La lettre juridique n°706 du 13 juillet 2017

La lettre juridique - Édition n°706

Avocats/Honoraires

[Brèves] Paiement d'un honoraire de résultat dans sa totalité en cas de dessaisissement de l'avocat avant l'obtention d'une décision irrévocable

Réf. : Cass. civ. 2, 6 juillet 2017, n° 16-15.299, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7766WL9)

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par Anne-Laure Blouet Patin

Le 13 Juillet 2017


N'est pas en soi illicite la clause d'une convention prévoyant le paiement d'un honoraire de résultat dans sa totalité en cas de dessaisissement de l'avocat avant l'obtention d'une décision irrévocable, cet honoraire pouvant faire l'objet d'une réduction s'il présente un caractère exagéré au regard du service rendu. Telle est la solution retenue par la Cour de cassation le 6 juillet 2017 (Cass. civ. 2, 6 juillet 2017, n° 16-15.299, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7766WL9).
En l'espèce, M. X a confié la défense de ses intérêts à un avocat, dans un litige prud'homal et une convention, prévoyant un honoraire de diligence et un honoraire de résultat, a été signée. Juste avant l'audience devant la cour d'appel, l'avocat a informé son client qu'il renonçait à le défendre. En cause d'appel certaines sommes ont été allouées au client et un litige est né sur le montant des honoraires. Saisi, le Bâtonnier a fixé à certaines sommes tant le reliquat des honoraires de diligence dus par M. X que les honoraires de résultat. M. X. a contesté cette décision, qui avait été confirmée en appel (CA Grenoble, 10 février 2016, n° 15/00313 N° Lexbase : A9320PKE).
Enonçant la solution précitée, la Haute juridiction va rejeter le pourvoi. En effet, la convention prévoyait expressément un honoraire de résultat, acquis dès lors qu'un premier jeu d'écritures aurait été rédigé quand bien même le client changerait d'avocat. Et l'avocat avait rédigé des conclusions complètes destinées à la cour d'appel, intégralement reprises par le nouveau conseil désigné juste avant l'audience.
Par cet arrêt, la Cour revient sur le principe selon lequel "l'honoraire de résultat ne se comprend qu'après un résultat définitif" (Cass. civ. 2, 28 juin 2007, n° 06-11.171, FS-P+B N° Lexbase : A9419DWR) et "le dessaisissement de l'avocat avant la fin du litige rend inapplicable la convention d'honoraires initialement conclue" (Cass. civ. 2, 16 juin 2011, n° 10-20.551, F-D N° Lexbase : A7494HTQ). La Haute juridiction acceptait le paiement d'un honoraire de résultat au prorata des démarches accomplies, si une convention le prévoyait ainsi en cas de dessaisissement (Cass. civ. 2, 4 février 2016, n° 14-23.960, FS-P+B+I N° Lexbase : A2070PCN). En ordonnant le paiement d'un honoraire de résultat, malgré le dessaisissement de l'avocat, la Cour de cassation suit ainsi la jurisprudence initiée par la cour d'appel de Pau qui, en 2012, avait jugé que la convention prévoyant un honoraire de résultat pouvait s'appliquer si elle est particulièrement précise et envisage expressément le cas du dessaisissement. Cependant, le Bâtonnier ou le premier président pouvait réduire l'honoraire, dès lors qu'il apparaissait exagéré au regard du service rendu et que le principe de son montant n'avait pas été accepté par le client après service rendu (CA Pau, 30 avril 2012, trois arrêts, n° 12/1869 N° Lexbase : A4242IKC, n° 12/1873 N° Lexbase : A4305IKN, n° 12/1876 N° Lexbase : A4246IKH) (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E0081EUK).

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Avocats/Honoraires

[Brèves] Impossibilité de prévoir un honoraire de résultat lorsque le client est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle partielle !

Réf. : Cass. civ. 2, 6 juillet 2017, n° 16-17.788, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7767WLA)

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par Anne-Laure Blouet Patin

Le 13 Juillet 2017


Il résulte de l'article 35 de la loi de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 (N° Lexbase : L8607BBE), qu'en cas d'aide juridictionnelle partielle, l'avocat a uniquement droit à un honoraire complémentaire forfaitaire de diligence librement négocié avec son client, sans possibilité de réclamer un honoraire de résultat, sauf, si la convention le prévoit, en cas de retrait de l'aide juridictionnelle dans les conditions de l'article 36 du texte susvisé. Tel est le rappel opéré par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 6 juillet 2017 (Cass. civ. 2, 6 juillet 2017, n° 16-17.788, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7767WLA).

Dans cette affaire, Mme X, en qualité de représentante de ses enfants mineurs, a confié la défense de ses intérêts dans une procédure devant un tribunal correctionnel à un avocat. La cliente bénéficiant de l'aide juridictionnelle partielle, une convention prévoyant un honoraire complémentaire et un honoraire de résultat a été signée par les parties et soumise au Bâtonnier de l'Ordre et ce dernier s'est uniquement prononcé sur l'honoraire complémentaire. Prétendant illicite la retenue d'une certaine somme sur le montant d'une transaction conclue avec un assureur, Mme X a saisi d'abord le Bâtonnier de l'Ordre d'une contestation et, en l'absence de réponse de celui-ci, ensuite le premier président d'une cour d'appel. L'ordonnance ayant déclaré inapplicable l'article 4 de la convention d'honoraires complémentaires, relatif à l'honoraire de résultat prévu (CA Metz, 23 mars 2016, n° 15/00051 N° Lexbase : A6199Q9H), l'avocat a formé un pourvoi en cassation.

En vain. En effet, énonçant la solution précitée, la Haute juridiction rejette le pourvoi (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E0431E74).

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Avocats/Honoraires

[Brèves] De la possibilité de réduction des honoraires pour service rendu si les factures ne répondent pas aux exigences de transparence imposées par le Code de commerce

Réf. : Cass. civ. 2, 6 juillet 2017, n° 16-19.354, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A7768WLB)

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par Anne-Laure Blouet Patin

Le 13 Juillet 2017


Ne peuvent constituer des honoraires librement payés après service rendu ceux qui ont été réglés sur présentation de factures ne répondant pas aux exigences l'article L. 441-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L7987IZT), peu important qu'elles soient complétées par des éléments extrinsèques. En conséquence, le client peut solliciter une réduction d'honoraires dès lors que les factures de l'avocat ne précisaient pas les diligences effectuées. Telle est la solution dégagée par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 6 juillet 2017 (Cass. civ. 2, 6 juillet 2017, n° 16-19.354, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7768WLB).

Dans cette affaire, entre 2004 et 2011, les époux X ont confié la défense de leurs intérêts à un avocat, dans un grand nombre de dossiers. En 2013, ils ont saisi le Bâtonnier de l'Ordre des avocats d'une contestation d'honoraires. Le Bâtonnier a rejeté cette demande au motif qu'elle relevait éventuellement du domaine de la responsabilité et non de la fixation des honoraires. Confirmant cette décision, l'ordonnance du premier président énonce que le client qui a payé librement des honoraires après service rendu ne peut solliciter du juge de l'honoraire la restitution des sommes versées (CA Aix-en-Provence, 27 janvier 2015, n° 13/22280 N° Lexbase : A3994NA8).

Enonçant la solution précitée, la Cour de cassation va censurer cette décision (cf. l’Ouvrage "La profession d'avocat" N° Lexbase : E0337EUZ, N° Lexbase : E2707E4Z et N° Lexbase : E9120ETX).

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Avocats/Procédure

[Jurisprudence] Mise à disposition du dossier de la procédure devant la chambre de l'instruction

Réf. : Cass. crim., 7 juin 2017, n° 17-81.561, FS-P+B (N° Lexbase : A2278WI9)

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par Guillaume Royer, Maître de conférences à Sciences-Po Paris (Campus franco-allemand de Nancy), Avocat au barreau de Nancy

Le 13 Juillet 2017

"Un incident de numérisation fait qu'il manque une page ou deux au dossier arrivé à la cour d'appel de Douai" (1). Tel était l'amer constat de l'avocat général près la cour d'appel de Douai, après la remise en liberté d'office de deux personnes mises en examen en raison du défaut de numérisation, au dossier d'une procédure criminelle, de deux feuillets qui n'avaient, semble-t-il, guère d'importance pour le débat sur la détention... Force est de constater que "la page manquante" était, depuis l'arrêt rendu par la chambre de l'instruction de Douai en date du 9 octobre 2015, le cauchemar de toutes les chambres de l'instruction ! A la suite de ce fait divers, la loi n° 2017-258 du 28 février 2017, relative à la sécurité publique (N° Lexbase : L0527LDU ; cf. sur la loi, E. Raschel, Décryptage de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017, relative à la sécurité publique, Lexbase éd. priv., n° 691, 2017 N° Lexbase : N7095BWP) est intervenue pour leur rendre un peu de quiétude. C'est ainsi que, depuis cette loi, l'article 197 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L1217LDG) prévoit désormais que "le caractère incomplet du dossier de la chambre de l'instruction ne constitue pas une cause de nullité dès lors que les avocats des parties ont accès à l'intégralité du dossier détenu au greffe du juge d'instruction. Si la chambre de l'instruction est avisée que des pièces sont manquantes, elle renvoie l'audience à une date ultérieure s'il lui apparaît que la connaissance de ces pièces est indispensable à l'examen de la requête ou de l'appel qui lui est soumis". Parfait exemple de "bris de jurisprudence". L'arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation rendu en date du 7 juin 2017 constitue la première application du nouvel alinéa 4, de l'article 197 du Code de procédure pénale. Dans le cadre d'une information judiciaire suivie du chef de tentative d'assassinats en bande organisée, assassinats en bande organisée, association de malfaiteurs, un individu a été mis en examen et placé sous mandat de dépôt criminel par le juge des libertés et de la détention par deux ordonnances distinctes en date du 9 février 2017. Il a été interjeté appel de cette seconde ordonnance devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en soutenant deux moyens. A titre subsidiaire, il faisait valoir que les critères de la détention provisoire n'étaient pas remplis, mais à titre principal, il soutenait que le dossier de la procédure mise à la disposition de son avocat était incomplet en l'absence des fadets des lignes téléphoniques présentées comme étant celles du demandeur et ayant été exploitées par les enquêteurs, ce dont il déduisait probablement que, n'ayant pu examiner l'intégralité du dossier de la procédure mis à la disposition des parties avant l'audience de la chambre de l'instruction, les droits de la défense avaient été méconnus. Par un arrêt confirmatif en date du 2 mars 2017, la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a écarté ce moyen en considérant que, saisie de l'unique objet de la détention provisoire, elle ne saurait se prononcer sur l'existence ni sur la pertinence de charges retenues à l'encontre du demandeur, que ce dernier ne saurait pas plus former des demandes étrangères à cet unique objet d'appel et qu'il existe en tout cas des indices graves rendant vraisemblable sa participation aux faits. Le mis en examen a formé un pourvoi en cassation faisant valoir qu'en se prononçant de la sorte, la chambre de l'instruction s'était prononcée par un motif inopérant et qu'il lui appartenait de vérifier si la défense avait pu bénéficier d'un accès intégral au dossier de la procédure devant la chambre de l'instruction. Le moyen est rejeté par la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui considère que "dès lors qu'il n'était pas allégué que manquaient au dossier mis à la disposition de l'avocat en vue de l'audience de la chambre de l'instruction des pièces figurant dans celui qu'il avait pu consulter au cabinet du juge d'instruction et préalablement au débat contradictoire tenu par le juge des libertés et de la détention, la chambre de l'instruction a justifié sa décision au regard des exigences de l'article 197 du Code de procédure pénale". En d'autres termes, la Chambre criminelle de la Cour de cassation ne remet pas en cause la mise à disposition des parties de l'intégralité du dossier de la procédure, laquelle reste une obligation catégorique (I). Mais elle enferme sa méconnaissance dans des conditions si restrictives qu'elle en devient chimérique (II).

I - Une exigence catégorique

Devant la chambre de l'instruction, le procureur général de la cour d'appel est chargé de la mise en état du dossier, l'article 194 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3906IR4) prévoyant que "le procureur général met l'affaire en état dans les quarante-huit heures de la réception des pièces en matière de détention provisoire et dans les dix jours en toute autre matière ; il la soumet, avec son réquisitoire, à la chambre de l'instruction". Concrètement, la mise en état consiste, pour le procureur général, d'une part, à rédiger un réquisitoire destiné à être soumis à la chambre de l'instruction et, d'autre part, à aviser les parties, voire parfois des tiers concernés par la cause, ainsi que leurs avocats, de façon à permettre à chacun d'exercer ses droits en vue de l'audience (2). Une fois les convocations adressées aux parties, l'article 197 du Code de procédure pénale prévoit que "le dossier de la procédure, comprenant les réquisitions du ministère public, est déposé au greffe de la chambre de l'instruction et mis à la disposition des avocats des personnes mises en examen et des parties civiles dont la constitution n'a pas été contestée ou, en cas de contestation, lorsque celle-ci n'a pas été retenue".

De longue date, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré que les parties devaient bénéficier d'un accès à l'intégralité de la procédure devant la chambre de l'instruction (3), de sorte que n'est pas complet le dossier qui ne comprend pas les renseignements et les pièces de détention, même relatifs aux autres mis en examen de l'appelant (4). Dans un passé récent, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait attaché les plus strictes conséquences à la mise en à disposition de l'intégralité de la procédure pénale. En effet, par un arrêt en date du 3 juin 2015, la Chambre criminelle avait considéré que "les prescriptions de ce texte, qui ont pour objet de permettre aux avocats des parties de prendre connaissance de l'ensemble du dossier de l'information, dans l'état où celui-ci se trouve à la date où il est transmis au procureur général, et de pouvoir, en temps opportun, produire devant la chambre de l'instruction tous mémoires utiles, sont essentielles aux droits de la défense, et doivent être observées à peine de nullité" (5). Si la Cour de cassation considère que la mise à disposition de la procédure devant la Chambre de l'instruction est une exigence absolue, il n'en demeure pas moins que les conditions de mise en oeuvre de cette irrégularité sont tellement strictes qu'elles rendent illusoires son exercice.

II - Une sanction chimérique

La loi n° 2017-258 du 28 février 2017, relative à la sécurité publique a complété l'article 197 du Code de procédure pénale dans la mesure où son dernier alinéa prévoit désormais que "le caractère incomplet du dossier de la chambre de l'instruction ne constitue pas une cause de nullité dès lors que les avocats des parties ont accès à l'intégralité du dossier détenu au greffe du juge d'instruction. Si la chambre de l'instruction est avisée que des pièces sont manquantes, elle renvoie l'audience à une date ultérieure s'il lui apparaît que la connaissance de ces pièces est indispensable à l'examen de la requête ou de l'appel qui lui est soumis".

Il semble que le législateur a souhaité éviter toute mise en liberté médiatique résultant d'une page mal numérisée ou d'un fax mal réceptionné... Depuis l'entrée en vigueur de ce texte, il appartient à la chambre de l'instruction de vérifier si la côte du dossier, arguée de manquante par la défense, pourrait être utile à l'examen du bien-fondé de la requête en nullité ou de l'appel qui lui est présenté. La restriction posée par le texte était déjà de nature à tarir, dans une très large mesure, le contentieux tiré du caractère incomplet du dossier pénal mis à la disposition des parties devant la chambre de l'instruction. En effet, sur un dossier ouvert à l'information judiciaire pouvant contenir plusieurs milliers de pages, l'immense majorité des cotes de fond a un intérêt secondaire dans le cadre du débat sur la détention.

Mais surtout, la Chambre criminelle de la Cour de cassation semble encore "verrouiller" toute possibilité de remise en liberté d'office en raison de l'incomplétude du dossier pénal. L'arrêt rendu en date du 7 juin 2017 précise que la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a justifié sa décision au regard de l'article 197 de Code de procédure pénale "dès lors qu'il n'était pas allégué que manquaient au dossier mis à la disposition de l'avocat en vue de l'audience de la chambre de l'instruction des pièces figurant dans celui qu'il avait pu consulter au cabinet du juge d'instruction et préalablement au débat contradictoire tenu par le juge des libertés et de la détention". Cette formule revient à faire peser sur l'avocat de la personne mise en examen le double fardeau d'une preuve absolument impossible à rapporter... D'une part, il appartient à l'avocat de la personne mise en examen de rapporter la preuve que des pièces consultées au cabinet du juge d'instruction ou du juge des libertés et de la détention ne sont plus accessibles devant la chambre de l'instruction. On ignore bien comment l'avocat pourrait rapporter la preuve, négative, de l'absence de certaines pièces. D'autre part, il ne faut perdre de vue qu'en pratique, l'avocat n'aura guère de temps, au moment de l'interrogatoire de première comparution devant le juge d'instruction ou du débat contradictoire de placement en détention provisoire devant le juge des libertés et de la détention, pour consulter la procédure. Il ne bénéficiera souvent que de quelques heures pour prendre connaissance des centaines, voire des milliers de côtes du dossier de l'information judiciaire...

En définitive, le bris de jurisprudence opéré par la loi du 28 février 2017 et l'interprétation rigoureuse de l'article 197 du Code de procédure pénale que consacre la Chambre criminelle de la Cour de cassation permettent d'en déduire qu'à l'avenir, la "clé des champs"(6) ne passera sans doute plus par une page mal numérisée ou par un fax mal imprimé...


(1) Cf. le site de la Voix du Nord.
(2) Ph. Belloir, Rép. pén. Dalloz, v° Chambre de l'instruction, n° 332.
(3) Cass. crim., 20 juin 1989, n° 89-82.065 (N° Lexbase : A2857CIN), Bull. crim., n° 264.
(4) Cass. crim., 14 février 1984, n° 83-94.711 (N° Lexbase : A8190AAL), Bull. crim., n° 56 ; Cass. crim., 21 février 1989, n° 88-86.975 (N° Lexbase : A0196ABU), Bull. crim., n° 84 ; Cass. crim., 11 mai 2010, n° 10-81.313, F-P+F (N° Lexbase : A0287EZN), Bull. crim., n° 76.
(5) Cass. crim., 3 juin 2015, n° 15-81.801, F-P+B (N° Lexbase : A2210NK3), Bull. crim., n° 137.
(6) L'expression est empruntée à M. Albert Maron et Mme Marion Haas, in Changement d'avocat et clé des champs, Dr. pénal, 2014, Comm. n° 132.

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Construction

[Jurisprudence] L'ouvrage est-il encore le critère de la garantie décennale ?

Réf. : Cass. civ. 3, 15 juin 2017, n° 16-19.640, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6831WHH)

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par Julien Zavaro, Avocat au barreau de Paris

Le 13 Juillet 2017

Le désordre causé par un élément d'équipement adjoint à un ouvrage existant, dont l'installation n'a pas nécessité de gros travaux, peut-il entrer dans le champ de la garantie décennale ? C'est à cette question que la Cour de cassation a répondu par l'affirmative, par un arrêt du 15 juin 2017, promis à la plus large publication, qui semble bien remettre en cause le critère traditionnellement retenu pour l'application de la garantie décennale. I- L'ouvrage, critère de la garantie décennale

La notion d'ouvrage a été introduite par la loi "Spinetta" (1), en remplacement de la notion d'édifice auparavant retenue pour l'application de la responsabilité légale des constructeurs. La notion d'édifice excluait du champ d'application de la responsabilité légale les travaux de génie civil, ainsi que les voies et réseaux divers (VRD), qui sont compris dans le champ de la notion, plus large, de réalisation d'un ouvrage. Cette notion d'ouvrage a également remplacé celle de bâtiment dans les textes relatifs aux éléments indissociables et dissociables (actuels articles 1792 N° Lexbase : L1920ABQ et 1792-3 N° Lexbase : L6350G93 du Code civil).

L'article 1792, alinéa 1er, du Code civil fait de la construction d'un ouvrage le critère de l'application de la garantie légale des constructeurs : "Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination".

On savait déjà que les désordres des éléments d'équipement pouvaient rendre l'ouvrage impropre à sa destination et ouvrir une action en garantie décennale. Encore fallait-il pouvoir rattacher leur installation à la réalisation d'un ouvrage, et donc, lorsque les éléments d'équipement litigieux ont été posés postérieurement à l'achèvement de l'ouvrage principal, que leur installation ait nécessité des travaux assimilables à la construction d'un ouvrage.

A défaut, les articles 1792 et suivants n'avaient pas vocation à s'appliquer et l'action devait être jugée conformément aux règles de la responsabilité contractuelle de droit commun.

Le principe a d'abord été posé à propos des travaux de peintures, tissus tendus et de moquettes, qu'ils soient réalisés à l'occasion ou non de la construction de l'ouvrage, lorsqu'ils n'ont pas de fonction d'étanchéité (2).

Ce principe a ensuite été appliqué, dans un arrêt de la troisième chambre civile rendu le 10 décembre 2003, à propos du climatiseur d'un laboratoire de la société Renault (3). Dans cet arrêt, la Cour de cassation avait approuvé les juges du fond d'avoir considéré que l'installation d'une "centrale autonome de climatisation", qui n'avait pas nécessité de travaux de génie civil, ne permettait pas de mettre en jeu la garantie décennale de l'installateur.

Il convient de noter que, déjà dans cette espèce, le pourvoi soutenait que le dysfonctionnement de cette installation portait atteinte à la destination de l'immeuble, la société Renault entendant y installer un laboratoire de métrologie industrielle (contrôle qualité) qui nécessitait, on le suppose, une certaine maîtrise de sa température. Cet argument n'avait pas convaincu la Cour de cassation, qui avait jugé, par un attendu sans ambiguïté, qu'en l'absence de construction d'un ouvrage, les juges du fond n'avaient pas à s'interroger sur l'atteinte à la destination de l'immeuble :

"Mais attendu qu'ayant constaté que la centrale autonome de climatisation' installée par la société S. était composée d'un climatiseur livré dans une boîte en carton se présentant sous la forme d'une armoire verticale raccordée à des conduits et des réseaux d'air en tôle galvanisée placés entre deux sous-plafonds suspendus, la cour d'appel a pu en déduire, sans être tenue de procéder à une recherche que sa décision rendait inopérante, qu'une telle installation, qui ne relevait pas des travaux de bâtiment ou de génie civil, ne constituait pas la construction d'un ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil" (Cass. civ. 3, 10 décembre 2003, n° 02-12.215 N° Lexbase : A4322DAC, premier attendu).

Telle était donc la solution habituelle et l'ouvrage le critère de la responsabilité décennale. La Cour de cassation semble pourtant vouloir revenir sur cette jurisprudence par l'arrêt aujourd'hui commenté.

II - Une évolution du critère de la garantie décennale ?

Les faits de l'espèce semblent très similaires à ceux de l'arrêt "Renault", précité, et la solution de la cour d'appel de Douai était parfaitement conforme à la jurisprudence habituelle de la Cour de cassation, ce qui ne rend que plus significative la solution adoptée par la Cour de cassation.

A - L'arrêt d'appel faisait une parfaite application de la solution classique

Les faits, tels qu'ils sont relatés dans la presse et repris dans l'arrêt d'appel, sont les suivants (4) : un particulier commande à un professionnel une pompe à chaleur, d'une valeur supérieure à 20 000 euros. La machine est installée et mise en service, cependant elle ne produit pas la chaleur attendue.

Le vendeur/installateur est rapidement placé en liquidation judiciaire. L'acheteur se retourne, probablement faute de mieux, contre l'assureur décennal.

Une expertise judiciaire est menée, qui aurait constaté les dysfonctionnements et conclut que "les lieux ne sont plus habitables, sans chauffage ni eau chaude, de surcroît avec des enfants".

Le tribunal de grande instance de Lille condamne l'assureur décennal, qui fait immédiatement appel, contestant l'application de la garantie décennale à l'espèce.

La cour d'appel de Douai, d'une manière très classique, va examiner l'étendue des travaux réalisés pour installer l'équipement pour se prononcer sur l'application ou non de la garantie décennale à l'espèce : ces travaux sont-ils constitutifs d'un ouvrage ?

Reprenant les constats de l'expert judiciaire, l'arrêt relève que :

"L'ouvrage n'est pas intégré au bâtiment. Des percements ont été effectués pour laisser passer les canalisations entre unité extérieure et unité intérieure (cloison entre couloir et cave, mur entre cave et buanderie et mur extérieur de la buanderie vers le jardin). Ces percements sont limités en nombre et en dimensions au strict nécessaire. Ces murs et cloisons ne présentent pas de dégradations consécutives à ces percements. Le gros-oeuvre n'a pas été altéré par ces percements" (5).

Les travaux apparaissent minimes. Le demandeur ne demande d'ailleurs que quelques centaines d'euros pour procéder au démontage et à la remise en état des tuyauteries, cloisons et murs. C'est donc par une parfaite logique que la cour d'appel de Douai juge que :

"l'on ne saurait considérer que l'installation de cette machine a nécessité d'importants travaux d'adaptation à l'immeuble faisant appel à des techniques de construction, permettant de la considérer comme un ouvrage en soi".

Le jugement de première instance est réformé et l'assureur décennal échappe donc à toute condamnation. La solution apparaît parfaitement justifiée au vu de la jurisprudence précitée, il convient cependant de rappeler qu'elle prive le demandeur de son seul recours solvable, l'installateur étant en faillite et, semble-t-il, non autrement assuré.

B - La Cour de cassation censure, mais sans expliciter sa nouvelle solution

Avant de s'interroger sur la solution adoptée par la Cour de cassation et sa portée, il faut remarquer que, d'une façon très surprenante, les motifs de l'arrêt d'appel sont présentés d'une manière assez lapidaire, voire inexacte, dans l'attendu de l'arrêt de cassation.

En effet, l'attendu ne mentionne pas que, pour parvenir à sa décision, la cour d'appel de Douai avait soigneusement vérifié que les travaux d'installation de la pompe à chaleur ne constituaient pas la construction d'un ouvrage en soit. Au contraire, la Cour de cassation affirme seulement que : "pour rejeter ces demandes, l'arrêt retient que les éléments d'équipement bénéficiant de la garantie décennale sont ceux qui ont été installés au moment de la réalisation de l'ouvrage, ce qui n'est pas le cas de la pompe à chaleur considérée par rapport à l'ouvrage constitué par la construction de la maison de M. X ".

Présenté ainsi, le motif de l'arrêt apparaissait erroné, et l'analyse de la cour d'appel de Douai incomplète.

La Cour de cassation a donc cassé l'arrêt de la cour d'appel de Douai. Et elle l'a fait en des termes qui traduisent une véritable intention pédagogique :

"...en statuant ainsi, alors que les désordres affectant des éléments d'équipement, dissociables ou non, d'origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu'ils rendent l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination, la cour d'appel a violé" l'article 1792 du Code civil.

A la seule lecture de l'arrêt de cassation, le commentateur peut légitimement s'interroger sur le point de savoir si la Cour de cassation entendait seulement sanctionner l'erreur de droit de la cour d'appel de Douai, ou si cette décision impliquait réellement une évolution jurisprudentielle.

La question de savoir comment la pose d'un élément d'équipement dissociable pourrait constituer la construction d'un ouvrage apparaît pourtant hautement problématique. Le commentateur observera à ce propos que, dans l'arrêt commenté, les avocats du maître de l'ouvrage ont tenté d'établir dans leur pourvoi que les trois trous effectués dans les murs pour l'installation de la machine constituaient la construction d'un ouvrage. Ce raisonnement paraît bien faible, même a posteriori.

Au vu de l'arrêt d'appel, on est bien forcé de conclure que la Cour de cassation entend faire évoluer sa jurisprudence, et qu'elle semble considérer que les dysfonctionnements d'un élément d'équipement, dissociable ou non, rendant l'ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination constituent un dommage décennal même quand la pose de l'élément ne constitue pas la construction d'un ouvrage.

Cependant la formulation de l'arrêt laisse planer le doute. Pourquoi avoir dénaturé les motifs de l'arrêt de la cour d'appel de Douai ? Doit-on en comprendre que la Cour de cassation a voulu forcer les faits de l'espèce pour appliquer sa solution nouvelle sans attendre une affaire plus adaptée ?

Il faudra attendre un prochain pourvoi pour mesurer la portée exacte de cet arrêt. En attendant les installateurs de pompe à chaleur ont intérêt à souscrire une assurance de responsabilité décennale.

Reste encore une autre question : on sait que l'impropriété à la destination constitue un dommage décennal même quand elle ne concerne qu'une partie de l'ouvrage. Alors, pourquoi la Cour de cassation parle-t-elle de "l'ouvrage dans son ensemble" ?

Est-ce une formule à laquelle il ne faut pas attacher d'importance, seulement liée aux faits de l'espèce ? (6).

Est-ce au contraire l'amorce d'une nouvelle distinction ?


(1) Loi n° 78-12 du 4 janvier 1978 relative à la responsabilité et à l'assurance dans le domaine de la construction (N° Lexbase : L3612IEI).
(2) Cass. civ. 3, 27 avril 2000, n° 98-15970, publié au bulletin (N° Lexbase : A1961CKT) ; Cass. civ. 3, 16 mai 2001, n° 99-15.062 (N° Lexbase : A4673ATA).
(3) Cass. civ. 3, 10 décembre 2003, n° 02-12.215 (N° Lexbase : A4322DAC), publié au bulletin
(4) Le commentateur ne dispose ni du rapport d'expertise, ni du jugement de première instance.
(5) CA Douai, 21 avril 2016, n° 15/01967 (N° Lexbase : A6100RK7).
(6) En effet, les constats de l'expert judiciaire, tels qu'ils ont été rapportés dans la presse et reproduits ci-dessus, laissent entendre que la pompe à chaleur litigieuse était la seule source de chaleur de l'immeuble, ce qui expliquerait dans ce cas la référence à "l'ouvrage dans son ensemble".

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Contrats administratifs

[Jurisprudence] Contestation par un tiers d'une décision refusant de mettre fin à l'exécution du contrat : irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir - conclusions du Rapporteur public (première partie)

Réf. : CE Sect., 30 juin 2017, n° 398445, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1792WLX)

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N9330BWH

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par Gilles Pellissier, Rapporteur public au Conseil d'Etat

Le 13 Juillet 2017

Dans un arrêt rendu le 30 juin 2017, la Haute juridiction a dit pour droit que, si un tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l'exécution du contrat, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Gilles Pellissier (voir la seconde partie N° Lexbase : N9331BWI). Votre décision d'Assemblée du 4 avril 2014, "Département de Tarn-et-Garonne" (CE Ass., 4 avril 2014, n° 358994, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6449MIP), a réalisé une profonde recomposition des voies de recours ouvertes aux tiers à un contrat administratif à l'encontre de ce dernier. Revenant sur une jurisprudence plus que séculaire qui ne leur permettait que de demander l'annulation pour excès de pouvoir des actes détachables du contrat (CE, 4 août 1905, n° 14220 N° Lexbase : A2989B7T, p. 749), vous avez jugé qu'ils pouvaient désormais, par un recours de plein contentieux, contester directement la validité du contrat. Cette évolution, précisons-le d'emblée pour ne plus y revenir, dans le sillage de laquelle s'inscrit celle que nous allons vous proposer aujourd'hui, ne concerne pas les contrats de recrutement d'agents publics, qui peuvent faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir depuis votre décision de Section du 30 octobre 1998, "ville de Lisieux" (CE, n° 149662 N° Lexbase : A8279ASG, Recueil. p. 375, ccl. Stahl, solution confirmée par la décision CE, 2 février 2015, n° 373520 N° Lexbase : A1440NBX, Recueil).

La conséquence de l'ouverture aux tiers d'une voie de recours directe contre le contrat est la fermeture de la voie de contournement que représentait le recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables de la conclusion du contrat. Elle ne demeure que de manière marginale, dans des cas et dans des conditions qui garantissent contre toute velléité des tiers de l'utiliser pour s'affranchir des règles régissant la voie nouvelle qui leur a été ainsi ouverte : les actes concourant à la conclusion du contrat et tant que celui-ci n'est pas conclu restent détachables pour le représentant de l'Etat qui peut les contester par la voie de l'excès de pouvoir, dans le cadre du contrôle de légalité ; l'acte administratif portant approbation du contrat par une autorité qui n'en est pas partie, certes postérieur à sa conclusion mais nécessaire à son exécution, est également détachable du contrat pour les tiers qui sont recevables, sous certaines conditions, à en contester la légalité devant le juge de l'excès de pouvoir (CE, 23 décembre 2016, n° 392815 N° Lexbase : A8794SXY, aux T. sur ce point) ; enfin, restent justiciables du recours pour excès de pouvoir les actes administratifs détachables de la formation des contrats de droit privé (CE Sect., 26 novembre 1954, Syn de la raffinerie du soufre française, p. 620 ; CE, 27 octobre 2015, n° 386595 N° Lexbase : A5334NU4, aux T. sur ce point).

La recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre les clauses réglementaires du contrat (CE Ass., 10 juillet 1996, n° 138536 N° Lexbase : A0215APN, p. 274, solution étendue à la décision de refus de les modifier : CE, 15 janvier 1999, n° 188588 N° Lexbase : A3139ARP, DA, 1999, n° 67), que la décision "Département de Tarn-et-Garonne" maintient expressément (1), participe d'une logique différente puisqu'elle vise à permettre aux tiers de saisir une norme de portée générale, non contractuelle bien que contenue dans le contrat et de ce fait détachable de celui-ci.

Si nous avons employé le terme de recomposition pour décrire la portée de votre décision "Département de Tarn-et-Garonne", c'est parce qu'elle ne se contente pas de faire passer un recours d'une branche du contentieux à une autre mais que, d'une part, elle en redéfinit substantiellement les modalités, d'autre part, elle l'insère dans l'ensemble plus vaste des contentieux contractuels, en permettant aux tiers de saisir un juge du contrat dont l'office a été également profondément redéfini au cours de la dernière décennie (sur l'office du juge du contrat saisi par les parties : CE Ass., 28 décembre 2009, n° 304802 N° Lexbase : A0493EQC, p. 509). Aujourd'hui, le tableau des contentieux contractuels hors fonction publique offre un paysage qui se rapproche d'un jardin à la française : les différents recours dont disposent les tiers et les parties sont autant de voies aboutissant au juge du contrat doté des mêmes pouvoirs de donner au litige une solution qui représente le meilleur équilibre entre les exigences de la légalité, de l'intérêt général et de la stabilité des relations contractuelles, dans le respect des droits créés.

Cette recomposition n'est cependant pas encore complètement achevée. La jurisprudence "Département de Tarn-et-Garonne" ne concerne que la contestation du contrat et les actes détachables antérieurs à sa conclusion qui permettaient auparavant aux tiers d'en contester indirectement la validité. Si, en dehors des voies de recours spécialement destinées à permettre aux candidats évincés d'obtenir le respect des règles de mise en concurrence, la contestation du contrat concentre l'essentiel des recours des tiers en matière contractuelle, ceux-ci ont également la possibilité de contester certains actes détachables relatifs à l'exécution du contrat. Cette faculté leur a été ouverte, et à eux seuls (2) , par la décision de Section du 24 avril 1964 "SA de Livraisons industrielles et commerciales (LIC)" (CE, n° 53518 N° Lexbase : A1792WLX, p. 239, AJDA, 1964, p. 308, concl. Combarnous) (3) dont la formulation très générale mérite d'être citée : la société requérante est, "en sa qualité de tiers par rapport à ladite convention, recevable à déférer au juge de l'excès de pouvoir, en excipant de leur illégalité, tous les actes qui bien qu'ayant trait soit à la passation soit à l'exécution du contrat, peuvent néanmoins être regardés comme des actes détachables dudit contrat". Est ensuite qualifiée de détachable du contrat la décision de la personne publique cocontractante refusant d'en prononcer la résiliation, c'est à dire d'y mettre unilatéralement fin avant sa complète exécution.

Les décisions par lesquelles vous avez fait application de cette jurisprudence sont infiniment moins nombreuses que celles ayant appliqué la jurisprudence "Martin". Elles se comptent sur les doigts d'une main : outre la décision de principe que nous venons de citer, vous avez statué sur des refus de résiliation à deux reprises par des décisions "Fayard" du 11 janvier 1984, (CE, n° 30250 N° Lexbase : A2568ALP p. 4) et "société Eiffel-Distribution" du 8 décembre 2004 (CE, n° 270432 N° Lexbase : A3501DEE, aux T.), cette dernière dans le cadre d'un référé suspension. Vous avez ensuite étendu cette solution au recours de tiers contre la décision de résiliation elle-même (CE Ass., 2 février 1987, n° 81131 N° Lexbase : A3244APT, p. 29, RFDA, 1987, p. 29, ccl. M. Fornacciari).

La présente affaire, qui s'inscrit dans un litige comparable à celui de la décision "SA LIC", vous donne l'occasion, et nous venons de voir qu'elle est rare, de poursuivre votre oeuvre de recomposition des recours en matière contractuelle en réexaminant les modalités, les conditions de recevabilité et les effets des recours des tiers contre certaines décisions prises au cours de l'exécution du contrat, à savoir les décisions de refus d'en prononcer la résiliation. Mais, sauf à vouloir en profiter pour traiter l'ensemble des recours des tiers contre des mesures d'exécution du contrat, ce que nous ne vous proposerons pas, votre décision complétera l'édifice, sans l'achever.

Nous commencerons par vous exposer les raisons qui justifient à nos yeux de revoir les modalités des recours des tiers auxquels a été opposé un refus de résilier le contrat.

Contrairement à l'usage, nous ne ferons valoir aucun argument en faveur du maintien sous l'empire de la jurisprudence "Département de Tarn-et-Garonne" d'un recours pour excès de pouvoir ouvert aux tiers à l'encontre de cette décision car nous n'en avons tout simplement pas trouvé. Non seulement les justifications de la reconnaissance de cette voie de droit n'existent plus, mais son maintien serait à la fois incohérent au regard des nouvelles règles régissant les actions des tiers en contestation de la validité du contrat et de nature à en compromettre les finalités.

En premier lieu, les mêmes raisons qui vous avaient conduits à ouvrir aux tiers le recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables de l'exécution du contrat plaident aujourd'hui pour redéfinir ce recours par référence à la voie principale de la contestation de la validité du contrat ouverte aux tiers par la décision "Département de Tarn-et-Garonne".

Ces recours sont en effet proches par leurs objets et par leurs fins, la contestation du contrat dans un cas, de son maintien dans l'autre, à tel point que la décision "SA LIC" fait en quelque sorte masse des deux en décrivant l'objet de la demande présentée au tribunal administratif comme tendant "à contester le droit du ministre [...] de passer et de maintenir avec la société SVP un accord [...]". Comme le faisait observer le président Combarnous dans ses conclusions sur cette décision, dans le cas du recours contre le refus de résilier "comme dans le cas du recours dirigé contre l'acte de passation, le requérant conteste, suivant l'expression même de vos arrêts, le droit pour l'administration de passer certaines conventions".

Cette proximité des objet et finalité des recours est la raison invoquée par le commissaire du gouvernement de l'affaire "SA LIC" pour étendre aux refus de résiliation la jurisprudence "Martin" : "dès lors que vous admettez le recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation de l'acte de passation du contrat, il faudrait de très fortes raisons pour admettre que le recours tendant au retrait total ou partiel de cet acte n'est pas possible". La circonstance que l'acte soit postérieur à la conclusion du contrat ne justifie pas, à elle seule, de lui réserver un sort différent dès lors, expliquait-il, que le critère de la détachabilité n'est pas le moment auquel l'acte intervient mais son objet : sont détachables "les actes par lesquels l'administration décide de contracter" ; ne le sont pas "les actes pris en vertu du contrat et dans le cadre de celui-ci". Cette distinction, nous le verrons, demeure parfaitement valable.

Nous ne reviendrons pas sur les raisons qui vous ont conduit à ouvrir aux tiers un accès direct au juge du contrat pour contester la validité de celui-ci. Disons simplement que, loin de remettre en cause la possibilité de cette contestation, vous avez voulu la rendre à la fois plus simple dans son usage, plus efficace et plus équilibrée dans ses effets. Dès lors que l'ouverture du recours pour excès de pouvoir contre le refus de résiliation constituait la suite logique de l'ouverture de ce recours contre les actes de passation, la transformation du recours contre le contrat doit s'étendre au recours contre le refus de le résilier.

En second lieu, le maintien d'un recours pour excès de pouvoir contre la décision de refus de résiliation, compte tenu précisément de la proximité de cette décision avec celle de passer le contrat, compromettrait l'équilibre entre légalité et stabilité contractuelle que poursuit la jurisprudence "Département de Tarn-et-Garonne".

Cet équilibre résulte à la fois des conditions encadrant le recours des tiers contestant la validité du contrat, conditions relatives au délai pour agir, de deux mois à compter des mesures de publicité adéquates du contrat, à leur intérêt pour agir, qui doit, sauf exceptions, être suffisamment direct et certain et aux moyens qu'ils peuvent invoquer qui doivent, en règle générale, être en rapport avec leur intérêt, et des pouvoirs étendus reconnus au juge du contrat saisi du recours pour déterminer les conséquences sur le contrat de l'irrégularité qu'il constate. Or le recours pour excès de pouvoir n'offre pas les mêmes possibilités d'ajustement des modalités du recours. L'intérêt pour agir est traditionnellement apprécié de manière plus libérale ; plus encore, il est difficile de limiter les moyens susceptibles d'être invoqués par le requérant; enfin, l'office du juge de la légalité est beaucoup plus contraint que celui du juge du plein contentieux contractuel. Ces raisons sont celles qui vous ont conduits à ouvrir aux tiers un recours de pleine juridiction devant le juge du contrat plutôt que d'étendre aux contrats le recours pour excès de pouvoir.

Par conséquent, maintenir le recours pour excès de pouvoir contre le refus de résilier le contrat, dont la légalité dépend notamment, ainsi que cela ressort expressément de la décision "SA LIC", de celle du contrat, et dont l'annulation implique en principe la résiliation du contrat, revient à permettre à n'importe quel tiers y trouvant quelque intérêt de remettre en cause à tout moment l'existence du contrat alors même qu'il ne serait pas ou plus recevable à en contester directement la validité, contrairement à l'objectif de sécurisation du contrat dans ses éléments constitutifs après l'expiration des délais de recours à son encontre visé par la jurisprudence "Département de Tarn-et-Garonne". L'éventualité de ce recours fait ainsi peser sur le contrat la même menace que celle que faisait peser l'annulation de l'acte détachable relatif à sa passation à partir du moment où le développement des pouvoirs d'injonction du juge administratif lui a fait perdre son effet platonique.

Les circonstances de la présente affaire illustrent parfaitement ce risque : le syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche (SMPAT) a été constitué en 2000 entre plusieurs collectivités et établissements publics de coopération intercommunale des départements de la Seine-Maritime et de la Somme pour poursuivre l'exploitation de la liaison maritime entre Dieppe et Newhaven, à la suite du départ de la société A. Après l'avoir exploitée en régie, le syndicat en a confié l'exploitation à la société B, par une convention du 29 décembre 2006, pour une durée de 8 ans, ultérieurement prolongée pour trois ans. En novembre 2010, les sociétés C et D, qui exploitent, à presque 200 kilomètres de Dieppe, sous la dénomination Eurotunnel, le tunnel sous la Manche, ont demandé au Syndicat mixte de promotion de l'activité transmanche de résilier cette convention. N'ayant pas obtenu de réponse, ils ont contesté cette décision implicite de rejet devant le tribunal administratif de Rouen qui a rejeté leur demande, puis devant la cour administrative de Douai qui y a fait droit au motif que le contrat était en réalité un marché public qui ne pouvait être légalement passé selon les règles applicables aux délégations de service public. Elle a enjoint au Syndicat mixte de résilier la convention dans un délai de six mois. Vous avez, à la demande du Syndicat requérant, ordonné le sursis à exécution de cet arrêt.

Si la qualification juridique de la convention sur laquelle repose l'arrêt est critiquée par le syndicat requérant, il ne conteste aucunement le principe même d'une appréciation de la légalité de la décision de refus de résilier la convention à l'aune de la régularité de cette dernière. Un tel contrôle résulte de la décision "SA LIC" qui assimile décision de conclure et décision de maintenir le contrat et dont les motifs sont entièrement consacrés au droit du ministre de le conclure.

Or le moyen que la cour a retenu pour annuler le refus de résilier le contrat et enjoindre à la personne publique de le faire aurait été écarté comme inopérant par le juge du contrat saisi d'un recours des mêmes requérants en contestation de la validité du contrat, dans le cadre de la jurisprudence "Département de Tarn-et-Garonne". A supposer même que l'intérêt exclusivement commercial de ces requérants ait pu être regardé comme suffisamment direct et certain, l'irrégularité de la procédure de passation du contrat est sans rapport avec leur intérêt, dès lors qu'ils n'étaient ni candidats à l'attribution de la convention ni n'allèguent avoir été dissuadés de l'être du fait de l'irrégularité qu'ils invoquent. Par ailleurs, vous savez que l'application d'une procédure de sélection inapplicable n'est pas, sauf circonstances très particulières qui ne sont pas réunies en l'espèce, une irrégularité d'une gravité telle que le juge doive la relever d'office (voyez notamment CE, 12 janvier 2011, n° 332136 N° Lexbase : A8756GPY, aux T. sur ce point).

Il est vrai que la cour n'était pas tenue d'enjoindre au Syndicat de résilier la convention. Le juge de l'exécution dispose, selon la grille établie à propos de l'office du juge chargé de déterminer les effets de l'illégalité de l'acte détachable du contrat sur ce dernier (CE, 21 février 2011, n° 337349 N° Lexbase : A7022GZ4, p. 54), d'une certaine marge d'appréciation des conséquences à tirer de l'annulation qu'il a prononcée : aucune régularisation n'étant en l'occurrence envisageable, il pouvait décider qu'un intérêt général faisait obstacle à la résiliation du contrat. Mais ces considérations d'intérêt général doivent être particulièrement fortes pour faire échec à un effet intrinsèque de l'annulation d'une décision, qui implique en principe qu'elle ne soit pas maintenue. La conséquence normale de la constatation que la personne publique ne pouvait légalement refuser de résilier est bien qu'elle doit le faire.

Même s'il ne se concrétise pas souvent, le risque que la jurisprudence "SA LIC" ne devienne une voie de contournement des règles de recevabilité du recours en contestation de la validité du contrat est certain et vous devez le conjurer, comme vous l'avez fait lorsque vous avez jugé que le refus de la personne publique de saisir le juge du contrat d'une action en nullité du contrat n'était pas détachable des relations contractuelles, afin que les tiers ne puissent utiliser cette voie pour obtenir l'annulation du contrat, qui n'était alors accessible qu'aux parties et aux candidats évincés (CE, 17 décembre 2008, n° 293836 N° Lexbase : A8807EBS, au rec).

Nous ne vous proposerons pas, pour ce faire, de supprimer ce recours, mais de l'adapter. En effet, l'ouverture aux tiers d'un recours contre le contrat lui-même ne nous paraît pas conduire à leur fermer toute possibilité de contester le refus de le résilier. A cet égard, si un contrat administratif est évidemment source de droits, il n'est pas assimilable à un acte individuel créateur de droits, ni par conséquent sa résiliation à une abrogation. Ne serait-ce que parce qu'un acte individuel créateur de droits devenu définitif ne peut être abrogé, y compris s'il est illégal ou si un changement des circonstances de droit et de fait l'a rendu tel (CE Sect., 30 novembre 1990, n° 103889 N° Lexbase : A5713AQN, p. 339 ; CE, 26 mars 2001, n° 202209 N° Lexbase : A2296AT9, aux T., concernant un acte d'approbation d'un contrat), alors que la personne publique cocontractante peut toujours, à tout moment, décider la résiliation du contrat pour un motif d'intérêt général ou à titre de sanction des fautes graves commises par le cocontractant dans l'exécution du contrat. Vous savez qu'il s'agit d'une prérogative de puissance publique dont elle dispose indépendamment des clauses du contrat et à laquelle elle ne peut contractuellement renoncer (CE, 6 mai 1985, n° 41589 N° Lexbase : A3186AMX, p. 141).

Dès lors que la personne publique dispose d'un pouvoir de résiliation unilatérale des contrats auxquels elle est partie pour des motifs qui, pour certains, dépassent la conduite des relations contractuelles et ne sont ni nécessairement ni généralement tirés de l'irrégularité du contrat, il apparaît à la fois légitime que l'exercice de ce pouvoir puisse être contrôlé par un juge, même si ce contrôle sera le plus souvent très distancié, et qu'il puisse l'être à la demande d'un tiers. Comme nous l'avons dit, et votre décision "SA LIC" est fondée sur cette idée, le refus de résilier un contrat exprime une décision de même nature que celle de le conclure, mais dont l'objet, qui porte sur la poursuite de l'exécution du contrat, et les circonstances de droit et de fait dans lesquelles elle est prise, sont différents, de sorte que les motifs qui justifiaient la conclusion d'un contrat ne sont pas toujours ceux qui justifient son maintien. Dès lors, les tiers peuvent avoir tout autant intérêt à contester la poursuite de l'exécution du contrat que sa conclusion et le recours contre le contrat ne permet pas de contrôler le choix postérieur de la personne publique d'en poursuivre l'exécution.

Si vous partagez cet avis, il vous reviendra de définir les règles applicables au recours des tiers auxquels aura été opposé un refus de la personne publique cocontractante de résilier les contrats administratifs auxquels elles sont parties. Le refus de résilier un contrat de droit privé demeure quant à lui détachable de l'exécution de ce contrat, dont le juge n'est pas le juge administratif, et susceptible de recours pour excès de pouvoir.

La nécessité d'insérer harmonieusement ce recours dans l'ensemble du contentieux contractuel conduit à en définir les règles par référence au recours des tiers en contestation de la validité du contrat, puisqu'il porte sur une décision dont l'objet est substantiellement proche et concerne une même catégorie de requérants, tout en les adaptant à la spécificité de son objet qui porte sur la décision de poursuivre l'exécution du contrat.

Comme vous l'avez fait pour le recours en contestation de la validité du contrat, il convient de diriger ce recours vers le juge du contrat, qui est le mieux outillé pour y statuer, et de le recentrer sur l'objectif recherché par le requérant, qui est d'obtenir la cessation de l'exécution du contrat.

Le tiers requérant devra d'abord la demander à la personne publique cocontractante, afin de lier le contentieux, mais la décision de refus qui lui aura été opposée ne sera pas l'objet de son recours contentieux, comme lorsqu'il s'agissait de parvenir à la résiliation du contrat par la voie détournée de l'annulation de l'acte détachable suivie d'une injonction de résilier le contrat. La contestation du refus de résiliation qui aura été opposé au tiers ne sera que le vecteur de conclusions qui tendront à ce que le juge du contrat, juge de pleine juridiction qui dispose de ce pouvoir, prononce la résiliation du contrat. Ce ne sera pas la première fois que vous fusionnerez ainsi des conclusions aux fins d'annulation et d'injonction pour définir, dans le cadre d'un contentieux devenu de pleine juridiction, l'office du juge en fonction de ces dernières (voyez, par exemple, en matière de démolition d'ouvrage public mal planté : CE, 13 février 2009, n° 295885 N° Lexbase : A1148EDU, aux T.). Mais ce schéma est surtout celui que vous avez élaboré par votre décision de Section du 21 mars 2011 (CE, n° 304806 N° Lexbase : A5712HIE) pour le recours d'une partie au contrat contre une décision de résiliation : la contestation de la validité de la mesure de résiliation n'est que l'occasion d'un recours qui tend à la reprise des relations contractuelles. Nous dirons donc en paraphrasant notre collègue Emmanuelle Cortot-Boucher dans ses conclusions sur cette décision, que le coeur de l'office du juge est ici de se prononcer sur le point de savoir si les relations contractuelles doivent ou non se poursuivre.

Comme vous l'avez admis dans le cadre de la contestation de la validité du contrat, les tiers pourront demander en référé, à l'occasion du refus qui leur aura été opposé de résilier le contrat, la suspension de l'exécution du contrat. Le référé pourra produire ici plus d'effets que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir, où il ne pouvait conduire qu'à suspendre l'exécution du refus de résiliation et à obliger l'administration à réexaminer la demande de résiliation (CE, 8 décembre 2004, précitée). La suspension de l'exécution du contrat peut avoir des conséquences importantes sur les droits des parties et sur la gestion du service à laquelle il concourrait. La perturbation qu'elle cause dans les relations contractuelles est même presque plus forte lorsque leur interruption est temporaire. Mais ces effets ne sont cependant pas substantiellement différents de ceux qu'entraîne la suspension de l'exécution du contrat dans le cadre de l'application de la jurisprudence "Département de Tarn-et-Garonne". Dans tous les cas, il appartiendra au juge des référés d'en tenir compte dans l'appréciation de l'urgence qui, comme vous le savez, consiste à mettre en balance les différents intérêts en présence. Il le fera dans le cadre de son office particulier qui est de décider si la résiliation s'impose. Nous ne pensons pas que leur éventualité doive, par elle-même, conduire à exclure cette décision du champ du référé suspension, ce que vous n'avez jamais fait pour aucune décision.

Enfin, le requérant pourra présenter des conclusions indemnitaires tendant à la réparation du préjudice que lui causerait le maintien du contrat au cas où le juge le déciderait malgré l'illégalité de la décision de refus de le résilier.

S'agissant des conditions de recevabilité du recours en résiliation du contrat, le parallélisme entre ce recours et le recours en contestation de la validité du contrat qui résulte de ce qu'ils tendent tous deux à remettre en cause un contrat conclu conduit à transposer au premier les conditions tenant à l'intérêt pour agir dégagées pour le second. En effet, l'exigence, selon les termes de votre décision "Département de Tarn-et-Garonne", que le tiers requérant justifie "être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine" par le contrat est une composante essentielle de l'équilibre entre la légalité et la stabilité des relations contractuelles, qui ne doivent pas être placées sous la menace permanente d'un recours contentieux. Cet équilibre s'impose également voire de encore plus fortement au cours de l'exécution du contrat, qui n'a pas été contesté en temps utile ou l'a été sans succès, et dont les parties doivent pouvoir compter sur un environnement juridique qui garantisse qu'il sera normalement conduit à son terme. Il convient donc de réserver aux seuls tiers justifiant d'une atteinte directe à des intérêts suffisamment sérieux la possibilité d'en perturber le cours. Cette exigence s'appréciera au regard des conséquences pour les intérêts dont se prévaut le tiers de la poursuite de l'exécution d'un contrat. Ces intérêts ne seront donc pas nécessairement les mêmes que ceux susceptibles d'être lésés par la conclusion du contrat.

Comme vous l'avez fait pour la contestation de la validité du contrat, vous devrez faire une exception à cette exigence particulière en ce qui concerne l'intérêt pour agir du représentant de l'Etat, qui doit lui être reconnu du seul fait de sa mission constitutionnelle de contrôle de la légalité des actes des collectivités territoriales.

L'extension de cette exception aux membres des organes délibérants des collectivités territoriales pourrait être davantage discutée. Vous l'avez prévue s'agissant du recours en contestation de la validité du contrat car l'assemblée délibérante se prononce toujours sur la conclusion du contrat et que vous reconnaissez de manière générale aux membres des assemblées délibérantes un intérêt pour agir contre leurs délibérations. Or le refus de résilier le contrat ne donne pas toujours lieu à une délibération de l'assemblée de la collectivité. Cette différence ne nous paraît cependant pas de nature à prévaloir sur la similitude d'objet des recours et à introduire une distinction source de complexité.

La mise en oeuvre du délai de recours de deux mois, règle d'application désormais générale , ne présente aucune difficulté en présence d'une décision provoquée : il courra à compter de la notification d'une décision expresse ou de la naissance d'une décision implicite, dans les conditions du droit commun.

Conformément à l'objet du recours, qui ne porte plus sur la légalité d'une décision et à l'office du juge qui en découle, les moyens qui pourront être utilement invoqués seront ceux tendant à établir non seulement que la personne publique ne pouvait refuser de mettre fin à l'exécution du contrat mais encore et surtout que le juge doit décider de le faire. La fusion des conclusions en annulation et aux fins d'injonction dans ce nouveau recours en résiliation du contrat ne rend utiles que les moyens qui antérieurement auraient justifié une injonction de résilier le contrat.

Ainsi, et en premier lieu, seront inopérants les moyens relevant de la régularité externe de la décision de refus de résiliation.

En deuxième lieu, seules les irrégularités du contrat initial qui font en principe obstacle à la poursuite de son exécution devraient pouvoir être invoquées à l'appui d'une demande tendant à sa résiliation. Les vices ayant un tel effet tiennent, selon les formulations de vos décisions les plus récentes, au caractère illicite du contenu du contrat, à l'existence d'un vice du consentement ou à une irrégularité d'une particulière gravité. Précisons qu'ils ne doivent pas avoir été régularisés et que les manquements aux règles de passation ne font pas partie de ces irrégularités, sauf, pour le dire rapidement, au cas tout à fait exceptionnel où ils seraient susceptibles de recevoir une qualification pénale. Ces vices d'une particulière gravité -pensons par exemple à une convention qui déléguerait des missions de police administrative- font en principe obstacle l'exécution du contrat, tant pour la personne publique que pour le juge. La première est fondée à résilier le contrat qui serait entaché d'une telle irrégularité. Vous avez ainsi jugé que la nécessité de mettre fin à une délégation de service public dont la durée dépassait la durée légale constituait un motif d'intérêt général justifiant sa résiliation unilatérale (CE, 7 mai 2013, n° 365043 N° Lexbase : A1556KDY, Recueil) et que ne commettait aucune faute la personne publique qui résiliait un contrat reconduit en exécution d'une clause de tacite reconduction illicite (CE, 17 octobre 2016, n° 398131 N° Lexbase : A9438R7P, aux T. sur ce point). De son côté, le juge ne peut appliquer un contrat entaché d'une telle irrégularité, quel que soit le cadre dans lequel il est saisi : ces irrégularités sont d'ordre public tant pour le juge saisi d'un recours en contestation de la validité du contrat par un tiers ("Département de Tarn-et-Garonne") ou par une partie (CE Ass., 28 décembre 2009, précitée) que pour le juge saisi par une partie d'un litige relatif à l'exécution du contrat, qui doit alors écarter le contrat et régler le litige sur un terrain non contractuel (même décision). Un tel vice fait également obstacle à ce que le juge du contrat ordonne la reprise des relations contractuelles, quels que soient les vices entachant la mesure de résiliation (CE, 1er octobre 2013, n° 349099 N° Lexbase : A3383KMA, aux T. sur ce point). Le juge du contrat ne pouvant prendre une décision ayant pour effet le maintien d'un contrat entaché d'un tel vice, il doit pouvoir, à l'occasion d'un recours contre le refus de le résilier, soulever d'office ce moyen qui conduira en principe à y mettre un terme. Dès lors que le juge peut se saisir d'office d'un tel moyen, il en devient nécessairement opérant pour le requérant.

En dehors de ces vices d'ordre public, les autres irrégularités dont celui-ci serait entaché ne devraient pas pouvoir être utilement invoquées à l'appui d'un recours en contestation du refus de résiliation. En effet, ces irrégularités, qui ne font donc pas obstacle à l'exécution du contrat, ont pu être invoquées à l'occasion du recours en contestation de la validité du contrat, désormais ouverte aux tiers. Dès lors qu'il existe une voie de recours qui permet à ces derniers de remettre directement en cause le contrat lors de sa conclusion et pendant un certain délai, c'est cette voie qui doit être utilisée pour contester l'existence même du contrat et les modalités de sa conclusion. La possibilité de faire valoir les mêmes irrégularités du contrat à l'occasion de la contestation de différents actes détachables ne présentait, à l'époque de la jurisprudence "SA LIC", guère d'inconvénients, la sécurité juridique du contrat étant garantie par l'effet platonique de l'éventuelle annulation de l'acte détachable. Mais permettre aujourd'hui aux tiers d'invoquer toute irrégularité du contrat à tout moment de son exécution présenterait exactement les mêmes inconvénients que le maintien du recours pour excès de pouvoir contre l'acte détachable.

Ce sont en troisième lieu et essentiellement les changements de circonstances de droit ou de fait survenus au cours de l'exécution du contrat qui pourront être invoqués à l'occasion du recours contre le refus d'en faire usage. En effet, c'est parce qu'ils modifient les conditions d'exécution du contrat ou ses finalités, ils sont susceptibles de conduire la personne publique à faire usage de son pouvoir de résiliation unilatérale. Et c'est parce que la poursuite de l'exécution du contrat dans ces circonstances nouvelles peut compromettre des intérêts généraux qui dépassent ceux des parties contractantes et que les liens contractuels ne sauraient empêcher la personne publique de satisfaire, qu'une voie de recours doit être ouverte aux tiers pour leur permettre de les faire valoir et, s'ils apparaissent prééminents, prévaloir sur la volonté de la personne publique de poursuivre l'exécution du contrat.

L'objet du débat contentieux étant la nécessité de mettre un terme à l'exécution du contrat, la personne publique pourra invoquer de nouveaux motifs justifiant sa poursuite, comme elle peut le faire pour justifier une mesure de résiliation contestée par le cocontractant en application de la jurisprudence "Béziers II".

Des modifications du droit applicable au contrat, légalement conclu, peuvent tout d'abord faire obstacle à la poursuite de son exécution : les exemples sont rares car en principe la règle nouvelle ne s'applique pas aux contrats en cours (CE Sect., 29 janvier 1971, n° 73932 N° Lexbase : A9608B8D, p. 80 ; CE Ass., 8 avril 2009, n° 271737 N° Lexbase : A9541EE4, p. 116). Mais vous savez que cela peut arriver lorsque le législateur, seul compétent pour porter atteinte à la liberté contractuelle, l'a expressément ou implicitement prévu en raison d'impératifs d'ordre public (Cons. const., décision n° 98-401 DC du 10 juin 1998 N° Lexbase : A8747ACX ; CE, Ass, 8 avril 2009, précitée). Vous avez jugé par votre décision du 8 avril 2009, précitée, que l'application immédiate aux délégations de service public de la loi limitant leur durée avait pour conséquence de rendre irrégulière la poursuite de l'exécution de ces conventions au-delà de la durée maximale fixée par la loi, calculée à compter de son entrée en vigueur. Le même effet pourrait par exemple résulter de l'application immédiate d'une loi qui interdirait pour des motifs supérieurs de santé publique ou d'ordre public l'utilisation d'un produit ou l'exercice d'une activité.

Votre décision ne qualifie pas l'effet de l'application immédiate de la loi nouvelle sur les contrats, indiquant simplement que leur exécution régulière devient impossible, contrairement à votre rapporteur public qui évoquait leur caducité, qualification reprise par la majorité de la doctrine. La caducité se distinguerait de la résiliation en ce qu'elle ne résulte pas d'une décision de la personne publique mais du constat que les obligations contractuelles ont été en quelque sorte dissoutes du fait d'un événement extérieur. Il s'agit le plus souvent de la non réalisation d'une condition suspensive. Nous ne sommes persuadés ni que cette notion puisse rendre compte de la totalité des hypothèses d'impossibilité de poursuivre régulièrement l'exécution d'un contrat du fait de l'application immédiate d'une loi nouvelle ni qu'il soit véritablement utile d'y recourir. Même si la rupture des relations contractuelles est imposée par l'application immédiate d'une loi nouvelle, il nous semble que la personne publique doit toujours prendre la décision de l'appliquer en mettant fin au contrat. Cette décision, qu'elle soit prise pour ce motif ou pour tout autre, a pour effet la résiliation du contrat; il s'agit donc dans tous les cas d'une décision de résiliation, ce qui n'implique pas nécessairement, puisque tel est l'enjeu principal de la qualification, qu'elle ouvre droit à indemnisation du titulaire par la personne publique cocontractante. Ce droit ne dépend pas de la dénomination de l'acte qui formellement met fin aux relations contractuelles mais de sa cause. Au regard du régime contentieux de la contestation d'un refus de mettre unilatéralement fin au contrat, il n'y a donc pas lieu de réserver un sort particulier, parmi les motifs qui peuvent ou doivent conduire la personne publique à le faire, à l'application immédiate de la loi nouvelle.

Les modifications des circonstances de fait, qui peuvent d'ailleurs parfois être mêlées de droit, susceptibles de rendre l'exécution du contrat contraire à des intérêts généraux, sont plus variées. Votre jurisprudence comporte de nombreux exemples d'intérêts généraux justifiant que la personne publique prononce la résiliation unilatérale du contrat : la pollution d'un captage d'eau potable qui rend excessivement onéreuse la poursuite d'une concession (ce qui constitue un cas de force majeure justifiant sa résiliation : CE, 14 juin 2000, n° 184722 N° Lexbase : A9265AGA, Recueil) ; des modifications dans la répartition du capital social du concessionnaire entraînant des risques de conflit d'intérêts avec le concédant (CE, 31 juillet 1996, n° 126594 [LXB=], Recueil) ; la disparition de la cause du contrat (CE, 27 février 2015, n° 357028 [LXB=], Recueil) ; la volonté d'assurer une meilleure exploitation du service ou du domaine public (CE, 23 mai 2011, n° 328525 N° Lexbase : A5816HS9, aux T.). On peut également imaginer un contrat dont la poursuite de l'exécution apparaîtrait, à la lumière des développements technologiques ou scientifiques, très néfastes pour la santé ou l'environnement.

Nous n'avons cité ces décisions qu'à titre d'illustrations d'intérêts généraux qui, parce qu'ils sont de ceux qui justifient que la personne publique résilie la convention, pourront être invoqués par des tiers si elle refuse de le faire. Mais il est bien évident qu'il ne suffira pas d'invoquer un intérêt général qui aurait permis à la personne publique de résilier le contrat pour que le juge décide de cette résiliation contre la volonté de la personne publique. Il y a entre le contrôle de ce que la personne publique peut faire dans l'intérêt général et de ce qu'elle doit faire pour le même motif une distance importante qui est celle de la marge de manoeuvre que vous laissez à la personne publique dans l'appréciation de l'intérêt général qui guide l'action publique. D'autant que pour décider la résiliation, le juge ne devra pas seulement tenir compte de la raison qui peut la rendre nécessaire ; il devra aussi vérifier qu'elle s'impose immédiatement, c'est-à-dire que la personne publique ne dispose, au regard des impératifs de l'intérêt général, d'aucune possibilité, matérielle et temporelle, de poursuivre l'exécution du contrat.

La résiliation unilatérale du contrat peut enfin également être prononcée à titre de sanction d'une faute commise par le cocontractant dans l'exécution de ses obligations contractuelles. Cette résiliation procède d'un pouvoir de la personne publique qui tient moins à sa nature publique, contrairement au pouvoir de résiliation dans l'intérêt général, qu'à sa qualité de cocontractante. La particularité des contrats administratifs sur ce point ne réside d'ailleurs pas tant dans le fait que la personne publique dispose d'un tel pouvoir de sanction que dans ce qu'elle est en principe (5) la seule à en bénéficier. Dès lors qu'il s'agit d'une mesure intimement liée à l'exécution du contrat, les tiers, qui n'ont pas à s'immiscer dans la conduite des relations contractuelles et qui ne pouvaient d'ailleurs se prévaloir à l'encontre de l'acte détachable que de moyens de légalité (6), à l'exclusion de toute inexécution contractuelle, ne devraient pas pouvoir invoquer des fautes du cocontractant dans l'exécution du contrat au soutien de la contestation du refus de la personne publique de le résilier. Cette inopérance préservera également la marge de manoeuvre de la personne publique dans la conduite du contrat, qui n'intéresse pas les tiers lorsqu'elle n'affecte pas l'intérêt général.

On ne peut cependant exclure l'hypothèse d'inexécutions d'une gravité ou d'une portée telle qu'elles compromettent l'intérêt général. Mais c'est sous ce prisme que l'inexécution devra être invoquée et qu'il appartiendra au juge saisi par le tiers d'un refus de résiliation de l'appréhender et d'apprécier, toujours compte tenu de la marge d'appréciation dont bénéficie la personne publique sur ce point, si la sauvegarde d'un intérêt général impose la résiliation du contrat. Votre décision n° 401321 du 16 novembre 2016 (N° Lexbase : A3375SIT) en offre une illustration dans le cas inverse d'une résiliation pour faute contestée par le cocontractant, délégataire d'un service public de camping, auquel étaient reprochées de nombreuses défaillances, notamment en matière de sécurité, d'entretien et de nettoyage, de collecte de la taxe de séjour, de réalisation des investissements, etc. : vous avez jugé que, "si la société requérante soutient que les fautes commises n'auraient pas atteint un degré de gravité tel qu'il justifiât une résiliation à ses torts exclusifs, une reprise des relations contractuelles à titre provisoire serait, en tout état de cause, dans les circonstances de l'espèce, de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général".


(1) Voir, pour une application postérieure : CE, 30 juin 2016, n° 393805 (N° Lexbase : A9991RUL), aux T.
(2) Contrairement aux actes antérieurs à la conclusion du contrat qui étaient également détachables pour les parties au contrat (CE, 11 décembre 1903, Commune de Gorre, p. 770).
(3) Abandonnant le principe de l'irrecevabilité d'un tel recours : CE, 6 mai 1955, Société des grands travaux de Marseille, AJDA 1955, II, p. 327.
(4) Depuis que l'article 10 du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016, portant modification du Code de justice administrative (N° Lexbase : L9758LAN), a supprimé l'exception à cette règle en matière de travaux publics (CJA, art. R. 421-1 N° Lexbase : L9936LAA).
(5) Nous réservons le cas particulier de la jurisprudence CE, 8 octobre 2014, n° 370644 (N° Lexbase : A0011MY3), Recueil.
(6) Jurisprudence constante : CE, 10 mai 1901, Aubert, p. 459 ; CE, 20 octobre 1950, Stein, p. 505 ; CE, 4 juillet 1962, Untersinger, p. 445 ; CE Sect., 11 février 1977, n° 97781 (N° Lexbase : A7804B78), p. 85.

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Contrats administratifs

[Jurisprudence] Contestation par un tiers d'une décision refusant de mettre fin à l'exécution du contrat : irrecevabilité du recours pour excès de pouvoir - conclusions du Rapporteur public (seconde partie)

Réf. : CE Sect., 30 juin 2017, n° 398445, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A1792WLX)

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N9331BWI

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par Gilles Pellissier, Rapporteur public au Conseil d'Etat

Le 13 Juillet 2017

Dans un arrêt rendu le 30 juin 2017, la Haute juridiction a dit pour droit que, si un tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l'exécution du contrat, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat. Lexbase Hebdo - édition publique vous propose de retrouver les conclusions anonymisées du Rapporteur public, Gilles Pellissier (voir la première partie N° Lexbase : N9330BWH). Ces règles relatives aux vices pouvant être utilement invoqués à l'appui de la contestation du refus de résiliation doivent s'imposer à tous les requérants, puisqu'elles sont fondées sur l'objet du recours.

En revanche, la règle, posée pour le recours en contestation de la validité du contrat, selon laquelle le requérant ne peut utilement invoquer, outre les moyens d'ordre public, que des moyens en rapport avec son intérêt lésé, ne s'applique pas au représentant de l'Etat ni aux membres des assemblées délibérantes. Nous nous sommes demandé si, compte tenu du nombre relativement limité de moyens opérants, dont une partie est au demeurant d'ordre public, il était vraiment nécessaire d'importer ici cette exigence. Mais même si la précaution apparaît un peu excessive, elle participe d'un équilibre entre légalité et stabilité contractuelle qui s'impose avec au moins la même force au stade de l'exécution du contrat qu'à celui de sa conclusion.

L'office du juge du plein contentieux saisi du recours tendant à la résiliation du contrat sera plus simple que lorsqu'il est saisi d'un recours en contestation de la validité du contrat car il ne devra se prononcer que sur la cessation de l'exécution du contrat, objet des conclusions qui lui sont présentées. Son office dépend du motif retenu pour justifier de mettre fin aux relations contractuelles. Nous avons vu que ces motifs peuvent être tirés soit d'une irrégularité d'ordre public du contrat, soit de changements de circonstances de droit rendant irrégulière la poursuite de son exécution, soit d'un intérêt général rendant nécessaire sa résiliation.

Dans le premier cas, son office est identique à celui du juge saisi d'un recours en contestation de la validité du contrat qui constate qu'il est entaché d'une irrégularité. Il devra tout d'abord vérifier si elle est régularisable, ce qui est par exemple le cas d'un contrat conclu sans que l'assemblée délibérante l'ait approuvé, expressément ni implicitement. Vous admettez en effet qu'elle puisse le faire à tout moment de l'exécution du contrat (CE, 8 juin 2011, n° 327515 N° Lexbase : A5427HT8, au Recueil ; CE, 10 avril 2015, n° 370223 N° Lexbase : A5030NGE, aux tables du Recueil). Il pourra alors inviter la personne publique à procéder à cette régularisation dans un délai déterminé.

Si l'irrégularité n'est pas régularisable ou ne l'a pas été, il devra alors en principe prononcer la résiliation du contrat, éventuellement avec effet différé, à moins qu'il estime qu'un intérêt général y fait obstacle. Il ressort en effet tant de vos décisions relatives à l'office du juge de l'exécution de l'annulation de l'acte détachable (CE, 21 février 2011, n° 337349, précitée ; CE, 29 décembre 2014, n° 372477 N° Lexbase : A8334M88, Recueil) que de votre décision "Départementt de Tarn-et-Garonne" que, même en présence d'une irrégularité d'ordre public du contrat, qui entraîne en principe son annulation, le juge peut ne pas la prononcer s'il estime que sa décision portera une atteinte excessive à l'intérêt général. Vous avez repris cette réserve dans l'énoncé de l'office du juge saisi de conclusions en reprise des relations contractuelles d'un contrat entaché d'une telle irrégularité (CE, 1er octobre 2013, précitée). S'il peut au premier abord paraître paradoxal que le juge du contrat puisse prendre une décision conduisant au maintien d'un contrat qu'il devrait écarter s'il était saisi par les parties d'un litige relatif à son exécution (CE Ass., 28 décembre 2009, précitée), on peut le comprendre dans la mesure où les contentieux n'ont pas le même objet : poursuivre l'exécution matérielle d'un contrat pour assurer la continuité du service public n'implique pas nécessairement d'en faire application pour déterminer les droits et obligations des parties.

Dans le deuxième cas, celui de l'intervention de circonstances de droit rendant irrégulière la poursuite de l'exécution du contrat, il n'y a a priori pas matière à régularisation. On voit également mal quel intérêt général pourrait faire échec à l'application d'une loi qui commande la cessation d'une relation contractuelle. Si, dans un cas particulier, il apparaît nécessaire de laisser à la personne publique un délai pour s'y préparer, il semble plus adapté de différer le moment de la résiliation prononcée.

Dans le troisième cas, qui devrait être le plus fréquent, si l'on peut dire, la place de l'intérêt général est toute autre. Elle est la justification de la résiliation et non plus de ce qui pourrait éventuellement s'y opposer. La décision de prononcer la résiliation du contrat pour un motif d'intérêt général résultera d'une mise en balance des avantages et les inconvénients d'une telle mesure au regard des différents intérêts, publics comme privés, en présence, qui intègre les considérations qui, dans le premier cas, seraient de nature à justifier la poursuite du contrat malgré l'irrégularité grave dont il est entaché.

Plus efficace, mieux adaptée, cette voie de recours n'en demeurera pas moins aussi étroite que celle de l'acte détachable et ne sera probablement guère plus utilisée qu'elle. D'une part, les tiers susceptibles de remplir les conditions de recevabilité et d'opérance des moyens sont essentiellement ceux porteurs d'intérêts généraux, tels que, outre ceux dont l'intérêt est toujours reconnu, les usagers du service public, les contribuables locaux, les associations. En revanche, pour certaines catégories de tiers qui pouvaient faire valoir des intérêts particuliers à l'encontre de la conclusion du contrat, tels que les candidats évincés, la voie sera beaucoup plus étroite : non seulement ils devront démontrer un intérêt suffisamment direct et certain à obtenir la résiliation du contrat, qui ne pourra pas toujours être tiré d'une remise en concurrence, notamment lorsque la personne publique peut recourir à d'autres modalités de satisfaction de ses besoins, mais encore et surtout les vices en rapport avec leur intérêt, qui sont essentiellement liés à la passation du contrat, ne seront plus opérants à l'encontre du refus de le résilier.

D'autre part, les décisions de résiliation juridictionnelles devraient être exceptionnelles, car les situations qui peuvent y conduire le sont : les irrégularités d'ordre public sont heureusement rares; les changements de circonstances de droit immédiatement applicables aux contrats en cours également; enfin, comme nous l'avons dit, l'atteinte à un intérêt général devra être à la fois particulièrement manifeste et impérieux pour imposer la rupture d'un contrat légalement conclu contre la volonté des parties.

Telle est donc l'évolution jurisprudentielle à laquelle nous vous proposons de procéder pour les recours des tiers tendant à la résiliation du contrat. Deux questions doivent encore être abordées, concernant son périmètre et son application dans le temps.

La question de son périmètre se pose compte tenu de la formulation de principe de la décision "SA LIC", qui, si le recours portait sur un refus de résiliation, visait plus largement "tous les actes qui, bien qu'ayant trait soit à la passation soit à l'exécution du contrat, peuvent néanmoins être regardés comme des actes détachables dudit contrat". Nous nous sommes donc demandé si vous deviez saisir l'occasion de la présente affaire pour traiter de l'ensemble des recours relatifs aux actes postérieurs à la conclusion du contrat actuellement susceptibles de recours pour excès de pouvoir de la part des tiers. A la réflexion, nous ne le pensons pas, car le contentieux de ces actes soulève des questions très différentes de celles que nous avons abordées.

Précisons tout d'abord que les actes dont le régime contentieux pourrait ainsi évoluer ne sont en réalité que ceux portant résiliation du contrat, dont vous avez jugé, par votre décision d'Assemblée du 2 février 1987 précitée, qu'ils étaient pour les tiers détachables de l'exécution du contrat et pouvaient faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.

Les mesures d'exécution du contrat proprement dites -telles que les ordres de service, les sanctions, les actes relatifs à la réception- ne sont pas susceptibles de recours, ni pour les parties, qui ne peuvent que demander l'indemnisation des préjudices qu'elles leur causent éventuellement (CE Sect., 24 novembre 1972, n° 84054 N° Lexbase : A6867B8T, Rec., p. 753), ni pour les tiers (CE Sect., 14 février 1930, Cie de chemin de fer de la Turbie, p. 183 : mesure à objet purement financier ; CE, 19 mars 1997, n° 148483 N° Lexbase : A8868ADS, p. 106) (1). La question de leur régime contentieux n'est donc pas celle d'un abandon d'une théorie de la détachabilité qui ne leur a jamais été applicable que celle d'une évolution vers leur justiciabilité, que vous avez jusqu'à présent toujours très nettement exclue.

A l'opposé de ces actes trop intimement liés à l'exécution du contrat pour en être détachables figurent les mesures prises pour l'exécution des clauses réglementaires du contrat, qui, comme ces dernières, sont extérieures à la sphère contractuelle. Vous avez depuis longtemps reconnu aux tiers la possibilité de les contester par la voie du recours pour excès de pouvoir (CE, 21 décembre 1906, n° 19167 N° Lexbase : A4810B8N, p. 962 ; CE, 13 octobre 1978, n° 5145 N° Lexbase : A4313AIL, p. 375 ; CE, 3 février 2012, n° 353250 N° Lexbase : A6898IB4). De même que les clauses réglementaires, les décisions relatives à leur exécution doivent rester justiciables du recours pour excès.

Peuvent également être assimilées à des mesures réglementaires d'exécution du contrat les actes administratifs de portée générale pris par une autre autorité administrative, nécessaires à l'exécution d'un contrat, telle que la fixation par le préfet des emplacements de mobilier urbain, que vous avez qualifiés de détachables de la convention passée par la commune pour leur installation (CE Sect., 9 décembre 1983, n° 30665 N° Lexbase : A0842AM7, p. 499, concl. Genevois).

Enfin, les modifications du contrat ne présentent aucune particularité contentieuse : les modifications unilatérales constituent des mesures d'exécution du contrat qui, en l'état actuel de la jurisprudence, ne sont susceptibles d'aucun recours, ni des tiers, ni des parties. Les modifications conventionnelles, les avenants, en règle générale de plus grande portée, peuvent être contestés par la voie du recours en contestation de la validité du contrat.

La tentation de traiter complètement les actes détachables relatifs à l'exécution du contrat ne concerne donc que les décisions de résiliation du contrat. Elle est d'autant plus grande que la question semble à première vue symétrique de celle du refus de résiliation que vous allez régler et que la voie contentieuse vers laquelle serait redirigé ce recours existe déjà pour les parties, le recours en reprise des relations contractuelles institué par votre décision de Section de 2011 n° 304806 précitée. Les tiers pourraient ainsi saisir le juge du contrat de conclusions tendant soit à la rupture des relations contractuelles, soit à leur maintien.

Mais cette symétrie n'est qu'apparente. Sans entrer dans le détail des arguments développés tant par votre commissaire du gouvernement dans ses conclusions contraires sur la décision du 2 février 1987 que par un certain nombre de commentateurs critiques de cette jurisprudence, nous pouvons simplement souligner que la décision de résilier un contrat est à la fois plus dépendante des relations contractuelles et plus étrangère aux intérêts des tiers que le refus de le résilier. Sur le premier point, il reste, comme l'indiquait Marc Fornacciari dans ses conclusions, "très difficilement admissible qu'un juge puisse être amené, à la demande d'un tiers, à annuler une résiliation, donc à faire revivre un contrat, non seulement contre la volonté de l'administration, mais encore, éventuellement, contre la volonté du cocontractant". Sur le second, autant on perçoit bien que la poursuite de l'exécution d'un contrat administratif soit contraire à certains intérêts généraux et que des tiers puissent agir en justice pour les faire prévaloir contre la volonté de l'administration, autant on voit moins quels intérêts généraux peuvent imposer la poursuite d'une relation contractuelle particulière. Les tiers pourront toujours contester au nom de ces intérêts les nouvelles modalités de gestion du service. Le coût très important de la résiliation de certains contrats de l'Etat, dont une actualité encore assez récente offre une illustration, ne suffira pas à donner un intérêt pour agir suffisant à des contribuables nationaux. Quant aux intérêts particuliers que certains tiers, tels que des sous-traitants, pourraient faire valoir pour obtenir la poursuite d'une relation contractuelle, il s'agit d'intérêts économiques invocables dans la cadre d'un recours indemnitaire et dont nous avons quelque difficulté à admettre qu'ils puissent prévaloir sur la volonté des parties au contrat de rompre leurs relations. Quoi qu'il en soit, ce bref aperçu des questions que pose le recours des tiers contre une décision de résiliation montre qu'il relève d'une problématique très différente de celle du refus de résiliation qui justifierait que l'on s'interroge sur le principe même d'un tel recours avant de le pérenniser en l'intégrant dans la nouvelle architecture des recours contractuels.

La dernière question d'ordre général à laquelle vous devrez répondre est celle de l'application dans le temps du nouveau régime contentieux des recours des tiers tendant à la cessation de l'exécution du contrat.

Si vous nous suivez pour adopter les règles que nous avons exposées, ce nouveau régime contentieux se distinguera du précédent sur deux plans. D'une part, il se traduira par un nouvel office du juge : le recours est porté devant un juge du plein contentieux et il tend au prononcé de la rupture des relations contractuelles, ce qui emporte des conséquences sur les moyens pouvant être utilement soulevés. D'autre part, il comportera de nouvelles conditions de recevabilité, particulièrement en ce qui concerne l'appréciation de l'intérêt pour agir.

Ces deux innovations n'ont pas la même portée quant à la détermination de leur application dans le temps. Selon une jurisprudence constante dont vos décisions n°s 376113 (N° Lexbase : A4326MRN) et 376760 (N° Lexbase : A4327MRP) du 18 juin 2014 offrent une parfaite illustration, les règles nouvelles qui gouvernent l'activité des juges, leurs compétences et leurs pouvoirs, en un mot leur office, sont d'application immédiate aux instances en cours (CE, 7 avril 1995, n° 95153 N° Lexbase : A3277ANP, Recueil, à propos du pouvoir d'injonction) tandis que celles qui affectent la substance du droit au recours et les conditions de son exercice ne s'appliquent qu'aux recours formés après leur entrée en vigueur (CE Sect., 13 novembre 1959, Secrétaire d'Etat à la reconstruction et au logement c/ Sieur Bacqué, p. 593 ; "SCI Mounou" précitée à propos de règles plus strictes d'appréciation de l'intérêt pour agir) (2).

Au regard de ces principes, se sont surtout les nouvelles modalités d'appréciation de l'intérêt pour agir des tiers contre les décisions portant refus de résiliation qui pourraient justifier de différer leur application. En effet, les autres caractéristiques de ce nouveau recours relèvent de l'office du juge, y compris les règles d'opérance des moyens.

Or ces nouvelles modalités d'appréciation de l'intérêt pour agir ne nous paraissent pas d'une importance telle que leur application immédiate porterait une atteinte à la substance du droit au recours.

Tout d'abord, nous observons que votre maniement des principes régissant l'application dans le temps des règles de procédure n'est pas uniforme : vous avez moins de mal à écarter l'application immédiate d'une loi qui n'a pas prévu de mesures transitoires qu'à déroger à l'effet normal de l'application rétroactive de la règle jurisprudentielle (CE, 7 octobre 2009, n° 309499 N° Lexbase : A8618ELR, T. p. 738). Les décisions que nous avons citées concernent des évolutions législatives ; en revanche, les évolutions jurisprudentielles du contentieux contractuel de ces dix dernières années ont été soit appliquées immédiatement aux litiges en cours, alors même qu'elles se traduisaient pour certaine catégories de requérants par des limitations des possibilités qu'ils avaient d'obtenir ce qu'ils demandaient (cas de l'action en reprise des relations contractuelles pour certains cocontractants), soit différées pour d'autres motifs que l'atteinte portée au droit au recours, dont vous avez au contraire expressément jugé qu'elle ne s'opposait pas à une application immédiate. Ainsi, votre décision "Département de Tarn-et-Garonne", comme avant elle la décision "Tropic Travaux Signalisation" (CE, 16 juillet 2007, n° 291545 [LXB= A4715DXW]), précise-t-elle "qu'il appartient en principe au juge d'appliquer les règles définies ci-dessus qui, prises dans leur ensemble, n'apportent pas de limitation au droit fondamental qu'est le droit au recours", un différé d'application étant néanmoins décidé pour garantir la sécurité juridique des relations contractuelles en cours.

Votre décision d'Assemblée n° 387763 du 13 juillet 2016 ( N° Lexbase : A2114RXL), va encore plus loin puisque vous avez décidé d'opposer aux requérants dans les instances en cours le nouveau délai général de recours contre les décisions administratives individuelles que vous veniez d'instituer. Mais nous hésitons à faire de cette décision, sur ce point, une référence, tant elle était tributaire de la portée de la règle nouvelle, de sa finalité et de votre volonté d'éviter des effets d'aubaine.

L'application aux instances en cours des nouvelles modalités d'appréciation de l'intérêt pour agir que nous vous proposons d'adopter sera ensuite d'une portée limitée, en raison tant de leur contenu que des litiges auxquelles elles pourraient s'appliquer. Sur le premier point, il ne s'agit que de renforcer une exigence d'intérêt pour agir qui correspond à une tendance générale de votre jurisprudence. Elle peut être regardée comme compensée par l'ouverture d'un recours de plein contentieux, plus simple et efficace.

Sur le second point, le peu de litiges concernés par une application immédiate des règles de recevabilité d'un recours dont le nombre se compte, depuis un demi-siècle, sur les doigts d'une main, ne justifie pas davantage de déroger au principe de l'effet rétroactif de la règle jurisprudentielle.

Si vous nous suivez, vous ferez donc application de ces règles pour répondre au premier moyen du pourvoi du syndicat requérant qui critique l'appréciation portée par la Cour sur l'intérêt pour agir des sociétés exploitant le tunnel sous la Manche à l'encontre du refus qu'il leur a opposé de résilier la convention par laquelle il avait délégué l'exploitation de la liaison maritime Dieppe-Newhaven à la société B. Les parties n'en seront pas surprises puisque vous les en avaient informé et qu'elles ont pu en débattre.

La Cour a estimé que leur intérêt commercial, "compte tenu de la situation de concurrence existant entre la liaison transmanche objet de la convention en litige et l'exploitation du tunnel sous la Manche" leur donnait qualité pour agir et qu'elles étaient "en outre à l'origine de la décision de refus dont elles demandent l'annulation".

Ce second motif est entaché d'erreur de droit, le destinataire d'une décision de refus n'ayant intérêt à l'attaquer que s'il avait un intérêt suffisant à obtenir ce qu'il demandait (CE, 23 décembre 1987, n° 66624 N° Lexbase : A4012APB, aux T. sur ce point ; CE, 4 février 2011, n° 331151 N° Lexbase : A2631GRU, aux T.). Mais il est surabondant et d'ailleurs non critiqué.

Le premier est en revanche contesté, à raison nous semble t-il, sous l'angle de la qualification juridique des faits, que vous contrôlez en cassation (CE, 9 décembre 1996, n° 155477 N° Lexbase : A2248APX, Rec. p. 479 ; CE, 30 juillet 1997, n°157313 N° Lexbase : A0814AEU, T. p. 1041). En effet, l'intérêt dont se prévalent les sociétés exploitant le tunnel sous la Manche ne nous paraît pas susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine par la poursuite de l'exécution de la convention de délégation dont elles demandent la résiliation.

Cet intérêt est uniquement celui de la concurrence qui existerait entre ces deux moyens de relier le nord de la France au sud du Royaume-Uni.

L'intérêt à empêcher le développement d'une activité concurrente n'est pas exclu par principe : vous l'avez admis pour juger recevable le recours pour excès de pouvoir formé par un tiers contre le refus de résilier une convention d'aménagement destinée à permettre l'installation d'un concurrent (CE, 8 décembre 2004, précitée) ou contre une délibération accordant une aide publique indirecte à un commerçant concurrent (CE, 9 mai 2005, n° 258975 N° Lexbase : A2118DIB). La condition tenant au caractère direct de l'intérêt implique toutefois qu'il soit en rapport avec l'objet de l'acte attaqué, afin d'éviter toute instrumentalisation du recours en excès de pouvoir : ainsi, le commerçant voisin d'une autorisation d'urbanisme accordée à un autre commerçant ne pourra se contenter de se prévaloir pour en demander l'annulation de la concurrence qui résulterait de la proximité géographique des établissements commerciaux mais devra également indiquer en quoi les caractéristiques particulières de la construction envisagée sont de nature à affecter par elles-mêmes les conditions d'exploitation de son commerce (CE, 22 février 2002, n° 216088 N° Lexbase : A1696AYH, aux T. ; BJDU 2003, p. 50, concl. Piveteau).

Au cas d'espèce, il existe certainement une situation de concurrence potentielle entre les différents modes de transport pour traverser La Manche (3). Mais la concurrence que représente pour les sociétés exploitant le tunnel sous La Manche la liaison maritime transmanche déléguée par le syndicat requérant ne nous paraît pas d'une importance telle qu'elle soit susceptible de léser leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine.

Tout d'abord, compte tenu de leurs caractéristiques, ces deux liaisons ne nous semblent pas être en concurrence directe : elles ont lieu à près de 200 kilomètres de distance ; les modes de transport sont différents ; la fréquence, seuls deux navires effectuant la traversée maritime, les temps de trajet, quatre heures par la mer, 35 minutes par le train, et les coûts également. La majorité des clients de la liaison maritime sont des habitants de la région, alors que la ligne ferroviaire relie notamment directement des capitales européennes et assure un fret routier européen.

Ensuite, c'est jusqu'à présent, et il n'y a aucune raison que cela change, le tunnel sous La Manche qui a fait concurrence aux liaisons maritimes, au point de les faire pratiquement disparaître, et non l'inverse. Les sociétés demanderesses de première instance n'apportent d'ailleurs aucun élément de nature à établir que durant les quatre années d'exécution du contrat dont elles demandent la résiliation, il aurait eu le moindre impact sur la fréquentation du service qu'elles exploitent.

Nous pensons donc que l'intérêt commercial dont se prévalent les sociétés exploitant le tunnel sous La Manche n'est pas directement susceptible d'être lésé par la poursuite de l'exécution du contrat. Nous serions arrivés à la même conclusion pour apprécier leur intérêt pour agir dans le cadre antérieur du recours pour excès de pouvoir, alors même qu'elle y est en principe moins rigoureuse.

Nous vous proposons donc d'annuler l'arrêt attaqué et, réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel formé par les sociétés C et D, non pas au fond comme l'a fait le tribunal, mais, ce qui sera beaucoup plus rapide, en raison de leur absence d'intérêt pour agir.

Ajoutons pour parfaire l'illustration du nouveau régime de ce recours que les moyens soulevés par les sociétés demanderesses, tous tirés d'irrégularités de la procédure de passation de la convention initiales, sont doublement inopérants : d'une part, ces moyens sont sans rapport avec l'intérêt dont elles se prévalent, qui n'est pas concerné par le respect des règles de transparence et de mise en concurrence. D'autre part, ces irrégularités, qui ne sont pas d'une gravité telle que le juge doive les relever d'office, ne peuvent être utilement invoquées à l'appui de conclusions tendant à la résiliation du contrat.

Vous pourrez enfin mettre à la charge des sociétés C et D le versement d'une somme de 1 500 euros chacune au SMPAT au titre des frais exposés.


(1) Voir également : CE, 28 juin 1957, Cie générale pour l'éclairage et le chauffage, AJDA, 1957, II, 372 ; CE, 11 octobre 1961, Cne de Laruns, p. 561 ; CE, 10 juillet 1964, Sté union économique continentale, p. 398 : sanction ; CE, 29 mai 1987, n° 46603 (N° Lexbase : A4949APY) : réception des travaux.
(2) CE, 11 juillet 2008, n° 313386 (N° Lexbase : A6139D9A), aux Tables : appréciation de la qualité pour agir des requérants ; CE, 11 mars 1964, Sieur Coillot et Dlle Desmarescaux, p. 176 ; CE Sect., 10 février 1995, n° 129168 (N° Lexbase : A2515ANH), concl. Savoie : ouverture d'une nouvelle voie de recours ; CE, 11 juin 2003, n° 246456 (N° Lexbase : A8714C8A), aux T. : suppression d'une voie de recours ; CE, 27 mars 2000, n° 196836 (N° Lexbase : A3884AUE), Recueil : délai de recours.
(3) La Commission européenne et l'Autorité de la concurrence l'ont relevé dans des décisions (voir notamment la décision de l'Autorité de la concurrence n° 12-DCC-154 du 7 novembre 2012, relative à la prise de contrôle exclusif d'actifs de la société SeaFrance par la société Groupe Eurotunnel (N° Lexbase : X9976AL3), dont se prévalent les sociétés demanderesses mais qui ne concernent pas la liaison maritime Dieppe-Newhaven.

newsid:459331

Droit des étrangers

[Brèves] Extradition : la nouvelle jurisprudence de la CEDH ne s'analyse pas comme un "fait nouveau"

Réf. : CEDH, 15 juin 2017, Req. 71537/14 (N° Lexbase : A7944WLS)

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N9342BWW

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par Marie Le Guerroué

Le 13 Juillet 2017

Le développement de sa jurisprudence, sur le terrain de l'article 3 de la CESDH (N° Lexbase : L4764AQI) en matière de peine de perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle, par la CEDH, notamment, par les arrêts "Vinter" (CEDH, 9 juillet 2013, Req. 66069/09 N° Lexbase : A5379KI3) et "Trabelsi" (CEDH, 4 septembre 2014, Req. 140/10 N° Lexbase : A9595MUW), ne s'analyse pas en un "fait nouveau". Selon la Cour, en conclure autrement aurait porté atteinte au principe de la sécurité juridique et nuit à la crédibilité et à l'autorité de ses arrêts. Ainsi statue la CEDH dans un arrêt du 15 juin 2017 (CEDH, 15 juin 2017, Req. 71537/14 N° Lexbase : A7944WLS).

En l'espèce, en 2012, dans l'arrêt "Harkins et Edwards" (CEDH, 17 janvier 2012, n° 9146/07 et 32650/07 disponible en anglais), la Cour avait conclu que l'extradition de M. H., ressortissant britannique devant être extradé vers les Etats-Unis afin qu'il y soit jugé pour meurtre, n'emporterait pas violation de l'article 3 de la CESDH. A la suite des arrêts rendus par la CEDH dans les affaires "Vinter" et "Trabelsi", M. H. avait soutenu devant les juridictions nationales britanniques que les développements de la jurisprudence de la Cour sur le terrain de l'article 3 en matière de peine de perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle appelaient la réouverture du procès. Les juridictions britanniques y avaient opposé un refus. Devant la Cour, M. H. soutient, une nouvelle fois, en s'appuyant sur la jurisprudence récente de la Cour, que son extradition serait contraire à ses droits découlant de l'article 3.

La Cour rend la solution susvisée, constate que les griefs soulevés par M. H. sur le terrain de l'article 3 sont essentiellement les mêmes que ceux présentés dans sa requête antérieure et déclare irrecevable les griefs formulés par M. H. (cf. l’Ouvrage "Droit des étrangers" N° Lexbase : E5923EYZ et "Procédure pénale" N° Lexbase : E0771E9G).

newsid:459342

Filiation

[Brèves] GPA réalisée à l'étranger : transcription sur les registres de l'état civil français de l'acte de naissance, en ce qu'il désigne le père d'intention (oui), en ce qu'il désigne la mère d'intention (non)

Réf. : Cass. civ. 1, 5 juillet 2017, n° 15-28.597 (N° Lexbase : A7470WLA), n° 16-16.901 (N° Lexbase : A7473WLD), n° 16-16.455 (N° Lexbase : A7471WLB) et n° 16-16.495 (N° Lexbase : A7472WLC), FS-P+B+R+I

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N9299BWC

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 13 Juillet 2017

En cas de GPA réalisée à l'étranger, l'acte de naissance peut être transcrit sur les registres de l'état civil français en ce qu'il désigne le père, mais pas en ce qu'il désigne la mère d'intention, qui n'a pas accouché. Tel est l'un des enseignements délivrés par la première chambre civile de la Cour de cassation, à travers une série de quatre arrêts rendus le 5 juillet 2017 (Cass. civ. 1, 5 juillet 2017, n° 15-28.597 N° Lexbase : A7470WLA, n° 16-16.901 N° Lexbase : A7473WLD, n° 16-16.455 N° Lexbase : A7471WLB et n° 16-16.495 N° Lexbase : A7472WLC, FS-P+B+R+I).

Ainsi qu'elle le précise dans son communiqué relatif à ces différents arrêts, deux situations étaient soumises à l'examen de la Cour de cassation.

Dans la première situation (affaires n° 15-28.597 et n° 16-16.901), conformément à la loi du pays étranger, l'acte de naissance de l'enfant mentionne comme père et mère l'homme et la femme ayant eu recours à la GPA. La paternité de l'homme n'est pas contestée, mais la femme n'est pas celle qui a accouché. La question se pose alors de savoir si le couple peut obtenir la transcription à l'état civil français de l'acte de naissance établi à l'étranger alors que la femme qui s'y trouve désignée comme mère n'a pas accouché de l'enfant. La réponse est claire : l'acte de naissance étranger d'un enfant né d'une GPA peut être transcrit partiellement à l'état civil français, en ce qu'il désigne le père, mais pas en ce qu'il désigne la mère d'intention. L'article 47 du Code civil (N° Lexbase : L1215HWW) ne permet de transcrire à l'état civil français que ceux des actes étrangers dont les énonciations sont conformes à la réalité : il est donc impossible de transcrire un acte faisant mention d'une mère qui n'est pas la femme ayant accouché. En revanche, la désignation du père doit être transcrite si l'acte étranger n'est pas falsifié et la réalité biologique de la paternité n'est pas contestée. Au regard du droit au respect de la vie privée et familiale des enfants garanti par l'article 8 CESDH (N° Lexbase : L4798AQR), la Cour de cassation rappelle que : la prohibition de la GPA par la loi française poursuit un but légitime de protection des enfants et des mères porteuses ; la transcription partielle ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l'enfant, dès lors que les autorités françaises n'empêchent pas ce dernier de vivre en famille, qu'un certificat de nationalité française lui est délivré et qu'il existe une possibilité d'adoption par l'épouse ou l'époux du père.

La seconde situation (n° 16-16.455) qui lui était soumise était celle où le père biologique reconnaît l'enfant puis se marie à un homme. La question était alors de savoir si le recours à la GPA fait obstacle à ce que l'époux du père demande l'adoption simple de l'enfant. La réponse est négative, selon la Haute juridiction (pour plus de détails, lire N° Lexbase : N9300BWD) (cf. l’Ouvrage "La filiation" N° Lexbase : E4415EY8).

newsid:459299

Fiscalité des particuliers

[Brèves] Exclusion de certaines plus-values mobilières de l'abattement pour durée de détention

Réf. : Cons. const., 7 juillet 2017, n° 2017-642 QPC (N° Lexbase : A7927WL8)

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N9318BWZ

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par Jules Bellaiche

Le 13 Juillet 2017

Les dispositions combinées des trois premiers alinéas du 1 ter de l'article 150-0 D du CGI (N° Lexbase : L3043LCP) et du IV de l'article 150-0 D ter du même code (N° Lexbase : L3819KWD), qui ne sont pas couvertes par la réserve d'interprétation prononcée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-538 QPC du 22 avril 2016 (N° Lexbase : A7198RKS), sont conformes à la Constitution sous deux réserves. Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans une décision rendue le 7 juillet 2017 (Cons. const., 7 juillet 2017, n° 2017-642 QPC N° Lexbase : A7927WL8).
En l'espèce, le requérant soutient, en premier lieu, que ces dispositions privent de l'abattement pour durée de détention les dirigeants de PME ayant réalisé une plus-value de cession avant le 1er janvier 2013, lorsque cette plus-value est, postérieurement à cette date, rendue imposable à l'IR du fait de la remise en cause de l'abattement spécifique prévu à l'article 150-0 D ter. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée par rapport aux dirigeants des mêmes entreprises ayant réalisé une plus-value après le 1er janvier 2013. En deuxième lieu, ces dispositions contreviendraient au principe d'égalité devant les charges publiques dès lors que l'absence de prise en compte de la durée de détention des titres aboutirait à méconnaître les facultés contributives des redevables. En dernier lieu, ces dispositions seraient contraires à la garantie des droits en ce qu'elles porteraient atteinte aux situations légalement acquises ou remettraient en cause les effets qui peuvent légitimement en être attendus.
Pour les Sages, les plus-values mobilières réalisées avant le 1er janvier 2013, y compris celles imposables à l'IR postérieurement à cette date, sont exclues du bénéfice de l'abattement prévu au 1 ter de l'article 150-0 D. Cette différence de traitement, qui repose sur une différence de situation, est donc en rapport avec l'objet de loi.
Egalement, pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans la décision du 22 avril 2016, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître l'égalité devant les charges publiques, priver une telle plus-value réalisée avant le 1er janvier 2013, qui ne fait l'objet d'aucun abattement sur son montant brut et dont le montant de l'imposition est arrêté selon des règles de taux telles que celles en vigueur à compter du 1er janvier 2013, de l'application à l'assiette ainsi déterminée d'un coefficient d'érosion monétaire pour la période comprise entre l'acquisition des titres et le fait générateur de l'imposition. Sous cette réserve, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté.
Enfin, l'imposition de la plus-value selon les règles applicables l'année de cette remise en cause ne porte atteinte à aucune situation légalement acquise et ne remet pas en cause les effets qui pourraient légitimement être attendus d'une telle situation (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X3739AP8).

newsid:459318

Fiscalité des particuliers

[Brèves] Majoration de 25 % de l'assiette des contributions sociales sur les revenus de capitaux mobiliers particuliers : confirmation de la décision du 10 février 2017

Réf. : Cons. const., 7 juillet 2017, n° 2017-643/650 QPC (N° Lexbase : A7943WLR)

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N9388BWM

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par Jules Bellaiche

Le 14 Juillet 2017

Pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans la décision du 10 février 2017 (Cons. const., 10 février 2017, n° 2016-610 QPC N° Lexbase : A7722TBM), les dispositions contestées, relatives à la majoration de 25 % de l'assiette des contributions sociales sur les revenus de capitaux mobiliers particuliers, sont conformes à la Constitution. Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans une décision rendue le 7 juillet 2017 (Cons. const., 7 juillet 2017, n° 2017-643/650 QPC N° Lexbase : A7943WLR).
En l'espèce, les requérants contestent l'assujettissement aux contributions sociales, sur une assiette majorée de 25 %, des bénéfices ou revenus mentionnés à l'article 123 bis du CGI (N° Lexbase : L2494LDQ) et des revenus distribués mentionnés à l'article 109 (N° Lexbase : L2060HLU) du même code résultant d'une rectification des résultats de la société distributrice. Selon eux, cette majoration serait contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques. Les QPC portent alors sur le c du paragraphe I de l'article L. 136-6 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L1361LDR), relatif aux revenus de capitaux mobiliers.
Pour la Cour suprême, les dispositions contestées ont pour effet d'assujettir le contribuable à une imposition dont l'assiette inclut des revenus dont il n'a pas disposé. En second lieu, la majoration de l'assiette prévue au 2° du 7 de l'article 158 du CGI (N° Lexbase : L2410LEY) a été instituée en contrepartie de la baisse des taux du barème de l'impôt sur le revenu, concomitante à la suppression et à l'intégration dans ce barème de l'abattement de 20 % dont bénéficiaient certains redevables de cet impôt, afin de maintenir un niveau d'imposition équivalent.
Toutefois, pour l'établissement des contributions sociales, cette majoration de l'assiette des revenus en cause n'est justifiée ni par une telle contrepartie, ni par l'objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, ni par aucun autre motif.
Par conséquent, pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux paragraphes 9 à 12 de la décision du 10 février 2017, les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le principe d'égalité devant les charges publiques, être interprétées comme permettant l'application du coefficient multiplicateur de 1,25 prévu au premier alinéa du 7 de l'article 158 du CGI pour l'établissement des contributions sociales assises sur les bénéfices ou revenus mentionnés au 2° de ce même 7.
Sous cette réserve, le grief tiré de la violation du principe d'égalité devant les charges publiques doit être écarté. Ainsi, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent également ni le principe d'égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X3855ALD).

newsid:459388

Libertés publiques

[Brèves] Validation de l'interdiction de porter une tenue dissimulant le visage dans l'espace public belge

Réf. : CEDH, 11 juillet 2017, Req. 37798/13 (N° Lexbase : A5461WM9) et 4619/12 (N° Lexbase : A5462WMA)

Lecture: 1 min

N9358BWI

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par Yann Le Foll

Le 13 Juillet 2017

L'interdiction de porter une tenue dissimulant le visage dans l'espace public belge n'a pas violé les droits garantis par la Convention. Ainsi statue la CEDH dans deux arrêts rendus le 11 juillet 2017 (CEDH, 11 juillet 2017, Req. 37798/13 N° Lexbase : A5461WM9 et 4619/12 N° Lexbase : A5462WMA, voir pour la France, CEDH, 1er juillet 2014, Req. 43835/11 N° Lexbase : A2696MSN).

Le souci de répondre aux exigences minimales de la vie en société peut être considéré comme un élément de la "protection des droits et libertés d'autrui" et que l'interdiction litigieuse peut être considérée comme justifiée dans son principe dans la seule mesure où elle vise à garantir les conditions du "vivre ensemble". A cet égard, la Cour précise que, grâce à leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, les autorités de l'Etat se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour évaluer les besoins et le contexte locaux. Ainsi, en adoptant les dispositions litigieuses, l'Etat belge a entendu répondre à une pratique qu'il jugeait incompatible, dans la société belge, avec les modalités de communication sociale et plus généralement l'établissement de rapports humains indispensables à la vie en société. Il s'agissait de protéger une modalité d'interaction entre les individus essentielle, pour l'Etat, au fonctionnement d'une société démocratique.

En ce qui concerne la proportionnalité de la restriction, la CEDH relève que la loi belge assortit l'interdiction d'une sanction pénale pouvant aller d'une amende jusqu'à une peine d'emprisonnement, cette dernière ne pouvant être appliquée qu'en cas de récidive et sa mise en oeuvre étant tempérée au niveau de sa mise en oeuvre par l'absence d'automatisme dans son application.

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Procédure civile

[Brèves] Obligation pour le juge d'appliquer des règles d'ordre public issues du droit de l'Union européenne : cas de la responsabilité du fait des produits défectueux

Réf. : Cass. mixte, 7 juillet 2017, n° 15-25.651, P+B+R+I (N° Lexbase : A8305WL8)

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par Aziber Seïd Algadi

Le 13 Juillet 2017

Si le juge n'a pas, sauf règles particulières, l'obligation de changer le fondement juridique des demandes, il est tenu, lorsque les faits dont il est saisi le justifient, de faire application des règles d'ordre public issues du droit de l'Union européenne, telle la responsabilité du fait des produits défectueux, même si le demandeur ne les a pas invoquées. Tel est le principal apport d'un arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation, rendu le 7 juillet 2017 (Cass. mixte, 7 juillet 2017, n° 15-25.651, P+B+R+I N° Lexbase : A8305WL8).

Selon les faits de l'espèce, exposant avoir été intoxiqué par les vapeurs d'un herbicide commercialisé par la société M., lors de l'ouverture d'une cuve de traitement sur un pulvérisateur, M. F., agriculteur, a assigné cette société afin de la voir déclarer responsable de son préjudice. Un jugement, assorti de l'exécution provisoire, a accueilli cette action et ordonné une expertise médicale. Après avoir, dans un premier arrêt du 30 janvier 2014, déclaré irrecevable l'appel-nullité formé par la société M. contre une ordonnance du juge de la mise en état du 11 juillet 2013, ayant rejeté sa demande en désignation d'un sapiteur psychiatre, la cour d'appel a, dans un second arrêt rendu le 10 septembre 2015, confirmé le jugement ayant retenu la responsabilité de cette société. La société M. a formé, le 1er octobre 2015, un pourvoi en cassation contre ces deux arrêts. Pour déclarer la société M. responsable du préjudice subi par M. F., après avoir relevé que celui-ci n'invoquait pas le régime spécial de la responsabilité du fait des produits défectueux, au motif, selon lui, que le produit phytosanitaire incriminé avait été mis en circulation en 1968, année de l'autorisation de mise sur le marché, la cour d'appel a retenu que cette société a failli à son obligation d'information et de renseignement, en omettant de signaler les risques liés à l'inhalation en quantité importante et de préconiser l'emploi d'un appareil de protection respiratoire, notamment pour le nettoyage des cuves.

A tort. En statuant ainsi, souligne la Haute juridiction, alors qu'elle avait relevé la date de mise en circulation de ce produit, qui ne saurait résulter de la seule autorisation de mise sur le marché, pouvait être postérieure à la date d'effet de la Directive 85/374/CEE (N° Lexbase : L9620AUT), et qu'il imputait l'origine de son dommage à l'insuffisance des mentions portées sur l'étiquetage et l'emballage du produit, en sorte qu'elle était tenue d'examiner d'office l'applicabilité au litige de la responsabilité du fait des produits défectueux, la cour d'appel a violé la Directive susvisée, et les articles 1245 (N° Lexbase : L0945KZZ) et suivants, du Code civil, ensemble l'article 12 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1127H4I), ainsi que les principes de primauté et d'effectivité du droit de l'Union européenne (cf. l’Ouvrage "Procédure civile" N° Lexbase : E0690EU4).

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Propriété intellectuelle

[Brèves] Droit des marques : possibilité d'une utilisation par un tiers dans la vie des affaires "conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale"

Réf. : Cass. com., 5 juillet 2017, n° 15-28.114, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7469WL9)

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par Vincent Téchené

Le 13 Juillet 2017

Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire à un tiers l'usage, dans la vie des affaires, d'indications relatives à l'espèce, à la qualité, à la quantité, à la destination, à la valeur, à la provenance géographique, à l'époque de la production du produit ou de la prestation du service ou à d'autres caractéristiques de ceux-ci, pour autant que cet usage soit fait conformément aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. Tel est le sens d'un arrêt rendu le 5 juillet 2017 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 5 juillet 2017, n° 15-28.114, FS-P+B+I N° Lexbase : A7469WL9).
En l'espèce, le titulaire de la marque française "Buckfast" déposée le 8 avril 1981, régulièrement renouvelée depuis et enregistrée pour désigner notamment des produits et services relatifs à l'élevage de reines et d'abeilles, ainsi que des reines, abeilles et plus généralement des animaux vivants, a assigné un apiculteur, en contrefaçon de cette marque. L'arrêt d'appel (CA Nancy, 6 octobre 2015, n° 14/02105 N° Lexbase : A2855NTW, sur renvoi après cassation par Cass. com., 24 juin 2014, n° 13-19.651, F-D N° Lexbase : A1596MSW) accueille l'action en contrefaçon, retenant que l'apiculteur a utilisé le terme "buckfast", ainsi que l'appellation "buck", sans l'autorisation de son titulaire, pour désigner et proposer à la vente des produits identiques à ceux énumérés dans l'enregistrement de marque.
Enonçant la solution précitée, la Cour de cassation censure l'arrêt d'appel, par substitution de motif, au visa de l'article L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle (N° Lexbase : L3744ADZ), tel qu'interprété à la lumière de l'article 6, b) § 1, de la Directive n° 89/104 du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des Etats membres sur les marques (N° Lexbase : L9827AUI).
La Cour retient qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'apiculteur n'avait pas fait un usage honnête d'un signe indispensable à la désignation du produit vendu, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
Elle relève par ailleurs que, selon les constatations des juges du fond, l'apiculteur a fait paraître en 2003 dans des revues spécialisées des annonces mettant en vente des ruches peuplées "Buckfast", ainsi que des essaims et reines sélectionnées issus des élevages "Buck" et qu'à l'époque de ces parutions, les termes "buckfast" et "buck" étaient devenus usuels pour désigner un certain type d'abeilles. Ainsi, pour la Haute juridiction, il en résulte qu'en indiquant, dans le cadre d'une offre de transaction entre spécialistes de l'apiculture, l'espèce des abeilles en question, l'apiculteur a utilisé le signe litigieux en se conformant aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale, en faisant ainsi un usage que le titulaire de la marque n'était pas en droit d'interdire, de sorte que l'action en contrefaçon n'est pas fondée.

newsid:459301

Rupture du contrat de travail

[Brèves] Rupture anticipée du CDD : impossibilité de déroger aux dispositions d'ordre public par une clause d'indivisibilité avec le contrat de travail du conjoint du salarié

Réf. : Cass. soc., 5 juillet 2017, n° 16-17.690, FS-P+B (N° Lexbase : A8278WL8)

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N9404BW9

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par Blanche Chaumet

Le 14 Juillet 2017

Les parties à un CDD ne peuvent déroger aux dispositions d'ordre public de l'article L. 1243-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0887I7Y) en introduisant dans le contrat de travail une clause d'indivisibilité avec celui du conjoint du salarié. Telle est la solution dégagée par la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 5 juillet 2017 (Cass. soc., 5 juillet 2017, n° 16-17.690, FS-P+B N° Lexbase : A8278WL8).

En l'espèce, par contrat de travail à durée déterminée saisonnier du 2 mai 2013, M. X a été engagé par une société en qualité d'employé polyvalent. Le contrat contenait une clause d'indivisibilité aux termes de laquelle le contrat entraînait un rapport d'indivisibilité avec le contrat de Mme Y et que l'engagement des deux conjoints avait pour conséquence d'unir le sort des contrats de travail du couple, au regard notamment et essentiellement de la rupture des engagements respectifs des parties. A la suite de la rupture du contrat de travail intervenue le 6 juin 2013, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

Pour dire que la rupture anticipée du contrat de travail n'est pas imputable à l'employeur et débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts, la cour d'appel retient que force est de constater, en l'espèce, que le contrat de M. X, lié par une clause d'indivisibilité au contrat de son conjoint, a été rompu avant l'échéance du terme du fait de la rupture d'un commun accord du contrat de celle-ci, que le contrat de travail du salarié comporte une clause d'indivisibilité, que l'employeur produit plusieurs attestations concordantes établissant la réalité de l'accord des parties intervenu le 6 juin 2013, à l'initiative de la conjointe du salarié, sur le principe de la rupture anticipée du contrat de celle-ci, que c'est à juste titre que les premiers juges ont constaté au regard de la clause d'indivisibilité, que la rupture anticipée du contrat de travail du salarié n'était pas imputable à l'employeur. A la suite de cette décision, le salarié s'est pourvu en cassation.

En énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel au visa de l'article L. 1243-1 du Code du travail et de l'attendu de principe selon lequel il résulte des dispositions d'ordre public de ce texte, auxquelles le contrat de travail ne peut déroger dans un sens défavorable au salarié, que le CDD ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas d'accord des parties, de faute grave, de force majeure ou d'inaptitude constatée par le médecin du travail (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E7857ESS).

newsid:459404

Transport

[Brèves] Contrôle des frais d'annulation demandés par les compagnies aériennes au regard de leur caractère abusif

Réf. : CJUE, 6 juillet 2017, aff. C-290/16 (N° Lexbase : A7774WLI)

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par Vincent Téchené

Le 13 Juillet 2017

La liberté de tarification reconnue aux transporteurs aériens par le Règlement sur l'exploitation des services aériens (Règlement n° 1008/2008 du 24 septembre 2008 N° Lexbase : L7127IBL), ne s'oppose pas à ce que l'application d'une réglementation nationale transposant la Directive sur les clauses abusives (Directive 93/13 du 5 avril 1993 N° Lexbase : L7468AU7) puisse conduire à déclarer nulle une clause figurant dans des conditions générales de vente et permettant de facturer des frais de traitement forfaitaires distincts aux clients qui ont annulé leur réservation ou qui ne se sont pas présentés à un vol. A cet égard les règles générales protégeant les consommateurs contre les clauses abusives s'appliquent également aux contrats de transport aérien. Tel est le sens d'un arrêt rendu par la CJUE le 6 juillet 2017 (CJUE, 6 juillet 2017, aff. C-290/16 N° Lexbase : A7774WLI).
Par ailleurs, en ce qui concerne la transparence des prix exigée par le Règlement sur l'exploitation des services aériens, la Cour précise que, lors de la publication de leurs tarifs, les transporteurs aériens doivent préciser, de manière séparée, les montants dus par les clients au titre des taxes et des redevances aéroportuaires ainsi que des autres redevances, suppléments et droits et ne peuvent donc inclure ces éléments, même pour partie, dans le tarif des passagers. La Cour constate que le tarif des passagers, les taxes, redevances aéroportuaires et autres redevances, suppléments et droits, composant le prix définitif à payer, doivent toujours être portés à la connaissance du client à hauteur des montants qu'ils représentent dans ce prix définitif. Si les transporteurs aériens avaient le choix entre inclure ces taxes, redevances, suppléments et droits dans le tarif des passagers ou indiquer ces différents éléments de manière séparée, l'objectif d'information et de transparence des prix visé par le règlement ne serait pas atteint.

newsid:459311

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