La lettre juridique n°398 du 10 juin 2010

La lettre juridique - Édition n°398

Éditorial

Au nom du Peuple français... mais pas trop tout de même...

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N3021BPL

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

Le 27 Mars 2014


La réforme de la procédure pénale s'apparente, quelque peu, à un soap brésilien : une trame compliquée, des acteurs aux rôles bien campés, une intrigue à vitesse géologique, et, à peine l'une d'elle est enterrée ou dissipée en eaux troubles, qu'il en naît une suivante, sans que l'on sache vraiment le "pourquoi du comment" de son incursion dans l'histoire... Traduction : on a peine à faire le deuil de la suppression du juge d'instruction reportée aux calendes grecques -qui comme chacun le sait n'existent pas, puisque les calendes sont d'origine romaine-, que l'on nous annonce, tout de go, la suppression du jury populaire. Sans doute que les chantres de la révolution judiciaire permanente (depuis trois ans maintenant) auront jugé l'institution has been -comprendre lente, coûteuse donc inefficace- et qu'il s'agissait, à l'occasion du nettoyage des "écuries d'Augias", auxquelles la procédure pénale semble être comparée, aujourd'hui, d'en profiter pour condamner, du moins en première instance, le recours au juge-citoyen fondamentalement incompétent pour juger des affaires criminelles du point de vue proprement juridique.

"Un jury est un groupe de douze personnes d'ignorance moyenne, réunies par tirage au sort pour décider qui, de l'accusé ou de la victime, a le meilleur avocat". Et bien, c'est par ce magnifique trait de plume qu'Hebert Spencer nous livre, ici bas, toute l'argumentation multiséculaire anti-jury (lire l'excellente étude de Benoît Frydman, Professeur à la Faculté de droit de l'Université libre de Bruxelles).

Premier postulat : les jurés ont une connaissance du droit si limitée -même si nul n'est censé ignorer la loi (chercher l'erreur)- que leur justice s'apparente plus à de l'équité qu'à l'application du droit. Leur interprétation du droit (pénal en l'occurrence) laisserait franchement à désirer, diront certains ; leur incompétence manifeste fait craindre la pire vilénie juridique en matière de répression pénale, l'erreur judiciaire diront les autres.

Second postulat : l'audiencement avec jury est le siège de la rhétorique plus que de la technique juridique, et pour cause, il s'agit plus d'emporter l'intime conviction des jurés que de faire une démonstration de droit implacable. Les effets de manche, s'ils font les beaux jours des chroniques judiciaires, desserviraient nécessairement l'application du droit dans toute sa complexité, puisque pour le juré béotien, il s'agit de faire synthétique voire simple. Une économie et un style que critiquait, déjà, Platon, en son temps, en raillant le triomphe du sophisme.

A priori, la complexité et l'inflation législative plaident pour la première série d'arguments, la nécessité d'instaurer, dernièrement, en sus de la cassation, une procédure d'appel, plaide pour la seconde série.

Sauf que... Sauf que supprimer le jury populaire, c'est autre chose que de supprimer un tribunal d'instance, ici, ou un tribunal de commerce, là ! Ce n'est pas supprimer une institution judiciaire, mais institution politique : le dernier avatar de l'expression démocratique directe, né de la méfiance aussi bien en la Justice du roi, qu'en celle des Parlements d'Ancien régime. Avec le jury, c'est le peuple qui s'installe sur le trône du juge, nous confiait Tocqueville ; c'est le seul réel exercice de représentation démocratique issue de la désignation par le sort, donc parfaitement égalitaire, plutôt que par l'élection, donc nécessairement aristocratique, nous précisait, déjà, Aristote. Par conséquent, aussi louables que soient les intentions des pourfendeurs du jury populaire, aussi technique que puisse être le droit du XXIème siècle, abandonner le recours aux jurés-citoyens, c'est abandonner une part de notre démocratie, la dernière part d'expression directe de la souveraineté populaire, afin de parachever la souveraineté nationale.

Et, à l'heure où l'on nous abreuve de laïcité à tout va, l'on se souviendra que l'introduction du jury populaire dans l'Europe médiévale s'est faite, pour un moindre coût, en représentation du pouvoir royal séculier et en réaction à l'inquisitio catholique, c'est-à-dire de la procédure inquisitoire menée par des clercs savants... Il est loin le temps de l'anglomanie révolutionnaire, terreau de la loi fondamentale des 16-24 août 1790, ayant instauré en France, notamment, le jury populaire ; l'époque où Sieyès avait failli étendre le recours aux jurés-citoyens aux contentieux civils... Et l'on se souviendra, enfin, que, souvent, là où le jury trépasse, la dictature ou l'autoritarisme passe : nombre de monarchies restaurées après la chute de l'Aigle supprimeront l'institution, jusqu'à la République de Weimar et le régime de Vichy qui préférèrent, conscients de l'émoi populaire, sous tutelle de la magistrature.

Ah ! Dernière explication dans un climat du "tout sécuritaire", même si le taux d'acquittement a baissé de 40 % à 9 % en un siècle, les autorités publiques se sont toujours méfiés de ces jurés-citoyens, au point que Bergson écrivit, en 1913, dans Le temps, que "le jury se montre dans beaucoup de cas, scandaleusement indulgent". Pourtant, "le dossier est le pire ennemi des débats [...] Le dossier n'a pas d'oreilles, il n'a même pas d'intelligence. Il ne contient que des procès verbaux" livrait Giono, à l'occasion du procès "Dominici". Demandez donc aux protagonistes de l'affaire "d'Outreau", ce qu'ils pensent de la seule instruction du dossier criminel et des jurés-citoyens qui finirent, à force probatoire, par décréter leur acquittement. "Heureuses les Nations chez qui la connaissance des lois ne serait pas une science" écrivait Beccaria, fondateur du droit pénal moderne avec son "modeste" Des délits et des peines.

Allez, prenons comme acquis la disparition programmée de ce brontosaure institutionnel ; l'occasion de nous demander ce qu'il reste, finalement, de la loi fondamentale des 16-24 août 1790. La séparation entre les deux ordres de juridictions, judiciaire et administratif, ne fait que traduire la méfiance de l'administration à être jugée selon les mêmes règles que les citoyens de droit commun (cf. l'article 13 de la loi fondamentale est explicite : "Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront [...] troubler de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leur fonction". Elle est indéboulonnable ! Le principe de l'égalité devant la justice et de la gratuité a, en revanche, du plomb dans l'aile avec la mise en péril de l'aide juridictionnelle. Le droit de faire appel, s'il a été institutionnellement renforcé avec l'instauration de la procédure d'appel en matière criminelle, régresse aux abords de la médiation et du "plaider coupable". La professionnalisation des magistrats doit subir "l'hérésie" des nouveaux juges de paix que sont les juges de proximité -sans parler de la sempiternelle question des juges consulaires-. Enfin, l'idée que les ressorts des juridictions doivent coïncider avec les circonscriptions administratives aura vécu... jusqu'à la promulgation de la nouvelle carte judiciaire.

"Une justice digne de ce nom, non payée, non achetée [...] sortie du peuple et pour le peuple" ; il commence à s'éloigner quelque peu l'idéal révolutionnaire de Justice de Michelet...

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Procédure pénale

[Projet, proposition, rapport législatif] Rapport "Gaudemet" sur la réforme de la procédure pénale ou comment contrer un à un les arguments des avocats

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N3080BPR

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

Le 07 Octobre 2010

"MAM" l'aurait écrit qu'elle n'aurait pas mieux fait, ou presque, puisqu'à l'exception de l'audition libre, le rapport établi par le groupe de travail présidé par Yves Gaudemet, éminent Professeur de droit public à l'Université Paris II (Assas), et remis au Garde des Sceaux le 25 mai 2010 (le rapport "Gaudemet"), valide quasiment tous les points de l'avant-projet de loi sur la réforme de la procédure pénale (1) au regard des exigences constitutionnelles et conventionnelles. Le ministre de la Justice souhaitait que la réflexion soit exclusivement menée par des universitaires. Sans doute, "MAM" recherchait-elle "la compétence, la liberté de pensée et peut-être aussi une certaine 'extériorité' par rapport aux professionnels de la justice pénale, magistrats, avocats, police judiciaire" (dixit Yves Gaudemet). Ce choix résultait, certainement aussi, du fait que les universitaires n'ont, jusqu'alors et à la différence des autres, pas émis de contestations. Enfin, de prestigieux Professeurs de droit légitiment d'autant plus l'analyse de texte. Ainsi, le groupe de travail était-il constitué en majorité d'enseignants d'Assas -Jacques Robert, ancien président de l'Université et ancien membre du Conseil constitutionnel, Jacques-Henri Robert, ancien Directeur de l'Institut de criminologie et familier des groupes de travail constitués ces 20 dernières années dans le domaine du droit pénal, Yves Mayaud et Didier Rebut-, ainsi que de Frédéric Sudre, à la tête du Conseil national des Universités et Professeur à l'Université de Montpellier, Benoît Delaunay, Professeur à Poitiers et, enfin, Aude Rouyère, Professeur à l'université de Bordeaux IV.

De façon générale, le groupe de travail recommande :

- d'organiser plus complètement les compétences du juge de l'enquête et de libertés (JEL), compris comme un ordre de juridiction (en étendant sa compétence au contrôle de toutes les mesures privatives de liberté ou intrusives et, le cas échéant, en prévoyant par la loi la possibilité d'exercice des compétences du JEL par délégation à d'autres magistrats du siège) ;

- de conserver au Parquet, dans sa configuration actuelle, la fonction de direction de l'enquête et de l'activité de la police judiciaire, le JEL assurant le contrôle des garanties que doivent comporter les mesures affectant la liberté individuelle ou intrusives ;

- de poser le principe d'une réglementation par la loi des conditions et formes de la garde à vue conformes aux exigences de la jurisprudence constitutionnelle et conventionnelle (présence de l'avocat, assistance à l'accusé, contrôle des conditions de détention) ;

- de réglementer les mesures intrusives conformément aux exigences conventionnelles (autorisation et contrôle juridictionnel, possibilité d'une annulation si irrégulière) ; et

- de réserver la possibilité de prévoir, pour certaines mesures privatives de liberté ou intrusives, l'intervention d'un officier de police judiciaire spécialement agréé.

L'institution du JEL et la nécessité d'une autorité judiciaire pour contrôler les garanties que doivent comporter l'application des mesures affectant la liberté

Yves Gaudemet attaque fort (2) : une analyse trop sommaire de l'avant-projet de loi faite par la presse généraliste et spécialisée a abouti à concentrer l'attention sur la suppression du juge d'instruction ("avec, à l'arrière plan, ce jugement presque moral et certainement simpliste que cette suppression du juge d'instruction signifiait la disparition de l'ultime garant des libertés et une possible ingérence du Gouvernement au-delà de ce qui est unanimement reconnu comme légitime, à savoir la détermination de la politique pénale de la Nation") et à condamner celle-ci, alors même que le système s'équilibre par la création du JEL, magistrat du siège qui exerce un contrôle juridictionnel sur l'activité du Parquet et, notamment, sur les mesures privatives de libertés.

"Le principal apport de la réforme consiste à assurer désormais la garantie de l'intervention systématique d'un magistrat du siège, le JEL, pour le contrôle des mesures affectant la liberté individuelle ou intrusives, y compris celle de la garde à vue".

Une réforme en ce sens est indispensable, compte tenu de la contradiction du système français actuel avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH).

Celle-ci, dans l'arrêt "Medvedev" (CEDH, 29 mars 2010, Req. 3394/03 N° Lexbase : A2353EUP), a confirmé sa jurisprudence (not., CEDH, 4 décembre 1979, Req. 7710/76 N° Lexbase : A9608ELG) posant que le "juge habilité par la loi à exercer les fonctions judiciaires devant lequel doit être traduite toute personne arrêtée ou détenue doit présenter les garanties d'indépendance à l'égard de l'exécutif et des parties". Le contrôle de la Cour se place, aussi, sur le terrain de l'impartialité : "Sans doute la Convention n'exclut-elle pas que le magistrat qui décide de la détention ait aussi d'autres fonctions, mais son impartialité peut paraître sujette à caution s'il peut intervenir dans la procédure pénale ultérieure en qualité de partie poursuivante" (CEDH, 23 octobre 1990, Req. 12794/87 N° Lexbase : A6352EYW).

Le juge européen condamne, donc, la seule possibilité d'un cumul des fonctions de poursuite et d'enquête, ce qui est le cas en France aujourd'hui.

Le Conseil des ministres du Conseil de l'Europe, dans une recommandation du 6 octobre 2000, a, en outre, précisé que, "lorsque le ministère public est habilité à prendre des mesures qui entrainent des atteintes aux droits et aux libertés fondamentales du suspect, ces mesures doivent pouvoir faire l'objet d'un contrôle judiciaire". Selon la CEDH, les caractéristiques de ce contrôle sont :

- la promptitude, afin de s'assurer qu'aucune atteinte n'est faite aux droits du mis en cause (CEDH, 29 novembre 1988, Req. 10/1987/133/184-187 N° Lexbase : A6499AWM) ;

- le caractère automatique ; "le contrôle doit être automatique et ne peut être rendu tributaire d'une demande formulée par la personne détenue" (CEDH, 29 avril 1999, Req. 25642/94 N° Lexbase : A8265AWZ) ; et

- l'effectivité (CEDH, 29 avril 1999, Req. 25642/94, préc.).

Confirmation du rôle du Parquet, ayant autorité sur l'activité de la police judiciaire et chargé de la direction de l'enquête et son articulation avec le contrôle du JEL

Sur le statut du Parquet, le groupe de travail relève que, ni la jurisprudence de la CEDH, ni celle du Conseil constitutionnel, ne conduit à le remettre en cause, tant au regard au de l'organisation du Parquet, qu'au regard de la plénitude de ses attributions actuelles, qui "ne méconnaissent ni la séparation des pouvoirs, ni le principe selon lequel l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du Parquet, ni aucun autre principe ou règle de valeur constitutionnelle" (Cons. const., décision n° 2004-492, du 2 mars 2004, loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité N° Lexbase : A3770DBA).

Aux yeux du groupe de travail, le contrôle du JEL sur le Parquet, juge de l'enquête, proposé dans le cadre de la réforme, constitue un cumul de garanties dans le sens du respect des libertés individuelles, en particulier sur le plan de la garde à vue et des autres mesures restrictives ou intrusives. Lorsqu'il est recouru à une mesure de garde à vue, le schéma pourrait, alors, être le suivant :

- dès la décision, le Parquet est informé de cette mesure, ainsi que de l'ensemble des actes de garde à vue ;

- parallèlement, le JEL est automatiquement saisi et peut contrôler le respect des garanties et des droits du mis en cause.

Organisation de la juridiction du juge de l'enquête et des libertés

Le rapport insiste sur la compétence du législateur sur tout ce qui se rapporte à la compétence et à l'exercice du JEL.

Il propose de prévoir la possibilité pour ce dernier de déléguer ses compétences à d'autres magistrats pour certaines mesures répétitives ou intrusives, tout en prenant garde à ce qu'il ne soit pas porté atteinte à l'effectivité du contrôle judiciaire, notamment.

Mesures privatives de liberté (garde à vue) et droits de la défense

Le groupe de travail rappelle que les droits de la défense sont, notamment, constitués des droits de se taire, d'être informé de la nature et de la cause de l'accusation, de se défendre personnellement et d'être assisté par un avocat. Les droits énoncés dans les articles 312-11 (avis obligatoire lors de l'interrogatoire de notification des charges) et 313-3 (énumération des droits des parties) de l'avant-projet de loi "paraissent s'en rapprocher". Certes, mais à quel point ?

Sur le dernier droit, le rapport souligne, tout comme l'avait précédemment fait le Gouvernement, les difficultés pratiques liées à une présence en continu de l'avocat (notamment, en termes de recueil d'aveux, de coûts etc.).

En la matière, les exigences posées par le Conseil constitutionnel semblent moins fortes que celles voulues par la CEDH.

Si le premier estime que le droit de la personne de s'entretenir avec un avocat au cours de la garde à vue constitue un droit de la défense qui s'exerce pendant la phase d'enquête de la procédure pénale (décision n° 93-326 DC du 11 août 1993, loi modifiant la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme du code de procédure pénale N° Lexbase : A8286ACU) et condamne l'impossibilité, pour certaines infractions reprochées, de s'entretenir avec un avocat durant la garde à vue, il n'a, néanmoins, pas jugé contraire à la Constitution les régimes dérogatoires de garde à vue (Cons. const., décision n° 2004-492, du 2 mars 2004, loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, préc.).

Les juges européens posent, quant à eux, le principe du droit du prévenu à l'assistance d'un avocat dès les premiers stades de l'interrogatoire de police (CEDH, 27 novembre 2008, Req. 36391/02 N° Lexbase : A3220EPX) ou dès le placement en garde à vue (CEDH, 13 octobre 2009, Req. 7377/03 N° Lexbase : A3221EPY), position renforcée depuis l'arrêt du 2 mars 2010 (CEDH, Req. 54729/00 N° Lexbase : A9713ESK).

Au regard de ces exigences, on peut s'interroger sur la compatibilité de l'avant-projet de loi avec les décisions de la CEDH : il est, en effet, envisagé que la personne gardée à vue ait toujours accès à un avocat dès la première heure de la procédure, ce dernier pouvant à nouveau intervenir à la douzième heure, mais, à chaque fois, pour une demi-heure. Les règles dérogatoires seraient maintenues. Ainsi, en cas de terrorisme, l'avocat ne serait associé à la procédure qu'à la 72ème heure de celle-ci. Mais, dans tous les cas, si l'officier de police judiciaire estime que cette présence est susceptible de nuire au déroulement de l'enquête, il pourrait s'y opposer.

En vue de s'aligner avec les règles posées par les juges européens, le groupe de travail recommande de prévoir la présence de l'avocat préalablement ou pendant le premier interrogatoire, afin de permettre à ce professionnel d'assister son client en vue des interrogatoires.

Car la CEDH précise que l'avocat doit pouvoir exercer les "éléments fondamentaux de la défense", à savoir, "toute la vaste gamme d'interventions qui sont propres au conseil" (CEDH, 13 octobre 2009, Req. 7377/03,préc.) -se pose, alors, la question de l'accès au dossier-. Les garanties accordées dans le cadre de la garde à vue peuvent être limitées pour des raisons impérieuses, dont l'appréciation se fait in concreto. Toute dérogation systématique serait, dès lors, incompatible avec l'article 6 de la CESDH (N° Lexbase : L7558AIR). Il en va, ainsi, des articles 327-25 (sur la garde à vue de 48 heures) et 327-28 (sur celle de 72 heures) de l'avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale.

La CEDH considère que ce même article 6 de la Convention trouve à s'appliquer dans le cadre des mesures intrusives visées à l'article 8 (N° Lexbase : L4798AQR détention provisoire, assignation résidence, rétention, vérification d'identité, visites domiciliaires, perquisitions, saisies etc.) (not. CEDH, 24 juillet 2008, Req. 18603/03 N° Lexbase : A8281D9L). De la même façon, le Conseil constitutionnel est soucieux de l'effectivité du contrôle en la matière.

L'audition libre

Afin de réduire le nombre vertigineux de gardes à vue en France, l'article 327-6 de l'avant-projet de loi institue une audition libre (fortement décriée par tous, jusqu'aux membres du groupe de travail) : "lorsque les conditions de la garde à vue ne sont pas réunies, la personne à l'encontre de laquelle il existe une plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction doit être entendue librement".

Ces dispositions posent deux séries de difficultés :

- la personne ne semble pas avoir le choix et doit se soumettre à la mesure, qui, par ailleurs, ne semble pas respecter les garanties inhérentes aux mesures restrictives ou intrusives ; et

- l'audition libre correspond à une accusation en matière pénale au sens de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

Il est, en outre, difficilement compréhensible de soumettre des personnes, pour les mêmes causes (le soupçon de commission ou de tentative de commission d'une infraction), à deux régimes différents, l'un protecteur des droits de la défense (la garde à vue) et l'autre non (l'audition libre).


(1) Lire Avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale : Michèle Alliot-Marie ouvre la concertation... tout en faisant la sourde oreille, Lexbase Hebdo n° 22 du 11 mars 2010 - édition professions (N° Lexbase : N4848BNU) et Réforme de la procédure pénale : la nouvelle enquête pénale passée au crible du CNB et de l'USM, Lexbase Hebdo n° 28 du 22 avril 2010 - édition professions (N° Lexbase : N9504BNC).
(2) Allocution de M. le professeur Yves Gaudemet à l'occasion de la remise du "Rapport du Groupe de travail sur les aspects constitutionnels et conventionnels de la réforme de la procédure pénale" à Mme le Ministre d'Etat, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et des Libertés - Université Panthéon-Assas, Salle des Conseils, 25 mai 2010.

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Protection sociale

[Questions à...] Six mois après son entrée en vigueur, le point sur la nouvelle procédure d'instruction AT-MP - Questions à Maître Rodolphe Meneux, Avocat associé, Fidal

Lecture: 13 min

N2990BPG

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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

La nécessité d'une réforme de la procédure d'instruction des déclarations AT-MP n'est pas à démontrer. Devant la complexité du mode de tarification des AT-MP et la multiplication des contentieux, il devenait urgent d'opérer des modifications en profondeur. Déposé en mars 2009 au Conseil d'Etat, le décret n° 2009-938 du 29 juillet 2009, relatif à la procédure d'instruction des déclarations d'accidents du travail et maladies professionnelles (N° Lexbase : L5899IE9) (1), a finalement été publié au Journal officiel du 31 juillet pour entrer en vigueur le 1er janvier 2010. Très attendu, le nouveau texte, secondé par une circulaire du 21 août 2009 (circ. DSS/2C n° 2009-267 du 21 août 2009, relative à la procédure d'instruction des déclarations d'accidents du travail et maladies professionnelles N° Lexbase : L6732IE3), a donc pour objectif avoué de clarifier le dispositif existant afin de réduire les contentieux relatifs à la tarification d'AT-MP ou au taux d'incapacité permanente partielle. Dans cette optique, il s'attache à définir les règles conduisant au respect du contradictoire et à prévoir la notification des décisions relatives à la reconnaissance d'un AT ou d'une MP, ainsi que des décisions relatives à une incapacité permanente, laquelle permettra d'encadrer les délais des recours de chacune des parties sans remettre en cause le principe de l'indépendance des rapports victime/caisse et employeur/caisse. Est-ce à dire que le décret du 29 juillet 2009 et la circulaire du 21 août risquent de bouleverser les pratiques de l'employeur à l'égard des organismes sociaux ? Sans aucun doute oui. Pour faire le point sur la nouvelle procédure, six mois après son entrée en vigueur, Maître Rodolphe Meneux, Avocat associé, Fidal a accepté de répondre à nos questions... Lexbase : La complexité du mode de tarification des accidents du travail et maladies professionnelles n'est plus à démontrer. Peut-être pouvons-nous commencer par rappeler les enjeux, pour l'entreprise, de la reconnaissance des AT-MP ?

Rodolphe Meneux : Un double enjeu est lié à la reconnaissance du caractère professionnel d'une maladie ou bien d'un accident survenu au temps et au lieu du travail : le premier est directement lié aux conséquences de cette reconnaissance du caractère professionnel sur le taux de cotisations AT-MPde l'employeur et l'autre au contentieux de la faute inexcusable.
Sur les conséquences de la reconnaissance du caractère professionnel d'un accident du travail ou d'une maladie sur le taux AT-MPde l'employeur, tout d'abord, la victime d'un AT ou d'une MP bénéficie de la part des CPAM d'une indemnisation "forfaitaire" des préjudices en résultant. Ainsi bénéficie-t-elle de prestations en nature (notamment prise en charge des frais médicaux) et en espèce (versement d'indemnité journalière), de même que, le cas échéant, d'une rente en cas d'incapacité permanente de travail causée par l'accident.
La CPAM récupère, ensuite, sur l'employeur le montant des prestations versées à la victime par le biais de cotisations à la charge exclusive de l'employeur. Un accident du travail ou une maladie professionnelle a donc des conséquences financières importantes puisque sa reconnaissance affecte à la hausse le taux de cotisation AT-MPde l'employeur.
Sur les conséquences de la reconnaissance du caractère professionnel d'un accident du travail ou d'une maladie sur le contentieux de la reconnaissance de la faute inexcusable, ensuite, l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur n'est ouverte au salarié qu'à la condition que le caractère professionnel de son accident ou de sa maladie ait été préalablement et définitivement reconnu.
L'intérêt, pour le salarié, de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur comme étant la cause de son accident ou de sa maladie réside dans le fait qu'il peut obtenir la réparation intégrale de l'ensemble de ses préjudices, conformément au droit commun de la responsabilité civile.
Ainsi, dans une telle situation, le salarié bénéficie, notamment :
- du doublement de l'indemnité en capital ou de la majoration maximale de son taux de rente d'incapacité ;
- et de dommages intérêts pour la réparation des préjudices extrapatrimoniaux (préjudice esthétique, préjudice moral, pretium doloris et préjudice d'agrément, préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle).

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux, la CPAM fait l'avance des sommes dont le salarié obtient paiement et récupère, ensuite, le montant de son avance directement auprès de l'employeur. Il en est de même s'agissant de l'indemnité en capital ou, le cas échéant, de la majoration de rente.
Notons, par ailleurs, que la Cour de cassation permet au salarié licencié pour inaptitude de réclamer devant la juridiction prud'homale des dommages et intérêts pour perte d'emploi (2).

Lexbase : Ce dispositif de tarification n'incitait-il pas les entreprises à entrer dans une logique d'optimisation du coût des AT-MP ?

Rodolphe Meneux : Au-delà du dispositif de tarification applicable à l'entreprise, individuel, mixte ou collectif, l'entreprise a tout intérêt à optimiser ses coûts AT-MP. En effet, comme indiqué précédemment, la reconnaissance du caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie constitue pour le salarié le point d'entrée du contentieux de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Or, l'on sait qu'au travers de ce contentieux, la victime peut obtenir la réparation intégrale de ses préjudices, alors que la simple reconnaissance du caractère professionnel de son accident ou de sa maladie ne lui ouvre droit qu'à une réparation forfaitaire, d'un montant bien moindre...

Lexbase : ... ce qui explique la multiplication des contentieux de l'inopposabilité ?

Rodolphe Meneux : La volonté des entreprises d'optimiser le coût des AT-MP explique en partie le contentieux de l'inopposabilité des décisions de reconnaissance par la CPAM du caractère professionnel d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.
Ce contentieux vise la procédure d'instruction à laquelle le Code de la Sécurité sociale et la jurisprudence assujettissent la CPAM préalablement à sa décision sur le caractère professionnel de la maladie ou de l'accident du salarié. En effet, il résulte de la reconnaissance, par les juges, du caractère inopposable à l'employeur de la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie ou de l'accident prise par la CPAM que les dépenses occasionnées par la maladie professionnelle ou l'accident du travail du salarié ne sont pas supportées par l'employeur.
L'inopposabilité de sa décision de reconnaissance prive, en effet, la CPAM de tout droit à récupérer sur l'employeur les dépenses avancées par la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale au titre de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie ou de l'accident, voire, le cas échéant, de la reconnaissance de la faute inexcusable de ce dernier.
L'inopposabilité a donc pour effet de laisser à la charge de la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité les indemnités, rente, compléments de rente que celle-ci a versés. En ce sens, le contentieux de l'inopposabilité constitue un moyen de gestion des coûts liés aux AT-MP.
Toutefois, le fondement d'un tel contentieux est particulier car il porte sur le non-respect par la CPAM des obligations qui sont les siennes lorsqu'elle instruit un dossier de reconnaissance d'un AT-MP, et non sur les conditions fond de l'existence d'un tel AT-MP.
En effet, en application du principe du contradictoire, les dispositions du Code de la Sécurité sociale mettent à la charge des caisses primaires d'assurance maladie une obligation générale d'information, notamment à l'égard de l'employeur, lors de la procédure d'instruction d'une demande de reconnaissance du caractère professionnel d'une maladie ou d'un accident.
C'est ce non-respect du principe du contradictoire par la Caisse qui est sanctionné par l'inopposabilité de sa décision de reconnaissance du caractère professionnel d'un AT-MP et ce, quand bien même le caractère professionnel de l'accident du travail ou de la maladie est incontestable, voire incontesté.
C'est ainsi que, plutôt que d'engager un contentieux, toujours délicat quant à ses chances de succès, visant à contester sur le fond le caractère professionnel d'un AT-MP, les employeurs ont préféré tirer profit des erreurs et manquements de la caisse lors de la procédure d'instruction pour éviter, à bon compte, mais souvent à coup sur, d'avoir à supporter les conséquences financières résultant de la reconnaissance d'un AT-MP.

Lexbase : D'où la nécessité de sécuriser la procédure d'instruction des déclarations AT-MP ?

Rodolphe Meneux : La sécurisation de la procédure d'instruction vise précisément à réduire le contentieux de l'inopposabilité qui s'est considérablement développé depuis une petite dizaine d'années et dont les conséquences pour la branche AT-MP sont importantes sur le plan financier.
Afin de limiter ce contentieux, le décret du 29 juillet 2009 a entendu modifier la procédure d'instruction par les CPAM des dossiers de demande de reconnaissance du caractère professionnel d'un AT-MP, d'une part, en encadrant précisément la procédure d'instruction et, d'autre part, en modifiant les règles de notification des décisions prises par les caisses.
L'encadrement de la procédure d'instruction est intervenu à plusieurs niveaux. Au niveau du point de départ du délai d'instruction, en premier lieu. Avant la réforme, la caisse primaire disposait d'un délai de 30 jours pour les AT ou de 3 mois pour les MP pour rendre une décision, délai courant à compter de la date à laquelle la caisse avait eu connaissance de la déclaration AT ou MP (CSS, art. R. 441-10 N° Lexbase : L6185IES). Depuis le 1er janvier 2010, ces délais ne commenceront à courir qu'à partir de la réception par la caisse, d'une part, de la déclaration AT-MP et, d'autre part, du certificat médical initial.
Il en résulte que la caisse n'a plus l'obligation d'instruire le dossier de demande de reconnaissance du caractère professionnel de l'AT-MP tant qu'elle n'a pas reçu la déclaration d'AT ou de MP et le certificat médical initial (CMI).
Au niveau de l'obligation de motivation des réserves émises, en deuxième lieu. L'article R. 441-11 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L6173IED) prévoit la possibilité pour l'employeur d'émettre des réserves dès le début de l'instruction du dossier. Ces réserves vont alors obliger la caisse primaire d'assurance maladie à mettre en oeuvre des investigations complémentaires (par voie de questionnaire ou d'enquête). L'article précité ne prévoyait pas jusqu'ici l'obligation de motiver ces réserves. Le décret prévoit, dorénavant, que les réserves éventuellement émises par l'employeur lors de la déclaration AT-MP(ou de rechute) devront obligatoirement être motivées, à savoir correspondre à la contestation du caractère professionnel de l'AT-MP. A défaut, aucune obligation n'incombera à la caisse primaire d'assurance maladie, qu'il s'agisse des investigations complémentaires comme du respect du principe du contradictoire. Il ne s'agit là, en réalité, que d'une traduction réglementaire d'une position jurisprudentielle déjà bien établie.
Au niveau du respect du principe du contradictoire par la caisse, en troisième et dernier lieux. Le décret a précisé le contenu de l'information due par la caisse aux parties et, notamment, à l'employeur en vue d'assurer le respect du principe du contradictoire dans le cadre de la procédure d'instruction. Ces précisions se situent à deux niveaux : l'information des parties au cours de la procédure d'instruction, d'une part, et la fixation d'un délai de consultation du dossier, d'autre part.
Concernant l'obligation d'information de la caisse, au stade de la déclaration d'AT-MP, la CPAM doit notifier à l'employeur la déclaration d'AT (si elle émane de la victime), MP, ou la rechute par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception. Lorsque la caisse transmet le dossier au CRRMP, elle doit en informer l'employeur et lui donner accès aux pièces administratives du dossier (l'accès aux pièces médicales est encadré).
Au terme de la procédure d'instruction, avant la prise de décision par la Caisse, la Caisse primaire d'assurance maladie doit informer l'employeur des éléments susceptibles de lui faire grief dans les cas suivants :
- lorsque la caisse juge utile de procéder à une mesure d'instruction (enquête-questionnaire) ;
- lorsque l'employeur émet des réserves lors de la déclaration AT-MP;
- en cas de décès du salarié.
Dans les cas sus-énumérés, la caisse doit donc inviter les parties à consulter le dossier d'instruction. A défaut, la décision de reconnaissance du caractère professionnel de l'AT-MP déclaré encourrait le risque d'une contestation aux fins de voir reconnaître inopposable à l'employeur la décision de reconnaissance prise par la caisse.
Concernant le délai de 10 jours pour consulter le dossier d'instruction, le Code de la Sécurité sociale était auparavant muet sur les conditions dans lesquelles, afin de respecter le principe du contradictoire, les parties (l'employeur et la victime) devaient être informées des éléments de l'enquête.
Dans le silence des textes, la Cour de cassation exigeait que "la caisse primaire, avant de se prononcer sur le caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie, doit informer l'employeur de la fin de la procédure d'instruction, des éléments recueillis susceptibles de lui faire grief, de la possibilité de consulter le dossier, et de la date à laquelle elle prévoit de prendre sa décision" (3).
De son côté, la CNAMTS préconisait le respect d'un délai minimum de 10 jours pour permettre aux parties de consulter le dossier (CNAMTS DRP 18/2001 en date du 19 juin 2001).
Le nouveau décret fusionne ces deux conditions en en faisant dorénavant une obligation à la charge des caisses primaires, et une condition d'opposabilité de la décision à l'employeur et à la victime.
Le décret précise que cette information devra être faite "par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception". On peut donc penser qu'au-delà de la classique lettre recommandée avec accusé de réception, un courrier électronique ou un fax pourrait être un moyen pour la caisse de satisfaire à son obligation.
S'agissant plus précisément du délai de 10 jours, il s'agit de jours francs, lesquels s'entendent, selon la circulaire DSS du 21 août 2009, comme étant des jours entiers décomptés de 0 à 24 heures. Le jour de la notification ne comptant pas, le point de départ du délai se situe au lendemain du jour de la notification. Lorsque le délai expire un dimanche ou un jour férié, il est reporté de 24 heures.

Lexbase : Qu'en est-il de la modification des règles de notification des décisions prises par les caisses ?

Rodolphe Meneux : Jusqu'ici, la décision prise par la caisse, qu'il s'agisse d'une décision de prise en charge ou de refus, était analysée par la jurisprudence comme une simple information à l'égard de l'employeur. Ce dernier pouvait donc à tout moment contester la décision de prise en charge, ou son caractère opposable, faute de véritable notification avec indication des voies de recours. A l'inverse, en cas de refus de prise en charge, si, sur recours de la victime, la prise en charge était finalement acceptée, cette nouvelle décision de reconnaissance était opposable à l'employeur.
Le décret modifie cette logique et confère à la décision de la caisse un caractère définitif à l'égard de la partie qui en est le bénéficiaire. Plus précisément, le dispositif diffère selon les deux cas de figure suivants :
- en cas de reconnaissance du caractère professionnel de l'AT-MP, la caisse doit notifier à l'employeur sa décision par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception avec indication des voies et délais de recours. Cette décision sera, en revanche, notifiée par lettre simple à la victime qui en est bénéficiaire. Cette décision de reconnaissance est définitivement acquise à la victime, même en cas de contestation ultérieure de la part de l'employeur dans le délai de deux mois de sa notification ;
- en cas de refus de reconnaissance du caractère professionnel, la caisse doit notifier cette décision à la victime par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception avec indication des voies et délais de recours. A l'inverse, cette décision de refus de reconnaissance est, désormais, définitivement acquise à l'employeur, nonobstant la contestation du salarié qui aboutirait finalement à une décision de prise en charge.
En pratique, les dépenses liées à cet accident ou maladie ayant fait initialement l'objet d'un refus puis d'une prise en charge, devraient dès lors être inscrites à un compte dit "spécial" correspondant à la mutualisation des dépenses dans la branche accidents du travail.
Les décisions relatives à l'incapacité permanente sont notifiées par la caisse par tout moyen permettant de déterminer la date de réception avec mention des voies et délais de recours, à la victime ou à ses ayants droit et à l'employeur au service duquel se trouvait la victime au moment où est survenu l'accident. Elles emportent les mêmes conséquences que ci-dessus. En cas de recours exercé par l'employeur, celui-ci n'a aucun effet sur le taux d'incapacité accordé à la victime. En cas de recours exercé par la victime, la décision initiale de la caisse reste acquise à l'employeur.

Lexbase : Ces nouvelles règles de notification des décisions relatives à la reconnaissance du caractère professionnel et à l'incapacité permanente vous paraissent-elles suffisantes ?

Rodolphe Meneux : Si la décision est favorable à l'employeur (décision de refus de prise en charge), les nouvelles règles de notifications sont un élément de sécurisation et, par conséquent, peuvent être considérées comme suffisantes. En effet, la décision initiale prise par la CPAM reste définitive à son égard, quand bien même elle serait remise en cause ultérieurement, par la commission de recours amiable ou bien une juridiction, dans l'hypothèse d'un recours du salarié à qui cette décision fait grief.
Si la décision est défavorable à l'employeur (décision de reconnaissance du caractère professionnel de l'AT-MP), la notification à l'employeur par la caisse de sa décision, par tout moyen permettant d'en déterminer la date de réception avec indication des voies et délais de recours, obligera désormais celui-ci à contester cette décision ou son inopposabilité dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision de reconnaissance.
Du fait de cette modification des règles (décision notifiée par tout moyen permettant de déterminer la date de réception avec mention des voies et délais de recours), il ne sera plus possible à l'employeur, comme par le passé, d'attendre la notification du compte employeur ou du taux AT, voire même un éventuel contentieux en faute inexcusable, pour contester la décision ou son opposabilité.
Il y a donc un intérêt évident pour l'employeur à intervenir activement et opportunément dès la phase d'instruction du dossier, notamment au travers la formulation de réserves motivées, puisque par son action il pourra contribuer, le cas échéant, à une décision de refus de reconnaissance, définitive à son égard, qui lui permettra donc d'échapper définitivement à toute charge financière quand bien même la décision de la caisse primaire serait remise en cause ultérieurement.

Lexbase : Pour terminer, pensez-vous que le nouveau dispositif soit réellement plus efficace que le précédent et permette ainsi de limiter significativement le nombre de contentieux ?

Rodolphe Meneux : Ce nouveau dispositif, s'il vise à réduire le contentieux de l'inopposabilité, ne le fera, néanmoins, en principe, pas disparaître, dans la mesure où l'exigence de formalisme ayant été renforcé pour les caisses, tout manquement de leur part à celui-ci serait de nature à rendre leurs décisions inopposables à l'égard de la partie à qui elles font griefs.
Toutefois, nous pouvons prédire que celles-ci se mettront rapidement au diapason de ces nouvelles exigences posées par les textes, comme elles se sont mises au diapason de la jurisprudence relative à l'inopposabilité rendue sur le fondement des dispositions législatives et réglementaires antérieures à celles applicables depuis le 1er janvier 2010.
En effet, depuis quelques temps maintenant, nous avons noté que les caisses s'étaient "professionnalisées" dans la gestion de l'instruction des dossiers de demande de reconnaissance du caractère professionnel des AT-MP, mouvement qui avait d'ores et déjà contribuer à réduire ce type de contentieux de l'inopposabilité.
Toutefois, il est à craindre qu'un nouveau type de contentieux ne survienne, relatif aux réserves motivées, exigées par les textes. En effet, la formulation de ces réserves par l'employeur déclenche l'obligation pour la caisse d'une part de procéder à des mesures d'instructions (envoi d'un questionnaire ou enquête) portant sur les circonstances de l'accident ou de la maladie et d'autre part d'assurer l'information de l'employeur. Par conséquent, quid des réserves formulées par l'employeur, jugées non motivées par la caisse, qui, de ce fait, n'instruira pas le dossier et partant, n'informera pas l'employeur et prendra une décision de prise en charge. Ce contentieux ne manquera sans doute pas d'alimenter, à l'avenir, et les juridictions et la jurisprudence relative à l'inopposabilité des décisions des caisses...


(1) Lire les obs. de M. Del Sol, La réforme de la procédure d'instruction des déclarations AT-MP, Lexbase Hebdo n° 364 du 24 septembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9352BLX).
(2) Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 05-41.489, Société UFP international, FS-P+B (N° Lexbase : A3457DST). Lire les obs. de O. Pujolar, Précisions sur les limites de l'immunité de l'employeur dans le cadre de l'indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles, Lexbase Hebdo n° 239 du 7 décembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N2610A9K).
(3) Cass. soc., 19 décembre 2002, n° 01-20.384, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Somme c/ Société Saint-Louis Sucre, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4915A4S).

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La durée ne constitue pas un critère du harcèlement

Réf. : Cass. soc., 26 mai 2010, n° 08-43.152, Société Autocasse Bouvier, F-P (N° Lexbase : A7227EXX)

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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Les décisions rendues par la Chambre sociale en matière de harcèlement se suivent et ont le mérite de se ressembler. Les obstacles qui ont longtemps entravé l'usage de ce concept devant les juridictions du fond tombent un à un et la reconnaissance du harcèlement moral devrait devenir de plus en plus aisée. C'est ce qu'illustre un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 26 mai 2010, arrêt à l'occasion duquel elle se prononce sur des questions relatives au harcèlement et à la résiliation judiciaire du contrat de travail (I). S'agissant du harcèlement, il faudra retenir que la Haute juridiction proscrit toute condition de durée du harcèlement : les agissements de harcèlement peuvent être intervenus au cours d'une durée brève (II). S'agissant de la résiliation judiciaire, la Chambre sociale tranche plus classiquement sur une question de modification unilatérale du contrat de travail, laquelle impose nécessairement de faire le parallèle avec les solutions adoptées en matière de prise d'acte de la rupture du contrat de travail (III).
Résumé

Il résulte de l'article L. 1152-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0724H9P) que les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période.
Lorsque le salarié subit une rétrogradation ayant un impact sur sa rémunération caractérisant une modification de son contrat de travail, le juge peut en déduire que la demande de résiliation judiciaire du contrat est fondée.

I - La résiliation judiciaire du contrat de travail en raison de faits de harcèlement

  • Approche classique du harcèlement

L'article L. 1152-1 du Code du travail offre une définition légale du harcèlement moral en droit du travail. Aucune personne ne doit subir d'"agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation [des] conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel".

Le harcèlement suppose donc des agissements, des actions de la part d'un employeur ou d'un salarié dont on sait qu'ils doivent être répétés, mais qu'ils ne sont pas nécessairement intentionnels (1).

Ces agissements, par un premier lien de cause à effet, doivent avoir pour objet (intentionnel) ou pour effet (non intentionnel) d'altérer les conditions de travail du salarié. Les exemples de faits qualifiés de harcèlement sont pléthores : comportements déplacés, violences morales, procédures de licenciement à répétition, évincement du salarié, diminution de ses responsabilités, etc. (2).

Par un second lien de cause à effet, la détérioration de ses conditions de travail doit avoir des conséquences sur la santé du salarié (3), sur sa dignité ou, plus rarement, sur son avenir professionnel.

  • L'influence du temps sur le harcèlement

Outre ces caractères, le temps doit-il avoir un effet sur le harcèlement ? Plus précisément, on peut se demander si les actes de harcèlement, en plus d'être répétés dans le temps, doivent s'étaler sur une durée suffisamment longue. Deux conceptions sont en effet envisageables.

Selon la première, retenue par les juges du fond dans l'espèce commentée, il serait nécessaire que les faits de harcèlement s'étalent sur une durée relativement longue pour que le harcèlement moral puisse être caractérisé. Au contraire, selon la seconde, un harcèlement pourrait être avéré même sur une période très courte. Ainsi, par exemple, sur une durée de deux semaines, des actes de harcèlement peuvent être répétés de très nombreuses fois. Dans un sens, on peut même considérer qu'à nombre d'actes égal, le harcèlement est plus intense s'il s'effectue sur une faible durée.

  • L'espèce

A la suite d'une longue absence pour maladie, un salarié reprenait son travail après le constat d'aptitude dressé par le médecin du travail. Pourtant, très rapidement, son retour au travail fut altéré par divers comportements de l'employeur, principalement par l'affectation du salarié à des tâches subalternes au mépris de ses qualifications d'origine. Quelques semaines après son retour seulement, le salarié estima que ces agissements étaient constitutifs d'un harcèlement moral et saisit le juge prud'homal d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail (4).

La cour d'appel de Grenoble, saisie de l'affaire, accepta la résiliation judiciaire du contrat en raison de la modification unilatérale du contrat de travail, mais refusa de caractériser le harcèlement en raison de la brièveté de la période sur laquelle les agissements reprochés se sont produits.

La Chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l'employeur s'agissant de la résiliation judiciaire (5) mais casse l'arrêt sur le moyen formé par le salarié relatif au harcèlement. Elle juge qu'il résulte de l'article L. 1152-1 du Code du travail "que les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période". La cassation est prononcée au motif d'une violation de la loi : en retenant une condition qui n'est pas exigée par les textes -la brièveté- et en s'abstenant de prendre en considération des éléments démontrant l'altération de l'état de santé du salarié, les juges d'appel ont violé les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K) du Code du travail.

On peut sérieusement s'étonner du faible degré de publicité donné par la Chambre sociale à cette décision (F-P). Si elle est bien publiée, elle ne fera pas l'objet d'une publication aux bulletins de la Cour. Or, à l'évidence, il s'agit d'une décision bien plus importante qu'il n'y paraît, primo, car c'est la première fois que la Chambre sociale est confrontée à la contestation d'un harcèlement en raison de sa courte durée et, secundo, en raison de l'influence qu'aura certainement cette décision sur les juges du fond et, plus encore, sur les conseils des salariés invoquant le harcèlement.

La solution paraît justifiée quant à la réponse apportée aux deux moyens soulevés.

II - Le rejet justifié de la condition de temps dans le harcèlement moral

  • Interprétation fidèle à la lettre du Code du travail

Le dictionnaire Littré définit l'action de harcèlement comme celle consistant à "tourmenter, inquiéter par de petites mais de fréquentes attaques". L'analyse sémantique du terme harcèlement mène donc à deux constats : d'abord, l'idée de répétition est essentielle là où celle de durée est ignorée ; ensuite, il doit exister un rapport de cause à effet entre les actes de l'auteur du harcèlement et le ressenti par la victime de ce harcèlement : si la victime des actions répétées n'est pas inquiétée ou tourmentée, il ne pourrait être question de harcèlement.

Cette analyse sémantique est fidèlement respectée par le langage juridique. L'article L. 1152-1 du Code du travail n'impose, ni même ne suggère, que le harcèlement doit intervenir sur une courte période de temps.

Il est vrai que l'un des plus fondamentaux principes d'interprétation du droit tient à l'application de règle selon laquelle il ne convient pas de distinguer là où la loi ne distingue pas. La condition de brièveté n'étant pas prévue par le texte, il n'était dès lors pas possible de l'introduire. Même si la Chambre sociale ne l'avait pas invoqué, c'est bien le même raisonnement qui avait malgré tout été adopté lorsqu'elle avait écarté l'intention de nuire comme condition nécessaire à la reconnaissance d'un harcèlement moral (6).

  • Tentative avortée d'objectivation de la notion de harcèlement

On peut cependant comprendre les raisons qui avaient poussé les juges d'appel à ériger la durée comme condition de la qualification de harcèlement (7). Cela avait, en effet, pour confortable conséquence d'introduire un élément objectif -si tant est qu'il le soit vraiment- dans un champ où demeure malgré tout une forte subjectivité.

Une "durée déraisonnable" de harcèlement, fixée par le juge, pourrait s'appliquer presque de manière identique à chaque cas, alors qu'au contraire, les effets sur la santé, la dignité ou l'avenir professionnel du salarié sont nettement plus subjectifs. Certains salariés, durs au mal, résisteront longtemps alors que d'autres cèderont aux premiers coups de boutoirs.

Les juges du fond, mal à l'aise face au caractère mouvant de la notion de harcèlement, tentent donc parfois intuitivement de fonder leurs solutions sur des critères plus objectifs. Ce n'est pas la voie choisie par la Chambre sociale.

  • Portée : la reconnaissance du harcèlement facilitée

La conséquence directe de cette solution est qu'un harcèlement pourrait être reconnu sur une très faible durée, à condition que les actes soient répétés. Or, il y a répétition à partir de deux actes. A s'en tenir aux conditions délimitées par le Code et la Chambre sociale, un employeur qui, dans une même journée, tiendrait deux fois à l'encontre d'un salarié des propos déplacés, lesquels propos auraient pour conséquence une altération de la santé ou une atteinte à la dignité du salarié, se rendrait coupable de harcèlement. La seule barrière à l'extension exponentielle des reconnaissances de harcèlement moral demeure donc les conséquences sur le salarié, le préjudice induit des comportements. Ainsi, c'est la prise en compte de l'état de santé et de la dignité du salarié qui prime.

Nous écrivions, il y a quelques semaines, que la Cour de cassation semblait prendre à bras le corps les thématiques du stress et du mal-être au travail (8), cette tendance est donc nettement renforcée par l'arrêt sous examen.

III - La résiliation judiciaire en raison de la modification du contrat de travail

  • Résiliation judiciaire et modification du contrat de travail

En l'espèce, la résiliation judiciaire du contrat aurait pu être prononcée aux torts de l'employeur pour simple manquement à son obligation de sécurité. Ce n'était cependant pas l'angle choisi par le salarié qui préférait contester la modification unilatérale de son contrat de travail.

La Chambre sociale rejette le pourvoi en estimant que "le salarié avait subi une rétrogradation ayant un impact sur sa rémunération caractérisant une modification de son contrat de travail", ce dont les juges d'appel ont "pu en déduire que la demande de résiliation judiciaire du contrat était fondée" (9).

Cette solution fait immanquablement penser à une décision rendue trois semaines plus tôt s'agissant d'une prise d'acte de la rupture du contrat de travail dont la Chambre sociale estimait indirectement qu'elle "devait" être jugée comme justifiée lorsque l'employeur modifiait la rémunération contractuelle du salarié (10).

  • Hiatus injustifié entre prise d'acte et résiliation judiciaire

On sait que, généralement, les faits permettant au salarié d'obtenir la résiliation judiciaire aux torts de l'employeur sont de même nature que ceux lui permettant de prendre acte de la rupture aux torts de celui-ci : la Chambre sociale exigeait que les faits soient d'une gravité suffisante, rajoutant récemment pour la prise d'acte que ces faits devaient rendre impossible le maintien de la relation de travail (11).

Si les mots ont un sens pour la Chambre sociale, l'usage du verbe "pouvoir " et non du verbe "devoir" introduit un hiatus entre ces deux décisions. Le juge peut résilier le contrat aux torts de l'employeur en cas de modification du contrat de travail ayant une incidence sur la rémunération du salarié, doit valider la prise d'acte en cas de modification du mode de rémunération du salarié.

Ce hiatus est purement et simplement injustifié tant sur le plan juridique que sur le plan pratique.

Sur le plan juridique, les notions de prise d'acte et de résiliation judiciaire paraissent reposer sur des problématiques proches. Dans les deux cas, le salarié souhaite que le contrat de travail soit rompu, aux torts de l'employeur, en raison de manquements qu'il lui reproche.

Sur le plan pratique, il faut remarquer qu'un tel hiatus comporterait l'inconvénient de privilégier la prise d'acte de la rupture, pourtant plus risquée pour le salarié qui ne se réserve aucune voie de retour dans l'entreprise. Cela a d'autant moins de sens que l'on ne peut avancer l'argument du désengorgement de la juridiction prud'homale, la prise d'acte exigeant que le juge se prononce sur la rupture pour produire tous ses effets.

Il reste alors à espérer que la Chambre sociale n'a pas prêté autant d'attention que nous venons de le faire au sens de l'usage du verbe "pouvoir" et, finalement, à ne plus regretter que l'arrêt n'ait fait l'objet que d'une modeste publication.


(1) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.497, Mme Emilienne Moret, FS-P+B+R (N° Lexbase : A7558ENA) et les obs. de Ch. Radé, Le harcèlement moral n'est pas nécessairement intentionnel, Lexbase Hebdo n° 375 du 10 décembre 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5940BMX).
(2) Pour quelques illustrations jurisprudentielles, v. S. Martin-Cuenot, Harcèlement moral : point sur la jurisprudence 2009, Lexbase n° 378 du 15 janvier 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N9466BMK).
(3) Le harcèlement moral conduisant à une altération de la santé mentale du salarié constitue un manquement à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur, quand bien même il aurait pris toutes les mesures pour mettre fin au harcèlement : Cass. soc., 3 février 2010, 2 arrêts, n° 08-40.144, Mme Valérie Vigoureux, dite Collette, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6060ERU) et n° 08-44.019, Mme Christine Margotin, FP-P+B+R (N° Lexbase : A6087ERU) et nos obs., La vigueur retrouvée de l'obligation de sécurité de résultat, Lexbase Hebdo n° 383 du 19 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2358BNN).
(4) La Chambre sociale avait déjà eu l'occasion de qualifier de harcèlement moral le comportement adopté par un employeur au retour d'un salarié d'arrêt maladie consécutif à un accident du travail. V. Cass. soc., 30 juin 2009, n° 08-42.164, Mme Marie-Françoise Pires, F-D (N° Lexbase : A5950EI9) ; Cass. soc., 28 janvier 2010, n° 08-42.616, Société Leroy Merlin France, FS-P+B (N° Lexbase : A7668EQ3) et les obs. de Ch. Willmann, Un nouveau champ du harcèlement moral : les conditions de reprise du travail du salarié victime d'un accident du travail, Lexbase Hebdo n° 382 du 12 février 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N1697BN8).
(5) Cf. III.
(6) Cass. soc., 10 novembre 2009, n° 08-41.497, préc..
(7) Il convient de relever que l'arrêt de la cour d'appel de Grenoble a été rendu antérieurement au grondement de tonnerre émis par la Chambre sociale de la Cour de cassation en 2008 et visant à reprendre le contrôle de la qualification du harcèlement moral aux juges du fond : Cass. soc., 24 septembre 2008, 6 arrêts, n° 06-46.517 (N° Lexbase : A4541EAG), n° 06-45.747 (N° Lexbase : A4540EAE), n° 06-45.579 (N° Lexbase : A4539EAD), n° 06-43.504 (N° Lexbase : A4538EAC), n° 06-46.179 (N° Lexbase : A4854EAZ) et n° 06-43.529 (N° Lexbase : A4841EAK) et les obs. de Ch. Radé, Principe 'à travail égal, salaire égal', égalité de traitement, non-discrimination et harcèlement : la Cour de cassation reprend la main, Lexbase Hebdo n° 321 du 8 octobre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N3848BHY).
(8) La vigueur retrouvée de l'obligation de sécurité de résultat, préc..
(9) Nous soulignons.
(10) Cass. soc., 5 mai 2010, n° 07-45.409, M. Jacques Bozio c/ Société Compagnie européenne des peintures Julien, FS-P+B (N° Lexbase : A0659EXP) et les obs. de G. Auzero, La modification unilatérale de la rémunération du salarié justifie nécessairement la prise d'acte de la rupture, Lexbase Hebdo n° 395 du 21 mai 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N1871BPY).
(11) Cass. soc., 20 mars 2010, n° 08-44.236, Société Bio rad laboratoires c/ Mme Nicole Rieunier-Burle (N° Lexbase : A4043EUB). Lire les obs. de Ch. Radé, Prise d'acte : la Cour de cassation plus stricte ?, Lexbase Hebdo n° 391 du 16 avril 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N7424BNB).


Décision

Cass. soc., 26 mars 2010, n° 08-43.152, Société Autocasse Bouvier, F-P ([LXB=7227EXX])

Cassation partielle, CA Grenoble, ch. soc., 7 mai 2008

Textes visés : C. trav., art. L. 1152-1 (N° Lexbase : L0724H9P) et L. 1154-1 (N° Lexbase : L0747H9K)

Mots-clés : harcèlement moral ; durée brève ; condition (non) ; résiliation judiciaire ; modification du contrat de travail

Liens base : et

newsid:393017

Avocats/Honoraires

[Manifestations à venir] Etats généraux de l'aide juridictionnelle à Lille, le 25 juin 2010

Lecture: 1 min

N0682BPX

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Le 07 Octobre 2010



Le 25 juin 2010, de 9h00 à 18h00, l'Ordre des avocats au barreau de Lille et l'Université de Lille 2 Droit et Santé organisent les états généraux de l'aide juridictionnelle.






  • Programme

9h00 - 11h00

Accueil

M. Bernard BOSSU, Doyen de la Faculté

Me René DESPIEGHELAERE, Bâtonnier de l'Ordre

Interventions

M. Thierry WICKERS, Président du CNB ou son représentant

M. Alain POUCHELON, Président de la Conférence des Bâtonniers

Etat des lieux

Me Frédéric COVIN, ancien Bâtonnier du barreau de Valenciennes

11h00 - 13h00

Ateliers thématiques - première session

- Le financement de l'aide juridictionnelle

Coordinateurs :

Me Marie-Christine DUTAT
M. le Bâtonnier Bernard MEURICE

- Pour une garantie de qualité ?

Coordinateurs :

Me Isabelle LAPEYRONIE
Me Emmanuel MASSON, Bâtonnier désigné

- Quelles perspectives pour la future défense pénale ?

Coordinateurs :

Me Laurence DE COSTER
M. le Bâtonnier Patrick DELBAR

- L'aide juridictionnelle en droit comparé

Coordinateurs :

Me Anne MANNESSIER
M. le Bâtonnier Bertrand DEBOSQUE

- Déjudiciarisation et accès au droit

Coordinateurs :

Me Christel DENISSELLE-JAULIN
M. le Bâtonnier Christophe DESURMONT

- Les groupes de défense ordinale

Coordinateurs :

Me Hélène FONTAINE
M. le Bâtonnier Thomas BUFFIN

- Stratégies d'action face aux pouvoirs publics

Coordinateurs :

Me Jérôme PIANEZZA
M. le Bâtonnier Jean-Louis BROCHEN

13h00 - 14h00

Pause - Cocktail déjeunatoire

14h00 - 16h00

Ateliers thématiques - poursuite des travaux

16h00 - 18h00

Assemblée plénière

Synthèse : Me Vincent POTIE, rapporteur général, membre du Conseil de l'Ordre

Temps de parole des syndicats

Débats

Propositions et résolutions

18h00

Cocktail de clôture

  • Inscriptions et contributions aux Etats Généraux avant le 18 juin 2010
  • Frais d'inscription

22,50 euros (1 unité de valeur symbolique)

  • Lieu

Université de Lille 2 - Amphithéâtre René CASSIN - 1, place Déliot 59000 LILLE

  • Contacts

contact@avocats-lille.com
Tél. 03 20 12 16 99

newsid:390682

Fiscalité internationale

[Jurisprudence] Un commissionnaire n'est pas un établissement stable du commettant dès lors qu'il n'engage pas juridiquement ce dernier

Réf. : CE 10° et 9° s-s-r., 31 mars 2010, n° 304715, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4168EUW)

Lecture: 11 min

N3013BPB

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par Guy Quillévéré, Rapporteur public près le tribunal administratif de Nantes

Le 07 Octobre 2010

Le Conseil d'Etat, par un arrêt du 31 mars 2010 (CE 10° et 9° s-s-r., 31 mars 2010, n° 304715, publié au recueil Lebon, conclusions J. Burguburu), vient de juger qu'un commissionnaire agissant dans le cadre normal de son mandat ne constitue pas un établissement stable de son commettant. Les faits dans cette affaire sont les suivants : la société britannique Z. Ltd, spécialisée dans la commercialisation de produits orthopédiques, a conclu le 27 mars 1995 avec l'entreprise qui était auparavant son distributeur sur le territoire français, la SAS Z., un contrat de commission, aux termes duquel cette dernière était chargée de vendre en France ses produits, en son propre nom, mais pour le compte et aux risques de son commettant. Les deux sociétés ont fait l'objet de vérifications de comptabilité à l'issue desquelles l'administration fiscale, estimant que la société britannique disposait en France d'un établissement stable par l'intermédiaire de la société Z. SAS, a mis à la charge de la société Z. Ltd des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions de 10 % sur l'impôt sur les sociétés, assorties de pénalités, au titre des années 1995 et 1996, d'une part, de taxe professionnelle du fait de l'activité de la société Z. SAS au titre de l'année 1996, d'autre part. Par deux jugements des 7 octobre 2004 et 27 janvier 2005, le tribunal administratif de Melun a, d'une part, reconnu le bien-fondé de l'imposition à la taxe professionnelle, mais réduit son montant, d'autre part, rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôts sur les sociétés et de cotisation de 10 % sur l'impôt sur les sociétés. Par deux arrêts du 2 février et du 25 mai 2007 (CAA Paris, 2ème ch., 2 février 2007, n° 05PA02361 N° Lexbase : A4648DUP ; CAA Paris, 2ème ch., 25 mai 2007, n° 05PA00941 N° Lexbase : A3065EY8), la cour administrative d'appel de Paris a confirmé le jugement rejetant la demande en décharge des impositions sur les sociétés et a encore réduit le montant de l'imposition à la taxe professionnelle. Le Conseil d'Etat, par son arrêt du 31 mars 2010, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 2 février 2007, ainsi que l'article 6 de l'arrêt du 25 mai 2007 de cette même cour, et déchargé la société Z. Ltd des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contributions de 10 % sur l'impôt sur les sociétés qui avaient été mises à sa charge au titre des années 1995 et 1996, des pénalités correspondantes et des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle mise à sa charge au titre de l'année 1996.

L'arrêt du Conseil d'Etat, qui censure la cour administrative d'appel de Paris, éclairé par les conclusions du rapporteur public, clôt un débat initié de longue date et qui a suscité de nombreux commentaires en doctrine. L'arrêt du 31 mars 2010 referme, en effet, une parenthèse, source de vives inquiétudes, ouverte par l'arrêt du Conseil d'Etat du 20 juin 2003 (CE Contentieux, 20 juin 2003, n° 224407 N° Lexbase : A2710C9A), qui semblait militer pour la reconnaissance d'une conception économique de la notion d'agent dépendant ; dans le cadre d'un contrat de commission, le commettant même en l'absence de contrat signé en son nom pouvait être engagé par l'action du commissionnaire, lequel pouvait, alors, être regardé comme un établissement stable au sens d'une convention fiscale. En l'espèce, il était fait application à la société Z. de la convention franco-britannique du 22 mai 1968 (N° Lexbase : L6745BHB) qui suit le modèle de convention fiscale de l'OCDE en ce qui touche à l'établissement stable : un agent dépendant habilité à conclure des contrats au nom de son commettant est alors un établissement stable. Le Conseil d'Etat a ainsi été conduit à préciser le contenu de la notion "d'engagement pour", s'agissant d'un commissionnaire. La solution retenue par la Haute juridiction, dans l'arrêt du 31 mars 2010, est remarquable en ce qu'elle repose sur une interprétation strictement juridique du contrat de commission et en ce qu'elle écarte toute lecture économique du contrat de commission. La solution du Conseil d'Etat, empreinte de sagesse, rassure les nombreux groupes qui utilisent le contrat de commission, et s'abstient de créer une notion fiscale du commissionnaire, dès lors qu'un droit voisin, en l'espèce le droit privé des contrats permet de trancher le point litigieux.

1. L'arrêt "Société Z. Ltd" ou le retour à une forme d'orthodoxie juridique : le commissionnaire n'engage pas juridiquement son commettant

Pour mettre à la charge de la société britannique Z. Ltd des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés, la cour administrative d'appel de Paris avait regardé la SAS Z. comme un établissement stable de la société Z. Ltd, nonobstant l'existence d'un contrat de commission liant le commettant et le commissionnaire.

1.1. Le contrat de commission ne permet pas à la SAS Z. de conclure des contrats au nom de Z. Ltd.

Le Conseil d'Etat, s'agissant de la contestation d'une imposition relative à des bénéfices d'une société étrangère, établie dans un Etat ayant conclu avec la France une convention fiscale bilatérale, a défini de longue date, tout en les rappelant régulièrement (CE, 3° et 8° s-s-r., 31 juillet 2009, n° 296471 N° Lexbase : A1243EKA), les règles de la méthode : le juge analyse le litige au regard de la loi fiscale et recherche si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans la négative, apprécie si la société étrangère peut être assujettie à l'impôt français sur les sociétés sur le fondement des dispositions combinées du 1 de l'article 209 du CGI (N° Lexbase : L3322IG7) et des stipulations de la convention fiscale bilatérale. En l'espèce, la cour administrative d'appel de Douai s'était fondée sur la combinaison des dispositions du I de l'article 209 du CGI et les stipulations de la Convention entre la France et le Royaume-Uni du 22 mai 1968 (CAA Douai, 3ème ch., 11 avril 2006, n° 02DA00111 N° Lexbase : A9165DQI).

Les dispositions de l'article 6 de la Convention franco-britannique prévoient que les bénéfices d'une société d'un Etat contractant sont imposables dans l'autre Etat lorsque l'entreprise y exerce son activité par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé, dans la mesure où ils sont uniquement imputables à cet établissement stable. Le paragraphe 4 de l'article 6 prévoit, en outre, qu'une "personne agissant dans un Etat contractant pour le compte d'une entreprise de l'autre Etat contractant, autre qu'un agent jouissant d'un statut indépendant, visé au paragraphe 5, est considérée comme un établissement stable dans le premier Etat si elle dispose dans cet Etat de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entrepris". Le paragraphe 5 précise aussi que l'on ne considère pas qu'une entreprise d'un Etat contractant a un établissement stable dans l'autre Etat contractant du seul fait qu'elle y exerce son activité par l'entremise d'un courtier, d'un commissionnaire général ou de tout autre intermédiaire jouissant d'un statut indépendant, à condition que ces personnes agissent dans le cadre ordinaire de leur activité.

La cour administrative d'appel de Paris, après avoir écarté l'hypothèse retenue par l'article 4 de la convention, c'est-à-dire celle de l'installation fixe d'affaire -ce point étant confirmé par l'arrêt du Conseil d'Etat du 31 mars 2010-, avait jugé qu'il résultait des termes du contrat de commissionnaire en cause que la SAS Z. pouvait engager la société Z. Ltd nonobstant la circonstance que le statut de commissionnaire faisait obstacle à ce que la société Z. SAS puisse conclure effectivement des contrats au nom de son commettant. Ce faisant, la cour administrative d'appel de Paris fondait sa solution sur une lecture des stipulations conventionnelles et, notamment, du paragraphe 5 du modèle OCDE retenant que l'expression de "pouvoirs permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise" ne restreignait pas l'application du paragraphe à un agent concluent littéralement des contrats au nom de l'entreprise, autorisée par l'arrêt du Conseil d'Etat précité du 20 juin 2003.

C'est, en premier lieu, en s'appuyant sur une analyse juridique du contrat de commission que la Haute juridiction écarte le fait que le commettant puisse être engagé par le commissionnaire. Ce faisant, elle retient la notion civiliste de représentation imparfaite du commettant et écarte l'idée que le commissionnaire puisse conclure un contrat au nom de l'entreprise pour le compte de laquelle il opère. Or, pour regarder le commettant comme un établissement stable au sens des stipulations conventionnelles, il eût été nécessaire que la SAS Z. agisse au nom de la société Z. Ltd (CE, 8° et 3° s-s-r., 1er juin 2005, n° 259617 N° Lexbase : A4973DIZ), mais en l'espèce, le seul cocontractant du tiers est le commissionnaire.

La Haute juridiction pouvait, toutefois, alors même que la nature juridique du contrat de commission s'y serait opposée, valider l'analyse de la cour administrative d'appel de Paris et retenir l'existence d'un établissement stable en s'appuyant sur l'apport de la jurisprudence du 20 juin 2003 qui retient la notion de capacité d'engager de fait au nom d'une personne.

1.2. Le commettant ne peut pas non plus être juridiquement engagé par le commissionnaire agissant en lieu et place de celui-ci

L'article L. 132-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5633AIH) précise que : "le commissionnaire est celui qui agit en son nom propre ou sous un nom social pour le compte d'un commettant". Les contrats commissionnés sont passés par le commissionnaire avec des tiers contractants, pour le compte du commettant mais en son nom propre. Le contrat de commission emporte, donc, une représentation imparfaite du commettant et ne pouvait, en l'espèce, faire regarder ce dernier comme concluant des contrats au nom de la société étrangère. S'affranchissant des règles posées par le Code de commerce et, notamment, de ce qu'aux termes de l'article L. 132-1 du Code de commerce, un commissionnaire ne peut, en principe, constituer un établissement stable du commettant, la cour administrative d'appel de Paris avait retenu l'idée d'un engagement du commettant par le commissionnaire compte tenu de la jurisprudence du 20 juin 2003 et de la possibilité ouverte par cette jurisprudence pour le commissionnaire de signer des contrats en lieu et place du commettant.

Le Conseil d'Etat suivant en cela son rapporteur public n'a pas été convaincu par cette lecture constructive de la capacité d'engager du commissionnaire ouverte par l'arrêt du 20 juin 2003 et qui prend racine dans les commentaires du modèle de la convention OCDE. Afin d'écarter une notion de "capacité en fait" d'engager, le Conseil d'Etat, après que le rapporteur public ait battu en brèche les conséquences à tirer du commentaire du modèle de convention OCDE 32. 1 sous l'article 5 qui semblent avoir inspiré la cour administrative d'appel de Paris, et dont le rapporteur public éclaire la lecture, revient à une définition civiliste du contrat de commission.

La jurisprudence de la Chambre criminelle définit le commissionnaire comme "l'intermédiaire qui conclut en son nom propre, s'oblige seul, peut être seul actionné et actionner et qui est tenu envers son commettant" (Cass. crim., 24 juillet 1852, Rivière c/ Souty et consorts). La notion de capacité à "engager de fait" doit être écartée, les commentaires sous le point 32.1 s'appliquant, en outre, à des cas particuliers de contrats propres aux pays de common law dont ne relève pas le contrat de commission. En présence d'un contrat de commission, le commettant n'est pas engagé au sens juridique du terme dans une relation contractuelle avec le tiers cocontractant du fait du contrat conclu par ce dernier avec le commissionnaire.

2. L'arrêt "Société Z. Ltd" ou le temps de l'autonomie bien comprise du droit fiscal au profit d'une sécurité juridique accrue des groupes

Sous réserve pour les groupes de s'assurer que le contrat de commission mis en place relève bien de la qualification de commissionnaire, la lisibilité du régime fiscal dont ils relèvent est accrue.

2.1. De l'inutile complexité d'une définition fiscale ad'hoc du contrat de commission

Lorsqu'un litige appelle une qualification particulière, le droit fiscal emprunte aux droits voisins sauf s'ils sont dépourvus de cette qualification. L'arrêt du Conseil d'Etat du 31 mars 2010 marque une nouvelle étape d'un mouvement initié de longue date de rapprochement du droit civil et du droit fiscal. Dès lors qu'il n'y a pas de définition fiscale du contrat de commission, quand il est question de commissionnaire dans un litige fiscal, il convient, alors, de mettre en oeuvre les règles du droit privé pour préciser le point en litige. En retenant une notion d'engagement exclusivement juridique et en s'appuyant sur le droit civil pour préciser l'expression "conclure des contrats au nom de", afin d'exclure le lien commercial direct entre l'entreprise étrangère et le client cocontractant français, le Conseil d'Etat poursuit un effort entrepris de longue date pour rapprocher le droit civil et le droit fiscal et expliqué par son commissaire du Gouvernement Lucien Mehl sous un arrêt du 24 novembre 1967 (CE, 24 novembre 1967, n° 69113 et n° 69114 N° Lexbase : A6845B8Z), à propos de la notion de propriété ; le commissaire soulignait alors "la loi est une et d'application générale. Le découpage du droit en secteurs distincts n'a qu'une portée pratique. Nous disons propriétaire au sens du droit civil, parce que c'est le droit civil qui définit la propriété".

Il semble que le Conseil d'Etat, par son arrêt "Société Z. Ltd" du 31 mars 2010, éclairé par les conclusions de son rapporteur public, ait entendu rappeler que l'on dit commissionnaire, au sens de l'article L. 132-1 du Code de commerce, parce que c'est le droit commercial qui définit ce qu'est un contrat de commission. Dès lors, un commissionnaire, même s'il apparaît juridiquement ou économiquement lié à son commettant, ne peut valablement l'engager.

2.2. Une clarification attendue du contrat de commissionnaire

La lecture juridique du contrat de commission effectuée par le Conseil d'Etat emporte une première conséquence soulignée par le rapporteur public dans ses conclusions : elle accroît la sécurité juridique. La lecture purement juridique des stipulations conventionnelles apporte une lisibilité accrue aux groupes qui recourent souvent à ce schéma d'organisation en leur permettant d'appréhender de manière plus simple l'application de la règle fiscale.

Reste que la motivation de l'arrêt "Société Z. Ltd" du 31 mars 2010 ne va pas sans quelques réserves. La Haute juridiction a, en effet, motivé son arrêt en indiquant qu'il n'y a pas d'établissement stable : "sauf s'il ressort des termes mêmes du contrat de commission, soit de tout autre élément de l'instruction, qu'en dépit de la qualification de commission donnée par les parties au contrat qui les lie, le commettant est personnellement engagé par les contrats conclus avec des tiers par son commissionnaire". Le rapporteur public a aussi souligné que "l'administration ne pourra imposer une société étrangère sur la base d'un établissement stable constitué par un commissionnaire que si elle démontre que les clauses du contrat impliquent en réalité une autre qualification que celle de commissionnaire ou que d'autres éléments de l'instruction établissent l'engagement personnel du commettant, du fait des contrats conclus par le commissionnaire avec les tiers cocontractants, à l'égard de ces derniers".

Il est donc possible de passer outre l'apparence née du seul lien contractuel, et d'apprécier le contenu même de ce lien et la simple mise en place d'un contrat de commission ne saurait soustraire mécaniquement une société étrangère à l'impôt ; autrement dit, il demeure possible de l'écarter si sa mise en oeuvre ne répond à la qualification juridique qui lui a été donnée. Ce n'est pas le contrat seul qui est pris en compte mais le régime ou l'économie du contrat (CE 8° et 3° s-s-r., 1er juin 2005, deux arrêts, n° 259617 N° Lexbase : A4973DIZ et n° 259618 N° Lexbase : A4974DI3). Ce faisant, le juge se livrera à une qualification juridique du contrat, qui ne remet pas en question les apports d'une lecture strictement juridique des stipulations conventionnelles.

L'arrêt du 31 mars 2010 "Société Z. Ltd" amène à regarder la démarche empruntée par l'administration fiscale comme débouchant sur une impasse, le rapporteur public invitant le service à s'intéresser, pour l'avenir, à la rémunération du commissionnaire au regard des règles régissant les prix de transfert.

newsid:393013

Avocats/Institutions représentatives

[Questions à...] Le droit à un avocat, pour une meilleure Justice - Questions à Romain Carayol, Président de la FNUJA

Lecture: 8 min

N3078BPP

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par Anne-Lise Lonné, Rédactrice en chef

Le 03 Mars 2011

Elu à la tête de la Fédération nationale des Unions des jeunes avocats (FNUJA), premier syndicat de la profession, lors du Congrès annuel de la fédération qui s'est déroulé à Bordeaux du 13 au 15 mai 2010, Romain Carayol, ancien président de l'Union des jeunes avocats de Paris, a entendu placer son mandat sous le signe de l'ouverture, après avoir invité ses confrères à "ouvrir le champ du possible à toute mesure dès lors qu'elle peut être une opportunité pour le jeune avocat". Avocat au Barreau de Paris depuis 1997, et, aujourd'hui, associé du Cabinet Cayol, Cahen et Associés, il est également membre du CNB depuis janvier 2009. Si l'origine de son engagement relève plutôt du hasard, au fil de rencontres qui l'ont amené à participer aux réunions à l'UJA de Paris, quelques minutes à l'écouter suffisent pour comprendre toute la conviction et la foi qui animent ses actions au quotidien, aussi bien dans sa vie professionnelle que syndicale. Romain Carayol est porté par l'intérêt de ses clients comme par celui des jeunes avocats, qu'il est extrêmement fier de représenter aujourd'hui. Marqué par le parcours et la personnalité de son grand-père, docteur en droit, il est profondément attaché aux concepts d'égalité, de justice et d'équilibre, fils conducteurs de son travail et des actions qu'il entend mener. Son ambition, pour les jeunes avocats, est de "susciter le mouvement et le changement", comme il l'a exprimé dans son discours lors de sa prise de fonctions, et reste convaincu que c'est en allant "sur le terrain" qu'il y parviendra, en allant à la rencontre de toutes les UJA. Il a pour idée de lancer un programme intitulé "Good morning Fédé", en référence à deux films qu'il affectionne, entendant ainsi établir une plateforme d'idées transversales sur la profession, afin que la fédération devienne une véritable "caisse de résonance" de tous les jeunes avocats. Nous l'avons rencontré pour recueillir son avis sur les sujets sensibles de l'actualité de la profession et sur les perspectives de son mandat.

Lexbase : Etes-vous favorable à la création du statut d'avocat en entreprise ? Si oui, à quelles conditions ?

Romain Carayol : Il s'agit d'une question extrêmement sensible. Avant tout, je rappelle que nous sommes opposés à toute forme de fusion entre les professions d'avocat et de juriste d'entreprise, telle que souhaitée, à l'origine, par l'AFJE (Association française des juristes d'entreprise). Celle-ci revendiquait le statut des juristes d'entreprises existant dans les autres pays, à l'international, qui disposent du Legal privilege, afin de pouvoir bénéficier de la confidentialité. La FNUJA y est fermement opposé.

S'agissant du statut d'avocat en entreprise, nous acceptons cette idée dans son principe. La fédération a adopté un positionnement intellectuel favorable au statut de l'avocat en entreprise, mais sous certaines conditions, qui sont impératives et cumulatives. Tout d'abord, l'exercice de l'avocat en entreprise ne peut se concevoir que sous réserve qu'il soit conforme aux principes essentiels ainsi qu'aux règles déontologiques de la profession, telles qu'ils existent actuellement en dehors de l'entreprise. Nous exigeons, ensuite, que le CAPA devienne la seule voie d'accès à la profession d'avocat pour les juristes d'entreprise, ce qui suppose la suppression de la passerelle, et ce, sans période transitoire. La finalité de cette condition est d'éviter que la fusion des professions, à laquelle nous sommes opposés, ne soit organisée indirectement. Cette motion a vocation à réunir, c'est une conciliation de toutes les positions. Si les conditions ne sont pas réunies, la fédération restera opposée.

Lexbase : La FNUJA préconise la mise en oeuvre d'une "véritable formation commune" (motion adoptée lors du Congrès de mai 2010). Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

Romain Carayol : Si le principe d'une formation commune est acquis, le débat concerne en premier lieu les conditions d'accès. La question se pose de savoir à quel niveau cette formation interviendrait. La FNUJA s'est accordée pour que ce niveau soit situé après le Master 1, après examen. Ainsi, l'idée du CNB de permettre un accès à l'Ecole des professionnels du droit, sur simple entretien après un Master 2 me paraît contestable. En effet, cela reviendra à favoriser la formation du Master 2, ce qui est choquant dans son principe, au nom de la liberté et de l'égalité d'accès à tous. Il ne doit pas y avoir de privilège organisé, la sélection doit être identique à tous les niveaux.

En second lieu, s'agissant de la profession d'avocat, à l'issue de l'Ecole nationale du droit, se pose la question de l'instauration d'une formation complémentaire après le CAPA et de la reconstitution, directe ou indirecte, d'un stage. Cette question est au coeur des débats aujourd'hui. Les jeunes avocats y sont opposés. La FNUJA était en effet favorable à la suppression du stage, et refuse ainsi tout retour à l'ancien statut de l'avocat stagiaire à l'issue de la formation commune, qui illustrerait une vision dépassée de la formation initiale de nos futurs confrères.

Derrière ce positionnement, se cache l'idée d'une égalité d'accès à la profession, et d'une démocratisation de celle-ci. Tous les étudiants doivent avoir accès au métier d'avocat. Nous souhaitons ainsi réduire la formation théorique, dans la mesure où son allongement a pour effet de limiter l'accès aux jeunes qui n'ont pas les moyens de financer leurs études. Nous préconisons que le jeune étudiant nouvellement diplômé poursuive par la voie d'une professionnalisation qui serait intégrée dans la période de formation à l'école. C'est dans cet esprit que nous avions mené, à la FNUJA et à l'UJA de Paris, un combat -lequel a abouti- en vue de lutter contre l'absence de rémunération des avocats stagiaires dans les cabinets. Dans la continuité, nous travaillons à la mise en place d'un contrat de professionnalisation, comme le contrat en alternance, qui serait adapté à la profession d'avocat, et qui ne serait pas à la seule charge du cabinet, mais également de l'Etat. Il s'agit de permettre aux jeunes de financer leurs études indépendamment de leur famille. Cette idée est calquée sur les pays voisins comme l'Espagne, ou l'Allemagne.

Lexbase : S'agissant de la refonte du régime des spécialisations de l'avocat, quelle est la position de la FNUJA ?

Romain Carayol : Si la refonte du régime des spécialisations par le CNB a permis un "dépoussiérage" du système, sur lequel nous avons d'ailleurs contribué, je m'interroge sur la portée de la réforme telle qu'adoptée par le CNB, qui ne répond pas à nos attentes. Nous souhaitions que cette refonte permette, d'une part, un meilleur affichage, clair et précis, des mentions de spécialisation vis-à-vis des citoyens, et d'autre part, un accès plus facile des jeunes avocats à ces mentions. Mais le système préconisé par le CNB n'est pas de nature à favoriser l'essor des mentions de spécialisation.

Lexbase : Pensez-vous qu'il soit nécessaire de réglementer en matière de publicité, notamment par rapport aux réseaux sociaux, aux blogs, aux sites internet ?

Romain Carayol : Je pense qu'il serait absurde de vouloir réglementer dans ce domaine, parce que l'on ne peut pas figer dans un texte des éléments qui sont en perpétuelle évolution. En revanche, il convient plus que jamais de s'appuyer sur les principes fondamentaux. C'est ainsi que la question a été abordée de manière indirecte, par une modification, tout récemment, du règlement intérieur national (N° Lexbase : L4063IP8), plus particulièrement de son article 10 relatif à la publicité (1), qui, par une reprise des dispositions du décret n° 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d'avocat (N° Lexbase : L6025IGA), rappelle l'obligation de respecter les principes essentiels de la profession et l'interdiction absolue du démarchage.

C'est, en effet, l'occasion de rappeler aux avocats qu'ils sont tous astreints aux règles déontologiques, notamment de loyauté, dans leur façon de communiquer, sachant que cela vise toute forme de communication, qu'il s'agisse des blogs ou des réseaux sociaux tels que facebook ou twitter. Il est normal de rester sous l'égide des règles déontologiques, dès lors que l'on communique à titre professionnel, ces règles nous rappelant la bienséance à respecter entre les confrères et l'attitude à adopter vis-à-vis de nos clients.

Lexbase : Le thème du Congrès 2010 de la FNUJA était intitulé "Jeunes avocats : vers un droit durable". La FNUJA a également adopté une motion "Développement durable". Pouvez-vous nous préciser la portée de cette démarche ?

Romain Carayol : Avant tout, il est important de préciser qu'il ne s'agit pas d'une idée lancée pour être "dans l'air du temps", et je compte bien mettre en place une démarche concrète.

J'ai donc décidé de créer une commission développement durable qui aura vocation à aborder tous les sujets, de manière transversale, sous un angle développement durable. Nous souhaitons ainsi, par exemple, livrer aux cabinets d'avocats une démarche de responsabilité sociétale, dans le cadre du management interne.

La motion développement durable nous donne l'occasion de nous ouvrir sur des univers que l'on ne connaît pas encore très bien, alors qu'il existe des professionnels et des associations spécialisés dans le développement durable. C'est ainsi, par exemple, que l'UJA de Bordeaux, en collaboration avec le Comité 21, le Conseil Départemental des Agenda 21 locaux en Gironde, a organisé, le 12 mai 2010, un colloque intitulé "Le rendez-vous du développement durable et du droit". Je souhaite que les jeunes avocats s'inscrivent dans une démarche active de promotion et de respect de responsabilité sociétale durable. La FNUJA va ainsi adopter une charte développement durable qui deviendra notre base de réflexion.

Lexbase : Quels sont les projets que vous souhaiteriez voir aboutir en priorité pendant votre mandat ?

Romain Carayol : L'une de mes priorités concerne la réforme de la procédure pénale. Je rappelle que nous avons décidé, à la FNUJA, de jouer le jeu de la concertation. Nous avons donc accepté le principe de la suppression du juge d'instruction, mais moyennant la mise en place de contrepouvoirs. Nous revendiquons l'institution d'un juge, indépendant du parquet, qui contrôle l'enquête et qui constituerait un véritable équilibre avec le Parquet.

Indépendamment du problème de la suppression du juge d'instruction, nous avons analysé, article par article, le projet de réforme qui était soumis à la concertation par la Chancellerie et nous avons fait des propositions visant à introduire de la justice pénale au quotidien, lesquelles ont été entendues par Madame le Garde des Sceaux, qui nous a d'ailleurs fait l'honneur de sa présence au dernier Congrès de la FNUJA. J'espère donc que l'on pourra avancer concrètement sur cette question de la justice pénale au quotidien (notamment, la présence de l'avocat à toutes les étapes de la procédure pénale, la communication de pièces, le contradictoire, etc.), afin de rétablir des équilibres.

L'autre urgence, à mon sens, concerne l'aide juridictionnelle. Au-delà du fait que, par principe, nous estimons inacceptable un quelconque désengagement de l'Etat, nous faisons des propositions concrètes pour mettre en place d'autres sources de financement.

La FNUJA propose ainsi l'institution d'une contribution, dont l'assiette serait extrêmement large, puisqu'elle serait prélevée sur l'ensemble des actes juridiques faisant l'objet d'un enregistrement ou d'une publicité légale, ainsi que sur l'ensemble des décisions de justice. Par ailleurs, la contribution serait assise sur l'ensemble des primes ou cotisations d'assurance souscrites pour la protection juridique. Cette contribution viendrait ainsi alimenter, en complément de la dotation annuelle de l'Etat, un "Fonds pour l'accès au droit et à la justice", dont nous proposons la création, et qui serait destiné à gérer les fonds de l'aide juridictionnelle.

Je serais alors le plus heureux des présidents des jeunes avocats si l'on pouvait faire avancer les choses en ce sens. Il existe d'ailleurs une sorte d'"union sacrée" des avocats sur le principe de l'aide juridictionnelle, puisqu'elle représente l'accès au droit et à la justice. C'est ainsi que j'invite l'ensemble des intéressés à participer aux Etats généraux de l'aide juridictionnelle qui se tiendront à Lille, le 25 juin prochain (N° Lexbase : N0682BPX), car j'entends bien en faire une journée nationale de l'aide juridictionnelle !


(1) Décision à caractère normatif n° 2010-002, du 8 mai 2010, portant réforme des dispositions de l'article 10 du règlement intérieur national (RIN) de la profession d'avocat.

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QPC

[Le point sur...] Question prioritaire de constitutionnalité et droit du travail : premier bilan après trois mois d'application

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N3042BPD

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Trois mois après l'entrée en vigueur de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), la Cour de cassation (I) et le Conseil constitutionnel (II) ont commencé à rendre leurs premières décisions qui permettent de tirer quelques enseignements s'agissant singulièrement de l'impact de la réforme en droit du travail. I - La Cour de cassation et la QPC en droit du travail
  • Premières pistes

La Cour de cassation a rendu, depuis le 1er mars 2010, une trentaine d'arrêts relatifs à la transmission de QPC au Conseil constitutionnel, ce qui permet de dégager quelques premières pistes d'analyse.

  • Une proportion limitée de QPC intéressant le droit du travail

Il est, tout d'abord, intéressant de mesurer la place du droit du travail dans les questions transmises ou présentées devant la Cour. Or, celle-ci est faible en comparaison des questions posées en matière pénale ou fiscale, comme on pouvait d'ailleurs s'y attendre, puisque six questions portant directement sur la conformité de dispositions du Code du travail ont été transmises, et une concernant le Code de la Sécurité sociale.

  • QPC relative à la prescription quinquennale

Une question concerne la conformité de la prescription quinquennale des gains et salaires (C. trav., art. L. 3245-1 N° Lexbase : L7244IAK et C. civ., art. 2224 N° Lexbase : L7184IAC) aux droits et libertés garantis par les articles 4 (N° Lexbase : L1368A9K), 5 (N° Lexbase : L1369A9L), 6 (N° Lexbase : L1370A9M) et 16 (N° Lexbase : L1363A9D) de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (principe de l'accessibilité et de l'intelligibilité de la loi), aux articles 2 (N° Lexbase : L1366A9H) et 17 (N° Lexbase : L1364A9E) de la Déclaration de 1789 (atteinte au droit de propriété), à l'article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 (N° Lexbase : L0827AH4) (principe d'égalité devant la loi), à l'article 5 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (N° Lexbase : L6821BH4) (droit à un travail et à la rémunération qui l'accompagne), ainsi qu'à l'article 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (principe de non discrimination) (1).

  • QPC et droit syndical

Une question concerne la conformité de l'article L. 2324-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3724IBK), dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ), en ce que ces dispositions porteraient atteinte, notamment, au principe d'égalité devant la loi "en tant qu'elles subordonnent, dans les entreprises de plus de 300 salariés, la désignation d'un représentant syndical au comité d'entreprise au fait pour le syndicat d'y avoir des élus" (2).

Une question concerne la conformité des articles 2, 5, 6 et 8 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008 aux "Principes édictés par les alinéas 5 et 6 du préambule de la Constitution de 1946" (3). D'autres questions ont également été posées et concernent la conformité du même article 2 ajoutant la conformité à l'alinéa 8 (4), ainsi que la conformité de l'article 1er au regard des alinéas 6 et 8 (5).

  • QPC et travail dissimulé

Une question concerne la définition du travail dissimulé et la conformité de l'ancien article L. 324-10 du Code du travail (N° Lexbase : L6210ACY), en son second alinéa, en vigueur du 13 mars 1997 au 30 avril 2008 et repris à I'article L. 8224-5 du même code (N° Lexbase : L3629H9B) en vigueur à ce jour, au regard de "I'article 9 de la Déclaration des droits de I'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L0835AHE) [...]" (présomption d'innocence) (6).

  • QPC et principe de la réparation partielle des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles (AT/MP)

Une dernière question concerne la conformité à la Constitution de l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4467ADS) et l'interdiction d'invoquer le droit commun en cas d'AT/MP compte tenu du principe de réparation forfaitaire, au regard du principe d'égalité devant les charges publiques (7).

  • Quelques éléments de réponse

Il serait bien entendu très imprudent de spéculer sur le sort que le Conseil constitutionnel réservera à ces questions, même si quelques éléments de réponse peuvent être proposés.

  • La confirmation vraisemblable de la prescription quinquennale

Ainsi, la remise en cause de la prescription quinquennale des gains et salaires ne devrait certainement pas aboutir dans la mesure où la durée retenue semble réaliser une conciliation raisonnable entre les intérêts des salariés, et ceux des employeurs, d'autant plus que la réforme du droit de la prescription intervenue en 2008 a précisément choisi la durée de cinq ans comme délai de droit commun (8), ce qui rendrait par ailleurs vaine l'abrogation de ces dispositions.

  • Le sort plus incertain de l'article L. 451-1 du Code de la Sécurité sociale

La remise en cause du principe de réparation limitée des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles pose, en revanche, un problème plus sérieux dans la mesure où elle déroge au principe de réparation intégrale. Il apparaît, toutefois, que le Conseil constitutionnel n'a jamais consacré ce principe, mais un principe voisin de réparation de l'intégralité des préjudices, ce qui est différent, et qu'il a autorisé le législateur, dans certaines circonstances, à restreindre la réparation de certains chefs de préjudice pour autant que ces restrictions reposent sur un motif d'intérêt général suffisant et qu'elles ne portent pas une atteinte excessive aux droits des victimes, singulièrement au principe d'égalité devant les charges publiques (9). Tout dépendra donc de l'appréciation que le Conseil fera de la justification de ces atteintes, la doctrine et les représentants des victimes considérant depuis de nombreuses années que le principe d'une indemnisation limitée, qui se justifiait dans la loi du 9 avril 1898 par le souci de transiger entre les intérêts en présence et la nécessité de faire naître ce régime, n'a plus lieu d'être dans la mesure où tous les régimes modernes d'indemnisation se proposent d'indemniser intégralement les victimes.

  • Le sort de la loi du 20 août 2008 et des critères d'application du droit du travail

D'autres questions posées semblent plus problématiques en ce qu'elles mettent en cause des lois importantes, à commencer par la loi du 20 août 2008, relative à la démocratie sociale et au temps de travail, et plus largement, au travers elle, le sort des différences de traitement existant en droit du travail en raison de différents critères, qu'il s'agisse de différencier les salariés, ou les syndicats, selon leur ancienneté, l'effectif de leur entreprise, l'appartenance à une catégorie professionnelle (cadre), l'appartenance au secteur privé ou public, le statut professionnel du salarié (nature de son contrat de travail), son âge, son état de santé et même, s'agissant singulièrement du droit syndical, la prise en compte de l'audience électorale, qu'il s'agisse du critère d'audience de 8 % ou 10 % pour établir la représentativité, voire le seuil de 30 % ou 50 % pour conclure ou s'opposer à des accords collectifs. C'est, en réalité, tout le droit du travail qui se trouve ainsi mis en cause au travers de sa confrontation avec le principe constitutionnel d'égalité. C'est dire l'importance qu'il convient d'accorder aux premières décisions du Conseil constitutionnel.

  • La Cour de cassation et le filtrage des QPC

Pour clore la question de la position adoptée par la Cour de cassation sur la QPC, au travers de questions n'intéressant, d'ailleurs, pas le droit du travail, il convient de constater que la Haute juridiction a manifesté, ces dernières semaines, sa volonté de jouer pleinement son rôle de "filtre", en vérifiant que les conditions de la transmission au conseil constitutionnel sont bien remplies.

Faut-il le rappeler, seules devront être transmises au juge constitutionnel les questions lorsque "la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites", "n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances", et qu'elle "est nouvelle ou présente un caractère sérieux" (10).

Or, de nombreuses questions ont ainsi été bloquées par la Cour de cassation pour l'un ou l'autre de ces motifs.

Ainsi, certaines questions n'ont pas été transmises dans la mesure où elles n'impliquaient pas de confrontation avec des dispositions constitutionnelles, mais simplement avec des interprétations qu'en fait la Cour de cassation (11), la Haute juridiction ayant rappelé que ces dernières relèvent naturellement de l'office du juge (12). Un même refus concerne des questions mettant en cause des principes généraux élaborés par la jurisprudence (13). La Cour de cassation a également écarté une question visant non pas à faire contrôler la conformité d'une loi à la Constitution, mais simplement à faire préciser le sens d'une disposition constitutionnelle par le Conseil (14).

Par ailleurs, la transmission est subordonnée au fait que le grief présenté s'appuie sur une violation avérée de la Constitution par la loi ; or, la Cour de cassation a pu considérer que cette violation alléguée reposait, en réalité, sur une mauvaise interprétation de la loi et que le grief manquait en fait (15).

La Cour de cassation a également refusé de transmettre des questions concernant des dispositions législatives implicitement validées par le Conseil (16).

La Cour contrôle le caractère de "nouveauté" de la question, ainsi que son caractère "sérieux" (17), et a manifesté ici une certaine rigueur dans cette appréciation en matière pénale (18) comme en matière civile (19).

Rappelons également que les QPC sont soumises à un régime procédural propre qui n'exclut pas le respect par les parties des conditions générales de recevabilité des pourvois en cassation (20).

  • Cas particulier du conflit avec la question préjudicielle devant la CJUE

Enfin, rappelons que la Cour de cassation a refusé de transmettre une QPC alors que le demandeur faisait également valoir un argument de contrariété avec le droit communautaire, faisant ainsi prévaloir la question préjudicielle sur la question prioritaire et ce, alors que la loi organique votée en décembre dernier ne le prévoit pas.

Pour la Cour, en effet, il convient de donner priorité à la question préjudicielle car, dans l'hypothèse où le Conseil constitutionnel accepterait de vérifier la conformité de la loi aux Traités et, singulièrement, au droit communautaire, le juge judiciaire se verrait, de par la Constitution, privé du pouvoir de poser la question préjudicielle une fois la décision prise par la Cour de cassation (21) et ce, en contrariété avec la jurisprudence communautaire, qui considère que c'est au juge judiciaire qu'il appartient de vérifier la conformité de son droit national au droit de l'Union sans pouvoir s'abriter derrière la conformité des textes à sa Constitution nationale.

Cette analyse est directement contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui a réaffirmé, le 12 février dernier, qu'il n'entendait pas étendre son contrôle à la conventionnalité des lois, laissant ce soin aux juges judiciaires et administratifs (22) et ce, en vertu d'une jurisprudence ancienne et constante depuis 1975 (23).

Le Conseil d'Etat n'a pas dit autre chose que le Conseil constitutionnel et a rappelé que la procédure de QPC ne pouvait conduire à fonder une requête sur le fondement de la violation par la loi du droit international, ce qui suggère que le Conseil constitutionnel ne devrait pas intégrer le contrôle de conventionnalité dans le contrôle de constitutionnalité (24).

II - Le Conseil constitutionnel et la QPC en droit du travail

  • Interrogations

L'impact de la QPC sur le droit du travail dépendra non seulement du zèle que mettra la Cour de cassation à transmettre les questions, ou à filtrer, mais aussi, et peut-être surtout, du contrôle qu'exercera le Conseil constitutionnel sur la conformité des lois qui lui seront déférées.

  • Un nombre encore limité de décisions

A l'heure actuelle, le Conseil n'a rendu que deux décisions, la première concernant le rôle dévolu par la loi à l'Unaf, et qui a conduit à rejeter le grief (25), la seconde, qui est riche d'enseignements, concernant les retraites -qui a déjà fait l'objet des commentaires avisés de Christophe Willmann dans les colonnes de cette revue- et qui a conduit à une première censure fondée, notamment, sur la violation du principe d'égalité (26).

Dans cette décision relative à la "cristallisation des retraites", le Conseil a rappelé les termes de sa jurisprudence classiques et les principes qui gouvernent la question : "8. Considérant que l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 (N° Lexbase : L1370A9M) dispose que la loi 'doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse' ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit".

Or, dans cette affaire, le Conseil relève que, "si le législateur pouvait fonder une différence de traitement sur le lieu de résidence en tenant compte des différences de pouvoir d'achat, il ne pouvait établir, au regard de l'objet de la loi, de différence selon la nationalité entre titulaires d'une pension civile ou militaire de retraite payée sur le budget de l'Etat ou d'établissements publics de l'Etat et résidant dans un même pays étranger".

Il relève, également, "que l'abrogation de l'article 26 de la loi du 3 août 1981 (loi n° 81-734 du 3 août 1981, de finances rectificative pour 1981 N° Lexbase : L9706IGL) et de l'article 68 de la loi du 30 décembre 2002 (loi n° 2002-1576 du 30 décembre 2002, de finances rectificative pour 2002 N° Lexbase : L9372A8M) a pour effet d'exclure les ressortissants algériens du champ des dispositions de l'article 100 de la loi du 21 décembre 2006 (loi n° 2006-1666 du 21 décembre 2006, de finances pour 2007 N° Lexbase : L8561HTA) ; qu'il en résulte une différence de traitement fondée sur la nationalité entre les titulaires de pensions militaires d'invalidité et des retraites du combattant selon qu'ils sont ressortissants algériens ou ressortissants des autres pays ou territoires ayant appartenu à l'Union française ou à la Communauté ou ayant été placés sous le protectorat ou sous la tutelle de la France" et "que cette différence est injustifiée au regard de l'objet de la loi qui vise à rétablir l'égalité entre les prestations versées aux anciens combattants qu'ils soient français ou étrangers".

Cette décision est particulièrement intéressante car elle met l'accent sur un critère licite de différenciation (le lieu de résidence en tenant compte des différences de pouvoir d'achat) et censure une différence fondée sur la nationalité injustifiée (la nationalité).

La prise en compte des "différences de pouvoir d'achat" n'est pas sans rappeler la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de différences de traitement pour tenir compte de zones de cherté et à censurer des différences qui ne seraient pas justifiées par les contraintes liées à la localisation des salariés traités différemment (27).

  • Vers une convergence des approches ?

Cette convergence des approches et des méthodes est bienvenue car il ne serait pas souhaitable qu'il y ait une conception de l'égalité Quai de l'Horloge et une autre rue de Montpensier.

Reste que le Conseil constitutionnel ira certainement moins loin que ne le fait aujourd'hui la Cour de cassation dans le contrôle de la pertinence des justifications apportées au principe d'égalité, le Parlement disposant, en la matière, d'une marge d'appréciation plus large que celle qui est aujourd'hui laissée aux partenaires sociaux par la Cour de cassation. Mais peut-être la Cour pourrait-elle s'inspirer de cette relative modestie du contrôle pour laisser un peu plus d'autonomie aux partenaires sociaux, précisément ?


(1) Cass. QPC, 11 mai 2010, n° 10-40.009.
(2) Cass. QPC, 22 avril 2010, n° 10-14.749.
(3) Cass. QPC, 12 avril 2010, n° 10-40.006.
(4) Cass. QPC, 12 avril 2010, n° 10-40.007.
(5) Cass. QPC, 12 avril 2010, n° 10-40.005.
(6) Cass. QPC, 22 avril 2010, n° 10-90.068.
(7) Cass. QPC, 7 mai 2010, n° 09-87.288, Mme Christiane Alessandrie, épouse Lloret, P+B (N° Lexbase : A1976EXH) : "Que la question posée présente un caractère sérieux au regard du principe constitutionnel d'égalité en ce que, hors l'hypothèse d'une faute intentionnelle de l'employeur et les exceptions prévues par la loi, la victime d'un accident du travail dû à une faute pénale de ce dernier, qualifiée de faute inexcusable par une juridiction de sécurité sociale, connaît un sort différent de celui de la victime d'un accident de droit commun, dès lors qu'elle ne peut obtenir d'aucune juridiction l'indemnisation de certains chefs de son préjudice en raison de la limitation apportée par les dispositions critiquées".
(8) C. civ., art. 2224 (N° Lexbase : L7184IAC) : "Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer".
(9) En ce sens notre article, Les fondements constitutionnels de la responsabilité civile, in Constitution et responsabilité, Montchrestien, coll. Grands colloques, 2009, pp. 189-201.
(10) Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, art. 23-2, nouv. (N° Lexbase : L0276AI3).
(11) Cass. QPC, 19 mai 2010, n° 09-83.328, Mme Barrie Taylor, P+F (N° Lexbase : A8741EXZ) : "la question posée tend, en réalité, à contester non la constitutionnalité des dispositions qu'elle vise, mais l'interprétation qu'en a donnée la Cour de cassation au regard du caractère spécifique de la motivation des arrêts des cours d'assises statuant sur l'action publique". Même solution, Cass. QPC, 19 mai 2010, n° 09-87.307, M. Antoine Furbur, P+F (N° Lexbase : A8742EX3) ; Cass. QPC, 19 mai 2010, n° 09-82.582, M. Yvan Colonna, P+F (N° Lexbase : A8740EXY) ; Cass. QPC, 31 mai 2010, n° 09-87.578 (diffamation).
(12) Cass. QPC, 31 mai 2010, n° 09-70.716 : "la disposition législative n'est critiquée qu'en ce qu elle laisse la place à interprétation, laquelle relève de l'office du juge".
(13) Cass. crim., 19 mai 2010, n° 09-87.651, M. Pascal Guillaume, P+F (N° Lexbase : A8743EX4) : "la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce qu'elle critique non pas l'article 598 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L4430AZ4) mais la 'théorie de la peine justifiée', élaborée à partir de cette disposition législative".
(14) CE, 16 avr. 2010, n° 336270, M. Virassamy (N° Lexbase : A0225EWA).
(15) Cass, QPC, 31 mai 2010, n° 10-80.637 : "Et attendu, en second lieu, que la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce que les dispositions légales critiquées n'ont pour effet que de différer, dans certains cas, dans l'intérêt de l'ordre public ou d'une bonne administration de la justice, l'examen du pourvoi, et ne font pas obstacle à l'accès au juge".
(16) Cass. QPC, 19 mai 2010, n° 09-82.582, préc. : "Et attendu qu'en déclarant conforme à la Constitution, par sa décision n° 86-213 DC du 3 septembre 1986 (N° Lexbase : A8139ACG), l'article 706-25 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L8182HWX), qui renvoie, pour le jugement des accusés majeurs en matière de terrorisme, aux règles fixées par les dispositions contestées de l'article 698-6 du même code (N° Lexbase : L4070AZR), le Conseil constitutionnel a nécessairement validé ces dernières dispositions au regard de leur constitutionnalité ; [...]ainsi la question posée ne présente pas un caractère sérieux".
(17) CE, 16 avr. 2010, n° 320667, Association Alcaly et autres (N° Lexbase : A0169EW8) ; CE, 19 mai 2010, n° 331025, M. Theron (N° Lexbase : A4091EXS) ; CE 2° et 7° s-s-r., 19 mai 2010, n° 330310, Commune de Buc (N° Lexbase : A4089EXQ).
(18) Cass. crim., 7 mai 2010, n° 09-80774, Mme Marie-Luce Wacquez, P+B (N° Lexbase : A1974EXE) : "Mais attendu que la question posée ne présente pas un caractère sérieux dans la mesure où l'incrimination critiquée se réfère à des textes régulièrement introduits en droit interne, définissant de façon claire et précise l'infraction de contestation de l'existence d'un ou plusieurs crimes contre l'humanité tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l'accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par des membres d'une organisation déclarée criminelle en application de l'article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, infraction dont la répression, dès lors, ne porte pas atteinte aux principes constitutionnels de liberté d'expression et d'opinion" ; Cass. QPC, 19 mai 2010, n° 09-82.582, M. Yvan Colonna, P+F (N° Lexbase : A8740EXY) : "Et attendu que ces dispositions, qui rappellent le caractère obligatoire de la présence d'un défenseur auprès de l'accusé, prévoient, notamment, qu'il en est désigné un d'office au cas où celui choisi ou désigné par lui ne se présente pas ; qu'elle ont, par ailleurs, pour objet d'assurer l'information de l'accusé lorsque, malgré la sommation qui lui est faite, celui-ci maintient son refus de comparaître ; que la constitutionnalité de telles dispositions, qui ont pour objet de garantir l'exercice des droits de la défense, ne peut être sérieusement mise en doute".
(19) Cass. QPC, 7 mai 2010, n° 09-15.034, Société Aviva assurances, P+B (N° Lexbase : A1973EXD) : "Mais attendu que la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce que le régime de l'article 1384, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS) répond à la situation objective particulière dans laquelle se trouvent toutes les victimes d'incendie communiqué, qu'il est dépourvu d'incidence sur l'indemnisation de la victime par son propre assureur de dommages aux biens, et qu'enfin il n'est pas porté atteinte au principe selon lequel tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer".
(20) Cass. com., 4 mai 2010, n° 09-70.723, M. Christophe Bacou, FS-D (N° Lexbase : A0846EXM) : "ce mémoire a été déposé après l'expiration du délai d'instruction, lequel n'était pas écoulé le 1er mars 2010 ; [...] il est donc irrecevable".
(21) Cass. QPC, 16 avril 2010, n° 10-40.002, M. Sélim Abdeli, ND (N° Lexbase : A2046EX3) : "la question de la conformité au droit de l'Union européenne de la loi organique du 10 décembre 2009 (loi organique n° 2009-1523 N° Lexbase : L0289IGS), en ce qu'elle impose aux juridictions de se prononcer par priorité sur la transmission, au Conseil constitutionnel, de la question de constitutionnalité, doit être posée, à titre préjudiciel, à la Cour de justice de l'Union européenne".
(22) Décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, Loi relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne (N° Lexbase : A1312EXU) : "10. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 55 de la Constitution (N° Lexbase : L0884AH9), 'Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie' ; que, si ces dispositions confèrent aux traités, dans les conditions qu'elles définissent, une autorité supérieure à celle des lois, elles ne prescrivent, ni n'impliquent, que le respect de ce principe doive être assuré dans le cadre du contrôle de la conformité des lois à la Constitution ; 11. Considérant, d'autre part, que, pour mettre en oeuvre le droit reconnu par l'article 61-1 de la Constitution (N° Lexbase : L5160IBQ) à tout justiciable de voir examiner, à sa demande, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative méconnaît les droits et libertés que la Constitution garantit, le cinquième alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée (ordonnance n° 58-1067, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel N° Lexbase : L0276AI3) et le deuxième alinéa de son article 23-5 précisent l'articulation entre le contrôle de conformité des lois à la Constitution, qui incombe au Conseil constitutionnel, et le contrôle de leur compatibilité avec les engagements internationaux ou européens de la France, qui incombe aux juridictions administratives et judiciaires ; qu'ainsi, le moyen tiré du défaut de compatibilité d'une disposition législative aux engagements internationaux et européens de la France ne saurait être regardé comme un grief d'inconstitutionnalité".
(23) Jurisprudence constante depuis la décision IVG du 15 janvier 1975 (Cons. const., décision n° 74-54 du 15 janvier 1975 (N° Lexbase : A7569AHS). V. également la décision concernant la loi sur l'égalité des chances de 2006 (Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi sur l'égalité des chances N° Lexbase : A8313DN9). Solution confirmée dans la décision n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, préc..
(24) CE, 14 mai 2010, n° 312305, M. Rujovic (N° Lexbase : A1851EXT).
(25) Cons. const., décision n° 2010-3 QPC du 28 mai 2010, Union des familles en Europe (N° Lexbase : A6284EXZ), validant le troisième alinéa de l'article L. 211-3 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5420DKX) au regard, notamment, de la liberté d'association.
(26) Cons. const., décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, Consorts Labane (N° Lexbase : A6283EXY) et les obs. de Ch. Willmann, Le Conseil constitutionnel met fin à la "cristallisation" des pensions de retraite des ressortissants des anciennes colonies françaises, Lexbase Hebdo n° 397 du 3 juin 2010 - édition sociale (N° Lexbase : N2970BPP).
(27) Dernièrement Cass. soc., 5 mai 2010, n° 08-45.502, Société Nationale de télévision France 3, F-D (N° Lexbase : A0706EXG) : "d'une part, l'allégation de la société relative au niveau du coût de la vie plus élevé à Paris qu'en Province n'était fondée sur aucun élément objectif, et, d'autre part, [...] l'existence de taux d'abattement de 0,4 et 0,7 % selon les régions à partir du 31 décembre 2006, n'était pas justifiée, non plus que l'absence d'abattement dans certaines régions, la cour d'appel a exactement décidé que la différence de traitement subie par les salariés de l'établissement de Montpellier par rapport aux salariés d'autres établissements de France 3 qui exerçaient un même travail, ne reposait pas sur des raisons pertinentes". Lire nos obs. sous Cass. soc., 21 janvier 2009, 2 arrêts, n° 07-40.609, Société Bazar de l'Hôtel de Ville, F-D (N° Lexbase : A6445ECP) et n° 07-43.452, Société nationale de radiodiffusion Radio France, F-P+B (N° Lexbase : A6479ECX), La justification des inégalités salariales à l'épreuve de l'ancienneté et de l'appartenance à des établissements distincts, Lexbase Hebdo n° 336 du 5 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N4803BIQ).

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Sociétés

[Jurisprudence] Nullité des délibérations du conseil d'administration d'une SAS, un coup d'arrêt à la thèse de la "société-contrat" ?

Réf. : Cass. com., 18 mai 2010 n° 09-14.855, Société Française de gastronomie, FS-P+B+I+R (N° Lexbase : A3869EXL)

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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

Le 07 Octobre 2010

"La nullité des actes ou délibérations pris par les organes d'une société commerciale ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre II du même code ou des lois qui régissent les contrats". En rappelant, par ces termes, les dispositions de l'article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L6338AIL), la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient, le 18 mai 2010, de décider, dans un arrêt destiné à la plus grande publication (FS-P+B+I+R), de l'application de cette règle à une société par actions simplifiée (SAS).
La décision est d'importance car la SAS, telle qu'instaurée par la loi n° 99-587 du 12 juillet 1999 (N° Lexbase : L1179AR4), a été imaginée par le législateur comme une société essentiellement soumise à un régime contractuel. Sa structure souple devait ainsi permettre, en théorie, d'offrir une forme statutaire suffisamment allégée pour permettre au droit interne de devenir aussi attractif que celui des autres Etats membres de l'Union. Au delà de ces perspectives de politique législative, il reste que la doctrine, tout en soulignant l'intérêt pratique de cette nouvelle forme sociale, n'avait pas manqué de relever que la concision des textes donnerait sans doute lieu à d'amples développements jurisprudentiels. L'arrêt précité vient ainsi de lui donner raison en venant, fort opportunément, combler un des doutes qui pesait encore sur le fonctionnement de la SAS. Le juge du droit avait, en l'espèce, à répondre à un pourvoi formé par les associés d'une société dont les statuts et le règlement intérieur prévoyaient que la composition du conseil d'administration devait refléter celle de l'actionnariat. Cet équilibre ayant été rompu, l'un des deux actionnaires, sous-représenté, demandait l'annulation des délibérations. La question posée donc était celle de la sanction de la force obligatoire des statuts et du règlement intérieur de la SAS, l'auteur du pourvoi prétendant, pacta sunt servenda, à la nullité des décisions prises en contrariété du pacte social à l'appui des dispositions de l'article 1134, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC).

Tout l'intérêt de l'arrêt repose, ainsi, sur le rejet de ce fondement par la Chambre commerciale, qui écarte la thèse du régime conventionnel (I) applicable aux nullités, pour y préférer le régime du droit commun des sociétés (II) prévu à l'article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce.

I - La thèse de l'encadrement contractuel du fonctionnement de la SAS

Placée, dès l'origine, sous le principe de l'organisation par les seuls associés, la SAS se caractérise par sa liberté statutaire, le pacte social permettant d'adapter le fonctionnement interne de la société aux spécificités de son exploitation. L'espèce fournissait l'exemple d'une représentation égalitaire des deux associés, le non-respect de cette parité débouchant, en principe, sur le prononcé de l'irrégularité des décisions (A). Au-delà, toutefois, du constat, par le juge du fait, de diverses irrégularité, les statuts ne stipulaient pas en matière de nullité, ce qui posait la question de la nature de leur sanction (B).

A - Le constat, en fait, de l'irrégularité des décisions

C'est dans le cadre d'une SAS constituée en fonction des dispositions de la loi du 3 janvier 1994 (loi n° 94-1 N° Lexbase : L2852AWK) que la société Larzul a été créée, son capital étant réparti, par parts égales, entre deux sociétés nommées Vectora et Française De Gastronomie (FDG). Ses statuts et son règlement intérieur avaient prévu, en conséquence de la forme de filiale commune retenue, une représentation paritaire aux organes de la société. Le règlement intérieur de la société instituait, ainsi, une structure du conseil d'administration strictement égalitaire prévoyant en son article 2 que "les associés conviennent que le nombre d'administrateurs désigné par chacun d'entre eux devra refléter leur parité dans la répartition du capital".

En vertu de l'article 14 des statuts, enfin, le conseil d'administration, composé de quatre à six membres choisis par les associés ou en dehors d'eux s'était vu attribuer la faculté (article 14 V), en cas de vacance de sièges, de procéder à des nominations à titre provisoire, chaque administrateur disposant d'une voix, étant précisé "qu'en cas de partage, la voix du président n'est pas prépondérante" en illustration du principe de parité susmentionné (cf. moyens annexés).

La contestation qui donne lieu à l'affaire présentée naît lorsque l'un des deux administrateurs représentant la société FDG démissionne et que le conseil d'administration de la société Larzul, réduit à trois membres, se réunit par deux fois, les 22 mai et 12 septembre 2007, prenant à ces deux occasions des décisions emportant l'arrêt d'une branche d'activité de la SAS.
La société FDG, contestant cette décision, assigne alors la société Larzul ainsi que son président, demandant l'annulation de la délibération du conseil d'administration du 12 septembre 2007, de la décision d'arrêt d'activité et des procès-verbaux des deux réunions. L'affaire étant portée devant la cour d'appel de Rennes, cette dernière déboute la société FDG de sa demande, le 17 mars 2009.

C'est, donc, sur le fondement des dispositions de l'article 1134, alinéa 1er, du Code civil que la société FDG forme un pourvoi en cassation dans lequel elle invoque la violation des stipulations des statuts et du règlement intérieur de la SAS.

Cette position, fondée sur le grief de dénaturation des statuts et du règlement intérieur, était étayée par une analyse combinée des mécanismes encadrant le fonctionnement de la SAS rapprochant respectivement :
- l'article 14 a) I des statuts, qui prévoyait que le conseil d'administration devait être composé de quatre membres au moins, (alors, qu'en l'espèce les deux réunions contestées s'étaient tenues avec seulement trois administrateurs) ;
- l'article 2 du règlement intérieur, qui imposait le reflet de la représentation de ses membres en fonction de la parité dans le capital (parité qui, en conséquence, n'avait pu être respectée alors que seuls trois membres avaient siégé) ;
- l'article 14, b) II, du même règlement précisant que la voix du président de séance n'était pas prépondérante en cas de partage (il s'agissait, là, de souligner la force du principe d'égalité des votes) ;
- et l'article 14, a) IV, (ibid.) qui, en cas de vacance d'un administrateur, prévoyait la possibilité d'en désigner un autre, à titre provisoire, les associés représentant 20 % du capital social pouvant saisir, "sur le champ", une assemblée générale aux fins de désignation (ce dernier argument devant, sans doute, selon la société FDG, convaincre de l'importance que les fondateurs accordaient au respect de la représentation paritaire au conseil d'administration).

La société FDG se fondait, ainsi, sur le non-respect de ces différentes stipulations qui, en l'espèce, avaient été relevées par la cour d'appel. Il n'était, ici, nul besoin d'interpréter les statuts pour établir l'irrégularité des délibérations mais, en revanche, la demande étant portée sur le terrain de la nullité, c'est sur ce seul point de droit que la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait à se prononcer.

B - La question de la sanction contractuelle de l'irrégularité

Incidemment se trouvait, alors, posée la question de la soumission du fonctionnement de la SAS à un régime contractuel. L'alternative en résultant se résumait assez simplement. La thèse de la société FDG sous-tendait que, le fonctionnement de la société étant soumis à un régime contractuel, le non respect des stipulations des statuts et du règlement intérieur devait entraîner l'annulation des délibérations contestées. A l'inverse, il était possible d'écarter cette vision fort contractuelle du régime applicable aux SAS et de soumettre le fonctionnement de cette dernière aux dispositions du droit commun des sociétés, avec le souci, en filigrane, de trancher dans la question de l'intensité du régime contractuel attaché à la liberté statutaire de la SAS.

Pour en revenir à la source du droit des affaires, la question de l'opposition entre la vision de la "société-institution" et de celle de la "société-contrat" semblait pourtant tranchée depuis la modification de l'article 1832 du Code civil (N° Lexbase : L2001ABQ), par loi n° 85-697 du 11 juillet 1985 (N° Lexbase : L2051A4Q) : "la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent, par un contrat, d'affecter à une entreprise commune [...]". Ainsi, si l'hypothèse de la "société-contrat" n'est pas expressément écartée -notamment pour la société en participation-, le législateur a clairement indiqué que, si le contrat est bien le cadre juridique de la formation de la société, cette dernière est, ensuite, instituée par convention ce qui suppose que son fonctionnement relève d'un régime institutionnel. Ainsi, si le débat a persisté après la loi de 1985 précitée sur le point de savoir si la société est un contrat ou une institution, il n'y avait, en principe, pas lieu à querelle, en ce qui concernait ses principes généraux de fonctionnement.

L'instauration de la SAS, notamment depuis la loi du 12 juillet 1999 a, cependant, pu ébranler les certitudes que la nouvelle rédaction de l'article 1832 semblait avoir consolidées. La doctrine a pu parler, à ce titre, d'un mouvement de "contractualisation" du droit des sociétés (Ph. Merle, Droit commercial, Sociétés commerciales, Dalloz, 12ème éd., 2008, n° 21). Pour autant, si c'est incontestablement sous l'égide de la liberté contractuelle que l'élaboration des statuts a été placée, les incertitudes sont demeurées quant au fonctionnement de la SAS sous cet encadrement. Autrement dit, cette forme de société, parce que régie par une organisation contractuelle, voyait-elle son fonctionnement suivre, par voie de conséquence, un régime conventionnel ? Telle était la thèse, en définitive, de la société FDG. Ce n'est pas celle, pourtant, que la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient de retenir, du moins s'agissant des nullités des délibérations. Par une substitution de motifs de pur droit à ceux qui étaient produits par l'auteur du pourvoi, elle soumet indiscutablement les mécanismes de nullité des délibérations aux dispositions de l'article L. 235-1, alinéa 2, du Code de commerce. Ainsi, le non respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n'est pas sanctionné par la nullité, résultat de la lecture a contrario du texte précité. Le pourvoi de la société FDG sera, ainsi, rejeté.

II - Droit commun des sociétés et nullité des actes et décisions prises par les organes des SAS

La Chambre commerciale s'étant prononcée pour l'application du droit commun des sociétés (A), par préférence au droit commun des contrats, se pose, ainsi, la question du périmètre de l'ordre public statutaire (B) applicable aux SAS.

A - Le régime de droit commun applicable aux SAS par subsidiarité

La subsidiarité du régime de droit commun, que vient de mettre en évidence le juge du droit, n'est pas pour autant le fruit d'une révolution prétorienne. Il suffira, en effet, de se rappeler que de façon subsidiaire, le fonctionnement des SAS est stratifié. Il est régi, d'abord, par des dispositions propres, aux articles L. 227-1 (N° Lexbase : L2477IBD) à L. 221-20 du Code de commerce, puis, en cas de silence de ces textes, par les règles relatives aux sociétés anonymes ou, lorsque ces derniers sont eux-mêmes silencieux, par le droit commun des sociétés, puis, enfin, en tant que de besoin, par le droit commun des contrats.

Révélée par les textes, et notamment par l'alinéa 3 de l'article L. 227-1, le principe est consacré par la phrase suivante : "dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières [relatives à la SAS] les règles concernant les sociétés anonymes, à l'exception des articles L. 225-17 (N° Lexbase : L5888AIW) à L. 225-126 et L. 225-243 (N° Lexbase : L6114AIB), sont applicables à la société par action simplifiée". Implicitement, cela signifie, également, que lorsque qu'aucune disposition ne régit spécifiquement les sociétés anonymes, c'est que le droit commun des sociétés s'applique, ainsi qu'il en est en matière de nullités, comme en l'espèce, qui sont encadrées par l'article L. 235-1 du Code de commerce.

Il faut le reconnaître, la rédaction de cet alinéa est perfectible : en effet, s'il est aisé de comprendre que les dispositions des articles L. 227-1 et suivants, concernant la SAS, permettent d'écarter les règles relatives à la société anonyme et, donc au droit commun des sociétés, l'articulation entre les deux régimes peut laisser perplexe. Le principe est posé, en effet, de la liberté contractuelle mais qu'en sera-t-il de la situation lorsque le régime de la SA ne sera pas compatible avec les statuts de la SAS, et non plus avec les dispositions qui la régissent ?

Des auteurs, d'ailleurs, avaient cerné, depuis longtemps, cette sorte de péril statutaire : "le silence et l'imperfection des statuts peuvent poser des problèmes auxquels le droit commun des sociétés n'apporte pas toujours de solutions claires [...]. Sur diverse questions (alerte, mouvements de capital, nullités etc..), l'absence de règles supplétives ou l'imprécision des règles légales [...], sont appelées à susciter un contentieux" (P. Le Cannu, B. Dondero, Droit des sociétés, Montchrestien, 3ème éd., 2009, n° 958). L'arrêt du 18 mai dernier, au moins, fera disparaître une des incertitudes ici soulignée : désormais, en matière de nullité ce sera l'article L. 235-1 qui sera applicable aux SAS même si la solution ne ressortait pas d'évidence. Les mêmes auteurs plaidaient récemment, en effet, pour la mise en oeuvre d'un régime plus nuancé en matière de nullités, avançant qu'"il serait logique que la jurisprudence admette l'annulation, au pouvoir du juge, des actes contraires aux clauses des statuts qui sont d'application nécessaire" (op.cit, loc. cit.). Ils soulignaient, toutefois, que ce point pouvait être discuté "puisque plusieurs articles relatifs à la SAS fulminent des nullités" (ibid.). La remarque invite, dès lors, à s'interroger sur les limitations à la liberté contractuelle, qui apparaissent face à la persistance d'un ordre public statutaire issu du régime de la SA.

B - L'ordre public statutaire, régime sous-jacent au fonctionnement des SAS

Le régime de liberté contractuelle dans la SAS, et ce point a déjà été souligné, semble davantage concerner l'élaboration des statuts que leur fonctionnement. Quant à cette liberté, elle semble, elle-même, largement encadrée, un régime de nullité étant attaché à la violation de certaines dispositions. En ce sens, l'article L. 227-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L2484IBM) établit, que, si les statuts déterminent librement le fonctionnement interne de ce type de société, (alinéa 1er), certaines attribution dévolues aux assemblées générales ordinaires et extraordinaires des sociétés anonymes sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés (alinéa 2) -en substance, modification de capital, fusion, scission, dissolution, transformation, nomination des commissaires aux comptes, assemblées sur les comptes-.

Le texte ainsi est d'importance, puisqu'il limite considérablement le jeu des stipulations statutaires, prévoyant, par ailleurs, en son alinéa 3 que les dispositions qui pourraient être prises en violation des dispositions précédentes peuvent être annulées à la demande de tout intéressé. Il en va semblablement des termes de l'article L. 227-15 du Code de commerce (N° Lexbase : L6170AID) qui dispose que toute cession effectuée en violation des clauses statutaire est nulle. L'enseignement qu'apporte la lecture de ces deux articles est, ainsi, celui de la nécessité de demeurer circonspect quant à l'orientation donnée par le législateur au jeu de la liberté contractuelle, qu'on aurait pu croire érigé en dogme : il existe bien, dans la SAS un forme d'ordre public statutaire sous-jacent.

Comment saurait-il en être autrement, d'ailleurs, alors que, hormis les textes précités, les associés sont libres d'organiser la société à leur gré, avec toutes les chausse-trappes que l'utilisation débridée de cette liberté suppose, autant de pièges pour les associés que pour les tiers. En l'espèce, le pacte social de la SAS qui fournissait un cadre au litige, présentait des caractéristiques de fonctionnement qui semblaient rendre inévitable l'intervention du juge, ne serait-ce qu'en raison des risques de blocage qu'il portait en germe. Le fonctionnement de ses organes, limité par l'égalité stricte des votes (sans voix prépondérante) et de la représentation paritaire des deux associés au conseil d'administration, aurait de facto, compte tenu des dissensions relevées entre les deux associés, conduit à une paralysie de la société.

Ces considérations, toutefois, n'ont pu orienter, nous semble-t-il, le raisonnement du juge du droit. En dehors de leur caractère purement factuel que la Cour régulatrice ne saurait même examiner, il apparaît, en effet, que la substitution de motif, d'une part, et la publication très large de l'arrêt (P+B+I+R), d'autre part, attestent du souhait de la Chambre commerciale de donner une solution pérenne au problème des nullités dans les SAS.

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Marchés publics

[Doctrine] Chronique de droit communautaire - Avril et Mai 2010

Lecture: 14 min

N2995BPM

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par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 21 Octobre 2011

Lexbase Hebdo - édition publique vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique d'actualité en matière de marchés publics, réalisée par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV. La Cour de justice de l'Union européenne est venue préciser le champ d'application de l'obligation de transparence qui découle de la jurisprudence "Telaustria", qui relevait en effet que cette obligation "consiste à garantir [...] un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché des services à la concurrence" (CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH c/ Telekom Austria AG N° Lexbase : A1916AWU) dans deux arrêts rendus au mois d'avril 2010 (CJUE, 13 avril 2010, aff. C-91/08, Wall AG c/ Ville de Francfort-sur-le-Main ; CJUE, 29 avril 2010, aff. C-160/08, Commission européenne c/ République fédérale d'Allemagne). Peu après ces décisions, au cours du mois de mai, dans une affaire d'aides d'Etat, la Cour de Luxembourg a admis que certaines garanties du contentieux administratif français ne méconnaissaient pas le principe d'effectivité du droit de l'Union européenne (CJUE, 20 mai 2010, aff. C-210/09, Scott SA et Kimberly Clark SAS c/ Ville d'Orléans).
  • Concessions de service public : précisions sur le champ d'application de l'obligation de transparence et sur les conséquences de la violation de cette obligation (CJUE, 13 avril 2010, aff. C-91/08, Wall AG c/ Ville de Francfort-sur-le-Main N° Lexbase : A6543EUU)

La ville de Francfort avait conclu avec la société Fes un contrat de concession de services relatif à l'exploitation de toilettes publiques urbaines pour une durée de seize années. Sur ces onze toilettes publiques, deux d'entre elles devaient être reconstruites. La contrepartie de ces prestations était limitée au droit de percevoir une redevance pour l'utilisation des installations, ainsi que d'exploiter, pendant la durée du contrat, des espaces publicitaires situés sur, et dans les toilettes, ainsi que dans d'autres lieux publics du territoire de la ville de Francfort. Le contrat stipulait qu'un changement de sous-traitant n'était autorisé qu'avec le consentement de la ville. L'entreprise Wall qui s'était, par ailleurs, portée candidate pour l'obtention de cette concession était désignée dans le contrat comme sous-traitant de la société Fes. Par la suite, cette dernière a choisi de changer de sous-traitant et, conformément au contrat, a sollicité l'autorisation de la ville. Pour ce qui concerne l'utilisation du matériel publicitaire, la ville a clairement consenti au changement de sous-traitant et, pour la construction des toilettes publiques, a répondu à la société Fes qu'elle ne devait pas être saisie de la question du changement de sous-traitant pour les toilettes publiques, puisqu'elle considérait que cette dernière souhaitait désormais réaliser les travaux par ses propres moyens et sous sa seule responsabilité. L'entreprise Wall a, bien évidemment, contesté devant les juridictions allemandes les changements de sous-traitant opérés. Dans la mesure où les conditions d'exécution du contrat de concession avaient été modifiées, il s'agissait de savoir s'il convenait d'entamer une nouvelle procédure d'attribution.

En application d'une jurisprudence désormais traditionnelle (CJCE, 7 décembre 2000, aff. C-324/98, Telaustria Verlags GmbH et Telefonadress GmbH c/ Telekom Austria AG, Rec., p. I-10745), la Cour de justice a, tout d'abord, logiquement rappelé qu'une telle concession n'était, certes pas régie par la législation de l'Union relative à la commande publique, mais qu'elle devait respecter les règles fondamentales du Traité relatives au marché intérieur et, spécialement, le principe de la libre prestation de services. L'obligation de transparence qui en découle, impose "que soit garanti, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture de la concession de services à la concurrence, ainsi que le contrôle de l'impartialité des procédures d'attribution" (point n° 36).

Reprenant sa jurisprudence applicable aux marchés publics (CJCE, 19 juin 2008, aff. C-454/06, Pressetext Nachrichtenagentur GmbH c/ Republik Osterreich N° Lexbase : A2000D9X), la Cour de justice estime, ici, qu'"en vue d'assurer la transparence des procédures et l'égalité de traitement des soumissionnaires, des modifications substantielles, apportées aux dispositions essentielles d'un contrat de concession de services, pourraient appeler, dans certaines hypothèses, l'attribution d'un nouveau contrat de concession lorsqu'elles présentent des caractéristiques substantiellement différentes de celles du contrat de concession initial et sont, en conséquence, de nature à démontrer la volonté des parties de renégocier les termes essentiels de ce contrat" (point n° 37). Elle rappelle, également, que "la modification d'un contrat de concession de services en cours de validité peut être considérée comme substantielle lorsqu'elle introduit des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure d'attribution initiale, auraient permis l'admission de soumissionnaires autres que ceux initialement admis ou auraient permis de retenir une offre autre que celle initialement retenue" (point n° 38). Il s'agit là de la première nouveauté, bien que sans surprise, de cet arrêt.

Surtout, dans l'application de ce principe, la Cour se montre peu soucieuse du principe de l'autonomie de la volonté des cocontractants puisqu'elle estime qu'"un changement de sous-traitant, même lorsque la possibilité en est prévue dans le contrat, peut, dans des cas exceptionnels, constituer une telle modification de l'un des éléments essentiels du contrat de concession lorsque le recours à un sous-traitant plutôt qu'à un autre a été, compte tenu des caractéristiques propres de la prestation en cause, un élément déterminant de la conclusion du contrat, ce qu'il appartient en tout état de cause à la juridiction de renvoi de vérifier" (point n° 39). La CJUE se montre ici peu cohérente car, il est certes exact que la société Wall était désignée par le contrat comme le sous-traitant, mais, dans le même temps, le contrat lui-même prévoyait la possibilité de changer de sous-traitant. Dès lors, cette société ne pouvait être considérée, en soi, comme un élément déterminant de la conclusion du contrat. Cette solution de la Cour de justice est finalement très (trop ?) exigeante. Non seulement, il y a matière à procédure à une nouvelle mise en concurrence lorsqu'il y a cession de contrat par le cocontractant de l'administration (1) mais, également, simplement lorsqu'il y a changement de sous-traitant. En outre, la faculté du changement était, en l'espèce, stipulée dans le contrat... La loi des parties n'est donc plus la loi du contrat.

Il était ensuite demandé à la Cour de justice de juger si la société Fes pouvait être liée par l'obligation de transparence qui découle de la jurisprudence "Telaustria". Logiquement, la Cour se réfère à la notion de pouvoir adjudicateur telle qu'elle découle, notamment, de la Directive (CE) 92/50 du 18 juin 1992, portant coordination des procédures de passation des marchés publics de services (N° Lexbase : L7532AUI) (2). Deux critères sont alors déterminants : il s'agit d'examiner si l'entité en cause est placée sous le contrôle effectif d'une autorité publique et si elle n'opère pas en situation de concurrence sur le marché. Il s'agit de critères cumulatifs car la Cour a déjà jugé que le fait qu'une entité agisse dans le secteur concurrentiel n'avait pas pour conséquence de lui enlever sa qualification d'organisme public (CJCE, 10 novembre 1998, aff. C-360/96, Gemeente Arnhem et Gemeente Rheden c/ BFI Holding BV N° Lexbase : A1887AWS, Rec. p. I-6821).

Le critère du contrôle effectif d'une autorité publique s'apprécie in concreto (3). En l'espèce, la société Fes est détenue à 51 % par la ville de Francfort, mais n'est pas sous son contrôle, notamment en raison des procédures de décision à l'assemblée générale et au conseil de surveillance de la société. S'agissant de la seconde condition, elle n'est pas non plus remplie dans la mesure où plus de la moitié du chiffre d'affaires de cette société est réalisée grâce à des contrats commerciaux.

La juridiction nationale demandait enfin à la Cour de justice si l'obligation de transparence impose aux autorités nationales de résilier un contrat conclu en violation de ladite obligation de transparence, et aux juridictions nationales d'accorder au soumissionnaire dont l'offre n'a pas été retenue le droit d'obtenir une injonction visant à prévenir une violation imminente ou à faire cesser une violation déjà intervenue de cette obligation.

L'on sait que, pour les contrats régis par la Directive (CE) 2004/18 du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (N° Lexbase : L1896DYU) (4) et la Directive (CE) 2004/17 du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des services postaux (N° Lexbase : L1895DYT) (5), il existe des Directives "recours" (Directive (CE) 89/665 du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux N° Lexbase : L9939AUN (6) et Directive (CE) 92/13 du 25 février 1992, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l'application des règles communautaires sur les procédures de passation des marchés des entités opérant dans les secteurs de l'eau, de l'énergie, des transports et des télécommunications N° Lexbase : L7561AUL (7)), qui ont d'ailleurs été révisées, afin d'améliorer leur efficacité, par la Directive (CE) 2007/66 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2007 (N° Lexbase : L7337H37).

Les concessions de service public n'entrent donc pas dans le champ des Directives "recours". La Cour de justice ne peut donc que réitérer une jurisprudence fort classique relative à l'autonomie procédurale des juridictions nationales et à son encadrement (CJCE, 16 décembre 1976, aff. C-33/76, Rewe Zentralfinanz EG et Rewe Zentral AG c/ Lanwirtschatskammer fuer das Saarland N° Lexbase : A7216AUS, Rec., p. 1989 ; CJCE, 16 décembre 1976, aff. C-45/76, Comet BV c/ Productschap voor Sieegewasen N° Lexbase : A7206AUG, Rec., p. 2043). En l'absence de réglementation de l'Union, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque Etat membre de régler les voies de droit destinées à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l'Union. Mais de telles voies ne doivent pas être moins favorables que les voies similaires de nature interne (principe de l'équivalence) et ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité) (CJCE, 13 mars 2007, aff. C-432/05, Unibet (London) Ltd c/ Justitiekanslern N° Lexbase : A6516DUU). Dès lors, la Cour en conclut logiquement que "l'obligation de transparence en découlant n'imposent pas aux autorités nationales de résilier un contrat, ni aux juridictions nationales d'accorder une injonction dans chaque cas d'une prétendue violation de cette obligation lors de l'attribution de concessions de services" (point n° 65).

  • La soumission des services de secours au droit européen de la commande publique (CJUE, 29 avril 2010, aff. C-160/08, Commission européenne c/ République fédérale d'Allemagne N° Lexbase : A7851EWP)

Dans cet arrêt en manquement, l'Allemagne avait été poursuivie par la Commission au motif qu'elle aurait méconnu le droit de l'Union relatif à la commande publique en matière de service de secours (transport d'urgence et transport de secours). En Allemagne, dans le domaine des services publics de secours, les collectivités locales concluent, en leur qualité d'autorités responsables de l'organisation de ces services, des contrats avec des prestataires en vue de la fourniture desdits services à l'ensemble de la population du territoire de leur ressort. Or, il était reproché à cet Etat que ces marchés de services publics de transport sanitaire ne font, en règle générale, pas l'objet d'un avis de marché publié au niveau de l'Union européenne et ne sont pas attribués dans la transparence.

Pour examiner s'il y avait bien manquement, la Cour de justice devait d'abord examiner si l'Allemagne pouvait se prévaloir des exceptions prévues par les Traités au principe de la libre prestation de services. En effet, dans la mesure où l'obligation de transparence qui pèse sur les pouvoirs adjudicateurs découle du principe de la libre prestation de service, les Etats peuvent faire valoir de telles exceptions pour échapper à cette obligation. Echappent, ainsi, au principe, "les activités participant dans cet Etat, même à titre occasionnel, à l'exercice de l'autorité publique" .

Conformément à une jurisprudence à maints égards classique, la Cour de justice rappelle que les "dérogations aux règles fondamentales de la liberté d'établissement et de la liberté de prestation de services, les articles 45 CE et 55 CE doivent recevoir une interprétation qui limite leur portée à ce qui est strictement nécessaire pour sauvegarder les intérêts que ces dispositions permettent aux Etats membres de protéger" (point n° 76). Elle a ensuite rejeté tous les arguments de l'Allemagne tendant à démontrer que les activités de secours relevaient de l'exercice de l'autorité de secours. Ni la protection de la santé publique, ni l'utilisation des gyrophares, ou sur le droit de passage prioritaire, l'indispensable collaboration entre les services de secours et les services de police, n'ont paru pertinents à la Cour de justice.

Celle-ci ne pourra, toutefois, pas conclure à la violation par l'Allemagne des règles du Traité pour des raisons procédurales liées aux maladresses commises par la Commission durant la phase précontentieuse de l'action en manquement. Pour le reste, l'Allemagne a reconnu, en ne publiant pas d'avis concernant les résultats de la procédure de passation des marchés, avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 10 de la Directive (CE) 92/50, lu en combinaison avec l'article 16 de cette Directive, ou, depuis le 1er février 2006, en vertu de l'article 22 de la Directive (CE) 2004/18, lu en combinaison avec l'article 35, paragraphe 4, de cette Directive, dans le cadre de la passation de marchés de services publics de transport médical d'urgence et de transport sanitaire.

Il demeure, toutefois, surprenant que l'Allemagne n'ait pas tenté de se défendre sur le terrain de l'exception de l'article 46 CE également applicable aux services en vertu de l'article 55 CE, voire des raisons impérieuses d'intérêt général. Cette éventualité a été admise par la Cour de justice dans une affaire où était en cause un marché public de services sanitaires de thérapies respiratoires à domicile (CJCE, 27 octobre 2005, aff. C-234/03, Contse SA, Vivisol Srl, Oxigen Salud SA c/ Instituto Nacional de Gestión Sanitaria (Ingesa), anciennement Instituto Nacional de la Salud (Insalud) N° Lexbase : A0981DLW, Rec., p. I-9315). Reste qu'il est difficile de passer le test de proportionnalité qui est imposé pour justifier la restriction.

L'Allemagne s'était, en revanche, prévalue de l'article 86, paragraphe 2 CE , selon lequel "les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des Traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie". La Cour de justice avait déjà eu l'occasion de juger que les services de secours constituaient des services d'intérêt économique général (CJCE, 25 octobre 2001, aff. C-475/99, Firma Ambulanz Glöckner c/ Landkreis Südwestpfalz N° Lexbase : A1515EYR).

L'Allemagne avait plaidé devant la Cour la nécessité d'assurer, en matière de services de transport sanitaire, un subventionnement croisé entre les zones géographiques rentables et moins rentables en fonction de la densité de population. Elle avait, également, mis l'accent sur l'importance d'un service de proximité et de la collaboration avec les autres services impliqués dans les missions de secours, ce qui implique la mise à disposition de personnels résidant près des lieux d'intervention et facilement mobilisables en cas d'urgence ou de catastrophe. Toutefois, pour la Cour de justice, cette argumentation ne permet pas de démontrer en quoi l'obligation d'assurer la publicité des résultats de l'attribution du marché concerné serait de nature à faire échec à l'accomplissement de cette mission d'intérêt économique général.

  • Les conséquences de l'illégalité d'un acte national ordonnant la récupération d'une aide illégale (CJUE, 20 mai 2010, aff. C-210/09, Scott SA et Kimberly Clark SAS c/ Ville d'Orléans N° Lexbase : A4817EXP)

La ville d'Orléans avait fait bénéficier la société Scott SA de certains avantages qui avaient été qualifiés d'aides illégales par la Commission. En application de cette décision, la ville a émis trois titres de recette afin d'obtenir la récupération des aides. Ces titres ont fait l'objet d'un recours devant le tribunal administratif d'Orléans qui les a rejetés. Ce jugement a été exécuté et les aides ont été restituées. Toutefois, la société Scott SA a fait appel et a soulevé un vice de forme des titres de recette. En effet, les nom et prénom du signataire de l'acte n'étaient pas mentionnés, contrairement aux exigences de l'article 4 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000, relative au droit des citoyens dans leurs relations avec les administrations (N° Lexbase : L0380AIW). La cour administrative d'appel de Nantes a, toutefois, interrogé la Cour de justice sur la compatibilité d'une telle annulation pour vice de forme avec les exigences de l'article 14, paragraphe 3, du Règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999, portant modalités d'application de l'article 93 du Traité CE (N° Lexbase : L4215AUN) (9), selon lequel "sans préjudice d'une ordonnance de la Cour de justice des Communautés européennes prise en application de l'article, la récupération s'effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l'Etat membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. À cette fin, et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les Etats membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire".

Pour la Cour de justice, le Règlement laisse les Etats libres de déterminer les procédures à suivre pour le recouvrement de l'aide à la condition, toutefois, que celle-ci soit finalement effective. Il s'agit donc d'une expression ponctuelle du principe d'effectivité qui encadre l'autonomie procédurale des Etats membres tant au niveau juridictionnel qu'au niveau administratif. C'est donc à l'aune de ce principe qu'il convient d'examiner les règles françaises du contentieux administratif relatives au vice de forme.

La Cour se montre d'emblée assez bienveillante car elle estime, tout d'abord, que "le contrôle, par le juge national, de la légalité formelle d'un titre de recette émis pour la récupération d'une aide d'Etat illégale et l'éventuelle annulation de ce titre, au motif que les exigences résultant de l'article 4 de la loi n° 2000-321 n'ont pas été respectées, doivent être considérés comme la simple émanation du principe de protection juridictionnelle effective constituant, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, un principe général du droit de l'Union" (point n° 25). Mais elle rappelle aussi que l'annulation du titre de recette aurait logiquement pour conséquence de permettre au bénéficiaire de l'aide d'obtenir le remboursement des sommes acquittées en exécution de ce titre, autrement dit "la restitution de la restitution". La Cour précise logiquement que, "si l'annulation des titres de recette en cause devait entraîner, même provisoirement, le reversement de l'aide déjà restituée par les bénéficiaires de celle-ci, ces dernières disposeraient, de nouveau, des sommes provenant des aides déclarées incompatibles avec le marché commun et bénéficieraient de l'avantage concurrentiel indu en résultant. Ainsi, le rétablissement immédiat et stable de la situation antérieure serait compromis et l'avantage concurrentiel indu serait rétabli au profit des requérantes au principal" (point n° 31).

Mais le Gouvernement français avait précisé devant la Cour de justice qu'un tel vice de forme pouvait faire l'objet d'une régularisation. Dès lors, la Cour estime que, s'il n'y a pas "restitution de la restitution", l'annulation du titre de recette n'est pas contraire au principe d'effectivité tel qu'il est énoncé à l'article 14, paragraphe 3 du Règlement (CE) nº 659/1999. Il convient de préciser qu'un vice de forme ne peut, en lui-même, faire l'objet d'une régularisation (10). Les formalités imposées par l'article 4 de la loi du 12 avril 2000 revêtent, en effet, un caractère substantiel, selon la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE 2° et 7° s-s-r., 27 juillet 2005, n° 271637, Martineau N° Lexbase : A1494DKK). L'administration ne peut donc pas régulariser l'acte, mais peut toujours émettre un nouveau titre de recette pendant la durée de l'instance. Contrairement à ce qui est affirmé dans l'arrêt de la Cour à la suite des observations du Gouvernement français, ce n'est donc pas l'acte en lui-même qui est susceptible d'être régularisé, mais la demande de restitution. La flexibilité du contentieux administratif s'inscrit donc dans les exigences du principe d'effectivité.

Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) P. Proot, Cession de contrat : où en est-on un an et demi après l'arrêt Pressetext ?, JCP éd. A, 2010, n° 2071.
(2) JOCE n° L 209, p. 1.
(3) Voir, au sujet des organismes français d'habitations à loyer modéré qui entrent dans la catégorie des organismes publics : CJCE, 1er février 2001, aff. C-237/99, Commission des Communautés européennes c/ République française (N° Lexbase : A0296AWU), Rec. p. I-939.
(4) JOCE n° L 134 du 30 avril 2004, p. 114.
(5) JOCE n° L 134 du 30 avril 2004, p. 1.
(6) JOCE n° L 395 du 30 décembre 1989, p. 33.
(7) JOCE n° L 76 du 23 mars 1992, p. 14.
(8) JOCE n° L 335 du 20 décembre 2007, p. 31.
(9) JOCE n° L 083 du 27 mars 1999, p. 1.
(10) P.-L. Frier, Vice de forme, Rép. Dalloz, contentieux administratif, spéc. n° 113.

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Santé

[Questions à...] Gestation pour autrui, le CCNE rend sa copie - questions à Claire Legras, Maître des requêtes au Conseil d'Etat, membre du CCNE et rapporteur de l'avis

Réf. : Avis CCNE, n° 110, du 6 mai 2010, Problèmes éthiques soulevés par la gestation pour autrui (GPA) (N° Lexbase : X7309AGS)

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par Anne-Laure Blouet Patin, Directrice de la rédaction

Le 07 Octobre 2010

La gestation pour autrui est sur le devant de la scène depuis quelques mois maintenant : entre l'affaire "Mennesson" (1) et la révision des lois de bioéthiques (2), la question est d'importance. Faut-il légaliser la pratique de la gestation pour autrui ? Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'est donc auto saisi sur ce sujet. Depuis son avis rendu en 1984 (3) sur les problèmes éthiques nés des techniques de reproduction artificielle, le Comité n'est pas revenu sur sa position en matière de gestation pour autrui (GPA), c'est-à-dire concernant le recours aux mères porteuses. Pourtant l'opinion publique, la composition de la cellule familiale, la science et les législations des Etats tiers ont évolué ces dernières années, et plus particulièrement concernant la gestation pour autrui et le recours à des mères de substitution. Dans son avis rendu public le 6 mai 2010, les Sages éthiques estiment que la GPA doit être regardée comme étant à la fois une technique d'assistance médicale à la procréation (AMP) et un facteur de profonde transformation des structures familiales. Et, dans le cadre du débat qui s'est tenu, les membres du Comité sont apparus partagés sur l'opportunité de maintenir l'interdiction actuelle ou de lui apporter des dérogations ou des exceptions. Pour faire le point sur cet avis, et l'enjeu d'une telle question concernant la GPA, Lexbase Hebdo - édition privée générale a rencontré Claire Legras, Maître des requêtes au Conseil d'Etat, membre du CCNE et rapporteur de l'avis.

Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler le régime juridique applicable, aujourd'hui, à la gestation pour autrui ?

Claire Legras : Les premières initiatives organisées de maternité de substitution sont apparues en France dans les années 1980, à une époque où on ne pratiquait pas la fécondation in vitro. Elles ont été organisées à la suite de la création de deux associations mettant en relation des couples infertiles et des femmes susceptibles, après insémination par le sperme du conjoint, de mener à bien la grossesse et de remettre l'enfant à sa naissance. Dans ce qu'il est à présent convenu d'appeler la procréation pour autrui, la mère porteuse était donc à la fois génitrice et gestatrice et la mise en oeuvre de la technique ne nécessitait pas d'intervention médicale. Ces associations ont été interdites (Cass. civ 1, 13 décembre 1989, n° 88-15.655 N° Lexbase : A7586AHG), sans que cette interdiction mette fin à des arrangements clandestins entre des couples et des femmes porteuses. La pratique a toutefois été fortement remise en cause par un arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 31 mai 1991 (Ass. plén., 31 mai 1991, n° 90-20.105 N° Lexbase : A7573AHX), qui a jugé que la convention par laquelle une femme s'engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l'abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain qu'à celui de l'indisponibilité de l'état des personnes et en a déduit que l'adoption d'un enfant né d'une mère porteuse par l'épouse du père biologique ne pouvait être prononcée, car elle constituerait un détournement de l'institution. Le législateur de 1994 a, ensuite, sanctionné pénalement le fait de s'entremettre entre un couple désireux d'accueillir un enfant et une mère porteuse (C. pén., art. 227-12 N° Lexbase : L1787AM7). Il a, en outre, déclaré la nullité de toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui (C. civ., art. 16-7 N° Lexbase : L1695ABE). En 2004, la question n'a pas fait l'objet de débats lors des travaux qui ont abouti à la loi du 6 août 2004. On pouvait alors avoir le sentiment que la prohibition, qui englobait toutes les formes de gestation ou de procréation pour autrui, correspondait en France à un consensus.

Lexbase : La question de la légalisation de la GPA revient de manière récurrente ces derniers temps. Selon vous, quelles sont les raisons de cette résurgence ?

Claire Legras : D'un point de vue juridique, l'on pourrait dire que cela coïncide avec l'approche imminente de la révision des lois de bioéthique.

De plus, comme l'a souligné le Comité dans son avis n° 105, on constate au sein de la société une exigence croissante d'autonomie, notamment au regard des choix de vie des individus.

Cette résurgence peut également trouver une explication dans une perspective médicale, par la faculté qu'elle offre à des couples infertiles d'obtenir des enfants issus de leurs propres gamètes en combinant la GPA avec une fécondation in vitro. Il existe, en effet, une demande spécifique de la part de femmes et de couples dont l'infertilité est liée à une malformation congénitale, à une intervention chirurgicale consécutive à un cancer ou à une hémorragie de la délivrance ou à une exposition in utero au diéthylstilbestrol.

Enfin, le contexte international n'est pas indifférent à cette résurgence.

En Europe, la gestation pour autrui, interdite en Allemagne, Autriche, Italie, Suisse et Espagne, est tolérée en Belgique, au Danemark et aux Pays-Bas et expressément réglementée en Grande-Bretagne et en Grèce. En outre, la liberté de circulation, jointe au développement d'un "baby business", permet à des couples français d'obtenir dans certains Etats des Etats-Unis mais aussi dans des pays comme l'Ukraine ou l'Inde, où des cliniques spécialisées fonctionnent au profit des étrangers, une fécondation in vitro suivie d'une GPA. Lorsque ces couples reviennent en France avec des enfants ainsi conçus, de délicats problèmes se posent pour établir la filiation de ceux-ci.

Lexbase : Quels arguments plaident en faveur du maintien actuel de la législation ?

Claire Legras : Une première série d'arguments procède de ce que la GPA pourrait mettre fin à la place de la grossesse et de l'accouchement en tant qu'élément prépondérant du lien maternel tissé avec l'enfant à naître dans toutes les formes de procréation assistée.

Cet effacement ou cette négation de l'influence de la grossesse et des relations entre la mère et l'enfant sur le devenir de celui-ci font redouter des conséquences dommageables pour ce dernier et pour les parents d'intention : si le premier, attendu et espéré par les seconds qui sont de plus ses géniteurs, n'est pas à proprement parler abandonné, on peut néanmoins s'interroger sur ce qui peut persister en lui de cette période de gestation. Il en est de même de l'intérêt de la gestatrice, prise entre deux écueils, d'une part, celui de vivre pleinement sa grossesse avec une probabilité d'attachement à l'enfant et de séparation douloureuse de celui-ci dès l'accouchement et, d'autre part, celui de devoir se forcer à un détachement dès le début de la grossesse, processus hasardeux dont on ne connaît pas toutes les conséquences sur son psychisme ou celui de l'enfant. Pour cette femme, l'accouchement sera simplement une fin et non un commencement.

Une deuxième série d'arguments a trait aux risques physiques qu'entraînent pour la gestatrice la grossesse et l'accouchement, acceptés pour satisfaire non son propre désir d'enfant mais celui d'autrui. Le droit français n'admet à cet égard les atteintes à l'intégrité physique au bénéfice d'autrui qu'à titre exceptionnel et pour des raisons d'ordre thérapeutique. C'est notamment le cas des dons d'organes à partir de donneurs vivants. Or les risques médicaux, y compris vitaux, encourus par la femme enceinte et l'enfant lors de la GPA sont réels et ont été rappelés de manière exhaustive par l'Académie de médecine (grossesses multiples et risque de prématurité, etc.). Comment s'établirait, alors la responsabilité respective des différentes parties en présence ?

Aux risques médicaux s'ajoute le risque d'instrumentalisation et de marchandisation de la personne inhérent à la GPA. La perspective d'une indemnisation, fût-elle raisonnable et contrôlée, qui peut constituer une incitation financière, à l'instar de celle qui est accordée aux "volontaires sains" dans le cadre de la recherche biomédicale, ne rend-elle pas illusoire la liberté du consentement et ne risque-t-elle pas de faire de l'enfant un objet de commerce ? Et même si elle le fait gratuitement, la femme qui dispose de sa capacité gestationnelle au profit d'une autre ne devient-elle pas une sorte d'outil de production ?

Lexbase : Et à l'inverse, quels arguments plaident en faveur d'une légalisation de la GPA ?

Claire Legras : Ces arguments sont tout d'abord tirés de la solidarité à laquelle est appelée la société vis-à-vis des femmes atteintes de formes irrémédiables et non curables d'infertilité. La GPA apparaît comme une solution à un problème physique et psychique douloureux. L'infertilité d'origine utérine est souvent perçue comme d'une particulière injustice.

A cet égard, la GPA s'insère notamment dans la logique de la prise en charge de l'infertilité après un traitement pour le cancer. La légalisation partielle de la GPA, en donnant à des couples un cadre autorisé et sécurisé pour une GPA, serait de nature à limiter les pratiques clandestines, qu'il s'agisse de la procréation pour autrui par insémination non médicalisée de la gestatrice, ou du recours à des pays étrangers accueillants où précisément cette pratique s'est construite sur l'exploitation des femmes les plus défavorisées. Quant aux risques pour les différents protagonistes, s'ils ne peuvent être niés, il est utile de mieux les connaître pour mieux les maîtriser.

Sur le plan des principes, les tenants d'une libéralisation sous conditions de la GPA opposent volontiers au respect de la dignité de la personne humaine celui de la liberté individuelle, qui est elle aussi reconnue par la Constitution, et doit être présumée, y compris chez les femmes volontaires pour porter l'enfant d'autrui, en l'absence de preuve d'une contrainte d'ordre psychologique ou économique. L'existence de motivations altruistes leur paraît une réalité, comme elle l'est pour d'autres dons d'éléments et produits du corps humain.

Ces raisons suggèrent aux tenants d'une libéralisation que l'on pourrait donc être favorable à ce qu'une légalisation limitée de la GPA intervienne, dans le cadre de la médecine de la reproduction et non en tant que demande sociale, sous le contrôle de comités spécialisés, comme cela fonctionne pour le diagnostic prénatal ou les dons intra-familiaux d'organes entre donneurs vivants qui ne donnent lieu à aucune dérive. Cependant, les partisans de cette légalisation souhaitent, compte tenu de l'encadrement strict nécessaire à la bonne pratique technique et éthique de ce procédé de PMA, qu'elle ne soit établie que pour une autorisation au cas par cas.

Lexbase : Au final, le CCNE s'est prononcé en faveur du maintien du régime actuel. Quels sont les critères sur lesquels le comité s'est appuyé ?

Claire Legras : Le Comité a relevé un certain nombre de difficultés d'ordre éthique.

Tout d'abord, il est évident qu'une loi n'empêchera pas les risques qu'elle vise à prévenir.

En effet, quel que soit le cadre législatif qui serait susceptible d'être adopté, et aussi sérieux que soit le choix des gestatrices, ni les accidents médicaux ni les inconvénients d'ordre physiologique ne pourraient leur être totalement évités. En outre, la volonté du législateur de limiter à une juste indemnisation les transferts d'argent ne saurait faire obstacle à des pratiques clandestines.

Ainsi, pour le Comité, ce sont ces dérives inhérentes à la GPA qui conduisent à des réserves sur sa légalisation et non la non-reconnaissance du souhait d'un couple d'avoir un enfant qui soit génétiquement le sien.

Ensuite, la GPA ne peut être éthiquement acceptable du seul fait qu'elle s'inscrirait dans un cadre médical. A cet égard, le Comité rappelle qu'il a souligné, dans son avis n° 105, que si les principes fondateurs de la législation relative à la biomédecine, notamment la dignité de la personne humaine, la primauté de l'intérêt de l'enfant et la non-commercialité du corps, sont assortis d'exceptions, celles-ci ne peuvent être trop importantes ni permanentes, sauf à ce que ces principes se vident de leur substance.

Par ailleurs, la mise en oeuvre d'éventuelles règles juridiques relatives à la GPA pose des problèmes difficilement solubles au regard de la préservation de l'intérêt des personnes. Le rôle premier du droit est d'organiser les rapports sociaux en protégeant et en conciliant les intérêts en présence. La GPA faisant intervenir au moins trois catégories de personnes, la gestatrice, le couple d'intention et l'enfant, cette conciliation s'avère particulièrement ardue. Toute légalisation, même partielle devrait en effet s'accompagner de dispositions visant à sécuriser la filiation de l'enfant issu de la GPA, qui ne peut être réglée par la seule application des dispositions édictées pour les besoins de l'assistance médicale à la procréation et qui n'ont pour objet que l'établissement de la paternité en cas de recours aux gamètes d'un tiers ou d'accueil d'embryon.

De plus, la GPA pourrait porter atteinte au principe de dignité de la personne humaine ou à l'image symbolique des femmes.

Le comité relève également que des incertitudes demeurent quant à l'avenir de l'enfant issu de la GPA. Le comité estime problématique de se prononcer en faveur de conditions très particulières de venue au monde, que la plupart des individus hésiteraient à mettre en oeuvre pour eux-mêmes.

Enfin, et non des moindres, la revendication de la légalisation de la GPA procède d'une conception contestable de l'égalité devant la loi. Il est certain que le développement des techniques d'assistance médicale à la procréation et, notamment, la légalisation du recours aux gamètes d'un tiers donneur, peut donner le sentiment d'un engagement collectif à surmonter toutes les formes de stérilité qu'il conviendrait de compléter pour répondre à la situation des femmes qui ne peuvent porter un enfant.

Mais, le Comité estime aussi qu'il faut se garder d'accréditer l'idée que toute injustice, y compris physiologique, met en cause l'égalité devant la loi. Même si la détresse des femmes stériles suscite un sentiment d'émotion ou de révolte, elle ne saurait imposer à la société d'organiser l'égalisation par la correction de conditions compromises par la nature. Une telle conception conduirait à sommer la collectivité d'intervenir sans limites pour restaurer la justice au nom de l'égalité et correspond à l'affirmation d'un droit à l'enfant, alors que le désir ou le besoin d'enfant ne peut conduire à la reconnaissance d'un tel droit.


(1) En dernier lieu, CA Paris, Pôle 1, 1ère ch., 18 mars 2010, n° 09/11017, Ministère Public c/ M. Dominique M. (N° Lexbase : A0819EUU) et les observations de A. Gouttenoire, Filiation d'enfants nées d'une mère porteuse : parents aux Etats-Unis mais pas en France..., Lexbase Hebdo n° 389 du 1er avril 2010 - édition privée générale (N° Lexbase : N7217BNM). Pour les épisodes précédents : CA Paris, 1ère ch., sect. C, 25 octobre 2007, n° 06/00507, Ministère public c/ M. M. (N° Lexbase : A4624DZB) et lire les obs. de N. Baillon-Wirtz, L'intérêt supérieur de l'enfant et la maternité pour autrui, Lexbase Hebdo n° 286 du 20 décembre 2007 - édition privée générale (N° Lexbase : N5577BDW) ; Cass. civ. 1, 17 décembre 2008, n° 07-20.468, Procureur général près la cour d'appel de Paris, FS-P+B+I (N° Lexbase : A8646EBT) et les obs. de A. Gouttenoire, Mère porteuse : la Cour de cassation soutient l'action du ministère public, Lexbase Hebdo n° 332 du 8 janvier 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N2211BIQ).
(2) Loi n° 2004-800 du 6 août 2004, relative à la bioéthique (N° Lexbase : L0721GTU), et les obs. de A.-L. Blouet Patin, Révision de la loi de bioéthique : les points qui font débat, Lexbase Hebdo n° 349 du 7 mai 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N0586BKW).
(3) Avis n° 3 du 23 octobre 1994, sur les problèmes éthiques nés des techniques de reproduction artificielle.

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Avocats

[Evénement] Savin Martinet Associés : au commencement, il y avait un immeuble haussmannien... à l'arrivée la concrétisation d'une ambition environnementale

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N3012BPA

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par La rédaction

Le 07 Octobre 2010

Ordinairement, on est plutôt convié à découvrir une nouvelle boutique, l'atelier d'un artiste, ou encore, un nouveau restaurant... Mais, c'est à la visite des locaux d'un cabinet d'avocats à laquelle nous avons été invités, le 1er juin 2010. Dont acte ! Rendez-vous pris au 33 rue des Mathurins à Paris, dans le 8ème arrondissement, pour assister à un parcours pédagogique hors norme, présentant point par point la mise en cohérence des idées fondatrices du cabinet SMA (comprendre Savin Martinet Associés) avec son environnement le plus proche. Chacun sait que SMA est un cabinet spécialisé en droit de l'environnement, acteur engagé, qui constitue un véritable modèle éthique. Pionnier et innovant, le cabinet a été plusieurs fois salué pour ses initiatives.
Dès sa création, le cabinet s'est investi dans une politique d'amélioration continue, portant sur la qualité de ses prestations, orientée vers la satisfaction de ses clients, avec une référence permanente à la notion de responsabilité sociale des entreprises (RSE) ; le respect de l'environnement (en essayant de limiter et/ou réduire l'impact environnemental de son activité professionnelle) ; la sécurité au travail. L'objectif est d'adosser, à une prestation de services juridiques de haute qualité, une réelle politique de santé et de sécurité au travail, ainsi qu'une démarche éco citoyenne de développement durable. Rien d'étonnant, dès lors, à ce que Savin Martinet Associés fut le premier cabinet d'avocats en Europe à avoir obtenu de l'AFAQ, le 9 septembre 2004, la triple certification SMI QSE (ISO 9001/an 2000 (qualité), ISO 14001 (environnement) et OHSAS 18001 (sécurité)). Ce système de management intégré de la qualité, de la sécurité et de l'environnement permet aux avocats du cabinet d'approfondir, davantage encore, la culture des risques dans sa globalité et de maîtriser les référentiels managériaux utilisés par leurs clients.

Dernier coup de maître : la certification HQE, obtenue le 23 septembre 2009, de l'immeuble dans lequel officie le cabinet. SMA s'est engagé, en effet, en matière de construction durable au sein même de sa structure, en rénovant ses locaux professionnels selon les normes de haute qualité environnementale (HQE), devenant, d'une part, le premier utilisateur d'un immeuble haussmannien HQE en France sur le référentiel HQE 2008 et, d'autre part, un véritable expert en matière de construction HQE. 5 cibles ont été atteintes en "très performantes" et 3 en "performantes". Les performances énergétiques réalisées sont conformes aux exigences du label THPE (très haute performance énergétique), soit 96 kWh/m²/an.

Fidèle à sa vision d'un monde plus respectueux de l'environnement, le cabinet SMA présente, ainsi, une démonstration du "possible" à travers la rénovation intégrale de son immeuble selon les normes HQE, alliant style, fonctionnalité, confort et développement durable. Concrètement, il s'agit, ni plus ni moins, que : la réalisation de réseaux séparatifs eau potable-eau non potable ; la mise en place d'un mitigeur thermostatique pour réguler la température ; celle d'un circuit de bouclage d'eau chaude avec colonne montante ; le remplacement du fluide primaire vapeur par de l'eau chaude avec un échangeur ; l'installation de robinets thermostatiques à double réglage micrométrique, de détecteurs de présence dans les voies de passage ; la possibilité de sous-compteurs et le suivi quotidien de la consommation d'eau ; l'élaboration d'espaces verts non allergènes et non toxiques ; l'installation de mangeoires à oiseaux ; l'accès handicapé par rampe amovible et l'installation d'un ascenseur, de fontaines d'eau, d'écrans en libre consultation, de diffuseurs d'huile essentielle ; la mise en place d'un récupérateur de piles pour les visiteurs, d'un récupérateur d'eaux de pluie sur le balcon pour l'arrosage des plantes ; l'installation de cuvettes de WC avec double chasse 3/6 litres, d'une robinetterie à double butée ; la distribution uniquement d'eau froide dans les lavabos des sanitaires, d'une VMC collective avec programmation ; l'édification d'un local déchets en sous-sol avec système d'aération ; la pose de revêtements muraux et de sols sans émissions de composés organiques volatils ; le soin d'une température de consignes programmées sur la chaudière ; l'installation d'une sonde placée à l'extérieure du bâtiment, d'un système mécanique de maintien d'ouverture des fenêtres ; un facteur lumière jour inférieur à 2,5 % dans 86 % des locaux concernés ; des études de positionnement des luminaires, sources fluorescentes compactes à haut rendement avec température de couleur supérieur à 5 000 K et indice de rendu de couleur supérieur à 83 ; des voies de passage avec Led et détecteur de présence, un double vitrage, un revêtement souple avec absorption acoustique de 26db, un double plafond, des cloisons sandwich de type 98/49 ; l'achat de bois FSC, de mobiliers Iso 14001 ou équivalents ; la connaissance de l'ACV de plus de 80 % des produits ; l'achat de peintures, moquettes non émissives de composées organiques volatils et formaldéhyde ; l'élaboration d'un charte chantier vert, la sensibilisation des riverains, le tri sélectif du chantier, la récupération de 100 % des bordereaux de suivi des déchets, la valorisation de plus 50 % des déchets de chantier, et une étude sur les champs électromagnétiques ; l'absence de bornes Wifi et de fours à micro-ondes, l'installation de plantes dépolluantes ; un travail sur l'étanchéité à l'air des réseaux aérauliques de classe C, une étude aéraulique pour balayage optimal de l'air, tri sélectif (papier, piles, toners, magazines, verres...), une valorisation et un recyclage des déchets, le doublage des combles ; au final, 40 % de l'énergie est fournie par une ressource renouvelable (CPCU) et le cabinet compense ses émissions de CO2.

Autant de réalisations qui ont permis une qualité sanitaire de l'eau, une pérennité des performances, la gestion de l'eau, le confort olfactif, le confort hygrothermique, le confort visuel, le confort acoustique, le choix intégré de produits, la qualité sanitaire des espaces, la gestion des déchets, la gestion de l'énergie, la qualité de l'air intérieur, pour le bâtiment sous en prise direct avec son environnement immédiat et dans le cadre d'un chantier à faible nuisance.

Un bel exemple d'adéquation entre convictions personnelles et engagements professionnels des co-fondateurs du cabinet (Patricia Savin et Yvon Martinet) au service de la qualité de vie, qui, adjointe à une compétence professionnelle qui n'est plus à démontrer, est au service de ses clients.

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