La lettre juridique n°448 du 14 juillet 2011

La lettre juridique - Édition n°448

Éditorial

Campagnes publicitaires et comptes de campagne : de la communication non grata

Lecture: 6 min

N6960BSL

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4747927-edition-n-448-du-14072011#article-426960
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


"Un homme averti en vaut deux", enseigne la sagesse populaire : gageons que quelque candidat à l'élection suprême de 2012 et sa cohorte de députés sortants tirent les enseignements de cet arrêt du Conseil d'Etat, rendu le 4 juillet 2011 qui, certes, ne condamne pas l'actuel président de la région Ile-de-France à l'inéligibilité, mais le contraint à rembourser la dotation de l'Etat pour frais de campagne électorale précédemment servie, pour avoir (trop) informé les habitants de la région des dernières actions menées par le conseil régional en matière de transport six mois avant la date des élections litigieuses.

Concernant la nature des opérations de communication conduites par la région d'Ile-de-France à la fin de l'année 2009, l'Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat estime que ces opérations d'affichage, qui ont revêtu un caractère massif et ont été, en outre, complétées par la publication d'encarts dans la presse écrite et sur internet, ont eu pour effet non de diffuser de simples informations, mais de valoriser, par des messages à caractère promotionnel, l'action du conseil régional. Elles doivent, dès lors, être regardées comme des campagnes de promotion publicitaire au sens du second alinéa de l'article L. 52-1 du Code électoral. La Haute juridiction estime que cette irrégularité a été de nature à altérer la sincérité du scrutin en ce qui concerne l'attribution du dernier siège de conseiller régional restant à pourvoir, qui est, ainsi, déclaré vacant. En revanche, elle n'a pas été de nature à affecter l'attribution des autres sièges, compte tenu de l'écart de voix entre les deux listes en présence. Ensuite, le président du conseil régional sortant doit être regardé comme ayant bénéficié, pour le financement de la campagne électorale de la liste qu'il conduisait, d'un concours financier de la région d'Ile-de-France pour une somme d'environ 1,5 million d'euros représentant 45 % du plafond des dépenses électorales. Il a donc méconnu les dispositions de l'article L. 52-8 du Code électoral, qui présentent un caractère substantiel, et entaché son compte de campagne, dans des proportions importantes, d'irrégularité. Il ne percevra donc, à ce titre, aucun remboursement de l'Etat. Cependant, ce manquement ne peut être qualifié, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, de manquement d'une particulière gravité, il ne justifie donc pas que l'intéressé soit déclaré inéligible, ni que son élection en qualité de conseiller régional soit annulée.

Victoire à la Pyrrhus que cette victoire là, car le président doit désormais rembourser aux contribuables 1,6 million d'euros, bien qu'il conserve son siège et son pupitre. Et, l'on comprendra, dès lors, que cette décision ait suscité chez les politiques, comme chez les caciques de la communication, d'abord l'étonnement, ensuite l'effroi. Ma foi, à quoi cela sert-il d'avoir un bon bilan politique, de faire des réformes d'envergure, si l'on ne peut, ensuite, en promouvoir l'essence, les conséquences et les bienfaits ?

C'est que le Conseil d'Etat distingue, alors, la simple communication politique de la propagande. La première serait tolérée, car jugée objectivement informationnelle, tandis que la seconde serait, non prohibée, mais reléguée au statut de la publicité quasi commerciale de nos candidats électoraux. Il convient, donc, de définir, au XXIème siècle, ce que recouvre la communication politique, avant de porter l'anathème sur une propagande souffreteuse, parée des atours de la manipulation de masse, symbole des périodes les plus sombres du XXème siècle.

Et, si l'on donne la parole à la défense, sur la foi de Thierry Saussez, alors délégué interministériel à la communication et directeur du service d'information du Gouvernement (Le Figaro, 3 octobre 2008), "la démocratie repose sur le consentement des gouvernés. Son essence même, l'élection au suffrage universel, se joue sur la rencontre entre une offre politique et une demande citoyenne. Un leader peut avoir les meilleures idées du monde, un gouvernement peut décider des mesures les plus nécessaires. A défaut d'être capables de convaincre et d'entraîner, ils n'en feront rien. C'est la communication, sous toutes ses formes, qui crée le lien entre cette offre et cette demande". Par conséquent, démocratie et communication politique sont, non seulement intimement liées, mais la seconde est inhérente à la première. La chose n'est, d'ailleurs, pas nouvelle, et le "pape de la communication politique" de rappeler que "tous les gouvernements ont toujours voulu promouvoir leur action, faire connaître les réformes, mettre les mesures qu'ils décident à la portée des citoyens. La France avance' en 1985, La libéralisation de l'économie' en 1986, la création du RMI en 1989, les 35 heures en 1998, la réforme des retraites en 2003 sont quelques-unes des grandes campagnes de communication comparables à celle sur le pouvoir d'achat". Un brin provocateur, mais sensibilisant les oreilles de nos vénérables lecteurs, il conclut : "la communication est la version moderne de l'antienne Nul n'est censé ignorer la loi'".

Alors, si la communication politique est fédératrice, nécessairement elle crée ou suscite une opinion de masse (lutte contre les discriminations, promotion de l'industrie ou de l'artisanat national ou local) ; si elle a un objectif comportemental (sécurité routière, développement durable, prévention sanitaire), l'intensité de sa diffusion et la variété des médias employés ne pourront lui être reprochées ; si la communication politique informe les administrés, et néanmoins électeurs, de l'existence d'un service, on ne pourrait sincèrement l'accuser de faire la promotion commerciale de ce service -le plus souvent gratuit-, mais tout au plus de rentabiliser l'investissement public voté par les élus ; enfin, si elle valorise son émetteur, c'est-à-dire l'équipe dirigeante en place, c'est au détour de ses trois autres objectifs précédemment définis. Bien entendu qu'une communication politique n'est pas neutre, mais peut-elle l'être ? Entend-on qu'un homme politique communique sur les faiblesses de son bilan à la tête d'une municipalité, d'un conseil général, régional, d'une circonscription, voire de l'Etat ? Vaste utopie... Du reste, c'est cette promotion indirecte là, mais bien réelle, que le Haut conseil qualifie de promotion publicitaire du président-candidat sortant.

Nous sommes certes loin des Bulletins de la Grande Armée napoléoniens chargés de répandre la bonne nouvelle des faits armes victorieux de l'Empereur et de sa politique expansionniste, mais pas si loin de ces Auguste, Tibère et autre Néron qui marquaient les via de l'Empire de stèles gravées à leurs effigies, pour que chacun sache qui était le généreux promotteur de leur élaboration. Propagande, communication politique : la frontière est décidément ténue.

Et, somme toute, le Conseil d'Etat est-il cohérent : à méthode totalitaire, jugement extravagant. Ce qu'un président exilé, dont l'hospitalité à l'égard de nos dirigeants nationaux n'est plus à prouver, qu'un président assigné à résidence dans une confortable station balnéaire éloignée, toutefois, des mausolées pharaoniques de ses ancêtres, peuvent débourser en réparation de leurs hauts faits en communication/propagande politique, un simple président de région, convaincu de pareille concussion, doit lui aussi s'y confondre : 1,6 million d'euros à rembourser aux contribuables français, "plaie d'argent n'est pas mortelle" ! Mais, le juge administratif aurait voulu la mort politique du malheureux requérant, qu'il ne s'y serait pas mieux pris -remarquant, par ailleurs, que les mesures d'inéligibilité jadis prononcées n'ont jamais empêché les infortunés condamnés à effectuer des carrières politiques de premier plan, par la suite-, confondant bas de laine et polochon.

Mais attention, la France soucieuse de frapper la liberté d'expression au porte-monnaie vient justement d'être condamnée par la Cour européenne des droits de l'Homme. Elle a eu beau clamer "l'argent n'est qu'une fiction" selon les principes cardinaux d'Aristote (La politique), la Cour remarque, toutefois, que le redressement fiscal litigieux, à l'encontre de l'association "Les Témoins de Jéhovah", s'élevant à un montant de 45 338 875 euros, a porté sur la totalité des dons manuels perçus par la requérante, alors que ceux-ci représentaient 90 % de ses ressources. Vu l'impact de cette mesure sur les ressources de l'association requérante et sur sa capacité à mener son activité religieuse en tant que telle, la Cour conclut à l'existence d'une ingérence dans l'exercice des droits garantis par l'article 9 de la Convention. La taxation des dons manuels a donc eu pour effet de couper les ressources vitales de l'association, laquelle n'était plus en mesure d'assurer concrètement à ses fidèles le libre exercice de leur culte. Comparaison n'est pas raison, mais...

Il est à craindre qu'avec cette nouvelle jurisprudence relative au contentieux électoral et à ses implications sur les méthodes de communication politique et sur la validation des comptes de campagne, "ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés" nous dit la fable Les Animaux malades de la peste ; mais chacun sait que "selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir"....

newsid:426960

Avocats/Déontologie

[Le point sur...] Les avocats et la publicité

Lecture: 8 min

N6998BSY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4747927-edition-n-448-du-14072011#article-426998
Copier

par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la Rédaction

Le 08 Mai 2012


Réglementée par les articles 66-4 de la loi du 31 décembre 1971 (N° Lexbase : L6343AGZ), 15 du décret du 12 juillet 2005 (N° Lexbase : L6025IGA) et 10 du règlement intérieur national (N° Lexbase : L4063IP8), la publicité de l'avocat est autorisée, dès lors qu'elle procure une information au public et que sa mise en oeuvre respecte les principes essentiels de la profession. Sont, en revanche, interdits, le démarchage, la publicité comparative et les indications relatives à l'identité des clients. Lexbase Hebdo - édition professions vous propose cette semaine de faire le point sur ce qui est permis et ce qui est interdit en matière de publicité, qu'elle soit fonctionnelle ou personnelle.

I - La publicité fonctionnelle

Selon l'article 10.1 du RIN, la publicité fonctionnelle est celle qui est destinée à faire connaître la profession d'avocat et les Ordres. Elle relève, à cet égard, de la compétence des institutions représentatives de la profession. En effet, l'article 162 du décret du 27 novembre 1991 (N° Lexbase : L8168AID) dispose que le règlement intérieur du conseil de l'Ordre fixe les dispositions nécessaires pour assurer l'information du public quant aux modalités d'exercice de la profession par les membres de son barreau.

Cette publicité passe dans un premier temps et tout simplement par le tableau de l'Ordre. Le tableau est la liste dressée par rang d'ancienneté de tous les avocats (loi du 31 décembre 1971, art. 20 et décret du 27 novembre 1991, art. 93 et s.). Il comporte également la mention des spécialisations, ainsi que des informations relatives aux autorisations d'ouverture de bureau secondaire. Peuvent également être portées sur le tableau les mentions relatives aux qualités de membres d'un groupement, aux distinctions professionnelles, aux titres universitaires obtenus, etc..

Ensuite, la publicité fonctionnelle de la profession passe par d'autres formes assez traditionnelles : les lettres d'information ou bulletins, propres à chaque Ordre, l'organisation de colloques et de conférences, la rentrée solennelle du barreau, la création de sites internet dédié à chaque barreau, ou, encore, au niveau institutionnel, des campagnes télévisées. Sur ce point on notera le fort impact qu'elles ont auprès de la société. En effet, en mai 2011, le Conseil national des barreaux a confié à l'institut TNS Sofres le soin d'évaluer la campagne de publicité télévisée mise en place depuis un an dans le cadre de la communication institutionnelle de la profession d'avocat et rediffusée entre le 18 mars et le 3 avril 2011. Cette évaluation porte, d'une part, sur la visibilité et l'impact de la campagne et, d'autre part, sur sa capacité à développer l'image de la profession. Pour la réaliser, TNS Sofres a interrogé 505 personnes âgées de 18 ans et plus issues d'un échantillon de 1 000 interviewés représentatifs de la population de 18 ans et plus. 17 % des personnes interrogées se souviennent de la campagne des avocats, sachant qu'en moyenne le souvenir en France pour une campagne de communication est de 18 %. 55 % des personnes interrogées reconnaissent les films une fois qu'on les leur présente. 65 % des personnes interrogées restituent exactement les messages clé de la publicité.

II - La publicité personnelle

La publicité personnelle de l'avocat est autorisée, dès lors qu'elle procure une information au public et que sa mise en oeuvre respecte les principes essentiels de la profession (Cass. civ. 1, 5 février 2009, n° 07-21.644, F-D N° Lexbase : A9529ECW). Néanmoins cette publicité ne doit pas s'apparenter à du démarchage qui demeure interdit.

Le 8 mai 2010, le Conseil national des barreaux a souhaité moderniser les dispositions de l'article 10 du RIN afin de permettre une meilleure information du public dans le respect des principes déontologiques de la profession, et surtout en listant de façon non équivoque ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. A cet égard, il a adopté une décision à caractère normatif n° 2010-2 modifiant l'article 10 du RIN.

A - La publicité autorisée

Selon l'article 10.3 du RIN, l'avocat peut recourir à tous moyens légaux permettant d'assurer sa publicité personnelle.

  • La forme de la publicité

Sont, notamment, autorisés :

- l'envoi, par voie postale ou électronique, de lettres d'informations générales sur le cabinet, les activités de celui-ci, le droit et la jurisprudence (sur la mention du domaine d'activité cf. Cass. civ. 1, 5 février 2009, n° 07-21.644, F-D, préc..) ;

- la publication de faire-part ou annonces, destinés à la diffusion d'informations ponctuelles et techniques, telles que l'installation de l'avocat dans de nouveaux locaux, la venue d'un nouvel associé, la participation à un groupement autorisé, l'ouverture d'un bureau secondaire ;

- la publication, dans les annuaires ou dans la presse, d'encarts publicitaires, sous réserve que leur présentation, leur emplacement ou leur contenu ne soit pas de nature à induire le public en erreur ou à constituer un acte de concurrence déloyale ;

- la diffusion de plaquettes de présentation du cabinet ;

- l'apposition d'une plaque ou autre support, de dimensions raisonnables, signalant, à l'entrée de l'immeuble, l'implantation du cabinet (Cass. civ. 1, 25 mai 1992, n° 89-10.096, publié au bulletin N° Lexbase : A4176AH7).

Il est à noter que les projets d'encarts publicitaires ou de plaquettes doivent être, avant toute publication ou diffusion, communiqués au conseil de l'Ordre.

  • Le contenu de la publicité

L'article 10.4.1 du RIN précise que tous les documents, quel que soit leur support, destinés à la correspondance ou à la publicité personnelle de l'avocat, doivent mentionner, de façon visible ou accessible, les éléments permettant de l'identifier, de le contacter, de localiser son cabinet et de connaître le barreau auquel il est inscrit ainsi que, le cas échéant, la structure d'exercice à laquelle il appartient et le réseau dont il est membre.

Concernant la correspondance de l'avocat, le papier à lettres ou les courriels peuvent faire mention également des noms et prénoms des autres avocats qui exercent au sein du cabinet, ou, de façon distinctive, de ceux qui y ont exercé ; des titres universitaires et des diplômes et fonctions d'enseignement supérieur français et étrangers ; des langues étrangères pratiquées ; des mandats ordinaux ou professionnels actuellement ou anciennement exercés ; etc. (RIN, art. 10.4.2).

Concernant les documents destinés proprement à la publicité personnelle, l'avocat peut y ajouter, en plus des mentions autorisées pour sa correspondance, les informations inhérentes à l'ancienneté dans la profession de chacun des avocats exerçant au sein du cabinet ; aux domaines d'activité, juridiques ou judiciaires, réellement pratiqués ; au mode de fixation des honoraires ; à la participation des avocats à des activités d'enseignement juridique ou en lien avec la profession ; etc. (RIN, art. 10.4.3).

Il est également possible à l'avocat d'insérer son logo sur ses correspondances, ainsi qu'un logo ou une marque distinctive pour ceux qui seraient titulaires d'une spécialité qu'ils souhaitent mettre en avant. Ce logo doit satisfaire aux exigences de l'article 15 du décret du 12 juillet 2005 (la Cour de cassation a considéré que la mention "épines du droit" associée à un logo ne constituait pas une nécessaire information du public et partant ne répondait pas aux exigences de l'ancien article 161 du décret du 27 novembre 1991 : Cass. civ. 1, 29 avril 1997, n° 95-15.462, inédit N° Lexbase : A9866HUX).

L'article 10.5 du RIN précise en complément que chaque avocat peut figurer dans un annuaire professionnel.

  • La publicité sur internet

Avant que le Conseil national des barreaux ne modifie la rédaction de l'article 10 du RIN, de nombreuses dérives avaient été constatées et dénoncées, entre autres, par Maître Vincent Canu, alors membre du groupe de travail "publicité personnelle de l'avocat" de la Commission des Règles et Usages du Conseil national des barreaux (lire les obs. de A. Lebescond, Avocat : quel-nom-de-domaine.com ?, Lexbase Hebdo n° 20 du 20 février 2010 - édition professions N° Lexbase : N2584BNZ). En effet, certains avocats s'étaient attribués des noms de domaines laissant penser que leurs sites émanent des structures représentatives de la profession, voire participaient directement à l'élaboration et à la mise en oeuvre de la norme elle-même : "accidentdutravail.net", "maladies-professionnelles.fr", "controle-urssaf.com", "droitdelasecuritesociale.com", etc..

Aujourd'hui, l'article 10.6 du RIN est très clair. D'abord, l'avocat qui ouvre ou modifie un site internet doit en informer le conseil de l'Ordre sans délai et lui communiquer les noms de domaine qui permettent d'y accéder. Ensuite, le nom de domaine doit comporter le nom de l'avocat ou la dénomination exacte du cabinet, qui peut être suivi ou précédé du mot "avocat". La nouvelle version du RIN interdit dorénavant les noms de domaine évoquant de façon générique le titre d'avocat ou un titre pouvant prêter à confusion, un domaine du droit ou une activité relevant de celles de l'avocat.

Le site de l'avocat ne peut comporter aucun encart ou bannière publicitaire, autres que ceux de la profession, pour quelque produit ou service que ce soit.

De même, il ne peut comporter de lien hypertexte permettant d'accéder directement ou indirectement à des sites ou à des pages de sites dont le contenu serait contraire aux principes essentiels de la profession d'avocat. Là encore, il appartient à l'avocat de faire une déclaration préalable au conseil de l'Ordre de tout lien hypertexte qu'il envisagerait de créer.

Cette disposition du RIN trouve aussi à s'appliquer à l'avocat qui participe à un blog ou à un réseau social en ligne.

B - La publicité interdite

Le principe de l'interdiction du démarchage est posé tant par l'article 15 du décret de 2005 que par l'article 10.2 du RIN. Tout acte de démarchage, tel qu'il est défini à l'article 1er du décret n° 72-785 du 25 août 1972 (N° Lexbase : L6642BHH), est interdit à l'avocat en quelque domaine que ce soit. L'article 1er du décret de 1972 définit le démarchage "comme le fait d'offrir ses services, en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique ou de provoquer à la souscription d'un contrat aux mêmes fins, notamment en se rendant personnellement ou en envoyant un mandataire soit au domicile ou à la résidence d'une personne, soit sur les lieux de travail, de repos, de traitement ou dans un lieu public" (il est à noter que les dispositions des articles L. 121-21 N° Lexbase : L6585ABI et s. du Code de la consommation ne s'appliquent pas à l'avocat : cf. Cass. crim., 23 janvier 2001, n° 00-80.600 N° Lexbase : A2816AYX). Est assimilé à du démarchage, et partant interdit, le fait de diffuser une offre de services, émise par une société derrière laquelle opéraient des avocats, destinée à proposer au public de se joindre par une inscription en ligne à une action en justice déjà entamée (CA Paris, 1ère ch., sect. A, 17 octobre 2006, n° 05/23835 N° Lexbase : A6918DSZ, confirmé par Cass. civ. 1, 30 septembre 2008, n° 06-21.400, F-D N° Lexbase : A5836EAE ; voir également, Cass. civ. 1, 21 juin 2005, n° 03-13.633, FS-D N° Lexbase : A8058DIB).

L'article 10.2 du RIN liste, par ailleurs, tous les actes prohibés en matière de publicité :

- toute publicité mensongère ou contenant des renseignements inexacts ou fallacieux ;

- toutes mentions laudatives ou comparatives (néanmoins l'avocat peut utiliser son titre dans tous ses écrits même non juridiques : Cass. civ. 1, 28 avril 1993, n° 90-20.949 N° Lexbase : A3283ACL);

- toutes mentions susceptibles de créer l'apparence d'une qualification professionnelle non reconnue ;

- toutes mentions susceptibles de créer dans l'esprit du public l'apparence d'une structure d'exercice inexistante ;

- toutes références à des fonctions ou activités sans lien avec l'exercice de la profession d'avocat ;

- toutes mentions susceptibles de porter atteinte au secret professionnel ;

- toutes indications contraires à la loi.

Pour conclure, la question de l'avenir de l'interdiction du démarchage pour les professionnels du droit peut se poser aujourd'hui. En effet, aux termes d'un arrêt rendu le 5 avril 2011 (CJUE, 5 avril 2011, aff. C-119/09 N° Lexbase : A4134HM3 et les obs. de V. Téchené, Il est interdit d'interdire... totalement le démarchage aux experts-comptables, Lexbase Hebdo n° 72 du 14 avril 2011 - édition professions N° Lexbase : N9746BRE), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que la Directive "Services" (Directive 2006/123 du Parlement européen et du Conseil, relative aux services dans le marché intérieur N° Lexbase : L8989HT4) doit être interprétée en ce qu'elle s'oppose à une réglementation nationale qui interdit totalement aux membres d'une profession réglementée, telle que la profession d'expert-comptable, d'effectuer des actes de démarchage. Ainsi, le principe posé de la non-conformité au droit communautaire de dispositions qui interdisent totalement le démarchage aux professions réglementées a vocation à s'appliquer à d'autres professions réglementées qui connaîtraient un sort identique. On pense évidemment tout de suite à la profession d'avocat...

newsid:426998

Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique mensuelle de droit des entreprises en difficulté de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly - Juillet 2011

Lecture: 23 min

N6983BSG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4747927-edition-n-448-du-14072011#article-426983
Copier

Le 17 Juillet 2011

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Ce mois-ci, les auteurs ont choisi de s'arrêter sur deux arrêts. Ainsi, le Professeur Le Corre nous livre-t-il, d'abord, son analyse d'une décision de la Cour de cassation en date du 28 juin 2011, appelée à la plus grande diffusion (arrêt P+B+R+I) dans lequel sa Chambre commerciale, visant les articles L. 641-9 et L. 526-1 du Code de commerce, va poser en principe de solution que "le débiteur peut opposer la déclaration d'insaisissabilité qu'il a effectuée en application du deuxième de ces textes, avant qu'il ne soit mis en liquidation judiciaire". Ainsi, la Cour de cassation affirme-t-elle, de la manière la plus nette, dans cet arrêt, que la déclaration notariée effectuée avant le jugement d'ouverture résiste à la procédure collective. Ensuite, Emmanuelle Le Corre-Broly a choisi de revenir sur un arrêt de la cour d'appel de Rennes, en date du 31 mai 201, dans lequel les juges rennais étaient amenés à répondre à la question suivante : lorsque la publication du jugement d'ouverture au BODACC est postérieure à l'avertissement délivré au créancier titulaire d'une sûreté publiée ou d'un contrat publié, le délai de déclaration de créance de ce dernier expire-t-il à l'issue du délai de deux mois à compter de l'avertissement ou à l'issue du délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture ? En d'autres termes, le délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC peut-il être considéré comme un délai minimum de déclaration de créances ? Leur réponse n'emporte pas la conviction de l'auteur qui nous expose ici une analyse critique de cette décision.
  • La déclaration notariée d'insaisissabilité fait de la résistance à la liquidation judiciaire (Cass. com., 28 juin 2011, n° 10-15.482, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A6407HUT)

La loi n° 2003-721 du 1er août 2003, dite loi pour l'initiative économique (N° Lexbase : L3557BLC), est entrée en vigueur avec le décret n° 2004-303 du 26 mars 2004, portant tarification de l'acte notarié de déclaration d'insaisissabilité (1). Le débiteur peut, du fait de cette législation, se créer une sorte de patrimoine d'affectation permettant d'empêcher la saisie de sa résidence principale, et même depuis la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 (N° Lexbase : L7358IAR, art. 14) (2), celle de tous biens fonciers bâtis ou non dès lorsqu'ils ne sont pas affectés à son activité professionnelle, par ses créanciers professionnels dont la créance serait née après la publication de la déclaration notariée d'insaisissabilité à la conservation des hypothèques ou au Livre foncier en Alsace-Moselle. Mention de la déclaration notariée d'insaisissabilité doit être faite lors de l'immatriculation au registre du commerce et des sociétés (3).

Malgré le silence du texte sur son applicabilité en cas d'ouverture d'une procédure collective, celle-ci ne semblait guère douteuse. Mais encore fallait-il en mesurer exactement la portée. C'est à cette problématique que l'arrêt rendu par la Chambre commerciale le 28 juin 2011 apporte une réponse.

En l'espèce, un immeuble appartenait en commun à deux époux. Le mari, exploitant individuel, avait en 2005 effectué une déclaration notariée d'insaisissabilité relative à cet immeuble, laquelle avait été publiée. Un an plus tard, en 2006, il était placé en liquidation judiciaire. Son liquidateur avait obtenu du juge-commissaire l'autorisation de vendre aux enchères l'immeuble litigieux. Le débiteur avait alors formé un recours contre l'ordonnance d'habilitation. Ce recours avait été suivi d'effet par le tribunal, qui avait annulé l'ordonnance. Appel avait alors été interjeté par le liquidateur, qui devait obtenir gain de cause devant la cour d'appel d'Aix en Provence (4). Le débiteur décidait alors de former un pourvoi en cassation. Trois difficultés se présentaient, les deux premières tenant à la recevabilité du recours, la dernière touchant au fond du droit. La première difficulté tenait à la qualité à agir du débiteur, du fait de son dessaisissement. La deuxième tenait à l'irrecevabilité de principe du pourvoi en cassation sur une décision statuant sur recours à l'encontre d'une ordonnance du juge-commissaire, rendue en matière de réalisation d'actif, alors que la procédure collective ait été ouverte avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 18 décembre 2008 (ordonnance n° 2008-1345 N° Lexbase : L2777ICT). La troisième, enfin, sur laquelle nous insisterons, concernait l'efficacité, ou plus exactement l'opposabilité de la déclaration notariée à la procédure collective.

Faisant droit au pourvoi, la Cour de cassation va casser en ces termes l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix en Provence, en statant à la manière d'un arrêt de principe, appelé à la plus grande diffusion (arrêt P+B+R+I) : la Cour de cassation, visant les articles L. 641-9 (N° Lexbase : L3951HBX) et L. 526-1 (N° Lexbase : L2298IBQ) du Code de commerce, va poser en principe de solution que "le débiteur peut opposer la déclaration d'insaisissabilité qu'il a effectuée en application du deuxième de ces textes, avant qu'il ne soit mis en liquidation judiciaire". Ainsi, la Cour de cassation affirme-t-elle, de la manière la plus nette, que la déclaration notariée effectuée avant le jugement d'ouverture résiste à la procédure collective.

Sur le terrain de la recevabilité, la Cour de cassation reconnaît implicitement, mais nécessairement, un doit propre au débiteur dessaisi de soulever l'opposabilité de la déclaration notariée à la procédure collective. Ensuite, en affirmant que le juge-commissaire avait commis un excès de pouvoir à ordonner la vente aux enchères de l'immeuble objet de la déclaration notariée d'insaisissabilité, la Cour de cassation ouvre le recours nullité. Il importe de préciser que, en l'espèce, la législation applicable était celle de sauvegarde des entreprises non réformée (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), la procédure collective ayant été ouverte entre le 1er janvier 2006 et le 14 février 2009. Dès lors, l'ordonnance du juge-commissaire autorisant le liquidateur à vendre l'immeuble litigieux était susceptible d'un recours devant le tribunal. Le jugement rendu par le tribunal était, quant à lui, non susceptible de recours réformation. Seul était en conséquence concevable un recours nullité.

Notons que la solution est différente, sous l'empire de l'ordonnance du 18 décembre 2008 : le recours à l'encontre de la décision du juge-commissaire, en matière de réalisation d'actif, est l'appel, que l'actif vendu soit un immeuble ou un meuble, même si une opinion doctrinale, pour le moins discutable, compte tenu des textes, a été émise, sur ce dernier terrain (B. Soinne, Le yoyo (à propos de l'alourdissement et de l'enchevêtrement procédural du droit des procédures collectives), Rev. proc. coll., 2010/5, § 5, p. 3).

Compte tenu, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, dans sa rédaction d'origine, de la fermeture de l'appel sur le jugement statuant sur recours à l'encontre de l'ordonnance du juge-commissaire, seul peut prospérer le recours nullité. Il n'en va ainsi que pour autant qu'un excès de pouvoir a été constaté.

Or, en l'espèce, cet excès de pouvoir ne pouvait exister que pour autant qu'était affirmée l'opposabilité à la procédure collective de la déclaration notariée d'insaisissabilité. C'est déjà aborder le fond du droit.

La difficulté essentielle de la matière est alors de savoir comment coordonner le principe d'insaisissabilité limité aux seuls créanciers postérieurs à la déclaration d'insaisissabilité avec le caractère collectif de la représentation des créanciers dans la procédure collective. Un important débat doctrinal s'est engagé, que la Cour de cassation a dépassé. Commençons par rappeler les termes du débat doctrinal.

Il a été généralement soutenu par une doctrine considérable (5) que, dès lors que la déclaration notariée est inopposable à au moins un créancier, le liquidateur, au titre du droit de gage général, aurait le droit de faire vendre l'immeuble. Cette dernière opinion a été suivie par plusieurs juridictions du fond (6).

En suivant l'analyse, la discussion se déplace nécessairement sur le produit de la vente des biens immobiliers. Certains considèrent que ce produit est absolument collectif (7). D'autres, au contraire, préfèrent décider que le produit de la vente ne profiterait qu'aux seuls créanciers auxquels la déclaration d'insaisissabilité est inopposable (8). C'est en ce dernier sens que s'est orientée la jurisprudence (9).

La Cour de cassation a eu l'occasion de statuer sur cette question (10). Elle va confirmer l'arrêt de la cour d'appel et, en conséquence, rejeter le pourvoi, observant que la cour d'appel n'avait statué que sur la recevabilité de la demande du liquidateur sans apprécier l'effet de la déclaration d'insaisissabilité effectuée par le débiteur. La cour ayant constaté l'absence de litige entre les créanciers de la liquidation judiciaire et le débiteur en a déduit souverainement, affirme la Cour de cassation, l'absence d'intérêt à agir du liquidateur au sens de l'article 31 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1169H43). L'action en justice n'est recevable que si celui qui l'initie a qualité et intérêt à agir. En raison même du rôle qu'il est appelé à jouer, l'intérêt doit être personnel, né et actuel. Le principe, en France, est qu'un plaideur ne peut se garantir à l'avance, par une décision de justice, de la légitimité d'une situation (11). Ainsi, au regard du principe d'irrecevabilité des actions déclaratoires, la demande du liquidateur tendant, en l'absence de tout litige, à faire déclarer inopposable à la procédure collective la déclaration notariée était vouée à l'échec.

Mais l'irrecevabilité peut encore résulter de l'absence d'intérêt personnel du demandeur à l'action en justice. Encore faut-il s'entendre ici sur la notion d'intérêt personnel. En effet, l'intérêt personnel du liquidateur d'une procédure collective résulte de ce qu'il ne représente pas un créancier en particulier, ni même un groupe de créanciers, mais la collectivité de ceux-ci. La Cour de cassation a eu l'occasion de le préciser à plusieurs reprises.

Comme l'indique la Cour de cassation, le représentant des créanciers -mandataire judiciaire depuis la loi de sauvegarde des entreprises- et, en liquidation judiciaire, le liquidateur, ne peuvent agir pour assurer la défense de l'intérêt individuel d'un créancier (12). Ils ne pourraient, par exemple, défendre individuellement un créancier dans le cadre de la vérification du passif (13).

Pas davantage, le mandataire de justice ayant en charge la défense de l'intérêt collectif des créanciers ne pourrait agir pour assurer la défense d'un groupe de créanciers (14). C'est ainsi qu'il ne peut agir en paiement contre le loueur d'un fonds de commerce donné en location-gérance, sur le fondement de l'article L. 144-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L5722AIR) instituant une solidarité du loueur du fonds avec le locataire-gérant, car cette solidarité n'a été instituée que dans le seul intérêt des créanciers disposant d'une créance nécessaire à l'exploitation du fonds (15). La critique formulée par un auteur (16) a emporté la conviction de la Cour de cassation, qui n'a pas hésité à opérer un revirement de jurisprudence, un an seulement après avoir posé la solution inverse (17).

Cette décision comportant le revirement décrit apparaît spécialement importante pour déterminer la notion d'intérêt à agir en justice du liquidateur. Le moyen invoqué au soutien du pourvoi du liquidateur énonçait que "l'action tendant à voir condamner le loueur du fonds de commerce à payer le passif de la liquidation résultant des dettes contractées à l'occasion de l'exploitation du fonds par le locataire-gérant est une action exercée au nom de l'intérêt collectif des créanciers du locataire-gérant en liquidation judiciaire et, partant, une action que le liquidateur est recevable à exercer". Le moyen était complété par l'argumentation suivante, qui reprochait à la cour d'appel d'avoir statué comme elle l'avait fait, "sans constater que le passif de la liquidation judiciaire du locataire-gérant comportait des créances échappant à la garantie du loueur du fonds".

Le moyen est rejeté par la Cour de cassation dans un attendu qu'il convient de reproduire : "mais attendu qu'après avoir énoncé que le représentant des créanciers, dont les attributions sont ensuite dévolues au liquidateur, ne peut légalement agir que dans l'intérêt de tous les créanciers et non dans l'intérêt personnel d'un créancier ou d'un groupe de créanciers, l'arrêt en déduit exactement qu'il n'est pas recevable à exercer à l'encontre du loueur une action sur le fondement de l'article 8 de la loi du 20 mars 1956, devenu l'article L. 144-7 du Code de commerce, instituée dans le seul intérêt des créanciers disposant d'une créance nécessaire à l'exploitation du fonds de commerce".

La formulation de la Cour de cassation, exactement reproduite dans un arrêt postérieur (18), nous semblait devoir être transposée au cas qui nous occupe, celui de la détermination de l'intérêt à agir du liquidateur, afin d'obtenir que soit déclarée inopposable à la liquidation judiciaire la déclaration notariée d'insaisissabilité, au prétexte que l'insaisissabilité de l'immeuble qui constitue la résidence principale du débiteur résultant de sa déclaration unilatérale n'est opposable qu'aux créanciers postérieurs à sa déclaration, et ne porte pas atteinte aux droits acquis par les créanciers antérieurs. L'analyse avait été suivie par quelques juridictions du fond (19).

En matière de solidarité du loueur du fonds de commerce avec le locataire-gérant au titre des dettes nées des six premiers mois de l'exploitation du fonds de commerce, le liquidateur ne peut agir contre le loueur, dès lors qu'il n'est pas le représentant des créanciers bénéficiant de la solidarité instituée par la législation sur la location-gérance. Peu importe, à cet égard, que parmi les créanciers, que représente le liquidateur, figurent certains qui auraient eu le bénéfice de la solidarité. Il ne les représente pas, puisque, dans le même temps, il ne saurait également représenter des créanciers qui ne bénéficient pas de cette solidarité. Ne pouvant assurer que la défense de l'intérêt collectif des créanciers, il n'a pas d'intérêt personnel, au sens où il ne défend pas collectivement les créanciers. N'ayant pas d'intérêt personnel à agir, au sens procédural, il est par le fait même dépourvu de qualité à agir, car cette qualité lui est attribuée en tant que défenseur de l'intérêt collectif des créanciers. Certes, pourra-t-on objecter, le liquidateur a non seulement la charge d'assurer la défense de l'intérêt collectif des créanciers, mais a également, en tant qu'organe, la mission de représenter le débiteur dessaisi et de réaliser les actifs du débiteur. Ce à quoi il sera répondu que sa qualité d'organe doit nécessairement se fondre dans sa mission de défense de l'intérêt collectif des créanciers. Bien qu'il représente le débiteur, il ne peut le défendre contre l'intérêt collectif des créanciers. En outre, il doit cesser de vendre les actifs du débiteur, sitôt que le paiement de tous les créanciers peut être assuré, c'est-à-dire, plus précisément, lorsque les conditions de la clôture de la liquidation judiciaire pour extinction du passif exigible sont réunies. Ainsi, on le voit bien, la qualité d'organe du liquidateur se fond dans sa mission de défense de l'intérêt collectif des créanciers.

En matière de déclaration notariée d'insaisissabilité, aucune difficulté ne se présente si tous les créanciers ont le droit de saisir l'immeuble. En ce cas, le liquidateur a assurément ce même droit, puisqu'il représente des créanciers en assurant leur défense collective. Mais il existera, le plus souvent, des créanciers qui ont le droit de saisir l'immeuble du débiteur et d'autres qui n'ont pas ce droit. Aux premiers, la déclaration est inopposable. Ce sont tous les créanciers antérieurs à la publicité de la déclaration notariée (20) et les créanciers non professionnels dont la créance est née après la publicité de la déclaration notariée. Le liquidateur, pas plus qu'il ne peut représenter les créanciers qui bénéficient de la solidité instituée entre le loueur du fonds de commerce et le locataire-gérant, tout en représentant les créanciers qui n'en bénéficient pas, ne peut représenter des créanciers auxquels la déclaration notariée serait inopposable, tout en représentant des créanciers auxquels la déclaration notariée serait opposable. L'interdiction de ne représenter qu'un groupe de créanciers, posée pour le mécanisme de la solidarité, vaut tout autant en matière de déclaration notariée d'insaisissabilité (21).

Tenant compte de la possibilité pour le chef d'une entreprise individuelle de procéder à une déclaration notariée d'insaisissabilité de sa résidence principale, l'article R. 622-4, alinéa 4, du Code de commerce (N° Lexbase : L9305ICM, décret n° 2005-1677 du 28 décembre 2005, art. 80, al. 4, anc. N° Lexbase : L3297HET) prévoit l'obligation pour le débiteur d'informer le mandataire judiciaire de cette déclaration. Cette disposition n'édicte cette obligation qu'à la charge des débiteurs non immatriculés au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers. En effet, lorsque le débiteur est commerçant ou artisan immatriculé, la déclaration notariée d'insaisissabilité est mentionnée au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers. Il s'agit d'attirer l'attention du mandataire judiciaire sur les difficultés inhérentes au statut de ce bien, s'il était envisagé, dans le déroulement ultérieur de la procédure, de le vendre. Ce texte peut constituer un argument au soutien de la thèse de l'opposabilité à la procédure collective de la déclaration notariée d'insaisissabilité (22). Il ne serait en effet d'aucune utilité si le pouvoir réglementaire n'avait implicitement analysé la situation en ce sens (23).

En prenant cette position, nous avions pleine conscience de nous trouver aux antipodes de ce qui avait pu être écrit sur la question par une doctrine faillitiste considérable, qui estime que, dès lors qu'un créancier a le droit de saisir l'immeuble, le liquidateur disposerait également de ce droit (24). Cette position est exprimée de la façon suivante "le droit de poursuite de la collectivité des créanciers est aligné sur celui que le droit commun reconnaît à un créancier quelconque" (25). Or, poursuit un auteur, "ce créancier quelconque, ce créancier de droit commun, a nécessairement selon nous un droit de gage général parce que l'insaisissabilité, conçue par la loi comme une exception, lui est inopposable : peu importerait même que les créanciers qui la subissent soit nombreux dès lors qu'existe au moins un créancier de droit commun dont le gage comprend par principe la résidence principale. En général, celle-ci fait donc partie des actifs de la procédure, et le mandataire a qualité pour la réaliser dans les mêmes conditions que les autres biens" (26).

Pour autant, on observera que cette doctrine éminente s'était focalisée sur le droit substantiel de saisie, sur la notion de saisie collective, qu'opère toute procédure collective, mais sans mettre en perspective ce droit substantiel avec sa mise en oeuvre procédurale. En outre, et comme cela a été relevé, la possibilité reconnue au liquidateur de saisir l'immeuble objet de déclaration notariée d'insaisissabilité est "illogique, lorsqu'on la confronte à l'analysé majeure que produit le jugement d'ouverture d'une liquidation judiciaire : la saisie globale des éléments actifs du patrimoine du débiteur ; effet que l'on tend à perdre un peu de vue parce qu'on l'appréhende à l'envers en usant du terme de dessaisissement. Est entachée d'une contradiction interne la proposition selon laquelle un immeuble déclaré insaisissable erga omnes peut être inclus dans une saisie globale et réalisé en conséquence. L'inopposabilité à certains créanciers, que l'on invoque pour ce faire, est une notion par essence relative à laquelle on fait produire ici un effet absolu : la mise à néant de l'insaisissabilité" (27).

En outre, dès lors que l'on quitte le terrain du droit de saisir, du droit de gage général, pour se placer sur celui de l'intérêt à agir ou de la qualité à agir, les perspectives des auteurs favorables au droit de saisir du liquidateur nous semblent bouleversées.

Une fois que l'on a affirmé que le liquidateur ne peut représenter deux catégories de créanciers, ceux ayant le droit de saisir l'immeuble et ceux n'ayant pas ce même droit, il reste à se demander ce que devient l'immeuble échappant à l'emprise de la procédure collective. L'immeuble reste saisissable par les créanciers auxquels la déclaration notariée est inopposable. Le produit de la vente ne peut évidemment profiter qu'à ces créanciers, la procédure collective n'ayant pas vocation à participer à la répartition, seuls des créanciers pris individuellement défendant leur intérêt personnel, par hypothèse distinct de celui de la collectivité des créanciers, ayant vocation à être payé. Au demeurant, parmi ces créanciers, certains ne sont jamais représentés par le liquidateur. Il s'agit des créanciers postérieurs méritants, auxquels la déclaration notariée peut parfaitement être inopposable, depuis l'ordonnance du 18 décembre 2008, qui accorde le traitement préférentiel aux créanciers postérieurs dont la créance est née en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur, sans que cette contrepartie soit nécessairement en rapport avec l'activité professionnelle du débiteur. Des créanciers postérieurs dont la créance est sans rapport avec l'activité professionnelle du débiteur bénéficient de l'inopposabilité de la déclaration notariée d'insaisissabilité. La règle de l'arrêt des poursuites individuelles ne les concerne pas, pas plus qu'elle n'intéresse les créanciers antérieurs non représentés par le liquidateur. Or, le corollaire de l'arrêt des poursuites individuelles est évidemment trouvé dans la représentation collective des créanciers. Celle-ci n'existant pas, la règle de l'arrêt des poursuites individuelles ne peut leur interdire d'agir. Pour cette même raison, les créanciers ayant le droit de saisir l'immeuble du débiteur, alors que le liquidateur ne le peut pas, ne sont pas frappés par l'interdiction des paiements et n'ont donc pas à déclarer leur créance au passif. En somme, ils échappent complètement à la procédure collective, ce qui est logique dès lors que l'immeuble, qui fait partie de leur gage, échappe lui-même à la procédure collective.

Ainsi, en retenant l'analyse présentée, la seule façon pour la procédure collective de saisir l'immeuble en présence de créanciers auxquels la déclaration notariée est opposable et d'autres auxquels elle est inopposable semble être, pour le liquidateur, de faire renoncer le débiteur déclarant à la déclaration notariée, comme il en a la possibilité. Il lui faudra, dans les situations classiques, être extrêmement convaincant, à moins de se placer sur le terrain de la fraude paulienne, ce qui pourra être le cas, lorsque des créances d'un montant plus important que la valeur des biens encore saisissables existent au moment où la déclaration notariée est effectuée. Si, tel n'est pas le cas, l'action paulienne sera rejetée (28). Le jeu des nullités de la période suspecte ne permettra pas d'atteindre la déclaration notariée d'insaisissabilité, puisque cette déclaration ne correspond à aucun cas de nullité. Il a notamment été jugé qu'il ne s'agissait pas d'une mesure conservatoire (29).

Dépassant les termes du débat doctrinal, la Cour de cassation, dans l'arrêt commenté, au visa des articles L. 641-9 et L. 526-1 du Code de commerce, va poser en principe de solution que "le débiteur peut opposer la déclaration d'insaisissabilité qu'il a effectuée en application du deuxième de ces textes, avant qu'il ne soit mis en liquidation judiciaire". En conséquence, le juge-commissaire commet un excès de pouvoir à autoriser le liquidateur à procéder à la vente aux enchères de l'immeuble, objet de la déclaration notariée. Ainsi, la Cour de cassation affirme-t-elle, de la manière la plus nette, que la déclaration notariée effectuée avant le jugement d'ouverture résiste à la procédure collective. D'une part, elle est opposable à cette dernière, et par voie de conséquence, au liquidateur. D'autre part, le débiteur, au titre d'un droit propre, peut, malgré son dessaisissement, soulever l'argument tenant à l'opposabilité de la déclaration notariée à la procédure collective pour empêcher la vente, par le liquidateur, de l'immeuble qui en est l'objet.

La solution de la Cour de cassation doit-elle être critiquée ? Assurément non. Après tout, quel était le but poursuivi par le législateur, qui a institué la déclaration notariée d'insaisissabilité ? N'était-ce pas d'éviter les funestes conséquences de la procédure collective ? Aussi, poser une solution différente de celle adoptée par la Cour de cassation, n'en serait-il pas revenu à poser en postulat que le législateur légifère dans le vide, à l'occasion d'une législation intitulée "pour l'initiative économique" et dont l'objet est de limiter, pour l'entrepreneur indépendant, les risques liés à l'activité professionnelle ? A quoi bon, en effet, eut-il servi de prévoir une insaisissabilité de l'immeuble, si elle ne devait pas jouer au seul moment où le débiteur, prétendument protégé par la loi, en aurait véritablement besoin ?

Mais encore faudra-t-il vérifier que les conditions d'opposabilité, qui tiennent à une double publicité, ont été correctement effectuées, et cela avant le jugement d'ouverture, condition sine qua non de son opposabilité à la procédure collective.

Alors, certes, l'on aura pu déplorer que le législateur n'ait pas mieux "emballé son cadeau" et ait oublié le seul article qui pouvait avoir quelque intérêt lorsqu'il a légiféré sur la question, et alors pourtant qu'il aurait pu réparer la malfaçon originelle, à l'occasion d'une retouche du texte, préférant étendre le domaine d'un dispositif incertain. Cet article aurait pu être ainsi libellé : "la déclaration notariée n'est pas affectée par la liquidation judiciaire du débiteur déclarant. La saisie de l'immeuble visé dans la déclaration notariée n'est possible que par un créancier auquel la déclaration notariée est inopposable".

Quoi qu'il en soit, la Cour de cassation a incontestablement restitué à la déclaration notariée d'insaisissabilité l'utilité que le législateur avait placée en elle, et qui rend, sans doute, moins intéressante, si tant est qu'elle présente un véritable intérêt, l'adoption du statut d'entrepreneur individuel à responsabilité limitée.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises

  • Avertissement et point de départ du délai de déclaration de créance (CA Rennes, 2ème ch. com., 31 mai 2011, n° 10/02540 N° Lexbase : A3701HTA)

La loi de sauvegarde des entreprises, qui n'a fait sur ce point que reprendre une solution dégagée par la jurisprudence sous l'empire de la législation précédente, a octroyé ce que la doctrine présente classiquement comme un délai particulier de déclaration de créance au créancier titulaire de sûreté publiée ou de contrat publié. Sous l'empire de la législation précédente, une jurisprudence importante s'était formée sur la question que l'on avait coutume d'appeler l'inopposabilité de la forclusion. En revanche, depuis que la solution jurisprudentielle est devenue la loi, peu de contentieux s'est forgé sur la question. Aussi, l'arrêt rapporté revêt-il un intérêt de premier plan, même s'il n'est question que d'une décision de cour d'appel.

Dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 31 mai 2011, un créancier titulaire d'un privilège de nantissement de fonds de commerce avait déclaré sa créance au passif de son débiteur objet d'une procédure de liquidation judiciaire. En sa qualité de créancier titulaire d'une sûreté publiée, il avait été invité par le liquidateur à déclarer sa créance dans le délai de deux mois à compter de cet avertissement. Le créancier avait procédé à la déclaration après l'expiration de ce délai de deux mois, cependant que sa déclaration avait été effectuée à l'intérieur du délai classique de déclaration de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC.

Le liquidateur judiciaire avait alors avisé le créancier de la forclusion au motif que le délai de deux mois à compter de l'avertissement, était expiré au jour de la déclaration. A la demande du créancier, le juge-commissaire avait considéré que le créancier n'était pas forclos. Pour statuer ainsi, le premier juge estimait que le créancier titulaire de la sûreté publiée bénéficiait d'une protection en ce sens que le délai de déclaration ne pouvait pas être inférieur à deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture de la procédure collective au BODACC. Cette position n'est pas partagée par la cour d'appel de Rennes qui réforme l'ordonnance (T. com. Nantes, 25 mars 2010) et déclare le créancier forclos.

La question soumise à l'appréciation de la cour d'appel de Rennes était la suivante : lorsque la publication du jugement d'ouverture au BODACC est postérieure à l'avertissement délivré au créancier titulaire d'une sûreté publiée ou d'un contrat publié, le délai de déclaration de créance de ce dernier expire-t-il à l'issue du délai de deux mois à compter de l'avertissement ou à l'issue du délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture ? En d'autres termes, le délai de deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC peut-il être considéré comme un délai minimum de déclaration de créances ?

Faisant une application étroite de l'article L. 622-24 du Code de commerce (N° Lexbase : L3455ICX), la cour d'appel considère que le délai de déclaration de créance du créancier titulaire d'une sûreté publiée ou d'un contrat publié court systématiquement à compter de la notification de l'avertissement qui lui a été adressé par le mandataire judiciaire. Force est de constater que cette position apparaît conforme à la lettre du texte qui dispose que "les créanciers titulaires d'une sûreté publiée ou liés au débiteur par un contrat publié sont avertis personnellement [...]. Le délai de déclaration court à l'égard de ceux-ci à compter de la notification de cet avertissement". La cour d'appel en déduit que le délai de déclaration de deux mois court nécessairement, pour les créanciers avertis, à compter de l'avertissement et que ce serait ajouter au texte que de considérer que, lorsque le l'avertissement a eu lieu avant la publication du jugement d'ouverture, le délai court à partir de la publication, quel que soit le statut du créancier.

Si cette position est conforme à la lettre du texte, fallait-il pour autant que la cour d'appel se focalise sur celle-ci ? A notre avis, la réponse doit être négative car l'esprit du texte n'est pas conforme à sa lettre. Pour s'en convaincre, il convient de rappeler la genèse de la disposition qui nous intéresse ici, contenue à l'article L. 622-24 du Code de commerce.

Sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, dans sa rédaction issue de la loi du 10 juin 1994 (loi n° 94-475 N° Lexbase : L9127AG7), l'ancien article L. 621-43 (N° Lexbase : L6895AI9) précisait que "à partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance a son origine antérieurement au jugement d'ouverture [...] adressent la déclaration de leurs créances au représentant des créanciers. Les créanciers titulaires d'une sûreté ayant fait l'objet d'une publication ou d'un contrat de crédit-bail publié sont avertis personnellement et, s'il y a lieu, à domicile élu". La jurisprudence avait considéré que le créancier averti par le représentant des créanciers après l'expiration du délai légal de déclaration n'encourait pas de forclusion lorsqu'il déclarait sa créance dans le délai de deux mois à compter de la réception de l'avertissement (30). Ce faisant, la jurisprudence accordait aux créanciers devant être avertis un délai supplémentaire pour déclarer la créance. Il s'agissait bien d'une faveur qui leur était accordée : alors que le créancier qui n'avait pas déclaré sa créance dans le délai de deux mois de la publication du jugement aurait dû être forclos, la jurisprudence lui permettait de déclarer sa créance dans le délai supplémentaire de deux mois à compter de l'avertissement. Etait ainsi octroyé un report du point de départ du délai de déclaration. Cette position jurisprudentielle, favorable au créancier devant être averti, a été reprise par la loi de sauvegarde des entreprises. En effet, l'article L. 622-24 du Code de commerce énonce désormais que "à partir de la publication du jugement tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture [...] adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat [deux mois à compter de la publication du jugement d'ouverture au BODACC : cf. C. com., art. R. 622-24 N° Lexbase : L0896HZ9]. Les créanciers titulaires d'une sûreté publiée ou liés au débiteur par un contrat publié sont avertis personnellement ou, s'il y a lieu, à domicile est élu. Le délai de déclaration court à l'égard de ceux-ci à compter de la réception de cet avertissement".

L'intention du législateur n'était donc autre que d'entériner la position jurisprudentielle adoptée sous l'empire de la législation précédente, afin d'accorder une protection supplémentaire aux créanciers devant être avertis en décalant le point de départ du délai de déclaration de créance au jour de la réception de l'avertissement. Le législateur est cependant parti du postulat erroné que la diligence du greffier (quant à la publication au jugement d'ouverture) serait supérieure à celle du mandataire (quant à l'avertissement aux créanciers), ce qui n'est pas nécessairement le cas en pratique, comme en témoigné l'arrêt commenté.

Il serait tout à fait illogique que l'application à la lettre de la disposition protectrice posée à l'article L. 622-24 aboutisse à enfermer le créancier dans un délai de déclaration plus court que celui octroyé aux créanciers non protégés alors que, précisément, dans l'esprit du texte, un délai supplémentaire leur est, au contraire, octroyé. Un mécanisme de protection ne doit pas se transformer en sanction contre son bénéficiaire et ainsi se muer en cadeau empoissonné.

Il convient, en outre, de remarquer que la position adoptée par la cour d'appel de Rennes est en parfaite contradiction avec celle du Service de documentation et d'études de la Cour de cassation (31). Selon ce dernier, la généralité des termes de l'article L. 622-24 invite à considérer que le délai de déclaration est le même que pour les autres créanciers lorsque la publication au BODACC est postérieure à la réception de l'avis par le créancier. C'est également en ce sens que s'est prononcée une partie de la doctrine (32), ainsi qu'une juridiction du fond (33).

De lege ferenda, afin que la lettre du texte soit mise en parfaite adéquation avec son esprit, l'article L. 622-24, alinéa 1er, in fine, qui dispose que "le délai des déclarations court à l'égard de ceux-ci à compter de la notification de cet avertissement", devrait être complété par "dans l'hypothèse où celui-ci est postérieur à la publication du jugement d'ouverture".

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, Directrice du Master 2 Droit de la banque et de la société financière de la Faculté de droit de Toulon


(1) Décret n° 2004-303 du 26 mars 2004 (N° Lexbase : L7539IQB), JORF du 30 mars 2004, n° 76, p. 6061 ; D., 2004, p. 1006.
(2) Loi n° 2008-776 du 4 août 2008, de modernisation de l'économie ("LME" N° Lexbase : L7358IAR), JORF du 5 août 2008, n° 0181, p. 12471.
(3) Décret n° 2005-77 du 1er février 2005, modifiant le décret du 30 mai 1984, art. 8 et 12 (N° Lexbase : L6784G4Z).
(4) CA Aix-en-Provence, 8ème ch., sect. A, 3 décembre 2009, n° 08/22422 (N° Lexbase : A2823EY9), Act. proc. coll., 2010/11, n° 164, note J. Vallansan ; Rev. proc. coll., 2010/3, comm. 140, note Ch. Lebel.
(5) F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté - Instruments de crédit et de paiement, 8ème éd., Lgdj, 2009, n° 424 ; F. Pérochon, Le créancier et la renonciation à l'insaisissabilité de la résidence, Mél. Saint-Alary, éd. lég et PU Toulouse, p. 409 et s., sp. p. 411, n° 5 ; F. Vauvillé, La déclaration notariée d'insaisissabilité, Defrénois 2003, art. 37813, p. 1197, sp. p. 1203, n° 14 et Act. proc. coll., 2003/17, n° 222 ; J. Casey, L'insaisissabilité du logement dans la loi du 1er août 2003 : aspects de droit des régimes matrimoniaux, RJPF, 2003/12, sp. p. 8 ; M. Sénéchal, L'effet réel de la procédure collective, Litec, 2002, n° 400 ; Ph. Froehlich et M. Sénéchal, De la réalisation de l'actif, LPA numéro spécial, 9 février 2006, n° 29, p. 21, sp. p. 35 ; J.-L.Vallens, Lamy Droit commercial (partie relative au redressement et à la liquidation judiciaires), éd. Lamy, 2010, n° 4290 ; J. Vallansan et M. Beaubrun, fasc. 2702, [Liquidation judiciaire Régime Administration de l'entreprise Liquidation judiciaire simplifiée], éd. 2007, n° 44 ; F. Legrand et O. Staes, La détermination du patrimoine du débiteur, Rev. proc. coll., 2008/2, p. 106 et s., sp. p. 110, n° 38.
(6) CA Orléans, ch. com. éco et fin., 15 mai 2008, n° 07/01076 (N° Lexbase : A2277G44), Act. proc. coll., 2008/15, n° 239, note P. Cagnoli, JCP éd. E, 2009, 1008, n° 9, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel, Rev. proc. coll., 2009/2, p. 52, n° 62, note C. Lisanti ; TGI Nancy, 6 juillet 2009, n° 06/055542, JCP éd. E, 2010, 1229, note Ch. Lebel ; CA Aix-en-Provence, 8ème ch., sect. A, 3 décembre 2009, n° 08/22422 , préc., et les obs. préc. ; CA Orléans, ch. com. éco et fin., 6 avril 2011, n° 11/00312 (N° Lexbase : A0352HPQ), Leden, mai 2011, comm. 072, obs. F. Pérochon.
(7) F. Pérochon, Le créancier et la renonciation à l'insaisissabilité de la résidence, p. 409 et s., sp. p. 411, n° 6 J.-L. Vallens, Lamy Droit commercial, préc., n° 4290 ; Ph. Froehlich et M. Sénéchal, in Lucas et Lécuyer, dir. La réforme des procédures collectives - La loi de sauvegarde article par article, Lgdj, 2006, p. 356, note 26.
(8) F. Vauvillé, Déclaration notariée d'insaisissabilité et procédure collective du déclarant, Act. proc. coll., 2003-17, p. 1 ; F. Legrand et O. Staes, La détermination du patrimoine du débiteur, Rev. proc. coll., 2008/2, p. 106 et s., sp. p. 110, n° 39.
(9) CA Orléans, ch. com. éco et fin., 15 mai 2008, n° 07/01076, préc. et note P. Cagnoli, préc. ; CA Aix-en-Provence, 8ème ch., sect. A, 3 décembre 2009, n° 08-22422, préc. et note J. Vallansan, préc..
(10) Cass. com., 3 février 2009, n° 08-10.303, F-P+B (N° Lexbase : A9609ECU), Bull. civ. IV, n° 15, ; D., 2009, AJ 494, note A. Lienhard ; Gaz. proc. coll., 2009/2, p. 27, note D. Voinot ; Act. proc. coll., 2009/7, n° 112, note D. Bazin-Beust ; Rev. proc. coll., 2009/2, p. 52, n° 62, note C. Lisanti ; Defrénois, 2009, art. 39078, p. 472, n° 2, note D. Gibirila ; Procédures, mai 2009, 159, p. 30, note B. Rolland ; Dr. et procédures, juillet/août 2009, p. 206, nos obs..
(11) M. Bandrac, in Droit et pratique de la procédure civile, Dalloz action, 6ème éd. 2009/2010, n° 101.72.
(12) Cass. com., 16 mars 1993, n° 90-20.188 (N° Lexbase : A6328ABY), Bull. civ. IV, n° 106, D., 1993, p. 583, obs. F. Derrida, Rev. proc. coll., 1993, 424, n° 8, obs. B. Dureuil, Rev. proc. coll., 1993, 547, n° 1, obs. B. Soinne, JCP éd. E, 1993, I, 277, obs. M. Cabrillac ; Cass. com., 7 janvier 2003, n° 99-10.781, F-S+B (N° Lexbase : A6028A4Z), Bull. civ. IV, n° 1, D., 2003, AJ 274, obs. A. Lienhard.
(13) Cass. com. 7 janvier 2003, n° 99-10.781, préc. et les obs. préc. ; CA Rennes, 8 novembre 1995, Rev. proc. coll. 1998, 160, n° 2, obs. B. Soinne.
(14) Cass. com., 29 avril 1997, n° 95-15.099 (N° Lexbase : A1870ACA), Bull. civ. IV, n° 112, Rev. proc. coll., 1998, 158, n° 1, obs. B. Soinne, Dr. Sociétés, 1999, com. 103 ; Cass. com., 7 janvier 2003, n° 99-10.781, FS-P+B (N° Lexbase : A6028A4Z), Bull. civ. IV, n° 1, D., 2003, AJ 274, obs. A. Lienhard, JCP éd. E, 2003, chron. 760, p. 853, n° 13, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel ; Cass. com., 9 n°vembre 2004, n° 02-13.685, FS-P+B (N° Lexbase : A8419DD8), Bull. civ. IV, n° 193, RTDCiv., 2005, n° 1, 183-184, obs. R. Perrot.
(15) Cass. com., 9 novembre 2004, n° 02-13.685, préc., obs. R. Perrot, préc. ; D., 2004, AJ 3069, obs. A. Lienhard ; D., 2005, pan. 296, nos obs. ; RTDCom., 2005, 247, obs. B. Saintourens ; Act. proc. coll., 2004/20, n° 245, note C. Régnaut-Moutier ; LPA, 13 avril 2005, p. 4, obs. F.-X. Lucas ; Dr. et patr., 2005/4, p. 115, n° 3677, obs. M.-H. Monsérié-Bon ; Defrénois, 2005/11, p. 993, chron. 38177, n° 4, note D. Gibirila.
(16) F.-X. Lucas, note sous Cass. com., 8 juillet 2003, n° 01-15.532, F-D (N° Lexbase : A1034C98), LPA, 18 février 2004, n° 35, p. 9.
(17) Cass. com., 8 juillet 2003, n° 01-15.532, F-D (N° Lexbase : A1034C98) ; LPA, 18 février 2004, n° 35, p. 9, note crit. F.-X. Lucas.
(18) Cass. com., 13 décembre 2005, n° 04-18.567, F-D (N° Lexbase : A0035DMA) ; Gaz. proc. coll., 2006/2, p. 40, obs. Ph. Roussel Galle.
(19) CA Douai, 2ème ch. civ., 1ère sect., 23 septembre 2010, n° 08/09697 (N° Lexbase : A2276GAK), JCP éd. E, 2010, 2076, note Ch. Lebel.
(20) Sur la délicate question de la publicité de la déclaration notariée, v. M.-H. Monsérié-Bon, L'insaisissabilité de la résidence principale : ordre et désordre dans le rôle de la publicité, mél. R. Saint-Alary, Editions législatives, Presses de l'Université des sciences sociales de Toulouse, 2006, p. 387.
(21) V., relayant cette vision, C. Saint-Alary-Houin, Droit des entreprises en difficulté, Domat, Montchrestien, 6ème éd., 2009, n° 1214 ; Ph. Delmotte, Les vertiges de l'insaisissabilité : quelques problématiques nées des effets de la déclaration d'insaisissabilité en matière de procédures collectives, Rev. proc. coll., 2009/2, 6, p. 17 et s., sp. p. 18, n° 13 ; D. Voinot, note sous Cass. com., 3 février 2009, n° 08-10.303, F-P+B (N° Lexbase : A9609ECU), Bull. civ. IV, n° 15 ; Gaz. proc. coll., 2009/2, p. 27.
(22) C. Saint-Alary Houin, Droit des entreprises en difficulté, préc., n° 756.
(23) P. Le Cannu, Droit commercial, Entreprises en difficulté, refonte de l'ouvrage de M. Jeantin, Précis Dalloz, 7ème éd., 2006, n° 567-1.
(24) F. Pérochon, Le créancier et la renonciation à l'insaisissabilité de la résidence, Mél. Saint-Alary préc., p. 409 et s., sp. p. 411, n° 5 ; F. Vauvillé, La déclaration notariée d'insaisissabilité, préc. sp. p. 1203, n° 14 ; J. Casey, L'insaisissabilité du logement dans la loi du 1er août 2003 : aspects de droit des régimes matrimoniaux, préc., sp. p. 8 ; M. Sénéchal, L'effet réel de la procédure collective, préc., n° 400 ; Ph. Froehlich et M. Sénéchal, De la réalisation de l'actif, préc. ; J.-L. Vallens, Lamy Droit commercial, préc., n° 4290 ; J. Vallansan et M. Beaubrun, fasc. 2702, préc., n° 44.
(25) M. Sénéchal, L'effet réel de la procédure collective : essai sur la saisie collective du gage commun des créanciers, bibl. dr. entr., t. 59, Litec 2002, n° 365.
(26) F. Pérochon, Le créancier et la renonciation à l'insaisissabilité de la résidence, préc., p. 409 et s., sp. p. 411, n° 5.
(27) CA Orléans, ch. com. éco et fin., 15 mai 2008, préc. et les obs. préc..
(28 CA Nancy, ch. com., 23 mars 2011, 09/02695 (N° Lexbase : A1543HM4), JCP éd. E, 1368, note Ch. Lebel.
(29) CA Nancy, ch. com., 23 mars 2011, préc. et note préc..
(30) Cass. com., 14 mars 2000, n° 97-20.715, publié (N° Lexbase : A3504AUC), Bull. civ. IV, no 56; D., 2000, AJ p. 168, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll., 2000/8, n° 88; RTDCom., 2000, p. 716, obs. A. Martin-Serf ; RD banc. et fin., 2000/2, n° 69, obs. F.-X. Lucas.
(31) Service de documentation et d'études de la Cour de cassation, D., 2006, Act. lég., p. 1036.
(32) F. Pérochon R. Bonhomme, Entreprises en difficulté - Instrument de crédit et de paiement, préc., n° 533 ; P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2010/2011, n° 665.86. Contra J. Vallansan, Difficulté des entreprises - Commentaire article par article du livre VI du Code de commerce, Litec, 2ème éd., p. 133 ; J.-C. Boulay, Act. proc. coll., 2002/8, n° 95.
(33) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 30 octobre 2008, n° 07/21321 (N° Lexbase : A6208EBK).

newsid:426983

Fonction publique

[Doctrine] Chronique de droit de la fonction publique - Juillet 2011

Lecture: 11 min

N6955BSE

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4747927-edition-n-448-du-14072011#article-426955
Copier

par Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour

Le 22 Mai 2014

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique de droit interne de la fonction publique de Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour. La présente chronique expose trois décisions récentes du Conseil d'Etat. La première énonce que le bénéfice de la protection fonctionnelle constitue un principe général du droit, applicable quel que soit le mode d'accès à un emploi public (CE, Sect., 8 juin 2011, n° 312700, publié au recueil Lebon). La deuxième précise le point de départ du droit à reconstitution de la carrière et l'assiette du préjudice matériel en cas d'annulation d'une décision d'éviction (CE 2° et 7° s-s-r., 10 juin 2011, n° 342600, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, la troisième décision souligne que tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade (CE 3° et 8° s-s-r., 8 juin 2011, n° 335507, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • Le bénéfice de la protection fonctionnelle constitue un principe général du droit, applicable quel que soit le mode d'accès à un emploi public (CE, Sect., 8 juin 2011, n° 312700, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A5418HTT)

Peut-être est-ce un signe des temps, mais la protection fonctionnelle est placée, depuis quelques années, sur le devant le scène contentieuse. Pour ne s'en tenir qu'à la période la plus récente, le Conseil d'Etat a rendu plusieurs arrêts importants en 2010 (1). Dans une décision du 8 juin 2011, la Haute juridiction contribue, une nouvelle fois, à préciser les conditions d'application d'une garantie statutaire qui s'avère de plus en plus nécessaire aux agents.

Tout l'intérêt de la décision ici commentée est de donner un contour très étendu au principe général du droit suivant lequel tout agent public mis en cause par un tiers à raison de l'exercice de ses fonctions doit bénéficier de la protection juridique et financière de la collectivité qui l'emploie. Bien qu'elle ne soit pas nouvelle dans ses grandes lignes, la solution adoptée dans cette affaire marque la volonté du Conseil d'Etat de donner à la protection fonctionnelle un champ le plus large possible.

L'arrêt rappelle, en premier lieu, que la protection fonctionnelle a valeur de principe général du droit. Cette consécration n'est pas une innovation puisque la jurisprudence a, de longue date, admis que les personnels non-titulaires pouvaient en bénéficier à l'instar des fonctionnaires : pour ces derniers, c'est l'article 11 du titre I du statut général (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, art. 11 N° Lexbase : L5204AH9) qui institue la protection fonctionnelle, quand bien même aucun texte ne l'envisagerait (2). Cette extension a été "réaffirmée" (selon l'expression employée par le Conseil d'Etat) à l'article 50-II de la loi n° 96-1093 du 16 décembre 1996, relative à l'emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d'ordre statutaire (N° Lexbase : L1809ASS), pour les agents non-titulaires.

L'on rappellera que cette protection dite "fonctionnelle" constitue une obligation pour l'employeur de l'agent, l'article 71 de la loi du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit (loi n° 2011-525 N° Lexbase : L2893IQ9), précisant que la collectivité débitrice de l'obligation est celle qui emploie l'agent à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire à celui-ci. Sur le fond, cette obligation implique, comme l'indique le Conseil d'Etat dans l'arrêt commenté au moyen d'une formule synthétique, que, "lorsqu'un agent public est mis en cause par un tiers à raison de ses fonctions, il incombe à la collectivité publique dont il dépend de le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui, dans la mesure où une faute personnelle détachable du service ne lui est pas imputable, de lui accorder sa protection dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales, sauf s'il a commis une faute personnelle, et, à moins qu'un motif d'intérêt général ne s'y oppose, de le protéger contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont il est l'objet".

L'arrêt commenté est intéressant pour deux raisons. D'une part, il étend le principe général du droit -applicable même sans texte à l'ensemble des agents publics- aux trois hypothèses visées par les textes statutaires (condamnations civiles, poursuites pénales, menaces, violences ou outrages). Jusqu'à présent, la jurisprudence issue de l'arrêt "Centre hospitalier de Besançon" (3) ne s'appliquait qu'au titre de la prise en charge par la collectivité des condamnations civiles encourues par l'agent vis-à-vis des tiers. L'extension à laquelle l'arrêt du 8 juin 2011 procède doit être saluée, car elle permet d'aligner le contenu de l'obligation issue de la protection fonctionnelle à l'ensemble des personnels qui en bénéficient.

D'autre part, l'arrêt indique que la protection fonctionnelle, en tant que principe général du droit, "s'applique à tous les agents publics, quel que soit le mode d'accès à leurs fonctions". En l'espèce, il s'agissait d'un président d'une chambre de commerce et d'industrie, c'est-à-dire de l'exécutif d'un établissement public administratif placé sous la tutelle de l'Etat. Ce type d'élu est considéré par la jurisprudence judiciaire comme chargé d'une mission de service public (4). Toutefois, le caractère électif de la fonction avait conduit les juges du fond à confirmer le refus d'accorder la protection fonctionnelle au président d'une chambre de commerce et d'industrie poursuivi devant les tribunaux répressifs des chefs de trafic d'influence par personne chargée d'une mission de service public, ou investie d'un mandat électif public et de recel d'abus de confiance.

Le Conseil d'Etat refuse de distinguer selon que les agents publics sont nommés par une autorité hiérarchique ou élus. Pour justifier cette solution, l'arrêt retient, naturellement, qu'il existe un principe général applicable à l'ensemble des agents publics stricto sensu, mais, également, que les exécutifs locaux ont le droit à une protection en cas de poursuites pénales ou d'outrages (CGCT, art. L. 2123-34 N° Lexbase : L8172AAW, L. 2123-35 N° Lexbase : L6516A7H, L. 3123-28 N° Lexbase : L8203AA3, L. 3123-29 N° Lexbase : L6524A7R, L. 4135-28 N° Lexbase : L8236AAB, et L. 4135-29 N° Lexbase : L6532A73), et que les collectivités doivent les garantir des condamnations civiles consécutifs à des fautes de services (5). Dès lors, il aurait été excessivement restrictif de refuser d'étendre cette garantie fondamentale aux présidents élus des chambres de commerce et d'industrie.

  • Annulation d'une décision d'éviction : point de départ du droit à reconstitution de la carrière et assiette du préjudice matériel (CE 2° et 7° s-s-r., 10 juin 2011, n° 342600, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5446HTU)

La jurisprudence administrative décide depuis l'arrêt "Rodière" du 26 décembre 1925 (6) que l'annulation contentieuse d'une mesure d'éviction d'agent public implique que cette décision est censée n'avoir jamais existé. Par suite, l'administration est tenue de procéder à la reconstitution juridique de la carrière de l'agent. En outre, le fonctionnaire a droit à une indemnisation correspondant aux traitements qu'il n'a pas perçu pendant la période d'éviction, déduction faite des rémunérations qu'il a effectivement reçues (7), auxquelles peuvent s'ajouter des dommages-intérêts pour préjudice moral ou trouble dans les conditions d'existence (8).

L'arrêt rendu le 10 juin 2011 apporte deux précisions quant aux modalités concrètes de la reconstitution de carrière consécutive à une annulation contentieuse. Dans cette affaire, un agent administratif affecté à l'ambassade de France auprès du Saint-Siège avait été l'objet d'une mutation d'office au sein de l'administration centrale du ministère des Affaires étrangères. Cette décision, qui devait prendre effet le 30 septembre 1999, a été annulée par un jugement définitif du tribunal administratif de Paris en 2003. A la demande de l'agent, la cour administrative d'appel de Paris (9), a, dans le cadre d'une seconde procédure, condamné l'Etat à lui payer, au titre de la période comprise entre le 30 septembre 1999 et le 30 septembre 2004, une indemnité pour perte de rémunérations subie pendant la période considérée, ainsi qu'une somme représentative de la perte de la pension de retraite. Saisi d'un pourvoi à l'encontre de cet arrêt, le Conseil d'Etat le censure pour deux motifs, tous deux caractéristiques d'erreurs de droit.

D'une part, sur le pourvoi principal du ministère des Affaires étrangères, le Conseil d'Etat considère que l'indemnité destinée à réparer le préjudice subi par la requérante "doit représenter la différence entre, d'une part, la rémunération qu'aurait perçue l'intéressé en cette qualité, à l'exclusion des indemnités de résidence attribuées aux personnels de l'Etat en service à l'étranger et, d'autre part, les rémunérations qui lui ont été servies". Pour exclure de l'assiette du préjudice réparable le montant de la prime perçue par les agents titulaires de l'Etat en service à l'étranger, l'arrêt retient que cette prime, instituée par le décret n° 67-290 du 28 mars 1967, fixant les modalités de calcul des émoluments des personnels de l'Etat et des établissements publics de l'Etat à caractère administratif en service à l'étranger (N° Lexbase : L0983G8W), vise à compenser forfaitairement les charges liées aux fonctions exercées, aux conditions d'exercice de ces fonctions, et aux conditions locales d'existence. Ainsi, cette indemnité ne s'apparente pas à un accessoire du traitement mais à un complément lié à l'exercice des fonctions. Dans une telle hypothèse, les sommes qu'aurait pu percevoir l'agent ne doivent pas être intégrées au montant des rémunérations servant de calcul à l'indemnisation de l'agent irrégulièrement évincé (10). L'on notera que l'indemnité de résidence, prévue à l'article 20 du titre I du statut général des fonctionnaires (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, art. 20 N° Lexbase : L5215AHM), constitue, quant à elle, un accessoire au traitement ; elle doit donc être intégrée dans l'assiette des dommages-intérêts (11).

La requérante ayant perçu des rémunérations durant la période pendant laquelle elle a été évincé de son emploi à l'ambassade de France auprès du Saint-Siège, ces sommes ont, quant à elles, été justement déduites du droit à indemnité auquel elle pouvait prétendre (12).

D'autre part, le Conseil d'Etat censure l'arrêté d'appel en ce qu'il limite à une période comprise entre le 30 septembre 1999 et le 30 septembre 2004 le droit à indemnisation de la requérante. Le raisonnement de la cour administrative d'appel reposait sur le fait que l'agent avait demandé sa mise en disponibilité pour convenance personnelle à compter de la date de sa mutation d'office et qu'elle avait sollicité le renouvellement de sa mise en disponibilité postérieurement au jugement du tribunal administratif statuant sur la légalité de cette mutation, en raison de l'éventuelle cassation de ce jugement, et de la difficulté d'obtenir un emploi si elle quittait celui qu'elle occupait. Les juges du fond ont estimé que la responsabilité de l'administration ne pouvait être engagée au-delà de la dernière période de disponibilité accordée avant le jugement rendu le 9 octobre 2003.

Dans un considérant de principe, le Conseil d'Etat indique "qu'à la suite d'une éviction illégale d'un agent titulaire, annulée par le juge de l'excès de pouvoir, il incombe à l'administration de prendre les mesures de réintégration que l'exécution de la décision du juge appelle nécessairement, même dans le cas où elle en a demandé la cassation". Bien que l'arrêt ne vise pas précisément l'article L. 11 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L2618ALK), la solution semble largement justifiée par ce texte, qui dispose que les jugement sont exécutoires. En effet, même si un jugement au fond n'est pas irrévocable ou définitif lorsqu'une voie de recours peut ou a été exercée, il n'en demeure pas moins qu'il doit, en application de l'article L. 11 précité, être exécuté (13). Le caractère exécutoire de la décision a un caractère général. Il s'étend bien au-delà des pouvoirs reconnus au "juge administratif de l'exécution" par le Livre IX du Code de justice administrative. Dès lors, l'indemnisation ne peut être réduite du seul fait que l'administration entendrait différer sa réintégration dans l'attente du résultat d'un pourvoi en cassation.

  • Tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade (CE 3° et 8° s-s-r., 8 juin 2011, n° 335507, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5438HTL)

L'inertie ne peut être un principe de gestion des ressources humaines. Dans l'affaire jugée le 8 juin 2011, le Conseil d'Etat vient renforcer le courant jurisprudentiel qui impose aux administrations-employeurs de donner à leurs agents titulaires des affectations conformes à ce qu'ils sont en droit d'attendre. Ce courant est né avec l'arrêt "Guisset" (14), suivant lequel "sous réserve de dispositions statutaires particulières, tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade". L'arrêt commenté reprend cette formulation, tout en apportant une précision relative aux contours de l'obligation qui pèse sur l'administration.

En l'espèce, la requérante, administratrice civile hors classe, a occupé les fonctions de directrice régionale des affaires culturelles de Picardie entre 1999 et septembre 2003. A compter de cette date, elle est restée sans affectation jusqu'au 1er octobre 2009, à l'exception de deux courtes missions d'étude et d'une mise à disposition de la ville de Paris pendant l'année 2005. Ce n'est que le 1er octobre 2009 qu'elle a été nommée en qualité de chargée de mission à l'inspection générale de l'administration des affaires culturelles pour une durée de deux ans. Estimant que cette fonction ne correspondait pas à son grade, la requérante a demandé au ministre de la Culture de lui donner une affectation à un poste correspondant à son grade, et de l'indemniser du préjudice subi du fait de son absence d'affectation à un tel poste depuis le 30 septembre 2003.

La réponse du Conseil d'Etat a lieu en deux temps. En premier lieu, l'arrêt considère que le fait, pour un administrateur civil des affaires culturelles, d'être placé auprès d'un corps d'inspection, en tant que chargé de mission, correspond aux missions que son statut lui permet d'occuper. Par conséquent, la demande d'injonction ne peut qu'être rejetée. L'arrêt prend, toutefois, soin de préciser qu'il en irait autrement si cette affectation ne se traduisait pas par l'exercice de fonctions "effectives", afin d'éviter que les administrations ne soient tentées de placer les agents dont elles ne savent (ou ne veulent) que faire dans des "placards dorés". Une telle attitude serait très certainement répréhensible au titre de l'interdiction du harcèlement moral qui s'impose dans la fonction publique (15).

En second lieu, l'arrêt commenté marque un renforcement de la jurisprudence antérieure. Jusqu'à présent, la responsabilité de l'administration (le plus souvent l'Etat) était engagée lorsque l'agent s'était vu refuser toute affectation au-delà d'un délai raisonnable (16). Dans l'affaire jugée le 8 juin 2011, l'on ne pouvait conclure que le ministère de la Culture était demeuré totalement inerte une fois que la requérante avait cessé ses fonctions de directrice régionale. Le Conseil d'Etat note que deux missions ponctuelles lui ont bien été confiées, et qu'elle a passé une année au titre d'une mise à disposition au sein des services de la ville de Paris. Pour autant, cette activité réduite ne suffit pas à exonérer l'Etat de sa responsabilité. Selon l'arrêt, ces fonctions, de courte durée, ne constituent pas une véritable affectation. Ainsi, le droit de se voir proposer une affectation doit se traduire par la nomination dans un emploi correspond au grade que l'agent occupe, et non simplement dans le fait d'être occupé dans des missions plus ou moins durables. Cette conception est logique car elle répond à la définition juridique du fonctionnaire. Celui-ci est, selon l'article 12 du titre I du statut général (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, art. 12 N° Lexbase : L5205AHA), titulaire d'un grade qui lui confère vocation à occuper l'un des emplois qui lui correspondent. Ce texte précise, ensuite, que toute nomination ou toute promotion dans un grade qui n'intervient pas exclusivement en vue de pourvoir à un emploi vacant et de permettre à son bénéficiaire d'exercer les fonctions correspondantes est nulle. L'affectation présuppose donc l'existence d'un véritable emploi.

Manuel Carius, Maître de conférences à l'Université de Poitiers et avocat à la cour


(1) CE 1° et 6° s-s-r., 10 mars 2010, n° 321125, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1626ETE) ; CE 3° et 8° s-s-r., 12 mars 2010, n° 308974, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A1604ETL) ; CE 1° et 6° s-s-r., 31 mars 2010, n° 318710, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4180EUD).
(2) CE, Sect., 26 avril 1963, Rec., p. 243, concl. Chardeau.
(3) CE, Sect., 26 avril 1963, préc..
(4) Cass. crim., 5 novembre 1998, n° 97-80.419 (N° Lexbase : A2497CGL), Bull. crim. 1998, n° 289, JCP éd. G, 1999, II, 10182, note W. Jeandidier, RTD Com., 1999, p. 771, obs. B. Bouloc.
(5) CE 3° et 6° s-s-r., 5 mai 1971, n° 79494, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A3632B7N), Rec., p. 324.
(6) CE, 26 décembre 1925, n° 88369, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A8230B8C), Rec., p. 1065, GAJA.
(7) CE, Ass., 7 avril 1933, n° 04711 (N° Lexbase : A4938B7Z), Rec., p. 439, concl. Parodi.
(8) CE 1° et 4° s-s-r., 26 juillet 1978, n° 93715, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4075AIR), Rec., p. 315 ; CE 1° et 6° s-s-r., 18 juillet 2008, n° 304962 (N° Lexbase : A7353D99), AJFP, 2009.
(9) CAA Paris, 8ème ch., 14 juin 2010, n° 08PA04731 (N° Lexbase : A2008E8U).
(10) CE, 7 novembre 1969, n° 73698, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5260B7X), Rec., p. 481 ; CE, 22 mai 1991, n° 81679, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A1718AR3) ; CE 4° et 5° s-s-r., 21 mai 2008, n° 288541, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A7201D89), AJDA, 2008.
(11) CE 2° s-s., 13 juillet 2010, n° 320853, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A6421E4L) ; CE 3° et 5° s-s-r., 26 juin 1989, n° 77104, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A3435AQB).
(12) CE 7° et 10° s-s-r., 30 juillet 1997, n° 145048, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A0716AEA).
(13) CE, Ass., 27 octobre 1995, n° 150703, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6207AN9), Rec., p. 359, concl. Arrighi de Casanova.
(14) CE, Sect., 6 novembre 2002, n° 227147, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A7481A3H), Rec., p. 376.
(15) Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, art. 6 (N° Lexbase : L5233AHB) ; CE 1° et 6° s-s-r., 4 mars 2009, n° 311122, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A5777EDC) ; CE 3° s-s., 17 mars 2010, n° 310707, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A7949ETL).
(16) CE référé, 24 novembre 2008, n° 322192, inédit au recueil Lebon (N° Lexbase : A4557EBE) ; CE 1° et 6° s-s-r., 4 mars 2009, n° 311122, préc..

newsid:426955

Hygiène et sécurité

[Jurisprudence] Harcèlement dans l'entreprise : l'employeur doit réagir, et vite !

Réf. : Cass. soc., 29 juin 2011, deux arrêts, n° 09-69.444, FS-P+B (N° Lexbase : A6494HU3) et n° 09-70.902, FS-P+B (N° Lexbase : A6495HU4)

Lecture: 8 min

N6971BSY

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4747927-edition-n-448-du-14072011#article-426971
Copier

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo, édition sociale

Le 17 Juillet 2011

L'employeur est tenu, en matière de harcèlement, d'une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de répondre de tous les faits commis dans l'entreprise. Il a tout intérêt à se séparer au plus vite des salariés dont le comportement risque de nuire à la santé ou à la sécurité de leurs collègues, mais à condition de réagir vite dès que les premiers signent apparaissent, tel que le révèle un premier arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 29 juin 2011 (I). S'il ne parvient pas à empêcher le harcèlement, l'employeur devra alors en assumer toutes les conséquences, même s'il a finalement procédé au licenciement du coupable, comme le montre un autre arrêt rendu le même jour (II).
Résumé

1 - Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-69.444, FS-P+B (N° Lexbase : A6494HU3)

L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime, sur son lieu de travail, de violences physiques ou morales exercées par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements.

Est nul le licenciement d'un salarié en raison d'un comportement qui lui est reproché mais qui est une réaction au harcèlement.

2 - Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-70.902, FS-P+B (N° Lexbase : A6495HU4)

Engage tardivement et de manière fautive la procédure de licenciement disciplinaire contre un salarié suspecté de harcèlement, l'employeur qui avait eu connaissance de l'existence éventuelle de faits de harcèlement moral et sexuel dès sa convocation devant le bureau de conciliation et qui s'est borné à en dénier la réalité dans le cadre de l'instance prud'homale, en omettant d'effectuer les enquêtes et investigations qui lui auraient permis d'avoir, sans attendre l'issue de la procédure prud'homale l'opposant à la victime, la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l ampleur des faits reprochés à ce salarié et de prendre les mesures appropriées.

Commentaire

I - La sanction disciplinaire du salarié harceleur, condition nécessaire

Cadre légal. Les articles L. 1152-4 (N° Lexbase : L0730H9W) et L. 1153-5 (N° Lexbase : L0744H9G) du Code du travail, relatifs respectivement aux harcèlements moral et sexuel, disposent que "l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement [...]".

Ces textes constituent le siège de l'obligation de sécurité de résultat reconnue à la charge de l'employeur depuis 2006 (1), obligation qui lui impose de répondre des conséquences de faits de harcèlement commis par l'un de ses salariés, ou par toute autre personne sur laquelle il exerce une autorité de droit ou de fait (2), et ce même s'il n'a pas commis de faute personnelle dans la détection ou la sanction des faits qui ont été révélés.

Harcèlement et sanctions disciplinaires. Les articles L. 1152-5 (N° Lexbase : L0732H9Y) et L. 1153-6 (N° Lexbase : L0745H9H) du Code du travail disposent également que "tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement [moral ou sexuel] est passible d'une sanction disciplinaire".

La jurisprudence a été plus loin que ne le suggèrent ces textes et considère que le fait de harceler constitue nécessairement une faute grave qui justifie un licenciement immédiat (3), et ce sans qu'aucune cause d'atténuation de la responsabilité du salarié ne puisse être retenue (4).

L'un des deux arrêts rendus le 29 juin 2011 (n° 09-69.444) concernait, d'ailleurs, la possibilité de tenir compte du comportement du salarié harcelé pour tenter de limiter la responsabilité de l'employeur, ce dernier ayant fait valoir que le salarié harcelé avait été licencié notamment en raison "de son comportement injurieux et agressif". L'argument a été balayé par la Cour qui a considéré que "le comportement reproché à la salariée était une réaction au harcèlement moral dont elle avait été victime", ce qui non seulement lui enlevait tout caractère fautif, mais suffisait à rattacher le licenciement aux dispositions des articles L. 1152-2 (N° Lexbase : L0726H9R) et L. 1152-3 (N° Lexbase : L0728H9T) du Code du travail qui réputent nul le licenciement du salarié qui a subi des faits de harcèlement.

Diligence de l'employeur. Mais qu'en est-il lorsque les faits ne sont pas clairement établis et que l'employeur attend prudemment que l'instance en cours livre son verdict, avant de prendre, si la responsabilité du salarié harceleur est établie, l'initiative de la procédure de licenciement pour faute grave ?

L'un des deux arrêts en date du 29 juin 2011 (n° 09-70.902) nous montre que l'employeur ne peut pas se contenter d'attendre l'expiration de la procédure prud'homale mais qu'il doit, au contraire, prendre l'initiative de l'enquête pour faire éclater la vérité.

L'affaire. L'instance mettait en cause le comportement du directeur d'une auberge de jeunesse reconnu coupable de harcèlement moral et sexuel par un jugement de conseil de prud'hommes. Neuf jours plus tard, son employeur l'avait convoqué à un entretien préalable à son licenciement avec mise à pied conservatoire, avant de le licencier pour faute grave. Le salarié avait contesté, avec succès, cette qualification, la juridiction d'appel ayant considéré que l'employeur avait tardé à engager les poursuites après la connaissance effective des faits qui était intervenue dès la saisine de la juridiction prud'homale.

C'est également l'avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi de l'employeur. La Haute juridiction relève, en effet, que "l'employeur avait eu connaissance de l'existence éventuelle de faits de harcèlement moral et sexuel reprochés au salarié dès sa convocation le 18 juin 2004 devant le bureau de conciliation et qu'il s'était borné à en dénier la réalité dans le cadre de l'instance prud'homale, en omettant d'effectuer les enquête et investigations qui lui auraient permis d'avoir, sans attendre l'issue de la procédure prud'homale l'opposant à la victime, la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l ampleur des faits reprochés à M. X et de prendre les mesures appropriées", ce qui caractérisait "l'abstention fautive de l'employeur" et "le caractère tardif de l'engagement de la procédure de licenciement".

Une solution qui profite au harceleur. A première vue, la solution pourrait surprendre, voire choquer, car au final c'est bien le salarié harceleur qui obtient gain de cause et des dommages et intérêts pour licenciement injustifié, alors qu'il a été reconnu coupable de harcèlement moral et sexuel par les juges du fond.

La surprise est double car l'employeur avait prudemment attendu que l'audience prud'homale suive son cours avant, une fois la culpabilité de ce salarié retenue, d'engager rapidement l'action en licenciement pour faute grave. A l'heure où nombreux sont ceux qui regrettent avec quelle précipitation un certain procureur a traité un certain ancien directeur général d'une instance internationale, pareille prudence semble difficilement stigmatisable.

Une pression supplémentaire sur l'entreprise au bénéfice des victimes. Ce n'est pourtant ni du point de vue du salarié harceleur, ni du point de vue de l'employeur que se sont placés les juges, mais très certainement du point de vue de la victime. Dans cette affaire, et même si ces circonstances ne ressortent pas explicitement de la décision, on peut penser que l'employeur avait les moyens, dès l'introduction de l'instance prud'homale, de faire le nécessaire pour dénouer les fils du litige et se forger une conviction sur les agissements de ce directeur, sans qu'il soit nécessaire d'attendre l'instruction de l'affaire par la juridiction prud'homale. L'employeur aurait ainsi dû le suspendre à titre conservatoire de ses fonctions, dans l'attente du résultat définitif de l'enquête interne, et le licencier une fois les faits avérés, sans qu'il puisse lui être fait grief de ne pas avoir attendu la fin de l'instance prud'homale engagée par la victime.

En privant le licenciement de cause réelle et sérieuse en raison du caractère tardif de l'engagement de la procédure, la Cour de cassation veut ainsi faire comprendre aux entreprises qu'elles doivent agir rapidement, dans ces affaires de harcèlement, pour protéger les victimes connues et les autres salariés de l'entreprise, sauf à perdre le bénéfice de la faute grave et devoir ainsi "payer" plus cher le licenciement d'un salarié qui ne mérite pourtant guère de compassion. Le message adressé alors aux employeurs est des plus clairs : en matière de harcèlement (la remarque vaut d'ailleurs aussi en matière de discriminations), il faut agir aussi vite qu'il est raisonnablement possible de le faire pour que cesse l'atteinte.

II - La sanction disciplinaire du salarié harceleur, condition non suffisante

L'obligation de sécurité de résultat de l'employeur. L'employeur a donc tout intérêt à sanctionner le salarié harceleur, et à le faire rapidement sans attendre le résultat de l'instance prud'homale.

Mais cette initiative est, malheureusement pour l'employeur, insuffisante pour l'exonérer de sa responsabilité fondée sur l'existence d'une obligation de sécurité de résultat, car il s'agit d'une responsabilité de plein droit engagée par la seule preuve du harcèlement, et sans qu'il soit nécessaire de caractériser une faute personnelle.

C'est ce que confirme un autre arrêt, rendu le 29 juin 2011 (n° 09-69.444) : "l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, manque à cette obligation lorsqu'un salarié est victime, sur son lieu de travail, de violences physiques ou morales exercées par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements".

L'affaire. Dans cette entreprise, des désaccords aboutissant à une agression physique d'une salariée s'étaient produits entre celle-ci et un autre médecin du service dès 1999. En 2004, cette même salariée avait été privée brutalement, par note de service, d'une partie de ses fonctions de responsabilité et, consécutivement et sans qu'elle en soit prévenue, de l'accès à son bureau dont les codes d'accès avaient été modifiés et qui avait été vidés de ses affaires personnelles, entreposées en son absence au secrétariat dans des cartons. Les conditions de travail de la plaignante s'étaient dès lors considérablement dégradées, celle-ci ne disposant plus que d'un bureau commun partagé avec d'autres praticiens, non sécurisé, où son ordinateur n'avait pas été réinstallé tandis que son travail lui-même était déconsidéré et qu'elle subissait diverses tracasseries de l'employeur, le tout aboutissant à un syndrome dépressif lié, selon le médecin du travail, à ces agissements.

Les juges du fond avaient également relevé, dans cette affaire, que de son côté l'employeur ne justifiait d'aucune diligence pour mettre fin à cette situation conflictuelle et ne démontrait pas que les faits matériellement établis par la salariée auraient été justifiés par des éléments objectifs ou auraient procédé de causes étrangères à tout harcèlement.

Une confirmation des indices établissant l'existence d'un harcèlement. On reconnaît ici les traits caractéristiques du harcèlement : violences physiques (5), entrave à l'exercice des fonctions (6), déclassement professionnel (7), dévalorisation publique (8), tracasseries administratives (9), etc..

Même si l'arrêt relève formellement que l'employeur répond de ces faits même s'il a pris les mesures utiles pour y mettre un terme, lorsqu'il en a connaissance, le comportement adopté par celui-ci dans ces affaires entre toujours en ligne de compte, même indirectement, ne serait-ce que parce qu'il n'a pas pu ou su empêcher que des situations personnelles ne se dégradent jusqu'au harcèlement. Il faut, en effet, rappeler que le harcèlement, sauf l'hypothèse particulière du harcèlement discriminatoire, suppose la répétition d'actes hostiles et tangibles à l'égard d'un salarié en particulier. Même si l'employeur ne peut pas avoir l'oeil à tout, le management de l'entreprise doit être tout entier tourné vers la détection très en amont de tout signe de tension dans les équipes, ce qui passe par la formation des managers, mais aussi par la surveillance et l'encadrement de ces derniers lorsque ce sont leurs comportements qui sont en cause, comme c'est malheureusement parfois le cas. Dans ces hypothèses, la circonstance que des faits aient pu se dérouler pendant des années, comme c'était le cas dans cette affaire, démontre la faillite du management et révèle clairement une faute de l'employeur (10). Certes, la victime n'a pas à l'établir, puisqu'elle bénéficie d'une obligation de sécurité de résultat dont le propre est de la dispenser de rapporter la preuve d'une faute, mais elle existe bien souvent et pourra d'ailleurs être prise en compte notamment lorsqu'il s'agira d'établir la faute inexcusable pour accorder au salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle liée au harcèlement (notamment une dépression).


(1) Cass. soc., 21 juin 2006, n° 05-43.914, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A9600DPA) et voir nos obs., L'employeur responsable du harcèlement moral dans l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 223 du 13 juillet 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N0835ALI) ; Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-44.019, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6087ERU) et Cass. soc., 3 février 2010, n° 08-40.144, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6060ERU) et voir les obs. de S. Tournaux, Prise d'acte, obligation de sécurité et charge de la preuve, Lexbase Hebdo n° 425 du 27 janvier 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N1679BRM). Par la suite : Cass. soc., 21 février 2007, n° 05-41.741, F-D (N° Lexbase : A2962DUA).
(2) Cass. soc., 1er mars 2011, n° 09-69.616, F-P+B (N° Lexbase : A1528HCL) et voir nos obs., Le harcèlement managérial de nouveau sanctionné, Lexbase Hebdo n° 434 du 31 mars 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7668BRG).
(3) Cass. soc., 7 juin 2011, n° 09-43.113, F-D (N° Lexbase : A4957HTR).
(4) Notamment une ancienneté irréprochable du salarié, pourtant généralement admise pour atténuer la gravité de certains comportements certes graves, mais inhabituels chez certains salariés jusque là exemplaires, dernièrement : Cass. soc., 4 mai 2011, n° 09-71.566, F-D (N° Lexbase : A2599HQC). Ou encore la relativisation de la gravité du comportement compte tenu de la faible valeur des intérêts en cause ; Cass. soc., 21 juin 2011, n° 10-10.833, F-D (N° Lexbase : A5217HUR), vol de six ou sept pièces de deux euros ainsi que le défaut d'enregistrement, sur une seule journée, de quelques achats d'une valeur indéterminée, s'agissant d'une salariée ayant neuf années d'ancienneté.
(5) Cass. soc., 6 avril 2011, n° 09-71.170, F-D (N° Lexbase : A3566HNE).
(6) Cass. soc., 30 mars 2011, n° 09-41.583, FS-P+B (N° Lexbase : A3892HM4).
(7) Cass. soc., 29 juin 2011, deux arrêts, n° 09-69.444, FS-P+B (N° Lexbase : A6494HU3) et n° 09-70.902, FS-P+B (N° Lexbase : A6495HU4), Bull. civ. V, n° 267, voir nos obs., Harcèlement moral : la Cour de cassation livre une première définition, Lexbase Hebdo n° 141 du 4 novembre 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N3379ABR).
(8) Cass. soc., 8 juillet 2009, n° 08-41.638, F-D (N° Lexbase : A7535EIW), Cass. soc., 18 janvier 2011, n° 09-42.481, F-D (N° Lexbase : A2801GQS).
(9) Cass. soc., 25 janvier 2011, n° 09-42.097, FS-D (N° Lexbase : A8495GQP).
(10) Ainsi, Cass. soc., 17 février 2010, n° 08-44.298, F-D (N° Lexbase : A0444ESA) : "l'employeur, pourtant alerté par plusieurs courriers de celle-ci, n'avait pris aucune mesure pour résoudre les difficultés qu'elle avait exposées".

Décision

1  Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-69.444, FS-P+B (N° Lexbase : A6494HU3)

Rejet (CA Douai, ch. soc., 30 juin 2009)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1152-2 (N° Lexbase : L0726H9R) et L. 1152-3 (N° Lexbase : L0728H9T)

Mots clef : harcèlement, obligation de sécurité de résultat, nullité.

Liens Base :

2 - Cass. soc., 29 juin 2011, n° 09-70.902, FS-P+B (N° Lexbase : A6495HU4)

Rejet (CA Aix-en-Provence, 9ème ch., 10 septembre 2009)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1152-5 (N° Lexbase : L0732H9Y), L. 1153-6 (N° Lexbase : L0745H9H) et L. 1332-4 (N° Lexbase : L1867H9Z)

Mots clef : harcèlement, faute grave, prescription.

Liens Base :

newsid:426971

Pénal

[Jurisprudence] Entre limitation et extension du domaine de la justification fondée sur l'exercice des droits de la défense, la Cour de cassation cherche l'équilibre

Réf. : Cass. crim., 16 juin 2011, n° 10-85.079, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6188HTD)

Lecture: 12 min

N6979BSB

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4747927-edition-n-448-du-14072011#article-426979
Copier

par Romain Ollard, Maître de conférences à l'Université Montesquieu Bordeaux-IV

Le 17 Juillet 2011

Alors que, classiquement, elle jugeait que la circonstance que le vol ait été commis afin d'assurer sa défense dans un procès ne constitue qu'un mobile impuissant à détruire la faute pénale intentionnelle de l'agent (1), la Cour de cassation a, depuis quelques années, reviré sa jurisprudence en déplaçant le centre de gravité du débat, de la constitution de l'infraction vers celui de l'imputation de l'infraction. Par un important arrêt de 2004, la Haute juridiction a, en effet, créé un fait justificatif fondé sur l'exercice des droits de la défense en décidant que le vol est justifié lorsque les "documents appréhendés [par un salarié] sans autorisation de son employeur sont strictement nécessaires à l'exercice des droits de sa défense dans le litige l'opposant à ce dernier" (2) : quoique juridiquement constituée en tous ses éléments constitutifs, matériel comme moral, l'infraction est justifiée par l'exercice des droits de la défense. On sait encore que, par un arrêt du 9 juin 2009, la Cour de cassation s'est attachée, pour des raisons restées obscures, à limiter le domaine de cette justification au seul cas dans lequel la preuve obtenue frauduleusement est destinée à "assurer sa défense dans un litige prud'homal" (3). Si l'arrêt rendu le 16 juin 2011 ne revient pas sur cette dernière solution, il n'en est pas moins digne d'intérêt en ce que la Chambre criminelle admet, non seulement d'étendre le domaine de la justification à l'infraction d'abus de confiance, mais vient encore préciser certaines des conditions relatives à ce fait justificatif (4). En l'espèce, un salarié, avisé du projet de son employeur de rompre son contrat de travail, avait transféré sur sa messagerie personnelle des documents appartenant à son employeur afin de pouvoir démontrer, le moment venu, que la cause réelle de la rupture de son contrat de travail était la détérioration des résultats de l'entreprise dans laquelle il n'avait aucune part de responsabilité. Poursuivi des chefs de vol et d'abus de confiance pour avoir frauduleusement appréhendé des documents de l'entreprise, il bénéficia d'un non lieu du juge d'instruction, confirmé par la Chambre de l'instruction, au motif que le transfert de données sur son ordinateur personnel avait été réalisé dans le seul but de préparer sa défense dans le cadre d'une instance prud'homale.

Le pourvoi formé par l'employeur est rejeté par la Chambre criminelle de la Cour de cassation au motif que la salarié, avisé du projet de son employeur de rompre son contrat de travail, a appréhendé des documents "dont la production était strictement nécessaire à l'exercice de sa défense dans la procédure prud'homale qu'il a engagée peu après". Une telle solution apporte d'importantes précisions non seulement en ce qui concerne le domaine de la justification fondée sur l'exercice des de la défense (I), puisqu'elle étend le fait justificatif au délit d'abus de confiance, mais encore en ce qui concerne les conditions de cette justification (II), puisqu'un litige simplement futur, non encore engagé au moment de l'appropriation frauduleuse, permet d'invoquer utilement le fait justificatif.

I. Le domaine de la justification fondée sur l'exercice des droits de la défense

Si cet arrêt laisse intacte la limitation, précédemment opérée, du domaine de la justification aux seuls litiges prud'homaux (A), il étend, en revanche, ce domaine quant aux infractions susceptibles d'être justifiées (B).

A. Le domaine de la justification quant aux litiges

Par un arrêt du 9 juin 2009, la Cour de cassation s'est attachée à limiter le domaine de la justification fondée sur l'exercice des droits de la défense au seul cas dans lequel la production d'une preuve obtenue frauduleusement a pour but "d'assurer sa défense dans un litige prud'homal" (5). Or, en admettant, en l'espèce, l'application du fait justificatif dès lors que l'appropriation frauduleuse des documents avait pour seule finalité de se défendre "dans la procédure prud'homale" engagée peu après, l'arrêt ici commenté paraît implicitement avaliser une telle limitation du domaine de la justification. Pourtant, les motifs de l'abandon d'une telle solution seraient nombreux tant sa justification paraît introuvable.

En opposant les litiges prud'homaux et répressifs, pour décider de ne justifier que les premiers, l'arrêt du 9 juin 2009 semble a priori fonder sa solution sur l'importance particulière du premier type de procès par rapport au second. Mais, si les enjeux sont sans doute décisifs dans un litige prud'homal dès lors que l'emploi du salarié peut être menacé, ils le sont tout autant, sinon davantage, dans un procès pénal où ce sont les libertés individuelles de la personne poursuivie qui sont en cause. Cette différence de traitement fondée sur la nature des litiges apparaîtrait dès lors peu justifiable au regard du principe de proportionnalité inhérent à tout fait justificatif. Le phénomène de la justification pénale suppose, en effet, toujours que soit résolu un conflit entre un intérêt sauvegardé -en l'occurrence les droits de la défense du salarié- et un intérêt sacrifié -ici, le droit de propriété de l'employeur-. Le principe de proportionnalité implique ainsi que le remède soit proportionné au danger, bref que le remède ne soit pas pire que le mal. Or, l'on perçoit mal en quoi l'atteinte à la propriété causée par un vol ou un abus de confiance serait plus proportionnée lorsqu'il s'agit de se ménager une preuve dans un procès prud'homal que dans un autre type de procès, pénal notamment.

Difficilement justifiable au regard de la condition de proportionnalité, la limitation du domaine de la justification pourrait, en revanche, s'expliquer par la condition de nécessité posée par la jurisprudence. Dès lors que les juges exigent que l'infraction soit "strictement nécessaire" à l'exercice des droits de la défense, la commission de l'infraction doit être l'unique moyen de se ménager une preuve pertinente pour se défendre. Or, dans la mesure où la preuve est libre en droit pénal et où cette matière recèle un large panel de moyens quant à la collecte des preuves -perquisitions, des saisies, etc.-, la personne poursuivie ne serait jamais dans l'absolue nécessité de commettre une infraction pénale pour prouver son innocence. Ce serait ainsi, en définitive, la condition de nécessité du fait justificatif et, plus encore, la spécificité de la matière pénale quant à la collecte des preuves qui justifieraient la limitation du domaine de la justification.

Une telle explication serait cependant largement théorique. D'une part, sans entrer dans le détail de la procédure pénale, les moyens de collecte des preuves dépendent de la nature de l'enquête diligentée et de l'existence ou non d'une instruction, de sorte que ces moyens sont très variables d'une affaire pénale à l'autre. D'autre part, il serait sans doute excessif d'opposer radicalement la matière pénale aux autres disciplines quant aux moyens de preuve. Ainsi, la procédure civile met-elle toujours à la disposition d'une partie des moyens légaux d'obtenir des documents nécessaires à sa défense, qu'il s'agisse par exemple de la production forcée en justice de pièces ou de mesures d'instruction in futurum (6). En outre, cette explication fondée sur la seule différence entre procès prud'homaux et répressifs quant à la collecte des preuves paraît infirmée par la généralité du motif énoncé par la Cour de cassation en 2009 : en décidant de ne justifier le vol que s'il a pour finalité "d'assurer sa défense dans un litige prud'homal", ce sont tous les litiges autres que prud'homaux qui semblent exclus du domaine de la justification, qu'il s'agisse de procès pénaux, civils ou commerciaux. Or, si les litiges civils et commerciaux devaient effectivement subir eux aussi une telle exclusion, cette limitation ne reposerait plus sur aucune justification théorique solide dans la mesure où, si le droit pénal dispose effectivement de moyens de preuve puissants, tel n'est pas le cas du droit civil ou commercial.

Bien plus, une telle opposition des procès prud'homaux et répressifs pourrait en outre apparaître contestable en se plaçant à un autre point de vue, celui de l'égalité des armes (7). Alors que cette égalité est parfaite en procédure civile au sens large du terme, ce qui inclut les litiges prud'homaux, dans la mesure où chacune des parties au procès dispose de prérogatives strictement identiques, notamment dans la collecte des preuves, une dissymétrie apparaît en matière pénale. En cette matière, en effet, le ministère public dispose d'un certain nombre de prérogatives ou privilèges dont la personne poursuivie n'est pas pourvue (8). Aussi, la nécessité pour la personne poursuivie de se défendre en ayant recours à la commission d'une infraction pénale pourrait paraître plus impérieuse en droit pénal qu'ailleurs afin de restaurer, en fait, l'égalité des armes qui n'existe pas en droit. En définitive, dans la perspective de l'égalité des armes, si la jurisprudence devait limiter le domaine de la justification, ce devrait être pour cantonner le champ d'application du fait justificatif aux seuls procès répressifs.

On le voit, cette limitation du domaine de la justification quant aux litiges pose en réalité davantage de questions qu'elle n'en résout. Aussi peut-on regretter que la Cour de cassation n'ait pas saisi l'occasion qui lui était ici offerte, sinon pour modifier sa solution, du moins pour expliquer les motifs d'une telle limitation. En revanche, la Haute juridiction s'est attachée à étendre le domaine du fait justificatif fondé sur l'exercice des droits de la défense, en ce qui concerne les infractions susceptibles d'être justifiées.

B. Le domaine de la justification quant aux infractions

En admettant la justification en l'espèce, alors que le prévenu était poursuivi du double chef de vol et d'abus de confiance, la Cour de cassation admet pour la première fois d'étendre le domaine du fait justificatif au délit d'abus de confiance.

Sans doute la jurisprudence avait-elle déjà pu admettre cette justification pour des infractions autres que le vol, notamment s'agissant de la dénonciation calomnieuse ou, plus souvent, de la violation de secret professionnel (9). Pour autant, il est certain que la justification tirée de l'exercice des droits de la défense ne saurait apparaître comme un fait justificatif général, valant pour l'ensemble des infractions pénales. Ainsi est-il, par exemple, évident qu'un meurtre ne saurait être justifié par la nécessité de se procurer une preuve dans un procès, quelle qu'en soit la nature. En réalité, cette limitation du domaine du fait justificatif découle directement du principe de proportionnalité, selon lequel le remède -l'intérêt sacrifié par la commission de l'infraction- doit toujours être proportionné au danger -l'intérêt sauvegardé-. Aussi, pour déterminer si la justification doit être admise, le juge pénal doit se livrer à un contrôle de proportionnalité entre deux intérêts en conflit.

Deux méthodes complémentaires peuvent être suivies (10). Selon une première, le juge doit se livrer à une pesée abstraite des droits en conflit, au regard de leur valeur juridique abstraite. Cette première analyse révèle cependant vite ses limites. D'une part, elle ne prend pas en considération les données concrètes de l'espèce, qui sont souvent déterminantes dans l'appréciation de la proportionnalité. D'autre part, cette méthode est stérile lorsque les deux droits en conflit sont d'égale valeur juridique, par exemple lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, de deux droits fondamentaux. Le juge doit dès lors basculer, à titre complémentaire, vers la seconde méthode consistant en un contrôle concret des intérêts en conflit. Or, si cette appréciation concrète relève de l'appréciation souveraine des juges du fond, il semble que l'admission de la justification trouve nécessairement ses limites dans l'intégrité corporelle des individus, l'exercice des droits de la défense ne pouvant en aucun cas justifier une atteinte à l'intégrité physique des individus. En revanche, l'ensemble des infractions contre les biens, dont le vol et l'abus de confiance, et même plus largement des infractions d'affaire semblent pouvoir entrer dans le champ d'application de ce fait justificatif. La justification par l'exercice des droits de la défense apparaît ainsi comme un fait justificatif spécial, dont l'application doit être limitée à certaines infractions déterminées, en fonction non seulement de la nature des intérêts en conflit mais encore des faits concrets de l'espèce.

Mais c'est surtout quant aux conditions de cette justification que l'arrêt commenté apporte d'importantes précisions.

II. Les conditions de la justification fondée sur l'exercice des droits de la défense

En précisant certaines des conditions nécessaires à l'application du fait justificatif par l'exercice des droits de la défense (A), cet arrêt pourrait éclairer la nature juridique de cette justification (B).

A. La précision des conditions de la justification

En premier lieu, l'arrêt ici commenté exige, comme ses devanciers, que la commission de l'infraction par le prévenu ait été "strictement nécessaire à l'exercice de sa défense". Rien de nouveau donc de ce premier point de vue. On notera simplement à cet égard que la Cour de cassation subordonne la justification à la condition que l'infraction soit "strictement" nécessaire à la défense, de sorte que, pour prétendre invoquer utilement la justification, l'infraction doit être l'unique moyen de se ménager une preuve pertinente pour se défendre. Autrement dit, le salarié ne doit pas disposer de moyens légaux d'obtenir la preuve escomptée, cette question relevant de l'appréciation souveraine des juges du fond (11). Cette exigence d'une stricte nécessité est le fruit d'une évolution puisque la Chambre sociale de la Cour de cassation, précurseur en la matière, n'exigeait à l'origine qu'une nécessité simple, pour finalement venir, postérieurement au revirement de 2004, aligner sa motivation sur celle de la Chambre criminelle en précisant elle aussi que le vol doit être "strictement" nécessaire à la défense pour que le mode de preuve, obtenu de façon illicite, soit jugé recevable (12).

En second lieu -et c'est là le principal apport de la solution-, la Cour de cassation admet qu'un simple litige futur, non encore engagé au moment de l'appréhension frauduleuse, puisse permettre d'invoquer la justification fondée sur les droits de la défense. En effet, l'arrêt de la Chambre de l'instruction était frappé d'un pourvoi qui faisait valoir, notamment, qu'une telle justification suppose un litige ouvert au moment de l'appropriation frauduleuse, de sorte que, à défaut de procédure de licenciement engagée contre le salarié, celui-ci ne saurait utilement invoquer le fait justificatif. Or, la Chambre criminelle balaye le pourvoi d'un revers de main au motif que le salarié avait appréhendé des documents nécessaires à sa défense dans la procédure prud'homale "qu'il a engagée peu après". En conséquence, l'existence d'un litige en cours n'est pas une condition nécessaire à l'admission de la justification pénale, un litige simplement futur suffisant à une telle admission.

Si elle admet ainsi d'étendre le domaine de la justification, la Cour de cassation pose toutefois une limite à cette extension en subordonnant son application à l'existence d'une "procédure engagée peu après". Ce faisant, la Haute juridiction semble poser l'exigence d'une proximité temporelle entre le moment de l'obtention frauduleuse de la preuve et l'ouverture d'un procès. Une telle limite pourrait cependant paraître bien restrictive car la Cour semble ainsi poser l'exigence d'un litige effectif, quoi que postérieur à l'appréhension frauduleuse des documents. Or, n'est-il pas tout aussi légitime de commettre une infraction pénale pour se procurer une preuve lorsqu'un procès est fortement probable, quand bien même ne se concrétiserait-il pas par la suite ? Un litige suffisamment probable devrait ainsi suffire à l'admission de la justification pénale, le critère de la proximité causale pouvant ainsi suppléer celui de la proximité temporelle.

Quoiqu'il en soit, outre leur intérêt pratique évident, la précision de ces conditions pourrait venir éclairer, au plan théorique, la nature juridique de la justification fondée sur l'exercice des droits de la défense.

B. La nature juridique de la justification

En faisant référence à l'exigence d'une stricte nécessité, la Cour de cassation semble a priori décider que cette justification n'est qu'une application particulière du fait justificatif légal de l'état de nécessité, défini à l'article 122-7 du Code pénal (N° Lexbase : L2248AM9), le risque de perdre le procès constituant le "danger actuel ou imminent qui menace" la personne ou ses biens. Cette analyse pourrait en outre être renforcée par le présent arrêt puisque la Cour de cassation exige que la procédure prud'homale ait été "engagée peu après" l'appropriation frauduleuse, ce qui revient à poser, on l'a dit, l'exigence d'une proximité temporelle entre la commission de l'infraction et l'instance judiciaire. On retrouverait donc ici l'exigence d'un péril "actuel" -instance en cours- ou au moins "imminent" -litige futur-, comme pour l'état de nécessité. Une telle analyse pourrait toutefois ne pas convaincre. D'une part, la Cour de cassation n'a jamais pris le soin de viser l'article 122-7 du Code pénal dans ses décisions, de sorte que cette première interprétation resterait sujette à caution. D'autre part et surtout, le risque judiciaire ne semble pouvoir être analysé comme un "danger" véritable au sens de l'article 122-7 du Code pénal (13), d'autant que ce risque de succomber à l'instance judiciaire n'apparaît pas intrinsèquement injuste, ainsi que l'exige la théorie générale de la justification pénale.

Insusceptible d'apparaître comme une application particulière de l'état de nécessité, faut-il voir, dès lors, dans la justification par l'exercice des droits de la défense un fait justificatif autonome, ayant une existence indépendante des faits justificatifs légaux (14) ? La position n'est pas insoutenable dès lors que, historiquement, il existe des précédents de création purement prétorienne de faits justificatifs, tel que l'état de nécessité. Mais, si de telles créations peuvent se prévaloir de l'admission de l'analogie in favorem (15), ces pratiques n'en demeurent pas moins sujettes à caution au regard du principe de la légalité criminelle : de la même manière qu'en droit pénal tout pouvoir incriminateur doit être retiré au juge, on doit pareillement lui refuser le pouvoir de créer de sa propre autorité un fait justificatif nouveau, ces pouvoirs relevant de la seule compétence du législateur (16).

Aussi, afin de ménager le principe de la légalité criminelle, une autre interprétation pourrait prévaloir, en considérant que cette justification par l'exercice des droits de la défense trouve sa source dans le fait justificatif de l'autorisation de la loi (17). Dès lors, en effet, que les droits de la défense sont reconnus et garantis par l'ensemble de notre système juridique, spécialement par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L7558AIR), l'autorisation de la loi pourrait parfaitement fonder la justification nouvelle (18). L'arrêt précité du 9 juin 2009 pourrait d'ailleurs venir accréditer cette thèse dès lors que la solution est précisément rendue au visa de l'article 6 de la Convention. La justification s'appuyant, ainsi, sur un fait justificatif existant, légalement reconnu, elle serait respectueuse de la légalité criminelle.


(1) Cass. crim., 8 décembre 1998, n° 97-83.318 (N° Lexbase : A5385AWD), Bull. crim., n° 336 ; DP, 1999, comm. 67, obs. M. Véron ; RSC, 1999, p. 822, obs. R. Ottenhof ; Cass. crim., 16 mars 1999, n° 97-85.054 (N° Lexbase : A5387AWG), JCP éd. G, 1999, II, 10166 (2ème espèce), note S. Bouretz ; Cass. crim. 27 mai 1999, n° 98-82.459 (N° Lexbase : A1586C4I), Gaz. Pal., 1999, 2, Chron. crim. 122.
(2) Cass. crim., 11 mai 2004, 2 arrêts, n° 03-80.254, FS-P+F+I (N° Lexbase : A5245DCA) et n° 03-85.521, FS-P+F+I (N° Lexbase : A5252DCI), Bull. crim., n° 113 et n° 117 ; D., 2004, J. 2327, note H. K. Gaba ; RSC, 2004, p. 866, obs. Vermelle ; RPDP, décembre 2004, p. 875, note J.-C. Saint-Pau.
(3) Cass. crim. 9 juin 2009, n° 08-86.843, F-P+F (N° Lexbase : A5987EIL), DP, 2010, Etudes 6, obs. Sordino ; et nos obs., Limitation du domaine de la justification par l'exercice des droits de la défense : un salarié ne peut jamais voler des documents de l'employeur sauf pour se défendre dans un litige... prud'homal, Lexbase Hebdo n° 363 du 17 septembre 2009 - édition privée (N° Lexbase : N9172BLB). Adde, R. Ollard, F. Rousseau, Droit pénal spécial, Bréal, 1ère éd., à paraître, septembre 2011, n° 532 et s..
(4) Sur cet arrêt, lire également Lise Casaux-Labrunée, La légitimation du vol par le salarié de documents de l'entreprise en vue d'un procès prud'homal, Lexbase Hebdo n° 448 du 14 juillet 2011 - édition sociale (N° Lexbase : N7001BS4)
(5) Cass. crim., 9 juin 2009, préc..
(6) C. pr. civ., art. 138 (N° Lexbase : L1484H4Q), art. 142 (N° Lexbase : L1493H43) et art. 145 (N° Lexbase : L1497H49).
(7) V. Y. Capdepon, Essai d'une théorie générale des droits de la défense, Thèse Bordeaux-IV, 2011, spéc. n° 809.
(8) Que l'on songe, par exemple, aux possibilités de demandes d'actes à la clôture de l'instruction ou à la possibilité de faire appel des ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel (C. pr. pén., art. 175 et s. N° Lexbase : L2312IED).
(9) Cass. crim., 20 décembre 1967, n° 66-92.779, publié (N° Lexbase : A3370CIN), D., 1969, J. 309, note E. Lepointe ; Cass. crim., 29 mai 1989, n° 87-82.073, publié (N° Lexbase : A4556CKX), Bull. crim., n° 218 ; Cass. crim., 16 mai 2000, n° 99-85.304, publié (N° Lexbase : A7207CHE), Bull. crim., n° 192 ; Cass. crim., 11 juin 2002, n° 01-85.237, F-P+F+I (N° Lexbase : A8855AYM), JCP éd. G, 2003, II, 10061, note E. Dreyer ; Cass. crim., 11 février 2003, n° 01-86.696, F-P+F+I (N° Lexbase : A1988A7R), D., 2004, Somm. 317.
(10) En ce sens, J.-Ch. Saint-Pau, RPDP, décembre 2004, p. 875.
(11) Cass. crim., 4 janvier 2005, n° 04-82.337 (N° Lexbase : A9868HUZ), Bull. crim., n° 5 ; Cass. crim., 15 février 2005, n° 04-81.923 (N° Lexbase : A9867HUY), DP, 2005, comm. 72, obs. M. Véron.
(12) Cass. soc., 30 juin 2004 n° 02-41.720, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8130DC4) ; Ch. Radé, Preuve et droits de la défense : l'union sacrée, Lexbase Hebdo n° 128 du 8 juillet 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N2249ABW), D., 2004, Somm. 2759, obs. G. Roujou de Boubée.
(13) En ce sens, J.-C. Saint-Pau, RPDP, décembre 2004, p. 875, spéc. p. 876 ; A. Vitu, Droit pénal spécial, Tome 3, Cujas, 1982, n° 2012.
(14) En ce sens, B. de Lamy, D., 2004, Somm. 317, obs. sous Cass. crim., 11 juin 2002, préc., et Cass. crim., 11 février 2003, préc..
(15) R. Merle, A. Vitu, Traité de droit criminel, tome 1, Droit pénal général, Cujas, 7ème éd., 1997, n° 173.
(16) Sur l'ensemble de la question, v. Ph. Conte, P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, Armand Colin, 7ème éd., 2007, n° 241 et s. ; R. Merle, A. Vitu, op. cit., n° 432.
(17) C. pén., art. 122-4 (N° Lexbase : L7158ALP).
(18) Comp. J.-C. Saint-Pau, op. cit., p. 876.

newsid:426979

Procédures fiscales

[Chronique] Chronique de procédures fiscales - Juillet 2011

Lecture: 11 min

N6966BSS

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/4747927-edition-n-448-du-14072011#article-426966
Copier

par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne - Aix-Marseille III

Le 17 Juillet 2011

Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de retrouver la chronique d'actualités en procédures fiscales réalisée par Thierry Lambert, Professeur à l'Université Paul Cézanne - Aix-Marseille III. Dans le cadre de cette chronique, notre auteur reviendra sur trois décisions rendues par le Conseil d'Etat : tout d'abord, une décision concernant l'appréhension du délai d'appel dans le cas où le contribuable condamné par un tribunal administratif est incarcéré sera examinée. La Haute assemblée a décidé que, dans ce cas spécifique, le juge d'appel devait prendre en compte cette circonstance et vérifier que le détenu avait bien reçu la notification de jugement, dont l'avis de réception a été signé par un tiers, le vaguemestre de la prison (CE 8° et 3° s-s-r., 8 juin 2011, n° 330051, mentionné aux tables du recueil Lebon). Ensuite, une décision relative à l'envoi, par le vérificateur, d'une mise en demeure de compléter sa réponse au contribuable qui a partiellement répondu dans le délai, celui-ci n'étant pas échu, fera l'objet du présent commentaire. Cet envoi, prématuré, frappe la procédure d'irrégularité (CE 8° et 3° s-s-r., 8 juin 2011, n° 310524, mentionné aux tables du recueil Lebon). Enfin, sera analysé le sort de la demande de communication de documents attachée à deux notifications lorsqu'elles sont suivies par une troisième, se substituant à elles. Le contribuable doit réitérer sa demande, en prenant garde de la relier à la dernière notification (CE 8° et 3° s-s-r., 8 juin 2011, n° 311580, mentionné aux tables du recueil Lebon).
  • En cas d'incarcération du contribuable, condamné devant le tribunal administratif, il revient au juge d'appel de veiller à ce qu'il ait bien reçu la notification du jugement avant de prononcer la tardiveté de l'appel formé par lui (CE 8° et 3° s-s-r., 8 juin 2011, n° 330051, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4741HTR)

L'article 9 du décret du 28 novembre 1983 (décret n° 83-1025, concernant les relations entre l'administration et les usagers N° Lexbase : L0278A3P), fixe un principe général selon lequel "les délais de recours ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision". L'appel est ouvert contre les jugements rendus en premier ressort (CJA, art. R. 321-1 N° Lexbase : L2976ALS). Conformément aux règles applicables au contentieux administratif général, les contribuables doivent recourir au ministère d'avocat pour former un recours en appel, quand bien même le contribuable est lui-même avocat (CE 10° et 9° s-s-r., 22 mai 2009, n° 301186, publié au recueil Lebon, N° Lexbase : A1803EHA ; Droit fiscal, 2009, 7, comm. 465).

L'article R. 200-18 du LPF (N° Lexbase : L4995AEQ) ouvre un délai de recours devant les cours administratives d'appel, de quatre mois pour l'administration et de deux mois au contribuable. Cette inégalité de fait ne trouve, pour le moment, aucun écho dans la jurisprudence, le Conseil d'Etat considérant que le délai pour déposer une requête devant la cour administrative d'appel n'est pas contraire au principe d'égalité (CE 8° et 3° s-s-r., 23 décembre 2010, n° 306228, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A6968GNE). Ces dispositions ne peuvent trouver à s'appliquer qu'aux litiges qui relèvent de la compétence de la juridiction administrative (CAA Nantes, 1ère ch., 27 mars 2002, n° 98NT01872, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4291AZX).

Le délai de deux mois court à compter de la date à laquelle une partie a reçu une notification de la décision, sans que puisse y faire obstacle la circonstance que l'autre partie aurait reçu notification de la même décision, mais à une date différente (CE 8° et 3° s-s-r., 26 novembre 2007, n° 288085, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A9635DZU ; RJF, 2008, 2, comm. 210).

La notification du jugement pose parfois quelques difficultés matérielles. Les jugements du tribunal administratif sont notifiés à toutes les parties en cause à leur domicile réel. A cet égard, le domicile mentionné dans la requête introductive d'instance doit être regardé comme le domicile réel. L'article R. 811-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3279ALZ) renvoie à l'article R. 751-3 (N° Lexbase : L3217ALQ), selon lequel, sauf disposition contraire, les décisions sont notifiées le même jour à toutes les parties en cause, mais il prévoit que le délai d'appel court contre toute partie à compter du jour où la notification est faite à cette partie.

Il a été jugé que, lorsqu'un jugement est notifié par lettre recommandée et que celle-ci n'a pu être remise à son destinataire, le délai d'appel ne commence à courir qu'à la date du retrait du pli, et non à la date de présentation (CE 9° s-s., 26 mars 2007, n° 286566, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8134DUS ; Procédures, 2007, 6, comm. 155, note Pierre). Est irrecevable la requête d'appel formée hors des délais légaux par un contribuable dont le changement de domicile à l'étranger avait été notifié à l'administration, mais pas au greffe du tribunal (CE 9° s-s., 21 novembre 2008, n° 308448, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A3175EB9 ; RJF, 2009, 4, comm. 387). De la même manière, la notification du jugement retournée au tribunal avec la mention "n'habite plus à l'adresse indiquée" est régulière, et fait courir le délai d'appel, dès lors que l'intéressé n'avait pas suffisamment informé le greffe de son changement de domicile (CE 3° et 8° s-s-r., 16 février 2004, n° 244720, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3400DBK ; RJF, 2004, 5, comm. 523). En effet, le greffe doit notifier le jugement à la dernière adresse indiquée par le contribuable. En cas de changement d'adresse, l'intéressé doit en donner une information suffisante au greffe.

Au cas particulier, le contribuable était incarcéré. C'est par le vaguemestre de la maison d'arrêt qu'il a reçu la notification du jugement. Le juge d'appel a constaté que l'avis de réception n'était pas signé par le requérant lui-même, ce qui n'enlève rien au fait que la notification a été régulièrement faite à l'adresse que celui-ci avait indiquée. Dans ces conditions, il appartient au requérant de démontrer que le tiers signataire n'avait pas qualité pour recevoir le pli car ce dernier n'avait, avec lui, en réalité, aucun lien personnel ou professionnel. Rien n'oblige le tiers signataire à faire diligence pour remettre le pli.

La cour administrative d'appel n'a pas suivi le requérant au motif que ce dernier ne démontrait pas que les services pénitentiaires n'auraient pas fait diligence pour remettre ce pli rapidement (CAA Lyon, 2ème ch., 10 juillet 2008, n° 05LY00621, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A4312EAX).

Pour le Conseil d'Etat, il appartenait au juge du fond, compte tenu de la situation particulière de l'intéressé, d'établir, au vu des échanges entre les parties et des éventuelles mesures d'instruction qu'elle pouvait ordonner, la date à laquelle le pli avait été effectivement remis au contribuable. En conséquence, l'intéressé est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de l'arrêt attaqué.

Rappelons que les délais pour interjeter appel sont d'interprétation stricte. Les contribuables doivent prendre leurs dispositions pour poster leur requête suffisamment longtemps avant l'expiration du délai d'appel, notamment en périodes de fêtes ou de vacances, pour que celle-ci soit recevable (CE 8° et 3° s-s-r., 1er mars 2000, n° 182545, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A0652AUP).

  • Est irrégulière la procédure d'imposition au cours de laquelle l'administration fait parvenir au contribuable une mise en demeure de compléter sa réponse, alors que le délai de deux mois n'a pas expiré (CE 8° et 3° s-s-r., 8 juin 2011, n° 310524, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5415HTQ)

Il est d'un usage fréquent que, dans la cadre d'un examen contradictoire de situation fiscale personnelle (ESFP), l'administration ait recours aux dispositions des articles L. 16 (N° Lexbase : L5579G4E) et L. 16 A (N° Lexbase : L8513AEZ) du LPF, pour interroger le contribuable quant à l'origine et à la nature des sommes portées sur ses instruments financiers. Faute de réponses ou de réponses jugées satisfaisantes par l'administration, le contribuable peut être taxé d'office au titre de revenus d'origine indéterminée.

L'article L. 16 du LPF ouvre le droit à l'administration de demander au contribuable des éclaircissements, mais elle peut aussi, dès lors qu'elle a réuni des éléments permettant d'établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qu'il a déclarés, lui demander des justifications.

Il est de jurisprudence constante que l'administration ne peut se fonder, pour demander des justifications au contribuable, sur la constatation de discordances entre son revenu brut déclaré et le total des crédits inscrits aux comptes bancaires, que si celles-ci sont suffisantes pour établir que l'intéressé a pu disposer de revenus plus importants que ceux qu'il a déclarés (CE 7° et 8° s-s-r., 1er juillet 1987, n° 52984, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2484APP ; Droit fiscal, 1987, comm. 2096, concl. Fouquet). Lorsque l'écart entre le revenu brut déclaré et le montant des sommes portées au crédit des comptes bancaires n'est pas suffisant, l'administration ne peut adresser une demande de justifications qu'après avoir établi une balance entre les ressources connues et les disponibilités engagées (CE 7° et 8° s-s-r., 1er juillet 1987, n° 52984, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A2484APP ; Droit fiscal, 1987, comm. 2096, concl. Fouquet). Il peut arriver que, pour démontrer l'existence d'indices sérieux de dissimulation de revenus, l'administration compare les crédits figurant sur des comptes bancaires mixtes, c'est-à-dire professionnels et personnels, et le montant brut des recettes professionnelles (CE 3° s-s., 6 avril 2011, n° 317292, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A8914HM4). De même, l'administration utilise parfois plusieurs indices, mais chacun d'entre eux doit être suffisant (CE 8° et 9° s-s-r., 19 janvier 1998, n° 168129, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A6078ASW ; RJF, 1998, 3, comm. 222).

En l'espèce, le montant des revenus d'origine indéterminée représente cinq à huit fois le revenu imposable déclaré. L'administration peut demander des justifications sur un compte bancaire d'un tiers sur lequel le contribuable dispose d'une procuration, à condition toutefois d'avoir établi que celui-ci fait usage de cette procuration dans son intérêt, non exclusif et personnel (CE 8° et 3° s-s-r., 11 décembre 2008, n° 308061, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7045EBK ; RJF, 2009, 3, comm. 192).

L'article L. 16 A du LPF fixe un délai de réponse qui ne peut être inférieur à deux mois. Quand l'administration juge la réponse non satisfaisante, elle va demander au contribuable de la compléter, dans un délai de trente jours, en précisant toutefois les compléments de réponse qu'elle souhaite. La circonstance que la proposition de rectification a été établie avant l'expiration du délai de trente jours ouvert au contribuable pour répondre à la demande de justifications qui lui a été adressée est sans influence sur la régularité de la procédure d'imposition d'office, dès lors que la notification ne lui est parvenue qu'après l'expiration du délai de trente jours (CE 7° et 8° s-s-r., 17 octobre 1990, n° 97253, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A4808AQ7 ; RJF, 1990, 12, comm. 1430, concl. Fouquet).

A noter que l'administration n'est nullement tenue de mettre le contribuable en demeure d'avoir à compléter la réponse qu'il a faite à la demande de justification, lorsqu'il s'est abstenu de répondre à cette demande dans le délai prévu.

Dans l'affaire qui nous occupe, l'administration avait adressé, le 11 juillet 1996, une demande de justifications, reçue par le contribuable le 13 du même mois, l'invitant à justifier dans le délai normal des deux mois, de la nature et du caractère non imposable des sommes inscrites sur ses comptes bancaires. Le 8 août de la même année, le contribuable a fait parvenir sa réponse, sans faire connaître son intention concernant d'éventuelles explications complémentaires à venir. Sans attendre l'expiration du délai initial de deux mois, le 29 août 1996, le vérificateur a mis le contribuable en demeure de compléter sa réponse.

Le Conseil d'Etat, contrairement à la position adoptée par la cour administrative d'appel, considère que l'administration aurait dû attendre l'expiration du délai deux mois avant d'interroger le contribuable. En effet, le contribuable pouvait fort bien, entre la date de sa réponse et l'expiration du délai des deux mois, compléter celle-ci, en apportant de nouveaux éléments. Autrement dit, est irrégulière la procédure d'imposition au cours de laquelle l'administration fait parvenir au contribuable une mise en demeure de compléter sa réponse, alors que le délai de deux mois n'a pas expiré.

  • Validité de la substitution de base légale opérée par simple mention du nouveau fondement ; l'administration n'a pas à répondre à une demande de communication de document relative à une notification suivie d'une nouvelle notification (CE 8° et 3° s-s-r., 8 juin 2011, n° 311580, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A5416HTR)

A l'issue du contrôle d'une société civile immobilière (SCI), l'administration a redressé des contribuables sur leur impôt sur le revenu. En effet, elle a remis en cause l'imputation sur le revenu global des déficits fonciers ayant pour origine des travaux entrepris dans un immeuble pour partie inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques, dans lequel cette société s'était rendue propriétaire d'un appartement.

L'administration a adressé deux propositions de rectifications, les 20 décembre 2002 et 15 avril 2003, en faisant valoir que les rehaussements étaient fondés sur des documents obtenus auprès du syndic de copropriété de l'immeuble. Le 21 juillet 2003, le contribuable a demandé à l'administration communication des éléments qu'elle avait recueillis en exerçant son droit de communication. L'administration n'a pas donné suite. L'article L. 76 B du LPF (N° Lexbase : L7606HEG) précise, d'une part, que l'administration est tenue d'informer le contribuable sur la teneur et l'origine des renseignements et documents obtenus auprès des tiers et utilisés dans le cadre d'une procédure de rectification et, d'autre part, qu'elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie de ces documents au contribuable qui en fait la demande. L'administration a l'obligation de communiquer, à la demande du contribuable, les documents fondant les redressements qu'elle a utilisés pour établir l'imposition, dans leur intégralité, et non les seuls renseignements utilisés tirés de ces documents (Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-14.806, FS-PB N° Lexbase : A0698EIP ; RJF, 2009, 10, comm. 890).

Mais, le 30 mars 2004, l'administration a reconsidéré sa position en adressant au contribuable une nouvelle proposition de rectification qui se substituait aux deux précédentes, tout en continuant à utiliser les documents obtenus auprès du syndic de l'immeuble, mais en se fondant, cette fois, sur la procédure de répression des abus de droit.

Nul ne peut contester qu'il s'agit d'une substitution de base légale opérée par un nouveau fondement. La substitution de base légale trouve sa légitimité dans un principe, affirmé depuis 1936 par la jurisprudence, selon lequel l'administration n'a pas seulement le droit d'encaisser l'impôt, elle ne peut, en outre, renoncer à le percevoir.

Le Conseil d'Etat, dans un arrêt rendu le 21 mars 1975, pose un principe clair : "une substitution de base légale ne peut être invoquée comme moyen de justifier en défense le bien fondé d'une imposition" (CE Section, 21 mars 1975, n° 87573, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A4337B87 ; RJF, 1975, 5, comm. 258). Mais rien n'interdit à l'administration d'invoquer une substitution de base légale dans différentes propositions de rectifications.

A cet égard, le Conseil d'Etat rappelle le principe selon lequel l'administration peut substituer un fondement légal à un autre à tout moment de la procédure, sans avoir à le dire expressément. La Haute assemblée retient que l'administration a valablement opéré cette substitution de base légale, d'une part, en mentionnant le nouveau fondement et, d'autre part, en justifiant son refus de déduire le montant des travaux engagés par le fait que les conditions posées pour admettre la déduction de travaux n'étaient pas remplies, dès lors que la SCI ne justifiait pas que les travaux avaient porté sur les parties de l'immeuble inscrites à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques.

L'intérêt de cette décision, outre cet aspect, tient au fait que, comme l'administration n'a donné aucune suite à la demande de communication des documents détenus par elle après les deux premières notifications, le contribuable aurait dû faire la même demande après la notification de la troisième proposition, qui se substituait entièrement aux deux premières.

La cour administrative d'appel de Paris a jugé que le contribuable, qui avait demandé la communication des renseignements obtenus auprès de tiers, sur lesquels l'administration s'était fondée pour procéder à des rehaussements au titre d'une année, est tenu de réitérer sa demande dans l'hypothèse où, après en avoir informé le contribuable, l'administration abandonne ce redressement et notifie un nouveau redressement au titre d'une autre année, en se fondant sur des motifs et des renseignements différents (CAA Paris, 7ème ch., 1er février 2008, n° 06PA01259, inédit au recueil Lebon N° Lexbase : A7284D7W ; RJF, 2008, 8-9, comm. 993).

En l'espèce, la situation est un peu différente. A suivre le Conseil d'Etat, l'administration n'a pas à répondre à une demande de communication de documents relative à une notification initiale, dès lors qu'elle est suivie d'une nouvelle notification se substituant entièrement à la première sans faire l'objet d'une nouvelle demande. Enfin, il appartient au contribuable d'établir qu'il a demandé à l'administration la communication des documents en cause avant la mise en recouvrement des impositions (CE 8° et 3° s-s-r., 1er mars 2000, n° 181665, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A9255AGU ; BDCF, 2000, 50, concl. Arrighi de Casanova).

newsid:426966

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.