La lettre juridique n°349 du 7 mai 2009

La lettre juridique - Édition n°349

Éditorial

Le prix du livre au XXIème siècle : un prix en vaut-il mieux que deux ?

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


On se souvient que la loi de modernisation de l'économie, dite "LME", promulguée en août 2008, entendait enrayer la fixation des prix, dans la grande distribution, par les fournisseurs et favoriser, ainsi, une meilleure négociation des prix d'approvisionnement ; l'ensemble, réformant la loi "Galland", devant tendre à une baisse globale des prix à la consommation finale.

Alors, peut-on imaginer l'incompréhension du citoyen lambda face à la loi n° 81-766 du 10 août 1981, relative au prix du livre, qui, pour protéger l'édition et la créativité littéraire, dispose d'un mécanisme de fixation des prix exactement inverse, pour ne pas dire un mécanisme de contrôle des prix -non par l'Etat, mais- par les éditeurs français réunis sur un marché oligopolistique.

De deux choses l'une, soit l'un de ces mécanismes n'est pas le bon, soit le livre n'est pas, décidément, un bien de consommation comme les autres, mais un bien culturel... et la culture doit se défaire du jeu la concurrence.

Toujours est-il que le système de fixation des prix du livre issue de la loi de 1981 est tellement rigide, qu'en pratique aucune promotion commerciale, aucun rabais, ni aucune ristourne, ne sont possibles, sans passer sous les Fourches Caudines de la "censure judiciaire". Pour preuve, cet arrêt rendu le 6 mars 2009 par la cour d'appel de Paris, sur renvoi après cassation, sur lequel revient Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier, et qui confirme la condamnation de l'action promotionnelle d'un éditeur, consistant dans le remboursement d'une somme de 4 euros à la suite de l'achat de deux ouvrages de sa collection. Si les premiers juges ayant eu à traiter de l'affaire ont constaté une pratique illicite en soi, les juges en formation de renvoi ont condamné l'action commerciale sur le terrain de la publicité faite auprès des détaillants. A leurs yeux, l'offre de remboursement est licite, mais tous les détaillants de France (et de Navarre) n'ont pas été informés de l'offre en question -et ce malgré une campagne importante mise en place par l'éditeur-, contrevenant, ainsi, à l'article 1er de la loi de 1981. L'information de tous les détaillants ne pouvant être garantie, on voit mal comment une telle action de promotion pourrait trouver grâce aux yeux des juges.

Et voici que, dans son objectif d'assurer une égalité des prix sur le territoire, la loi de 1981 et son interprétation judiciaire conduisent, souvent, à oublier le porte-monnaie des lecteurs et, plus singulièrement, le jeu de la concurrence.

Pour mémoire, jusqu'en 1979, le "prix conseillé" fut le système en vigueur en France. Le prix pouvait être marqué sur l'ouvrage ; et si les libraires appliquaient en général ce prix, ils étaient libres de vendre le livre avec des remises, voire avec des majorations de prix. En février 1979, l'"arrêté Monory" instaura le régime du "prix net". L'éditeur ne pouvait plus conseiller un quelconque prix, le libraire étant alors totalement libre de fixer son prix de vente au public sans qu'il puisse indiquer un quelconque prix de référence. C'est par la volonté présidentielle nouvelle que la loi de 1981 a instauré le système du prix unique du livre : chaque livre ayant un prix fixé par l'éditeur ou par l'importateur et ce prix s'imposant à tous les détaillants.

En 1981, Jack Lang, ministre de la Culture, avait alors défini devant l'Assemblée nationale les objectifs de la loi : "Ce régime dérogatoire est fondé sur le refus de considérer le livre comme un produit marchand banalisé et sur la volonté d'infléchir les mécanismes du marché pour assurer la prise en compte de sa nature de bien culturel qui ne saurait être soumis aux seules exigences de rentabilité immédiate. Le prix unique du livre doit permettre :

- l'égalité des citoyens devant le livre, qui sera vendu au même prix sur tout le territoire national ;

- le maintien d'un réseau décentralisé très dense de distribution, notamment dans les zones défavorisées ;

- le soutien au pluralisme dans la création et l'édition en particulier pour les ouvrages difficiles".

Or, force est de constater qu'en 30 ans la création littéraire est devenue une "industrie du livre", avec son salon, son marketing, ses meilleurs ventes régulièrement publiées, et ses records de publication toujours explosés. D'aucuns diront que c'est la loi de 1981 qui a assuré le pluralisme des publications, d'autres que le livre n'est plus un bien de consommation "à part" et qu'il doit répondre aux canons de la concurrence entre revendeurs et non plus seulement entre éditeurs, pour être le plus accessible possible à son public. Enfin, certains argueront que la pluralité des publications ne doit pas être confondue avec le pluralisme, et qu'à l'heure du cybermarché et des comparateurs de prix, la loi de 1981 pourrait bien passer pour une relique... de la Guerre froide.

Pourtant, le contrôle des prix n'a pas mauvaise presse par les temps qui courent. Un article de la Review of political economy (Stéphanie Laguérodie et Francisco Vergara, vol. 20, n° 4, octobre 2008) nous le rappelle. En effet, les pères fondateurs de la pensée libérale, Adam Smith en tête, n'y étaient pas opposés ; ce dernier souhaitant, par exemple, un système d'éducation publique à bas prix, accessible à tous, et un maximum légal sur les taux d'intérêt. Cecil Pigou écrivait que des prix plafonds "aident un Gouvernement à contenir la menace ultime d'une inflation galopante". Enfin, John Kenneth Galbraith reste, bien entendu, avec son ouvrage de 1952 (A Theory of Price Control), fruit de son rôle de contrôleur des prix dans le gouvernement Roosevelt, comme le principal penseur sur le sujet. Et, de convenir que le contrôle des prix est destiné à gagner du temps face à un dérapage inflationniste et ne peut être imposé que de manière temporaire (cf. Christian Chavagneux, Retour au contrôle des prix, Alternatives Economiques). Toute la question est donc de savoir si, contrairement aux produits alimentaires et assimilés, la priorité gouvernementale est à la baisse des prix des biens culturels ou à la stabilisation du marché du livre, par peur de voir s'opérer une restructuration du marché de la consommation culturelle...

"Les libraires établiront leur domicile où bon leur semblera ; quant aux trente-six imprimeurs qui suffiraient seuls à pourvoir les savants de la montagne, ils resteront dans la première enceinte, et par ce moyen on aura pourvu à l´intérêt de la religion, du gouvernement et des moeurs, à la liberté du commerce, au secours de la librairie qui en a plus besoin que jamais, à la commodité générale et au bien des lettres. Si donc les libraires requièrent à ce qu´il plaise au roi de leur permettre de passer les ponts et de déroger aux arrêts et règlements à ce contraire, il faut leur accorder". Ainsi conclut Diderot dans sa Lettre sur le commerce de la librairie. Mais, "s´ils demandent des défenses expresses à tous colporteurs et autres sans qualité de s´immiscer de leur commerce et de s´établir dans les maisons royales et autres lieux privilégiés, dépens, dommages et intérêts, même poursuite extraordinaire, information, enquête, peines selon les ordonnances, saisie et le reste, il faut leur accorder", poursuit-il. Décidément, la concurrence et le livre ne font pas bon ménage...

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Fiscal général

[Textes] LFR 2009 bis : présentation des dispositions fiscales

Réf. : Loi n° 2009-431 du 20 avril 2009 de finances rectificative pour 2009 (N° Lexbase : L1364IEA)

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition fiscale

Le 07 Octobre 2010

A été publiée au Journal officiel du 22 avril 2009 une nouvelle loi de finances rectificative pour 2009 (loi n° 2009-431 du 20 avril 2009, de finances rectificative pour 2009), après une première loi publiée en février (loi n° 2009-122 du 4 février 2009, de finances rectificative pour 2009 N° Lexbase : L7222ICH). Cette nouvelle loi intervient alors que l'Etat doit faire face à une révision de 8,5 milliards du montant des recettes nettes, la troisième depuis le dépôt du projet de loi de finances initiale pour 2009. Cette nouvelle baisse, liée à la crise économique actuelle, se traduit tant dans les recettes fiscales qui se réduisent en raison du jeu des stabilisateurs automatiques, qu'en matière de recettes non fiscales qui connaissent une forte érosion, notamment, en raison de la révision en matière de dividende et des recettes assimilées, et cela malgré les recettes provenant de la garantie accordée à la société de financement de l'économie française. Sur le plan budgétaire, la loi de finances rectificative intègre les dernières dispositions prévues pour la relance de l'économie découlant de deux séries d'engagement relatif au "pacte automobile", et au plan de relance social annoncé par le Président de la République le 18 février 2009. Cette loi vient également intégrer, sur le plan fiscal, les nouvelles dispositions relatives au crédit d'impôt en faveur des contribuables disposant de faibles revenus. D'autres dispositions fiscales, non prévues dans le cadre du projet initial, ont, par ailleurs, été adoptées. Lexbase Hebdo - édition fiscale vous propose de revenir en détail sur chacune de ces nouvelles mesures fiscales. 1. Fiscalité des particuliers
  • Crédit d'impôt en faveur des contribuables disposant de faibles revenus (loi n° 2009-431 du 20 avril 2009, art. 1)

Principale mesure de soutien du pouvoir d'achat et de la consommation, l'article 1er de la loi de finances rectificative pour 2009 crée un crédit d'impôt en faveur des contribuables dont le revenu imposable relève de la tranche à 5,5 % de l'impôt sur le revenu et de la tranche à 14 % dans la limite de 12 475 euros par part, et exonère ces contribuables du prélèvement du second acompte provisionnel ainsi que des prélèvements mensuels à compter du mois de mai 2009. Cet avantage fiscal exceptionnel est limité dans le temps pour les seuls revenus de l'année 2008.

1. La détermination du revenu imposable ouvrant droit au crédit d'impôt exceptionnel

Le bénéfice du crédit d'impôt exceptionnel n'est ouvert qu'aux contribuables dont le revenu imposable au barème est inférieur à 12 475 euros par part. Dans la mesure où cette condition ne permet toutefois pas de tenir compte des revenus qui ne sont pas imposables au barème parce qu'ils sont exonérés ou imposés à un taux proportionnel, après modification adoptée par l'Assemblée nationale, le dispositif finalement adopté fixe le plafond de l'ouverture du droit au crédit d'impôt sur la base du revenu fiscal de référence, afin de tenir compte de ces revenus. Cette modification apporte le correctif nécessaire au problème de justice fiscale selon lequel des contribuables aux revenus très élevés peuvent avoir un revenu net imposable très bas, grâce à de nombreux abattements et charges qui les font entrer dans la tranche d'imposition à 5,5 %.

Par ailleurs, l'imputation de certains déficits et charges sur le revenu global pouvant considérablement réduire le montant du revenu net imposable, le texte prévoit expressément, après modification issue de l'Assemblée nationale, d'exclure de l'imputation sur le revenu global de 2008 les déficits fonciers (dispositifs "Malraux", "meublés" ou "monuments historiques"). Ainsi, sans attendre le plafonnement global de ces avantages fiscaux qui ne sera effectif qu'en 2010, sur les revenus de 2009, le bénéfice du crédit d'impôt est réservé, conformément à l'esprit de la mesure, aux ménages les plus modestes et exclut ceux qui auraient utilisé des dispositifs de défiscalisation non encore plafonnés.

Enfin, la formule retenue pour apprécier le droit au crédit d'impôt est "familialisée" dans la mesure où le revenu déterminé est divisé par le nombre de parts de quotient familial, le plafond étant fixé à 12 475 euros par part. Ainsi, le revenu du foyer fiscal éligible à la mesure croît avec le nombre de membres composant la famille, conformément à la technique du quotient familial.

2. Le calcul de l'avantage fiscal équivalent aux deux tiers de l'impôt à payer pour les revenus relevant de la tranche d'imposition à 5,5 %

Pour tous les contribuables dont le revenu net imposable par part est inférieur ou égal à 11 673 euros, soit le montant maximum de la tranche imposable à 5,5 %, le montant du crédit d'impôt exceptionnel est égal aux deux tiers de l'impôt net à payer.

Toutefois, l'impôt net à payer étant le résultat d'une succession d'opérations correspondant à l'application de la décote puis à la somme des réductions et des crédits d'impôts auquel chaque foyer fiscal a droit par ailleurs, la prise en compte de ces réductions d'impôt dans le calcul du crédit d'impôt exceptionnel aurait pour effet mécanique d'en réduire ou annuler le montant. C'est pourquoi, il est prévu que le crédit d'impôt est calculé après l'application de la décote, mais imputé après les réductions d'impôt. De ce fait, s'il excède l'impôt dû, l'excédent est restitué au contribuable. L'avantage fiscal est donc cumulatif et ne se limite pas à produire une baisse d'impôt mais vient majorer les restitutions dues au titre des autres crédits d'impôts.

3. Un mécanisme dégressif de lissage de l'effet de seuil pour les revenus relevant du début de la tranche d'imposition à 14 %

Afin de limiter les conséquences de l'effet de seuil, un avantage dégressif "décroissant linéairement" à partir de 11 673 euros réduit le montant du crédit pour atteindre une somme nulle lorsque le revenu net imposable par part atteint 12 475 euros. Cette limite correspond à la première moitié de la deuxième tranche dont le plafond est fixé à 25 926 euros.

4. L'exonération du second acompte provisionnel et des prélèvements mensuels à partir du mois de mai 2009, calculé sur la base des revenus de 2007

Afin de conférer à l'avantage fiscal un effet rapide sur l'augmentation du pouvoir d'achat des contribuables, les paiements du second acompte provisionnel et des prélèvements mensuels à compter du mois de mai sont supprimés. Toutefois, cette suppression du recouvrement ne concerne que les foyers fiscaux dont le revenu imposable, par part, est inférieur à 11 344 euros.

5. La neutralisation des effets du crédit d'impôt sur le calcul des acomptes provisionnels de l'année 2010

Enfin, pour que les acomptes provisionnels à acquitter en 2010 ne soient pas réduits des deux tiers, puisqu'ils seront calculés sur la base de l'imposition de 2009, celle-ci sera augmentée du montant du crédit d'impôt. S'agissant d'un dispositif ponctuel et transitoire de lutte contre la crise, l'avantage fiscal exceptionnel cesse ainsi de produire tout effet au terme de l'année 2009.

  • IR : possibilité pour les salariés relevant des régimes spéciaux de déduire de leur revenu imposable les cotisations d'assurance vieillesse versées au titre du rachat de leurs années d'études (loi n° 2009-431 du 20 avril 2009, art. 19)

L'article 19 de la loi du 20 avril 2009, issu d'un amendement adopté par le Sénat, a pour objet de permettre aux salariés relevant d'un régime spécial de Sécurité sociale de déduire de leur revenu imposable les cotisations versées en vue de leur retraite grâce à la faculté qui leur est offerte de racheter leurs années d'études.

Cette mesure, qui avait déjà été adoptée par le Sénat, dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2008 afin d'étendre aux régimes spéciaux de Sécurité sociale la déduction du revenu brut des cotisations d'assurance vieillesse versées au titre du rachat d'années d'études prévu par le régime général d'assurance vieillesse, ainsi que par le régime des pensions civiles et militaires, les régimes complémentaires et le régime public de retraite additionnelle obligatoire, avait finalement été supprimée par la commission mixte paritaire. Elle est désormais adoptée par la loi de finances rectificative pour 2009.

Ce dispositif s'insère donc dans le mouvement d'alignement des régimes spéciaux sur celui de la fonction publique. Or, en contrepartie des efforts consentis par les salariés des régimes spéciaux, il paraît équitable de leur accorder le droit à déduction des cotisations de rachat d'années d'études au même titre que ceux du régime général.

2. Fiscalité des entreprises

  • Etalement de l'imposition du profit résultant du rachat de créances bancaires à un prix décoté, par une entreprise débitrice auprès d'un établissement de crédit (loi n° 2009-431 du 20 avril 2009, art. 2)

L'article 2 de la loi de finances rectificative pour 2009, issu d'un amendement adopté par le Sénat, constitue une mesure d'assainissement financier tendant à permettre la relance en instaurant un mécanisme temporaire favorable aux opérations de rachat de créances bancaires par des entreprises débitrices afin d'améliorer leur situation financière dans le contexte économique actuel.

Le dispositif, applicable jusqu'au 31 décembre 2010, prévoit la possibilité d'étaler sur cinq ans l'imposition du profit résultant du rachat de créances à un prix décoté, par une entreprise débitrice auprès d'un établissement de crédit. L'application de cette mesure était initialement limitée aux rachats de créances dont l'échéance interviendrait avant le 31 décembre 2012, mais la rédaction définitive proposée par la commission mixte paritaire a supprimé cette limitation d'échéance. Par ailleurs, le dispositif initial prévoyait un étalement sur huit ans à compter du second exercice suivant celui au cours duquel intervient le rachat ; la commission mixte paritaire n'a retenu qu'un étalement sur cinq ans suivant le rachat.

En pratique, selon les rapports parlementaires, ce rachat de gré à gré de créances déjà décotées, susceptible de concerner de nombreuses grandes entreprises, pourrait être réalisé par augmentation de capital.

Afin de limiter la perte actuarielle liée au rachat de la créance avant échéance, cette faculté d'étalement porte intérêt. La fraction du profit prise en compte dans le résultat imposable est majorée d'un montant égal au produit de cette fraction par une fois et demie le taux de l'intérêt légal de retard prévu à l'article 1727 du CGI (N° Lexbase : L4622IC8).

Il est précisé que le dispositif ne s'applique pas lorsque créanciers et débiteurs sont des entreprises liées.

Ce système présente ainsi le double avantage, d'une part, de permettre à la banque créancière de recevoir des liquidités et de pouvoir imputer une perte comptable sur son bénéfice imposable, d'autre part, de permettre au débiteur d'assainir son bilan via le rachat de créance. Concrètement, la société débitrice rachètera la créance à hauteur de 80 % ou de 90 % de sa valeur capitalisée nominale, et l'établissement bancaire bénéficiera non pas de 100 %, mais de 80 % ou 90 % du prix. Ce dernier sera constitutif d'une perte qui figurera dans ses écritures, mais la banque recevra des liquidités à un moment où elle en a sans doute particulièrement besoin, car elle n'est plus en mesure, du fait de la défaillance du marché, de céder ces créances à d'autres banques ou à d'autres opérateurs de marché.

  • Etalement de l'imposition de la plus-value dégagée lors d'une opération de cession-bail d'immeuble (loi n° 2009-431 du 20 avril 2009, art. 3)

Afin de favoriser le refinancement des entreprises, l'article 3 de la loi du 20 avril 2009, également issu d'un amendement adopté par le Sénat, prévoit d'étaler l'imposition de la plus-value dégagée lors d'une opération de cession-bail d'immeuble.

Cette mesure s'inscrit à un nouvel article 39 novodecies inséré dans le CGI (N° Lexbase : L1090IE4). Il est ainsi prévu que, lorsqu'une entreprise cède un immeuble à une société de crédit-bail dont elle retrouve immédiatement la jouissance en vertu d'un contrat de crédit-bail, le montant de la plus-value de cession de cet immeuble peut être réparti par parts égales sur les exercices clos pendant la durée du contrat de crédit-bail sans excéder quinze ans. Toutefois, lorsque l'immeuble est acquis par l'entreprise ou que le contrat de crédit-bail est résilié, le solde est imposé immédiatement.

Ce dispositif incite donc les entreprises à céder des immeubles tout en en conservant la jouissance et tend ainsi à faciliter leur refinancement. Ayant vocation à s'appliquer dans des circonstances exceptionnelles ou de crise, son application est limitée jusqu'au 31 décembre 2010.

  • Crédit d'impôt au titre des tournages de films et de productions audiovisuelles qui ne bénéficient pas du soutien financier du Centre national de la cinématographie (loi n° 2009-431 du 20 avril 2009, art. 16)

L'article 131 de la loi de finances pour 2009 (loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 N° Lexbase : L3783IC4) a créé un crédit d'impôt au titre des tournages de films et de productions audiovisuelles qui ne bénéficient pas du soutien financier du Centre national de la cinématographie, mais en reçoivent l'agrément, et qui comportent "des éléments rattachés à la culture, au patrimoine ou au territoire français". Ce dispositif, conçu sur le modèle du crédit d'impôt au titre des tournages de films et de productions audiovisuelles en langue française, vise à favoriser la "relocalisation" en France d'oeuvres réalisées par des entreprises de production établies hors de France. Il doit entrer en vigueur à une date fixée par décret et, au plus tard, le 1er janvier 2010.

L'article 220 Z bis du CGI (N° Lexbase : L1087IEY), créé dans ce cadre, prévoit que le crédit d'impôt est imputé sur l'impôt sur les sociétés dû par l'entreprise de production exécutive au titre de l'exercice au cours duquel les dépenses ont été exposées, et que l'éventuel excédent de ce crédit d'impôt constitue, au profit de l'entreprise, une créance sur l'Etat "inaliénable et incessible".

L'article 16 de la loi de finances rectificative pour 2009, issu d'un amendement et d'un sous-amendement adoptés par le Sénat, tend à modifier cette disposition pour permettre au producteur exécutif de mobiliser sa créance sur l'Etat au bénéfice d'un établissement de crédit, conformément aux dispositions du Code monétaire et financier relatives aux cessions de créances professionnelles.

Cette possibilité, qui existe déjà en ce qui concerne le crédit d'impôt en faveur de la production française, doit renforcer l'attractivité du crédit d'impôt international et, par conséquent, la localisation en France des tournages. En effet, la mesure permettra au producteur exécutif de disposer plus rapidement d'un financement, et d'en faire bénéficier ses partenaires étrangers comme les industries techniques auxquelles il aura recours. Par ailleurs, en facilitant l'intervention d'établissements de crédit dans les montages financiers en cause, cette mesure tend à les sécuriser en introduisant une garantie supplémentaire de la fiabilité du producteur exécutif.

Par ailleurs, il est précisé que le dispositif adopté est bien constitutif d'un crédit d'impôt. Dès lors, en cas d'excédent sur l'impôt dû, cet excédent constitue une créance restituable sur l'Etat.

3. Fiscalité immobilière

  • Alignement des conditions applicables à la réduction d'impôt pour investissements dans le cadre de la location meublée professionnelle, sur les conditions de la réduction d'impôt pour l'investissement locatif (dispositif "Scellier") (loi n° 2009-431 du 20 avril 2009, art. 15)

Pour rappel, l'article 90 de la loi de finances pour 2009 (loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008) a procédé à une réforme du régime des locations en meublé professionnel en vue de réserver son bénéfice aux personnes inscrites au registre du commerce et des sociétés en tant que loueurs professionnels et tirant de leur activité de location une part significative de leurs revenus ; par ailleurs, et il s'agit d'une condition cumulative, ces recettes doivent excéder les revenus du foyer fiscal soumis à l'impôt sur le revenu dans les catégories des traitements et salaires, des BIC autres que ceux tirés de l'activité de location meublée, des bénéfices agricoles, des bénéfices non commerciaux et des revenus des gérants et associés (lire Réforme du régime de la location meublée N° Lexbase : N2191BIY).

Afin de compenser les effets de cette réforme sur le volume d'investissement des particuliers, un dispositif particulier d'incitation fiscale, plus précisément un mécanisme de réduction d'impôt, a été prévu parallèlement qui s'applique spécifiquement à des secteurs de l'immobilier locatif : les résidences avec services pour étudiants, les résidences de tourisme classées, les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ou pour personnes handicapées, et les établissement de soins de suite ou de longue durée. Ce dispositif, codifié à l'article 199 sexvicies du CGI (N° Lexbase : L1242IEQ), prévoit que la réduction d'impôt est calculée sur le prix de revient des logements. Son taux est égal à 5 % et son montant annuel est plafonné à 25 000 euros.

Par ailleurs, la loi de finances rectificative pour 2008 (loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 N° Lexbase : L3784IC7) a mis en place, pour une durée limitée aux années 2009 et 2010, un dispositif nouveau de réduction d'impôt pour l'achat d'un logement neuf destiné à la location à titre de résidence principale, la réduction d'impôt dite "Scellier" (lire Création d'une réduction d'impôt pour l'investissement dans le secteur locatif privé N° Lexbase : N2195BI7).

Ce régime fiscal avantageux, codifié à l'article 199 septvicies du CGI (N° Lexbase : L1153IEG), permet à l'acquéreur d'un bien immobilier neuf destiné à la location de bénéficier d'une réduction d'impôt égale à 25 % de son prix d'acquisition, dans une limite de 300 000 euros, soit 75 000 euros de réduction d'impôt maximum répartis sur 9 ans. Le régime de base prévoit le plafonnement du loyer en fonction de la zone géographique pendant ces 9 années de mise en location. Le contribuable maintenant en location pendant une ou deux périodes de trois ans un logement ayant déjà été loué neuf ans bénéficie d'un avantage fiscal supplémentaire qui prend la forme d'une réduction d'impôt égale chaque année à 2 % du prix de revient du logement (régime dit "Scellier-Carrez"). A compter du 1er janvier 2011 et jusqu'en 2012, la réduction d'impôt est ramenée à 20 % du prix de revient en régime de base.

C'est dans ce contexte que l'article 15 de la loi de finances rectificative pour 2009, issu d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale, vient aligner les conditions d'application de la réduction d'impôt créée lors du recentrage du régime de loueur en meublé professionnel sur les conditions, plus favorables, applicables à la nouvelle réduction d'impôt pour l'investissement locatif (dispositif "Scellier").

Cet article modifie le régime de la réduction d'impôt créée par la loi de finances pour 2009 et prévu à l'article 199 sexvicies du CGI, aux fins d'aligner ses conditions d'application sur celles de la réduction d'impôt en faveur de l'investissement locatif dite "Scellier-Carrez", mise en place par la loi de finances rectificative pour 2008 et prévue à l'article 199 septvicies du CGI. Il s'agit, ainsi, afin d'éviter de désavantager les produits de résidences avec services par rapport aux logements locatifs à usage de résidence principale, de rétablir une relative égalité de concurrence entre ces deux branches de l'immobilier locatif.

Il prévoit que la réduction d'impôt, qui s'appliquera jusqu'au 31 décembre 2012, est calculée sur le prix de revient des logements retenu pour sa fraction inférieure à 300 000 euros. Il fixe son taux à 25 % pour les logements acquis en 2009 et 2010, et à 20 % pour les logements acquis à compter de l'année 2011. Il précise, enfin, que la réduction d'impôt est répartie sur neuf années et que lorsque la fraction de la réduction d'impôt imputable au titre d'une année d'imposition excède l'impôt dû par le contribuable au titre de cette même année, le solde peut être imputé sur l'impôt dû au titre des années suivantes jusqu'à la sixième année inclusivement.

4. Procédures fiscales

  • Effets du commandement : interruption de l'action en recouvrement (loi n° 2009-431 du 20 avril 2009, art. 18)

L'article 18 de la loi de finances rectificative pour 2009 modifie l'article L. 259 du LPF (N° Lexbase : L1076IEL), afin d'ajouter la précision selon laquelle "le commandement interrompt la prescription de l'action en recouvrement". Il s'agit de corriger une erreur de coordination. Il pouvait y avoir, en effet, une ambiguïté depuis la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile (loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, N° Lexbase : L9102H3I).

5. Taxes diverses et parafiscales

  • Redevance audiovisuelle : exclusion du groupement d'intérêt public France Télé numérique du champ des bénéficiaires de la redevance (loi n° 2009-431 du 20 avril 2009, art. 17)

L'article 17 de la loi de finances rectificative pour 2009 modifie l'article 1605 du CGI (N° Lexbase : L1138IEU) afin d'exclure le groupement d'intérêt public France Télé numérique du champ des bénéficiaires de la redevance audiovisuelle. Le groupement d'intérêt public France Télé numérique, est composé des chaînes nationales diffusées par voie hertzienne -France Télévisions, Arte France, TF1, Canal Plus et M6-, ainsi que de l'Etat, représenté par différentes administrations.

Cette mesure, adoptée par le Sénat en janvier dernier dans le projet de loi relatif à l'audiovisuel public, et confirmée par la commission mixte paritaire, avait été déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel, qui, dans sa décision du 3 mars 2009 (Cons. const., décision n° 2009-577 DC, du 3 mars 2009, Loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision N° Lexbase : A5008EDT), a notamment estimé qu'"en supprimant un programme d'un compte de concours financiers il empiétait sur le domaine exclusif d'intervention des lois de finances". Le Conseil constitutionnel avait donc censuré cette mesure pour des raisons de procédure. L'adoption de cette mesure dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2009 vise, ainsi, à répondre à l'exigence du Conseil constitutionnel.

  • Prélèvement sur les ressources financières des organismes d'HLM (loi n° 2009-431 du 20 avril 2009, art. 22)

La loi de mobilisation pour le logement et de lutte contre l'exclusion du 25 mars 2009 (loi n° 2009-323, du 25 mars 2009 N° Lexbase : L0743IDU), prévoyait dans son article 4 d'insérer dans le Code de la construction et de l'habitation un article L. 423-14 aux termes duquel : "A compter du 1er janvier 2010, les organismes d'habitations à loyer modéré qui disposent d'un patrimoine locatif sont soumis à un prélèvement sur leurs ressources financières si, au cours des deux derniers exercices comptables, leurs investissements annuels moyens sont restés inférieurs à une fraction de leur potentiel financier annuel moyen. Un décret en Conseil d'Etat fixe le niveau de cette fraction qui ne peut être supérieure à la moitié du potentiel financier annuel moyen des deux derniers exercices. Le prélèvement est calculé, selon un taux progressif, sur le potentiel financier annuel moyen des deux derniers exercices sans pouvoir excéder le tiers de celui-ci".

Mais le Conseil constitutionnel, par sa décision du 18 mars 2009 (Cons. const., décision n° 2009-578 DC, du 18-03-2009, Loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion N° Lexbase : A8079EDL), après avoir considéré que ce prélèvement entrait dans la catégorie des "impositions de toutes natures" mentionnées à l'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) pour lesquelles la loi fixe les règles concernant "l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement", a estimé qu'en renvoyant à un décret en Conseil d'Etat le soin de définir le "potentiel financier" annuel moyen, d'arrêter la liste des investissements à prendre en compte pour déterminer le champ d'application du prélèvement en cause et de fixer, sans l'encadrer suffisamment, le taux de ce prélèvement, le législateur avait habilité le pouvoir réglementaire à fixer les règles concernant l'assiette et le taux d'une imposition et qu'il avait ainsi méconnu l'étendue de sa compétence. Le Conseil constitutionnel a donc déclaré cet article contraire à la Constitution.

C'est dans ce contexte que l'article 22 de la loi du 20 avril 2009 vient réintroduire le dispositif du prélèvement tout en répondant aux objections formulées par la décision du Conseil constitutionnel.

Il est ainsi inséré un nouvel article L. 423-14 au Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L1082IES), lequel crée un prélèvement sur les moyens financiers devenus surabondants dégagés par les bailleurs sociaux ayant une activité d'investissement réduite, pour renforcer la mutualisation des moyens entre organismes.

Ce prélèvement a pour assiette le potentiel financier des organismes. Il est versé à la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS), qui consacrera cette ressource nouvelle à des aides à la construction et l'amélioration du parc des bailleurs sociaux.

Le potentiel financier constitue l'un des ratios, couramment utilisé par les bailleurs sociaux, permettant d'apprécier la situation financière des organismes. Il exprime l'écart existant, généralement positif, entre les ressources de long terme du bilan (fonds propres, subventions, emprunts) et les emplois stables exprimés par les valeurs immobilisées du même bilan. Très proche de la notion de "fonds de roulement", le potentiel financier en diffère par l'exclusion de ressources non investissables qui sont, d'une part, la provision pour gros entretien, d'autre part, les dépôts de garantie des locataires.

Sont ainsi précisés, d'une part, la notion d'investissement annuel pris en compte et, d'autre part les types de ressources et d'emplois à long terme, dans des termes qui permettent de se référer directement aux documents comptables arrêtés par les bailleurs sociaux chaque année, qui entrent dans le calcul du potentiel financier.

L'encadrement et le mode de calcul du taux de prélèvement sont également précisés. Le prélèvement sur le potentiel financier est ainsi fixé à 25 % moins le rapport, exprimé en pourcentage, entre les investissements annuels moyens et le potentiel financier annuel moyen sur les deux derniers exercices comptables, ce rapport étant multiplié par 0,5.

newsid:350592

Contrat de travail

[Jurisprudence] Le transfert volontaire du contrat de travail n'est pas une modification du contrat de travail

Réf. : Cass. soc., 8 avril 2009, n° 08-41.046, M. Yves Gambier, FS-P+B (N° Lexbase : A5052EG9)

Lecture: 7 min

N0549BKK

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par Sébastien Tournaux, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


La distinction entre novation et modification du contrat de travail constitue probablement une question théorique d'importance (1). Pour autant, et contrairement à un lieu commun, la séparation entre théorie et pratique est loin d'être aussi étanche qu'il y paraît parfois, comme l'illustre parfaitement un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 8 avril 2009. A la suite d'une perte de marché de son employeur, un salarié avait accepté le transfert volontaire de son contrat de travail prévu par l'accord conclu entre le cédant et le cessionnaire. Estimant que le transfert lui avait été proposé en raison de difficultés économiques de l'entreprise, le salarié invoquait l'application des règles relatives à la modification du contrat de travail pour motif économique. La Cour de cassation refuse de valider un tel raisonnement en faisant la distinction entre novation et modification du contrat de travail (I). Cette solution, tout à fait logique à plusieurs égards, est également l'occasion pour la Haute juridiction d'apporter quelques précisions sur la procédure qui doit être respectée en cas de transfert volontaire des contrats de travail à la suite d'une perte de marché (II).
Résumé

Le changement d'employeur qui constitue une novation du contrat de travail ne peut, sauf dispositions législatives contraires, résulter que d'une acceptation expresse du salarié. Par conséquent, la procédure de l'article L. 1222-6 du Code du travail (N° Lexbase : L0818H98) ne s'applique pas au cas de changement d'employeur résultant du transfert d'un service ou de sa gestion à un tiers.

Commentaire

I - L'inapplication des règles relatives à la modification du contrat de travail au transfert volontaire d'entreprise

L'arrêt commenté était l'occasion pour la Cour de cassation de se prononcer sur l'articulation de deux règles considérées comme des exceptions en droit du travail.

  • Le caractère dérogatoire du transfert volontaire d'entreprise

La première de ces règles est celle qui concerne le transfert du contrat de travail d'un salarié en cas de perte de marché. La Cour de cassation juge, depuis longtemps déjà, que le transfert de plein droit du contrat de travail, par l'effet de l'article L. 1224-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0840H9Y), n'est pas applicable en cas de transfert volontaire (2) -accord entre le cédant et le cessionnaire de marché- ou en cas de transfert conventionnel (3) -convention ou accord collectif prévoyant le transfert des salariés en cas de perte de marché-.

S'agissant donc d'une procédure dérogatoire, la Cour de cassation juge classiquement que le salarié doit donner son accord exprès pour que son contrat soit transféré (4). Cette position s'explique, notamment, par l'effet du principe d'effet relatif des conventions à l'égard des tiers. En effet, celui-ci implique que soit refusé qu'un accord conclu entre deux prestataires à l'égard d'un marché ait des conséquences sur les contrats de travail, sauf à ce que la loi le prévoie, comme c'est le cas en cas de transfert d'une entité économique autonome.

  • Le caractère dérogatoire de la procédure de modification du contrat de travail pour motif économique

La seconde de ces règles est celle qui concerne la modification du contrat de travail lorsque la proposition faite par l'employeur est justifiée par un des motifs économiques de l'article L. 1233-3 du Code du travail (N° Lexbase : L8772IA7). En effet, alors que, depuis l'arrêt "Raquin" (5), le silence du salarié qui continue de travailler dans l'entreprise ne peut plus valoir acceptation de la modification proposée, l'article L. 1222-6 du Code du travail (N° Lexbase : L0818H98) a introduit une procédure dérogatoire lorsque la modification repose sur une cause économique.

Dans ce cas de figure, la proposition doit être faite par lettre recommandée avec accusé de réception. Le salarié dispose d'un véritable délai de réflexion d'un mois à compter de la réception de la lettre pour faire connaître son refus. A défaut de réponse dans ce délai, le salarié est réputé avoir accepté la modification.

La Cour de cassation devait donc se prononcer sur l'articulation entre ces deux règles.

  • L'articulation du transfert volontaire et de la modification du contrat pour motif économique

Le salarié d'une entreprise de restauration collective voit son contrat de travail transféré à l'occasion de la perte du marché de l'entreprise, par l'effet du contrat conclu entre les deux prestataires. Même s'il conteste les conditions dans lesquelles celle-ci est intervenue, le salarié a donné son acceptation au transfert de son contrat de travail. Cependant, jugeant que la proposition de changement d'employeur lui avait été faite pour des raisons économiques, le salarié invoque l'application de l'article L. 1222-6 du Code du travail et de la procédure spécifique à la modification du contrat pour motif économique.

La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l'arrêt d'appel qui avait débouté le salarié de ses demandes. Elle énonce, d'abord, que "le changement d'employeur qui constitue une novation du contrat de travail ne peut, sauf dispositions législatives contraires, résulter que d'une acceptation expresse du salarié". Elle en déduit que la procédure de l'article L. 1222-6 ne pouvait s'appliquer "au cas de changement d'employeur résultant du transfert d'un service ou de sa gestion à un tiers", quand bien même le transfert aurait été justifié par un motif économique. Dans ces conditions, le salarié devait simplement être informé des conditions du transfert et bénéficier d'un délai de réflexion suffisant pour faire son choix.

II - La procédure applicable au transfert volontaire du contrat de travail à la suite d'une perte de marché

Cet arrêt revêt une importance particulière puisqu'il fourmille de différentes indications de la Cour de cassation sur le transfert volontaire des contrats de travail.

  • Le transfert volontaire constitue une novation

La première indication réside évidemment dans le fait que la procédure de modification pour motif économique ne trouve pas à s'appliquer au transfert conventionnel. Ce refus d'application semble tenir à deux explications.

Elle découle, tout d'abord, de la qualification de novation du contrat. Même s'il a parfois été reproché à la Cour de cassation de confondre les notions de novation du contrat et de modification du contrat (6), la Chambre sociale démontre qu'elle y voit bien une véritable différence. En effet, le changement d'employeur constitue à ses yeux une novation, plus précisément une novation par changement de débiteur ou de créancier (7). Or, comme l'exige l'article 1273 du Code civil (N° Lexbase : L1383ABT), "la novation ne se présume point". En revanche, la modification du contrat de travail pour motif économique, visée par l'article L. 1222-6 du Code du travail, consiste pour l'essentiel dans la modification d'un élément de la rémunération, de la durée de travail, du secteur géographique de travail ou des fonctions du salarié. Le champ de cette règle ne s'étend donc pas jusqu'à la novation, ce qui explique qu'il ne puisse en être fait application au transfert volontaire du contrat de travail.

  • L'incompatibilité entre la procédure de la novation et la procédure de la modification pour motif économique

Elle découle, ensuite, des procédures particulières relatives à la novation et à la modification du contrat pour motif économique. En effet, comme le sous-entend la Chambre sociale, ces procédures sont tout à fait incompatibles.

D'un côté, la novation ne peut être présumée, si bien que l'acceptation de cette transformation du contrat ne peut être qu'expresse. D'un autre côté, la modification du contrat de travail pour motif économique, et c'est d'ailleurs bien là sa spécificité, peut être acceptée par le silence, puisque le défaut de refus du salarié dans un délai d'un mois vaut acceptation. "Sauf dispositions législatives contraires", comme le précise la Chambre sociale, il aurait donc été illogique de faire application des règles de la modification au transfert conventionnel.

Il peut, enfin, être ajouté que ce refus d'articulation du transfert volontaire et de la procédure de modification du contrat pour motif économique s'inscrit dans une logique d'interprétation très restrictive de cette procédure particulière. Ainsi, on se souviendra que la Cour de cassation refuse également d'appliquer la procédure de modification lorsque la modification, reposant pourtant sur un motif économique, intervient dans le cadre de l'obligation à la charge de l'employeur de reclasser le salarié dont le licenciement est envisagé (8).

Une deuxième indication est fournie par la Cour de cassation s'agissant de la procédure à respecter en cas de transfert conventionnel d'entreprise.

  • Précisions quant à la procédure de transfert volontaire du contrat de travail

En effet, en constatant que le salarié avait été "informé des modalités de l'opération qui relevait d'une application volontaire [...] et bénéficié d'un délai de réflexion suffisant pour faire son choix", la Cour apporte deux précisions d'importance.

Tout d'abord, le salarié doit être informé de l'opération de transfert volontaire de son contrat de travail, ce qui paraît tout à fait logique afin qu'il soit en mesure d'accepter ou de refuser le transfert. La Cour s'était jusqu'alors limitée à imposer que la procédure conventionnelle soit respectée quand le transfert résultait de l'application d'une convention collective (9).

Reste à savoir comment la Cour entend s'assurer que le salarié a bien été informé. Comme toujours, nous ne saurions que trop recommander de notifier cette information par écrit. Quant à la sanction du défaut d'information, il est possible de raisonner par analogie avec l'information conventionnelle et d'estimer que le défaut d'information permet de caractériser l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement subséquent (10).

Ensuite, la Cour de cassation précise que le salarié, en cas de proposition de transfert de son contrat de travail lors d'une perte de marché, doit bénéficier d'un délai de réflexion suffisant afin d'effectuer son choix. S'il est difficile de juger ce que la Cour de cassation considèrera comme un délai suffisant, ce délai devrait être inférieur à un mois (11), à défaut de quoi la procédure de l'article L. 1222-6 aurait été respectée et le salarié n'aurait pas invoqué ce texte en l'espèce.

  • Les interrogations relatives au licenciement économique d'un salarié refusant le transfert

Une troisième et dernière question peut être posée à l'analyse de cette décision. Le refus par le salarié du transfert volontaire de son contrat de travail peut-il constituer une cause de licenciement pour motif économique ? En effet, si le transfert volontaire constitue une novation et non une modification du contrat de travail, il n'entre alors pas dans la catégorie prévue par l'article L. 1233-3 visant la "modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail".

Le licenciement pour motif économique demeure néanmoins envisageable, mais à condition de ne pas reposer sur le refus du salarié de son transfert. Il est, en effet, possible que la perte de marché implique pour l'employeur l'obligation de supprimer des emplois dans l'entreprise. A condition d'être causé par la suppression d'emploi et non par le refus par le salarié de son transfert, le licenciement économique pourra éventuellement être justifié.


(1) L. Gaudin, La novation en droit du travail, une notion en quête d'utilité, RDT, 2008, p. 162.
(2) Cass. soc., 2 avril 1998, n° 96-40.383, Société Lafitte c/ Mme Maryse Lesbarrères (N° Lexbase : A6934AHB).
(3) Cass. soc., 7 novembre 1989, n° 86-43.524, Mme Esnaud et autres c/ Caisse autonome nationale de la Sécurité sociale dans les Mines et autre (N° Lexbase : A5251CGL), Bull. civ. V, 1989, n° 644 ; Cass. soc., 12 décembre 2001, n° 99-45.921, M. Gilles Pellegrini, F-D (N° Lexbase : A6583AX4), RJS, 4/2002, n° 398.
(4) Pour un tour d'horizon très critique de la question, lire P. Morvan, Application conventionnelle de l'article L. 122-12 et accord du salarié : plaidoyer pour un revirement, JCP éd. S, 2006, p. 1964.
(5) Cass. soc., 8 octobre 1987, n° 84-41.902, M. Raquin et autre c/ Société anonyme Jacques Marchand (N° Lexbase : A1981ABY), Dr. soc., 1988, p. 140, note J. Savatier ; D., 1988, p. 58, note Y. Saint-Jours.
(6) F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 9ème éd., 2005, p. 1346.
(7) Par opposition à la novation par changement d'objet ou de cause de l'obligation.
(8) Cass. soc., 17 mai 2006, n° 04-43.551, M. Bernard Bazin, F-D (N° Lexbase : A4566DPS) et les obs. de Ch. Radé, Le reclassement n'est pas une modification du contrat de travail comme les autres, Lexbase Hebdo n° 217 du 31 mai 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N8975AKM).
(9) Cass. soc., 11 mars, n° 01-40.863, Société Sécuritas France c/ M. Eugène Cazette, publié (N° Lexbase : A3882A7W) et les obs. de S. Koleck-Desautel, La Cour de cassation précise les conséquences du non-respect d'une procédure conventionnelle d'information préalable au transfert en cas de perte de marché, Lexbase Hebdo n° 64 du 26 mars 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N6571AAM).
(10) Ibid..
(11) En l'espèce, les moyens annexés à l'arrêt nous apprennent que le salarié a été informé le 6 février de la perte de marché et qu'il a accepté le transfert le 2 mars suivant.

Décision

Cass. soc., 8 avril 2009, n° 08-41.046, M. Yves Gambier, FS-P+B (N° Lexbase : A5052EG9)

Rejet, CA Chambéry, ch. soc., 6 février 2007

Textes cités : C. trav., art. L. 1222-6 (N° Lexbase : L0818H98) et L. 1224-1 (N° Lexbase : L0840H9Y)

Mots-clés : transfert volontaire du contrat de travail ; novation ; procédure ; modification pour motif économique (non)

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Licenciement

[Jurisprudence] Périmètre de l'obligation de reclassement du salarié inapte et indemnité spéciale de licenciement

Réf. : Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-41.708, Société Ecofibre c/ M. Tewfik Chergui, F-P+B (N° Lexbase : A1977EEX)

Lecture: 9 min

N0551BKM

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010


Lorsqu'un salarié est déclaré inapte consécutivement à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, l'employeur ne saurait le licencier sans avoir, au préalable, respecté l'obligation de reclassement dont il est débiteur en vertu de la loi. Il est de jurisprudence constante que les possibilités de reclassement doivent être recherchées, non seulement dans l'entreprise où travaillait précédemment le salarié, mais aussi dans toutes les entreprises du groupe, dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. Pour être ainsi élargi au-delà de la seule entité employeur, le périmètre de reclassement ne se laisse pas facilement saisir, étant entendu que le groupe dont il est, ici, question ne saurait être ramené au groupe de sociétés tel qu'il est entendu pour l'application de diverses autres règles de droit du travail. L'arrêt rendu le 25 mars 2009 par la Cour de cassation présente l'intérêt majeur de permettre de mieux cerner ce "groupe de reclassement", tout en offrant à la Chambre sociale l'occasion de revenir sur le montant de l'indemnité de licenciement versée au salarié inapte qui n'a pu être reclassé.
Résumé

La cour d'appel, qui a constaté l'existence de sociétés ayant un papier à en-tête identique, les mêmes coordonnées et le même numéro de téléphone et leur siège social au même endroit et qui s'est également fondée sur les conditions d'une réunion ayant eu pour objet d'examiner les possibilités de reclassement du salarié au sein de plusieurs sociétés, a pu déduire de ses constations la possibilité de permutation du personnel au sein d'un groupe.

L'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L. 1226-14 du Code du travail (N° Lexbase : L1033H97) est, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, égale au double de l'indemnité légale prévue par l'article L. 1234-9 de ce code (N° Lexbase : L8135IAK). Par conséquent, viole l'article L. 1226-14 la cour d'appel qui retient que l'indemnité conventionnelle étant plus favorable que l'indemnité légale, cette indemnité conventionnelle doit s'appliquer et être doublée alors qu'il s'agit d'un licenciement pour inaptitude à la suite d'un accident du travail.

Commentaire

I - Le groupe comme périmètre de l'obligation de reclassement

  • Principe

Lorsque, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, le salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités (C. trav., art. L. 1226-10 N° Lexbase : L1026H9U). En vertu de ce texte, l'employeur est donc débiteur d'une obligation de reclassement à l'égard du salarié inapte et il ne pourra le licencier que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un poste approprié aux aptitudes nouvelles du salarié, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé (C. trav., art. L. 1226-12 N° Lexbase : L1029H9Y) (1).

Si l'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur ne saurait être qualifiée d'obligation de résultat, pas plus en vertu de la loi que de la jurisprudence, cette dernière apparaît pour le moins rigoureuse en la matière (2). Cette rigueur transparaît, notamment, des exigences posées par la Cour de cassation relativement au périmètre de l'obligation de reclassement. En effet, ainsi que le considère de longue date la Chambre sociale, les investigations que doit mener l'employeur au titre de son obligation ont lieu "à l'intérieur du groupe auquel appartient l'employeur, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation lui permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel" (3).

Il résulte, à l'évidence, de cette solution que l'obligation de reclassement ne saurait être uniquement mise en oeuvre dans l'entité qui emploie le salarié. Il convient de dépasser ce cadre. Cela étant, la Cour de cassation n'est pas allée jusqu'à exiger que le périmètre de reclassement s'étende à l'ensemble du groupe auquel appartient l'entité en cause. Sont seules concernées les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent à l'employeur d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel. Cela étant, il n'est guère facile de déterminer avec précision le périmètre de l'obligation de reclassement ainsi conçu. L'arrêt sous examen apporte, de ce point de vue, d'utiles enseignements.

  • Mise en oeuvre

Dès lors que l'on dépasse la seule entité économique autonome employant le salarié, le périmètre de l'obligation de reclassement paraît, au premier chef, dépendre de la faculté de permuter entre cette entité et d'autres tout ou partie du personnel. Une telle possibilité sera, à l'évidence, facile à démontrer lorsque de telles permutations seront intervenues par le passé. Mais, cela n'est nullement nécessaire et l'éventualité d'une telle permutation paraît suffire (4).

Pour confirmer la décision des juges d'appel, qui avaient considéré qu'existait une possibilité de permutation du personnel au sein d'un groupe, la Cour de cassation relève que ces derniers avaient constaté l'existence de sociétés ayant un papier à en-tête identique, les mêmes coordonnées et le même numéro de téléphone et leur siège social au même endroit et s'étaient également fondés sur les conditions d'une réunion ayant eu pour objet d'examiner les possibilités de reclassement du salarié au sein de plusieurs sociétés. Cette solution peut être diversement appréciée. Sans doute doit-elle être approuvée en ce qu'elle donne des garanties accrues au salarié quant à son maintien dans un emploi. Pour le reste, elle fait bien peu de cas de la notion de groupe et de l'autonomie juridique des entités que le composent. A dire vrai, on peut se demander s'il peut être encore question de groupe en la matière, alors même que la Cour de cassation s'y réfère de manière expresse (5).

On pouvait, en effet, penser, à la lecture des décisions antérieures de la Cour de cassation, qu'il convenait, dans un premier temps, de caractériser l'appartenance de la société employeur à un groupe pour, ensuite, déterminer si une permutation du personnel était possible entre tout ou partie des entités le composant. Or, à lire la décision rapportée, on a plutôt l'impression que c'est à la démarche inverse que procède la Cour de cassation : c'est parce que la permutation du personnel était envisageable entre diverses entités que ces dernières font partie d'un groupe. Si cette façon de procéder peut être critiquée, elle présente l'avantage d'écarter tout questionnement sur la détermination de la notion de groupe de sociétés en la matière. On admettra qu'il y a là une question délicate, dès lors que la notion de groupe de sociétés peut recevoir des acceptions différentes en droit des sociétés et en droit du travail et, au sein même de cette discipline, selon les règles à mettre en oeuvre. Mais cela signifie, par là même, qu'une société peut être comprise dans un "groupe" pour la mise en oeuvre de l'obligation de reclassement, pour cette seule raison qu'elle peut permuter tout ou partie de son personnel avec d'autres sociétés.

Il est vrai, qu'en l'espèce, la possibilité de permuter le personnel et, par voie de conséquence, l'existence d'un groupe, découlait de l'existence d'un papier à en-tête, de coordonnées et d'un numéro de téléphone identiques et du fait que le siège social de ces sociétés était au même endroit. En outre, les juges du fond s'étaient fondés sur les "conditions" d'une réunion ayant eu pour objet d'examiner les possibilités de reclassement du salarié au sein de plusieurs sociétés. On peut se demander si la solution aurait été identique en l'absence d'une telle réunion (6) ou, encore si, celle-ci ayant eu lieu, les autres éléments n'avaient pu être relevés. A notre sens, et à s'en tenir à cette dernière interrogation, le seul fait qu'une société examine avec d'autres, dans une démarche purement volontariste, les possibilités de reclassement d'un salarié inapte ou menacé d'un licenciement économique ne saurait caractériser la possibilité avérée d'une permutation du personnel au sens où l'entend la Cour de cassation, c'est-à-dire dans le cadre d'un "groupe". Par conséquent, et contrairement à ce que peut laisser à penser une lecture rapide de l'arrêt, il faut d'abord caractériser l'existence d'un "groupe" entre plusieurs entités, serait-il apprécié de manière très lâche, pour ensuite se demander si la permutation du personnel est possible entre les entités qui le compose.

Au-delà, l'arrêt rapporté ne permet pas de régler la lancinante question que pose l'obligation d'assurer le reclassement d'un salarié dans une entité autonome qui n'est pas son employeur. Celle-ci étant tiers au contrat de travail, on ne voit pas comment il pourrait lui être juridiquement imposé de prendre à son service un salarié qu'elle ne connaît pas. Seule peut-être la théorie des "co-employeurs" le permettrait. A cet égard, il n'est pas exclu que, dans l'arrêt sous examen, la Cour de cassation ait, en réalité, caractérisé l'existence d'une pluralité d'employeur. Bien plus, n'y a-t-il pas quelques artifices à affirmer que des sociétés ayant le même papier à en-tête, les mêmes coordonnées, le même numéro de téléphone et leur siège social au même endroit constituent encore réellement des personnes juridiques distinctes ?

Au final, l'arrêt du 25 mars 2009 confirme que, s'agissant de l'appréciation du périmètre de reclassement, la Cour de cassation entend retenir une démarche souple et très pragmatique qui dénature la notion de groupe de sociétés ou, pour être moins sévère, lui confère une figure qui ne présente que peu de ressemblances avec le groupe de sociétés telle qu'on l'entend, notamment, pour la mise en place du comité de groupe ou l'organisation de la négociation collective.

II - Le montant de l'indemnité spéciale de licenciement

  • Les règles légales applicables

Ainsi qu'il a été vu précédemment, dès lors que l'employeur a respecté son obligation de reclassement et que, ce faisant, il justifie de son impossibilité de proposer au salarié un emploi adapté à ses capacités ou du refus par celui-ci du poste proposé, il est en droit de licencier le salarié (C. trav., art. L. 1226-12).

Dans cette hypothèse, la rupture du contrat de travail ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L. 1234-5 du Code du travail (N° Lexbase : L1307H9B), ainsi qu'à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9 du Code du travail (N° Lexbase : L8135IAK) (C. trav., art. L. 1226-14). Ces indemnités ne sont pas dues par l'employeur qui établit que le refus par le salarié du reclassement qui lui est proposé est abusif.

Ce dernier texte a pu susciter et continue visiblement de susciter, si l'on a égard à l'arrêt rapporté, des difficultés d'interprétation relativement au renvoi qui est fait aux "dispositions conventionnelles plus favorables". En l'espèce, les juges du fond avaient retenu que l'indemnité conventionnelle étant plus favorable que l'indemnité légale, cette indemnité conventionnelle doit s'appliquer et être doublée dès lors qu'il s'agit d'un licenciement pour inaptitude à la suite d'un accident du travail.

  • Les stipulations conventionnelles susceptibles de recevoir application

Visant l'article L. 1226-14 du Code du travail, la Cour de cassation censure la décision des juges du fond sur ce point en considérant "qu'en statuant ainsi alors que l'indemnité spéciale de licenciement prévue par l'article L. 1226-14 du Code du travail est, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, égale au double de l'indemnité légale prévue par l'article L. 1234-9 de ce code, la cour d'appel, qui n'a pas relevé l'existence de telles dispositions conventionnelles, a violé le texte susvisé".

Cette solution ne constitue en aucune façon une nouveauté, la Cour de cassation l'ayant déjà énoncé par le passé (v., notamment, Cass. soc., 22 février 2000, n° 98-40.137, M. Noël Collignon c/ Société Compagnie générale de chauffe N° Lexbase : A5144CY8). Elle doit, en outre, recevoir approbation. Si, par application de l'article L. 1226-14 du Code du travail, une indemnité doit être doublée, il ressort clairement de ce texte qu'il s'agit de l'indemnité légale de licenciement visée par l'article L. 1234-9 et non de l'indemnité conventionnelle. Par suite, et contrairement à ce qu'avaient fait les juges du fond en l'espèce, le texte en cause n'implique pas de comparer indemnité conventionnelle et indemnité légale et, si la première est supérieure à la seconde, de la multiplier par deux, mais bien de comparer l'indemnité légale doublée et l'indemnité conventionnelle éventuellement prévue.

Cela étant admis, il convient de s'interroger, par ailleurs, sur ce qu'il convient d'entendre par "indemnité conventionnelle", étant entendu que l'on peut en avoir une conception plus ou moins stricte. En effet, on peut considérer qu'est uniquement visée l'indemnité dont la convention collective prévoit qu'elle est versée à un salarié licencié consécutivement à son inaptitude ou, plus largement, l'indemnité conventionnelle versée en cas de licenciement, sans plus de précisions. Retenir la première solution reviendrait à considérer qu'à défaut de stipulations conventionnelles expresses, relatives à l'indemnisation du salarié licencié des suites de son inaptitude, seule doit lui être versée l'indemnité spéciale de licenciement visée par l'article L. 1226-14, alors même que l'indemnité conventionnelle de licenciement peut être d'un montant supérieur. A notre sens, cette solution doit être exclue. Dans la mesure où il s'agit d'indemniser le salarié en raison de la perte de son emploi, il doit être tenu compte du montant de l'indemnité conventionnelle prévue en cas de licenciement. Indemnité à laquelle le salarié pourra prétendre, dès lors qu'elle est supérieure à l'indemnité légale doublée.

Il en ira différemment si la convention collective soumet le bénéfice de cette indemnité conventionnelle à des conditions restrictives, par exemple, en prévoyant son versement uniquement en cas de licenciement pour motif économique. Reste une dernière interrogation lorsque la convention collective prévoit à la fois le versement d'une indemnité en cas de licenciement et en cas de licenciement consécutif à une inaptitude et que ces indemnités étant toutes deux supérieures à l'indemnité légale doublée, la première est plus avantageuse que la seconde. Dans ce cas, qui confine convenons-en à l'hypothèse d'école, le juge ne peut qu'octroyer la seconde indemnité, sauf à méconnaître la volonté claire et précise des parties signataires de l'acte juridique en cause.


(1) Une même obligation de reclassement pèse sur l'employeur lorsque le salarié est victime d'une inaptitude consécutive à une maladie ou un accident non professionnel (C. trav., art. L. 1226-2 N° Lexbase : L1006H97) et lorsqu'il est menacé d'un licenciement pour motif économique (C. trav., art. L. 1233-4 N° Lexbase : L1105H9S).
(2) Sur les exigences prétoriennes en la matière, v. F. Héas, Le droit au reclassement du salarié, en cas de restructuration de l'entreprise ou d'altération de sa santé, Dr. ouvrier, 2007, p. 452.
(3) Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, Société Thomson Tubes et Displays c/ Mme Steenhoute et a. (N° Lexbase : A4018AA3), Bull. civ. V, n° 123 (licenciement pour motif économique) ; Cass. soc., 24 octobre 1995, n° 94-40.188, Société Décolletage plastique c/ M. Jadault (N° Lexbase : A1451ABD), Bull. civ. V, n° 283 (inaptitude d'origine professionnelle) ; Cass. soc., 16 juin 1998, n° 96-41.877, Société Paragerm c/ M. Castanet (N° Lexbase : A5624ACB), Bull. civ. V, n° 322 (inaptitude d'origine non professionnelle).
(4) V., en ce sens, F. Héas, art. préc., p. 457.
(5) Rappelons que la Cour de cassation approuve les juges du fond d'avoir déduit de leurs constatations "la possibilité de permutation du personnel au sein d'un groupe".
(6) Remarquons que, pour la Cour de cassation, c'est moins la réunion en cause qui paraît importante que les "conditions" de celle-ci, sans que l'on en connaisse la nature.

Décision

Cass. soc., 25 mars 2009, n° 07-41.708, Société Ecofibre c/ M. Tewfik Chergui, F-P+B (N° Lexbase : A1977EEX)

Cassation partielle de CA Lyon, ch. soc., 7 février 2007

Texte visé : C. trav., art. L. 1226-14 (N° Lexbase : L1033H97)

Mots-clefs : inaptitude d'origine professionnelle ; obligation de reclassement ; périmètre ; groupe de sociétés ; permutation du personnel (notion) ; licenciement ; indemnité spéciale de licenciement ; dispositions conventionnelles plus favorables

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Emplois fermés aux étrangers : un rapport critique de la Halde

Réf. : Halde, délibération n° 2009-139 du 30 mars 2009, accès à l'emploi pour les étrangers (N° Lexbase : X7284AEI)

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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen et Directeur scientifique de l'Encyclopédie "Droit de la Sécurité sociale"

Le 07 Octobre 2010

L'accès à l'emploi des étrangers a donné lieu à une intense activité normative, aussi bien en droit européen (1) qu'en droit interne (2). Les résultats sont pourtant décevants, de nombreux étrangers n'étant pas autorisés, en raison de leur nationalité, à accéder à un certain nombre d'emplois. La Halde en rend compte régulièrement. Elle vient à nouveau d'attirer l'attention, dans une délibération du 30 mars 2009, sur les discriminations dont souffrent les étrangers sur le marché du travail. En 2000, le Groupe d'étude sur les discriminations (GED) (3) avait déjà analysé ce phénomène dit des emplois fermés (4), ainsi qu'un certain nombre d'auteurs (5). Les restrictions à l'accès à l'emploi pour les étrangers se situent à deux niveaux : la condition de détention d'un diplôme français ou délivré par un Etat membre de l'Union européenne et la condition de nationalité. I - La condition de détention d'un diplôme, une restriction légitime pour l'accès à l'emploi des étrangers

La condition de diplôme exigée des étrangers pour accéder à certaines professions ne doit pas être remise en question dans son principe.

A - L'exigence d'un diplôme, une garantie d'un certain niveau de formation

Le Collège de la Halde considère que l'obligation d'être titulaire d'un diplôme délivré en France, dans un Etat membre de l'Union européenne ou d'une équivalence, est objectivement justifiée. Elle constitue une garantie du niveau de formation.

La condition initiale de détention d'un diplôme français a été étendue pour inclure les diplômes délivrés dans les Etats membres en application de Directives européennes depuis les années soixante-dix. Ces textes, qui ont été regroupés dans la Directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (N° Lexbase : L6201HCN), ont établi des socles communs de formation, condition nécessaire à la reconnaissance mutuelle des diplômes entre Etats membres.

La Halde s'était déjà prononcée en ce sens, en 2007, à propos de la profession d'avocat (Halde, délibération n° 2007-369 du 17 décembre 2007 N° Lexbase : X7344AEQ). Cette dernière est une profession réglementée, régie par un ordre professionnel et dont l'accès et l'exercice sont encadrés par la loi. L'exigence d'un diplôme ou la réussite à un examen de contrôle des connaissances en droit français, imposée pour exercer la profession d'avocat, n'est pas discriminatoire. Le candidat, ayant acquis la qualité d'avocat hors CE ou EEE, doit donc subir un examen de contrôle des connaissances afin de pouvoir s'inscrire à un barreau français.

B - Optimiser l'exigence d'un diplôme

Une telle harmonisation des formations n'existe pas avec les Etats tiers à l'Union. Ainsi, le Collège de la Halde estime justifiée l'existence de procédures d'évaluation des connaissances pour les professionnels détenteurs de diplômes délivrés hors de l'Union européenne, en l'absence de convention bilatérale. Au demeurant, comme le Collège l'a précédemment relevé dans une délibération n° 2005-36 du 27 février 2005 (N° Lexbase : X7345AER), ces procédures doivent effectivement permettre l'accès à la profession, notamment, en prenant en considération l'expérience professionnelle en France, afin de ne pas avoir un effet discriminatoire.

Le décret n° 2007-196 du 13 février 2007, relatif aux équivalences de diplômes requises pour se présenter aux concours d'accès aux corps et cadres d'emplois de la fonction publique (N° Lexbase : L3869HUT), va dans ce sens puisqu'il prévoit des procédures d'examen, par des commissions, des diplômes délivrés hors de l'Union et des compétences acquises.

II - La condition relative à la nationalité, une restriction discutable pour l'accès à l'emploi des étrangers

Si la condition de détention d'un diplôme constitue une restriction légitime pour l'accès à l'emploi des étrangers, la condition de nationalité ne bénéficie pas de la même légitimité, selon la Halde. Selon le rapport du Groupe d'étude sur les discriminations de mars 2000 (préc.), 30 % de l'ensemble des emplois sont interdits partiellement ou totalement aux étrangers, soit 7 millions d'emplois. La condition de nationalité pour l'accès à l'emploi touche aussi bien le secteur public que privé.

Comme l'a relevé, en 2000, le GED, les raisons ayant présidé à la mise en place des interdictions sont très variables. Elles tiennent à la volonté de protéger l'activité économique des nationaux contre la concurrence étrangère et à une logique politique de clientélisme visant à répondre aux craintes de certaines catégories professionnelles vis-à-vis de la main d'oeuvre étrangère ; à la défense des intérêts vitaux du pays à l'égard de l'influence étrangère ; à la peur de l'étranger et de son influence jugée néfaste sur les travailleurs nationaux, avec pour corollaire, la stigmatisation du comportement des étrangers dont on dénonce le défaut de moralité ; enfin, parce que tout fonctionnaire est considéré comme participant à l'exercice de la souveraineté et de la puissance publique, et ne peut donc être que de nationalité française.

A - Accès à l'emploi des étrangers et statut des entreprises

  • Accès à l'emploi des étrangers dans la fonction publique et autres employeurs publics

En application du droit communautaire, la loi du 26 juillet 1991 (6) a ouvert, aux ressortissants communautaires uniquement, la possibilité d'accéder aux corps, cadres et emplois dont les attributions sont soit séparables de l'exercice de la souveraineté, soit ne comportent aucune participation directe ou indirecte à des prérogatives de puissance publique. Toutefois, les étrangers extracommunautaires sont dans l'impossibilité d'accéder aux emplois statutaires de la fonction publique. Seuls les emplois de non titulaires leur sont ouverts, sous forme de contrats ou de vacations.

Selon le rapport du GED (préc.), plusieurs fonctions dans les hôpitaux publics ont été ouvertes aux étrangers extracommunautaires soit pour pallier le manque de main d'oeuvre, soit pour attirer des talents étrangers. Les étrangers non communautaires font donc partie des effectifs et sont recrutés pour effectuer les mêmes tâches que des fonctionnaires, mais sous des statuts précaires qui ne leur permettent pas d'espérer une évolution de leur carrière. Il existe, néanmoins, une exception à cette interdiction en ce qui concerne l'enseignement supérieur. Depuis les lois du 15 juillet 1982 (loi n° 82-610, d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique de la France N° Lexbase : L6628AGL) et 26 janvier 1984 (loi n° 84-53, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale N° Lexbase : L7448AGX), les emplois d'enseignants-chercheurs sont ouverts sans condition de nationalité (C. éduc., art. L. 952-6 N° Lexbase : L9930AR9), selon les modalités prévues par le décret n° 84-431 du 6 juin 1984, fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences (N° Lexbase : L7889H3L).

Selon la Halde (délibération n° 2009-139), les étrangers extracommunautaires ne peuvent pas accéder aux emplois permanents statutaires de la majorité des entreprises assurant la gestion d'un service public entreprises (EDF-GDF, Banque de France). Seuls les emplois non statutaires sont ouverts aux extracommunautaires sous la forme de contrats. La Halde note, toutefois, des avancées : la RATP a ouvert ses 45 000 emplois, sans condition de nationalité depuis décembre 2002 ; depuis 2001, la condition de nationalité pour les postes de la Sécurité sociale a été supprimée.

Par une délibération n° 2008-189 du 15 septembre 2008 (N° Lexbase : X7346AES), la Halde s'est prononcée sur les offres d'emploi subordonnant l'accès à un poste de conducteur-receveur de bus à une condition de nationalité française. En l'espèce, l'employeur invoquait que les conducteurs-receveurs peuvent être amenés, dans le cadre de la polyvalence des fonctions, à exercer la fonction d'agents vérificateur de titres de transports ce qui, selon lui, requiert d'avoir la nationalité française. Selon l'entreprise, le fait d'être assermenté à dresser des PV pour absence de titre de transport et/ou pour des infractions au stationnement justifie d'avoir la nationalité française. La Halde soulignait, pourtant, qu'il n'existe aucun texte exigeant la condition de nationalité française pour exercer ces fonctions. Dans l'hypothèse où une réglementation prévoirait cette condition, celle-ci serait considérée comme incompatible avec l'article 39 § 4 du Traité CE , qui n'autorise les Etats à procéder à des discriminations fondées sur la nationalité que pour les emplois dans l'administration publique. Il n'existe, pas davantage, de réglementation réservant l'accès aux emplois du secteur des transports publics aux seuls nationaux, ni aucun article dans le Code de procédure pénale soumettant l'assermentation et l'agrément des contrôleurs de titre de transport à une condition de nationalité française.

La CJCE a précisé le champ d'application de l'article 39 § 4 du Traité CE par deux arrêts rendus le 2 juillet 1996 (7). La CJCE a jugé qu'une condition de nationalité générale, applicable à tous les emplois (entre autres) dans le secteur des chemins de fer, des transports publics urbains et régionaux, n'était pas couverte par la dérogation de l'article 48 § 4 du Traité . Ces emplois sont généralement éloignés des activités spécifiques de l'administration publique. Selon la jurisprudence de la Cour, la notion d'emploi dans l'administration publique, au sens de l'article 39 § 4, doit recevoir une interprétation et une application uniformes dans l'ensemble de la Communauté et ne saurait, dès lors, être laissée à la totale discrétion des Etats membres. Parmi ces emplois figurent ceux qui comportent une participation, directe ou indirecte, à l'exercice de la puissance publique et aux fonctions qui ont pour objet la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat ou des autres collectivités publiques et supposent, ainsi, de la part de leurs titulaires, l'existence d'un rapport particulier de solidarité à l'égard de l'Etat ainsi que la réciprocité des droits et devoirs qui sont le fondement du lien de nationalité (CJCE, 2 juillet 1996, aff. C-290/94, préc., point 2).

Dans un arrêt du 30 septembre 2003 (8), la CJCE a précisé que la circonstance que les capitaines de navire sont employés par une personne physique ou morale de droit privé n'est pas, en tant que telle, de nature à écarter l'applicabilité de l'article 39 § 4, dès lors qu'il est établi que, pour l'accomplissement des missions publiques qui leur sont dévolues, les capitaines agissent en qualité de représentants de la puissance publique, au service des intérêts généraux de l'Etat du pavillon. Toutefois, le recours à la dérogation à la libre circulation des travailleurs, prévue à l'article 39 § 4 ne saurait être justifié du seul fait que des prérogatives de puissance publiques sont attribuées par le droit national aux titulaires des emplois en cause. Encore faut-il que ces prérogatives soient effectivement exercées de façon habituelle par ces titulaires et ne représentent pas une part très réduite de leurs activités. Selon la CJCE, la portée de cette dérogation doit être limitée à ce qui est strictement nécessaire à la sauvegarde des intérêts généraux de l'Etat membre concerné, laquelle ne saurait être mise en péril si des prérogatives de puissance publique n'étaient exercées que de façon sporadique, voire exceptionnelle, par des ressortissants d'autres Etats membres.

  • Accès à l'emploi des étrangers chez les employeurs du secteur privé

Le rapport rédigé en novembre 1999 par le cabinet Bernard Brunhes Consultants avait relevé que plus de 50 professions voient leur accès soit fermé, soit restreint aux étrangers et ce, à des niveaux très divers (9), en raison de la condition de nationalité. Dix-sept professions sont soumises à une stricte condition de nationalité française (huissiers de justice, notaires, pilotes d'avion, directeurs de publications de presse ou concessionnaires de services publics). D'autres professions (au nombre de 35) seraient soumises à une condition de nationalité communautaire (vétérinaires, directeurs de salles de spectacles, débitants de tabac ou dirigeants de régies, entreprises, associations ou établissements des services extérieurs des pompes funèbres).

Sauf convention bilatérale particulière, sont, également, soumises à une condition de nationalité soit communautaire, soit d'un pays lié avec la France par une convention de réciprocité, les professions essentiellement exercées à titre libéral : emplois relevant d'un ordre professionnel dont, notamment, les avocats ; les médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes ; les experts-comptables ; les architectes ; et les pharmaciens et géomètres experts. Enfin, à coté des professions libérales, il faut mentionner d'autres professions relevant du secteur privé : débitants de boissons et dirigeants d'entreprises de surveillance, de transport de fonds, de protection des personnes, ou de gardiennage.

Dans son avis rendu le 1er décembre 2008, le Comité consultatif de la Halde a souligné que la fermeture de millions d'emplois aux ressortissants des pays tiers et les discriminations à l'embauche que cela engendre pour des centaines de milliers d'autres emplois explique en grande partie pourquoi les statistiques de l'Insee signalent que les étrangers non européens sont, en France, deux fois plus victimes du chômage et de l'emploi précaire que les Français et les ressortissants européens. Ceci a pour conséquence un taux de chômage et de précarité très élevé dans les quartiers populaires, où est concentrée la majeure partie des étrangers non européens.

En 1990, la doctrine (10) s'était interrogée sur le motif légitime de ces exclusions du marché du travail frappant les étrangers. "La plupart traduisent simplement la volonté de protéger les nationaux contre la concurrence étrangère : très souvent, d'ailleurs, les mesures restrictives ont été prises à une époque relativement récente (soit dans l'entre-deux guerres, soit après la guerre), sous la pression des milieux professionnels concernés. Or le souci malthusien des membres d'une profession de se protéger contre la concurrence ne suffit évidemment pas à justifier, au regard des principes à valeur constitutionnelle, l'existence de différences de traitement entre nationaux et étrangers : dès lors que ceux-ci ont été autorisés à s'établir et travailler en France, ils doivent en effet pouvoir se réclamer du principe posé par le Préambule de la constitution de 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) : nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines'".

B - Accès à l'emploi des étrangers et appartenance à un Etat membre

  • Egalité d'accès à l'emploi entre les nationaux et les ressortissants communautaires

Le Comité consultatif de la Halde (délibération n° 2009-139) a souhaité que soit supprimée toute distinction entre les travailleurs qu'ils appartiennent, ou non, à l'Union européenne. Conformément à l'article 39 du Traité CE, la liberté de circulation implique l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des Etats membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. Au-delà de la liberté de circulation des travailleurs, le droit communautaire garantit, ainsi, une égalité d'accès à l'emploi entre les nationaux et les ressortissants communautaires.

Selon la CJCE, l'exception au principe d'égalité d'accès à l'emploi entre nationaux et ressortissants communautaires est d'interprétation stricte, il n'y a pas lieu de distinguer entre secteur public et secteur privé, et il faut s'attacher à la nature de l'emploi. Si le droit communautaire permet aux Etats membres de réserver à leurs nationaux les emplois liés à la souveraineté nationale ou à l'exercice de prérogatives de puissance publique, le Collège de la Halde a relevé que le droit communautaire ne fait pas obstacle à ce que les Etats membres reconnaissent aux extracommunautaires, le droit à un égal accès à l'emploi, sur leur territoire.

  • L'égalité d'accès à l'emploi entre les nationaux et les ressortissants non communautaires en question

Le Collège de la Halde a observé que, depuis le Traité d'Amsterdam, les questions d'asile et d'immigration sont de la compétence des institutions européennes et ne relèvent plus seulement d'une coopération entre Etats membres. Ainsi, le Conseil a étendu l'égalité de traitement dans l'emploi dont jouissent les ressortissants communautaires, aux membres de leur famille ressortissants des Etats tiers (Directive 2004/38 du 29 avril 2004, préc., art. 23 et art. 24).

Le droit communautaire prévoit, également, d'accorder le droit à l'égalité dans l'accès à l'emploi aux résidents extra-communautaires de longue durée. Toutefois, les Etats membres conservent une marge de manoeuvre en la matière et peuvent, ainsi, déroger à ce principe. En effet, la Directive 2003/109/CE du 25 novembre 2003 confère ce droit aux ressortissants des pays tiers résidents de longue durée, définis comme des personnes résidant de manière légale et ininterrompue sur le territoire d'un Etat membre depuis cinq ans (art. 11). Toutefois, cette Directive donne la faculté aux Etats membres de maintenir des restrictions à l'accès à l'emploi ou à des activités non salariées lorsque, conformément à leur législation nationale ou au droit communautaire en vigueur, ces activités sont réservées à ses ressortissants nationaux, aux citoyens de l'Union européenne ou de l'Espace économique européen (art. 11-3, sous a).

L'Etat français a intégré au Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile les dispositions harmonisant le statut de résident de longue durée, mais il n'a pas transposé le principe de l'égalité de traitement entre nationaux et résidents ressortissants d'Etat tiers dans l'accès à l'emploi. Le Collège de la Halde a constaté, toutefois, que, malgré l'expiration du délai de transposition de ces deux Directives, en 2006, le principe d'égalité d'accès à l'emploi n'a pas été transposé en droit interne concernant les membres de la famille et les résidents de longue durée.

La Halde s'est interrogée sur les justifications du maintien des conditions de nationalité dans l'accès à de nombreux emplois et professions, précision étant faite qu'il n'y a pas lieu de remettre en cause la réserve aux nationaux des emplois, du secteur public comme du secteur privé, impliquant l'exercice de la souveraineté nationale ou de prérogatives de puissance publique.

Mais, concernant les autres emplois, les justifications historiques, selon la Halde, apparaissent aujourd'hui inappropriées. Dès lors que des emplois sont ouverts aux ressortissants communautaires, les différentes justifications au soutien du maintien de la condition de nationalité perdent de leur force. Lorsque des ressortissants d'Etats tiers sont employés dans les mêmes fonctions que des ressortissants communautaires (mais sous des statuts précaires -vacations, sous-traitance-), la condition de nationalité devient sans fondement. Par conséquent, au regard de la perte de légitimité de la condition de nationalité dans l'accès à l'emploi et de la nécessité de transposer les Directives communautaires 2004/38 du 29 avril 2004 et 2003/109/CE du 25 novembre 2003, le Collège de la Halde a recommandé (délibération n° 2009-139) au Gouvernement de supprimer les conditions de nationalité pour l'accès aux trois fonctions publiques, aux emplois des établissements et entreprises publics et aux emplois du secteur privé, à l'exception de ceux relevant de la souveraineté nationale et de l'exercice de prérogatives de puissance publique.

Au final, pour la Halde, une réactualisation de la liste des emplois fermés du secteur privé est nécessaire. Cette démarche apparait également utile s'agissant des emplois dans les établissements et entreprises publics. Par conséquent, le Collège de la Halde recommande au Premier ministre de faire procéder à un recensement de l'ensemble des emplois fermés en France. Le Collège examinera au cas par cas les justifications apportées, dans l'hypothèse du maintien de conditions de nationalité pour certains emplois.

La Halde rejoint, ainsi, les recommandations formulées il y a quelques années par le Groupe d'étude sur les discriminations (rapport de mars 2000, préc.), suggérant une révision des textes réglementaires et législatifs afin de lever la condition de nationalité pour l'exercice des professions fermées dans le secteur privé, à l'exception de celles qui entrent dans le cas de l'exercice de la souveraineté ou de la participation directe ou indirecte à l'exercice de prérogatives de puissance publique (au moins 28 professions sont concernées, notamment, médecins, chirurgiens-dentistes, sages-femmes, pharmaciens, vétérinaires, experts-comptables, architectes, géomètres-experts, débitants de tabac et de boissons).


(1) Directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (N° Lexbase : L7906DN7) ; Directive 2004/38 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres (N° Lexbase : L2090DY3) ; Directive 2005/36/CE du Parlement européen et du Conseil du 7 septembre 2005, relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles (N° Lexbase : L6201HCN).
(2) Loi n° 91-715 du 26 juillet 1991, portant diverses dispositions relatives à la fonction publique (N° Lexbase : L1103G8D) ; loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004, portant création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (N° Lexbase : L5199GU4) ; loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (N° Lexbase : L7061HEA) ; décret n° 2005-215 du 4 mars 2005, relatif à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (N° Lexbase : L0822G8X).
(3) Créé par une convention constitutive en avril 1999, le Groupe d'étude sur les discriminations (GED) est un groupement d'intérêt public ayant pour mission d'analyser les discriminations dont souffrent les populations à raison de leur origine, réelle ou supposée, d'expliquer les mécanismes en oeuvre et de formuler des propositions de nature à les combattre. Le GED vise, ainsi, un double objectif : donner à connaître et à comprendre les processus discriminatoires aux pouvoirs publics et aux acteurs sociaux et éclairer la mise en oeuvre et la conduite des actions de lutte contre les discriminations, notamment à partir des recommandations qu'il peut formuler. Le conseil d'administration du GED associe pouvoirs publics, associations impliquées dans la lutte contre le racisme, organisations syndicales et patronales.
(4) GED, Une forme méconnue de discrimination : les emplois fermés aux Etrangers (secteur privé, entreprises publiques, fonctions publiques), note n° 1, mars 2000.
(5) Adri, Les discriminations dans le monde du travail, coll. Adri-études, 1998 ; P. Bataille, Le racisme au travail, Paris, La Découverte, 1997 ; F. Bayade, L'insertion professionnelle des étrangers : chômage, évolution de 1992 à 1996 et dispositif d'insertion en 1995, Notes et documents de la Direction et de la Population et des Migrations, n° 33, avril 1997 ; Bernard Brunhes Consultants, Les emplois du secteur privé fermés aux étrangers, novembre 1999, 2 volumes ; J.-M. Belorgey, Lutter contre les discriminations, Rapport pour Madame la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, mars 1999 ; Conseil d'Etat, Sur le principe d'égalité, La Documentation française, 1998 (notamment, article de Marceau Long, Le principe d'égalité et les étrangers, p.113) ; Conseil économique et social, La vie professionnelle des travailleurs étrangers en France, Avis et rapports, n° 14, 1993 ; Conseil national des populations immigrées (CNPI), Egalité des droits, Rapports et avis, septembre 1991 ; Dictionnaire permanent-Droit des étrangers, Editions législatives, décembre 1999 ; Haut Conseil à l'intégration, Rapport relatif aux discriminations, 1998 ; A. Lebon, Immigration et présence étrangère en France 1997-1998, La Documentation française, décembre 1998 ; D. Lochak, Etrangers, de quels droits ?, coll. Politique d'aujourd'hui, PUF 1985 ; D. Lochak, Les politiques de l'immigration au prisme de la législation sur les étrangers, in D. Fassin, A. Morice, C. Quiminal (sous dir.), Les lois de l'inhospitalité, La Découverte, 1997 ; C.-V. Marie, A quoi sert l'emploi des étrangers ?, in D. Fassin, A. Morice, C. Quiminal (sous dir.), Les lois de l'inhospitalité, préc. ; P. Weil, La France et ses étrangers, Folio actuel, 1995 ; v., aussi, P. Bataille, Repérer les discriminations racistes dans le travail et à l'embauche, Ville-Ecole-Intégration n° 113, juin 1998 ; L. Ettahiri, Médecins étrangers : quel avenir en France ?, Plein Droit, La revue du GISTI, n° 26, septembre-octobre 1994 ; D. Lochak, Des discriminations jusqu'à quand ?, Plein Droit, La revue du GISTI, n° 7, avril 1989 ; Les discriminations frappant les étrangers sont-elles licites ?, Dr. soc., janvier 1990 ; Emploi et protection sociale, les inégalités du droit, Hommes et Migrations, n° 1187, mai 1995 ; Médecins ou français, il faut choisir !, Plein Droit, La revue du GISTI, 1995 ; Devoir d'intégration et immigration, RDSS, 2009, p. 18 ; C.-V. Marie, Les étrangers en première ligne dans l'élasticité de l'emploi, Plein Droit, La revue du GISTI, n° 31, mars 1996 ; A. Math et A. Spire, Sept millions d'emplois interdits, Plein Droit, La revue du GISTI n° 41-42, avril 1999 ; A. Math et A. Spire, Des emplois réservés aux nationaux ?, Information sociale, Dossier "Droits des étrangers", n° 78, 1999 ; J. Wrench, Discrimination formelle et informelle sur le marché du travail européen, Hommes et Migrations, n° 1211, janvier-février 1998.
(6) Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, art. 5 bis (N° Lexbase : L6938AG3). Ce dispositif a été complété par les articles 10 et 11 de la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (N° Lexbase : L7061HEA).
(7) CJCE, 2 juillet 1996, aff. C-290/94, Commission des Communautés européennes c/ République hellénique (N° Lexbase : A0136AWX), Recueil 1996 p. I-03285 ; M. Nicolella, Gazette du Palais, 1996, II, som. p.573 ; M. Luby, Journal du droit international, 1997, p. 553 ; C. Gavalda et G. Parléani, JCP éd. E, 1997, I, p. 653, n° 24. Et CJCE, 2 juillet 1996, aff. C-473/93, Commission des Communautés européennes c/ Grand-Duché de Luxembourg (N° Lexbase : A1714AWE), Recueil, 1996, p. I-03207 ; M. Nicolella, Gazette du Palais, 1996, II, som., p. 573 ; M. Luby, Journal du droit international, 1997, p. 553 ; C. Gavalda et G. Parléani, JCP éd. E, 1997, I, p. 653, n° 24.
(8) CJCE, 30 septembre 2003, aff. C-405/01, Colegio de Oficiales de la Marina Mercante Española c/ Administración del Estado (N° Lexbase : A6938C9T), Recueil, 2003, p.I-10391 ; L. Idot, Un Etat membre ne peut réserver à ses ressortissants les emplois de capitaine des navires, Europe, 2003, comm. n° 357, p. 25 ; P. Bonassies, La nationalité des capitaines de navire et la CJCE, Le droit maritime français, 2003, p. 1027 ; X. Latour, Revue des affaires européennes, 2003-04, p. 288.
(9) Liste 1 à l'annexe 2 du rapport Brunhes, préc..
(10) D. Lochak, Les discriminations frappant les étrangers sont-elles licites ?, préc..

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Droit financier

[Jurisprudence] Faillite de Lehman Brothers et remboursement des actifs des OPCVM : la cour d'appel de Paris confirme la décision de l'AMF

Réf. : CA Paris, 1ère ch., sect. H, 8 avril 2009, 3 arrêts, n° 2008/22218 (N° Lexbase : A1799EGQ), n° 2008/22085 (N° Lexbase : A1797EGN), et n° 2008/22106 (N° Lexbase : A1798EGP)

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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Le 07 Octobre 2010

Statuant sur des injonctions prononcées par l'Autorité des marchés financiers, c'est par trois arrêts, rendus le même jour, que la cour d'appel de Paris a eu à connaître de la défaillance de la banque Lehman Brothers, à travers l'activité de l'une de ses filiales anglaise qui jouait le rôle de Prime Broker de plusieurs organismes de placement collectifs en valeurs mobilières (OPCVM) à règles d'investissement allégées. Ces Prime Broker, prestataires de service d'investissement, prennent en charge le financement de l'activité de ces OPCVM, de la compensation, du prêt de titres des opérations de couverture de change et de la conclusion, du règlement ou du paiement relatif à des transactions initiées par le fonds. Ils peuvent, également, se porter contrepartie et, à raison de leurs missions de financement des opérations engagées par le fonds, sont en mesure de faciliter la mise en oeuvre de sa gestion et, à ce titre, peuvent bénéficier de sûretés sur les actifs du fonds pour garantir les financements consentis ou certaines positions prises sur des marchés dérivés. C'était, précisément, pour réaliser ces différentes missions que la société de droit anglais Lehman Brothers International Europe (LBIE), filiale de Lehman Brothers, avait été choisie comme sous-dépositaire, par des dépositaires français. La défaillance de la Lehman Brothers ayant entraîné celle de sa filiale, les gestionnaires demandent, alors, la restitution des éléments d'actifs confiés et/ou l'état des pertes aux dépositaires ainsi qu'au sous-dépositaire anglais, tout en avertissant l'Autorité des marchés financiers (AMF) de l'existence de problèmes relatifs à l'exécution desdits contrats. La question à laquelle le juge avait à répondre visait, en l'espèce, à déterminer si le contrat de sous-dépôt pouvait justifier, pour le dépositaire initial, l'impossibilité de restituer à l'OPCVM les actifs confiés à la société défaillante. L'AMF ayant imposé cette restitution aux dépositaires principaux, le juge confirmera la solution retenue par l'Autorité (I) en matière de responsabilité, la justifiant, principalement, par le caractère d'ordre public (II) des dispositions de l'article L. 214-26 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9953DYB).

I - La responsabilité du dépositaire principal

La responsabilité du dépositaire principal dépend d'une articulation juridique assez complexe, notamment quant à la propriété des fonds déposés, ce qui rend délicate l'appréciation des sommes qu'il doit au fonds en cas de défaillance du Prime Broker (A). L'AMF, dans un premier temps, puis, la cour d'appel de Paris, dans un second temps, se sont attachées, pour ce faire, à une analyse des textes de droit interne et des liens unissant le dépositaire au sous-dépositaire (B).

A - Une articulation juridique complexe

Le premier fonds commun de placement concerné par ce litige avait été constitué par la société Delta alternative management, société de gestion, qui l'avait confié à la société RBC Dexia, dépositaire, son agrément par l'AMF étant obtenu au titre d'OPCVM alternatif à règles d'investissement allégées à effet de levier (dit "ARIAL EL"). Il était, ainsi, réservé, à la souscription des seuls investisseurs qualifiés.

Le deuxième fonds, créé par la société Laffite capital management avait, également, comme dépositaire la société RBC Dexia et se trouvait pareillement soumis à la réglementation propre aux fonds "ARIAL EL".

Le troisième fonds, enfin, constitué par société Day Trade Investissement, le dépositaire en étant la Société Générale, était placé sous le même régime. Ces trois produits financiers faisaient, à cette occasion, l'objet d'un contrat de sous-dépositaire tripartite avec la société de droit anglais Lehman Brothers International Europe (LBIE), contrat auquel intervenaient tous les intéressés, sociétés de gestion, dépositaires principaux et Prime Broker.

La convention conclue entre le dépositaire et le Prime Broker était une convention dite "Tripartite sub-Custody Agreement" qui désignait la société LBIE en tant que sous-dépositaire des actifs des trois fonds. Parallèlement, les sociétés gestionnaires et le sous-dépositaire avaient conclu une convention internationale de Prime Brokerage (International Prime Brokerage Agreement), l'agrément des fonds n'étant obtensible, aux termes de l'instruction AMF du 25 janvier 2005 (instruction AMF n° 2005-01 N° Lexbase : L0871G8R), qu'à la condition de la production d'une lettre de conformité établie par le Prime Broker. Dans celle-ci, la Société LBIE, devait rappeler, sous la rubrique "principales dispositions légales et réglementaires", les termes de la convention qui figurent ci-après.

En vertu de celle-ci :

- Pour garantir les obligations de l'OPCVM envers le Prime Broker, l'OPCVM pouvait remettre en pleine propriété des instruments financiers, contrats, créances, droits ou sommes d'argent ou constituer des sûretés sur de tels biens ou droits au bénéfice du Prime Broker dans les conditions et les limites définies par l'article R. 214-1 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L5119HCL).
- Les biens ou droits de l'OPCVM ayant fait l'objet d'une sûreté au bénéfice du Prime Broker pouvaient être utilisés ou aliénés par le Prime Broker, à charge pour lui de restituer à l'OPCVM des biens ou droits équivalents.
- La valeur de la créance du Prime Broker sur l'OPCVM, constituée par l'ensemble des obligations de l'OPCVM envers le Prime Broker résultant d'opérations sur des instruments financiers et de contrats donnant lieu à un règlement en espèces ou à une livraison, était déterminée et communiquée quotidiennement par le Prime Broker à la société de gestion suivant les modalités déterminées dans la convention.
- Conformément à l'accord exprès de la société de gestion, les actifs de l'OPCVM dont la tenue de compte-conservation était assurée par le Prime Broker pouvaient être utilisés par le ce dernier.
- Dans l'hypothèse de la survenance d'un cas d'insolvabilité du Prime Broker, l'OPCVM pouvait résilier la convention et les contrats qui lui étaient liés et compenser les dettes et les créances réciproques y afférentes (y compris celles relatives aux sûretés et garanties, ainsi qu'à l'utilisation ou l'aliénation des actifs, biens ou droits) en établissant un solde unique dû par une des parties, ce nonobstant l'ouverture de toute procédure collective, amiable ou judiciaire, fondée sur l'insolvabilité du Prime Broker.

Ces hypothèses de défaillance se réalisent à l'automne 2008, lorsque, le 15 septembre, Lehman Brothers ayant été mise en faillite, sa filiale LBIE est placée sous administration judiciaire. Les gestionnaires tentant, soit d'établir l'état des pertes, soit d'obtenir directement le remboursement par le dépositaire principal, informent l'AMF de la situation respective de leurs fonds gérés.

L'Autorité, au vu des pièces fournies par les protagonistes des trois affaires, estimera que la position retenue par les dépositaires ne lui paraissait pas conforme aux dispositions législatives et réglementaires applicables aux dépositaires. Ainsi, adressera-t-elle à ces deux intermédiaires une lettre, le 20 novembre 2008, demandant à RBC Dexia de rembourser aux fonds les sommes de 13 et 18 millions d'euros et, s'agissant de la Société Générale, la somme de 3 millions sous peine d'astreinte.

B - La situation du dépositaire face au contrat de sous-dépôt

Les sociétés dépositaires, RBC Dexia et la Société Générale, forment alors un recours, la première, le 28 novembre 2008, la seconde, le 1er décembre 2008, demandant à la cour d'annuler et, subsidiairement, pour la Société Générale, de réformer l'injonction de l'AMF.

Dans les trois arrêts, les sociétés dépositaires principales soulevaient différents griefs contre l'Autorité des marchés financiers et contestaient, au surplus, la compétence de la cour. Le juge, à propos de cette exception procédurale, soulignera simplement, dans ses motifs, que la décision de l'AMF qui lui était déférée n'étant ni relative à un agrément, ni à une sanction frappant les sociétés, mais consistant simplement en une injonction de se conformer aux obligations légales et réglementaires, le juge judiciaire était compétent, à travers l'attribution textuelle du litige à la cour d'appel de Paris.

Semblablement, les sociétés de gestion qui souhaitaient participer à l'instance se sont vu déboutées par le juge, aux motifs que les dispositions de l'article 330 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1925H43), qui permettent l'intervention d'un tiers, n'étaient pas invocables en l'espèce, ledit texte n'étant pas applicable à la procédure suivie devant l'AMF et, de surcroît, incompatible avec la nature du contentieux en cause. Les conditions de la mise en oeuvre de l'article 330 du code précité, n'étant au surplus pas réunies, l'AMF, n'étant pas une partie au sens de ce texte, l'intervention des sociétés de gestion sera déclarée irrecevable.

Le fond du débat portait, cependant, sur la mise en oeuvre des conventions de sous-dépositaire, car les dépositaires principaux invoquaient les stipulations de la convention passée avec la LBIE pour contester les modalités de la restitution retenues par l'AMF.

Sur ce point, d'ailleurs, l'argumentation des deux dépositaires différait dans son fondement. La Société Générale, d'abord, soutenait que l'AMF lui imposait une restitution immédiate de fonds détenus par le sous-dépositaire en vertu de la convention conclue avec la LBIE, alors qu'aucun texte ne l'aurait contraint à une telle restitution, seul le sous-dépositaire en étant tenu. La Société Générale invoquait, également, le transfert de responsabilité du dépositaire au sous dépositaire en application, selon elle, du règlement général de l'AMF, qui aurait prévu une obligation de restitution à l'encontre du seul conservateur des actifs du fonds. Quand bien même, ajoutait la Société Générale, le dépositaire principal aurait dû restituer les fonds, encore aurait-il fallu, les actifs en cause étant grevés d'une sûreté, que cette restitution soit précédée de l'apurement des dettes du fonds à l'égard du Prime Broker, puis de la mainlevée de la sûreté.

La cour d'appel de Paris, pour répondre à ces griefs, s'appuiera, d'abord, sur les termes de l'article L. 214-26 du Code monétaire et financier qui dispose que les actifs "sont conservés par un dépositaire unique distinct de la société de gestion du fonds et qui s'assure de la régularité des décisions de cette société [...]. Sa responsabilité [du dépositaire] n'est pas affectée par le fait qu'il confie à un tiers tout ou partie des actifs dont il a la garde [...]".

Le juge invoquera, également, l'article 233-14 du RG de l'AMF qui reprend cette même disposition quant à la responsabilité du dépositaire. Il rappellera, enfin, qu'en vertu des termes de l'article 322-4 du RG, le teneur de compte conservateur "a l'obligation de restituer les instruments financiers inscrits en compte dans ses livres [...]" et, qu'en l'espèce, le dépositaire exerce cette fonction de tenue de compte conservation des instruments financiers, ainsi qu'en dispose l'article 323-2 du RG de l'AMF.

Ces arguments, ajoutés au fait que, comme le rappelle le juge, aucune possibilité de dérogation contractuelle n'était prévue à l'obligation de restitution, à l'époque de la constitution du fonds, les conventions conclues entre la Société Générale et la LBIE ne permettaient pas à la première de s'exonérer de la responsabilité établie par les textes. Ces arguments lui permettront de conclure que le collège compétent de l'autorité des marchés financiers avait pu, à juste titre, enjoindre à la Société Générale de restituer au fonds une somme équivalente aux actifs détenus par la société LBIE.

La société RBC Dexia, elle, soutenait une thèse plus contractualiste. Elle prétendait, en effet, avoir été expressément déchargée de son obligation de restitution par la convention conclue avec le LBIE, soulignant que la convention avait un caractère tripartite qui avait permis d'établir une relation directe entre le gestionnaire du fonds et le Prime Broker. RBC Dexia soutenait, par ailleurs, que contrairement à l'intitulé de la convention, la LBIE n'était pas un dépositaire mais un délégataire parfait, accepté par le fonds, ce qui exonérait le dépositaire principal de son obligation de restitution.

Cet argument, tiré de la liaison directe entre le fonds et le Prime Broker, lui permettait, au surplus, de soutenir que la responsabilité encourue et l'obligation de restitution devraient être dissociés, dès lors que les fonds avaient été remis au sous-dépositaire à l'initiative de la société de gestion et avec son accord.

La cour d'appel de Paris reprenant, face à la société RBC Dexia, les mêmes arguments que ceux qu'elle avait utilisés face à la Société Générale, ajoutera simplement, en réponse à l'argumentation de l'appelante, que "l'obligation de restitution résultait de dispositions d'ordre public destinées à assurer la protection de l'épargne investie dans les produits financiers et tous autres placements donnant lieu à appel public à l'épargne". Elle écartera, enfin, toute possibilité d'exonération fondée sur l'argument tiré de la force majeure, la convention de Prime Brokerage évoquant expressément l'hypothèse du placement de la LBIE sous procédure collective, ce qui supposait, donc, sa prévisibilité.

II - L'ordre public face à l'aménagement contractuel

L'interprétation de ces trois décisions laisse transparaître, au-delà de la rigueur -s'agissant de la responsabilité financière- dont ont fait successivement preuve l'AMF et la cour d'appel, un certain nombre d'interrogations quant à la portée de la notion d'ordre public (A) invoquée. Il apparaît, en effet, que si cette dernière pouvait être utilisée, c'était essentiellement à raison du contexte particulier (B) auquel étaient confrontés les protagonistes de l'affaire.

A - Les ambiguïtés quant à l'intensité de l'ordre public invoqué par la cour d'appel

La solution retenue établit, ainsi, que les textes imposent une obligation de restitution immédiate reposant sur des dispositions d'ordre public destinées à "assurer, la protection de l'épargne investie dans les produits financiers [...] et le bon fonctionnement des marchés d'instruments financiers". Sur ce dernier point, la précision donnée par la cour d'appel quant au fonctionnement des marchés ne paraît pas inutile : en effet, les OPCVM en question constituaient des produits financiers particuliers, réservés à un public d'investisseurs avisés qui ne méritaient sans doute pas une protection aussi intense que celle qui est dédiée aux petits épargnants. La protection du marché, en revanche, ne pouvait être garantie que par l'impossibilité d'écarter la réglementation par des conventions particulières.

Il demeure que ce principe, relatif à l'existence d'un ordre public justifié par la défense de l'épargne et des marchés étant posé, la cour d'appel semble en limiter certains de ses effets à l'occasion de l'examen du "périmètre et la valeur des actifs restituables" par RBC Dexia et la Société Générale.

A propos de l'affaire "Société Générale", sur la question de savoir quels étaient les actifs réalisables, le juge d'appel répond, en effet, que "ni le fonds, ni le dépositaire, n'ont contesté que la détermination du périmètre des actifs restituable devait s'opérer en se référant à la convention de Prime Brokerage". Aux termes d'un raisonnement à l'occasion duquel le juge fait essentiellement référence à l'injonction de l'AMF, la cour rappelle, ainsi, que l'Autorité s'était appuyée sur la convention précitée pour opérer une distinction entre : les actifs qui demeuraient toujours la propriété de l'OPCVM (les actifs en conservation) et ceux qui avaient été transformés en droit de créance, c'est-à-dire ceux qui entraient "dans le champ de la compensation". Le collège de l'AMF estimera, en conséquence, que les actifs restituables étaient les instruments financiers dont la conservation était, au 12 septembre 2008, confiés à la LBIE au titre de la convention de sous conservation. En revanche, n'étaient pas restituables les actifs ayant fait l'objet d'une appropriation par LBIE, conformément au contrat de Prime Brokerage, et qui correspondaient à la dette du fonds vis-à-vis du sous-dépositaire.

Par comparaison, les deux affaires dans lesquelles RBC Dexia était dépositaire étaient plus complexes : d'abord, parce que, dans l'arrêt visant le fonds LRA (affaire n° 2008/22106), l'OPCVM n'avait pas de dettes vis-à-vis du sous-dépositaire, le collège de l'AMF ayant pu relever que, s'agissant des créances compensables, la dette globale du fonds envers la LBIE étant inférieure à celle de la LBIE. Ainsi, c'est une créance qui, après compensation, faisait ressortir un solde positif au bénéfice du dépositaire et non une dette à déduire du périmètre des actifs restituables.

Ensuite, dans l'arrêt visant le fonds Delta (affaire n° 2008/22085) le collège de l'AMF avait relevé, au contraire, que le LBIE avait utilisé abusivement des actifs, contrairement aux accords contractuels passés avec le dépositaire. Considérant que cette appropriation constituait une atteinte aux droits de propriété du fonds, l'AMF avait décidé que les actifs détournés, restant la propriété du fonds, n'étaient pas déductibles de la restitution due par le dépositaire principal. La cour d'appel, suivant le raisonnement de l'Autorité, adoptera, donc, le même calcul que celui que l'AMF avait réalisé quant au montant des sommes restituables, et rejettera la demande de réduction de RBC Dexia.

B - Des solutions pragmatiques

Les solutions ainsi dégagées reposent, cependant, sur des aspects paradoxaux. D'une part, la responsabilité du dépositaire n'est fondée que sur le caractère d'ordre public de la réglementation, cette dernière excluant la prise en compte des conventions passées avec le sous-dépositaire. D'autre part, le juge, en contrepoint, fait jouer les termes de la convention afin de déterminer, au regard des stipulations qu'elle contient, quels sont les actifs qui sont demeurés la propriété du fonds et quels sont ceux qui, ayant servi à rémunérer le sous-dépositaire, sont devenus des créances compensables et, partant, exclues du "périmètre" de la restitution.

Autrement dit, le caractère d'ordre public permet de poser le principe de la restitution, mais le contrat reprend ses droits pour en déterminer le quantum. Le procédé peut, ainsi, sembler périlleux : comment déterminer ce qui doit être écarté dans les clauses et ce qui doit être retenu ? L'ordre public qui, en théorie, interdit tout aménagement par contrat des dispositions législatives ou réglementaires ne peut, à l'évidence, être appliqué en amont, pour décider de l'indemnisation, et... rejeté en aval, afin de calculer le montant dont le dépositaire principal est redevable.

Voilà pour la théorie. En pratique, on ne saurait, cependant, qu'approuver les solutions adoptées par l'AMF et par le juge. En premier lieu parce que, en imposant le principe de l'indemnisation au dépositaire principal, les deux entités ne font que mettre en oeuvre la volonté du législateur, en faisant jouer les mécanismes de sécurité institutionnelle qui caractérisent en France, la protection de la gestion collective. On comprendrait mal, en effet, que la conclusion de contrats internationaux par les dépositaires puisse constituer un procédé d'affaiblissement de la protection que la place de Paris offre aux investisseurs. En second lieu, la solution se justifie parce que, même au prix des contradictions que nous venons de relever, la prise en compte des stipulations d'un contrat relevant de l'ordre juridique international constitue la marque d'une certaine forme de sécurité pour les intermédiaires et les opérateurs financiers dans le cadre de marchés définitivement internationalisés. Le juge nous offre ainsi, une fois encore, une décision mesurée dans une affaire où, entre les enjeux liés à la protection de l'investisseur et ceux qui visent à garantir la sécurité des affaires, la solution à trouver passait par une voie particulièrement étroite, seule susceptible de ménager l'ensemble des intérêts en cause.

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Délégation de service public

[Jurisprudence] La caractérisation de l'obligation de publicité d'une délégation de service public susceptible d'intéresser un opérateur européen

Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 1er avril 2009, n° 323585, Communauté urbaine de Bordeaux (N° Lexbase : A5013EEE)

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par Christophe De Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

Le 07 Octobre 2010

En vertu du principe de la liberté contractuelle, les personnes publiques peuvent, sauf texte contraire, choisir librement leurs cocontractants. Cependant, cette liberté contractuelle diffère nécessairement de celle des personnes privées dans la mesure où l'achat public a un impact indéniable sur l'économie, et qu'il existe de multiples règles spécifiques qui encadrent l'action administrative. Il existe, aujourd'hui, une volonté croissante d'obliger les personnes publiques à tenir compte du milieu concurrentiel afin de permettre l'égal accès au contrat de tous les candidats potentiels. Dans cette optique, le champ d'application de l'obligation de publicité ne cesse d'augmenter par l'effet conjugué de la multiplication des normes encadrant la commande publique et des exigences toujours plus poussées de la jurisprudence en la matière. L'obligation qui n'était, au départ, qu'une simple règle de forme s'est généralisée pour devenir une véritable règle déontologique attachée au comportement de l'administration. Il s'agit, en fait, de protéger tant l'environnement économique que l'acheteur public lui-même. Ce changement de perspective de l'obligation de publicité n'est, toutefois, pas sans poser des difficultés. L'arrêt d'espèce est un témoignage de ces difficultés et de cette nouvelle approche de la commande publique qui tend à dépasser le strict cadre textuel pour consacrer de véritables règles déontologiques de fonctionnement. La Communauté urbaine de Bordeaux (CUB) a lancé, en novembre 2007, une procédure de mise en concurrence pour déléguer le service public des transports urbains de voyageurs sur son territoire, une agglomération de près de 700 000 habitants, et pour un montant prévisionnel de 750 millions d'euros, au titre de la période couvrant les années 2008 à 2013. Les dispositions des articles L. 1411-1 (N° Lexbase : L2050G9S) et R. 1411-1 (N° Lexbase : L0941ALG) du Code général des collectivités territoriales prévoient que les délégations de service public sont soumises à une procédure de publicité qui implique de publier les informations utiles aux candidats potentiels, à la fois dans une publication habilitée à recevoir des annonces légales, et dans une publication spécialisée correspondant au secteur économique concerné. Pour ce faire, la communauté urbaine a publié un avis d'appel public à la concurrence dans les Echos judiciaires girondins, journal local d'annonces légales, et dans la revue bimensuelle Villes & Transports, journal spécialisé ; cette publicité ayant été complétée par une insertion dans le Moniteur des travaux publics et du bâtiment et sur le site internet Marchés On Line.

L'opérateur allemand Deutsche Bahn a, pourtant, contesté en référé la procédure suivie, estimant, notamment, que les formalités de publicité retenues méconnaissaient les principes de transparence et de non-discrimination à l'égard des opérateurs établis hors de France. Par ordonnance en date du 10 décembre 2008, la procédure litigieuse a été annulée sur ce fondement par le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Bordeaux, saisi en application de l'article L. 551-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L6369G9R) (TA Bordeaux, 10 décembre 2008, n° 0805028, DB Mobility Logistics AG N° Lexbase : A3578ECI). Le juge des référés estimant que "compte tenu de l'objet, du montant financier et des enjeux économiques de la délégation de service public à passer, susceptible d'intéresser des opérateurs implantés hors de France, une insertion devait, nécessairement, être assurée dans un support bénéficiant d'une diffusion européenne". La CUB et la société Kéolis, bénéficiaire du contrat de délégation de service public, se sont alors pourvues en cassation devant le Conseil d'Etat contre l'ordonnance rendue par ce juge. Le Conseil d'Etat annule l'ordonnance pour erreur de droit, dans la mesure où le juge des référés n'a pas vérifié quelle était l'audience des publications retenues. Il n'est pas nécessaire que la publication soit diffusée à l'échelle européenne comme l'a retenue le juge des référés, aucune disposition du Code général des collectivités territoriales n'exigeant de procéder systématiquement à une insertion dans un support bénéficiant d'une diffusion européenne. Une publication française peut suffire, mais il faut que cette publication ne puisse pas échapper à l'attention des opérateurs raisonnablement vigilants du secteur économique concerné, y compris si ces opérateurs sont implantés dans un autres pays européen.

Le juge suprême a, ensuite, réglé l'affaire au fond en tant que juge des référés sur le fondement de l'article L. 821-2 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3298ALQ), au regard de l'audience des trois supports retenus. Pour le juge, les deux premières publications (la revue Ville & Transports et le site Marchés On Line) sont des supports de référence, respectivement dans le domaine des transports publics de voyageur, et dans celui des marchés de service et des délégations de service public passés sur le territoire français, la troisième (la revue Moniteur du Bâtiment & des travaux publics) étant un support de référence dans le secteur des bâtiments et travaux publics. Compte tenu des publications intervenues, la CUB a mis en oeuvre une publicité adéquate, n'a pas méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence et n'a pas porté atteinte à l'égalité de traitement entre les opérateurs.

Il ressort de la décision du Conseil d'Etat une approche assez large du principe d'égalité de traitement des opérateurs européens et français dans la soumission aux offres de délégation de service public. La délégation de service public est, à l'origine, fondée sur le principe du libre choix du délégataire (l'intuitu personae), ce qui la place en dehors du champ du Code des marchés publics, les mesures de publicité n'ayant pour objectif, logiquement, que d'éclairer le choix de l'autorité locale. Ce n'est plus dans ce cadre qu'elle doit fonctionner mais dans l'esprit du nouveau droit de la commande publique qui amène à ce que le juge se prononce, dans son contrôle des formalités de publicité, dans une logique plus économique que formaliste (I). Se voit, ainsi, confirmée la tendance conséquente, ces derniers temps, au rapprochement des modalités de passation des contrats de marchés publics et de délégations de service public (II).

I - Un juge administratif qui se prononce dans une logique plus économique que formaliste

L'acheteur public voit, aujourd'hui, son rôle dépasser la simple passation du contrat et le respect des procédures. Il se doit de prendre en compte le droit de la concurrence et, partant, d'être le régulateur de son marché (1). En ce sens, et comme peut le relever Florian Linditch, la publicité "n'est pas simplement une étape procédurale, elle doit également être performante, pour ne pas dire séduisante" (2). Dans l'esprit du nouveau droit de la commande publique, les collectivités doivent raisonner en considérant les "opérateurs économiques" potentiellement intéressés. Dans son appréciation de cette obligation de publicité, le juge fait toujours preuve d'un certain réalisme, ce qui l'amène à dépasser le strict cadre textuel de la publicité réalisée dans les journaux d'annonces légales (A) et à contrôler la pertinence de la publicité opérée dans les revues spécialisées (B), même si cela peut parfois prêter à discussions.

A - Le dépassement du strict cadre textuel de la publicité réalisée dans les journaux d'annonces légales

Mises à part certaines publicités facultatives, l'acheteur public est soumis à une obligation de publicité qui, schématiquement, varie selon la nature et l'ampleur des prestations en cause, l'objectif de la réglementation étant d'imposer des formalités a priori proportionnelles à l'importance du contrat, notamment au regard de l'impact supposé de celui-ci sur le marché concurrentiel. Dans le cadre d'un contrat de délégation de service public, la première publicité doit être effectuée au moyen d'une "insertion dans une publication habilitée à recevoir des annonces légales" (CGCT, art. R. 1411-1, précité). Cette condition ne donne pas lieu, en général, à un contentieux abondant. Le formalisme de l'habilitation à recevoir des annonces légales, de même que la liste des journaux habilités établie annuellement par la préfecture, ne laisse, en effet, que peu de place à la discussion. Tout au plus le juge administratif vérifie-t-il la qualité de journal d'annonces légales (3). A défaut de cette qualité, il refusera de considérer que la formalité d'insertion est valable, et ce même si la publicité réalisée par ailleurs est incontestablement pertinente au plan de la mise ne concurrence.

Le Conseil d'Etat refuse, cependant, de s'engager dans le contrôle de la pertinence de la publicité réalisée dans les journaux d'annonces légales, même si certains arrêts semblent conforter une certaine évolution en ce sens dans le contrôle opéré. Il a, ainsi, pu juger que la publication de l'avis d'appel public à la concurrence au Journal officiel de l'Union européenne ne saurait être considérée comme équivalente à une publication dans un journal national ou local d'annonces légales, et ne saurait se substituer à la publicité interne (4). La publication dans ce cadre étant réservée à des avis de marchés dépassant les seuils communautaires. Or, les délégations de service public ne relèvent pas, pour l'heure, des procédures de passation organisées par les Directives européennes. En ce sens, les entreprises candidates à la délégation n'iraient pas consulter cette publication. Il y a là, de la part du Conseil d'Etat, une volonté non équivoque de dépasser la lecture purement formaliste des obligations de mise en concurrence.

L'on peut s'interroger, au final, sur l'application de cette première règle législative dans la mesure où celle-ci va à l'encontre de la logique économique prédominante. Bien des journaux habilités à recevoir des annonces légales ne procurent, finalement, qu'un faible lectorat intéressé par leur contenu, d'autant plus qu'ils fusionnent des publicités aux objets les plus divers (fonds de commerce, mariages matrimoniaux, déclarations d'utilité publique, annonces de marchés publics). En l'espèce, le juge ne s'est pas penché sur la publication dans les Echos judiciaires girondins. Il est pourtant indéniable que la publicité réalisée dans ce quotidien régional, même s'il est habilité à recevoir des annonces légales, est insuffisante pour un achat "lorsque la délégation de service public est, compte tenu de ses caractéristiques, susceptible d'intéresser des opérateurs implantés sur le territoire d'autres Etats membres de l'Union européenne". Dans ce cadre, une publication au Journal officiel de l'Union européenne aurait pu se justifier, même si la réglementation nationale ou communautaire n'oblige, en aucun cas, d'agir de la sorte. Il est certain que la réglementation doit évoluer sur ce point. Il y a, au surplus, une contradiction qui résulte du texte lui-même entre la très formaliste publicité au journal d'annonces légales, et l'invitation faite aux collectivités à travailler de manière réaliste pour l'appréciation de la publicité intéressant les secteurs concernés.

B - Le contrôle de la pertinence de la publicité spécialisée correspondant au secteur économique concerné

A côté de la publicité dans un journal d'annonces légales, la personne publique est tenue de réaliser une insertion "dans une publication spécialisée correspondant au secteur économique concerné" (CGCT, art. R. 1411-1, précité). Par la formulation retenue, cette seconde obligation de publicité tranche avec le renvoi formaliste au journal d'annonces légales, le législateur invitant clairement ici à une appréciation in concreto de la pertinence de l'organe de presse choisi. Pourtant, l'appréciation relevant d'un pouvoir discrétionnaire de l'administration, l'on aurait pu penser que le juge administratif se refuse à entrer dans la discussion, a fortiori lorsqu'il se prononce comme juge de cassation. Or, tel n'est pas le cas, la cour administrative d'appel de Lyon ayant initié un contrôle assez poussé en la matière en considérant que la publicité au Moniteur des travaux publics et du bâtiment ne correspondait pas aux exigences réglementaires, s'agissant d'un contrat de concession de réseau câblé de télévision (5). Le Conseil d'Etat est allé dans le même sens à propos du cas d'une délégation de la gestion d'un marché d'approvisionnement (6) mais il a, à l'inverse, également été conduit à considérer que cette même publicité pouvait valablement correspondre au "secteur économique concerné" pour ce qui concerne la délégation du service public de l'eau (7), une délégation de casino municipal (8), ou encore d'une délégation du service public de l'assainissement (9). La jurisprudence reste, en définitive, incertaine, comme en témoigne le cas des réseaux câblés à propos desquels il est jugé, tantôt que le Moniteur des travaux publics et du bâtiment constitue une publication spécialisée correspondant au secteur économique concerné (10), tantôt qu'il ne remplit pas cette exigence (11).

Il est, à cet égard, parfois difficile de déterminer si une publication peut être considérée comme spécialisée dans le secteur économique correspondant à la délégation de service public lorsque, par exemple, il n'existe aucune publication de ce type. Le juge fait alors preuve en la matière d'un certain réalisme, et opte pour un critère d'appréciation fondé sur la réalité et l'effectivité de la publicité. En fait, lorsqu'il n'existe pas de publication spécialisée, la publicité sera regardée comme suffisante si la publication choisie a permis une information adéquate des opérateurs économiques susceptibles d'être intéressés. Le Conseil d'Etat pose même en principe que, "lorsqu'il n'existe aucune publication spécialisée correspondant au secteur économique concerné par le service public faisant l'objet de la délégation envisagée, il lui [la collectivité] appartient de rechercher quelle autre publication, plus générale, peut assurer une information suffisante des opérateurs économiques de ce secteur" (12). Le juge vérifiera donc que la collectivité délégante a été attentive dans le choix d'une publication en mesure de toucher le plus d'opérateurs économiques susceptibles d'être intéressés en fonction de l'objet du contrat. En l'espèce, le juge a estimé que les publications étaient adéquates du fait de leurs audiences (La revue Ville & Transports était "en France l'une des revues de référence dans le domaine des transports publics de voyageurs, recueillant un nombre élevé d'annonces légales concernant des délégations de service public" ; le site Marchés On Line constituant un site largement fréquenté, "avec plus de 2 millions de pages vues par mois, environ 14 500 entreprises inscrites") et de leur caractère reconnu de source d'informations pour les avis concernant les marchés de travaux publics, mais aussi les marchés de service et les délégations de service public.

II - Un juge administratif qui confirme la tendance au rapprochement des modalités de passation des contrats de marchés publics et de délégations de service public

Aujourd'hui, la question de l'application du droit de la concurrence aux contrats se pose plus largement qu'aux simples marchés publics. Les contrats soumis à des procédures propres de passation, au titre desquelles figurent les délégations de service public, sont, en effet, plus nombreux qu'auparavant. C'est bien toute la commande publique qui est en cause lorsque se pose la question du cumul de ces procédures spécifiques, à la fois contractuelles et de mise en concurrence, et le droit de la concurrence en général. Cette approche du droit de la commande publique comme un droit de la concurrence à part entière amène, par exemple et comme en l'espèce, à une application commune du principe communautaire de transparence aux contrats de marchés publics et de délégation de service public (A). Cependant, cette approche est aussi susceptible, à plus ou moins long terme, de réduire dangereusement le champ de la concession de service public par rapport à celui des marchés publics (B).

A - L'application commune du principe communautaire de transparence et l'obligation adéquate de publicité

Au cours des processus d'adoption des Directives sur les marchés de travaux et sur les marchés de services entre 1988 et 1990 (13), un débat avait eu lieu sur le point de savoir si les concessions de travaux et de services devaient être soumises au droit des marchés publics. Le résultat est connu : les concessions de travaux sont soumises, à partir d'un certain montant, à un régime de publicité allégé par rapport au régime des marchés publics, les concessions de service ne faisant pas l'objet d'une législation communautaire. Les seuls contrats de service envisagés sont les marchés de service définis comme "les contrats à titre onéreux, conclus par écrit entre un prestataire de services et un pouvoir adjudicateur". Au vu de cette conception très générale, deux conceptions ont été retenues au sujet de la concession de service public.

Selon la conception majoritaire, le silence des Directives signifie que les concessions de service ne sont pas visées. C'est, par exemple, ce qu'a admis le Conseil d'Etat par un avis d'assemblée générale, selon lequel, "le contrat par lequel une collectivité publique charge une personne de faire fonctionner et d'exploiter un service public [...] ne constitue pas un marché de services au sens des Directives communautaires lorsque le titulaire n'est rémunéré que partiellement par les usagers, dès lors qu'il tire une part substantielle de sa rémunération du droit d'exploiter le service ou de ce droit assorti d'un prix" (14). A l'opposé, il a pu être avancé qu'aucune référence au mode de rémunération ne figurant dans la définition du marché de services, les concessions de service public sont des marchés alors même que le concessionnaire est rémunéré principalement par le droit d'exploiter le service, et non par un prix payé par le pouvoir adjudicateur. Cette thèse procède d'une interprétation purement littérale de la Directive faisant abstraction de l'intention du "législateur communautaire" telle qu'elle ressort de la genèse du texte.

Pour autant, la Commission, dans sa communication interprétative sur les concessions en droit communautaire (15), puis la CJCE, dans l'arrêt "Telaustria" du 7 décembre 2000 (16), si elles ont confirmé qu'une différence devait bien être opérée entre concession et marché de services, ont aussi considéré qu'au-delà de ses différences et en l'absence de Directives communautaires, c'est à la lumière du droit primaire et, plus particulièrement, des libertés fondamentales prévues par le Traité que doivent être examinées les conséquences du droit communautaire relatives à l'attribution des concessions de service public. Le respect du principe de non-discrimination en raison de la nationalité impose une obligation de transparence et donc de publicité adéquate, l'adéquation étant laissée à l'appréciation des Etats. Pour la CJCE, les Directives ont pour objet de coordonner les procédures de passation, et non de définir un régime exhaustif de publicité et de mise en concurrence (17). Le juge doit raisonner en fonction des fins poursuivies par les Directives et se fonder sur les principes du Traité dont elles s'inspirent.

Ces principes transcendent les termes même des Directives, lesquelles ne les instaurent pas, mais sont simplement destinées à en faciliter et à en rendre effective l'application. C'est la raison pour laquelle le principe de transparence peut venir compléter efficacement le dispositif textuel, nécessairement lacunaire à l'origine (18). Dans ce cadre, le régime français de délégation de service public est "euro-compatible" puisque ces contrats sont des concessions de services et/ou de travaux au regard du droit communautaire, et sont soumis à un régime législatif qui comporte une publicité pouvant être considérée comme adéquate. Toutefois, un acheteur public désirant mettre en oeuvre une procédure de passation doit, non seulement se référer à la législation applicable, mais, également, s'interroger sur le fait de savoir si les mesures préconisées s'avèrent suffisantes pour respecter le principe de transparence. A tout le moins, celui-ci doit prendre soin d'interpréter ces règles écrites au regard de ce dernier principe.

B - La réduction du champ de la concession de service public par rapport à celui des marchés publics et l'obligation raisonnée de publicité

Avec cet arrêt "Communauté urbaine de Bordeaux", l'on peut dire qu'un nouveau pas est franchi dans l'assimilation entre délégation de service public et marché public. Il est même permis, comme Laurent Richer, de se demander "si les partisans de l'alignement du régime de la concession sur celui des marchés ne sont pas en train de l'emporter vingt ans après" (19). D'abord, si la "loi Sapin" (20) et le Code des marchés publics ont ouvert la possibilité d'une publicité dans la presse spécialisée, la nouvelle logique de la commande publique invite les acheteurs publics, non plus à se couler dans des procédures rigides et prédéterminées, mais à perfectionner leur "fonction" achat pour mieux connaître les marchés sur lesquels ils interviennent comme demandeur. Ainsi, autant le droit des marchés publics peut-être d'une précision extrême lorsqu'il s'agit de prévoir les procédures applicables pour les appels d'offres, autant il peut faire montre d'une réelle souplesse lorsqu'il s'agit de passer des marchés selon la procédure dite "adaptée". L'idée est de donner une plus grande liberté d'action à l'acheteur public à qui il revient d'ajuster lui-même le degré de publicité nécessaire au marché qu'il souhaite passer. Cet ajustement devant simplement tenir compte "de la nature et des caractéristiques du besoin à satisfaire, du nombre ou de la localisation des opérateurs économiques susceptibles d'y répondre, ainsi que des circonstances de l'achat" (21).

C'est la même terminologie qui est empruntée dans l'arrêt d'espèce concernant la délégation de service public, l'autorité délégante se comportant, alors, comme pouvoir adjudicateur, ce qui confirme cette tendance au rapprochement des modalités de passation des contrats de marchés publics et de délégations de service public. Toutefois, la marge d'action dont dispose les acheteurs publics n'est pas non plus sans limites dans les deux types de contrat, puisque le contrôle du juge se révèle, là encore, identique en la matière puisque ce dernier s'interroge au cas par cas sur la pertinence du choix opéré pour le marché déterminé qui lui est soumis. Son but étant de faire respecter les principes fondamentaux de la commande publique. Ainsi, à propos d'un avis d'appel à la concurrence concernant un marché public à procédure adaptée lié à l'installation de l'antenne du musée du Louvre à Lens, jugée inadéquate, le Rapporteur public Didier Casas pouvait écrire que, "l'acheteur public ne doit pas seulement tenir compte du marché, mais aussi des considérations qualitatives. Il lui incombe, notamment, de se demande si la spécialité professionnelle dont il a besoin est courante, si elle est répandue dans son environnement géographique immédiat ou si, au contraire, elle est rare ou en tout cas dispersée sur une large zone géographique" (22). Ce dernier poursuivant sur le fait que "si l'on veut réellement mettre en concurrence les entreprises, il faut encore savoir où sont celles qui intéressent, de manière à ajuster, de façon adéquate, les procédures de publicité" (23). On retrouve à la fois dans les procédures de passation de délégations de service public ou de contrats de marchés publics, cette "pratique raisonnée de la publicité et de la mise en concurrence" (24), le rapprochement étant d'autant plus significatif que la dernière réforme de 2008 a relevé les seuils dans le Code des marchés publics pour favoriser la procédure adaptée ou la conclusion de contrats sans formalités préalables de publicité (25).

Enfin, il faut relever que la jurisprudence de la CJCE conduit insensiblement, aujourd'hui, à réduire le champ de la concession par rapport à celui des marchés publics à un point tel que bon nombre de délégations de service public risquent de basculer du côté des marchés publics. Le nombre de délégations de service public qui, au regard du droit communautaire, doivent être qualifiées de marchés ne cesse d'augmenter. L'on peut citer, à cet égard, la jurisprudence communautaire relative à la rémunération par des tiers. Il y a concession de service, pour la Cour, si le prestataire prend en charge le risque lié à l'exploitation des services en cause. Pour apprécier ce risque, la CJCE se réfère à la contreprestation offerte au cocontractant. Celle-ci peut prendre différentes formes : un prix, un abandon de recette fiscale, une contrepartie en nature, voire, éventuellement, celle de recettes provenant de tiers. A travers ce dernier cas, elle a, ainsi, requalifié en marché public de travaux une convention confiant à une société d'économie mixte l'aménagement d'un quartier, du fait que la location, ou même la vente, de terrains aménagés par le cocontractant à des tiers autres que le pouvoir adjudicateur ne suffisait pas à établir que le contrat transfère sur l'entreprise le risque économique, sans lequel la Cour considère qu'il n'y a pas concession (26). Un tel transfert n'est pas opéré si d'autres clauses du contrat procurent au contractant une protection contre le risque.

La CJCE a, de même, jugé de la sorte à propos de contrats portant sur l'utilisation de la fraction résiduelle de déchets urbains après collecte sélective (27). La rémunération des cocontractants de l'administration était composée, en l'espèce, pour une part d'une redevance fixe à la tonne, et pour une part accessoire de recettes versées par des tiers en contrepartie de la vente d'électricité produite à l'occasion du traitement des déchets. Pour la Cour, l'existence de recettes provenant de tiers n'a pas d'incidence sur la qualification du contrat si elles résultent de l'exploitation d'une activité accessoire, qui n'est pas l'activité d'intérêt général concédée elle-même. Or, il est fréquent, comme le souligne Laurent Richer, "que la qualification comme délégation de service public résulte justement de l'existence de telles recettes" (28). Ainsi, il ne suffit pas que la rémunération soit tirée de l'exploitation du service, dès lors qu'une telle exploitation se ferait dans un contexte ou dans un cadre juridique tel que le prestataire ne supporte pas, en réalité, le risque économique de son activité. La démonstration de l'existence d'un risque va donc au-delà de la simple rémunération tirée de l'exploitation de la prestation.


(1) Cf. en ce sens, G. Kaflèche, Secteur public et concurrence : la convergence des droits. A propos des droits de la concurrence et de la commande publique, AJDA, 2007, p. 2420 et s.
(2) F. Linditch, Précisions sur la publicité des délégations de service public, JCP éd. A, 2005, n° 1359.
(3) CE 2° et 7° s-s-r., 19 novembre 2004, n° 266975, Commune d'Auxerre c/ Société Saur France (N° Lexbase : A9248DDU), JCP éd. A, 2004, n° 1814, concl. D. Casas.
(4) CE 2° et 7° s-s-r., 8 juillet 2005, n° 277554, Société EGS (N° Lexbase : A0175DKP), Contrats-Marchés publics, 2005, comm. 253, note W. Zimmer, JCP éd. A, 2005, n° 1359, comm. F. Linditch.
(5) CAA Lyon, 2ème ch., 19 avril 2001, n° 97LY00357, Commune de Sainte-Foy-Les-Lyon c/ Société Vidéopole (N° Lexbase : A1846BGH).
(6) CE, 8 juillet 2005, n° 277554, Société EGS, préc..
(7) CE, 19 novembre 2004, n° 266975, Commune d'Auxerre c/ Société Saur France, préc..
(8) CAA Nantes, 4ème ch., 18 juin 2004, n° 03NT01143, Commune de Carnac (N° Lexbase : A3772DD3), AJDA, 2005, p. 1535.
(9) TA Orléans, 19 février 2008, n° 0800280, Sogea Nord-Ouest Travaux publics, Contrats-Marchés publics, 2008, comm. 165, note G. Eckert.
(10) CAA Versailles, 4ème ch., 6 novembre 2007, n° 06VE00493, Société IDF Communications (N° Lexbase : A0521D3P), AJDA, 2008, p. 429.
(11) CAA Lyon, 19 avril 2001, n° 97LY00357, Commune de Sainte-Foy-Les-Lyon c/ Société Vidéopole, préc..
(12) CE, 8 juillet 2005, n° 277554, Société EGS, préc..
(13) Cf. Directive (CE) 92/50 du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (N° Lexbase : L7532AUI), modifiée par la Directive (CE) 97/52 du 13 octobre 1997 (N° Lexbase : L8306AU8) (abrogée et remplacée par la Directive (CE) 2004/18 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services N° Lexbase : L1896DYU), et Directive (CE) 93/38 du 14 juin 1993, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications (N° Lexbase : L7741AUA) (abrogée et remplacée par la Directive (CE) 2004/17 du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux N° Lexbase : L1895DYT).
(14) CE, avis, 27 juin 1996, EDCE, 1996, n° 48, p. 286.
(15) JOCE, n° C 121, 29 avril 2000.
(16) CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH Telefonadress GmbH et Telekom Austria AG (N° Lexbase : A1916AWU), BJCP, 2001, p. 132, Contrats-Marchés publics, 2001, comm. n° 50, p. 24, note F. Llorens, AJDA, 2001, p. 106, note L. Richer.
(17) Cf., par ex., CJCE, 12 décembre 2002, aff. C-470/99, Universale-Bau AG (N° Lexbase : A3727A4S), point 88, BJCP, 2002, p. 196, concl. Alber, note Ph. Terneyre.
(18) Cf. F. Llorens, Principe de transparence et contrats publics, Contrats-Marchés publics, 2004, chron. n° 1, ou encore C. Maugüé, La portée de l'obligation de transparence dans les contrats publics, Mélanges Moderne, Mouvements du droit public, Dalloz, 2004, p. 609 et suiv.
(19) L. Richer, Que reste-t-il de la délégation de service public ?, AJDA, 2007, p. 2225.
(20) Loi n° 93-122 du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques (N° Lexbase : L8653AGL), JO, 30 janvier 1993, p. 1588.
(21) Article 28, alinéa 1er, du Code des marchés publics (N° Lexbase : L3183ICU), tel qu'issu du décret n° 2008-1356 du 19 décembre 2008, relatif au relèvement de certains seuils du Code des marchés publics (N° Lexbase : L3156ICU), JO, 20 décembre 2008, p. 19548.
(22) Concl. Casas sous CE 2° et 7° s-s-r., 7 octobre 2005, n° 278732, Région Nord-Pas-de-Calais (N° Lexbase : A6994DKA), JCP éd. A, 2005, n° 1345.
(23) Ibid.
(24) Ibid.
(25) Le décret n° 2008-1355 du 19 décembre 2008, de mise en oeuvre du plan de relance économique dans les marchés publics (N° Lexbase : L3155ICT), permet de conclure des marchés publics de travaux après une procédure adaptée jusqu'à 5 150 000 euros hors taxes, contre 206 000 euros hors taxes auparavant (JO, 20 décembre 2008, p. 19544). Le décret n° 2008-1356 du 19 décembre 2008, procède au relèvement du seuil en deçà duquel il est possible de conclure un marché public sans publicité ni mise en concurrence préalables. Il est, désormais, de 20 000 euros hors taxes contre 4 000 euros hors taxes auparavant.
(26) CJCE, 18 janvier 2007, aff. C-220/05, Jean Auroux e.a. c/ Commune de Roanne (N° Lexbase : A5723DT7), BJCP, 2007, p. 205, note Terneyre, DA, 2007, comm. n° 71, obs. Alonso Garcia, Contrats-Marchés publics, 2007, comm. n° 38, note W. Zimmer, RDP, 2007, p. 1329, note S. Braconnier.
(27) CJCE, 18 juillet 2007, aff. C-382/05, Commission c/ République italienne (N° Lexbase : A4381DXK), Contrats-Marchés publics, 2007, comm. n° 238, note W. Zimmer, AJDA, 2008, p. 2346.
(28) L. Richer, Que reste-t-il de la délégation de service public ?, op. cit..

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Consommation

[Jurisprudence] Prix du livre et appréciation des conditions de la loi "Lang" dans le cadre d'opération promotionnelle

Réf. : CA Paris, 14ème ch., sect. B, 6 mars 2009, n° 08/16503, SA Hachette Livre c/ SAS Gallimard Loisirs (N° Lexbase : A6128EEP)

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par Malo Depincé, Maître de conférences à l'Université de Montpellier I, Avocat au Barreau de Montpellier

Le 07 Octobre 2010

Il est des secteurs particulièrement réglementés pour lesquels le jeu normal du marché est formellement exclu. Le prix du livre, notamment, n'est pas exclusivement fixé par la rencontre de l'offre et de la demande. En France, et depuis la loi "Lang" du 10 août 1981 (loi n° 81-766, relative au prix du livre N° Lexbase : L3886H3C), comme chacun sait, c'est l'éditeur qui fixe unilatéralement le prix du livre, sans possibilité, en principe, pour le distributeur de se soustraire à la volonté de l'éditeur (dans la limite de 5 % du prix fixé). Le contentieux portant sur l'application de la loi "Lang" se développe, néanmoins, sous la pression à la fois des grandes surfaces et des sites de vente en ligne. Les difficultés d'interprétation de cette loi vieille de près de 30 ans aujourd'hui auraient pu laisser, en effet, la possibilité pour les opérateurs de tenter de se ménager une plus grande liberté dans la fixation du prix du livre. En certaines hypothèses, c'est le distributeur qui propose des promotions sur le prix. Il ne peut évidemment revenir directement sur le prix de vente au consommateur fixé unilatéralement par l'éditeur. Certains ont, en revanche, voulu réduire le coût réel payé par le consommateur. Dans une première affaire, un distributeur, notamment, avait proposé des bons d'achat pour l'acquisition de livres scolaires sur des achats à venir. Une librairie concurrente et le syndicat de la librairie française l'avaient assigné pour avoir proposé à ses clients une prime illicite à la fois au titre de la loi "Lang" et de l'article L. 121-35 du Code de la consommation (N° Lexbase : L6476ABH, vente avec prime) : la Cour de cassation (Cass. com., 20 novembre 2007, n° 06-13.797, FS-P+B N° Lexbase : A7094DZR, JCP éd. E, 2008, 1429, note D. Mainguy et St. Bénilsi) avait reconnu dans cette pratique un acte de concurrence déloyale.

Dans une deuxième affaire, un autre distributeur, spécialiste de la vente à distance grâce à un site Internet, proposait à ses clients une livraison gratuite pour toute commande de livres. La cour d'appel saisie du litige avait fait droit à l'action engagée une nouvelle fois par le syndicat de la librairie française, caractérisant une prime dans le fait d'offrir les frais de port. L'arrêt fut cassé sur ce point par la Chambre commerciale de la Cour de cassation au motif que "la prise en charge par le vendeur du coût afférent à l'exécution de son obligation de délivrance du produit vendu ne constitue pas une prime au sens des dispositions du Code de la consommation" (Cass. com., 6 mai 2008, n° 07-16.381, FS-P+B+I N° Lexbase : A4464D8T, Contrats conc. consom., août 2008, comm. n° 251, note G. Raymond).

Enfin, dans un autre arrêt de la Cour de cassation (Cass. com., 26 février 2008, n° 07-12.725, FP-P+B N° Lexbase : A1791D7H, Contrats conc. consom., 2008, comm. n° 193, obs. G. Raymond), qui aboutit à l'arrêt sur renvoi ici commenté, la Chambre commerciale avait cassé la décision de la cour d'appel de Paris en date du 24 janvier 2007 (CA Paris, 14ème ch., sect. A, 24 janvier 2007, n° 06/14660 N° Lexbase : A1409DUQ, rendu en matière de référé). Dans cette dernière affaire, c'est l'éditeur lui-même qui avait engagé une campagne de promotion par les prix sur ses guides de voyages. Il offrait aux lecteurs, pour une durée limitée, la possibilité d'obtenir un remboursement partiel (à hauteur de 4 euros) à la condition de l'achat simultané de deux guides touristiques. Des concurrents avaient engagé une action en concurrence déloyale pour faire cesser l'offre incriminée. Il s'agit là d'un nouvel exemple d'action devant le juge civil pour une pratique pourtant pénalement sanctionnée. Personne ne s'en étonnera néanmoins tant le droit pénal des affaires (et essentiellement le droit pénal de la consommation) se révèle souvent inefficace devant les juridictions répressives.

Les juges du fond premièrement saisis avaient ordonné sous astreinte la cessation de la campagne de promotion litigieuse ainsi que la diffusion de toute publicité y afférente. Deux questions de droit étaient, en l'espèce, soumises à la Cour de cassation. La première était celle de la qualification de l'offre promotionnelle : vente avec prime ou réduction de prix ? De cette qualification découlait une partie de la résolution du litige dans la mesure où la vente avec prime est formellement interdite par l'article L. 121-35 du Code de la consommation. La réduction de prix, en revanche, pour autant évidemment qu'elle soit décidée par l'éditeur, est a priori parfaitement licite. La Cour de cassation avait, en conséquence, refusé de voir dans cette pratique une vente avec prime, un remboursement ne pouvant être considéré comme "une prime consistant en produits, biens ou services" (C. consom., art. L. 121-35, v. J. Calais Auloy et Fr. Steinmetz, Droit de la consommation, 7ème éd., Dalloz, 2006, n° 156).

Il restait, en second lieu, que le prix fixé par l'éditeur ne pouvait être, en vertu de l'article 1er de la loi du 10 août 1981 cette fois, qu'un prix unique. Aux termes de celui-ci, "toute personne physique ou morale qui édite ou importe des livres est tenue de fixer, pour les livres qu'elle édite ou importe un prix de vente au public. Ce prix est porté à la connaissance du public. [...] Les détaillants doivent pratiquer un prix effectif de vente au public compris entre 95 pour 100 et 100 pour 100 du prix fixé par l'éditeur". Or, précisément, les concurrents soutenaient que "la notion de prix unique s'applique tant au détaillant qu'à l'éditeur et qu'en accordant le remboursement de 4 euros sur la vente de deux de ses livres l'éditeur modifiait le prix fixé par lui-même, peu important que le détaillant ait perçu la totalité dudit prix".

La Cour de cassation cassa l'arrêt d'appel sur ce second point, considérant que "l'obligation qui pèse sur l'éditeur de fixer, pour les livres qu'il édite, un prix de vente au public à partir duquel les détaillants doivent pratiquer le prix effectif, ne fait pas obstacle à ce que cet éditeur consente un remboursement partiel à ceux qui achètent simultanément plusieurs livres qu'il édite, pourvu que ce remboursement s'applique à tous les acheteurs quel que soit le détaillant auprès duquel ils se sont fournis".

Saisie sur renvoi, mais autrement composée, la cour d'appel de Paris pourrait sembler résister par cet arrêt du 6 mars 2009 à la décision de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en confirmant l'interdiction de la promotion en cause. Elle le fait, néanmoins, sur un autre fondement.

Deux interprétations de la loi "Lang" s'affrontent ici, l'une accordant à l'éditeur toute liberté dans la fixation du prix, l'autre faisant du livre un bien culturel d'exception, excluant toute promotion par les prix ou la soumettant à des exigences formelles particulièrement rigoureuses pour protéger non seulement les éditeurs mais également les petits détaillants (que cette promotion soit ou non voulue par l'éditeur). En d'autres termes, un éditeur peut-il proposer à ses lecteurs, pour autant que tous les distributeurs perçoivent un prix de vente égal, des réductions en volume (en l'espèce, rembourser une partie du prix à celui qui achète simultanément deux livres) ?

La Cour de cassation répond par l'affirmative, la cour d'appel de Paris suit le même raisonnement mais y ajoute une autre condition de validité. En l'occurrence selon cette dernière, "l'opération promotionnelle litigieuse n'a pas été portée à la connaissance de tous les détaillants et [...] elle a été proposée sous conditions ; que dès lors, indépendamment du fait que certains détaillants, informés, aient fait le choix, pour des raisons commerciales, de ne pas relayer cette opération, le procédé par lequel l'offre de remboursement était mise en oeuvre ne pouvait pas atteindre tous les acheteurs [...] il s'ensuit que la société [...] ayant mené cette opération contraire aux dispositions de l'article 1er de la loi du 10 août 1981, a causé à ses concurrents un trouble manifestement illicite qu'il entre dans les pouvoirs du juge des référés de faire cesser [...]".

La compétence du juge des référés n'était pourtant pas évidente. Le trouble pouvait-il être considéré comme manifestement illicite à défaut de disposition légale en ce sens dans la loi "Lang" ? L'article 1er, en effet, impose un prix unique du livre, mais ce n'est que par une interprétation extensive que les juges de la cour d'appel de Paris comprennent ces dispositions comme imposant, également, une information effective et similaire de tous les détaillants distributeurs sur l'opération en cause.

La cour d'appel confirme bien la validité d'une opération promotionnelle fondée sur des offres de remboursement par l'éditeur, même si celle-ci n'est proposée qu'à partir de deux livres achetés simultanément. De sorte qu'en pratique, les consommateurs peuvent être amenés à payer un prix unitaire réel variable selon qu'ils achètent un ou plusieurs livres, simultanément ou non. L'arrêt de la cour d'appel conditionne, néanmoins, cette validité à un strict respect de l'information des détaillants. En l'espèce, si l'égalité entre clients est respectée par l'opération, le site internet notamment "n'est pas ouvert aux détaillants qui passent commande des ouvrages par un autre réseau". Il est, alors, surtout reproché à l'éditeur de ne pas avoir envoyé à l'ensemble des détaillants la lettre circulaire précisant les modalités de l'opération. C'est là un effet plus inattendu sans doute de l'interprétation rigoureuse de la loi "Lang" et de l'exigence d'un prix unique qui, au-delà des dispositions expresses des textes, permet d'imposer un principe d'égalité entre détaillants.

On en déduit volontiers, dans une perspective plus générale, que tant la loi "Lang" que la sanction des ventes avec primes relèvent tout aussi bien du champ du droit de la concurrence que de la protection de la production culturelle française.

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