le prolongement direct permanent et nécessaire de l'activité taxable.

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