Lexbase Avocats n°22 du 11 mars 2010 : Procédure pénale

[Focus] Avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale : Michèle Alliot-Marie ouvre la concertation... tout en faisant la sourde oreille

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par Anne Lebescond, Journaliste juridique

le 07 Octobre 2010

Le 7 janvier 2009, Nicolas Sarkozy faisait part de sa volonté de moderniser, de clarifier et d'équilibrer la procédure pénale, laissant présager une refonte globale de celle-ci. Un an après -au cours duquel les acteurs concernés et la Chancellerie se sont livrés à un bras de fer terrible-, Michèle Alliot-Marie a présenté, devant le Conseil des ministres, l'avant-projet de loi de réforme de la procédure pénale. Compte tenu des nombreuses oppositions, elle a choisi d'accompagner le texte d'une communication relative aux orientations et à la méthode de cette réforme, histoire de "faire passer la pilule". Elle est, pourtant, restée en travers de la gorge de chacun. "L'avant projet de texte, relatif à la phase d'enquête, a été préparé par un groupe de travail constitué autour de la Garde des Sceaux et du secrétaire d'Etat, et comprenant des magistrats, des universitaires et des avocats, ainsi que des parlementaires de la majorité et de l'opposition". Le "mode d'emploi" de la réforme laisse, donc, entendre que le texte est le fruit d'une réflexion des représentants de tous les acteurs en cause, quand 18 organisations dans une lettre directement adressée au Président de la République en date du 25 février dernier, dénoncent "une élaboration en petit comité par la Chancellerie, sans aucune concertation".

La communication du Garde des Sceaux pourrait, alors, rassurer, si la concertation n'a pas eu lieu en amont, elle interviendra en aval : "dans un esprit de transparence et d'écoute, une très large concertation [d'une durée d'environ deux mois] sera menée sur cet avant-projet de texte avec l'ensemble des acteurs de la procédure ; [tous] auront l'occasion d'apporter leurs observations et d'émettre des propositions. L'avant projet de texte présenté sera alors revu, enrichi des améliorations utiles suggérées par les praticiens". Soit. Mais Michèle Alliot-Marie a, d'emblée, refusé de revenir sur les deux points fondamentaux de la réforme : le rôle du Parquet et la suppression du juge d'instruction (1), ne laissant que des miettes à la négociation. Le Gouvernement a décidé de passer en force sur une réforme au sujet de laquelle les clivages sont nombreux et importants.

Ainsi, alors que le ministre de la Justice envisage le texte comme une consécration d'"une véritable séparation entre l'autorité d'enquête et la fonction de contrôle de l'enquête", le juge d'enquête et des libertés (JEL) présentant "les mêmes garanties statutaires d'indépendance que l'actuel juge d'instruction", tous pointent du doigt la substitution, "pour la conduite des enquêtes, du juge d'instruction magistrat indépendant, par le procureur, magistrat dépendant hiérarchiquement du ministre de la Justice". A la crainte exprimée de voir certaines enquêtes contrôlées, bloquées ou instrumentalisées (en premier chef, "pour les affaires où les pouvoirs publics sont parties prenantes" ou de nature économique et politique), le ministre répond que "le ministre ne pourra pas empêcher l'ouverture d'une enquête et, à défaut, le procureur aurait l'obligation de désobéir", étant précisé que "si un procureur n'ouvre pas une enquête, la partie civile pourra demander cette ouverture" au JEL. Enfin, si le Garde des Sceaux estime que l'avant projet de loi "permet une réelle égalité de tous les citoyens, victimes ou parties, dans l'exercice de leurs droits", les acteurs de la procédure pénale estiment que le dispositif n'apporte "en soi aucune efficacité supplémentaire, pour le justiciable, ni aucune garantie d'équité pour les citoyens".

Comment expliquer une telle différence de points de vue ? Reprenons le texte (de 225 pages pour pas moins de 800 articles) et les bouleversements qu'il entend introduire.

Ainsi, la numérotation du Code de procédure pénale, qui date de 1992, serait revue, afin d'indiquer la "localisation" de l'article au sein du code. Le principe posé, pour une meilleure lisibilité des textes, serait celui d'une idée par article. Enfin, la terminologie serait adaptée au nouveau dispositif, notamment :

- l'enquête judiciaire pénale (futur cadre des investigations) se substituerait à la fois à l'enquête de flagrance, à l'enquête préliminaire et à l'enquête d'instruction ;

- le JEL exercerait avec le tribunal de l'enquête les fonctions actuellement dévolues au juge d'instruction et au juge des libertés et de la détention ;

- la chambre d'enquête et des libertés (CEL) serait la nouvelle dénomination de la chambre d'instruction ;

- face à la partie civile, se tiendrait la "partie pénale" ; et

- le terme d'"action publique" s'entendrait, désormais, de la politique pénale du ministère public, quand l'"action pénale" désignerait l'actuelle "action publique".

On l'aura compris, le point le plus sensible de cette réforme tient à la suppression du juge d'instruction et à la création d'un nouveau juge, le JEL, magistrat du siège indépendant, chargé de contrôler tous les actes du procureur de la République (qui resterait sous l'autorité de la Chancellerie). Le Parquet aurait l'entière charge de l'enquête -il instruirait, en effet, à charge et à décharge-. Ces bouleversements ne concerneraient en réalité que 4 % des affaires (celles les plus sensibles), les 96 % étant, d'ores et déjà, jugées selon ces modalités. L'ingérence du pouvoir exécutif serait écartée via l'instauration d'un "devoir de désobéissance" à la charge du Parquet, mentionné ci-dessus. L'avant projet de loi propose, également, l'instauration de la "partie citoyenne". Une personne, non victime, pourrait solliciter le JEL en vue d'ordonner l'ouverture d'une enquête ou pourra contester devant lui le classement d'une affaire. La collégialité est prévue pour les actes les plus importants du JEL, la CEL exerçant un contrôle sur ces décisions.

Parmi les dispositions essentielles du projet figurent celles relatives à la disparition du secret de l'instruction. Perdureraient, bien entendu, l'obligation de secret professionnel à la charge des avocats et des magistrats. Le texte prévoit expressément qu'aucune atteinte aux droits et libertés ne peut être portée en dehors des cas prévus par la loi et rappelle les principes tenant à la présomption d'innocence et aux droits de la défense. L'intervention du juge dans les 48 heures serait de principe pour toute privation de liberté n'émanant pas d'un juge ou d'une juridiction. Enfin, la personne mise en cause (ou son conseil) serait autorisée à prendre la parole en dernier et ses déclarations intervenues hors de la présence de l'avocat verraient leur force probante diminuer, étant précisé que la production de toute preuve obtenue déloyalement serait interdite.

Les délais de prescription de l'action pénale seraient allongés à 15 ans (au lieu de 10) pour les crimes, 6 ans (au lieu de 3) pour les délits et 3 ans (au lieu d'une année) pour les contraventions, le point de départ courant à compter du jour où l'infraction a été commise, sauf le cas des atteintes involontaires à la vie commises de façon occulte ou dissimulée (pour lequel le délai court à compter du jour où l'infraction aurait été portée à la connaissance du juge).

Concernant la garde à vue, elle ne serait pas systématique, mais restreinte, comme annoncé par le Garde des Sceaux, aux seules personnes soupçonnées d'avoir commis des faits passibles d'emprisonnement. Sa durée serait limitée à 24 heures pour les faits passibles d'un an d'emprisonnement au plus. La personne gardée à vue aurait toujours accès à un avocat dès la 1ère heure de la procédure, ce dernier pouvant à nouveau intervenir à la 12ème heure, mais, à chaque fois, pour une demi-heure. Les règles dérogatoires seraient maintenues. Ainsi, en cas de terrorisme, l'avocat ne serait associé à la procédure qu'à la 72ème heure de celle-ci. Mais, dans tous les cas, si l'officier de police judiciaire estime que cette présence est susceptible de nuire au déroulement de l'enquête, il pourrait s'y opposer.

Le ministre de la Justice persiste dans son idée d'instaurer la si controversée audition libre de 4 heures pour les délits passibles d'une peine de prison inférieure ou égale à 5 ans, dénoncée comme une zone de non droits par les juges et les avocats, notamment.

Les réactions ne se sont pas fait attendre. Par un communiqué en date du 3 mars 2010, le CNB et l'Union syndicale des Magistrats (SNM) ont constaté que "le texte proposé ne répond pas aux exigences constitutionnelles et conventionnelles de respect du procès équitable et des droits de la défense". En particulier, "l'indépendance indispensable des magistrats du ministère public n'est pas assurée par le projet [...], les pouvoirs d'enquête renforcés du parquet ne sont pas contrebalancés par la création d'un juge du siège investi de pouvoirs réels de contrôle et de suivi des enquêtes[...] et les propositions en matière de garde à vue sont nettement insuffisantes en termes de présence effective de l'avocat aux côtés de son client".

Parallèlement, dix-huit organisations professionnelles (2) ont adressée une lettre au Président de la République (en tant que réel décisionnaire en la matière), l'engageant à revenir sur la suppression du juge d'instruction, au profit d'une réforme dont les principes directeurs seraient les suivants :

- direction effective de l'enquête par une collégialité de magistrats statutairement indépendants du pouvoir politique ;

- renforcement du contrôle de l'enquête par une juridiction de second degré ; et

- renforcement du contrôle de l'enquête par les parties elles-mêmes, grâce à l'accroissement du budget de l'aide juridictionnelle et un assouplissement des règles d'intervention des associations de défense des victimes.

Les auteurs de cette missive se sont, en effet, étonnés du fait qu'aucune des propositions de la "commission Outreau", en particulier quant à la collégialité, n'ait retenu l'attention du Gouvernement.

Enfin, a été parallèlement organisée une grande marche de contestation de la politique judiciaire actuelle allant du Palais de justice à la Chancellerie, mardi 10 mars dernier, qui aurait réunie près de 2 500 personnes. L'absence du CNB et du Barreau de Paris a été regrettée par les participants, qui se sont dits stupéfaits de la réponse "méprisante" du ministère : les représentants des manifestations ont été reçu moins de quarante minutes par le directeur de cabinet de Michèle Alliot-Marie, cette dernière ayant réfuté leurs revendications par un simple communiqué de presse diffusé le soir même rappelant que :

- les moyens de la justice ne cessent d'augmenter ;

- la réforme de la carte judiciaire est une nécessité que reconnaissent les syndicats eux-mêmes ;

- le projet de réforme de la procédure pénale vise à mettre fin à l'émiettement des textes qui a caractérisé les réformes successives depuis 50 ans et permet de rassembler les règles dans un texte complet, cohérent, lisible et équilibré ;

- il garantit que l'enquête sera impartiale et équitable pour les deux parties grâce au contrôle d'un juge indépendant, le JEL, sur les enquêtes menées par le parquet ; et

- la réforme augmente les garanties de la défense et donne davantage de droits aux victimes ; notamment, aucune affaire ne pourra être étouffée, l'usage de la garde à vue est limité aux cas où elle est réellement nécessaire et la présence de l'avocat et son efficacité sont renforcées.

La phase de jugement et l'application des peines feront l'objet d'un second texte qui sera préparé puis soumis à concertation... "dans les mêmes conditions".


(1) Cf. Communiqué de presse commun du Conseil national des Barreaux (CNB) et de l'Union syndicale des magistrats (USM) sur le projet de réforme de la procédure pénale du 3 mars 2010.
(2) La lettre a été signée par l'Association de Défense des Actionnaires Minoritaires (ADAM), l'Association Française des Polyarthritiques et des Rhumatismes Inflammatoires Chroniques (AFP), l'Association française des Victimes du Terrorisme (AFVT), l'Association Nationale de Défense des Victimes de l'Amiante (ANDEVA), l'Association Nationale Pour l'Intégration des Handicapés Moteurs (ANPIHM), l'Association des Paralysés de France (APF), le Collectif Interassociatif Santé (CISS), le Conseil National des Associations Familiales Laïques (CNAFAL), le Comité Anti-Amiante Jussieu, la Confédération Syndicale des Familles (CSF), la Fédération Générale des PEP (FGPEP), l'Association des Accidentés de la Vie (FNATH), Greenpeace, l'Association pour l'Information et la Défense des Consommateurs Salariés (INDECOSA- CGT), l'Association de lutte, d'information et d'étude des infections nosocomiales (LIEN), l'Organisation Générale des Consommateurs (ORGECO), l'Association Française des Magistrats Instructeurs (AFMI) et l'Union Syndicale des Magistrats (USM).

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