La lettre juridique n°261 du 24 mai 2007

La lettre juridique - Édition n°261

Éditorial

Loi de sauvegarde des entreprises : entre fil d'Ariane et fil à la patte

Lecture: 3 min

N1732BBR

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


147 tribunaux statuant en matière commerciale sur 213 ont ouvert au moins une procédure de sauvegarde en 2006. Le tribunal de commerce de Lyon à lui seul en a ouvert plus de 30. Au total, plus de 500 procédures ont été ouvertes sur cette même année. La procédure de sauvegarde intéresse toutes les entreprises, non seulement celles de la taille d'Eurotunnel, dont les 17 sociétés du groupe ont pu être sauvées, mais aussi les plus petites. 50% des sauvegardes ont été ouvertes au bénéfice d'entreprises de moins de 10 salariés. Plus de 11 000 salariés ont vu leur emploi préservé par les 500 sauvegardes. Par exemple, la procédure Eurotunnel a démontré que l'alliance de deux dispositifs nouveaux peut produire d'excellents résultats : d'une part, la sauvegarde, c'est-à-dire l'anticipation, et d'autre part, les comités de créanciers, c'est-à-dire la négociation et la reconnaissance du droit aux créanciers de prendre des décisions impératives dans le cours des procédures. A la différence de la sauvegarde, il est difficile de dresser un premier bilan statistique de la procédure de conciliation. Cette procédure est, en effet, par principe confidentielle. Mais, les premiers échos des juridictions semblent, cependant, très positifs (extraits du Premier bilan de la Loi de sauvegarde, Discours de Pascal Clément, ministre de la Justice, Garde des Sceaux lors des entretiens de la sauvegarde en janvier 2007).

La loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises est applicable, sous certaines réserves, à compter du 1er janvier 2006. Cette loi, ainsi que son décret d'application n° 2005-1677 du 28 décembre 2005, justifient, par leur ampleur et l'enjeu qu'ils représentent, la mise en place d'un dispositif de veille juridique, auquel les Editions juridiques Lexbase se proposent de contribuer dans le cadre de leur mission d'information sur l'application de la loi. C'est pourquoi Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, CERDP, et Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var, reviennent, chaque mois, au travers de leur chronique, sur les difficultés jurisprudentielles d'application de la loi, comparant régulièrement le nouveau régime et le régime issu de la loi du 25 janvier 1985.

Bien entendu, le service de documentation et d'études de la Cour de cassation propose aux magistrats professionnels et juges consulaires en charge de ce contentieux de lui signaler les premières difficultés d'application des nouveaux textes. Il les étudie et propose des éléments de réponse (n'engageant pas la Cour de cassation et réservant son appréciation), qui font l'objet d'une publication régulière au travers de son Bulletin d'information et sur son site internet.

Mais parce qu'"il y a des hommes n'ayant pour mission parmi les autres que de servir d'intermédiaires ; on les franchit comme des ponts, et l'on va plus loin" (Gustave Flaubert, L'éducation sentimentale), Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Se trouvent, ce mois-ci, au premier plan de cette actualité, l'instauration d'un délai pour déclarer la créance en cas de demande en relevé de forclusion, ainsi que la question des effets de la résolution du plan de continuation sur les remises consenties et, enfin, la revendication du vendeur réservataire de propriété entre les mains de l'affactureur. Par ailleurs, Florence Labasque, Secrétaire général de rédaction en droit commercial, revient, également, sur un arrêt la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 9 mai dernier, publié au Bulletin, relatif à la désignation de plusieurs commissaires à l'exécution du plan. Selon cette jurisprudence, on pourrait déduire qu'en présence de deux commissaires à l'exécution du plan, il convient de procéder à une signification distincte pour chacun d'entre eux, dès lors, bien évidemment, que les deux sont encore en fonctions. Ces contentieux n'ont pas trait, à proprement parler, à l'application de la nouvelle loi de sauvegarde, mais montrent combien il s'agit de bien appréhender les contentieux sous l'empire de l'ancien régime, pour une application sereine et éclairée sous l'égide de la nouvelle loi.

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Fiscalité des entreprises

[Focus] Régime des plus-values à long terme : des juges au parfum...

Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 9 mars 2007, n° 279128, Société Parfums Rochas (N° Lexbase : A5814DUU)

Lecture: 5 min

N1671BBI

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Le 07 Octobre 2010

Le droit de la propriété intellectuelle est à l'origine de décisions mettant à l'honneur le droit applicable à la création la plus fugace qu'il soit : la fragrance. Le parfum est à l'honneur devant les juridictions civiles, qui dissertent abondamment sur l'éligibilité de la fragrance au rang d'oeuvre de l'esprit, afin de bénéficier du régime protecteur issu des dispositions de l'article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle : les juridictions du fond sont entrées en résistance (CA Paris, 4ème ch., A, 14 février 2007, n° 06/09813, SA Beauté Prestige International c/ Société Senteur Mazal N° Lexbase : A1898DUT) à l'encontre de la Haute juridiction pour qui la fragrance n'est que "la simple mise en oeuvre d'un savoir-faire" (Cass. civ. 1, 13 juin 2006, n° 02-44.718, FS-P+B+I N° Lexbase : A9280DPE ; M. Vivant, Parfum : l'heureuse résistance des juges du fond, D. 2007 p. 954).

Le juge administratif n'est pas resté insensible au charme fiscal du parfum : la décision rendue par le Conseil d'Etat (CE 3° et 8° s-s-r., 9 mars 2007, n° 279128, Société Parfums Rochas) a trait au régime, applicable avant le 1er janvier 1992, de taxation réduite des plus-values à long terme des produits de cessions de brevets, procédés et techniques, et des concessions de licences d'exploitation "s'ils constituent des éléments de l'actif immobilisé dont le concédant accepte de se dessaisir au profit du concessionnaire".

Les faits de l'espèce rapportent que la SA Parfum Rochas a concédé, par voie contractuelle, à des sociétés étrangères, le droit de fabriquer et de diffuser ses produits.

La société Rochas a, alors, perçu des redevances imposées au taux réduit de 15 % selon les dispositions de l'article 39 terdecies du CGI (N° Lexbase : L1446HL7) applicables aux faits de l'espèce.

Les juges du fond (CAA Paris, 5ème ch., 31 janvier 2005, n° 01PA00039, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie c/ SA Parfums Rochas N° Lexbase : A0087DHP), ainsi que le Conseil d'Etat, apportent des réponses traditionnelles, au regard de la jurisprudence jusqu'alors adoptée, quant à deux notions essentielles auxquelles le régime de faveur est subordonné : l'exploitation utile au profit du concessionnaire (I) et le transfert de technologie (II).

1. Le régime du long terme ne saurait souffrir de la précarité...

Au seuil des années 80, le Conseil d'Etat (CE Contentieux, 30 avril 1980, n° 17850 N° Lexbase : A6020AIS) sera amené à trancher entre deux thèses quant à l'application du régime des plus-values à long terme : dans ce litige opposant le contribuable et l'administration fiscale, cette dernière estimait que le régime de fiscalité dérogatoire supposait le dessaisissement définitif des droits de fabrication.

Conclu initialement pour une durée de dix ans, il était possible pour le cocontractant, selon les stipulations de l'accord versé aux débats, de demander la résiliation après la cinquième année d'exécution, sous préavis d'un an, ou d'obtenir la reconduction du contrat pour une nouvelle période de dix ans.

La Haute juridiction estimera, alors, que les contribuables étaient éligibles au régime des plus-values à long terme, même si la concession ne s'accompagnait pas d'un dessaisissement définitif de la part du concédant, pourvu qu'elle soit d'une certaine durée : il est remarquable de constater, à la lecture des conclusions du commissaire du Gouvernement Martin Laprade, que le raisonnement économique n'est pas étranger à la solution adoptée par la Haute juridiction.

Cette décision assouplit incontestablement le régime applicable, notamment au savoir-faire, dès lors que les parties ont pris soin de l'accompagner d'un effet utile : "le caractère purement précaire d'une concession révocable à l'initiative du seul concédant fait obstacle à ce que le contrat puisse être regardé comme ayant entraîné pour celui-ci 'un dessaisissement', même temporaire, d'un élément d'actif immobilisé" (concl. Martin Laprade précitées).

Il s'agit de garantir au concessionnaire l'assurance d'un flux de profit régulier.

Cependant, la notion de disposition utile des droits de propriété industrielle résulte d'une appréciation de pur fait échappant, sauf dénaturation, au juge de cassation.

Ainsi, la jurisprudence, s'appuyant sur les termes de la convention conclue par les parties, précisera qu'une durée de sept ans stipulée au contrat de concession au profit d'un concessionnaire japonais est suffisante (CE Contentieux, 11 juin 1980, n° 10641 N° Lexbase : A6299AI7). Il en est de même de durées fixées contractuellement à 10, 12 ou 15 ans et pouvant être prorogées par les parties (CE 9° et 7° s-s-r., 25 juillet 1980, n° 06988 N° Lexbase : A7404B8Q), dès lors que les contrats ne peuvent être résiliés avant leur terme normal (CE Contentieux, 5 novembre 1980, n° 8884 N° Lexbase : A7369AIR).

En revanche, ne peut être considérée comme une concession portant sur une période suffisante la convention conclue pour une durée indéterminée, mais résiliable à tout moment par les parties, moyennant un préavis de trois mois (CE Contentieux, 31 janvier 1983, n° 30769 N° Lexbase : A2391AMI).

Au cas particulier, les décisions rendues par la cour administrative d'appel de Paris et par le Conseil d'Etat ne sauraient surprendre : elles s'appuient sur la jurisprudence antérieure selon laquelle le concessionnaire doit pouvoir "exploiter utilement de façon exclusive, et donc pendant une période suffisante, le brevet, les procédés ou les techniques concédés".

La société Rochas, qui s'était contractuellement réservée le droit de retirer à n'importe quel moment l'autorisation de fabrication et de vente de ses produits, ne pouvait prétendre à l'application du régime découlant de l'article 39 terdecies du CGI.

Toutes ces jurisprudences illustrent l'interdépendance entre le droit civil et le droit fiscal, conséquence de la distinction entre les droits substantiels et les droits de mise en oeuvre exposée par le Doyen Carbonnier (Flexible Droit, LGDJ, 2001, p. 406) : le rédacteur du contrat est prié de s'enquérir de la jurisprudence fiscale !

2. Le régime du long terme est subordonné à un véritable transfert de technologie

Le régime du long terme ne s'applique qu'en présence d'un véritable transfert de technologie : c'est ainsi qu'il faut comprendre les termes "procédés" ou "techniques de fabrication" au sens de l'article 39 terdecies du CGI.

Au cas particulier, les éléments de fait, appréciés souverainement par le juge du fond, jouent un rôle de première importance : le juge de l'impôt cherche à réunir un faisceau d'indices afin de caractériser la réalité du transfert de technologie (CE Contentieux, 18 mai 1998, n° 159846, Ministre du Budget c/ SA Yves Saint-Laurent N° Lexbase : A7202ASK).

Ainsi, l'administration fiscale s'est attachée à démontrer que les formules des bases parfumées n'étaient pas communiquées aux concessionnaires ; ces derniers étant seulement destinataires de concentrés entrant dans la fabrication des parfums et de fiches techniques afin d'en assurer la production. Il ne pouvait y avoir de transfert d'un savoir-faire spécifique en l'absence de contrôle de la fabrication, ou encore d'assistance technique sur place, ou de formation particulière.

Les décisions rendues à l'encontre de la société Rochas sont conformes à la jurisprudence antérieure : les juridictions ont déjà précisé que le concessionnaire devait pouvoir bénéficier d'un transfert de droits, procédés ou techniques de fabrication et non la simple mise à disposition d'un savoir-faire du propriétaire de la marque. Tel n'est pas le cas d'un contrat, qualifié par les parties de "contrat de transfert de technologie et d'aide technique", conclu entre un contribuable français et une société égyptienne, aux termes desquels des redevances sont versées en contrepartie de conseil en création afin de promouvoir la vente d'un ensemble de prêt-à-porter (CE Contentieux, 16 décembre 1998, n° 155050, M. Lasserre N° Lexbase : A8567AS4). La même solution s'impose quant aux redevances pour la concession de "griffes" (CE Contentieux, 20 novembre 1995, n° 143148, SA Torrente N° Lexbase : A6579ANY).

Frédéric Dal Vecchio
Juriste-Fiscaliste
Chargé d'enseignement à l'Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines
Doctorant en Droit
Membre du Laboratoire de recherches CERAP (Université Paris XIII)

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Entreprises en difficulté

[Chronique] La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre

Lecture: 20 min

N1642BBG

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, la chronique de Pierre-Michel Le Corre, retraçant l'essentiel de l'actualité juridique rendue en matière de procédures collectives. Se trouvent, au premier plan de cette actualité, l'instauration d'un délai pour déclarer la créance en cas de demande en relevé de forclusion, ainsi que la question des effets de la résolution du plan de continuation sur les remises consenties et, enfin, la revendication du vendeur réservataire de propriété entre les mains de l'affactureur.
  • L'instauration d'un délai pour déclarer la créance en cas de demande en relevé de forclusion (Cass. com., 9 mai 2007, n° 05-21.357, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A1105DWT)

Le créancier antérieur, qui n'est plus dans les délais pour déclarer sa créance, doit solliciter un relevé de forclusion. Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises (1), la requête aux fins de relevé de forclusion doit être présentée dans l'année du jugement d'ouverture. Lorsque ce délai a été respecté, le créancier est-il enfermé dans un délai pour déclarer sa créance ? C'est à cette question inédite, et même a priori surprenante, que répond, dans l'arrêt commenté, la Cour de cassation.

En l'espèce, au redressement judiciaire d'une société ouvert le 27 décembre 2002, et publié au Bodacc le 6 février 2003, un receveur des impôts déclare une créance de TVA. La société débitrice dépose, le 21 octobre 2003, une déclaration de régularisation de TVA pour la période avant le jugement d'ouverture. Par requête du 6 novembre 2003, le receveur des impôts demande à être relevé de la forclusion encourue. Le 23 janvier 2004, le juge-commissaire relève le receveur des impôts de la forclusion et lui ordonne de déclarer sa créance entre les mains du représentant des créanciers, ce qu'il fait le 30 janvier 2004.
Appel est interjeté à l'encontre de l'ordonnance relevant le créancier de la forclusion. La cour d'appel va confirmer l'ordonnance entreprise. Un pourvoi est alors formé. La question posée à la Cour de cassation est de savoir si le créancier qui sollicite un relevé de forclusion doit impérativement déclarer sa créance à l'intérieur du délai de relevé de forclusion. A cette question, la Cour de cassation va répondre positivement et casser l'arrêt de la cour d'appel en ces termes : "si aucun texte n'oblige le créancier défaillant à déclarer sa créance avant de saisir le juge commissaire de sa demande de relevé de forclusion, il est néanmoins tenu de la déclarer dans le délai préfix d'un an à compter de la décision d'ouverture de la procédure, même si le juge-commissaire n'a pas statué sur sa demande de relevé de forclusion à l'intérieur de ce délai".

Pour bien comprendre la portée de l'arrêt, il importe de réexaminer les dates importantes de cette affaire. Le jugement d'ouverture est du 27 décembre 2002. L'expiration du délai de relevé de forclusion intervient donc le 27 décembre 2003. Le juge-commissaire a été saisi de la requête en relevé de forclusion le 6 novembre 2003, c'est-à-dire avant l'expiration du délai de relevé de forclusion. La décision relevant le créancier de la forclusion est elle-même postérieure au délai de relevé de forclusion, puisqu'elle est du 23 janvier 2004. La déclaration de créance, pour sa part, est intervenue le 30 janvier 2004. Ces dates permettent ainsi de constater que, au jour de la décision relevant le créancier de la forclusion, plus d'un an s'était écoulé par rapport au jugement d'ouverture. Ainsi, à cette date, la créance était éteinte. On sait, en effet, que la Cour de cassation fixe le moment d'extinction de la créance non déclarée dans le délai à l'expiration du délai de relevé de forclusion (2). Ainsi, il faut comprendre, que, implicitement mais nécessairement, à l'expiration du délai d'un an pour être relevé de forclusion, la créance est éteinte et il n'est donc plus possible au juge-commissaire de relever le créancier de la forclusion encourue.


La Cour de cassation rappelle qu'aucun texte n'oblige le créancier défaillant à déclarer sa créance avant de saisir le juge-commissaire de sa demande de relevé de forclusion. La solution avait déjà été posée (3). Il convient d'ajouter que si le créancier retardataire a déclaré sa créance avant de saisir le juge-commissaire ou, en tout cas, avant que le juge-commissaire n'ait statué sur la demande en relevé de forclusion, le créancier n'est pas astreint à devoir déclarer à nouveau sa créance, une fois que l'ordonnance le relevant de forclusion aura été rendue (4).

On était également en droit de penser qu'aucun texte n'imposait au créancier de déclarer sa créance dans un délai après présentation d'une requête en relevé de forclusion. On lira en vain, en large et en travers, les textes pour trouver pareille obligation. Il s'agit donc manifestement d'une création purement prétorienne. Certes, on peut l'expliquer par référence au fait que la créance qui n'est pas déclarée dans les délais à l'expiration du délai d'un an par rapport au jugement d'ouverture est éteinte (5). Etait-il concevable de soutenir que la saisine du juge-commissaire aux fins de relevé de forclusion avait pour effet d'empêcher l'extinction de la créance non déclarée à l'expiration du délai d'un an ? Le délai d'un an est un délai préfix, qui n'est donc susceptible ni d'interruption, ni de suspension. Cependant, il faut bien comprendre sa portée. Il s'agit d'un délai institué pour saisir le juge-commissaire afin que la forclusion encourue soit écartée. Il a donc pour objet d'autoriser le créancier à déclarer sa créance après expiration du délai classique de déclaration des créances. Le délai annal de relevé de forclusion est d'ordre public. L'expiration du délai de relevé de forclusion enlève au juge-commissaire le pouvoir de se prononcer sur la demande (6). Le juge-commissaire relevant le créancier de forclusion au-delà du délai légal commet un excès de pouvoir (7), peu important à cet égard que le créancier figure ou non sur la liste que doit remettre au représentant des créanciers le débiteur (8). Les juges doivent relever d'office la fin de non-recevoir tirée de l'expiration du délai de forclusion (9), celle-ci étant d'ordre public.
En revanche, si le créancier saisit le juge-commissaire d'une demande de relevé de forclusion, à l'intérieur de ce délai, il devient plus difficile de comprendre l'extinction automatique de la créance à l'expiration du délai d'un an, alors même que le juge-commissaire n'a pas encore statué. Le juge-commissaire ne peut statuer sur la créance déclarée avant de statuer sur le relevé de forclusion. Il est donc loin d'être évident de pouvoir exiger d'un créancier qu'il déclare sa créance alors que le juge-commissaire ne l'a pas encore autorisé à le faire en le relevant de la forclusion.

La gêne de la Cour de cassation, qui pose la solution ici commentée, nous paraît évidente. C'est pourquoi, nous semble-t-il, elle prend grand soin de rappeler qu'aucun texte n'oblige le créancier défaillant à déclarer sa créance avant de saisir le juge-commissaire de sa demande de relevé de forclusion. Il est donc logique de ne pas exiger du créancier qu'il déclare sa créance avant de procéder à sa demande de relevé de forclusion.

Existe-t-il, alors, un texte qui obligerait le créancier à déclarer sa créance avant l'expiration du délai de relevé de forclusion s'il a saisi le juge-commissaire d'une demande en relevé de forclusion dans les délais ? Pour décider le contraire, il aurait fallu un texte restrictif de droit qui pose en règle le principe d'extinction de la créance non déclarée à l'expiration du délai d'un an, indépendamment de la saisine du juge commissaire aux fins de relevé de forclusion. Ce texte fait manifestement défaut. Il y a donc là, de la part de la Cour de cassation, une création purement prétorienne, qui ne peut être fondée sur un texte, mais qui ne répond qu'à la préoccupation de faire en sorte que les procédures ne s'éternisent pas à cause des instances en déclaration et en vérification des créances.

La formulation employée par la Cour de cassation fait naître une difficulté : doit-elle être cantonnée à l'hypothèse dans laquelle l'ordonnance statuant sur le relevé de forclusion n'est pas intervenue avant l'expiration du délai d'un an courant à compter du jugement d'ouverture ? Il importe de remarquer que la Cour de cassation prend le soin d'indiquer que la solution qu'elle pose vaut "même si juge-commissaire n'a pas statué sur sa demande de relevé de forclusion". Il semble donc, par l'utilisation de l'adverbe "même", que la solution vaudrait également si le juge-commissaire avait statué sur la demande de relevé de forclusion dans le délai d'un an.

Il reste à se demander quelle portée pourrait bien avoir la solution ici posée, sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, par la Cour de cassation, avec la loi de sauvegarde des entreprises. Compte tenu de la publicité que la Cour de cassation a entendu donner à la solution, est-il concevable qu'elle soit limitée à l'application de la législation antérieure ? Une réponse négative semble s'imposer. Il nous apparaît, toutefois, que cette transposition sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises pose problème. En effet, à l'expiration du délai de relevé de forclusion, la créance n'est plus aujourd'hui éteinte, mais seulement inopposable à la procédure collective. Or, c'est la sanction de l'extinction de la créance à l'expiration du délai du relevé de forclusion qui seule peut, nous semble-t-il, la fonder juridiquement. Cette sanction ayant disparu, le couperet du délai de relevé de forclusion pour déclarer la créance n'existe plus aujourd'hui.

La prudence commandera en tout cas, avant comme après la loi de sauvegarde des entreprises, de déclarer la créance en même temps que la demande en relevé de forclusion est présentée. Voilà un conseil qui "ne mange pas de pain..."

P.-M. Le Corre

  • Les effets de la résolution du plan de continuation sur les remises consenties (Cass. com., 9 mai 2007, n° 06-12.111, F-P+B N° Lexbase : A1154DWN)

Le plan de continuation est élaboré à partir d'une consultation collective ou, le plus souvent, individuelle des créanciers antérieurs au jugement d'ouverture. Ceux-ci se voient proposer par le représentant des créanciers, le plus souvent sous l'impulsion d'un administrateur judiciaire, des délais de paiement et des remises de dettes. En phase d'élaboration du plan, les créanciers ont ainsi pu accepter ces délais et remises. Le tribunal leur en a donné acte. Il a également pu imposer aux créanciers non acceptants des délais. Ces sacrifices s'inscrivent strictement dans le cadre de l'exécution du plan. Il est logique, dans ce contexte, que les sacrifices acceptés par les créanciers ou imposés à eux par le tribunal soient supprimés, si le plan est résolu, que l'on soit avant ou après l'entrée en vigueur de la loi de sauvegarde des entreprises.

L'expression "résolution du plan de continuation" évoque l'idée d'une disparition rétroactive du plan pour défaut d'exécution. Il semblerait ainsi qu'il faille, après résolution d'un plan de continuation, remettre les créanciers en l'état antérieur au plan. Est-ce à dire qu'il faille procéder à l'anéantissement des remises de dettes consenties en phase d'élaboration du plan ? C'est à cette question que répond l'arrêt commenté.

En l'espèce, une banque a consenti un prêt à deux époux. Par avenant, a été décidée une réduction du taux des intérêts contractuels. L'époux a été placé en redressement judiciaire et la banque a déclaré sa créance. En phase d'élaboration du plan, la banque a accepté que sa créance soit réduite d'environ 20 % et soit réglée pour partie par le débiteur principal, pour partie par les cautions. Le tribunal a, ensuite, prononcé la résolution du plan. La banque a déclaré à nouveau sa créance en estimant qu'elle devait être restaurée dans l'intégralité de ses droits. Les juges du fond ont accepté la prétention. Le liquidateur s'est alors pourvu en cassation. La question posée à la Cour de cassation est de savoir si les remises consenties au débiteur, dans le cadre de l'élaboration du plan de continuation, lui demeurent acquises après résolution du plan ? La Cour de cassation, rejetant le pourvoi, va répondre à la question par la négative. Elle énonce que "la résolution du plan a pour effet d'anéantir rétroactivement les délais et remises acceptée lors de son adoption, de sorte que de telles remises, accordées au débiteur en dehors de toute négociation contractuelle étrangère au plan, ne sont définitivement acquises au débiteur qu'après versement, au terme fixé de la dernière échéance prévue par le plan".

Il faut commencer par rappeler les textes applicables. L'article L. 621-82, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L6934AIN) énonce que "les créanciers soumis au plan déclarent l'intégralité de leurs créances et sûretés, déduction faite des sommes perçues". Le texte ne permet pas de répondre à la question de savoir si l'intégralité des sommes dues s'entend après adoption du plan ou avant.
Pour sa part, l'article L. 621-77 du même code (N° Lexbase : L6929AIH) indique :
"Le plan peut prévoir un choix pour les créanciers comportant un paiement dans des délais uniformes plus brefs mais assorti d'une réduction proportionnelle du montant de la créance.
Dans ce cas, les délais ne peuvent excéder la durée du plan.
La réduction de créance n'est définitivement acquise qu'après versement, au terme fixé, de la dernière échéance prévue par le plan
".
Il est ici extrêmement clair que l'intégralité des sommes dues s'entend avant adoption du plan.

Il faut, en réalité, à ce stade, coordonner les règles d'élaboration du plan avec celles de l'admission des créances au passif. Il est vrai que les règles d'adoption du plan sont indépendantes de celles de la déclaration, de la vérification et de l'admission des créances. Le législateur en tient d'ailleurs compte en posant, à l'article L. 621-79, alinéa 1, du Code de commerce (N° Lexbase : L6931AIK) (anc. L. 25 janv. 1985, art. 77, al. 1 N° Lexbase : L6714AH7), dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, à l'article L. 626-21, alinéa 1 (N° Lexbase : L4070HBD), dans la rédaction issue de la loi de sauvegarde des entreprises, que "l'inscription d'une créance au plan et l'octroi de délais ou remises par le créancier ne préjugent pas l'admission définitive de la créance au passif". Le créancier est, en effet, consulté en tant que créancier présomptif. En application de ce principe, le fait que le mandataire ait contesté la créance ne peut le dispenser de consulter le créancier. Le fait, pour le représentant des créanciers -mandataire judiciaire-, de notifier au créancier contesté les conditions d'apurement du passif envisagées dans le cadre du plan de continuation ne vaut pas renonciation à la contestation (10), la procédure d'élaboration du plan étant distincte de la procédure de vérification et d'admission des créances. Doivent donc être prises en compte les sommes auxquelles peut prétendre le créancier au jour du jugement d'ouverture et qu'il n'y a donc pas à exclure de l'élaboration du plan de continuation les créances contestées. Il est tout aussi exact que seules les créances admises au passif donneront lieu au paiement de dividendes pendant l'exécution du plan. Les droits du créancier consulté ne doivent, dès lors, être pris en compte que dans la mesure de son admission au passif. Le débiteur, après arrêté de son plan de continuation, ne pourrait pas transiger avec le créancier sur une fraction éteinte de la créance pour défaut de déclaration (11). La suppression de l'extinction des créances non déclarées par la loi de sauvegarde des entreprises ne doit pas conduire à une solution différente, car la créance non déclarée est inopposable à la procédure pendant le temps de celle-ci, jusqu'à la clôture ou la résolution du plan.

Le texte de l'article L. 621-77, alinéa 3, fait naître une difficulté. Il s'agit de savoir si le principe de restauration des droits des créanciers qu'il pose n'intéresse que l'hypothèse visée à l'alinéa 1 de cet article, c'est-à-dire le cas d'un plan qui prévoit un choix pour les créanciers d'être payés soit dans les délais prévus au plan, soit dans des délais uniformes plus brefs, le paiement étant alors assorti d'une réduction proportionnelle du montant de la créance. La difficulté existe exactement dans les mêmes termes sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, avec l'article L. 626-19 du Code de commerce (N° Lexbase : L4068HBB), qui dispose, en son alinéa 1er, que "le plan peut prévoir un choix pour les créanciers comportant un paiement dans des délais uniformes plus brefs mais assorti d'une réduction proportionnelle du montant de la créance", alors que l'alinéa 2 indique que "la réduction de créance n'est définitivement acquise qu'après versement, au terme fixé, de la dernière échéance prévue par le plan".

En réalité, la place du texte posant le principe de restauration des créanciers dans leurs droits antérieurs au plan ne doit pas troubler l'interprétation. Fort justement, la Cour de cassation considère, dans l'arrêt commenté, qu'il s'agit d'un principe à valeur générale, qui n'a donc pas à être cantonné à la seule hypothèse où, sur suggestion du tribunal, le créancier a accepté un paiement plus rapidement que ce que prévoyait le plan, en contrepartie d'une réduction de sa créance. La solution avait d'ailleurs été posée en filigrane dans une espèce qui intéressait les conséquences fiscales de la remise de dette consentie dans le cadre de l'élaboration d'un plan de continuation. Les remises de dettes ne sont acquises définitivement qu'au terme de la dernière échéance prévue par le plan, en application de l'article L. 621-77. Elles ne sont donc imposables qu'à cette date (12). La Cour de cassation a posé la solution alors que la remise de dette ne s'inscrivait pas dans une démarche proposée par le tribunal au stade de l'exécution du plan, mais avait été consentie en phase d'élaboration du plan, dans le cadre de la consultation menée par le représentant des créanciers.
La restauration des droits du créancier se produira donc dans trois hypothèses :
- celle dans laquelle il a accepté une réduction de sa créance dans le cadre de propositions alternatives de paiement au stade de l'élaboration du plan ;
- celle dans laquelle il a accepté une réduction de sa créance en contrepartie d'un paiement plus rapide, la proposition alternative émanant du tribunal ;
- celle, enfin, dans laquelle, sous l'empire de la loi de sauvegarde des entreprises, le créancier membre d'un comité s'est vu imposer par la majorité des créanciers de ce comité une remise de dette dans le cadre de l'élaboration d'un plan de sauvegarde ou de redressement.
La remise de dette sera acquise après versement de la dernière échéance fixée au plan, indépendamment du fait de savoir si la réduction de créance a été proposée par le tribunal ou dans le cadre de la consultation préparatoire au plan.

Une dernière question se pose toutefois : faut-il restaurer les droits du créancier qui a intégralement reçu ce qu'il devait recevoir au titre de l'exécution du plan, parce qu'il a accepté d'être payé plus rapidement que les autres, alors que le plan sera ensuite résolu ? Le texte indique que la remise de dette n'est acquise "qu'après versement, au terme fixé, de la dernière échéance prévue par le plan". Il semble que le texte s'intéresse à la situation particulière de chaque créancier du plan. La remise de dette est acquise au débiteur à l'égard du créancier concerné dès lors qu'il a touché sa dernière échéance. Si le texte avait voulu s'intéresser à la situation collective des créanciers, il aurait fallu préciser que, pour les créanciers ayant accepté des remises de dettes, celles-ci ne sont définitives qu'une fois l'exécution du plan terminée. En visant la dernière échéance, alors que la remise de dettes concernera par principe un créancier ayant accepté un paiement plus rapide que celui intéressant les créanciers n'ayant pas accepté de remise, il faut comprendre qu'il s'agit de la dernière échéance intéressant ce créancier payé plus rapidement que ce que prévoit le plan. Cette interprétation permet d'affirmer que, si la résolution du plan intervient après paiement de la dernière échéance d'un créancier ayant accepté une remise de dette, cette remise de dette sera définitivement acquise au débiteur (13).

La loi de sauvegarde des entreprises maintient l'idée de restauration des créanciers dans l'intégralité de leurs droits. Mais il convient de distinguer selon que la résolution du plan intervient avec état de cessation des paiements ou sans cette caractérisation.

En l'absence de cessation des paiements, la résolution du plan n'entraîne pas ouverture d'une seconde procédure. L'article L. 626-27-I, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L4076HBL), disposition a priori commune aux deux hypothèses -résolution avec ou sans cessation des paiements-, prévoit que le jugement qui prononce la résolution du plan met fin aux opérations et emporte déchéance de tout délai de paiement accordé. Plus largement, l'idée de résolution du plan doit conduire à décider que les remises de dettes sont également supprimées. Le débiteur doit donc faire face à ses dettes exigibles, indépendamment des délais de paiement qui auraient pu être accordés. Si, ultérieurement, il résulte de cette situation un état de cessation des paiements, une nouvelle procédure de redressement judiciaire semble concevable. Les créanciers admis au passif de la première procédure sont astreints, classiquement, à déclarer leurs créances.

Dans la seconde situation, il y a résolution du plan avec caractérisation d'un état de cessation des paiements. Obligatoirement, le tribunal, tout en prononçant la résolution du plan, a prononcé la liquidation judiciaire. La loi de sauvegarde des entreprises procède alors d'une manière très différente de la législation précédente, infiniment plus protectrice des intérêts des créanciers admis au plan de continuation, en dispensant les créanciers admis au passif d'une première procédure, ayant évolué vers un plan de redressement ou de sauvegarde, d'avoir à déclarer à nouveau leurs créances, dans le cadre de la seconde procédure. C'est l'objet de l'article L. 626-27-III du Code de commerce.

P.-M. Le Corre

  • La revendication du vendeur réservataire de propriété entre les mains de l'affactureur (Cass. com., 24 avril 2007, n° 06-10.599, F-D N° Lexbase : A0613DWM)

Lorsqu'il revendique entre les mains de l'affactureur, subrogé dans les droits du débiteur-revendeur, le prix des marchandises vendues avec réserve de propriété, le vendeur doit prouver que le prix a été payé par le sous-acquéreur après le jugement d'ouverture de la procédure collective du revendeur.

Dans cet arrêt rendu le 24 avril 2007, la Chambre commerciale de la Cour de cassation est venue apporter une précision à propos de l'intéressant conflit susceptible d'opposer le vendeur réservataire de propriété à l'affactureur.
Le schéma conflictuel est le suivant : des marchandises sont vendues avec clause de réserve de propriété à un acquéreur qui les revend sans en avoir préalablement payé le prix et sans se faire immédiatement payer le prix de revente par le sous-acquéreur. Parallèlement, l'acquéreur-revendeur transmet sa créance de prix de revente à un affactureur (ou à un banquier cessionnaire "Dailly") puis fait l'objet d'une procédure collective. L'affactureur, subrogé dans les droits de l'acquéreur-revendeur, entend obtenir des sous-acquéreurs le paiement de la créance de prix de revente transmise par subrogation. De son côté, le vendeur initial réservataire de propriété, en application de l'article L. 624-18 du Code de commerce (N° Lexbase : L1414HI9) (anc. C. com., art. L. 621-124 avant la loi de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L6976AI9), entend revendiquer le prix ou la partie du prix des biens vendus sous clause de réserve de propriété dès lors que celui-ci "n'a été ni payé, ni réglé en valeur, ni compensé en compte courant entre le débiteur et l'acheteur à la date du jugement ouvrant la procédure". Dès lors que l'action en revendication du prix est exercée dans le délai légal de trois mois suivant la publication du jugement ouvrant la procédure (C. com., art. L. 624-9 N° Lexbase : L3777HBI, anc. C. com., art. L. 621-115 avant la loi de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L6967AIU), le vendeur initial doit sortir vainqueur du conflit qui l'oppose à l'affactureur, et doit donc être payé par le sous-acquéreur à hauteur de sa créance de prix de vente. La Cour de cassation (14) a clairement justifié la solution sur le fondement de la subrogation : elle considère que le vendeur initial réservataire de propriété voit son droit reporté sur la créance de prix de revente par subrogation, laquelle subrogation se réalise dès la revente ; elle a un effet rétroactif et prive le revendeur, dès la revente du bien, de son droit de propriété sur la créance du prix de revente pour l'attribuer au vendeur sous réserve de propriété. Cette solution, reprise par le législateur (15), implique que le revendeur soit censé n'avoir jamais été titulaire de la créance et qu'il ne puisse donc pas valablement la transmettre (16). Pour cette raison, le vendeur sous réserve de propriété prime aussi bien le banquier cessionnaire (17) que le factor (18).

Qu'en est-il dans l'hypothèse où le sous-acquéreur aurait déjà payé la créance de prix de revente entre les mains de l'affactureur ? Le vendeur initial peut-il réclamer à ce dernier les sommes que celui-ci a perçues du sous-acquéreur ? La réponse de principe à cette question est affirmative dès lors que certaines conditions sont réunies. Il faut d'abord que le vendeur initial ait respecté les modalités procédurales de la revendication. Ainsi, la Cour de cassation a-t-elle jugé que "la forclusion résultant du défaut de saisine du juge-commissaire dans le délai légal a vocation à s'appliquer dans le cadre de l'action revendication du prix exercée par le vendeur contre l'affactureur" (19). Il faut, ensuite, en application des dispositions de l'article L. 624-18 du Code de commerce (anc. C. com., art. L. 621-24), que le prix de revente n'ait pas été réglé à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective (au jour de l'exercice de la revendication, sous l'empire des dispositions de l'article 122 de la loi du 25 janvier 1985 dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 juin 1994 N° Lexbase : L6504AHD).
Mais, alors, sur qui pèse la charge de cette preuve ? Pour échapper à la revendication du vendeur initial, est-ce au factor d'établir que les sommes qu'il a perçues du sous-acquéreur ont été réglées avant l'ouverture de la procédure collective? Est-ce, au contraire, au revendiquant, c'est-à-dire au vendeur réservataire de propriété, de prouver que le prix a été payé à l'affactureur par le sous-acquéreur après le jugement d'ouverture de la procédure collective du revendeur ? C'est sur cette question que se prononce la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté.

En l'espèce, une société avait vendu du matériel en se réservant la propriété des marchandises jusqu'au paiement intégral du prix. Alors que leur prix n'avait pas été payé, ces marchandises ont été revendues à des sous-acquéreurs, sans que le prix de ces reventes ait été davantage réglé. Le revendeur, qui avait conclu un contrat d'affacturage, a, dans le cadre de celui-ci, transmis à la société d'affacturage les créances de prix nées de la revente des marchandises. L'acquéreur-revendeur ayant par la suite fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, le vendeur initial a revendiqué les biens dont il était réservataire de propriété puis leur prix auprès du liquidateur et de l'affactureur. La cour d'appel de Paris (20) a fait droit à cette demande et condamné la société d'affacturage à reverser au vendeur initial les prix de revente qu'il avait perçus après avoir énoncé que, pour être déchargé de son obligation à l'égard du vendeur bénéficiaire de la clause de réserve de propriété, l'affactureur devait établir que les sommes qu'il a perçues du sous-acquéreur ont été réglées avant l'ouverture de la procédure collective du revendeur. La Chambre commerciale de la Cour de cassation estime, au contraire, que ce n'était pas à l'affactureur d'apporter cette preuve, et casse l'arrêt d'appel au motif que, "revendiquant entre les mains de l'affactureur, subrogé dans les droits du débiteur, le prix des marchandises vendues avec réserve de propriété, le vendeur doit prouver que le prix a été payé par le sous-acquéreur après le jugement d'ouverture de la procédure collective".
La solution est parfaitement logique car il appartient au revendiquant de démontrer que les conditions de la revendication sont réunies, conditions au rang desquelles figure l'absence de paiement du prix de revente au jour de l'ouverture de la procédure collective. Cette preuve devra donc être rapportée par le revendiquant, peu important que l'action en revendication de la créance de prix de revente exercée par le créancier réservataire de propriété le soit à l'encontre de la procédure collective ou du factor. Cette solution est parfaitement transposable en matière de cession de la créance de prix de revente par bordereau "Dailly".

E. Le Corre-Broly

Pierre-Michel Le Corre
Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, CERDP
Emmanuelle Le Corre-Broly
Maître de conférences à l'Université du Sud-Toulon-Var
Enseignante du Master 2 Banque de la Faculté de droit de Toulon


(1) Loi n° 2005-845, du 26 juillet 2005 (N° Lexbase : L5150HGT).
(2) Cass. com., 19 février 2002, n° 00-11.552, Société Crédit foncier de France c/ Société Léon Veyret, F-D (N° Lexbase : A0491AYT), AJ p. 1068, obs. A. Lienhard.
(3) Cass. com., 4 octobre 2005, n° 04-15.535, M. Pascal Raynaud, mandataire judiciaire c/ Société Pinguely-Haulotte, F-P+B (N° Lexbase : A7142DKQ), D. 2005, AJ p. 2742, obs. A. Lienhard ; JCP éd. E, 2006, chron. 1066, p. 76, n° 13, obs. M. Cabrillac ; RTD com., 2006/1, p. 201, n° 2, obs. A. Martin-Serf ; Gaz. proc. coll. 2006/1, p. 35, P.-M. Le Corre.
(4) Cass. com., 24 septembre 2003, n° 01-00.504, Banque générale du commerce (BGC) c/ M. Dragon Boyadjian, F-D (N° Lexbase : A6216C94) ; lire P.-M. Le Corre, Inutilité de la double déclaration de créances en cas de relevé de forclusion, Lexbase Hebdo n° 93 du 6 novembre 2003 - édition affaires (N° Lexbase : N9278AAU).
(5) Cass. com., 19 février 2002, note précitée.
(6) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 14 juin 2005, n° 04/19425, M. Pierre Lieras c/ M. Claudio Fernandes Canedo (N° Lexbase : A1186DK7).
(7) Cass. com., 16 novembre 1993, n° 91-15.143, M. Brouard, ès qualités de mandataire-liquidateur de la société Sopatra c/ Epoux Desmazières (N° Lexbase : A5713AB9), Rev. proc. coll. 1995, 58, n° 8, obs. B. Dureuil ; Cass. com., 6 juin 2000, n° 98-10.785, M. William Vanuxem c/ M. Emmanuel Loeuille, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de M. William Vanuxem et autres, inédit (N° Lexbase : A6119CNX), Dict. perm. Difficultés des entreprises, Bull. 201, 10 juillet 2000, p. 6261, V. Juge-commissaire, n° 124 ; CA Nîmes, 2ème ch., sect. B, 10 janvier 2002, RD Banc. et fin. 2003/1, p. 29, n° 31, obs. F.-X. Lucas.
(8) Cass. com., 6 juin 2000, note précitée.
(9) Cass. com., 16 novembre 1993, précité, Bull. civ. IV, n° 409 ; Gaz. Pal. 1995, I, 7, note P. Latil ; Cass. com., 28 mai 1996, n° 94-14.349, Mme Guilaine Schneider née Quesney et autres c/ M. Jean-Jacques Leprêtre, inédit (N° Lexbase : A2253AZH), D. 1996, IR p. 161 ; Cass. com., 12 mai 1998, n° 96-18.855, M. Christian Rey c/ Crédit foncier de France (CFF), inédit (N° Lexbase : A9658CR7), Dict. perm. Difficultés des entreprises, Bull. 172, 22 juin 1998, V. Déclaration et vérification des créances, n° 46 ; Cass. com., 26 octobre 1999, n° 97-13.238, M. Chung Van Tan c/ Crédit foncier de France et autre, publié (N° Lexbase : A8668AHI), Act. proc. coll. 1999/18, n° 238 ; Act. proc. coll. 1999/20, n° 272.
(10) Cass. com., 3 octobre 2006, n° 04-19.457, Société Silvestri et Baujet, F-D N° Lexbase : A7676DRQ, Act. proc. coll. 2006/19, n° 232, note J. Vallansan ; lire La chronique mensuelle de Pierre-Michel Le Corre, Lexbase Hebdo n° 237 du 23 novembre 2006 - édition privée générale (N° Lexbase : N0346A9P).
(11) Cass. com., 1er octobre 2002, n° 99-17.876, Caisse de Crédit mutuel de Fontaine c/ M. Daniel Bourguignon, F-D (N° Lexbase : A9156AZ7), Dict. perm. Difficultés des entreprises, bull. 230, 12 novembre 2002, p. 5712, V. Déclaration et vérification des créances, n° 79.
(12) Cass. com., 3 octobre 2006, n° 04-30.779, Caisse de mutualité sociale agricole (MSA) de Loir-et-Cher, F-P+B (N° Lexbase : A8001DRR), D. 2006, AJ p. 2734, obs. A. Lienhard ; D. 2007, pan. comm., p. 42, obs. P.-M. Le Corre ; Gaz. proc. coll. 2007/1, p. 31, note D. Voinot ; JCP éd. E, 2007, chron. 1004, p. 20, n° 4, obs. Ph. Pétel ; Act. proc. coll. 2006/19, n° 237, note J.-Ch. Boulay.
(13) V. aussi, en ce sens, F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté - Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 7ème éd., 2006, n° 361-1.
(14) Cass. com., 8 mars 1988, n° 86-15.751, Société Clark Equipement Engineering And Marketing Corporation USA dite "CLEMAC" c/ M. Segard, syndic de la liquidation de biens de la société Richier, publié (N° Lexbase : A7726AAE), Bull. civ. IV, n° 99, p. 69 ; RD bancaire et bourse 1988, 179, obs. Dekeuwer-Defossez ; RTD com. 1989, p. 113, obs. Bouloc.
(15) Cf. C. civ., art. 2372 issu de l'ordonnance du 23 mars 2006 (N° Lexbase : L1199HIA) : "Le droit de propriété se reporte sur la créance du débiteur à l'égard du sous-acquéreur [...]".
(16) V. F. Pérochon, Clause de réserve de propriété, Dict. perm. Diff. Ent., n° 70.
(17) Cass. com., 20 juin 1989, n° 88-11.720, Banque Nationale de Paris c/ Société Micro-Informatique et de Télécommunications et autres, publié (N° Lexbase : A0025ABK), Bull. civ. IV, n° 197, p. 130 ; D. 1989. I. 431,note F. Pérochon ; Banque, n° 496, juillet-août 1989.760, obs. Rives-Lange; RTD com. 1989, p.702, obs. Cabrillac et Teyssié ; RTD com. 1989, p. 745, obs. Martin-Serf.
(18) Cass. com., 27 juin 1989, n° 87-15.847, Société Factofrance Heller c/ Société des Parfums Yves Saint-Laurent et autres, publié (N° Lexbase : A3013AH3), Bull. civ. IV, n° 205, p. 136 ; Rev. jurisp. com. 1990, p. 55, note Gallet ; JCP éd. E, 1990, II, 15668, n° 15, obs. M. Cabrillac ; RTD com. 1990, p. 92, obs. Bouloc ; RTD com. 1990, p. 269, obs. Martin-Serf ; Cass. com., 26 avril 2000, n° 97-21.486, Société Factobail c/ Société Data Recording et autres, publié (N° Lexbase : A8724AHL), Bull. civ. IV, n° 89, p. 78 ; RIDA 7-8/00 n° 799, p. 636 ; D. 2000, cahier droit des affaires, p. 278, obs. Pisoni. Sur l'arrêt du 26 avril 2000, v. J.-P. Dom, Affacturage et procédures collectives, Act. Proc. Coll. n° 10, 16 juin 2000.
(19) Cass. com., 15 mars 2005, n° 00-12.563, Société Factobail c/ Société Cegid, F-P-B (N° Lexbase : A4035DHW), Act. proc. coll. 2005/8, n° 103, note C. Régnaut-Moutier, Gaz. Proc. Coll. 2005-2, n° 4, p. 46, note E. Le Corre-Broly.
(20) CA Paris, 3ème ch., sect. A, 8 novembre 2005, n° 02793, Société Mitsubishi Electric Europe BV (Société de droit Hollandais) c/ Maître Marie-Hélène Montravers (N° Lexbase : A2444DMH).

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Social général

[Jurisprudence] Principe de non-substitution et abondement de l'employeur à un plan d'épargne d'entreprise

Réf. : Cass. soc., 10 mai 2007, n° 05-45.676, M. Doh Appelinto Tomety c/ Association du Foyer nancéien du jeune travailleur, FS-P+B (N° Lexbase : A1125DWL)

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Le 07 Octobre 2010


Dans le double souci de préserver l'équilibre financier des régimes de Sécurité sociale et de garantir les droits de salariés en matière de salaires, le législateur soumet les sommes versées au titre d'un dispositif d'épargne salariale à un principe dit "de non-substitution", qui a pour effet d'interdire le remplacement d'un élément de rémunération. Souvent évoquée à propos de l'intéressement, cette règle vaut également pour les sommes versées par l'entreprise sur un plan d'épargne d'entreprise. Par suite, et ainsi que le précise la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 10 mai dernier, l'employeur ne saurait s'acquitter de son obligation de paiement de tout ou partie du salaire sous forme de versement au plan d'épargne d'entreprise.


Résumé

Les sommes versées par l'entreprise sur le plan d'épargne d'entreprise ne peuvent se substituer à aucun des éléments de rémunération qui y sont en vigueur au moment de la mise en place d'un plan d'épargne d'entreprise ou qui deviennent obligatoires en vertu de règles légales ou contractuelles. Il en résulte que l'employeur ne peut pas s'acquitter de son obligation de paiement de tout ou partie du salaire sous forme de versement au plan d'épargne d'entreprise.

1. Le principe de non-substitution

Parmi les quelques principes généraux applicables en matière d'épargne salariale, figure celui de la non-substitution des sommes versées au titre de l'un des dispositifs d'épargne salariale à un élément de salaire (1). Cette règle trouve d'abord sa raison d'être dans la nécessité de préserver l'équilibre financier des régimes de Sécurité sociale. Il convient, en effet, de rappeler que les sommes versées au titre d'un dispositif d'épargne salariale sont, dans une certaine mesure, soumises à un régime fiscal et surtout social de faveur, impliquant des exonérations de cotisations sociales. Le principe de non-substitution s'explique, ensuite, par la volonté du législateur de garantir les droits des salariés en matière de salaires (2).

Ce principe de non-substitution, dont on mesure ainsi sans peine la particulière nécessité, a d'abord été posé à propos de l'intéressement par l'ordonnance n° 86-1134 du 21 octobre 1986 (ordonnance n° 86-1134, du 21 octobre 1986, relative à l'intéressement et à la participation des salariés aux résultats de l'entreprise et à l'actionnariat des salariés N° Lexbase : L0264AIM). La règle figure désormais à l'article L. 441-4 du Code du travail (N° Lexbase : L4218HW7), qui énonce que "les sommes attribuées aux bénéficiaires en application de l'accord d'intéressement [...] ne peuvent se substituer à aucun des éléments de rémunération [...] en vigueur dans l'entreprise ou qui deviennent obligatoires en vertu des règles légales ou contractuelles" (3). La Cour de cassation fait une application rigoureuse de cette règle, n'hésitant pas à annuler les accords d'intéressement opérant une substitution prohibée avec un élément de salaire (v., par ex., Cass. soc., 9 octobre 2001, n° 98-43.905, M. Vivian Lauret c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAMR) de la Réunion, publié N° Lexbase : A2113AW8).

Il aura curieusement fallu attendre la loi du 19 février 2001 (loi n° 2001-152, relative à l'épargne salariale N° Lexbase : L5167ARS) pour que le législateur vienne étendre la règle de non-substitution à l'abondement versé dans le cadre d'un plan d'épargne d'entreprise.

Défini comme "un système d'épargne collectif ouvrant aux salariés de l'entreprise la faculté de participer, avec l'aide de celle-ci, à la constitution d'un portefeuille de valeurs mobilières" (C. trav., art. L. 443-1, al. 1er N° Lexbase : L4229HWK), le plan d'épargne d'entreprise comporte trois sources d'alimentation possibles : les versements volontaires du salarié, les versements complémentaires de l'employeur et, enfin, la participation.

S'agissant des versements complémentaires de l'employeur, encore appelés "abondement", qui sont seuls de nature à poser problème au regard de la question qui nous intéresse, la loi dispose qu'ils "ne peuvent se substituer à aucun des éléments de rémunération, au sens de l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2636HIH), en vigueur dans l'entreprise au moment de la mise en place d'un plan mentionné au présent article ou qui deviennent obligatoires en vertu de règles légales ou contractuelles" (C. trav., art. L. 443-7 N° Lexbase : L4239HWW) (4).

2. La mise en oeuvre du principe de non-substitution

La référence faite à l'article L. 242-1 du Code de la Sécurité sociale, dont on sait qu'il définit l'assiette des cotisations du régime général de Sécurité sociale, a pour effet d'interdire de substituer à un élément de rémunération, quel qu'il soit, l'abondement versé par l'employeur sur le plan d'épargne d'entreprise. Sont donc visées toutes les rémunérations versées à l'occasion ou en contrepartie du travail, y compris des primes régulières ou occasionnelles. Partant, et nul ne songerait à le contester, une prime de treizième mois constitue un élément de rémunération soumis à la règle de non-substitution. Il en résulte que l'employeur ne saurait remplacer cette prime par un abondement versé au plan d'épargne d'entreprise.

Il convient, en outre, de relever que seuls sont pris en compte les éléments de rémunération "en vigueur" au moment de la mise en place d'un plan d'épargne d'entreprise ou qui deviennent obligatoires en vertu de règles légales ou contractuelles. Au total, il ressort très clairement de l'article L. 443-7 que les éléments de rémunération susceptibles d'échapper au principe de non-substitution ne peuvent être qu'en nombre très restreint.

Pour en revenir à l'espèce qui nous intéresse, l'employeur avait versé la seconde moitié de la prime conventionnelle de treizième mois sur le plan d'épargne d'entreprise. Or, et on en conviendra, une telle décision revenait, certes de manière indirecte, à substituer un abondement au plan d'épargne d'entreprise à un élément de rémunération "en vigueur" et, donc, à violer le principe de non-substitution. On ne saurait, à ce titre, tenir compte d'une quelconque autorisation des représentants du personnel ou encore de dispositions conventionnelles permettant un tel transfert. Il en va, ici, du respect de l'ordre public.

Plus généralement, il convient d'approuver la Cour de cassation lorsqu'elle affirme que "l'employeur ne peut pas s'acquitter de son obligation de paiement de tout ou partie du salaire sous forme de versement au plan d'épargne d'entreprise". Fondée sur l'article L. 443-7 du Code du travail, cette solution se justifie également au regard de l'article L. 143-1 du même code (N° Lexbase : L5754AC4), également visé par la Chambre sociale dans l'arrêt sous examen. Il convient, en outre, de souligner que le salarié ne saurait être contraint, de quelque manière que ce soit, à verser en tout ou partie sa rémunération sur le plan d'épargne d'entreprise. Ainsi que nous l'avons vu, celui-ci ne peut être alimenté, outre la participation et l'abondement, que par des versements volontaires du salarié.

Il reste, pour conclure, à s'interroger sur les conséquences de la violation de la règle de non-substitution. En effet, et de prime abord, celle-ci devrait avoir pour seul effet d'entraîner la requalification en élément de salaire des sommes versées au titre de l'abondement au plan d'épargne d'entreprise. Par conséquent, le salarié ne pourrait prétendre cumuler lesdites sommes avec un rappel de prime conventionnelle de treizième mois. Il convient, cependant, de relever que la Cour de cassation a, par le passé, accepté un tel cumul à propos de sommes versées au titre de l'intéressement (Cass. soc., 9 octobre 2001, préc.).

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) Les autres principes généraux applicables en la matière sont : le caractère collectif, le caractère aléatoire et réversible et le lien avec la négociation collective (v. en ce sens, J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, p. 1216). Relevons que les deux premiers principes qui viennent d'être cités sont quelque peu battus en brèche par la récente loi du 30 décembre 2006 pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié (loi n° 2006-1770 N° Lexbase : L9268HTG) (v. sur la question, notre commentaire de la loi en cause, Bull. Joly Sociétés, 2007, p. 331 ).
(2) Nonobstant cette règle de principe, le développement de l'épargne salariale peut faire craindre que la négociation salariale se réduise comme peau de chagrin.
(3) Le deuxième alinéa de ce même texte dispose, toutefois, que la règle de non-substitution ne peut avoir pour effet de remettre en cause les exonérations prévues par la loi, dès lors qu'un délai de 12 mois s'est écoulé entre le dernier versement de l'élément de rémunération en tout ou partie supprimé et la date d'effet de l'accord d'intéressement.
(4) On retrouve la même exception qu'en matière d'intéressement (v. note ci-dessus).
Décision

Cass. soc., 10 mai 2007, n° 05-45.676, M. Doh Appelinto Tomety c/ Association du Foyer nancéien du jeune travailleur, FS-P+B (N° Lexbase : A1125DWL)

Cassation partielle (conseil de prud'hommes de Nancy, 13 octobre 2005)

Textes visés : C. trav., art. L. 143-1 (N° Lexbase : L5754AC4) ; C. trav., art. L. 443-7 (N° Lexbase : L4239HWW).

Mots-clefs : plan d'épargne d'entreprise ; abondement ; principe de non-substitution ; prime de treizième mois.

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Famille et personnes

[Jurisprudence] Le motif légitime de ne pas recourir à une expertise biologique destinée à contester une reconnaissance de paternité

Réf. : Cass. civ. 1, 25 avril 2007, n° 06-13.872, M. Henri Gabert, F-P+B premier moyen (N° Lexbase : A0331DW8)

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Le 07 Octobre 2010

Une expertise biologique destinée à contester une reconnaissance de paternité peut être refusée par le juge si un motif légitime s'y opposant est caractérisé. Telle est la solution que rappelle la première chambre civile de la Cour de cassation par un arrêt du 25 avril 2007, publié au Bulletin. En l'espèce, un enfant, prénommé Julien, naît en janvier 1993 et est reconnu par Franck G. deux jours plus tard. En 2002, ce dernier décède des suites d'un accident de la circulation et quelques mois après, son père, Henri G. assigne la mère et l'enfant, représenté par un administrateur ad hoc, en contestation de reconnaissance sur le fondement de l'ancien article 339 du Code civil (N° Lexbase : L2812ABR). Les juges du fond l'ayant débouté de sa demande tendant à voir ordonner une expertise biologique, le père du défunt se pourvoit en cassation au motif que l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder. Selon lui, "un tel motif ne saurait s'évincer du souci de préserver la paix et la stabilité de la famille [...] ou encore de l'existence d'une possession d'état conforme à la reconnaissance litigieuse", dès lors que celle-ci, faute d'avoir duré au moins dix ans, ne fait naître aucun obstacle à la contestation. La Cour de cassation rejette le pourvoi, constatant, d'une part, que l'auteur de la reconnaissance n'avait exercé aucune action en contestation et, d'autre part, qu'il avait, de son vivant, affirmé sa volonté d'assumer sa paternité. En outre, l'expertise biologique ne saurait être ordonnée dans la mesure où la preuve de la conservation de sang permettant un examen comparé n'était pas rapportée et l'administrateur ad hoc de l'enfant s'opposait à l'exhumation du corps de Franck G. L'existence d'un motif légitime rendant impossible l'expertise biologique est de ce fait caractérisée.

"Personne [...] ne peut connaître son père, et encore moins le prouver aux autres [...] ce qui décide de la naissance des hommes n'est point le degré de certitude, mais le degré de vraisemblance". Si cette constatation faite par D'Aguesseau (1) est longtemps restée vraie, tant il était impossible jusqu'au milieu du XXème siècle d'obtenir une preuve directe, positive comme négative, de la maternité et surtout de la paternité, elle est aujourd'hui infondée grâce aux progrès des sciences de la vie. Parmi les preuves scientifiques, les plus probantes sont les expertises sanguines, également appelées sérologiques, et l'expertise génétique qui présente une crédibilité telle que les autres modes de preuve, comme les témoignages ou les écrits de toute nature, apparaissent davantage comme des justifications du résultat de l'expertise que comme de véritables fondements décisifs. Dans ces conditions, le refus ou l'impossibilité de pratiquer une expertise sanguine ou génétique, lorsqu'elle est demandée par l'intéressé aux fins d'établir ou de contester la filiation, risque de le priver du droit de connaître la vérité biologique.

Reprenant une proposition de M. Massip (2), la Cour de cassation, dans une importante décision du 28 mars 2000, a ainsi consacré la recherche de la vérité biologique en tant que "principe directeur applicable dans tous les procès de la filiation" (3), jugeant que "l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder" (4). En d'autres termes, le juge doit ordonner l'expertise biologique lorsqu'elle est demandée par l'une des parties au litige ; il ne peut la refuser que par une décision spécialement motivée. La règle ainsi formulée présente l'avantage d'éviter d'abandonner à la seule discrétion des juges du fond la décision de recourir aux expertises biologiques tout en préservant leur pouvoir de décision d'éventuels excès de la part des parties (5). Toutefois, si l'avantage procuré est certain, la coexistence du principe posé et de sa limite dépend avant tout de l'interprétation qu'entend faire la Cour de cassation de cette formule "très malléable" (6) de "motif légitime".

Pris dans un sens étroit, le motif peut être considéré comme légitime dès lors qu'il s'agit pour le juge de respecter une situation légalement protégée, comme c'est le cas, par exemple, lorsque l'enfant dispose d'une possession d'état conforme à son titre (7).

Pris dans un sens plus large, il peut être légitime pour le juge de refuser d'ordonner une expertise biologique en raison de son inutilité à la solution du litige. A ainsi été considérée comme inutile l'expertise biologique insuffisamment probante eu égard aux conditions dans lesquelles elle aurait dû être effectuée. Dans un arrêt du 14 mars 1995, la Cour de cassation, saisie d'une action en contestation de reconnaissance, confirma la décision des juges du fond ayant rejeté la demande d'expertise biologique au motif, d'une part, que l'auteur de la reconnaissance ainsi que ses père et mère étaient décédés et, d'autre part, que les résultats de l'expertise, en raison des altérations du cadavre et de la disparition des parents proches, n'auraient pas été suffisamment probants (8).

Toujours dans le même sens, il peut y avoir un motif légitime à ne pas recourir à l'expertise lorsqu'il existe suffisamment d'éléments de fait démontrant ou excluant le lien de filiation. Telle est la solution retenue par un arrêt de la Cour de cassation du 24 septembre 2002 (9). En l'espèce, une mère avait intenté, au nom de sa fille mineure, une action tendant à faire déclarer la paternité de son concubin, incarcéré pendant la grossesse et décédé quatorze mois après la naissance de l'enfant. La fille issue du mariage du défunt avait alors sollicité des juges du fond la réalisation d'une expertise biologique sur le corps du défunt, sans que la demanderesse ne s'y opposât. Cependant, la Cour de cassation préféra éluder la question de la légitimité d'une mesure d'instruction diligentée sur un cadavre en énonçant simplement que les présomptions et indices graves que les juges du fond avaient relevés (l'existence d'un concubinage pendant la période légale de conception de l'enfant ainsi que la production de lettres dans lesquelles le concubin exprimait son regret de ne pouvoir assister à l'accouchement) suffisaient en eux-mêmes à établir la paternité, sans qu'il soit nécessaire de rechercher d'autres éléments de preuve, notamment scientifiques.

L'arrêt du 25 avril 2007 retient cette même analyse, à une différence près cependant dans la mesure où la Cour de cassation ne fait pas état du caractère superfétatoire de l'expertise biologique mais plutôt de l'impossibilité d'y recourir. Après s'être attachée aux éléments constitutifs de la possession d'état (volonté d'assumer l'enfant comme le sien, attachement profond pour l'enfant dont l'auteur de la reconnaissance a donné le prénom à une SCI), la Cour s'arrête, en effet, sur deux événements rendant, selon elle, impossible l'expertise biologique : d'une part, la preuve de la conservation d'un échantillon de sang nécessaire à un examen sérologique comparé n'était pas rapportée, et, d'autre part, l'administrateur ad hoc de l'enfant s'opposait à une exhumation du corps du défunt.

On sent ici la volonté de ne pas suivre la jurisprudence "Montand" selon laquelle le décès d'une personne même inhumée n'empêche pas de rechercher la vérité biologique au moyen d'une expertise alors que celle-ci s'y était toujours opposée de son vivant, étant admis que ses ayants droit ont le pouvoir d'accepter ou de refuser à sa place la réalisation du prélèvement (10). Or, c'est oublier un peu vite qu'au jour de l'action en contestation, c'est-à-dire en l'espèce le 7 août 2002, les juges du fond considéraient en général que l'obligation posée par l'article 16-11 du Code civil (N° Lexbase : L1726ABK, dans sa version alors en vigueur), de recueillir le consentement préalable et exprès d'une personne à la réalisation de prélèvements génétiques, ne s'appliquait pas aux personnes décédées (11). Dès lors, rien ne s'opposait à ce que les prélèvements soient réalisés aussi bien sur le corps non encore enseveli (12) du parent prétendu, que sur son cadavre exhumé, sauf à justifier du caractère superfétatoire de l'expertise (13).

Même s'il aurait été plus opportun de laisser aux tribunaux un pouvoir d'appréciation en la matière, de telles pratiques sont désormais interdites depuis l'entrée en vigueur de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique (loi n° 2004-800 N° Lexbase : L0721GTU), sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant à la réalisation de l'expertise génétique (14).

Quoi qu'il en soit, la Cour de cassation entend, par cet arrêt du 25 avril 2007, préserver l'équilibre entre le besoin de renforcer la stabilité de l'état de l'enfant, parfois trop largement mis à mal, et le désir de faire la lumière sur la vérité biologique, même après la mort (15). Le refus de procéder à l'exhumation du corps du parent prétendu, s'il est contestable pour l'enfant en quête d'une filiation, se justifie ainsi parfaitement dès lors qu'un tiers tente de la lui reprendre.

Notons, enfin, que l'ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005 (N° Lexbase : L8392G9P), qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2006, a profondément révisé les règles applicables à la contestation de l'acte de reconnaissance. Le nouvel article 333 du Code civil (N° Lexbase : L8835G94) prévoit, en effet, que "seuls peuvent agir l'enfant, l'un de ses père et mère ou celui qui se prétend le parent véritable" dans un délai de cinq ans à compter du jour où la possession d'état a cessé, étant également précisé que toute action en contestation est irrecevable dès lors que l'enfant bénéficie d'une possession d'état conforme au titre de cinq ans depuis sa naissance ou sa reconnaissance.

Nathalie Baillon-Wirtz
Maître de conférences à l'université de Reims Champagne Ardenne


(1) D'Aguesseau , uvres complètes, nouv. éd. par Pardessus, Paris, Frantin et Cie, 1819, T. III., p. 39.
(2) J. Massip, sous Cass. civ. 1, 19 janvier 1999, n° 97-13.607, Mme Odette Humblot, épouse Awan c/ Procureur général près la cour d'appel de Paris, inédit (N° Lexbase : A8018CWU), Defrénois 1999, art. 37031, p. 938.
(3) J. Massip, sous Cass. civ. 1, 28 mars 2000, n° 98-12.806, Mme X c/ M Y, publié (N° Lexbase : A8717AHC), Defrénois 2000, art. 37194, p. 769.
(4) Cass. civ., 1, 28 mars 2000, précité, D. 2000, p. 731, note T. Gare.
(5) P. Murat, obs. sous Cass. civ. 1, 24 septembre 2002, n° 00-22.466, Mlle Jessica Leban c/ Mme Catherine Marius, F-P (N° Lexbase : A4910AZU), Dr. fam. 2003, comm. n° 25.
(6) P. Murat, ibid..
(7) CA Nîmes, 22 novembre 2001, cité par T. Gare, obs. sous Cass. civ. 1, 24 septembre 2002, précité, RJPF-2003-1/35.
(8) Cass. civ. 1, 14 mars 1995, n° 91-11762, Mme X... et autre c/ M. Massimo Z., publié (N° Lexbase : A4149CH7), D. 1995, somm. p.222, obs. F. Granet-Lambrechts.
(9) Cass. civ. 1, 24 septembre 2002, précité.
(10) CA Paris, 6 novembre 1997, D. 1998, p.122, note Ph. Malaurie ; CA Paris, 17 décembre 1998, D. 1999, p.476, note B. Beignier ; Cass. civ. 1, 27 novembre 2001, n° 99-20.740, Mlle Aurore Drossart, FS-D (N° Lexbase : A2900AXP).
(11) CA Aix-en-Provence, 8 février 1996, Dr. fam. 1996, comm. n° 2, note P. Murat ; CA Dijon, 15 septembre 1999, D. 2000, p. 875, note B. Beignier.
(12) TGI Lille, ord., 19 novembre 1997, D. 1998, p. 467, note X. Labbée ; TGI Orléans, ord., 18 octobre 1999, RTD. civ. 2000, p. 814, obs. J. Hauser.
(13) Cass. civ. 1, 3 novembre 2004, n° 02-11.699, Mme Eliane Hazard, épouse Coyard c/ Mme Jeannine Hazard, épouse Langlais, F-D (N° Lexbase : A7552DD3), Defrénois 2005, art. 38121, p. 438, obs. J. Massip.
(14) V. pour une critique de l'article 16-11 du Code civil (N° Lexbase : L6865GTG) issu de la loi du 6 août 2004 : notre chronique, La famille et la mort, Defrénois, 2006, p. 74 et s..
(15) Ceci d'autant plus que l'enfant, représenté par l'administrateur ad hoc, s'est opposé à l'exhumation de l'auteur de la reconnaissance. V. dans le même sens : Cass. civ. 1, 25 octobre 2005, n° 03-14.101, Mlle Abdon Larmonie, agissant tant ès nom qu'ès qualité d'administratrice légale de sa fille Catherine c/ M. Christophe Vandenbussche, F-P+B (N° Lexbase : A1460DLN), RJPF-2006-2/46, obs. T. Gare : en l'espèce, la Cour de cassation a considéré qu'une absence de preuve de relations intimes durant la période légale de conception de l'enfant entre la mère et le père prétendu, entre temps décédé, et surtout le refus de ses héritiers d'effectuer sur le corps du défunt une expertise génétique caractérisaient le motif légitime de ne pas procéder à l'expertise biologique sollicitée.

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] De la rémunération du travailleur à domicile

Réf. : Cass. soc., 10 mai 2007, n° 05-44.313, Société Assonance, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0926DW9)

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Le 07 Octobre 2010


L'article L. 721-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6718ACS), introduisant le chapitre relatif aux travailleurs à domicile, prévoit, parmi les conditions nécessaires à la qualification de travail à domicile, l'existence d'une rémunération dite forfaitaire. Si on la définit habituellement comme une rémunération dont les critères sont fixés et convenus à l'avance, ses caractéristiques plus précises restent relativement floues (1). Il faut donc se réjouir qu'un arrêt rendu par la Chambre sociale le 10 mai 2007 y apporte quelques précisions. En refusant que la rémunération soit subordonnée au payement par un client de la tâche commandée au travailleur, la Cour de cassation clarifie la notion de caractère forfaitaire de la rémunération (1). De la même manière, elle apporte un début de réponse à la question de la rémunération minimale du travailleur à domicile (2).

Résumé

La rémunération forfaitaire du travailleur à domicile ne peut être subordonnée au règlement par le client de la commande qu'il a enregistrée. En outre, à défaut de fixation du salaire horaire et du temps d'exécution des travaux, conformément aux dispositions des articles L. 721-9 (N° Lexbase : L6733ACD) à L. 721-17 (N° Lexbase : L6741ACN) du Code du travail, le travailleur à domicile a droit à une rémunération au moins égale au Smic horaire pour le nombre d'heures de travail effectuée.

1. Précisions quant au caractère forfaitaire de la rémunération

  • La définition de la rémunération forfaitaire

L'article L. 721-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6718ACS) demeure pour le moins laconique. S'il pose comme condition à la qualification de travailleur à domicile le fait de percevoir une rémunération forfaitaire, il ne donne pourtant aucun élément permettant de mieux cerner cette notion.

On admet de manière classique que la rémunération peut être considérée comme étant forfaitaire lorsqu'elle est déterminée selon un tarif fixe et connu d'avance (2). C'est, notamment, le cas pour des rédacteurs-correcteurs percevant une rémunération déterminée selon un tarif horaire fixé et connu à l'avance (3), ou encore pour un maquettiste rémunéré à l'annonce sur la base d'un prix unitaire non modifiable (4). En revanche, cette qualification est refusée pour un rédacteur d'articles historiques qui choisit librement ses sujets et effectue son activité littéraire en dehors de toutes normes préétablies (5).

  • En l'espèce

Les faits ayant donné lieu à l'arrêt commenté concernaient une télévendeuse ayant conclu un contrat de travail à durée indéterminée, à domicile et à temps partiel. Le contrat comportait des clauses spécifiques relatives à son temps de travail ainsi qu'à sa rémunération. S'agissant du temps de travail, le contrat stipulait que la durée totale effective de travail serait liée au volume des travaux confiés à la salariée. S'agissant de la rémunération, il prévoyait une rémunération au forfait calculée en fonction d'un barème annexé au contrat, barème prévoyant des tarifs fixés à une certaine somme "par commande enregistrée et payée par le client".

Il pouvait donc apparaître, au moins à première vue, que le tarif était bien fixé et convenu à l'avance entre le salarié et l'employeur. L'existence d'un barème idoine en était certainement la meilleure garantie. Pourtant, la Cour de cassation, suivant ainsi la cour d'appel, estime que le mode de rémunération n'est pas adéquat. En effet, la clause consistant à subordonner la rémunération du travailleur à domicile au règlement par le client de la commande est déclarée illicite.

Bien entendu, les juges ne contestent pas la possibilité pour l'employeur d'un travailleur à domicile de fixer la rémunération à la tâche. C'est plutôt la condition attachée à cette rémunération qui pose difficulté : il n'est pas envisageable pour les juges de conditionner l'existence même de la rémunération de la salariée au paiement de la commande par le client de l'employeur. Autrement dit, la rémunération du salarié ne peut être soumise à la bonne exécution d'un contrat conclu entre la société employeur et l'un de ses clients. Cette solution nous paraît particulièrement bienvenue, et ce pour au moins deux raisons.

  • La rémunération forfaitaire doit être fixe

La solution paraît, tout d'abord, opportune parce qu'elle permet de renforcer l'exigence de fixité liée au caractère forfaitaire de la rémunération. En effet, on voit mal pour quelle raison le travailleur à domicile devrait subir les aléas de la bonne exécution de contrats auxquels il n'est pas partie. Ce serait là faire peser sur le salarié un risque qui, normalement, doit être supporté par l'entreprise. Mais, au-delà, cela brouillerait le caractère de fixité des critères de la rémunération, caractère qui pourrait varier selon que les clients de l'entreprise se trouvent être de bons ou de mauvais payeurs.

Le caractère de fixité de la rémunération forfaitaire du travailleur à domicile est ainsi respecté, ce qui s'avère être conforme à la logique adoptée par la Chambre sociale concernant les clauses de variabilité de la rémunération des travailleurs à domicile. Le salarié ne doit pas être tenu d'un quelconque aléa concernant sa rémunération puisque ses critères doivent avoir été clairement fixés, si bien que les clauses de variabilité sont proscrites dans cette hypothèse (6).

Cette solution est également logique car elle préserve la qualité de salarié au travailleur à domicile.

  • Le travailleur à domicile est un salarié

Si les juges avaient accepté de soumettre la rémunération du travailleur à domicile au bon payement des commandes passées par le client, on aurait pu douter du maintien de la qualification de contrat de travail de la relation nouée entre l'employeur et le travailleur à domicile.

En effet, si le salaire du travailleur est subordonné au payement de la commande par le client, l'employeur ne paraît alors plus être qu'un simple intermédiaire dans une relation entre un client et un travailleur indépendant. On serait assez proche, finalement, d'une hypothèse de sous-traitance. En revanche, si, comme l'imposent les juges, la rémunération doit être liée à l'exécution des tâches initialement prévues et non au paiement par le client, il n'y a plus de lien direct entre le client et le travailleur à domicile.

En réalité, la qualification de salarié n'aurait pas pu être remise en cause puisque, pour les travailleurs à domicile, elle est présumée à partir du moment où les conditions de l'article L. 721-1 du Code du travail sont réunies. A cela près que, comme nous l'avons vu, le défaut de fixité des critères du fait de la clause spécifique aurait pu faire douter de l'existence d'une rémunération forfaitaire et donc, de facto, de l'existence d'une relation de travail salariée.

Si la solution nous paraît donc tout aussi logique que satisfaisante en ce qui concerne les précisions apportées par la Chambre sociale en matière de rémunération forfaitaire, il nous faut être bien plus nuancés s'agissant de la seconde partie de la décision imposant un plancher correspondant au Smic horaire.

2. Précisions quant au salaire minimum du travailleur à domicile

  • Les dispositions régissant la rémunération minimale

Les articles L. 721-9 (N° Lexbase : L6733ACD) à L. 721-17 (N° Lexbase : L6741ACN) du Code du travail n'ont pour autre objet que de mettre en place des règles permettant d'assurer au travailleur à domicile un salaire minimal. La réglementation en question est passablement complexe.

Ce salaire minimum se calcule en opérant le produit du salaire horaire fixé et du nombre d'heures de travail effectué. Or, les deux facteurs de cette opération semblent particulièrement difficiles à déterminer. Ainsi, comme le relevait le Conseil économique et social, "le temps de travail et les conditions de rémunération constituent des problèmes permanents et lancinants du travail à domicile que les différentes modifications législatives n'ont pu régler" (7).

S'agissant, plus spécialement, du salaire horaire, les articles L. 721-10 (N° Lexbase : L6734ACE) à L. 721-14 (N° Lexbase : L6738ACK) prévoient trois modes de fixation de son taux : une convention collective de branche étendue, une intervention du préfet par arrêté, voire une intervention du ministre chargé du Travail, également par arrêté. Or, ces modalités se sont révélées "totalement inadaptées" (8). Que faire, dès lors, en cas de carence, lorsque aucune de ces autorités n'a pris ses responsabilités ?

  • L'utilisation du Smic horaire

Devant la carence des différents acteurs ayant vocation à fixer le taux horaire minimal applicable aux travailleurs à domicile, la Chambre sociale de la Cour de cassation décide donc que "le travailleur à domicile a droit à une rémunération au moins égale au salaire minimum de croissance pour le nombre d'heures de travail qu'il a effectué".

Si une telle décision peut paraître, à certains égards, plutôt satisfaisante, d'autres éléments laissent à penser que d'autres voies auraient pu être suivies par la Cour de cassation.

  • L'égalité entre les travailleurs

La décision peut paraître satisfaisante en ce qu'elle applique aux travailleurs à domicile les règles dont bénéficie finalement l'ensemble des salariés. Les salariés bénéficient, en effet, tous de la protection du salaire minimum interprofessionnel de croissance. Appliquer cette règle aux travailleurs à domicile, outre qu'elle paraît empreinte de bon sens, permet donc d'assurer une certaine égalité formelle entre salariés dans l'entreprise et salariés à domicile.

Cependant, il est possible que cette égalité ne soit que de façade car il existe, dans de bien nombreuses branches, des minima conventionnels qui sont plus élevés que le Smic. Pourquoi ne pas faire bénéficier ces travailleurs à domicile des dispositions issues du statut collectif, à condition, bien entendu, que leurs qualifications ou leurs emplois correspondent aux grilles conventionnelles ? Pourquoi faire une différence entre deux rédacteurs-correcteurs, exerçant des fonctions identiques, selon qu'ils travaillent l'un à domicile, l'autre dans les locaux de l'entreprise ? On le voit donc bien, la Chambre sociale aurait pu pousser l'analyse plus loin et ne consacrer le Smic horaire comme minimum salarial qu'à défaut de minima conventionnels concernant des salariés du même niveau de qualification dans l'entreprise.

Mais ce n'est peut être pas sur ce point que la décision de la Cour de cassation est la plus contestable.

  • Une atteinte à la séparation des pouvoirs ?

On peut légitimement se demander s'il était bien du rôle de la Cour de cassation de prendre partie afin de fixer un taux horaire minimum pour les travailleurs à domicile. En effet, comme nous l'avons déjà rappelé, ce rôle est attribué par le Code du travail aux partenaires sociaux ou, à défaut, aux préfets, voire au ministre du Travail.

Dès lors, la compétence du juge judiciaire n'était-elle pas discutable s'agissant de la détermination du taux horaire applicable aux travailleurs à domicile ? Si les textes précisent que le ministre chargé du Travail "peut" intervenir en la matière, il en va différemment du préfet qui "fixe" le taux horaire à défaut d'intervention des partenaires sociaux. On peut alors penser que c'est une action devant le juge administratif visant à constater la carence du préfet qui aurait dû être entreprise afin que celui-ci assume les responsabilités qui lui sont dévolues. La prise de position de la Cour de cassation pourrait donc éventuellement apparaître comme une violation insidieuse du principe de séparation des ordres administratif et judiciaire...

Sébastien Tournaux
Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Pour une étude d'ensemble sur le travail à domicile, v. le rapport du Conseil économique et social, Ch. Rey, Le travail à domicile, rapport du CES, 10 février 1999.
(2) Cass. soc., 11 octobre 1979, n° 78-12.261, CPCAM Région parisienne c/ SA Les Presses de la Cité, publié (N° Lexbase : A3428AG3).
(3) Ibid.
(4) Cass. soc., 23 juin 1982, n° 81-13.369, Groupement National d'Edition SARL c/ CPCAM Région Parisienne, Gouty, Caisse Mutuelle d'Assurance, publié (N° Lexbase : A3682AGH).
(5) Cass. soc., 22 janvier 1981, n° 77-12.854, Caisse primaire centrale d'assurance maladie de la région parisienne c/ Dame Beaufort, publié (N° Lexbase : A6670BLM).
(6) Cass. soc., 5 avril 2006, n° 03-45.888, Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) c/ Mme Hélène Heurtebise, FS-P+B (N° Lexbase : A9605DN3).
(7) Ch. Rey, Le travail à domicile, préc., p. 28.
(8) Ibid, p. 42.
Décision

Cass. soc., 10 mai 2007, n° 05-44.313, Société Assonance, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0926DW9).

Rejet (CA de Douai, chambre sociale, 30 juin 2005).

Textes concernés : C. trav., art. L. 721-9 (N° Lexbase : L6733ACD) à C. trav., art. L. 721-17 (N° Lexbase : L6741ACN).

Mots-clés : travail à domicile ; rémunération forfaitaire ; salaire minimum.

Liens bases : ; .

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Sécurité sociale

[Jurisprudence] La qualification d'accident du travail du suicide consécutif à un harcèlement moral

Réf. : Cass. civ. 2, 10 mai 2007, n° 06-10.230, M. Bernard Boeamara, FS-P+B (N° Lexbase : A1135DWX)

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N1670BBH

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Le 07 Octobre 2010

Par un arrêt rendu le 10 mai 2007, la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence sur la qualification de suicide d'une salariée victime de harcèlement moral. En l'espèce, M. T., estimant que le suicide de son épouse était la conséquence directe du harcèlement moral que lui faisait subir le chef du service de la comptabilité de la société EEC, a saisi les juridictions. Le tribunal de première instance de Nouméa a retenu que le comportement fautif du chef de service était à l'origine du suicide de la salariée et qu'il devait en indemniser les victimes. La preuve d'une faute personnelle de la société EEC n'est pas rapportée mais le tribunal la déclare, en tant que commettant, solidairement responsable du dommage causé par son préposé, dans le cadre de ses fonctions de chef de service. Les juges d'appel (1) confirment le jugement. La Cour de cassation casse pourtant cet arrêt, au visa du décret n° 57-245 du 24 février 1957 (décret n° 57-245 du 24 février 1957, sur la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer et au Cameroun N° Lexbase : L6471HTT). Elle considère, en effet, qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les circonstances du décès ne conduisaient pas à le qualifier d'accident du travail, ce qui rendraient seules applicables les dispositions d'ordre public du décret du 24 février 1957, la cour d'appel a privé sa décision de base légale. La décision permet opportunément de faire une synthèse du régime des accidents du travail prévu dans les territoires d'outre-mer et au Cameroun mais, surtout, de faire le point sur la qualification d'accident du travail s'agissant d'un suicide.

Résumé

Le comportement fautif d'un chef de service, à l'origine du suicide d'un salarié, ne rend pas la société, en tant que commettant, civilement responsable de son préposé. Les juges du fond doivent rechercher si les circonstances du décès ne conduisaient pas à le qualifier d'accident du travail, ce qui rendraient seules applicables les dispositions d'ordre public du décret du 24 février 1957, rendant ainsi possible la qualification de suicide en accident du travail.

1. Le régime des accidents du travail prévu dans les territoires d'outre-mer et au Cameroun

1.1. Organisation

Le décret n° 57-245, du 24 février 1957, régit les accidents du travail et les maladies professionnelles en ce qui concerne leur réparation et leur prévention. Applicable dans les territoires d'outre-mer et au Cameroun, ce décret a été modifié par le décret n° 57-829 du 23 juillet 1957 (décret n° 57-829, portant application des modifications adoptées par le Parlement concernant le décret n° 57-245 du 24 février 1957 sur la répartition et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer N° Lexbase : L6232HX4) (modification des articles 1, 6, 11 et 14 du décret n° 57-245 du 24 février 1957).

L'ordonnance n° 58-875, du 24 septembre 1958 (ordonnance portant modification du décret n° 57-245 du 24 février 1957, modifié par le décret n° 57-829 du 23 juillet 1957 sur la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer N° Lexbase : L6234HX8), a abrogé l'article 11 et modifié les articles 12, 13, 14, 15, 28, 45, 55, 56 et 67 du décret n° 57-245 du 24 février 1957. Conformément au droit commun de l'accident du travail en métropole (CSS, art. L. 411-1 N° Lexbase : L5211ADD), est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail à tous les travailleurs soumis aux dispositions de la loi du 15 décembre 1952 (instituant un Code du travail d'outre-mer).

Sont, également, considérés comme accident du travail l'accident survenu à un travailleur pendant le trajet de sa résidence au lieu du travail et vice versa, dans la mesure où le parcours n'a pas été interrompu ou détourné pour un motif dicté par l'intérêt personnel ou indépendant de son emploi, ainsi que l'accident survenu pendant les voyages dont les frais sont mis à la charge de l'employeur en vertu de l'article 125 du Code du travail d'outre-mer (décret n° 57-245, art. 2).

La gestion des risques est assurée par les caisses de compensation des prestations familiales, créées par l'article 237 de la loi du 15 décembre 1952 (loi n° 52-1322, instituant un Code du travail dans les territoires et territoires associés relevant des ministères de la France d'Outre-mer N° Lexbase : L6236HXA), pour toutes les personnes bénéficiant de ses dispositions, à l'exception des soins de première urgence, qui sont à la charge de l'employeur (décret n° 57-245, art. 6). L'affiliation des travailleurs aux caisses de compensation des prestations familiales incombe aux employeurs. Les travailleurs sont affiliés à la caisse dans le territoire de laquelle se trouve leur lieu de travail (décret n° 57-245, art. 9).

Lors de la guérison de la blessure sans incapacité permanente ou, s'il y a incapacité permanente, au moment de la consolidation, un certificat médical indiquant les conséquences définitives, si celles-ci n'avaient pu être antérieurement constatées, est établi par le médecin traitant (décret n° 57-245, art. 20).

1.2. Prestations

Les prestations accordées aux bénéficiaires comprennent, qu'il y ait ou non interruption de travail :
- la couverture des frais entraînés par les soins médicaux et chirurgicaux, des frais pharmaceutiques et accessoires ;
- la couverture des frais d'hospitalisation ;
- la fourniture, la réparation et le renouvellement des appareils de prothèse et d'orthopédie nécessités par l'infirmité résultant de l'accident et reconnus indispensables soit par le médecin traitant, soit par la commission d'appareillage et, dans les mêmes conditions, la réparation et le remplacement de ceux que l'accident a rendus inutilisables ;
- la couverture des frais de transport de la victime à sa résidence habituelle, au centre médical interentreprises ou à la formation sanitaire ou à l'établissement hospitalier ;
- la prise en charge des frais nécessités par le traitement, la réadaptation fonctionnelle, la rééducation professionnelle et le reclassement de la victime (décret n° 57-245, art. 24).

Les indemnités dues aux bénéficiaires :
- l'indemnité journalière due à la victime pendant la période d'incapacité temporaire qui l'oblige à interrompre son travail ;
- les prestations autres que les rentes dues en cas d'accident suivi de mort ;
- la rente due à la victime atteinte d'une incapacité permanente de travail et, en cas de mort, les rentes dues aux ayants droit de la victime (décret n° 57-245, art. 27).

En cas d'accident suivi de mort, les frais funéraires sont remboursés par l'organisme assureur aux ayants droit de la victime dans la limite des frais exposés (décret n° 57-245, art. 31).

Ne donne lieu à aucune indemnité l'accident résultant de la faute intentionnelle de la victime. En outre, lors de la fixation de la rente, l'organisme assureur peut, s'il estime que l'accident est dû à une faute inexcusable de la victime, diminuer la rente, sauf recours du bénéficiaire devant la juridiction compétente (décret n° 57-245, art. 33).

De plus, lorsque l'accident est dû à une faute inexcusable de l'employeur ou de ceux qu'il s'est substitués dans la direction, les indemnités dues à la victime ou à ses ayants droit sont majorées. Le montant de la majoration est fixé par l'organisme assureur en accord avec la victime et l'employeur ou, à défaut, par le tribunal du travail compétent sans que la rente ou le total des rentes allouées puisse dépasser soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire (décret n° 57-245, art. 34).

Si l'accident est dû à une faute intentionnelle de l'employeur ou de l'un de ses préposés, la victime ou ses ayants droit conservent, contre l'auteur de l'accident, le droit de demander réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé. L'organisme assureur est tenu de servir à la victime ou à ses ayants droit les prestations et indemnités. Il est admis de plein droit à intenter contre l'auteur de l'accident une action en remboursement des sommes payées par lui (décret n° 57-245, art. 35).

2. La qualification d'accident du travail du suicide en débat

Il faut distinguer deux hypothèses : le suicide consécutif à un harcèlement moral et le suicide consécutif à l'accident du travail lui-même.

2.1. Le suicide consécutif à un harcèlement moral

  • Rejet de la qualification d'accident du travail

Dans un arrêt rendu en 2005 (2), la Cour de cassation était déjà sollicitée sur le point de savoir si le harcèlement moral, à l'origine d'un état dépressif d'un salarié, pouvait conduire à la qualification juridique d'accident du travail. Elle avait répondu dans un sens très restrictif : la victime d'un harcèlement moral qui ne rapporte pas la preuve de ce qu'un arrêt de travail a été causé par une brutale altération de ses facultés mentales, en relation avec les événements invoqués, ne peut se prévaloir de la législation sur les accidents du travail.

Le harcèlement, en lui-même, peut-il entraîner une qualification juridique d'accident du travail ? Non : la législation sur les accidents du travail ne prend en charge que les atteintes corporelles et physiques au salarié, appelant une prise en charge totale, parce que réalisées au temps et au lieu de travail. Le harcèlement moral, en soi, n'est pas une atteinte corporelle ou physique du salarié.

Mais la dépression consécutive à un harcèlement moral peut-elle être prise en charge par la législation sur les accidents du travail ? La Cour de cassation décidait (3) (arrêt rendu en 2005, préc.) que le salarié ne rapportait pas la preuve de ce qu'un arrêt de travail ait été causé par une brutale altération de ses facultés mentales, en relation avec les événements invoqués. Cette solution s'inscrit dans le prolongement d'une jurisprudence antérieure, retenant comme critère de l'accident de travail, la soudaineté et la brutalité dans l'altération des facultés mentales de la victime.

Dans son arrêt rendu le 15 juin 2004 (4), la Cour de cassation a relevé que le salarié souffrait d'un état de stress, nécessitant un traitement et un suivi psychologique, survenu aux temps et lieu de travail, puisque directeur d'une agence bancaire, son agence a fait l'objet d'une attaque à main armée. De même, une dépression nerveuse apparue soudainement deux jours après un entretien d'évaluation au cours duquel il avait été notifié à un salarié un changement d'affectation, et consécutive, selon l'expertise médicale technique, à cet entretien, mérite la qualification d'accident du travail (Cass. civ. 2, 1er juillet 2003, n° 02-30.576, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Dordogne c/ M. Jean-Claude Ratinaud, FS-P N° Lexbase : A0610C9H ; Bull. civ. V, n° 218).

  • Revirement de jurisprudence (arrêt rapporté)

Le comportement fautif d'un chef de service à l'origine du suicide d'un salarié ne rend pas la société, en tant que commettant, civilement responsable de son préposé. Les juges du fond doivent rechercher si les circonstances du décès ne conduisaient pas à le qualifier d'accident du travail, ce qui rendraient seules applicables les dispositions d'ordre public du décret du 24 février 1957, rendant ainsi possible la qualification de suicide en accident du travail.

  • Admission de la preuve contraire

La jurisprudence fixée par la Chambre sociale de la Cour de cassation admet que la présomption d'imputabilité ne joue plus, s'en tenant au principe d'admission de la preuve contraire. En principe, la preuve contraire pèse sur la CPAM, selon laquelle l'accident a une cause totalement étrangère au travail, et ne mérite donc pas la qualification d'accident du travail. La Cour de cassation laisse aux juges du fond le soin d'apprécier souverainement les éléments de preuve qui sont soumis à leur examen (5).

La Cour de cassation estime que la brusque apparition, au temps et au lieu du travail, d'une lésion de l'organisme révélée par un malaise, constitue, en principe, un accident présumé imputable au service. Il appartient à la CPAM d'apporter la preuve que cette lésion a une cause totalement étrangère au travail (6).

2.2. Le suicide consécutif à l'accident du travail lui-même

La Cour de cassation admet que l'état consécutif à une tentative de suicide peut être pris en charge au titre de la législation sur les accidents du travail (Cass. civ. 2, 22 février 2007, n° 05-13.771, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A2849DU3 ; lire les obs. de S. Martin-Cuenot, Accident du travail : où va-t-on ?, Lexbase Hebdo n° 251 du 8 mars 2007 - édition sociale N° Lexbase : N2896BAI).

Dans une autre espèce, un salarié avait été victime d'un accident de la circulation dans l'exercice de ses fonctions. Il a été en arrêt de travail, puis s'est suicidé dans son bureau au siège de la société qui l'employait. Le tribunal des affaires de Sécurité sociale ayant jugé que le décès du salarié était la conséquence directe de l'accident du travail, la caisse primaire d'assurance maladie l'a pris en charge au titre de la législation professionnelle. La cour d'appel, par une appréciation des éléments de preuve qui lui étaient fournis, a estimé que le syndrome dépressif ayant conduit le salarié à se suicider avait sa cause directe dans l'accident de la voie publique du 19 mars 1991 (Cass. soc., 15 février 2001, n° 99-17.406, Société Sarel c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Roubaix, inédit N° Lexbase : A3847ARW).

La Cour a même été plus loin, puisqu'elle a appliqué sa jurisprudence "amiante" relative à l'obligation de sécurité de résultat, dont le non-respect par l'employeur est associé à une faute inexcusable (Cass. civ. 2, 22 février 2007, préc.). Il est bien connu, désormais, qu'en application de cette jurisprudence, en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité de résultat, le manquement à cette obligation ayant le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5300ADN), lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Dans cette espèce, l'équilibre psychologique du salarié avait été gravement compromis à la suite de la dégradation continue des relations de travail et du comportement du chef de service, caractérisant le fait que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé son salarié et qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Encore faut-il que le suicide (ou sa tentative) soit en relation avec l'activité professionnelle, à défaut de quoi la qualification d'accident du travail ne sera pas reconnue.

- Soit que le suicide soit totalement étranger au travail : en l'espèce appréciée par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 18 octobre 2005 (7), la tentative de suicide commise par une salariée revêtait un caractère volontaire, puisant son origine dans des difficultés privées et personnelles, et non dans l'activité professionnelle de la salariée. Cet accident n'ayant pas un caractère professionnel, l'employeur n'avait pas commis de faute inexcusable.

- Soit que le suicide ne soit qu'en partie en relation avec le travail : en l'espèce, si l'atmosphère dans l'entreprise s'était fortement dégradée à partir du début de 1997 en raison d'un changement de personnes et si, corrélativement, le médecin traitant du salarié avait constaté un syndrome dépressif, cette dégradation a concerné l'ensemble du personnel. En outre, la victime n'avait fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire et aucun incident ne l'avait opposé à un supérieur hiérarchique. Il n'existait pas de lien de causalité entre les conditions de travail du salarié et son suicide (Cass. civ. 2, 3 avril 2003, n° 01-14.160, FS-D N° Lexbase : A6518A7K).

Dans une autre espèce, le salarié n'avait été que très légèrement blessé lors de l'accident, le seul certificat médical établi du vivant de l'intéressé ne mentionnait qu'un état anxieux. Cet état, ainsi que l'intention suicidaire du salarié, étaient antérieurs à l'accident, et un délai de 4 mois s'était écoulé avant le suicide (Cass. soc., 7 juillet 1994, n° 91-11.588, Mme Monique Curie, née Breniaux c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Jura et autres, inédit N° Lexbase : A2718CPD).

La victime (ou ses ayants droit) doit apporter la preuve du lien de causalité entre le suicide et la relation professionnelle. Si la brusque survenance d'une lésion physique au temps et au lieu du travail constitue par elle-même un accident présumé imputable au travail, encore faut-il que les ayants droit du salarié qui s'est suicidé au temps et sur son lieu de travail prouvent l'existence d'un lien de causalité entre le travail et le suicide en démontrant, notamment, que celui-ci a pour origine exclusivement le travail. En l'espèce, le salarié, de nature anxieuse, traversait une période difficile sur le plan personnel et financier et était sur le point de quitter son employeur. Par ailleurs, bien que considérant qu'il existait des dysfonctionnements majeurs dans l'entreprise, il n'a jamais alerté les institutions représentatives du personnel, et ce pendant 25 ans. Dès lors, la preuve n'est pas rapportée que les conditions de travail, certes difficiles, ont été la cause de son décès (8).

Mais l'appréciation du régime de la preuve, en matière de suicide, reste un exercice délicat, parce que le principe fondamental, en droit des accidents du travail, la présomption d'imputabilité, reste en vigueur. C'est, notamment, le cas du suicide survenu au lieu du travail et pendant le service du salarié (Cass. soc., 24 janvier 2002, n° 00-14.379, FS-D N° Lexbase : A8386AXU). Les juges du fond apprécient souverainement si un accident est survenu par le fait ou à l'occasion du travail. Dès lors qu'une cour d'appel constate que des lésions corporelles ou des blessures étaient survenues dans de telles circonstances, elle est fondée à en déduire qu'il s'agissait d'un accident du travail (9). En revanche, si la juridiction du second degré constate qu'un décès par suicide n'était pas survenu dans de telles circonstances, elle est fondée à en déduire qu'il ne s'agissait pas d'un accident du travail (10).

Christophe Willmann
Professeur à l'Université de Rouen


(1) Cour d'appel de Nouméa CT0062, 6 octobre 2005, pourvoi n° 369, publié par le service de documentation et d'études de la Cour de cassation.
(2) Cass. civ. 2, 24 mai 2005, n° 03-30.480, M. Jean Liard c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Eure-et-Loir, FS-P+B (N° Lexbase : A4216DIY) ; lire nos obs., Harcèlement moral et qualification juridique d'accident du travail, Lexbase Hebdo n° 172 du 16 juin 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N5322AIX).
(3) Cass. civ. 2, 24 mai 2005, n° 03-30.480, préc..
(4) Cass. civ. 2, 15 juin 2004, n° 02-31.194, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) d'Indre-et-Loire c/ M. Philippe Badin, FS-P+B (N° Lexbase : A7392DCR) ; lire nos obs., Le choc émotionnel créant des troubles psychologiques est bien un accident du travail, Lexbase Hebdo n° 128 du 8 juillet 2004 - édition sociale (N° Lexbase : N2259ABB).
(5) Cass. soc., 20 décembre 2001, n° 00-13.002, Compagnie Air France c/ M. Jacques Bareges, FS-P+B+R (N° Lexbase : A6868AXN) ; Cass. soc., 20 décembre 2001, n° 00-14.473, Société Filatures de Cheniménil (FDC) c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Vosges, FS-P+B+R sur le second moyen (N° Lexbase : A6894AXM).
(6) Cass. soc., 5 janvier 1995, n° 92-17.574, Caisse primaire d'assurance maladie des Yvelines c/ Mme Mireille Goblet (N° Lexbase : A2419AGP) ; salarié d'une banque, victime d'un malaise cardiaque mortel au temps et au lieu de son travail : stress et surmenage dus aux conditions de travail.
(7) Cass. civ. 2, 18 octobre 2005, n° 04-30.205, Mme Chantal Rousseaux c/ Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Vosges, FS-D (N° Lexbase : A0351DLL)
(8) Cour d'appel de Rennes, 20 novembre 2002, n° de pourvoi 01/07040, publié par le service de documentation et d'études de la Cour de cassation.
(9) Cass. soc., 20 décembre 2001, n° 00-13.002, préc..
(10) Cass. soc., 20 décembre 2001, n° 00-13.002, préc..

Décision

Cass. civ. 2, 10 mai 2007, n° 06-10.230, M. Bernard Boeamara, FS-P+B (N° Lexbase : A1135DWX)

Rejet (CA Nouméa, 6 octobre 2005)

Textes concernés : décret n° 57-245 du 24 février 1957, sur la réparation et la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles dans les territoires d'outre-mer et au Cameroun (N° Lexbase : L6471HTT)

Mots-clefs : accident du travail ; suicide ; qualification.

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Entreprises en difficulté

[Jurisprudence] Désignation de plusieurs commissaires à l'exécution du plan : des précisions de procédure s'imposent...

Réf. : Cass. com., 9 mai 2007, n° 05-19.320, M. Gilles Baronnie, mandataire judiciaire, F-P+B (N° Lexbase : A1091DWC)

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par Florence Labasque, SGR - Droit commercial

Le 07 Octobre 2010

"Lorsque le tribunal de commerce qui a arrêté le plan de redressement judiciaire désigne plusieurs commissaires à l'exécution du plan, chacun d'eux se trouve investi de la totalité des pouvoirs dévolus par la loi à cet organe, lequel ne représente pas le débiteur, et a la capacité de les exercer seul, de sorte que la notification du jugement faite à l'un d'eux ne fait pas courir le délai d'appel à l'égard de l'autre". Telle est la solution de principe posée par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 9 mai dernier, destiné à être publié au Bulletin. La Cour de cassation s'est prononcée dans les circonstances suivantes : le 19 juin 2001, la société Air liberté AOM est mise en redressement judiciaire. Un plan de cession est adopté. M. L. et M. B. sont tous deux désignés commissaires à l'exécution du plan. Ceux-ci engagent, en cette qualité, une action à l'encontre de la société BP France en restitution d'une avance destinée à assurer l'approvisionnement en carburant de la société Air liberté AOM durant la période d'observation. Le tribunal rejette leur demande en admettant le principe de la compensation opposée par la société BP France avec une créance antérieure au jugement d'ouverture. Ils forment alors appel, lequel, cependant, est déclaré irrecevable par la cour d'appel de Versailles.
Plus précisément, après avoir constaté que le jugement avait été signifié à M. B. le 31 décembre 2003 et n'avait pas été signifié à M. L., et que tous deux en ont interjeté appel le 17 février 2004, soit au-delà du délai d'un mois prévu par la loi, la cour d'appel a considéré que la signification du jugement faite à M. B. valait également pour M. L. et que l'appel formé par ce dernier, ès qualités, devait donc être déclaré irrecevable.
N'abandonnant par pour autant les poursuites, MM. B. et L. se pourvoient en cassation.

C'est, alors, avec succès que la société BP France conteste la recevabilité du pourvoi formé par M. L., ès qualités. En effet, la Cour de cassation prononce l'irrecevabilité du pourvoi formé par ce dernier dans les termes suivants : "l'arrêt relève que le tribunal a mis fin à la mission de M. L., commissaire à l'exécution du plan, par jugement du 22 septembre 2004 ; [...] ce dernier n'ayant dès lors plus qualité pour agir à compter de cette date, son pourvoi, formé ès qualités le 8 septembre 2005 est irrecevable" .
Cette solution est classique et renvoie à la compétence temporelle du commissaire à l'exécution du plan. En effet, les actions en justice que celui-ci peut être amené à exercer sont enfermées dans les délais nécessaires à l'exécution de sa mission .

C'est donc surtout le deuxième point qui nous retiendra ici.


En effet, la Cour de cassation est amenée à statuer sur le pourvoi formé par M. B., ès qualités, dont la recevabilité n'est pas contestée. Celui-ci invoquait une violation de l'article 529 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2773AD3). Aux termes de cette disposition, "en cas de condamnation solidaire ou indivisible de plusieurs parties, la notification faite à l'une d'elles ne fait courir le délai qu'à son égard.
Dans les cas où un jugement profite solidairement ou indivisiblement à plusieurs parties, chacune peut se prévaloir de la notification faite par l'une d'elles".
Ce moyen d'ouverture à cassation remporte finalement le succès, l'arrêt d'appel se trouvant censuré pour violation de ce texte.

Pour cela, la Haute juridiction énonce que, "lorsque le tribunal de commerce qui a arrêté le plan de redressement judiciaire désigne plusieurs commissaires à l'exécution du plan, chacun d'eux se trouve investi de la totalité des pouvoirs dévolus par la loi à cet organe, lequel ne représente pas le débiteur, et a la capacité de les exercer seul, de sorte que la notification du jugement faite à l'un d'eux ne fait pas courir le délai d'appel à l'égard de l'autre". Elle en déduit que l'appel interjeté par M. L., alors en fonctions et auquel le jugement n'avait pas été signifié, était recevable.
Il s'agit là d'une solution de principe dont nous devons mesurer la portée.

Rappelons, tout d'abord, que selon l'article L. 621-68, alinéa 1er, du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises (N° Lexbase : L6920AI7), le tribunal nomme un commissaire "chargé de veiller à l'exécution du plan". Le plus souvent, l'administrateur ou le représentant des créanciers est nommé à cette fonction -possibilité d'ailleurs offerte par cette disposition -. Le commissaire à l'exécution du plan peut être remplacé par le tribunal soit d'office, soit à la demande du procureur de la République.

Par ailleurs, il a été admis, en jurisprudence, qu'"aucune disposition de la loi du 25 janvier 1985 [...] n'interdit au tribunal de désigner plusieurs commissaires à l'exécution du plan lorsque la situation du débiteur rend ces désignations nécessaires" (Cass. com., 11 décembre 2001, n° 98-22.228, F-D N° Lexbase : A6435AXM). Tel était le cas, en l'espèce, le jugement ayant adopté le plan de cession de la société Air liberté AOM ayant désigné deux commissaires à l'exécution du plan.
Dans une telle hypothèse, se pose d'emblée la question de la répartition des pouvoirs dévolus à cet organe, mais aussi de l'indépendance des actions pouvant être exercées par chacun d'eux.

La Haute juridiction précise, ainsi, que chacun d'eux se trouve investi de la totalité des pouvoirs dévolus par la loi à cet organe et a la capacité de les exercer seul. Rappelons que le commissaire à l'exécution du plan est investi, légalement, d'une mission générale de surveillance de l'exécution du plan (C. com., art. L. 621-68 , al. 1, préc.), mais aussi de missions spéciales -variant selon qu'il est en présence d'un plan de continuation ou de cession-.
La Cour de cassation s'empresse, cependant, de rappeler que le commissaire à l'exécution du plan n'a pas pour autant qualité pour représenter le débiteur. Il s'agit là d'une jurisprudence déjà bien établie (voir, en ce sens, Cass. soc., 27 novembre 2001, n° 00-40.771, FS-P N° Lexbase : A2703AXE, Cass. com., 13 novembre 2003, n° 01-10.724, M. Pascal Raynaud c/ Caisse régionale du Crédit agricole mutuel (CRCAM) Centre France, F-D N° Lexbase : A1230DAS et Cass. com., 12 octobre 2004, n° 02-16.762, M. Frédéric Letertre c/ M. David Noël, FS-P N° Lexbase : A6002DDN).

En l'espèce, dans le cadre de leurs attributions, les deux commissaires à l'exécution du plan avaient engagé une action en restitution d'une avance destinée à assurer l'approvisionnement en carburant de la société débitrice durant la période d'observation. Le jugement ayant rejeté leur demande n'avait été signifié qu'à l'un deux. Les deux font pourtant appel mais ce, au-delà du délai d'un mois prévu par la loi. La cour d'appel estime, à tort saura-t-on alors, que la signification du jugement faite à l'un valait également pour l'autre et que l'appel formé par ce dernier, ès qualités -qui n'a donc pas reçu de notification- devait lui aussi être déclaré irrecevable. Au contraire, la Chambre commerciale considère que, dans la mesure où chacun des commissaires à l'exécution du plan a la capacité d'exercer seul les pouvoirs qui leur sont dévolus, la notification du jugement faite à l'un d'eux ne fait pas courir le délai d'appel à l'égard de l'autre.

Il faut donc en déduire qu'en présence de deux commissaires à l'exécution du plan, il convient de procéder à une signification distincte pour chacun d'entre eux, dès lors, bien évidemment, que les deux sont encore en fonctions. Si cette solution peut être approuvée sur le plan de la sécurité juridique, elle appelle toutefois à une certaine vigilance qui permettra d'éviter les remises en cause "incessantes" des décisions et donc de mauvaises surprises, par exemple, aux cocontractants.

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