La lettre juridique n°702 du 15 juin 2017

La lettre juridique - Édition n°702

Assurances

[Brèves] L'application stricte des dispositions relatives à l'interruption de la prescription biennale

Réf. : Cass. civ. 2, 8 juin 2017, n° 16-19.161, F-P+B (N° Lexbase : A4241WHK)

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N8809BW8

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par Anne-Lise Lonné-Clément

Le 15 Juin 2017

L'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception adressée par l'assureur à l'assuré ne peut interrompre la prescription biennale qu'en tant qu'elle concerne le paiement de primes. Telle est la piqûre de rappel opérée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 8 juin 2017, au visa de l'article L. 114-2 du Code des assurances (N° Lexbase : L0076AA3), et dont il ressort qu'une telle lettre ne peut donc pas interrompre la prescription de l'action en paiement de franchises d'assurance, lesquelles sont distinctes des primes d'assurances (Cass. civ. 2, 8 juin 2017, n° 16-19.161, F-P+B N° Lexbase : A4241WHK).

En l'espèce, la société S. avait souscrit un contrat d'assurance auprès de la société M. à effet au 1er janvier 2004, prévoyant le versement d'une cotisation annuelle de 260 228,60 euros ; elle avait résilié ce contrat par lettre recommandée du 19 septembre 2006 pour le 31 décembre 2006 ; l'assureur lui avait ensuite réclamé, par lettres recommandées avec avis de réception, le paiement de cotisations restant dues ainsi que de franchises demeurées impayées puis l'avait assignée, par acte du 13 juin 2013, en paiement de certaines sommes. Pour déclarer recevable l'action de l'assureur, la cour d'appel de Paris avait retenu que l'article L. 114-2 du Code des assurances devait être interprété comme s'appliquant à toutes les actions en paiement dirigées par l'assureur contre l'assuré et dérivant du contrat d'assurance au sens de l'article L. 114-1 de ce code, de sorte que la qualification des sommes dues, cotisations ou franchises, était indifférente pour apprécier la prescription de l'action ; elle en avait déduit que les mises en demeure, notamment des 8 mars 2007, 22 décembre 2008, 18 janvier 2010 et 16 janvier 2012, visant expressément des échéances de cotisations et des franchises avaient valablement interrompu la prescription de l'action en paiement de l'assureur tant pour sa créance de franchises que pour celle de cotisations d'assurance (CA Paris, Pôle 2, 2ème ch., 26 février 2016, n° 14/21071 N° Lexbase : A3015QDZ).

A tort, selon la Cour régulatrice, qui énonce la règle précitée, après avoir rappelé que, selon l'article L. 114-2 précité, l'interruption de la prescription biennale de l'action dérivant du contrat d'assurance peut résulter de l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception adressée par l'assureur à l'assuré en ce qui concerne l'action en paiement de la prime et par l'assuré à l'assureur en ce qui concerne le règlement de l'indemnité.

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Baux commerciaux

[Brèves] Précision sur la création d'un bail commercial à l'issue d'un bail dérogatoire

Réf. : Cass. civ. 3, 8 juin 2017, n° 16-24.045, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6053WGB)

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N8724BWZ

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par Julien Prigent

Le 15 Juin 2017

Quelle que soit la durée du bail dérogatoire ou du maintien dans les lieux, si le preneur reste et est laissé en possession au-delà du terme contractuel, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est régi par les articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce (N° Lexbase : L2327IBS). Tel est l'enseignement d'un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 8 juin 2017 (Cass. civ. 3, 8 juin 2017, n° 16-24.045, FS-P+B+I N° Lexbase : A6053WGB).

En l'espèce, le 14 juin 2010, avait été consenti un bail dérogatoire à une société et une personne physique pour une durée de quatre mois. Après avoir délivré un congé pour le 15 avril 2012, les preneurs avaient libéré les lieux et remis les clés le 21 mai 2012. Le bailleur a assigné les locataires en paiement des loyers et charges échus postérieurement au terme du bail dérogatoire.

Faisant grief aux juges du fond (CA Paris, Pôle 5, 3ème ch., 24 juin 2016, n° 14/11971 N° Lexbase : A1928RUX) d'avoir dit qu'à compter du 14 octobre 2010, il s'était opéré un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux et qu'ils étaient tenus au paiement des loyers jusqu'à l'échéance triennale du 13 octobre 2013, les preneurs se sont pourvus en cassation. Ils soutenaient en effet qu'aux termes de l'article L. 145-5 du Code de commerce (N° Lexbase : L2320IBK), dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 (N° Lexbase : L4967I3D), le statut des baux commerciaux n'étaient susceptibles de régir le contrat de bail que si le preneur était resté et avait été laissé en possession à l'expiration d'un délai de deux ans, suivant la conclusion du premier bail dérogatoire. Toujours selon le preneur, après l'expiration d'un premier bail, mais à l'intérieur d'un délai de deux ans, si le preneur était laissé en possession des lieux, naîtrait un nouveau bail à durée indéterminée, soumis aux seules dispositions du Code civil, auquel les parties pourraient mettre fin à tout moment.

La Cour de cassation, approuvant les juges du fond, rejette cette interprétation. Elle précise que quelle que soit la durée du bail dérogatoire ou du maintien dans les lieux, si le preneur reste et est laissé en possession au-delà du terme contractuel, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est régi par les articles L. 145-1 (N° Lexbase : L2327IBS) et suivants du Code de commerce. Or, les preneurs s'étaient maintenus dans les lieux à l'issue du bail dérogatoire fixée au 13 octobre 2010 : en application de l'article L. 145-5 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 18 juin 2014, un bail soumis au statut des baux commerciaux avait donc pris naissance le 14 octobre 2010 (Cf. l’Ouvrage "baux commerciaux" N° Lexbase : E9206CDC).

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Contrôle fiscal

[Brèves] Conformité à la Constitution de l'amende sanctionnant le défaut de production ou le caractère inexact ou incomplet de l'état de suivi des plus-values en sursis ou report d'imposition

Réf. : Cons. const., 9 juin 2017, n° 2017-636 QPC (N° Lexbase : A7250WGM)

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N8726BW4

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par Jules Bellaiche

Le 15 Juin 2017

L'amende sanctionnant le défaut de production ou le caractère inexact ou incomplet de l'état de suivi des plus-values en sursis ou report d'imposition est conforme à la Constitution. Telle est la solution retenue par le Conseil constitutionnel dans un arrêt rendu le 9 juin 2017 (Cons. const., 9 juin 2017, n° 2017-636 QPC N° Lexbase : A7250WGM).

En l'espèce, selon la société requérante, les dispositions litigieuses (CGI, art. 1763 N° Lexbase : L9546IY9 et 1734 ter N° Lexbase : L4205HMP) méconnaîtraient le principe de proportionnalité des peines, en ce qu'elles prévoient une amende sanctionnant le défaut de production ou le caractère inexact ou incomplet de l'état de suivi des plus-values en sursis ou report d'imposition. Le montant de cette amende serait excessif, dès lors que son taux de 5 % s'appliquerait au montant des sommes omises, sans tenir compte ni du montant de l'impôt dû, ni de l'éventuelle bonne foi du contribuable. Ces dispositions seraient également contraires au principe d'individualisation des peines, faute de toute possibilité de moduler la sanction en fonction du comportement du contribuable ou de la gravité du manquement.

Enfin, la société requérante soutient que ces dispositions seraient contraires au principe d'égalité devant la loi, aux motifs qu'elles pourraient conduire à une amende d'un montant très variable pour une même infraction et qu'elles sanctionneraient indifféremment contribuables de bonne foi et contribuables de mauvaise foi.

Pour les Sages, qui n'ont pas donné raison à la société, en punissant d'une amende égale à 5 % des résultats omis, qui servent de base au calcul de l'impôt exigible ultérieurement, chaque manquement au respect de l'obligation déclarative incombant aux contribuables bénéficiant d'un régime de sursis ou de report d'imposition, le législateur a instauré une sanction dont la nature est liée à celle de l'infraction. Ainsi, même lorsqu'elle s'applique lors de plusieurs exercices, l'amende n'est pas manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu'a entendu réprimer le législateur, compte tenu des difficultés propres au suivi des obligations fiscales en cause.

En outre, l'amende contestée s'applique lors de chaque exercice pour lequel l'état de suivi n'est pas produit ou présente un caractère inexact ou incomplet. Pour chaque sanction prononcée, le juge décide, après avoir exercé son plein contrôle sur les faits invoqués, manquement par manquement, et sur la qualification retenue par l'administration, soit de maintenir l'amende, soit d'en décharger le redevable si le manquement n'est pas établi. Il peut ainsi adapter les pénalités à la gravité des agissements commis par le redevable. Par conséquent, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d'individualisation des peines (cf. le BoFip - Impôts annoté N° Lexbase : X4580AL9).

newsid:458726

Droit des étrangers

[Brèves] Extradition : la détention provisoire n'a pas à être prise en considération dans la durée de la sanction

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 9 juin 2017, n° 406152, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A3924WHS)

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N8752BW3

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par Marie Le Guerroué

Le 15 Juin 2017

Il résulte de l'article 2-1 de la Convention européenne d'extradition, qui se réfère exclusivement à la durée de la sanction prononcée, que la durée pendant laquelle la personne extradée a, le cas échéant, été placée en détention provisoire n'a pas à être prise en compte pour l'appréciation de la durée de quatre mois prévue par la Convention. Ainsi statue, la Haute juridiction administrative dans une décision du 9 juin 2017 (CE 2° et 7° ch.-r., 9 juin 2017, n° 406152, mentionné aux tables du recueil Lebon N° Lexbase : A3924WHS).

En l'espèce, le Premier ministre avait accordé aux autorités turques l'extradition de M. B., de nationalité turque, pour l'exécution d'une condamnation à quatre ans et deux mois d'emprisonnement prononcée par un jugement de la cour d'assises du tribunal de première instance de Bolvadin du 5 avril 2011 pour des faits qualifiés de trafic de stupéfiants.

La Haute juridiction estime qu'il ressort des pièces du dossier que la demande d'extradition était accompagnée des pièces requises et, donc, que le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait fait droit à une demande d'extradition sans que les autorités françaises n'aient disposé des éléments que l'Etat requérant devait leur présenter en vertu des stipulations de l'article 12 de la Convention européenne d'extradition devait être écarté. Elle considère, aussi, que la circonstance que la Cour de cassation de Turquie ait statué sur le pourvoi alors que M. B. était en France n'est pas de nature à établir que sa condamnation aurait été prononcée dans des conditions contraires aux exigences résultant de l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR). Enfin, le Conseil d'Etat rappelle les stipulations du 1 de l'article 2 de la Convention européenne d'extradition, qui prévoit que l'extradition ne peut être accordée pour l'exécution d'une peine que si la sanction prononcée est d'une durée d'au moins quatre mois, et en déduit la solution susvisée. Dans le cas d'espèce, il ressortait des pièces du dossier que l'extradition de M. B. avait été accordée pour l'exécution d'une peine d'emprisonnement de quatre ans et deux mois, le quantum satisfaisait aux exigences de la Convention européenne d'extradition.

La requête de M. B. est donc rejetée (cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E0771E9G et "Droit des étrangers" N° Lexbase : E5923EYZ).

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Droit des étrangers

[Jurisprudence] L'éloignement des étrangers sous le regard du juge des libertés et de la détention

Réf. : Cass. civ. 1, 17 mai 2017, n° 16-15.229, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9854WCX)

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N8741BWN

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par Claire Saas, Maître de conférences, HDR, Université de Paris-Sud, CERDI

Le 15 Juin 2017

Par quatre arrêts du 17 mai 2017 (1), dont l'arrêt commenté, la première chambre civile de la Cour de cassation est venue clarifier l'office du juge des libertés et de la détention lorsque ce dernier statue sur la prolongation du placement d'un étranger en rétention administrative, aux fins d'éloignement. Elle s'inscrit dans le droit fil d'une évolution du droit applicable aux contrôles d'identité, marquée par la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016, relative au droit des étrangers en France (N° Lexbase : L9035K4E) (2), les arrêts de la première chambre civile du 9 novembre 2016 (3), ainsi que les deux décisions du Conseil constitutionnel du 24 janvier 2017 (4). Depuis la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées (N° Lexbase : L8109IUU) (5), l'un des circuits classiques empruntés pour procéder à l'éloignement d'un étranger consiste dans un contrôle d'identité, fondé sur les dispositions du Code de procédure pénale. Après la découverte de l'extranéité de l'étranger, la procédure bascule vers un contrôle spécifique fondé sur l'article L. 611-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L8940IUN). Si des vérifications du droit de circulation ou de séjour de l'intéressé s'imposent (6), s'en suit alors une retenue aux fins de vérification du droit au séjour au titre de l'article L. 611-1-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L8928IU9), laquelle peut être suivie d'un placement en rétention administrative.

Le juge des libertés et de la détention est saisi, conformément à l'article L. 552-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (N° Lexbase : L9290K4T) pour statuer sur la demande de prolongation de la rétention. A cette occasion, le juge judiciaire s'assure de la légalité de la mesure de rétention. Pour ce faire, il ne se contente pas d'apprécier si l'exercice des droits consentis au retenu est effectif, mais porte un regard rétrospectif sur l'ensemble des étapes préalables à la rétention administrative (7).

Sa mission est d'autant plus essentielle que le réseau pénal apparaît instrumentalisé à des fins de politique d'éloignement (8). En effet, alors que le séjour irrégulier ne constitue plus une infraction pénale permettant le recours à la garde à vue (9), le contrôle d'identité, encadré très souplement par les dispositions de l'article 78-2, alinéa 7, du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L1023LDA), permet, de manière paradoxale, d'étendre le filet pénal à des personnes n'ayant commis aucune infraction. Le principe de validité des procédures incidentes ne devrait pourtant pas trouver à s'appliquer, aucune procédure pénale ne pouvant être engagée en l'absence d'infraction (10).

Les quatre affaires étant similaires, les arguments des pourvois de même nature et le schéma de résolution adopté par la Cour de cassation très proche, nous nous contenterons d'évoquer, de manière plus approfondie, l'arrêt destiné à la publication, l'analyse étant transposable aux autres arrêts. En l'espèce (11), une personne a été interpellée par des fonctionnaires de police agissant sur réquisitions du procureur de la République. Les réquisitions, fondées sur l'article 78-2, alinéa 7, du Code de procédure pénale, portaient sur la recherche de personnes susceptibles de commettre des infractions désignées (12), dans une zone délimitée (13) et pendant une période temporelle définie (14). A l'occasion du contrôle d'identité effectué à 13 heures 39, la personne a indiqué être de nationalité algérienne. Elle a alors été invitée à présenter les documents lui permettant d'être en France, sur le fondement de l'article L. 611-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Placé en retenue pour vérification du droit au séjour, l'intéressé a reçu notification de ses droits à 15 heures 15. Le procureur de la République a été informé de la retenue à 15 heures 50, soit deux heures et onze minutes après le début du contrôle. A l'issue de la retenue, l'étranger, auquel une obligation de quitter le territoire français avait été notifiée, a été placé en rétention administrative, dont le juge des libertés et de la détention a refusé la prolongation en raison de la tardiveté de l'information à parquet. L'ordonnance de ce dernier a été infirmée en appel.

La première chambre civile, saisie du pourvoi de la personne retenue, casse et annule l'ordonnance du magistrat délégué par le premier président de la cour d'appel de Paris. Si elle écarte l'argument du pourvoi relatif à l'illégalité du contrôle d'identité tirée de l'absence de spontanéité de la déclaration relative à la nationalité, elle retient que la cour d'appel n'a pas répondu aux conclusions de l'étranger relatives à l'allégation d'un contrôle discriminatoire et a ainsi méconnu les prescriptions de l'article 455 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6565H7B). De surcroît, elle considère, au visa de l'article L. 611-1-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que l'information faite à parquet, qui intervient plus de deux heures après le début du contrôle d'identité, sans que des circonstances insurmontables soient avérées, est tardive.

La première chambre civile de la Cour de cassation rappelle qu'il incombe au juge des libertés et de la détention, lorsqu'il est saisi d'une demande de prolongation d'un placement en rétention administrative, de vérifier que les contrôles d'identité (I) et la retenue aux fins de vérification du droit au séjour (II) ont été régulièrement effectués.

I - La nécessaire vérification judiciaire des contrôles d'identité

L'articulation entre le contrôle d'identité de droit commun et le contrôle d'identité spécifique aux étrangers apparaît centrale. Dans la mesure où les règles encadrant ces deux formes de contrôle sont distinctes, il est nécessaire de distinguer, d'une part, la réalisation d'un contrôle fondé sur des réquisitions, qui ne doit pas être fondé sur une discrimination (A) et, d'autre part, la spontanéité de la déclaration relative à l'extranéité, susceptible de justifier un contrôle spécifique (B).

A - L'exigence d'absence de discrimination

Un contrôle d'identité fondé sur des réquisitions du procureur de la République, en application de l'article 78-2, alinéa 7, du Code de procédure pénale, peut être réalisé à l'encontre de toute personne, quel que soit son comportement, dès lors que sont respectées les restrictions géographiques et temporelles indiquées dans les réquisitions (15), ce qui n'était, en l'espèce, pas contesté. La liberté est ainsi consentie aux fonctionnaires de police de contrôler toute personne, sans qu'un lien entre cette dernière et la commission d'une infraction ou une menace à l'ordre public soit exigé (16). Cette grande souplesse ne doit toutefois pas, comme l'énonce le Conseil constitutionnel, conduire à la "pratique de contrôles d'identité généralisés et discrétionnaires", ce qui "serait incompatible avec le respect de la liberté personnelle, en particulier avec la liberté d'aller et de venir" (17). Si des contrôles ne peuvent être menés de manière systématique et généralisée, il est alors nécessaire de déterminer les critères permettant d'y procéder dans tel ou tel cas. Dans la mesure où les contrôles d'identité ne sauraient, conformément à l'article R. 434-16 du Code de la sécurité intérieure (N° Lexbase : L9238IYS), être motivés par une "caractéristique physique" ou un "signe distinctif", un contrôle d'identité discriminatoire est exclu par les textes. Seuls des contrôles guidés par un souci d'égalité devraient pouvoir être réalisés (18 ), indépendamment des caractéristiques physiques de la personne contrôlée (19).

Devant la cour d'appel de Paris, l'intéressé avait notamment relevé que seuls des hommes "originaires d'Afrique du Nord" étaient contrôlés, ce qui pouvait constituer un indice de mesures opérées de manière discriminatoire. En réponse, le magistrat délégué par le premier président s'était contenté de préciser que les réquisitions ayant fondé le contrôle visaient des personnes susceptibles de commettre des infractions, et non une catégorie de personnes. Le demandeur au pourvoi estimait que la cour d'appel n'avait pas répondu de manière satisfaisante à son argument concernant le caractère discriminatoire du contrôle. Au visa de l'article 455 du Code de procédure civile, la première chambre civile considère que l'ordonnance du premier président ne répond pas aux conclusions de l'intéressé. Il n'est pas dit que, en l'espèce, le contrôle a été discriminatoire, simplement qu'il aurait fallu répondre à cet argument.

La première chambre civile rappelle ainsi, de manière implicite, les nouvelles exigences de la Cour de cassation en matière de vérification du caractère éventuellement discriminatoire des contrôles d'identité. En effet, depuis une série d'arrêts de la première chambre civile du 9 novembre 2016 (20), un aménagement de la charge de la preuve est envisageable (21). Dès lors qu'une personne interpellée apporte des éléments de fait permettant de croire que le contrôle d'identité se fonde sur des motifs discriminatoires, il appartient à l'administration de démontrer que des raisons objectives, dénuées de tout motif discriminatoire, ont présidé à la réalisation du contrôle d'identité. C'est un rappel important, car ce dernier peut, s'il révèle de manière spontanée un élément d'extranéité, conduire à un contrôle d'identité spécifique.

B - L'examen de la spontanéité de la déclaration

En pratique, la plupart des contrôles d'identité de personnes étrangères sont fondés sur les dispositions de droit commun issues du code de procédure pénale, et notamment celles visant les réquisitions du procureur de la République. Si la nationalité étrangère de la personne interpellée est constatée, alors le fonctionnaire de police peut se fonder sur l'article L. 611-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour procéder au contrôle de la régularité administrative du séjour (22).

Aux termes de l'article L. 611-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ce contrôle spécifique ne peut être effectué que "si des éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l'intéressé sont de nature à faire apparaître sa qualité d'étranger" (23). La jurisprudence a tenté de définir ce que sont de tels éléments objectifs. La lecture d'un journal étranger (24) ou la langue parlée (25) ne sont ainsi pas considérées comme des éléments objectifs ; en revanche, la conduite d'un véhicule immatriculé à l'étranger en serait un (26). La première chambre civile a même déjà jugé que "le fait d'être né à l'étranger et de ne pas répondre aux questions relatives à sa date de naissance ne constitue pas un élément objectif déduit des circonstances extérieures à la personne, susceptible de présumer la qualité d'étranger" (27).

En l'occurrence, la déclaration de l'intéressé portant sur sa nationalité algérienne, résultant du contrôle d'identité effectué sur le fondement de l'article 78-2, alinéa 7, du Code de procédure pénale, a révélé son extranéité, et ce, de manière préalable au contrôle réalisé sur le fondement de l'article L. 611-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La première branche du deuxième moyen du pourvoi, si elle ne contestait pas qu'une déclaration spontanée d'une personne concernant sa nationalité pût être qualifiée d'"éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne" même de l'intéressé, estimait toutefois que la déclaration avait été provoquée par le fonctionnaire de police. Seule une déclaration spontanée ou fortuite aurait été acceptable (28).

Dans l'arrêt commenté, la première chambre civile, après avoir rappelé les termes de l'article L. 611-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, considère qu'il ne résulte pas des éléments dont elle dispose que les déclarations aient été suscitées par les fonctionnaires de police. La lecture de l'avis de l'avocate générale est éclairante (29). En effet, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention mentionnait que les policiers avaient demandé la nationalité de l'intéressé, ce qui permettait d'exclure le caractère spontané de la déclaration, tandis que l'ordonnance attaquée devant la Cour de cassation relevait que "l'élément d'extranéité résulte des propres déclarations de l'étranger, lequel a fait comprendre aux policiers, le 8 octobre 2015 à 13 heures 39 heure de son contrôle, qu'il était de nationalité algérienne et sans domicile fixe". L'importance de la rédaction des procès-verbaux apparaît cruciale (30), car il est permis de douter que les déclarations relatives à la nationalité soient systématiquement effectuées sans une quelconque demande des fonctionnaires de police en ce sens (31), mais la Cour de cassation ne substitue pas sa propre appréciation à celle des juges du fond.

II - La nécessaire vérification judiciaire de la retenue de l'étranger

La retenue aux fins de vérification du droit au séjour, conçue pour remplacer le rouage qu'a longtemps constitué la garde à vue dans le processus d'éloignement, a pu être présentée comme une garde à vue "allégée" (32). Plus courte, elle est encadrée par des garanties proches de celles consenties au gardé à vue (33). L'une d'entre elles consiste dans l'obligation, pour les fonctionnaires de police, d'informer le procureur de la République. Cette information doit intervenir rapidement, sous peine d'être tardive (A), à moins que des circonstances insurmontables (B) s'y opposent.

A - La censure de l'information tardive

Les dispositions de l'article L. 611-1-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile imposent que le procureur de la République, autorité chargée du contrôle de la mesure de contrainte, soit informé "dès le début de la retenue". La formulation des textes laisse une certaine place à l'interprétation, tant pour déterminer le point de départ de la retenue, que pour apprécier le caractère tardif de l'information donnée.

Des quatre arrêts du 17 mai 2017, il résulte, en premier lieu, que la retenue débuterait au moment des opérations de contrôle de l'identité. En effet, la durée du délai mis pour informer le parquet est décomptée, dans les quatre espèces, à partir de l'heure de début du contrôle d'identité. Cette solution n'est pas toujours unanimement retenue, le point de départ étant parfois reporté au moment de l'arrivée dans les locaux de retenue. La retenue différée a déjà été admise par la Cour de cassation en 2014. Dans cette affaire, une convocation avait été remise à une personne contrôlée afin que celle-ci se présente trois jours plus tard dans les locaux de police, car aucun interprète en langue mongole n'était disponible pour poursuivre la procédure immédiatement après le contrôle. La retenue avait débuté bien après l'opération de contrôle, mais avait été considérée comme intervenant "à la suite d'un contrôle" (34).

Pour apprécier la tardiveté de l'information, la première chambre civile énonce, en second lieu, que l'information faite au procureur de la République du placement en retenue aux fins de vérification du droit au séjour deux heures et onze minutes après le début des opérations de contrôle de l'intéressé ne permet pas de se conformer aux exigences légales. La légère diversité des espèces ayant donné lieu aux arrêts du 17 mai 2017 permet de savoir que l'information réalisée dans le délai d'une heure et vingt-sept minutes est encore considérée comme tardive (35). Certains arrêts de juridictions du fond précisent également les délais. Ainsi, une information à parquet transmise plus de trente minutes après l'arrivée dans les locaux de retenue a pu être considérée comme tardive (36).

Il est possible de penser que la première chambre civile va se montrer, s'agissant de l'information à parquet en cas de retenue, aussi -mais pas plus- exigeante qu'en cas de garde à vue (37). Cette tendance semble confortée par la transposition, assez générale, de la jurisprudence concernant la garde à vue à la retenue aux fins de vérification du droit au séjour. Tel est le cas du découpage de la retenue, qui est validé à l'instar du séquençage de la garde à vue, afin de tenir compte des heures d'ouverture des services préfectoraux (38). Tel est également le cas des "circonstances insurmontables" qui peuvent justifier la tardiveté, cette dernière étant, aux termes de l'article L. 611-1-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de nature à porter atteinte aux droits de la personne concernée.

B - L'absence de circonstances insurmontables

L'article L. 611-1-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne mentionne pas de "circonstances insurmontables auxquelles auraient été confrontés les fonctionnaires de police", qui permettraient de justifier le retard dans l'information transmise au magistrat du parquet.

La première chambre civile fait ici application de la jurisprudence relative à la garde à vue. En effet, si des circonstances insurmontables s'opposent à l'exercice effectif des droits du gardé à vue, cela peut justifier qu'un délai plus long qu'à l'accoutumée soit nécessaire pour informer le procureur de la République (40). La présomption selon laquelle la violation des prescriptions légales, visées à l'article L. 611-1-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, fait nécessairement grief est alors renversée.

En l'occurrence, l'argument de la pluralité de retenues se déroulant concomitamment n'a pas été accueilli, au même titre que la pluralité de gardes à vue ne justifie pas en soi une information tardive à parquet (41). Il ne s'agit pas de circonstances insurmontables, empêchant l'information immédiate du procureur de la République. En d'autres termes, il n'y avait rien d'imprévisible à ce que plusieurs personnes soient, à l'occasion des contrôles effectués, placées soit en garde à vue, soit en retenue aux fins de vérification du droit au séjour. Dans la mesure où les réquisitions visant certains quartiers de la capitale sont quotidiennes, il est tout à fait possible de s'organiser en conséquence (42). Comme le souligne Gildas Roussel, la Cour de cassation exige que les juridictions de fond aient détaillé de manière précise, in concreto, la situation ayant empêché une information plus rapide du parquet (43).

Si ces arrêts ne contiennent aucune précision nouvelle quant aux conditions permettant de procéder à un contrôle d'identité sur le fondement de l'article L. 611-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ils rappellent utilement les exigences posées par la Cour de cassation, dans ses arrêts du 9 novembre 2016, pour apprécier le caractère discriminatoire des contrôles d'identité et, précisent les critères d'appréciation de la tardiveté de l'information faite au procureur de la République.

Nul doute que ces quatre arrêts pourront utilement être mobilisés devant les juges des libertés et de la détention afin de les amener à exercer un contrôle approfondi des conditions dans lesquelles les étrangers ont été interpellés, puis retenus avant d'être placés en rétention administrative. L'arrêt "Mahdi" de la CJUE continuerait ainsi à développer quelque effet (44).


(1) Cass. civ. 1, 17 mai 2017, n° 16-15.228, FS-D (N° Lexbase : A4949WDN) (1er arrêt), n° 16-15.229, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9854WCX) (2ème arrêt), n° 16-19.971, FS-D (N° Lexbase : A4995WDD) (3ème arrêt) et n° 16-19.972, FS-D (N° Lexbase : A4955WDU) (4ème arrêt). L'auteure remercie vivement tant l'avocate générale que la conseillère pour la transmission respective de leur avis et de leur rapport afférents à l'arrêt commenté.
(2) E. Aubin, La loi du 7 mars 2016 : le changement en droit des étrangers, c'est maintenant ?, AJDA, 2017, p. 677.
(3) Cass. civ. 1, 9 novembre 2016, treize arrêts, n° 15-24.207, FS-D (N° Lexbase : A9138SGK), n° 15-24208 (N° Lexbase : A9065SGT), n° 15-24.209 (N° Lexbase : A9065SGT), n° 15-24.210 (N° Lexbase : A0607SGL), n° 15-24.211 (N° Lexbase : A8973SGG), n° 15-24.212 (N° Lexbase : A9956Q4I), n° 15-24.213 (N° Lexbase : A9024SGC), n° 15-24.214 (N° Lexbase : A9039SGU), n° 15-25.872 (N° Lexbase : A0610SGP), n° 15-25.873 (N° Lexbase : A0611SGQ), n° 15-25.875 (N° Lexbase : A8977SGL), n° 15-25.876 (N° Lexbase : A8951SGM) et n° 15-25.877 (N° Lexbase : A8945SGE) ; AJ pénal, 2017, p. 89, obs. J.-B. Perrier.
(4) Cons. const., décision n° 2016-606/607 QPC du 24 janvier 2017 (N° Lexbase : A8366S9Q) ; M.-Ch. De Montecler, D. Actu., 2017, p. 26. Ces décisions ont été rendues sur renvoi, par la première chambre civile, des questions prioritaires de constitutionnalité dont elle avait été saisie à l'occasion des deux premiers arrêts cités du 17 mai 2017 ; AJ pénal, mai 2017, p. 239, obs. J.-B. Perrier.
(5) CJUE, 28 avril 2011, aff. C-61/11 PPU (N° Lexbase : A2779HPM) ; CJUE, 6 décembre 2011, aff. C-329/11 (N° Lexbase : A4929H3X) ; M.-L. Basilien-Gainche, S. Slama, L'arrêt "El Dridi" : la nécessaire remise à plat du dispositif de pénalisation de l'irrégularité, AJP, n° 7-8, 2011, p. 362 ; P. Henriot, Garde à vue et séjour irrégulier : les enseignements de l'arrêt "Achughbabian" sont limpides, Gaz. Pal., 12 au 14 février 2012, p. 17 ; CJUE, 7 juin 2016, aff. C-47/15 (N° Lexbase : A9687RR9), concl. de l'avocat général, obs. C. Saas, Dépénalisation partielle de l'entrée irrégulière par la Directive "retour", note sous CJUE, 7 juin 2016, n° C-47/15, AJ pénal, n° 7-8, 2016, p. 387 à 388.
(6) Cass. civ. 1, 18 novembre 2015, n° 14-25.877, F-D (N° Lexbase : A5603NXS) ; Cass. civ. 1, 28 mai 2014, n° 13-50.034, F-D (N° Lexbase : A6313MPI).
(7) Déjà les arrêts "Bechta", "Mpinga" et "Massamba" avaient reconnu au juge judiciaire la possibilité de contrôler la régularité de l'interpellation ayant précédé un placement en rétention administrative, conformément à l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 (ordonnance n°45-2658 relative aux conditions d'entrée et de séjour en France des étrangers et portant création de l'Office national d'immigration N° Lexbase : L4788AGG) ; Cass. civ. 2, 28 juin 1995, trois arrêts, n° 94-50.002 (N° Lexbase : A6192ABX), n° 94-50.006 (N° Lexbase : A8049ABQ) et n° 94-50.005 (N° Lexbase : A8048ABP), Bull. civ. II, n° 221, 211 et 212.
(8) C. Chassang, L'étranger et le droit pénal : étude sur la pertinence de la pénalisation, E. Fortis (dir.), thèse, UPOND, 2013, part. n° 396 ; D. Lochak, L'immigration saisie par le droit pénal, in Mélanges Lazerges, 2015, Dalloz, p. 689 ; O. Muller, Analyse critique de la pénalisation du phénomène migratoire en France et en Italie, C. Saas (dir.), thèse, Nantes, 2014 ; C. Saas, L'immigré, cible d'un droit pénal de l'ennemi ?, in Groupe d'information et de soutien des immigrés (dir.), Immigration, un régime pénal d'exception, 2012, coll. Penser l'immigration autrement, p. 32.
(9) Voir note n° 6.
(10) Cons. const., décision n° 93-323 DC, du 5 août 1993, Loi relative aux contrôles et vérifications d'identité (N° Lexbase : A8283ACR).
(11) Cass. civ. 1, 17 mai 2017, n° 16-15.229, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9854WCX) (2ème arrêt) ; D. Actu., 24 mai 2017, obs. J.-M. Pastor.
(12) Terrorisme, infractions en matière d'armes et d'explosifs, vols, recels, trafic de stupéfiants.
(13) Certains secteurs du 18ème arrondissement de Paris.
(14) 8 octobre 2015, entre 12 heures et 18 heures.
(15) Cass. civ. 1, 23 novembre 2016, n° 15-27.812, FS-P (N° Lexbase : A3426SLH) ; Cass. civ. 2, 19 février 2004, n° 03-50.025, FS (N° Lexbase : A3314DBD), Bull. civ. II, n° 70 ; neuf autres arrêts, inédits, ont été rendus le même jour ; Cons. const., décision n° 2016-606/607 QPC du 24 janvier 2017, Cons. 23 "En second lieu, il ressort des dispositions contestées que les réquisitions du procureur de la République ne peuvent viser que des lieux et des périodes de temps déterminés. Ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître la liberté d'aller et de venir, autoriser le procureur de la République à retenir des lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions. Elles ne sauraient non plus autoriser, en particulier par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, la pratique de contrôles d'identité généralisés dans le temps ou dans l'espace".
(16) C. Girault, Contrôles et vérifications d'identité, Rép. Pén., Dalloz, part. n° 50.
(17) Déc. précitée du Conseil constitutionnel du 24 janvier 2017, cons. n° 20.
(18) CNCDH, Avis, 8 novembre 2016, Prévention des pratiques de contrôle d'identité discriminatoires et/ou abusives ; Ch. Lazerges, Pour une politique criminelle de lutte contre les contrôles d'identité discriminatoires, RSC, 2017, p. 173.
(19) Sous réserve qu'aucun signalement n'ait été effectué.
(20) Cass. civ. 1, 9 novembre 2016, quatre arrêts, n° 15-24.212, n° 15-25.873, n° 15-24.210 et n° 15-25.872, P+B+R+I ; neuf autres arrêts inédits ont été rendus le même jour par la deuxième chambre civile.
(21) CEDH, 6 juillet 2005, Req. 43577/98 et 43579/98 (N° Lexbase : A1556DKT), AJDA, 2005, p. 1886, chron. J.-F. Flauss ; RSC, 2006, p. 431, obs. F. Massias.
(22) Cass. civ. 1, 13 juillet 2016, deux arrêts, n° 15-22.854, F-P+B (N° Lexbase : A2026RXC) et n° 15-22855 (N° Lexbase : A2089RXN).
(23) La formule a été utilisée par la Chambre criminelle dans ses fameux arrêts "Bogdan" et "Vuckovic" du 25 avril 1985 ; Cass. crim., 25 avril 1985, deux arrêts, n° 84-92.916 (N° Lexbase : A3586AA3) et n° 85-91324 (N° Lexbase : A9379CI9) Bull. crim. n° 159 ; D., 1985, p. 329, concl. Dontewille ; JCP éd. G, 1985, II, p. 20465, concl. Dontenwille, note Jeandidier.
(24) CA Paris, 18 juillet 1991, inédit.
(25) Cass. crim., 10 novembre 1992, n° 92-83.352 (N° Lexbase : A0834ABI), D., 1993, p. 36, note D. Mayer ; Cass. civ. 2, 14 décembre 2000, n° 99-50089 (N° Lexbase : A1814AIZ), Bull. civ. II, n° 171.
(26) Cass. crim., 17 mai 1995, n° 94-85.231 (N° Lexbase : A8969ABS), Bull. crim. n° 177.
(27) Cass. civ. 1, 28 mars 2012, n° 11-11.099, F-P+B+I (N° Lexbase : A7573IGL).
(28) Cass. civ. 1, 13 mai 2015, n° 14-50.047, FS-P+B (N° Lexbase : A8697NHL) ; Cass. crim., 15 janvier 2003, n° 02-81.008, F-D (N° Lexbase : A4468WHX).
(29) V., infra.
(30) G. Roussel, Les procès-verbaux d'interrogatoire : rédaction et exploitation, L'Harmattan, Bibliothèque de droit, 2005, 232 p..
(31) Cass. civ. 1, 13 juillet 2016, F-P+B, n° 15-22.854 (N° Lexbase : A2026RXC) et n° 15-22855 (N° Lexbase : A2089RXN) ; "le procès-verbal de contrôle d'identité détaillait les nom, prénom, date et lieu de naissance, adresse et nationalité, tous éléments régulièrement et logiquement déclinés lors du contrôle d'identité, le premier président s'est assuré de la régularité de ce contrôle d'identité".
(32) La retenue pour vérification du droit au séjour, Gisti, Les cahiers juridiques, ADDE, 2016, 28 p..
(33) Cass. civ. 1, 23 septembre 2015, n° 14-22.296, F-D (N° Lexbase : A8408NP4). Il est toutefois nécessaire de démontrer que cette violation des textes a porté atteinte aux droits de la personne retenue ; Cass. civ. 1, 23 septembre 2015, n° 14-21.279, F-P+B (N° Lexbase : A8181NPP).
(34) Cass. civ. 1, 2 avril 2014, n° 13-50.036, F-D (N° Lexbase : A6242MIZ).
(35) Cass. civ., 17 mai 2017, n° 16-15.228.
(36) CA Rouen, 1er mars 2013, RG n° 13/00699 ; CA Rouen, 16 avril 2013, n° 13/01926 (N° Lexbase : A2597KC8), cités dans La retenue pour vérification du droit au séjour, op. cit., p. 24. La durée entre le contrôle d'identité et l'arrivée dans les locaux n'est toutefois pas mentionnée.
(37) Cass. crim., 20 mars 2007, n° 06-89.050, F-P+F+I (N° Lexbase : A8102DUM), Bull. crim. n° 85 ; D., 2007 ; AJ, 1340 ; AJ pénal, 2007, p. 231, obs. G. Royer ; Cass. crim., 10 mai 2001, n° 01-81.441 (N° Lexbase : A5695AT4), Bull. crim. n° 119 ; Procédures, 2001, comm.184, obs. J. Buisson.
(38) Cass. civ. 1, 1er février 2017, n° 16-14.700, FS-P+B+I (N° Lexbase : A7005TAP).
(39) Cass. civ. 2, 19 février 2004, n° 01-01.038, F-P+B (N° Lexbase : A3094DB9), Bull. crim. n° II, n° 70, D. 2004, IR, p. 677 ; AJ penal, 2004, p. 160 ; Dr. Pén., 2004, Comm. 56, obs. A. Maron ; Cass. crim., 27 novembre 2007, n° 07-83.786, F-D (N° Lexbase : A8129NMZ), Dr. Pén., 2008, n° 40, obs. A. Maron.
(40) Cass. crim., 12 avril 2005, n° 04-86.780, F-P+F (N° Lexbase : A1849DIC), JCP éd. G, 2005, IV, p. 2280 ; contra, Cass. civ. 2, 19 février 2004, n° 03-50.025 (N° Lexbase : A3314DBD), D., 2004, IR, 677 ; AJ pénal, 2004, p.160 ; Dr. Pén., 2004, 56, obs. Maron.
(41) La préfecture de police de Paris prend quotidiennement un arrêté de police autorisant les contrôles d'identité, à l'inspection visuelle et la fouille des bagages ainsi qu'à la visite des véhicules, dans toute une série de quartiers de Paris, entre 11 heures et 1 heure le lendemain, en application des articles 78-2, alinéa 1er, et 78-2-2 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4933K89). L'arrêté n° 2017-00649 mentionne une période plus longue, comprise entre 5 heures et 1 heure le lendemain.
(42) G. Roussel, Police judiciaire, Rép. Pén., Dalloz, part. n° 388.
(43) CJUE, 5 juin 2014, aff. C-146/14 PPU (N° Lexbase : A0192MQ8), part. n° 62 : "une autorité judiciaire statuant sur une demande de prolongation de rétention doit être en mesure de statuer sur tout élément de fait et de droit pertinent pour déterminer si une prolongation de la rétention est justifiée [...]. Lorsque la rétention initialement ordonnée ne se justifie plus au regard de ces exigences, l'autorité judiciaire compétente doit être en mesure de substituer sa propre décision à celle de l'autorité administrative [...] de statuer sur la possibilité d'ordonner une mesure de substitution ou la remise en liberté du ressortissant concerné d'un pays tiers" ; D. Actu., 7 juillet 2014, obs. N. Devouèze.

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Éducation

[Brèves] Légalité du monopole des établissements d'enseignement supérieur public dans la délivrance de diplômes conduisant à l'obtention de grades ou titres universitaires

Réf. : CE 4° et 5° ch.-r., 7 juin 2017, n° 389213, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6113WGI)

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par Yann Le Foll

Le 15 Juin 2017

Les établissements d'enseignement supérieur privés ne peuvent délivrer seuls des diplômes conduisant à l'obtention de grades ou de titres universitaires. Telle est la solution d'un arrêt rendu par le Conseil d'Etat le 7 juin 2017 (CE 4° et 5° ch.-r., 7 juin 2017, n° 389213, publié au recueil Lebon N° Lexbase : A6113WGI).

Tirant la solution précitée des dispositions de l'article L. 613-1 du Code de l'éducation (N° Lexbase : L4734IXM), éclairées par les travaux parlementaires ayant précédé l'adoption de la loi du 18 mars 1880, relative à la liberté de l'enseignement supérieur, et de la loi n° 84-52 du 26 janvier 1984, sur l'enseignement supérieur (N° Lexbase : L7301AGI), dont elles sont issues, la Haute juridiction indique qu'en limitant, par les dispositions attaquées, aux seuls établissements publics le champ des règles relatives à l'accréditation des établissements habilités à délivrer le diplôme de master et aux conditions d'obtention de ce diplôme, le ministre de l'Education nationale n'a pas, contrairement à ce que soutient l'association requérante, entaché ses arrêtés d'incompétence.

En outre, la différence de traitement entre les établissements d'enseignement supérieur privés et publics en la matière résultant de la loi, cette même association ne saurait, par suite, utilement soutenir que la limitation du champ de l'accréditation aux seuls établissements publics méconnaît le principe d'égalité.

newsid:458716

Entreprises en difficulté

[Chronique] Chronique de droit des entreprises en difficulté - Juin 2017

Réf. : Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-25.046, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9523WBC) ; Cass. com., 18 mai 2017, n° 15-12.338, F-D (N° Lexbase : A4815WDP)

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N8740BWM

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par Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Nice Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Côte d'Azur

Le 15 Juin 2017

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose de retrouver, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Nice Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201), Avocat au barreau de Nice, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Côte d'Azur, Co-directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté, Membre du CERDP (EA 1201), Avocat au barreau de Nice, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Le Professeur Le Corre commente un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 4 mai 2017 (Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-25.046, FS-P+B+I) auquel elle a entendu assurer une large diffusion et dans lequel elle énonce que "la cessation d'activité d'une personne physique ne fait pas obstacle à l'adoption d'un plan de redressement ayant pour seul objet l'apurement de son passif". Le second arrêt, sélectionné par Emmanuelle Le Corre-Broly, rendu par la même formation le 18 mai 2017, est relatif à la responsabilité du banquier dispensateur de crédit et la notion de "prise de garantie disproportionnée" (Cass. com., 18 mai 2017, n° 15-12.338, F-D).

La loi du 25 janvier 1985 (N° Lexbase : L7852AGW) avait pris une orientation radicale : elle est d'ailleurs intitulée "loi sur le redressement judiciaire des entreprises". D'une manière particulièrement symptomatique, l'article 1er de cette loi avait pris le soin de définir ses objectifs ; assurer le sauvetage de l'entreprise, la sauvegarde des emplois et l'apurement du passif. Rapidement, il a été considéré que cet énoncé des objectifs législatifs devait en réalité être regardé comme une hiérarchisation desdits objectifs. Sauver l'entreprise et des emplois qui y sont attachés est primordial pour le législateur, l'apurement du passif devenant une quête subsidiaire.

L'entreprise était au coeur des préoccupations du législateur et dans cette perspective, il a construit la procédure de redressement. Pour cette raison du positionnement central de l'entreprise dans la loi, le redressement judiciaire ne pouvait concerner que l'entreprise. S'il n'était pas question de sauver l'entreprise et d'assurer sa poursuite d'activité, le plan de continuation ne pouvait être adopté. Il était donc très clairement question du plan de continuation de l'entreprise.

Dans ce contexte, il n'est guère étonnant que la jurisprudence ait rapidement posé en règle que le plan de continuation ne pouvait tendre simplement à l'apurement du passif (1), indépendamment d'une continuation d'activité (2). Le plan de continuation ne devait pas avoir pour seul objet d'allonger les délais de règlement des créanciers. Le sacrifice qui leur était imposé avait une cause et une seule : le redressement de l'entreprise. S'il n'était plus question de cela, il était hors de propos de réduire les droits des créanciers en leur imposant des délais n'ayant pour objet que d'améliorer le sort du débiteur (3), par exemple pour éviter la vente de sa maison d'habitation (4).

Plus rigoureusement, avait ainsi été exclue la possibilité pour une société holding, n'ayant pas d'activité ni de salarié, de bénéficier d'un plan de continuation (5).

En présence d'un groupement d'intérêt économique, d'une société en nom collectif ou plus généralement d'une personne morale dont les associés étaient indéfiniment et solidairement responsables du passif, et qui du fait de l'ouverture de la procédure collective contre le groupement devaient, sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT), individuellement être eux-mêmes placés sous procédure collective, il fallait, rechercher si chaque membre ou associé était à la tête d'une entreprise. Si tel n'était pas le cas, l'arrêté d'un plan de continuation au profit de la personne morale n'entraînait pas nécessairement, au profit de chaque membre, un plan de continuation (6).

La loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 a contextualisé d'une manière nouvelle la procédure collective. Le législateur, partant du postulat que la procédure collective n'est pas ouverte contre une entreprise, mais contre une personne, a refait du débiteur le sujet central. C'est ce qui explique que le plan de cession ait été, par principe, réglementé par les dispositions de la liquidation judiciaire, la cession de l'entreprise n'étant plus une issue de la procédure collective, mais un évènement dans la procédure collective du débiteur.

Avec la loi de sauvegarde des entreprises, il est bien question de la procédure collective du débiteur et non point de la procédure collective de l'entreprise. Pour cette raison, l'approche du plan de redressement initié par la loi de sauvegarde des entreprises n'est plus la même que celle adoptée par le législateur du 25 janvier 1985. Certes, la loi continue à évoquer le plan de redressement de l'entreprise, mais, parallèlement, et évoque la possibilité d'un redressement du débiteur.

Cette problématique est au coeur d'un arrêt rendu par la Cour de cassation le 4 mai 2007, auquel elle a entendu assurer une large diffusion (P+B+I).

En l'espèce, une personne physique exerce l'activité d'infirmières libérales. Son redressement judiciaire est ouvert et après avoir ouvert une période d'observation, cette personne est placée en liquidation. Pour confirmer le prononcé de la liquidation judiciaire, la cour d'appel a retenu que la cessation d'activité exclut l'élaboration d'un plan de redressement lequel, selon l'article L. 631-1, alinéa 2 (N° Lexbase : L3381IC9), du Code de commerce, doit tendre à permettre non seulement l'apurement du passif mais dans le même temps la poursuite de l'activité de l'entreprise et le maintien de l'emploi. Au visa des articles L. 631-1, alinéa 2, et L. 640-1 du Code de commerce, la cassation de l'arrêt d'appel est encourue. La Cour de cassation énonce, à la manière d'un arrêt de principe, que "la cessation d'activité d'une personne physique ne fait pas obstacle à l'adoption d'un plan de redressement ayant pour seul objet l'apurement de son passif".

Il apparaît aujourd'hui que le plan de redressement, vocable de substitution qu'utilise la loi de sauvegarde des entreprises, peut également concerner le débiteur, indépendamment de son entreprise. Certes, la procédure de redressement judiciaire est toujours destinée à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif (C. com., art. L. 631-1, al. 2).

Il faut aujourd'hui affirmer la possibilité d'un plan de redressement du débiteur, qui aurait pour seul objet le paiement de son passif sur des délais aménagés. Ne peut plus être suivie la solution d'une juridiction du fond qui juge que le débiteur ne pouvait obtenir un plan de redressement, dont le seul objet serait de payer le passif sur des délais aménagés (7). Ainsi que le juge ici la Cour de cassation, la cessation d'activité d'une personne physique ne peut donc faire obstacle à l'adoption d'un plan de redressement à son profit.

Le seul fait que le débiteur ait cédé son fonds de commerce et qu'il soit retraité ne peut donc suffire à décider que son redressement est manifestement impossible, dès lors qu'il peut, grâce à son patrimoine immobilier, payer son passif (8).

Le plan de redressement peut avoir pour seul objet le paiement des créanciers, ce qui justifie qu'un redressement judiciaire soit ouvert au profit d'un débiteur qui a cessé son activité, mais qui a séquestré des fonds suffisants, qui correspondent à la vente de son fonds de commerce, pour payer son passif (9).

Le débiteur ayant repris une activité salariée pourrait ainsi, grâce aux revenus tirés de celle-ci, payer son passif et se redresser, sans qu'il soit question de redressement de son entreprise. Mais encore faut-il qu'il démontre avoir les capacités financières de son redressement (10).

Il faut en outre tenir compte du fait que la cession de l'entreprise n'est plus une solution de la procédure du débiteur. Une fois celle-ci intervenue, il va falloir s'intéresser au débiteur. Les textes permettent de s'en convaincre.

L'alinéa 3 de l'article L. 631-22 du Code de commerce (N° Lexbase : L3101I4M) indique que "lorsque la cession totale ou partielle a été ordonnée, la procédure est poursuivie [...]. Si l'arrêté d'un plan de redressement ne peut être obtenu, le tribunal prononce la liquidation judiciaire".

Le législateur envisage donc clairement la possibilité d'un plan de cession de l'entreprise et d'un plan de redressement du débiteur. Si la cession est totale, il n'est évidemment plus question de redressement de l'entreprise. Il faut comprendre qu'il n'est question que de redresser la situation du débiteur en traitant son passif. Le traitement de ce passif constitue dès lors le seul objectif du plan de redressement.

Au contraire, sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985, lorsque la cession de l'entreprise était totale, le débiteur ne pouvait obtenir un plan de redressement.

L'adoption d'un plan de redressement au profit du débiteur après adoption d'un plan de cession de son entreprise suppose évidemment que son redressement soit possible, ce qui présuppose qu'il puisse payer son passif résiduel.

Au final, on mesure l'évolution législative aujourd'hui clairement prise en compte par la Cour de cassation : oui, le plan de redressement peut ne servir qu'au paiement du passif, qu'il intervienne seul ou qu'il accompagne une cession totale ou partielle de son entreprise.

Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université Nice Côte d'Azur, Directeur du Master 2 Droit des entreprises en difficulté de la Faculté de droit de Nice, Membre CERDP (EA 1201), Avocat au barreau de Nice

  • Responsabilité du banquier dispensateur de crédit, cautionnement et prise de garantie disproportionnée (Cass. com., 18 mai 2017, n° 15-12.338, F-D N° Lexbase : A4815WDP ; cf. l’Ouvrage "Entreprises en difficulté" N° Lexbase : E0643EX4)

La loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005 a créé un principe d'irresponsabilité du banquier dispensateur de crédit à l'entreprise en difficulté. L'article L. 650-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L3503ICQ) issu de cette loi dispose en effet que "lorsqu'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est ouverte, les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis". Ce principe d'irresponsabilité est toutefois assorti de trois exceptions : le concours fautif engagera la responsabilité du banquier en "cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci" (C. com., art. L. 650-1, al 1er in fine).

Ce texte a soulevé plusieurs interrogations. La première été celle de savoir si l'article L. 650-1 du Code de commerce posait trois cas de fautes engageant la responsabilité du fournisseur de crédit (fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou de prise de garantie disproportionnée) ou, ce qui est tout différent, si cet article posait un principe d'irresponsabilité du créancier assortie de trois exceptions. La jurisprudence (11) s'est prononcée en faveur de la seconde solution : pour engager la responsabilité du créancier dispensateur de crédit, il faudra nécessairement être en présence d'un concours fautif (c'est-à-dire d'un concours consenti à une entreprise en situation irrémédiablement compromise ou d'un concours ruineux) et qu'en outre, existe une fraude, une immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur, ou une prise de garantie disproportionnée.

Une autre question plus épineuse encore se pose : que faut-il entendre par "prise de garantie disproportionnée" ? Un arrêt rendu le 18 mai 2007 par la Chambre commerciale de la Cour de Cassation apporte un élément de réponse lorsqu'un cautionnement est recueilli en garantie du crédit fautif.

En l'espèce, un dirigeant s'était porté caution des engagements de la société dirigée dans la limite de 325 000 euros alors que ce montant était manifestement disproportionné au regard des engagements de la société à l'égard de l'établissement de crédit. Les juges du fond (12) avaient considéré que la banque avait pris en contrepartie des concours une garantie disproportionnée. La cour d'appel avait, en conséquence, d'une part, mis à l'écart le principe d'irresponsabilité du banquier dispensateur de crédit fautif et, d'autre part, réduit le montant du cautionnement garantissant les concours consentis par la banque en usant de la faculté offerte par l'article L. 650-1, alinéa 2, qui énonce que "pour le cas où la responsabilité d'un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge".

Sur le pourvoi formé par la banque, la Chambre commerciale casse l'arrêt d'appel en énonçant que les juges du fond avaient violé l'article L. 650-1 en statuant ainsi "alors que la banque n'avait pris, en contrepartie des concours consentis à la société, qu'une garantie constituée par le cautionnement de M. C, ce qui excluait, en raison du caractère accessoire de sûreté, quelle que soit sa limite, toute disproportion à ses concours".

La solution adoptée doit être approuvée sans réserve, d'une part, en ce qu'elle est parfaitement logique au regard du caractère accessoire du cautionnement, d'autre part, en ce qu'elle est conforme à l'esprit du texte.

Le cautionnement est en effet une sûreté accessoire par rapport à l'obligation principale garantie, de sorte que la caution ne peut être tenue, par principe, à davantage que ce à quoi est tenu le débiteur cautionné. Ainsi, le cautionnement, même s'il a été recueilli pour un montant nettement supérieur à celui de l'obligation cautionnée, n'est pas en lui-même une garantie disproportionnée puisque la caution ne pourra pas être appelée pour un montant dépassant celui de l'obligation cautionnée.

L'esprit du texte de l'article L. 650-1 du Code de commerce commande également la solution. En insérant la prise de garantie disproportionnée parmi les cas de mise à l'écart du principe d'irresponsabilité du banquier dispensateur de crédit, le législateur a souhaité lutter contre le "gaspillage de crédit" qui expose l'entreprise à ne plus obtenir de crédit au motif qu'elle n'est plus en mesure de fournir des garanties (13). On aperçoit bien que, lorsque seul un cautionnement a été recueilli, aucun risque de gaspillage de crédit n'existe et donc aucun risque de ruine du crédit du débiteur n'est encouru.

L'arrêt du 18 mai 2017 est donc intéressant en ce qu'il pose clairement le principe selon lequel le cautionnement ne peut constituer, en lui-même, une prise de garantie disproportionnée. Si le banquier, qui a octroyé un concours fautif, a obtenu pour seule sûreté un cautionnement, il ne pourra pas être inquiété sur le fondement de la prise de garantie disproportionnée pour voir engagée sa responsabilité. Il doit en être de même en cas de multiplicité de cautionnements (14).

En revanche, la disproportion pourra exister lorsque le créancier sollicite non seulement un cautionnement mais également des sûretés réelles. Cette solution apparaît en filigrane dans l'arrêt commenté par lequel la Cour de cassation considère que le cautionnement ne peut constituer une garantie disproportionnée "alors que la banque n'avait pris en garantie des concours consentis à la société, qu'une garantie constituée par le cautionnement". A contrario, tel aurait pu être le cas si une sûreté réelle avait parallèlement été constituée sur un bien du débiteur. La prise d'une sûreté réelle sur un bien du débiteur entraîne nécessairement une diminution du crédit de celui-ci, à moins que la sûreté en question soit rechargeable, à l'image de la fiducie-sûreté (15).

Reste une question délicate : à partir de quel stade, la prise de garantie est-elle disproportionnée ? Précisions d'abord que la disproportion devra être appréciée au moment de la constitution de la sûreté (16).

L'appréciation doit se faire au cas par cas, et ce d'autant que certaines garanties (tel le nantissement de fonds de commerce) ont peu d'efficacité et que la valeur d'une sûreté personnelle est intimement corrélée à la valeur du patrimoine du garant. Comme l'a remarqué un auteur (17), "là où il peut y avoir disproportion des garanties, si la caution est solvable et qu'une garantie réelle a en outre été recueillie, il peut y avoir ici garanties à peine suffisantes si les multiples cautionnements recueillis n'engagent solidairement que des patrimoines très limités".

Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences - HDR à l'Université de Nice Côte d'Azur, Co-directrice du Master 2 Droit des entreprises en difficulté, Membre du CERDP (EA 1201), Avocat au barreau de Nice


(1) Cass. com., 17 février 1998, n° 95-14.237, publié (N° Lexbase : A2367ACN), Bull. civ. IV, n° 82, D. Affaires, 1999, 583 ; Cass. com., 27 octobre 1998, n° 96-11.049 (N° Lexbase : A3060C44) Act. proc. coll., 1999/2, n° 25 ; Cass. com., 16 février 1999, n° 95-19.728 (N° Lexbase : A8176AHB), RJDA, 1999/5, n° 577 ; Cass. com., 30 mars 1999, n° 95-21.630, F-D (N° Lexbase : A8162AHR).
(2) Cass. com., 12 juillet 1994, n° 92-17.458, inédit (N° Lexbase : A0741CSA), Rev. proc. coll., 1995, 130, n° 10, obs. B. Soinne ; Cass. com., 28 mars 1995, n° 92-21.056, inédit (N° Lexbase : A5088C49, Rev. proc. coll., 1995, 131, n° 10, obs. B. Soinne ; Cass. com., 24 octobre 1995, n° 93-15.401, inédit (N° Lexbase : A8027AHR), Rev. proc. coll., 1995, 410, n° 12, obs. B. Soinne ; Cass. com., 12 novembre 1997, n° 95-17.693, publié (N° Lexbase : A1960ACL), Bull. civ. IV, n° 289, RJDA, 1998/3, n° 316 ; CA Douai, 2ème ch., 26 octobre 1995 et CA Paris, 3ème ch., sect. C, 10 mai 1996, Rev. proc. coll., 1996, 437, n° 18, obs. B. Soinne.
(3) CA Rennes, 6ème ch., 6 mai 1992, Rev. proc. coll., 1994, 170, n° 4, obs. B. Soinne ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 23 mai 1995, Rev. proc. coll., 1995, 410, n° 12, obs. B. Soinne.
(4) CA Versailles, 16 février 1995, Rev. proc. coll. 1995, 130, n° 10, obs. B. Soinne.
(5) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 1er mars 2002, n° 2000/21407 (N° Lexbase : A8427A7A), RJDA, 2002/8-9, n° 914.
(6) V. obs. B. Soinne, Rev. proc. coll., 1996, 371, n° 4.
(7) CA Bordeaux, 25 juin 2008, n° 08/332 (N° Lexbase : A5044ECS), Act. proc. coll., 2008/16, n° 258, note J. Vallansan ; JCP éd. E, 2008, 2435, note J. Vallansan ; Rev. proc. coll., 2009/1, p. 20, n° 1, note J. Fraimout ; RTDCom., 2010, 185, n° 1, note C. Saint-Alary-Houin.
(8) Cass. com., 29 avril 2014, n° 13-11.070, F-D (N° Lexbase : A7037MKT) ; Bull. Joly Entrep. en diff., 2014, 293, note L. Le Mesle.
(9) CA Lyon, 20 novembre 2014, n° 14/06735 (N° Lexbase : A8067M38).
(10) CA Aix-en-Provence, 8ème ch., sect. A, 30 avril 2008, Rev. proc. coll. 2009, p. 21, n° 2, note J. Fraimout ; CA Colmar, 27 mai 2008, n° 08/00611.
(11) Cass. com. 27 mars 2012, n° 10-20.077, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A5916IG9), Bull. civ. IV, n° 68, D., 2012, Actu. 870, obs. A. Lienhard ; D., 2012, étude 1455, obs. R. Dammann et A. Rapp ; D., 2012, étude 2034, obs. P. Hoang ; D., 2012, Pan. 1576, obs. P. Crocq ; D., 2012, Pan. 2204, obs. P.-M. Le Corre ; Gaz. Pal. entr. diff., 3 août 2012, n° 216, p. 16, note R. Routier ; JCP éd. E, 2012, n° 1274, note D. Legeais ; Bull Joly Entrep. en diff., 2012, 176, note Th. Favario ; Act. proc. coll., 2012, n) 125, note R. Routier ; Rev. sociétés, 2012, 398, note Ph. Roussel Galle ; Rev. proc. coll., 2012, étude 25, note D. Demeyère ; RTDCom., 2012. 584, n° 7, obs. D. Legeais ; LPA, 24 juillet 2012, n° 147, p. 18, note Garaud ; JCP éd. E, 2012, Chron. 1508, n° 9, obs. Ph. Pétel ; Gaz. Pal. 2012, Jur. 1568, note S. Reifegerste ; Dr. et patr., septembre 2012, 104, note C. Saint-Alary-Houin ; Bull. Joly Sociétés, 2012, n° 256, note Ph. Pétel ; Rev. proc. coll., 2012, n° 215, note A. Martin-Serf ; Rev. sociétés, 2013, 93, note I. Riassetto ; nos obs. in Chron., Lexbase éd. aff., 2012, n° 293 (N° Lexbase : N1549BTK). Adde, Cass. com., 16 décembre 2014, n° 13-23.748, F-D (N° Lexbase : A2918M8L), Rev. proc. coll. 2015, comm. 74, note A. Martin-Serf ; Cass. com., 22 mars 2017, n° 15-13.290, F-D (N° Lexbase : A7822ULB) ; CA Paris, Pôle 5, 8ème ch., 11 février 2014, n° 13/00107 (N° Lexbase : A9746MDC), Rev. proc. coll. 2015, comm. 74, note A. Martin-Serf.
(12) CA Aix-en-Provence, 18 septembre 2014, n° 12/10826 (N° Lexbase : A1274MXH).
(13) V. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action, 2017/2018, n° 834.17.
(14) V. cpdt contra J.-L. Vallens, Lamy droit commercial, 2015, n° 4750.
(15) V. en ce sens P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 834.17, cet auteur considérant que la possibilité de rechargement rend beaucoup plus difficile la caractérisation de l'excès.
(16) F. Pérochon, Droit des entreprises en difficulté, LGDJ, 10ème éd., n° 164 ; P.-M. Le Corre,Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 834.17.
(17) P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, préc., n° 834.17.

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Notaires

[Jurisprudence] La dématérialisation des échanges avec les services chargés de la publicité foncière : une nouvelle obligation pour les notaires

Réf. : Décret n° 2017-770 du 4 mai 2017, portant obligation pour les notaires d'effectuer par voie électronique leurs dépôts de documents auprès des services chargés de la publicité foncière (N° Lexbase : L1906LEC)

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par Vivien Streiff, Notaire Associé

Le 15 Juin 2017

Le décret n° 2017-770 du 4 mai 2017, portant obligation pour les notaires d'effectuer par voie électronique leurs dépôts de documents auprès des services chargés de la publicité foncière (N° Lexbase : L1906LEC), paru au journal officiel du 6 mai 2017, vise à imposer aux notaires d'effectuer leurs dépôts de documents auprès des services chargés de la publicité foncière uniquement par voie électronique. Est ainsi inséré un nouvel article 73-1 au décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955 (N° Lexbase : L1795DNS) dont l'analyse ne devrait pas véritablement émouvoir la profession qui s'est par ailleurs engagée depuis de nombreuses années dans un processus de dématérialisation des échanges avec ces services via l'application télé@ctes (I). La liste des actes concernés par ce décret figurera dans un arrêté du ministre chargé du Budget dont la publication n'en demeure pas moins attendue avec impatience. Il conviendra, en effet, que les notaires vérifient que ces actes seront au nombre de ceux qu'ils peuvent d'ores et déjà publier ou inscrire par voie dématérialisée et, si tel n'est finalement pas le cas, qu'ils veillent à ce que les éventuelles adaptations techniques soient effectuées avant l'entrée en vigueur de cette nouvelle obligation, à peine de se voir, en principe, opposer le refus de leurs dépôts (II). I - La normalisation des acquis

A - Les origines de la dématérialisation

Cette nouvelle obligation n'est en réalité que l'aboutissement d'un processus que les notaires ont engagé au milieu des années 2000 lorsque fut lancé Télé@ctes en partenariat avec les pouvoirs publics. Le développement de ce projet s'est traduit par la signature de plusieurs conventions entre la Direction générale des finances publiques (DGFIP) et le Conseil supérieur du notariat (CSN) dont l'objet était d'organiser la montée en puissance progressive du dispositif et de faire converger tous les acteurs de la publicité foncière vers l'objectif commun de la dématérialisation totale des échanges. Du reste, ces échanges débordent à ce jour largement les dépôts (d'actes, de bordereaux, d'attestations) effectués par les notaires auprès des services chargés de la publicité foncière pour s'étendre, dans le sens inverse, à la télétransmission des mentions de publication, des réponses aux demandes de renseignements initiales ou complémentaires, ainsi que des copies d'actes.

Cette évolution a nécessité la coopération de plusieurs acteurs ainsi que l'identification et la mise en oeuvre d'un certain nombre de prérequis. Alors que les pouvoirs publics avaient entamé depuis quelques années la modernisation du traitement des informations, effectué par les bureaux des hypothèques via le Fichier informatisé des données juridiques immobilières (FIDJI), les notaires ont, de leur côté, mis en place un réseau destiné à gérer en toute sécurité l'ensemble des flux de données numériques. C'est ainsi que fut lancée la plate-forme "Planète" dont le fonctionnement est aujourd'hui assuré via le Réseau électronique notarial (REAL) auquel les notaires ont accès au moyen d'une clé nécessaire à l'authentification de leur signature électronique. Ce procédé obéit à des normes de sécurité qui placent sans aucun doute le notariat à la pointe des professions du droit, et ce, bien au-delà de nos frontières. Les sociétés de services et d'ingénierie en informatique (SSII) ont, quant à elles, été amenées à faire évoluer les logiciels de rédaction d'actes et de comptabilité utilisés par les notaires pour se conformer aux normes contenues dans un cahier des charges établi par la profession, étant entendu que seuls les logiciels répondant à ces standards ont obtenu le sésame indispensable : le label télé@ctes. Les progrès accumulés au cours des phases successives de développement de l'outil ont abouti à la version V4 actuellement utilisée dans les offices. Il n'y a donc rien d'étonnant à voir la forte implication de l'ensemble des acteurs associés à ce projet aboutir à sa consolidation par voie réglementaire. Le succès de ce partenariat préfigure d'ailleurs d'autres avancées telles que la possibilité pour les notaires d'accéder directement aux données du fichier immobilier (1), à l'image de ce qu'offre d'ores et déjà l'outil informatique utilisé dans les bureaux fonciers d'Alsace-Moselle (2).

Nul ne sait cependant à ce jour si l'arrêté qui sera publié en application du décret du 4 mai 2017 se contentera de consolider la liste des actes issus de la version V4 ou s'il ira au-delà. On peut penser que, comme par le passé, le maintien de la labélisation des logiciels sera subordonné à la réalisation par les SSII des adaptations qui seront rendues nécessaires pour permettre aux notaires de se conformer à cette obligation.

Précisons encore que le décret s'appliquera aux documents signés à compter du 1er janvier 2018. Il faut ici comprendre que cette obligation ne vise pas les actes qui, régularisés avant le 1er janvier 2018, seront déposés après cette date.

B - Les bienfaits de la dématérialisation

La pratique de la dématérialisation présente de nombreux avantages tant pour les services chargés de la publicité foncière que pour les notaires. Alors qu'elle permet aux premiers de réduire la saisie de données, d'en éviter la dispersion et d'en faciliter la mise à jour, elle incite les seconds à mettre en place un véritable contrôle de la qualité formelle des actes. D'un bout à l'autre de la chaîne, les gains en temps et en sécurité sont donc considérables.

Sur le plan technique, il s'agit pour le notaire de publier un acte dématérialisé à partir d'un support téléactable, que ce support soit constitué d'un acte papier ou d'un acte authentique électronique. Cette dématérialisation étant réalisée sur la base de fiches que les rédacteurs renseignent au préalable, il se peut que, par erreur, les éléments dématérialisés diffèrent de la partie littérale de l'acte. Cette éventualité oblige d'un côté le rédacteur à remonter dans les fiches clients et immeubles les modifications qui sont susceptibles d'intervenir jusqu'au moment de la réception et, de l'autre, les formalistes à exercer un contrôle de conformité absolue des éléments dématérialisés dans l'ordre suivant : date et rédacteur de l'acte, état-civil des parties à l'acte, désignation des immeubles, effets relatifs, propriété-jouissance, prix et modalités de paiement, déclaration fiscale, et liquidation des droits. L'objectif est de limiter les causes de rejet, outre les coûts qui en résultent, en s'assurant de la parfaite concordance entre les éléments transmis au service chargé de la publicité foncière et ceux qui sont d'ores et déjà contenus dans le fichier immobilier (3).

II - La sanction de la norme

A - Le principe du refus de dépôt

La nouveauté vient de ce que, faute pour le notaire de se conformer à cette obligation, celui-ci se verra opposer le refus de son dépôt. L'introduction par voie réglementaire de ce nouveau cas de refus a été rendu nécessaire en application du principe de légalité des causes de refus édicté à l'article 257 de l'annexe III au Code général des impôts  (N° Lexbase : L2861KIS). On mesure ici le degré de détermination des pouvoirs publics à franchir cette nouvelle étape si l'on en juge par la place qu'occupe le refus dans l'arsenal des sanctions mises à disposition des services chargés de la publicité foncière. A l'instar du rejet, le refus vise à assurer la parfaite régularité formelle des actes qui sont destinés à être publiés. Mais alors que le rejet vise à sanctionner les inexactitudes ou discordances entre le titre déjà publié et celui qui est soumis à la formalité, le refus intervient lorsque le contrôle, effectué par le service, révèle une erreur grossière. Parmi ces lacunes : l'absence de mention de la certification d'identité des parties à l'acte, l'absence de désignation des immeubles, l'omission de la commune, le défaut de remise du document d'arpentage, l'absence des mentions relatives à l'imposition des plus-values immobilières, le défaut d'authenticité, etc.. Ainsi, le fait de déposer un acte sous la forme papier sera traité, du point de vue de la sanction applicable, de la même manière qu'un acte qui n'aura pas été dressé en la forme authentique (4). Le rejet et le refus se distinguent encore par leurs effets. Alors que le rejet consiste pour le service chargé de la publicité foncière à annoter le fichier immobilier de la mention "formalité en attente" et à accorder un délai d'un mois au notaire pour procéder au dépôt d'une attestation ou d'un acte rectificatif qui a pour avantage de prendre rang à la date du premier dépôt, le refus implique un nouveau dépôt qui ne prendra rang qu'à sa date (5). Autrement dit, le registre des dépôts étant arrêté chaque jour, il est impossible d'effectuer une annotation rétroactive d'un dépôt primitif refusé. Les formalistes savent combien les effets attachés à ce principe peuvent être fâcheux tant sur le plan fiscal que civil.

Sur le plan fiscal, le refus équivaut à une absence de dépôt. Il en résulte que la provision versée est restituée. Le notaire doit dans ce cas effectuer un second dépôt dans le mois de la notification du refus (6) à peine de déclencher l'application combinée d'un intérêt de retard et d'une majoration de 10 % liquidée sur le montant de l'imposition exigible.

Sur le plan civil, toute inscription ou publication (7) qui surviendrait entre-temps primerait celle requise consécutivement à un refus en attente de régularisation.

B - L'exception

Le décret introduit une exception particulièrement bienvenue à l'application de cette sanction : en effet, le refus ne sera pas opposé "en cas d'indisponibilité du service de télétransmission ne permettant pas de respecter le délai prévu au III de l'article 647 du Code général des impôts (N° Lexbase : L1603IZE)" (8). Rappelons à cet égard que selon l'article 647 III du Code général des impôts (9), les notaires disposent d'un délai d'un mois à compter de la date de l'acte pour requérir la formalité fusionnée (10). Cette exception vise à pondérer la rigueur de la dépendance à l'outil informatique et à se prémunir contre une éventuelle panne ou opération de maintenance. On remarquera cependant que le texte ne vise que le cas d'indisponibilité du service de télétransmission, ce qui paraît à première vue exclure l'hypothèse d'une panne interne à l'office notarial. On ne saurait donc que trop conseiller aux notaires d'inciter leurs formalistes à ne pas attendre le dernier jour.

A l'analyse, on verra moins, dans cette nouvelle mission, l'irruption d'une énième norme à destination de l'une des professions les plus réglementées, que le témoin de la qualité du partenariat qui ne s'est jamais démenti entre les instances de la profession et les pouvoirs publics. Il convient de surcroît d'admettre que cette dématérialisation va dans le sens d'une histoire dont la plupart des chapitres ne sont pas encore écrits. On peut prédire sans se tromper que tous les actes notariés donnant lieu à inscription ou publicité obligatoire voire facultative entreront à terme dans le champ des échanges électroniques et, en faisant preuve davantage d'imagination, qu'en signant un acte authentique électronique le notaire pourra bientôt, s'il le souhaite, déclencher son dépôt ainsi que, le cas échéant, l'ensemble des opérations comptables liées à la transaction (virement du prix, des sommes dues à la banque ou au syndic de copropriété,...).

Mais il y a d'autres de marges de progrès : on pense à l'automatisation de certaines formalités (purge des droits de préemption, suivi du financement, échanges avec les syndics...) dont l'exécution pourrait faire l'objet d'une programmation par le notaire, en sa qualité de tiers de confiance, en amont ou en aval de la régularisation de l'acte. Quelques rares esprits chagrins verront dans cette inéluctable évolution une regrettable accélération de la robotisation de la profession. Nous y verrons, au contraire, l'occasion d'encourager tous les notaires à confier à l'outil informatique l'exécution, sous leur contrôle, de tâches sans réelle valeur ajoutée qui les empêchent de se consacrer exclusivement au développement de leurs domaines d'expertise ainsi qu'au contrôle au fond des actes qu'ils sont chargés d'authentifier. C'est d'ailleurs sur cette relation équilibrée entre les notaires, auxquels la loi attribue une mission de contrôle au fond, et les services de l'Etat, chargés de vérifier la régularité formelle des actes, que prospère l'incontestable fiabilité de notre système de publicité foncière. Cette évolution prouve enfin, s'il en était besoin, que le numérique peut parfaitement servir notre système juridique sans le bousculer. Une expérience à méditer....


(1) Ainsi que le rapportait un article en ligne à l'occasion du lancement du 112ème Congrès des notaires "le directeur des Finances publiques, Bruno Parent, avait également fait le déplacement, une première au congrès des notaires, pour annoncer à ces derniers la signature d'une convention-cadre avec le Conseil supérieur du notariat visant à leur octroyer un accès direct au fichier immobilier". Cet accès direct permettrait d'alléger de manière significative la masse de travail des services chargés de la publicité foncière.
(2) Décret n° 2009-1193 du 7 octobre 2009, art. 7 (N° Lexbase : L1795DNS).
(3) Ce principe de conformité absolue se conjugue à l'obligation faite aux notaires de requérir la publication des actes qu'ils reçoivent, et ce, indépendamment de la volonté des parties (décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, art. 32) pour assurer l'indispensable fiabilité du fichier immobilier.
(4) Décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, portant réforme de la publicité foncière, art. 4 (N° Lexbase : L9182AZ4) ; décret n° 55-1350 du 14 octobre 1955, art. 68, § 2 (N° Lexbase : L1795DNS).
(5) Ce refus est notifié par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou remise contre récépissé au déposant, dans le délai maximum de 15 jours à compter de la remise des documents : décret du 14 octobre 1955, art. 74 § 1.
(6) CGI, art. 1728-3.
(7) Il faut cependant rappeler que le nouvel article 1198, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L0906KZL) subordonne l'application du principe prior tempore potior jure à la bonne foi de celui qui se prévaut de l'antériorité de la publication de son titre.
(8) Décret n° 2017-770, 4 mai 2017, art. 3.
(9) Modifié par l'article 17 de la loi n° 2013-1279 du 29 décembre 2013 (N° Lexbase : L7404IYU). Le texte prévoit une exception : en cas d'adjudication, ce délai est porté à deux mois.
(10) Pour l'exécution de la publicité foncière dans la ou les autres conservations des hypothèques compétentes, les parties disposent du délai supplémentaire global d'un mois prévu à l'article 33 du décret du 4 janvier 1955 du CGI : BOI-ENR-DG-40-20-40 (N° Lexbase : X5026ALQ), 12 septembre 2012, n° 40.

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Procédure pénale

[Brèves] Frais de justice en matière pénale : exit les frais de conservation d'un corps dans une chambre mortuaire sur réquisition d'une autorité judiciaire !

Réf. : Cass. crim., 7 juin 2017, n° 16-84.120, F-P+B (N° Lexbase : A4410WHS)

Lecture: 1 min

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par Aziber Seïd Algadi

Le 15 Juin 2017

Les frais de justice criminelle, correctionnelle et de police, énumérés par l'article R. 147 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L0733AC7), ne comprennent pas ceux de conservation d'un corps, dans une chambre mortuaire, sur réquisition d'une autorité judiciaire. Tel est le principal apport d'un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, rendu le 7 juin 2017 (Cass. crim., 7 juin 2017, n° 16-84.120, F-P+B N° Lexbase : A4410WHS).

En l'espèce, sur les réquisitions du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bayonne, le centre hospitalier universitaire de Bordeaux (le centre hospitalier) a conservé un corps putréfié ainsi que des scellés toxicologiques, anatomo-cytopathologiques et d'examen radiologique durant 448 jours. Un mémoire de frais s'élevant à 22 451 euros, dont 22 400 euros pour la conservation du corps, ayant été présenté après la délivrance du permis d'inhumer, le magistrat taxateur a, sur le fondement de l'article R. 147 du Code de procédure pénale, fixant le tarif des frais de justice criminelle, correctionnelle et de police pour la conservation des scellés, réduit à 123,20 euros la somme à verser au centre hospitalier. Ce dernier a formé un recours contre cette décision. Pour confirmer l'ordonnance de taxe, la cour d'appel a énoncé que c'est à juste titre que le magistrat taxateur a fait application de la tarification prévue à l'article R. 147 du Code de procédure pénale relatif à la conservation des scellés.

A tort. En se déterminant ainsi, relève la Cour de cassation, alors que le corps déposé en chambre mortuaire, s'il était sous main de justice, ne constituait pas pour autant un objet placé sous scellé et que les frais de conservation de corps relèvent des frais de justice criminelle, correctionnelle et de police prévus par l'article R. 92 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L9730IXN) et doivent être fixés par le juge taxateur, la chambre de l'instruction a méconnu les articles R. 147 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 800 (N° Lexbase : L0886HHB), R. 92 et R. 93 (N° Lexbase : L9731IXP) dudit code et le principe ci-dessus rappelé (cf. l’Ouvrage "Procédure pénale" N° Lexbase : E4277EUX).

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Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] Paiement de l'expertise CHSCT annulée : la Cour de cassation à l'unisson du Conseil constitutionnel

Réf. : Cass. soc., 31 mai 2017, n° 16-16.949, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6652WE4)

Lecture: 8 min

N8737BWI

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par Christophe Radé, Professeur à la Faculté de droit de Bordeaux, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 15 Juin 2017

La censure par le Conseil constitutionnel des dispositions de l'article L. 4614-13 du Code du travail (N° Lexbase : L7241K93), relative à la contestation de l'expertise CHSCT, a été différée au 1er janvier 2017, pour laisser le temps au législateur de modifier le texte, ce qu'il a fait, en 2016, dans le cadre de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (N° Lexbase : L8436K9C), dite loi "El Khomri". Les entreprises victimes de la jurisprudence antérieure obligeant l'employeur à régler les frais d'expertise en dépit de l'annulation judiciaire de la décision du CHSCT, ont tenté de convaincre la Cour de cassation de modifier sans attendre son interprétation de l'ancien texte, en vain, puis de démontrer que le report de l'abrogation du texte porterait atteinte au droit au procès équitable, l'annulation de la décision de désignation de l'expert étant impuissante à libérer l'employeur de son obligation de paiement de l'expert (I). Dans cet arrêt très largement publié, en date du 31 mai 2017, la Chambre sociale de la Cour de cassation refuse de neutraliser le report des effets de l'abrogation, considérant que les atteintes alléguées aux articles 2 (N° Lexbase : L4753AQ4), 6 § 1 (N° Lexbase : L7558AIR) et 8 (N° Lexbase : L4798AQR) de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) étaient à la fois justifiées et proportionnées (II).
Résumé

Les dispositions de l'article L. 4614-13 du Code du travail, telles qu'interprétées de façon constante par la Cour de cassation, constituent le droit positif applicable jusqu'à ce que le législateur remédie à l'inconstitutionnalité constatée dans sa décision n° 2015-500 QPC du 27 novembre 2015 (N° Lexbase : A9179NXA) (contestation et prise en charge des frais d'une expertise décidée par le CHSCT) et au plus tard jusqu'au 1er janvier 2017. L'atteinte ainsi portée au droit de propriété et au droit au recours effectif pour une durée limitée dans le temps est nécessaire et proportionnée au but poursuivi par les articles 2 et 8 de la CESDH protégeant la santé et la vie des salariés en raison des risques liés à leur domaine d'activité professionnelle ou de leurs conditions matérielles de travail.

I - Nouvelle tentative pour faire revenir la Cour de cassation sur l'obligation de payer l'expert CHSCT en dépit de l'annulation de la délibération l'ayant désigné

L'abrogation de l'article L. 4614-13 du Code du travail. Le 27 novembre 2015, le Conseil constitutionnel censurait, dans le cadre d'une QPC, le premier alinéa et la première phrase du deuxième alinéa de l'article L. 4614-13 du Code du travail, relatifs à l'expertise du CHSCT et dont la Cour de cassation avait déduit que l'employeur devait payer les frais d'expert même lorsque la délibération l'ayant désigné avait été annulée judiciairement ; le Conseil avait, en effet, considéré que la combinaison de l'absence d'effet suspensif du recours de l'employeur et de l'absence de délai d'examen de ce recours conduisait à ce que l'employeur soit privé de toute protection de son droit de propriété en dépit de l'exercice d'une voie de recours (1).

Différé d'application de la décision. Pour laisser le temps au Parlement d'adopter un nouveau texte (2) et dérogeant au principe de l'application immédiate de l'abrogation (3), le Conseil a décidé de repousser les effets de l'abrogation au 1er janvier 2017, comme le lui permet l'article 62 de la Constitution (N° Lexbase : L1328A93) (4). Le Conseil n'a pas choisi de moduler plus finement les effets de l'abrogation pendant la période transitoire, comme il a pu le faire, par ailleurs, en identifiant des bénéficiaires immédiats de l'abrogation (5), voire en anticipant sur d'éventuelles discussions sur la portée de celle-ci (6).

La volonté de ne pas abroger avec effet immédiat les dispositions inconstitutionnelles de l'article L. 4614-13 du Code du travail tenait au fait qu'en censurant le premier alinéa ("Les frais d'expertise sont à la charge de l'employeur") et la première phrase du deuxième alinéa ("L'employeur qui entend contester la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût, l'étendue ou le délai de l'expertise, saisit le juge judiciaire"), le Conseil privait l'expertise de tout financement et l'employeur de tout recours, ce qui aurait porté gravement atteinte au principe de participation et au droit à la santé des travailleurs, ainsi qu'au droit au procès équitable de l'employeur. Dans des affaires précédentes, le Conseil avait pu utiliser ce pouvoir de modulation pour assurer la protection de l'ordre public, singulièrement en matière répressive où l'abrogation aurait pu entraîner la remise en liberté d'individus s'étant rendus coupables d'infractions graves (7), ou aurait privé l'Etat de tout moyen de surveillance des communications par voie hertzienne (8). S'agissant des abrogations intéressant directement le droit du travail, le Conseil a, par le passé, indiqué simplement qu'il n'a pas le pouvoir de remplacer lui-même les dispositions abrogées et qu'il appartiendra donc au législateur de combler le vide programmé (9). Mais parfois, il a indiqué les motifs qui l'ont conduit à adopter un régime transitoire,et a pu souhaiter protéger la liberté syndicale en faisant en sorte que l'abrogation d'un texte, jugé comme ne garantissant pas suffisamment son effectivité, ne produise précisément pas l'effet que l'on souhaitait éviter en privant l'entreprise concernée de toute représentation syndicale (10).

Détermination du droit applicable dans la période transitoire. La question du droit applicable pendant la période transitoire, c'est-à-dire en attendant que l'abrogation entre "en vigueur", s'est rapidement posée.

La Chambre sociale de la Cour de cassation a indiqué, dans un arrêt largement médiatisé en date du 15 mars 2016, qu'elle ne modifierait pas sa jurisprudence antérieure dont l'application avait été, en quelque sorte, consacrée implicitement par le maintien d'une période transitoire et l'absence de réserve d'interprétation sur le droit applicable à cette période (11). Il faut dire que l'interprétation du texte semblait fidèle à celui-ci, quoi que les conséquences en fussent regrettables, de telle sorte que la marge d'interprétation laissée au juge semblait inexistante (12).

Nouvelle tentative pour faire plier la Cour de cassation. C'est à une nouvelle tentative pour faire céder la Cour pendant le régime transitoire qu'on assiste dans cette nouvelle décision où le demandeur invoquait, cette fois-ci, des arguments d'inconventionnalité pour écarter le différé d'application de l'abrogation.

La possibilité que soient écartés certains effets d'une décision du Conseil constitutionnel au nom de la contrariété avec le droit international doit être admise, par principe. Si le juge judiciaire doit constitutionnellement respecter les décisions d'abrogation prises par le Conseil constitutionnel, le juge ne pouvant pas faire revivre une loi qui n'existe plus (et sauf à admettre l'existence d'une obligation positive de l'Etat pour assurer l'effectivité du respect d'un droit fondamental), il demeure libre de considérer que, pendant la période transitoire définie par le Conseil constitutionnel, le droit applicable peut être neutralisé en raison de son inconventionnalité.

Dans cette affaire, la cour d'appel avait refusé de condamner l'employeur à payer l'expertise réalisée, alors que la délibération l'ayant décidée avait été, entre temps, annulée en appel, au nom du respect du droit à un procès équitable de l'article 6 § 1 de la CESDH et du principe de la garantie des droits de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen (N° Lexbase : L1363A9D) (DDHC), la cour d'appel considérant qu'il convenait, ainsi, de tirer toutes les conséquences de la décision de justice ayant annulé définitivement la délibération du CHSCT ordonnant l'expertise.

La cassation. Cette décision est ici cassée, au visa des articles 2, 6, § 1, et 8 de la CESDH, la Cour de cassation considérant que "l'atteinte ainsi portée au droit de propriété et au droit au recours effectif pour une durée limitée dans le temps est nécessaire et proportionnée au but poursuivi par les articles 2 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales protégeant la santé et la vie des salariés en raison des risques liés à leur domaine d'activité professionnelle ou à leurs conditions matérielles de travail".

II - La confirmation bienvenue de la période de report des effets de l'abrogation

L'intérêt de la décision. La solution est intéressante, à plus d'un titre.

En premier lieu ce sont les visas de la décision qui doivent être explicités.

La Cour vise, ainsi, le droit à la vie de l'article 2 de la CESDH, dont on sait que la CEDH a tiré plus largement un droit à la sécurité. Dernièrement d'ailleurs, dans un arrêt rendu le 2 février 2016, la CEDH avait affirmé, pour synthétiser son importante jurisprudence rendue sur la base de l'article 2 de la CESDH, que ce dernier doit être déclaré applicable dans "des situations dans lesquelles la santé ou la vie des individus se trouvaient menacées en raison des risques liés à leur domaine d'activité professionnelle -souvent dans le secteur industriel- et/ou de leurs conditions matérielles de travail" (13). C'est cette formule que l'on retrouve d'ailleurs directement dans l'arrêt, et qui justifie le refus de neutraliser l'application de la période de report des effets de l'abrogation.

La Cour de cassation vise également l'article 8, qui consacre le droit au respect de la vie privée et familiale (alinéa 1er) et autorise explicitement (alinéa 2) les ingérences légales nécessaires à la protection de la santé. Dans l'arrêt en date du 2 février 2016 d'ailleurs, la CEDH avait raisonné de la même manière s'agissant des atteintes au droit à la santé et au droit au respect de la vie privée, ce que fait également ici la Cour de cassation.

Quant à la proportionnalité de la mesure adoptée, le caractère temporaire du dispositif transitoire suffit à rendre les atteintes constatées et justifiées acceptables, la période ayant d'ailleurs été abrégée par l'adoption des nouvelles dispositions par la loi "El Khomri" le 8 août 2016, avec quelques mois d'avance sur la fin de la période de report.

Une solution raisonnable. Le refus de neutraliser les dispositions d'application adoptées par le Conseil constitutionnel nous semble raisonnable.

En premier lieu, la Cour de cassation est constitutionnellement soumise à l'autorité du Conseil constitutionnel. Certes, cette autorité ne vaut que dans le champ constitutionnel et on sait, depuis la décision "IVG" de 1975 (Cons. const., décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975 N° Lexbase : A7913AC3), qu'il appartient au juge judiciaire d'assurer parallèlement le respect du droit international par le législateur, de telle sorte qu'on peut imaginer qu'une disposition, déclarée constitutionnelle (même transitoirement), soit considérée comme inconventionnelle. Mais il serait pour le moins paradoxal que la Cour de cassation puisse utiliser son contrôle de conventionalité pour se soustraire, de fait, à l'autorité constitutionnelle du Conseil, surtout lorsque l'atteinte alléguée aux droits fondamentaux n'est pas flagrante.

En second lieu, on ne peut que se réjouir de la convergence des interprétations entre le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation, s'agissant du respect par le législateur des droits fondamentaux. Le Conseil constitutionnel, lorsqu'il détermine les effets de l'abrogation qu'il prononce, procède, en effet, à une pesée des intérêts en présence. Il détermine ainsi si les atteintes aux droits et libertés sanctionnées par l'abrogation sont supérieures aux atteintes qui résulteraient d'une abrogation brutale des textes légaux concernés, étant entendu qu'en abrogeant les textes incriminés, le Conseil constitutionnel supprime l'inconstitutionnalité mais en même temps les autres aspects des textes concernés, ces autres aspects pouvant être nécessaires à la mise en oeuvre ou à la protection d'autres droits constitutionnels. Dans ces conditions, la Cour de cassation, interrogée sur la conventionalité du report des effets d'une décision d'abrogation, procède à cette même pesée, avec les mêmes exigences, et il n'est donc pas surprenant qu'elle aboutisse à une même conclusion, singulièrement lorsque les atteintes alléguées aux droits fondamentaux sont à la fois justifiées (ici, par le désir de ne pas paralyser la procédure de l'expertise CHSCT nécessaire à la préservation du droit à la santé des travailleurs) et proportionnées (en raison notamment du caractère temporaire de la mesure).

Ne pourrait-on pas, d'ailleurs, souhaiter que, pour éviter tout risque de contradiction sur ces questions entre le Conseil constitutionnel, la Cour de cassation et le Conseil d'Etat, l'autorité du Conseil constitutionnel s'étende également au contrôle de conventionalité, soit au prix d'un abandon, par le Conseil, de sa jurisprudence "IVG", soit à l'occasion d'une réforme de la Constitution, qui transformerait la mission et la composition du Conseil, pour en faire le gardien suprême des libertés (14) ?

L'Etat responsable ? Quant aux entreprises qui continuent de devoir payer des expertises annulées en justice pendant la période transitoire, ne pourrait-on pas considérer qu'elles sont victimes d'une rupture d'égalité devant les charges publiques ? Plus largement d'ailleurs, et dans la mesure où l'inconstitutionnalité de l'article L. 4614-13 du Code du travail a été constatée par le Conseil constitutionnel, ne pourrait-on pas engager la responsabilité de l'Etat en raison de l'adoption de textes législatifs défectueux et à l'origine de préjudices importants pour les entreprises ?


(1) Cons. const., décision n° 2015-500 QPC du27 novembre 2015 (N° Lexbase : A9179NXA).
(2) On sait que le Parlement a modifié le texte par la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels (N° Lexbase : L8436K9C) (article 31) qui a modifié les termes de l'article L. 4614-13 du Code du travail (N° Lexbase : L7241K93) et prévu une procédure suspensive de contestation du recours à l'expertise CHSCT qui règle la question en amont de l'expertise, et l'obligation faite à l'expert de rembourser les honoraires perçus en cas d'annulation de la délibération l'ayant désigné, en aval.
(3) Cons. const., décision n° 2014-374 QPC du 4 avril 2014 (N° Lexbase : A4068MII) ; Cons. const., décision n° 2015-523 QPC du 2 mars 2016 (N° Lexbase : A7973QDN) et nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 647, 2016 (N° Lexbase : N1762BW8) ; Cons. const., décision n° 2015-476 QPC du 17 juillet 2015 (N° Lexbase : A8504NMW) ; Cons. const., décision n° 2016-547 QPC du 24 juin 2016 (N° Lexbase : A0911RUB).
(4) Sur des exemples récents, lire M. Disant, Lexbase, éd. pub., n° 459, 2017 (N° Lexbase : N8060BWG).
(5) Dernièrement, Cons. const., décision n° 2016-554 QPC du 22 juillet 2016 (N° Lexbase : A7430RXH) ; Cons. const, décision n° 2016-588 QPC du 28 octobre 2016 (N° Lexbase : A0118R8U).
(6) Cons. const., décision n° 2013-336 QPC du 1er août 2013 (N° Lexbase : A1823KKQ) et nos obs, Lexbase, éd. soc., n° 538, 2013 (N° Lexbase : N8339BTZ).
(7) Dernièrement, Cons. const., décision n° 2016-600 QPC du 2 décembre 2016 (N° Lexbase : A8023SLQ).
(8) Cons. const., décision n° 2016-590 QPC du 21 octobre 2016 (N° Lexbase : A0120R8X).
(9) Cons. const., décision n° 2011-205 QPC du 9 décembre 2011 (N° Lexbase : A1701H4R).
(10) Cons. const., décision n° 2016-579 QPC du 5 octobre 2016 (N° Lexbase : A8085R49) et nos obs., Lexbase, éd. soc., n° 674, 2016 (N° Lexbase : N4883BWR).
(11) Cass. soc., 15 mars 2006, n° 14-16.242, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A2687Q7N) et les obs. de G. Auzéro, Lexbase, éd. soc., n° 649, 2016 (N° Lexbase : N2008BWB).
(12) C'était le sens des explications fournies sur cet arrêt par le Doyen J.-G. Huglo, dans un entretien publié à la SSL, 2016, n° 1715, p. 10.
(13) CEDH, 2 février 2016, req. 3648/04 (N° Lexbase : A3768PAS).
(14) En ce sens notre tribune Réformer le Conseil constitutionnel, Dr. soc., 2014, p. 785.

Décision

Cass. soc., 31 mai 2017, n° 16-16.949, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6652WE4)

Cassation (CA Versailles, 10 mars 2016, n° 14/05034 N° Lexbase : A5825QYE)

Textes : CESDH, art. 2 (N° Lexbase : L4753AQ4), 6 § 1 (N° Lexbase : L7558AIR) et 8 (N° Lexbase : L4798AQR) ; C. trav., art. L. 4614-12 (N° Lexbase : L5577KGN) et L. 4614-13 (N° Lexbase : L0722IXZ), dans leur rédaction applicable en la cause.

Mots clef : QPC ; abrogation ; aménagement des effets ; CHSCT ; expertise.

Lien base : (N° Lexbase : E3406ETC).

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Droit pénal du travail

[Brèves] Travail dissimulé : engagement de la responsabilité pénale d'une société uniquement pour les infractions commises, pour son compte, par ses organes ou représentants

Réf. : Cass. crim., 7 juin 2017, n° 15-87.214, FS-P+B (N° Lexbase : A4415WHY)

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par Blanche Chaumet

Le 16 Juin 2017

Dès lors qu'il n'est pas démontré que les agissements de travail dissimulé, d'emploi d'étrangers non munis d'une autorisation de travail et d'aide à l'entrée ou au séjour d'étrangers en France résultent de l'action de l'un des organes ou représentants de la société prévenue, cette dernière ne peut être déclarée responsable pénalement des infractions commises. Telle est l'une des solutions dégagée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 7 juin 2017 (Cass. crim., 7 juin 2017, n° 15-87.214, FS-P+B N° Lexbase : A4415WHY ; voir également Cass. crim., 6 mai 2014, deux arrêts, n° 13-82.677, FS-P+B+I N° Lexbase : A8149MKZ et n° 13-81.406, F-P+B+I N° Lexbase : A8148MKY).

En l'espèce, un premier contrôle, réalisé sur un chantier de construction a révélé l'emploi par la société X de treize ressortissants roumains, démunis pour certains de titre de séjour et d'autorisation de travail, alors qu'ils avaient été recrutés par la société en Roumanie par le truchement d'une société Y de droit roumain. Lors d'un second contrôle de ce chantier, la présence de vingt salariés de nationalité roumaine, employés dans des conditions similaires, a été constatée. Les investigations menées ont permis d'établir que ces travailleurs avaient été embauchés par la société Y, en qualité d'intérimaires, avant d'être envoyés en France, pour une durée indéterminée, puis mis à la disposition notamment de la société X, cette dernière les employant sur ledit chantier et assurant leur hébergement à ce titre. Selon divers documents, les salaires indiqués et le nombre d'heures de travail effectuées par ces travailleurs tels que mentionnés sur les contrats de mise à disposition étaient inexacts et selon les éléments transmis par l'administration du travail roumaine, la société Y ne bénéficiaient pas du statut d'entreprise de travail temporaire et aucun contrat de mise à disposition établi par ces société pour treize des salariés ayant oeuvré pour le compte de la société X n'avait été établi, situation dont il était déduit l'existence de faits de travail dissimulé. Saisi des poursuites engagées contre ladite société, le tribunal a déclaré la société X coupable des chefs de travail dissimulé, d'emploi d'étrangers non munis d'une autorisation de travail et d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'étrangers en France. Cette dernière ainsi que le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.

La cour d'appel ayant confirmé le jugement et déclaré la société X coupable, cette dernière s'est pourvue en cassation.

Cependant, en énonçant la règle susvisée, la Haute juridiction casse l'arrêt d'appel au visa des articles 121-2 du Code pénal (N° Lexbase : L3167HPY) et 593 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L3977AZC) (cf. l’Ouvrage "Droit du travail" N° Lexbase : E2838ETB).

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