La lettre juridique n°262 du 31 mai 2007

La lettre juridique - Édition n°262

Éditorial

Garde alternée vs sérénité et stabilité de l'enfant sans alternance

Lecture: 3 min

N3375BBM

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209137-edition-n-262-du-31052007#article-283375
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Chaque année, 120 000 enfants sont concernés par le divorce de leurs parents, auxquels il convient d'ajouter ceux touchés par la séparation de leurs parents concubins. Afin d'assurer des relations équitables des enfants avec leurs deux parents et de renforcer l'exercice en commun de la parentalité malgré la séparation du couple, Ségolène Royal, alors ministre déléguée à la Famille et à l'Enfance, avait présenté une série de mesures destinées à "refonder, rénover et soutenir l'autorité parentale", notamment au travers de la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l'autorité parentale, qui a reconnu officiellement la possibilité, pour les parents divorcés ou séparés, d'organiser une résidence alternée de leurs enfants. Cette possibilité peut, en outre, être décidée par le juge aux affaires familiales, à titre provisoire ou définitif, lorsque les parents ne parviennent pas à s'entendre sur la garde des enfants.

Dans le cadre de la résidence alternée, l'enfant partage son temps entre le domicile de ses deux parents, selon une périodicité variable d'un cas sur l'autre. Il s'agit, le plus souvent, d'une alternance hebdomadaire (80 % des cas), mais chaque couple peut s'entendre sur des modalités différentes (une quinzaine sur deux, alternance infra hebdomadaire, partage du temps sur une période plus longue selon un planning arrêté en commun). Toutefois, la résidence des enfants reste fixée, dans la grande majorité des cas, de façon exclusive chez l'un ou l'autre parent (chez la mère, dans 75 % des cas ; chez le père, dans 15 % des cas). La résidence alternée ne concerne donc que 10 % des familles avec enfants confrontées à un divorce ou à une séparation.

Plusieurs raisons expliquent le faible recours des parents et des juges à ce mode d'organisation de la résidence des enfants. La résidence alternée est, d'abord, contestée dans son principe même par de nombreux spécialistes de l'enfance, qui mettent en avant le besoin de stabilité et de repères des enfants et dénoncent ce mode d'organisation comme néfaste sur le plan psychologique, notamment, pour le très jeune enfant. Il s'agit, ensuite, d'un mode d'organisation contraignant et souvent coûteux pour les parents : il suppose, en effet, une collaboration constante entre eux, parfois difficile à réaliser en cas de séparation très conflictuelle. Il impose, également, aux parents de continuer de vivre à proximité, notamment, pour préserver la scolarisation de l'enfant. Il nécessite, enfin, que les deux ex-conjoints disposent d'un logement suffisamment grand (cf. Rapport n° 18 (2006-2007) de M. André Lardeux, fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 12 octobre 2006).

Pour preuve des difficultés de mise en place d'un tel mode de garde, la jurisprudence foisonne, depuis 4 ans, de cas difficiles à gérer, et ce, sans compter sur le pécuniaire problème de partage des aides sociales (problème partiellement réglé par l'introduction de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2007). Bien entendu, les juges n'en sont plus à se prononcer sur le bien-fondé de la requête d'un père qui demandait la garde alternée, alors qu'une enquête sociale avait révélé sa conception éducative rigide allant jusqu'aux corrections voire à la violence, et avait constaté que l'enfant préférait rester à l'école plutôt que de rentrer chez son père, ce qui constitue un signe alarmant ; requête dont la solution paraissait évidente somme toute : la cour d'appel confirmant l'ordonnance qui avait décidé que l'enfant aurait sa résidence habituelle chez sa mère et que le père se contenterait d'un droit de visite et d'hébergement classique augmenté de deux milieux de semaine par mois, afin d'apporter à l'enfant sérénité et stabilité, ce qui est dans son intérêt (CA Nîmes, 2ème chambre civile C, RG n° 02/1053, 3 juillet 2002). Mais, preuve que l'intransigeance des juges en faveur de la sérénité et de la stabilité de l'enfant doit être, à nouveau, apportée, la Cour de cassation approuve les juges du fond qui, si l'intérêt de l'enfant le commande et compte tenu des circonstances de la cause, décident d'une alternance aboutissant à un partage inégal du temps de présence de l'enfant avec son père et sa mère. Etaient clairement en cause, ici, les obligations professionnelles du père qui alternait, lui-même, cinq semaines de travail à l'étranger et cinq semaines de repos en France.

Afin de faire le point sur les modalités de la résidence alternée des enfants, à la lumière de cette décision de la Haute juridiction rendue le 25 avril dernier, les éditions juridiques Lexbase vous proposent, cette semaine, de lire les observations de Nathalie Baillon-Wirtz, Maître de conférences à l'université de Reims Champagne-Ardenne.

newsid:283375

Internet

[Manifestations à venir] Droit des médias et des nouvelles technologies dans l'Union européenne

Lecture: 1 min

N1910BBD

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209137-edition-n-262-du-31052007#article-281910
Copier

Le 07 Octobre 2010

L'Association pour le développement de l'informatique juridique (Adij) organise en partenariat avec la Délégation des Barreaux de France à Bruxelles une journée d'entretiens communautaires sur le thème "Droit des médias et des nouvelles technologies dans l'Union européenne", le 15 juin 2007.
  • Thèmes abordés

- Accueil par Dominique Voillemot, Président de la Délégation des Barreaux de France et Marie-Anne Gallot Le Lorier, Avocat au Barreau de Paris
- La Directive "Télévisions sans frontières" (Directive 89/552 du 3 octobre 1989 N° Lexbase : L9919AUW) et sa révision : quelles implications juridiques ? par Jean-Eric de Cockborne, Chef d'Unité, Commission européenne - DG Société de l'information et par Thibault Verbiest, Avocat aux Barreaux de Paris et de Bruxelles
- La Directive sur l'harmonisation du droit d'auteur et des droits voisins du 22 mai 2001 (Directive n° 2001/29 N° Lexbase : L8089AU7) : présentation générale et objectifs, par David Baervoets, Administrateur, Commission européenne - DG Marché intérieur
- Exemples de quelques transpositions nationales, par Sophie Soubelet-Caroit, Avocat au Barreau de Paris et Anne Fantova, Avocate au Barreau de Prague
- La cybercriminalité et la lutte contre la contrefaçon dans la société de l'information, par Christian Tournie, Administrateur, Commission européenne - DG Justice, liberté et sécurité et par Pierre Jung, Avocat au Barreau de Paris
- La distribution des oeuvres de l'esprit : enjeux juridiques, par un intervenant de la Commission européenne, DG Société de l'information et par Gilles Vercken, Avocat au Barreau de Paris

  • Date et lieu

Vendredi 15 juin 2007
9h00 à 17h00
Délégation des Barreaux de France,
1 avenue de la Joyeuse Entrée,
B-1040 Bruxelles.

  • Tarif

170 euros par personne
130 euros pour les avocats-stagiaires
110 euros pour les élèves-avocats

  • Inscription

Délégation des Barreaux de France
www.dbfbruxelles.com
Renseignements auprès de l'Adij
coordination-adij@feral-avocats.com

Cette manifestation est validée au titre de la formation continue obligatoire des avocats.

newsid:281910

Bancaire

[Manifestations à venir] La fiducie, révolution juridique et pratique des affaires

Lecture: 1 min

N1786BBR

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209137-edition-n-262-du-31052007#article-281786
Copier

Le 07 Octobre 2010

Devant les interrogations soulevées peu de temps après l'introduction de la fiducie dans le droit français par la loi du 19 février 2007 (loi n° 2007-211, instituant la fiducie N° Lexbase : L4511HUM), le Magistère de juriste d'affaires - DJCE de l'Université Panthéon-Assas (Paris II) organise une conférence, le 29 juin prochain, en présence d'éminents intervenants, sur le thème "La fiducie, révolution juridique et pratique des affaires".
  • Programme

1. Une révolution juridique

La consécration d'un instrument déjà connu, l'exemple du droit financier
L'exclusion critiquable des personnes physiques comme constituants de fiducie
La fiducie : d'un moyen de gestion à une arme anti-OPA ? Comparatif "Mittal/Arcelor"
La fiducie, nouvelle reine des sûretés ?
La loi instituant la fiducie : entre équilibre et incohérences

2. La transparence

Aspects comptables
La fiducie à l'épreuve de la lutte contre le blanchiment de capitaux

3. La neutralité fiscale

De la proposition de loi Marini à la loi : une perte de logique fiscale
Le régime fiscal
Droit comparé en matière de mécanismes fiduciaires - Luxembourg, Suisse, pays anglo-saxons. Différences essentielles avec le trust : mythes et réalités des deux concepts et institutions que sont la fiducie et le trust

  • Intervenants

Michel Germain, professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II), directeur du Magistère de juriste d'affaires-DJCE
Hubert de Vauplane, directeur juridique de Calyon, professeur associé à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
Bertrand Hohl, avocat, associé de Hohl & Associés
Pierre Servan-Schreiber, avocat, associé de Skadden, Arps
Alain Cerles, avocat, cabinet Paul Hastings
François Barrière, maître de conférences à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
Jacques Mondino, avocat, associé du cabinet H.K.W., ancien membre du Conseil de l'Ordre
Kiril Bougartchev, avocat, associé de Gide Loyrette Nouel
Jean-Pierre Le Gall, professeur émérite à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)
Gauthier Blanluet, professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris II), avocat , associé de Sullivan & Cromwell LLP
Pierre-Jean Douvier, avocat, associé du Bureau Francis Lefebvre

  • Date

Vendredi 29 juin 2007
14h00-18h00

  • Lieu

Maison des avocats
2 rue de Harlay
75001 Paris

  • Tarifs

100 euros (gratuit pour les étudiants et enseignants)
Chèque à l'ordre du BDE du MJA

  • Inscriptions et renseignements

Magistère de juriste d'affaires - DJCE
Université Panthéon-Assas (Paris II)
Centre Vaugirard 2
A l'attention d'Annie Roques
122, rue de Vaugirard
75006 Paris
Tél : 01 53 63 80 79
Courriel : aroques@u-paris2.fr
Site web : www.u-paris2.fr/mja

Formation éligible au titre de la formation continue obligatoire des avocats

newsid:281786

Sociétés

[Questions à...] Le démembrement de propriété de droits sociaux : questions à... Marie Durand et Pierre Andreau, avocats au barreau de Bordeaux

Lecture: 6 min

N2065BB4

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209137-edition-n-262-du-31052007#article-282065
Copier

Le 07 Octobre 2010

Comme chez nos ancêtres avides de propriété, le Code civil actuel ne définit, en réalité, que le nu-propriétaire. L'usufruit en découle par différence. Curieux état du droit qui, fort heureusement pour les professionnels, ouvre un champ d'investigations dont les limites sont sans cesse élargies. Pourtant, ces règles élémentaires du Code civil s'écoulent vers le droit commercial et, plus particulièrement, dans le droit des sociétés où elles prennent des désirs d'autonomie. Ainsi, le développement du droit des sociétés et celui des valeurs mobilières a fait que le démembrement, issu du droit civil, s'émancipe des règles initiales. Certains auteurs vont exciper de l'autonomie du démembrement de valeurs mobilières par rapport aux règles civiles. L'exemple le plus connu et certainement le plus utilisé est celui appliqué aux parts de sociétés civiles pour extraire les prérogatives pécuniaires et politiques attachées à ces parts et pour les répartir distinctement entre titulaires de l'usufruit et de la nue-propriété. Quoi de plus excitant dans la gestion des actifs d'une société que de scinder les risques pour les uns (les nu-propriétaires) et les revenus pour les autres (les usufruitiers) ? Oui, le démembrement de propriété n'est pas sans risque, il exige du praticien une prise en compte globale de l'opération et des objectifs que se sont fixés les associés. Rappelons que la finalité du démembrement de propriété est l'extinction automatique de l'usufruit à son terme qui revient au nu-propriétaire. Le plein droit de propriété est alors reformé entre les mains de ce dernier.
On peut, alors, se demander si l'usufruitier est propriétaire d'un droit aussi fort, bien que différent de celui du nu-propriétaire.
En droit civil les habitudes étaient prises en défaveur de l'usufruitier ; en droit des sociétés et surtout des sociétés commerciales, la jurisprudence inverse la vapeur en conférant à l'usufruit des droits plus assurés allant dans le sens de son élargissement par rapport à la "tutelle" du nu-propriétaire. Malheureusement, le Rubicon n'est pas encore franchi et la concurrence reste vive entre les deux catégories de titulaires. C'est là que se trouve réellement la place des qualités du rédacteur des conventions statutaires et extrastatutaires.

Pour faire le point sur cette question, nous avons choisi d'interroger Maître Marie Durand et Maître Pierre Andreau, avocats au barreau de Bordeaux, associés de la Société d'Avocats Compagnie Juridique.

Lexbase : Le démembrement de propriété de parts sociales est souvent pratiqué. Quel est l'intérêt d'une telle opération ?

Pierre Andreau : Les intérêts devrions-nous dire. Ces intérêts sont issus tant de la sphère économique que du droit des affaires comme de la bonne gestion patrimoniale. A la base, le démembrement de la propriété des parts sociales est généralement une situation subie à la suite d'un décès familial. Monsieur décède et laisse dans sa succession la nue-propriété des parts qu'il possédait de son vivant à ses enfants et l'usufruit de ces mêmes parts à son épouse survivante, commune en bien. Là se mêlent, à la fois, indivision et démembrement, ce qui ne va pas sans poser de problèmes, puisque le praticien se trouve confronté, aujourd'hui, à des demandes en partage initiées par certains enfants héritiers. A ce stade, il eut été préférable de préparer la succession pour que l'usufruitière ne tombe pas dans l'indivision et que les nu-propriétaires soient, eux-mêmes, nu-propriétaires divis d'un nombre de parts déterminé à chacun.

C'est dans une telle situation que les prérogatives pécuniaires (droits aux dividendes, principalement) sont attribuées aux uns, alors que les droits politiques (droit de vote, notamment) sont attribués aux autres. Des mixages de ces différents droits sont également possibles. Rappelons que tant dans le Code civil (C. civ., art. 1844, al. 3 et 4 N° Lexbase : L2020ABG) que dans le Code de commerce (C. com., art. L. 225-110, al. 1 et 4 N° Lexbase : L5981AID, pour les SA), le "partage" des prérogatives n'est pas impératif et que les statuts peuvent y déroger pourvu que ces dérogations soient prévues avec une certaine tempérance (cf, par exemple, Cass. com., 22 février 2005, n° 03-17.421, F-D N° Lexbase : A8706DGK, dans lequel la Cour estime que "les statuts peuvent déroger à la règle selon laquelle si une part est grevée d'un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, à condition qu'il ne soit pas dérogé au droit du nu-propriétaire de participer aux décisions collectives").

Une place particulière doit être réservée aux SAS puisque, des règles applicables aux SA, elles en sont expressément exonérées, l'article L. 227-1 (N° Lexbase : L6156AIT) prévoyant que dans la mesure de leur compatibilité avec les dispositions particulières applicables aux SAS, les règles concernant les sociétés anonymes, à l'exception des articles L. 225-17 à L. 225-126 et L 225-243, sont applicables à la société par actions simplifiée. Sont-elles, pour autant, exonérées du dispositif de l'article 1844 du Code civil et l'imagination du rédacteur des statuts s'en trouve-t-elle "débridée" ? Nous ne le pensons pas, car les règles de l'article 1844 du Code civil précitées sont des dispositions générales qui forment le socle du droit des sociétés en droit français.

Lexbase : Quelles sont les questions impératives que doit se poser le professionnel et qui peuvent trouver leur solution dans un démembrement de propriété ?

Pierre Andreau : Compte tenu de ce qui vient d'être rappelé, bien évidemment, les questions ne sont pas les mêmes, selon que l'on se situe dans le domaine de la gestion privée des biens ou que l'on se situe dans le domaine de l'entreprise et du droit des affaires. Quoi qu'il en soit, dans l'un ou l'autre de ces cas, le praticien doit déterminer l'objectif poursuivi par son client : transmission aux héritiers, transmission d'une entreprise familiale, transmission temporaire d'usufruit au profit d'un enfant afin de l'aider à poursuivre ces études, etc..

Nous parlions, tout à l'heure, de mixage de prérogatives, en voici un exemple : il est possible de créer statutairement une ventilation des droits à dividendes entre usufruitiers et nu-propriétaires en prévoyant, par exemple, que les dividendes issus des affectations des résultats des trois derniers exercices précédents l'attribution appartiennent à l'usufruitier, et les dividendes prélevés sur les autres réserves constituées iront au nu-propriétaire. Ou encore, que 30 % du résultat courant est pour l'usufruitier, le solde des distributions au nu-propriétaire. En fait, l'imagination du praticien dans le champ de l'objectif de son client est de veiller à tempérer ses ardeurs car la question de savoir, avec certitude, ce qu'est le résultat distribuable n'est pas encore résolue clairement. Ainsi, si l'on considère que les réserves appartiennent au nu-propriétaire (conception civiliste), alors le résultat distribuable se rétrécirait au bénéfice du dernier exercice approuvé et distribué par l'assemblée qui l'approuve. Mais, se pose, en filigrane, la question de savoir qui, du nu-propriétaire ou de l'usufruitier, aurait des droits sur les bénéfices que cette même assemblée aurait affectés en "report à nouveau", lequel serait un genre de non-affectation temporaire. Le problème devient plus ardu, dans le cas où cette affectation en "report à nouveau" est une pratique qui aurait eu cours pendant plusieurs années.

Lexbase : La jurisprudence de la Cour de cassation doit-elle, selon vous, être interprétée comme validant les clauses des statuts attribuant au seul usufruitier la totalité des droits de vote ?

Marie Durand : La jurisprudence de la Cour de cassation (voir, notamment, Cass. com., 4 janvier 1994, n° 91-20.256, Consorts de Gaste et autre c/ M. Paul de Gaste N° Lexbase : A4835AC3 ;Cass. com., 22 février 2005, n° 03-17.421, F-D (N° Lexbase : A8706DGK ;Cass. civ. 2, 13 juillet 2005, n° 02-15.904, FS-P+B N° Lexbase : A9112DIC), en considérant qu'il est possible de déroger à la répartition légale du droit de vote de l'article 1844 du Code civil, entre nu-propriétaire et usufruitier, valide les clauses statutaires attribuant au seul usufruitier la totalité des droits de vote. Elle condamne, cependant, les dispositions statutaires qui privent ce dernier de tout droit de vote, comme l'illustre l'arrêt "Hénaux", du 31 mars 2004 (Cass. com., 31 mars 2004, n° 03-16.694, FS-P+B N° Lexbase : A7593DBT).
Cette position laisse subsister la question de savoir si l'usufruitier est associé. Bien que le Comité de coordination du registre du commerce et des sociétés ait récemment rappelé, dans son avis n° 05.27, qu'en cas de démembrement de la propriété d'une part sociale, seul le nu-propriétaire à qui est reconnu la qualité d'associé doit être mentionné au RCS, la qualité d'associé de l'usufruitier n'a pas été clairement exclue par la jurisprudence.
Les derniers arrêts de la Cour de cassation en la matière ne se prononcent pas sur ce point. Espérons que cela viendra !

Lexbase : Selon vous, la dérogation au principe de répartition du droit de vote entre usufruitier et nu-propriétaire doit-elle obligatoirement être statutaire ou est-il possible de la prévoir dans un accord extrastatutaire ?

Pierre Andreau : Rappelons que des règles conventionnelles et non statutaires ne peuvent, à notre sens, imposer sui generis, un contenu aux statuts d'une société et donc aux associés que dans la mesure où de telles conventions ont été prévues par les statuts eux-mêmes. Actuellement, sous réserve d'une autorisation préalable des statuts, des règles conventionnelles peuvent déroger aux règles statutaires pourvu qu'elles soient conclues à l'unanimité des propriétaires de droits démembrés sur les parts sociales. Il y aurait, en ce sens, une certaine subordination de la convention extrastatutaire aux statuts eux-mêmes.

Propos recueillis par Vincent Téchené
SGR - Droit des sociétés

newsid:282065

Sociétés

[Jurisprudence] La force des règles statutaires dans les sociétés civiles immobilières (où l'ordre sociétaire l'emporte sur les désordres familiaux)

Réf. : Cass. civ. 3, 25 avril 2007, n° 06-11.833, M. Gilles Pellegrini, mandataire judiciaire, FS-P+B (N° Lexbase : A0289DWM)

Lecture: 11 min

N1952BBW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209137-edition-n-262-du-31052007#article-281952
Copier

Le 07 Octobre 2010

Diderot, au siècle des Lumières, affirmait, dans l'Encyclopédie, que "la soumission à la volonté générale est le lien de toutes les sociétés". Sans doute, le célèbre philosophe limitait-il cet aphorisme à la seule civitas, mais l'on peut s'interroger, en détournant son propos, sur l'interprétation qu'il conviendrait de donner, en droit, à cette soumission à la volonté générale dans les personnes morales. La Cour de cassation nous donne une réponse partielle à cette question dans l'arrêt qu'a rendu la troisième chambre civile le 25 avril 2007, partielle en ce que sa décision ne concerne que les sociétés civiles. Ces dernières, en effet, ont une nature particulière, qui les distingue de leurs homologues commerciales : une "coexistence du contrat et de la personnalité morale" (1), cette dualité apparaissant dans l'opposition entre le régime contractuel de la gérance et les autres aspects du fonctionnement de la société. Sur ce point, l'arrêt commenté confirme indiscutablement la supériorité de l'ordre social statutaire. Dans une affaire où la mésentente des associés, membres d'une même famille, avait contraint l'un des cogérants à demander la dissolution et la liquidation d'une société civile, la question, à laquelle le juge devait répondre, était de savoir comment l'occupation gratuite d'un immeuble appartenant à une société civile immobilière, par certains de ses associés, pouvait se trouver justifiée, alors qu'elle était contraire aux statuts.

C'est ainsi que la Cour conclut à la cassation de l'arrêt d'appel qui n'avait pas privilégié les règles statutaires face à la manifestation de la volonté non formalisée des associés (I). Cette solution constitue, ainsi, un facteur d'alignement du régime des sociétés civiles sur celui qui prévaut en droit commun (II).

I - La règle statutaire face à la volonté des associés

La particularité de cette affaire, et, également, de la motivation de la cour d'appel, tient à la situation des associés de la SCI, certains d'entre eux occupant les locaux achetés par la société (A). Cette situation va conduire les juges du fond à prendre en considération les aspects familiaux (B) du fonctionnement de cette dernière sans se préoccuper des statuts.

A - Une occupation gratuite des locaux d'une SCI par ses associés dans un contexte de mésentente

La société civile immobilière Minor (la SCI) est une société dont le capital social est partagé par moitié entre Monsieur T., associé cogérant, et les consorts M., tous membres de la même famille. La SCI achète un immeuble que les consorts M. vont habiter à titre gracieux, à compter du 1er juin 2000. Une mésentente étant survenue entre les associés, M. T. assigne les consorts M., le 4 mars 2004, demandant la dissolution de la société, la nomination d'un liquidateur et le paiement d'une indemnité d'occupation de la part des occupants. Une assemblée générale de la SCI est convoquée par M. T. et se réunit le 24 mai 2004, date à laquelle son projet de résolution prévoyant la fixation d'un loyer en contrepartie de l'occupation de l'immeuble est rejeté.

L'affaire vient en appel devant la cour de Versailles, qui rend son arrêt le 15 décembre 2005, décidant que l'indemnité était bien due par les consorts M., mais que le point de départ de son calcul devait être fixé à la date du rejet de la résolution prévoyant la fixation d'un loyer. La cour se fonde, pour justifier sa décision, sur le fait que, dans le cadre de l'entente entre les membres de la même famille, l'obtention de certaines facilités était envisageable et que ces facilités avaient pu être accordées temporairement à certain d'entre eux. C'est ainsi qu'il convenait, selon elle, de ne faire débuter le calcul de l'indemnité d'occupation des locaux qu'à compter du 24 mai 2004.

Un pourvoi en cassation est, alors, formé par M. T., la SCI et le mandataire judiciaire chargé de la liquidation. La question principale posée au juge était de savoir, en l'espèce, si l'occupation temporaire et gratuite des locaux d'une SCI par ses associés, contrairement aux statuts, la société étant composée de membres de la même famille, pouvait se trouver justifiée en l'absence de tout accord donné conformément aux dispositions applicables aux sociétés.

B - Une décision d'appel marquée par le caractère familial de la société

La perspective retenue par la cour d'appel renvoie, indirectement, à envisager le problème juridique, en quelque sorte, sous l'angle de l'opposabilité des décisions et résolutions à l'encontre des associés. A la condition de suivre le raisonnement sur ce terrain, on pourrait, ainsi, apprécier en quoi le juge du fond a cherché à adopter une solution mesurée. En effet, dans cette affaire, ce dernier ne cherche pas à établir la démonstration d'un accord tacite d'occupation des locaux entre les anciens associés à l'époque où leurs relations étaient sereines. L'aurait-il fait, d'ailleurs, qu'il aurait dû faire prévaloir les statuts, comme nous allons le voir par la suite, alors qu'à l'évidence, ce n'est pas la solution qu'il souhaitait retenir. L'arrêt fait donc apparaître, bien que de façon implicite, que l'occupation à titre gratuit, durant presque quatre ans, n'était apparue insupportable à M. T. qu'à la suite de la mésentente. On comprend, dès lors, que sa demande d'indemnité puisse être suspectée d'être la conséquence directe de cette mésentente et ne traduise pas la réalité des relations originaires entre associés, telles qu'elles étaient établies auparavant. En conséquence, le calcul des loyers n'aurait pu débuter, dans le raisonnement de la cour d'appel, qu'à l'instant de la manifestation explicite du cogérant de mettre fin à l'occupation.

Les motifs de la cour d'appel, rapportés par le juge du droit, laissent ainsi transparaître une argumentation pro domo, largement fondée, en l'occurrence, sur la recherche d'un équilibre de fait dans la situation des coassociés égalitaires. En l'espèce, les juges de Versailles font, ainsi, valoir "qu'il est concevable que dans le cadre d'une parfaite entente entre associés de la même famille, certaines facilités peuvent être temporairement accordées à l'un d'entre eux". Pour le moins, l'affirmation peut recouvrir différentes significations : impossibilité morale du cogérant à faire appliquer les statuts, volonté d'entraide familiale, tolérance... ; toutes ces interprétations sont envisageables. Ce qui est certain, en revanche, c'est que le juge établit, qu'à l'origine, les associés de la même famille s'entendaient de façon "parfaite", cette entente justifiant sans doute -selon lui- l'occupation temporaire et gratuite des locaux de la SCI.

Reste que la rédaction, outre son caractère équivoque, apparaît assez singulière, dans le sens où le juge du fond établit qu'il est "concevable" que des facilités soient accordées. Dès lors, c'est là une reconnaissance implicite de l'absence de preuve d'une convention, cette occupation "concevable" supposant, dans l'esprit du juge, la reconnaissance d'un accord unanime entre les associés. On le sait, toutefois, cet accord ne peut être tacite et doit résulter d'une manifestation de volonté matérialisée dans un acte. En effet, cette exigence avait déjà été affirmée par la première chambre civile de la Cour de cassation qui avait établi, dans une décision du 21 mars 2000 (2), que "lorsqu'en l'absence d'une réunion d'assemblée ou d'une consultation écrite, les décisions des associés résultent de leur consentement unanime, ce consentement doit être exprimé dans un acte" (3). Il s'agissait, dans cette espèce, de sanctionner la cour d'appel de Pau qui avait faussement décidé que "la volonté unanime des associés pouvait être établie par tout moyen et se déduire du mode de fonctionnement de la société" (4).

On comprend mieux, à la lumière de cette jurisprudence, l'obscurité apparente de la rédaction de la cour d'appel de Versailles : il s'agissait d'éviter l'inévitable sanction du juge du droit en ne faisant jamais ressortir l'existence d'un accord tacite car cette solution aurait risqué d'encourir la cassation.

II - La règle statutaire privilégiée par la Cour de cassation

Le problème est examiné selon une autre perspective par la Cour de cassation : elle se fonde uniquement sur la contrariété de l'acte d'occupation aux règles statutaires (A) pour imposer le respect des règles de droit commun des sociétés. Elle confirme, ainsi, l'intangibilité des sujétions de l'ordre social interne (B), en l'absence de décision conforme des associés.

A - La cassation pour absence de décision des associés

C'est au quadruple visa des articles 1848 (N° Lexbase : L2045ABD) et, ensemble, des articles 1852 (N° Lexbase : L2049ABI), 1853 (N° Lexbase : L2050ABK) et 1854 (N° Lexbase : L2051ABL) du Code civil que le juge du droit va casser l'arrêt de la cour d'appel de Versailles. En effet, celle-ci avait relevé que l'occupation gratuite de l'immeuble appartenant à la SCI était contraire aux statuts et n'avait pas constaté, en contrepartie, que cette occupation avait été autorisée à l'unanimité, dans les conditions prévues aux articles 1853 et 1854 du Code civil. Ainsi, la cour d'appel ayant violé les textes précités, sa décision est cassée, mais uniquement dans sa partie concernant la date de fixation du calcul de l'indemnité.

Sur ce point, la lecture des textes fondant la décision de la Cour de cassation éclaire sur l'équilibre des rapports qui s'établissent au sein de la société. D'abord, la mention -isolée- de l'article 1848 qui renvoie au mode de fonctionnement de la gérance et de la cogérance (5). En effet, ce régime de cogérance égalitaire constituant une cause de mésentente et, en conséquence, de paralysie de la société, le recours aux articles 1852 à 1854 s'imposait. Ces derniers établissent, de la sorte, d'une part, que les décisions qui excèdent les pouvoirs du gérant sont prises à l'unanimité en l'absence de règles statutaires (C. civ., art. 1852). Ils disposent, d'autre part, que les décisions sont prises en assemblée ou, si les statuts le prévoient, peuvent faire l'objet d'une consultation écrite (C. civ., art. 1853) ou encore, que, en toute hypothèse, les décisions peuvent résulter du consentement de tous les associés exprimé dans un acte (C. civ., art. 1854).

En l'espèce, le juge du droit était confronté à l'exigence d'une unanimité formalisée : en premier lieu, parce que les pouvoirs excédaient ceux du gérant et, en second lieu, parce qu'il était nécessaire de constater cette unanimité au moyen d'une consultation écrite si les statuts le prévoyaient ou d'un acte spécifique s'ils ne les prévoyaient pas. A ce titre, le juge du droit conclut que l'occupation gratuite d'un immeuble appartenant à la société était contraire aux statuts et que la cour d'appel n'avait pas constaté qu'une décision emportant droit d'occupation gratuite avait été prise à l'unanimité des associés. Ainsi, la Cour de cassation établit la violation des articles 1848, 1852, 1853 et 1854 du Code civil. Elle confirme, par là même, la jurisprudence qui vient d'être rappelée : le mode de fonctionnement de la société, fût-il particulier, ne saurait contredire celui qui est prévu par les statuts ou, à défaut, celui qui est imposé par le droit commun des sociétés ainsi que celui qui est propre aux sociétés civiles. C'est pourquoi, la troisième chambre civile censure l'arrêt d'appel, mais partiellement, et uniquement en ce qu'il fixait le point de départ du calcul du loyer au jour de la résolution rejetée, marquant la volonté du cogérant de mettre fin à la situation antérieure, c'est-à-dire le 24 mai 2004.

B - Un alignement progressif sur le régime institutionnel des sociétés commerciales

Pourtant, au-delà de ces aspects jurisprudentiels, où l'on ne saurait qu'approuver sans réserve la solution du juge du droit, les positions des juges du fond paraissent "concevables" pour paraphraser leur propre rédaction. En effet, la constitution de SCI familiales obéit davantage à des motivations fiscales ou patrimoniales qu'à celles qui, traditionnellement, sont à l'origine de la création de sociétés commerciales. Pour autant, l'affectio societatis est incontestable dans ces sociétés mais, derrière celui-ci, se profile un autre type de rapport, ou l'affection familiale -bien ténue, en l'espèce- altère leur fonctionnement. Le juge du fait, en toute logique, se trouve en situation d'apprécier plus concrètement la réalité des rapports sociaux de ce type particulier de groupement et, dans l'affaire considérée, privilégie incontestablement l'ordonnancement des sentiments à l'ordre social. L'écran de la personnalité morale ne devient, ainsi, plus qu'un voile diaphane, à peine susceptible de protéger les pudeurs de ladite personne. Elles mériteraient, pourtant, d'être d'autant plus masquées qu'un célèbre aphorisme populaire souligne les vertus de la discrétion : chacun connaît l'adage, "mieux vaut laver son linge sale en famille".

Face à ces considérations pratiques, une autre justification se profile, historique cette fois, qui tient au particularisme du fonctionnement des sociétés civiles. L'appréciation de l'équilibre à donner à ces deux régimes est, en effet, rendue d'autant plus nécessaire que la forme sociale a connu une profonde évolution depuis la réforme issue de la loi du 4 janvier 1978 (loi n° 78-9, modifiant le Titre IX du Livre III du Code civil N° Lexbase : L1471AIC). Cette réforme, en reconnaissant expressément la personnalité morale de ces sociétés, a soumis ces dernières à un régime institutionnel mais cet aspect a, dans un premier temps, constitué un cadre assez lâche. On rappellera, ainsi, que, pendant une longue période, les sociétés civiles constituées avant le 1er juillet 1978 ont pu, tout en étant des personnes morales, ne pas être immatriculées, avec toutes les conséquences qu'emportait cette situation à l'égard des tiers. Il faudra attendre la loi relative aux nouvelles régulations économiques, du 15 mai 2001 (loi n° 2001-420 N° Lexbase : L8295ASZ), pour que cette immatriculation devienne obligatoire sous peine, selon ce que la doctrine (6) déduisait, à l'époque des textes, que les sociétés concernées soient considérées comme étant dissoutes et liquidées.

Les sociétés civiles ont, ainsi, -s'agissant surtout de celles qui avaient été constituées avant 1978- connu, durant cette période, l'application d'un régime particulièrement souple, caractérisé par une certaine opacité de fonctionnement. De surcroît, la singularité de la société civile s'est trouvée pérennisée par l'absence d'harmonisation communautaire, les sociétés autres que commerciales étant régies par le mécanisme de reconnaissance mutuelle des législations nationales (7). C'est pourquoi, la question (dont, au demeurant, la réponse positive ne fait aucun doute) de l'assimilation des sociétés civiles à de véritables sociétés demeure, parfois, posée devant le juge dans des hypothèses où le droit civil semble pouvoir l'emporter sur l'application du droit commercial. Charge à ce dernier, donc, de dessiner les contours d'une évolution visant autant à sécuriser le fonctionnement de ces sociétés vis-à-vis des tiers, que d'en atténuer la spécificité en en alignant le socle de son régime sur celui du fonctionnement des groupements commerciaux.

Pour conclure, on peut imaginer que le régime antérieurement applicable à ces sociétés, en particulier celui de l'attribution de la personnalité morale en l'absence d'immatriculation, a pu inciter les juges du fond à une certaine clémence vis-à-vis du défaut de formalisme qui semble caractériser le fonctionnement de ces sociétés. Il semble, cependant, que cette période de bienveillance soit révolue. En rappelant la force des statuts, le juge inscrit cette décision dans le mouvement d'évolution du régime de la société civile qui, de la loi du 4 janvier 1978 à la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, a progressivement aligné ce dernier sur celui des sociétés commerciales. Sans nul doute, cet alignement ne pourra jamais coïncider parfaitement, sous peine de faire disparaître l'essence même de la société civile. On comprendrait mal, en effet, que les aspects contractuels disparaissent peu à peu, alors que, dans le même temps, le droit des sociétés commerciales se contractualise, s'agissant, par exemple, de certaines formes sociales comme la société par actions simplifiée. Il reste que si cette évolution continue, elle sera sans doute encore guidée par le souci qu'auront le juge et le législateur de protéger les associés et les créanciers des sociétés civiles.

Jean-Baptiste Lenhof
Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne
Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)


(1) Mémento pratique Francis Lefebvre, Sociétés civiles, éd. Francis Lefebvre, 2007, n° 300.
(2) Cass. civ. 1, 21 mars 2000, n° 98-14.933, M. Le Garrec c/ M. Vincent (N° Lexbase : A5483AWY) ; D. 2000, p. 475 n. Y. Chartier ; RJDA, 5/00, n° 548.
(3) V., également, Memento pratique Francis Lefebvre, Sociétés Civile, éd. Francis Lefebvre, 2006, n° 54 700.
(4) M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 2005, n° 1 516 bis.
(5) Renvoi à l'article 1848 du Code civil in extenso.
(6) A. Viandier, Sociétés et loi NRE, éd. Francis Lefebvre 2007, n° 510 ; G. Daublon, E. Frémaux, Les nouvelles régulations économiques : dispositions intéressant le notariat, Defrénois 2001, art. 37 379, p. 805.
(7) Convention sur la reconnaissance mutuelle des sociétés et des personnes morales, adoptée à Bruxelles le 29 février 1968.

newsid:281952

Famille et personnes

[Jurisprudence] L'incidence de la situation professionnelle du père sur les modalités de la résidence alternée de ses enfants

Réf. : Cass. civ. 1, 25 avril 2007, n° 06-16.886, M. Vincent Mehaute, F-P+B (N° Lexbase : A0358DW8)

Lecture: 4 min

N1912BBG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209137-edition-n-262-du-31052007#article-281912
Copier

Le 07 Octobre 2010

Un arrêt du 25 avril 2007, rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation et publié au Bulletin, s'arrête sur les conséquences du rythme irrégulier de travail du père sur l'exercice effectif de la résidence alternée. En l'espèce, à l'occasion d'un divorce, la résidence des deux enfants du couple est fixée par alternance au domicile de chacun des parents par périodes d'une semaine (les première, troisième et éventuellement cinquième semaines de chaque mois chez le père, les deuxième et quatrième semaines de chaque mois chez la mère). Or, le père reproche aux juges du fond d'avoir décidé ainsi de la garde alternée dans la mesure où son activité professionnelle se décompose en alternance de périodes de cinq semaines de travail à l'étranger et de cinq semaines de repos en France. Il en résulte qu'il ne peut s'occuper de ses enfants une semaine sur deux et que le temps de présence des parents auprès des enfants est de ce fait inégalitaire. La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que l'article 373-2-9 du Code civil (N° Lexbase : L6976A47), relatif à la résidence alternée n'impose pas que le temps passé par l'enfant auprès de chacun de ses parents soit de même durée. Les juges du fond peuvent, en effet, si l'intérêt de l'enfant le commande et compte tenu des circonstances de la cause, "décider d'une alternance aboutissant à un partage inégal du temps de présence de l'enfant" avec son père et sa mère. L'exercice commun de l'autorité parentale implique une responsabilité conjointe des parents dans l'éducation de leurs enfants. Mais, toute la difficulté réside dans la mise en oeuvre de cette "coparentalité" lorsque les parents sont séparés car il est alors manifestement impossible que l'enfant soit simultanément présent au domicile de chacun d'eux. Bien que la loi du 4 mars 2002 (loi n° 2002-304, relative au nom de famille N° Lexbase : L7970GTD) énonce que "la séparation des parents est sans incidence sur les règles de la dévolution de l'exercice de l'autorité parentale" (C. civ., art. 373-2, al. 1er N° Lexbase : L2905AB9), le fait même de la séparation rend nécessaire un aménagement de la situation personnelle des enfants, notamment la détermination de sa résidence. Un choix s'impose alors aux parents : soit celui de fixer la résidence habituelle de l'enfant auprès de l'un d'eux, soit celui de mettre en place une résidence alternée, chez l'un puis chez l'autre (C. civ., art. 373-2-9, al. 1er).

La question de la garde alternée a, durant une vingtaine d'années, suscité de nombreuses polémiques doctrinales et jurisprudentielles. En effet, pour ses partisans, ce mode d'hébergement permettrait à l'enfant de conserver des liens équilibrés et une relation égalitaire avec chacun de ses deux parents (1). En revanche, pour ses adversaires, la résidence alternée serait une formule déstructurante pour l'enfant qui, ballotté d'un parent à l'autre, devient une "chose" (2) que l'on se partage. Ainsi, par deux arrêts du 21 mars 1983 (3) et du 2 mai 1984 (4), la Cour de cassation retint cette analyse en condamnant fermement la garde alternée, confirmée en cela par les lois du 2 juillet 1987 et du 8 janvier 1993 qui inscrivirent dans le Code civil l'exigence d'une "résidence habituelle".

Toutefois, les revendications de certains parents, notamment des associations de pères, ainsi que certaines circonstances (proximité des domiciles des parents, moyens financiers suffisants, etc.) justifièrent l'admission progressive par les juges du fond de diverses formules de garde alternée (5) que la loi du 4 mars 2002 a finalement entérinées et même encouragées.

Aujourd'hui, en effet, le législateur donne sa préférence à la résidence alternée en la mentionnant formellement comme la première des modalités possibles de résidence de l'enfant et en donnant au juge le pouvoir de l'imposer, à titre provisoire, en cas de désaccord des parents. L'article 373-2-9, alinéa 2, du Code civil dispose : "à la demande de l'un des parents ou en cas de désaccord entre eux sur le mode de résidence de l'enfant, le juge peut ordonner à titre provisoire une résidence en alternance dont il détermine la durée. Au terme de celle-ci, le juge statue définitivement sur la résidence de l'enfant en alternance au domicile de chacun des parents ou au domicile de l'un d'eux".

Prescrit dans les cas où l'attitude des parents n'est pas conflictuelle (6), leurs domiciles sont relativement proches et leurs capacités financières suffisantes pour assumer le coût lié au besoin d'espace et à l'acquisition d'effets nécessaires à la vie quotidienne de l'enfant, ce mode d'hébergement favorise incontestablement l'exercice équilibré de la coparentalité. La difficulté est, toutefois, de savoir jusqu'où il est possible d'aller dans l'usage de ce mode de vie, notamment lorsque les modalités de la résidence alternée sont vécues de manière contraignante. L'arrêt signalé en est l'illustration : eu égard à la situation professionnelle du père dont l'emploi le contraint à des rotations de cinq semaines de travail à l'étranger suivies de cinq semaines de repos en France, le juge aux affaires familiales avait ordonné, au titre des mesures provisoires, une durée de séjour des enfants de cinq semaines consécutives chez chacun des parents. Compte tenu du jeune âge des enfants et des troubles réactionnels de ceux-ci attestés par un certificat établi par une psychologue, cette période fût jugée trop longue par les juges du fond et remplacée par une résidence alternée d'une période d'une semaine sur deux chez chacun des parents. Ce que conteste le père dans la mesure où, en raison de ses contraintes professionnelles, le temps de présence de ses enfants chez leur mère est plus important.

Consciente du fait que "la résidence alternée est fondée sur le droit de l'enfant d'entretenir des liens avec chacun de ses parents et non pas le droit des parents de partager l'enfant" (7), la Cour de cassation estime que l'intérêt des enfants auxquels il convient de procurer des repères ne permet pas une alternance de cinq semaines ou plus. L'article 373-2-9 du Code civil n'impose pas, de surcroît, que le temps de présence de chacun des parents auprès des enfants soit de même durée. Coparentalité ne rime donc pas nécessairement avec parité.

Notons, enfin, que la résidence alternée est à nouveau l'objet d'un débat au Sénat qui a organisé, le 23 mai 2007, autour de la commission des Lois et de la commission des Affaires sociales, des auditions publiques d'experts, de juristes, psychologues, sociologues et de représentants d'associations de familles. Un tour de table nécessaire pour réfléchir, cinq ans après sa reconnaissance effective, sur sa mise en pratique, qui aujourd'hui reste somme toute très modeste puisque seules 10 % des procédures donnent lieu à une demande d'alternance (8).

Nathalie Baillon-Wirtz
Maître de conférences à l'université de Reims Champagne-Ardenne


(1) H. Fulchiron, note sous CA Lyon, 5 octobre 1993, JCP éd. G, 1994, II, 22231 ; J.-C. Kross, De "l'homme orchestre" au "virtuose" ou les impressions subjectives de lecture de la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993, Gaz. Pal. 1993, 2, p. 1158.
(2) L'idée de partage de l'hébergement accentuerait "la 'chosalité' de l'enfant" : J. Hauser, RTD. civ. 1993, p. 574 et 818.
(3) Cass. civ. 2, 21 mars 1983, M. A. c/ Mme F. (N° Lexbase : A4284C88), JCP. G, 1985, II, 20163, note F. Dekeuwer-Défossez.
(4) Cass. civ. 2, 2 mai 1984, n° 83-11.071, Madame M. c/ Monsieur M. (N° Lexbase : A0757AAB), RTD. civ. 1984, p. 691, obs. J. Rubellin-Devichi.
(5) Certaines juridictions avaient ainsi admis un hébergement alterné. La cour d'appel de Paris, le 10 février 1999 (JCP éd. G, 1999, II, 10170, note T. Garé), concluait que "rien ne permet d'affirmer que l'hébergement partagé soit par principe néfaste à l'intérêt de l'enfant. [...] Il convient donc d'encourager ce type d'organisation de l'hébergement de l'enfant, condition d'une coparentalité réelle et élément fondamental pour lutter contre la précarisation de l'une ou l'autre des fonctions parentales". D'autres juridictions, plus prudentes, avaient admis la résidence en alternance, en attribuant à celui qui n'avait pas la résidence habituelle, un droit de visite et d'hébergement très large, équivalant finalement à un partage de l'hébergement : CA Paris, 24ème ch., sect. C, 25 février 1999, n° 1997/06727, Madame Marie-Chantal D. c/ Monsieur Gilles P. (N° Lexbase : A4739DWG).V. notamment sur cette jurisprudence : P. Hilt, La résidence alternée, AJF 2001, p. 44 ; A. Gabriel et C. Strugala, La résidence alternée, Gaz. Pal., 3 septembre 2005, p. 4.
(6) Si une bonne entente des parents est généralement perçue comme une condition de bon fonctionnement de la résidence alternée, un conflit parental n'exclut pas nécessairement sa mise en place. Le juge peut, en effet, comme le lui permet l'article 373-2-9 du Code civil, imposer cette dernière aux parents en désaccord, pendant une période déterminée.
(7) A. Gouttenoire, La résidence alternée en questions, Dr. fam. 2005, Alerte n° 23.
(8) Rép. min. n° 107379, JOAN Q, 9 janvier 2007, p. 359 (N° Lexbase : L6333HXT) : Le Garde des Sceaux, interrogé par un parlementaire à propos des statistiques liées à la résidence alternée a répondu que "seules les données sur l'année 2005 sont disponibles sur ce sujet. En 2005, la proportion des enfants faisant l'objet d'une résidence en alternance se situe autour de 10,8 %. La résidence est fixée chez la mère dans 78,3 % des cas, chez le père dans 10,3 % et chez un tiers dans 0,6 %".

newsid:281912

Social général

[Jurisprudence] Portée d'un engagement de maintien de l'emploi figurant dans un plan de cession

Réf. : Cass. soc., 16 mai 2007, n° 06-40.496, Société Pebeco, FS-P+B (N° Lexbase : A2615DWR)

Lecture: 6 min

N1937BBD

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209137-edition-n-262-du-31052007#article-281937
Copier

Le 07 Octobre 2010


Lorsqu'il dépose une offre de cession, le repreneur d'une entreprise en difficulté est fréquemment amené à formuler un engagement de maintien de l'emploi. Dès lors que l'offre est retenue et que le plan de cession est arrêté par le tribunal de commerce, cet engagement revêt une force contraignante certaine pour le cessionnaire qui ne peut donc plus y échapper. Si la validité de ce type d'engagement ne prête, en principe, guère à discussion, sa portée peut, en revanche, donner lieu à interprétation, ainsi qu'en témoigne un intéressant arrêt rendu le 16 mai dernier par la Chambre sociale de la Cour de cassation.



Résumé

La clause du plan de cession selon laquelle le repreneur s'engage, pour la durée du plan de cession, à ne procéder à aucun licenciement sans l'autorisation préalable du tribunal de commerce ne concerne que les licenciements pour motifs économiques. Par suite, cette stipulation ne prive pas l'employeur de son pouvoir disciplinaire exercé sous le contrôle du juge prud'homal.

1. Validité d'un engagement de maintien de l'emploi pris dans un plan de cession

  • Un engagement purement volontaire

Que l'on se situe avant ou après la loi du 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 N° Lexbase : L5150HGT), la cession de l'entreprise a toujours le même but : assurer le maintien d'activités susceptibles d'exploitation autonome, de tout ou partie des emplois qui y sont attachés et d'apurer le passif (C. com., art. L. 642-1 N° Lexbase : L9092HGT) (1).

Pour aller à l'essentiel (2), on se bornera à rappeler que la procédure d'élaboration du plan de cession débute nécessairement par le dépôt d'offres de reprise qui se doivent d'être sérieuses pour avoir des chances d'être retenues par le tribunal compétent. On constate, ce faisant, que la procédure d'élaboration du plan de cession est à la fois volontaire et judiciaire (v., en ce sens; C. Saint-Alary-Houin, ouvrage préc., § 928).

L'offre de cession doit comporter un certain nombre d'indications fixées par la loi, parmi lesquelles figurent le "niveau et [les] perspectives d'emploi justifiés par l'activité considérée" (C. com., art. L. 642-2 N° Lexbase : L3909HBE ; C. com., anc. L. 621-85 N° Lexbase : L6937AIR). Si le repreneur peut évidemment se contenter de respecter cette dernière exigence, rien ne l'empêche d'aller au-delà en s'engageant à maintenir un certain nombre d'emplois postérieurement à la cession (3). Un tel engagement, dont on aura compris qu'il est purement volontaire, ne saurait être pris à la légère. En effet, dès lors que le plan est arrêté par le tribunal, l'offre se mue en un engagement contraignant pour le cessionnaire (4).

  • Un engagement contraignant

Le plan de cession produit un effet obligatoire à l'égard du cessionnaire qui est, d'abord et avant tout, tenu de payer le prix convenu. Mais la cession ne se réduisant pas à une simple vente, le cessionnaire devra respecter les obligations complémentaires qui lui sont imposées par la loi ou, pour ce qui nous intéresse ici, par le plan. Plus précisément, il doit "exécuter, sous peine de résolution du plan, tous les engagements mis à sa charge par le plan et qu'il avait acceptés dans l'offre de cession : maintien de certains emplois, reprise de matériels, restructuration économique, etc." (C. Saint-Alary-Houin, op. cit., § 978).

Le plan de cession peut donc comporter un engagement de maintien de l'emploi par lequel le cessionnaire s'oblige, pour une durée déterminée, à ne procéder à aucun licenciement (5). Tel était le cas dans l'espèce commentée, la société cessionnaire s'étant engagée, pour la durée du plan de cession, à ne procéder à aucun licenciement sans l'autorisation préalable du tribunal de commerce. Si l'engagement de maintien de l'emploi est ici réel, ses modalités ont de quoi surprendre dans la mesure où le tribunal de commerce n'est, en aucune façon, compétent pour autoriser des licenciements postérieurement au jugement arrêtant le plan de cession. On ne peut, dès lors, que s'interroger sur la licéité de cette clause, à laquelle la Cour de cassation n'a rien trouvé à redire. Il faut dire que la question ne lui était pas posée. Il lui était uniquement demandé de se prononcer sur la portée de l'engagement de maintien de l'emploi.

2. Portée de l'engagement de maintien de l'emploi pris dans un plan de cession

  • Quant aux licenciements concernés

Postérieurement à la cession, un salarié avait, en l'espèce, fait l'objet d'un licenciement pour faute grave de la part de son nouvel employeur. Pour décider que ce licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse, la cour d'appel saisie du litige a considéré que l'employeur avait méconnu son engagement de maintien de l'emploi.

On peut être, de prime abord, tenté d'approuver cette solution dans la mesure où la clause du plan de cession ne précisait pas quels étaient les licenciements concernés par l'engagement de maintien de l'emploi souscrit par le cessionnaire (6). Un tel raisonnement s'avère en réalité par trop simpliste. Ainsi que l'indique la Cour de cassation, "la clause du plan de cession ne pouvait concerner que les licenciements prononcés pour motif économique et ne privait pas l'employeur de son pouvoir disciplinaire exercé sous le contrôle du juge prud'homal".

Il est pour le moins difficile d'aller à l'encontre d'une telle position. En effet, on ne peut, tout d'abord, nier que le droit des entreprises en difficulté ne s'intéresse au licenciement que dans la mesure où celui-ci revêt une cause économique. En conséquence, les licenciements visés par la clause du plan de cession ne peuvent effectivement être que des licenciements de cette nature. La Cour de cassation ne fait rien d'autre qu'interpréter la volonté des parties au contrat ou, pour être plus précis, la volonté de l'auteur de l'engagement unilatéral.

Au-delà, admettre que la clause du plan de cession vaut pour tout licenciement revient, d'une certaine manière, à considérer que l'employeur a complètement renoncé à son droit de licencier (7). Or, on sait que le caractère d'ordre public de ce droit interdit une telle renonciation et n'autorise que de simples aménagements.

Au final, l'employeur-cessionnaire restait donc titulaire de son pouvoir disciplinaire et était en mesure de licencier l'un des salariés repris pour faute grave, sous le contrôle du juge prud'homal.

  • Quant à la sanction encourue

Que se serait-il passé si l'employeur avait, en violation de son engagement, licencié un des salariés repris pour motif économique, sans l'autorisation du tribunal de commerce ? Ainsi que le laisse entendre la Cour de cassation, le licenciement aurait été, de ce simple fait, dépourvu de cause réelle et sérieuse. C'est alors dire que l'intervention du juge consulaire doit, ici, être assimilée à une véritable garantie de fond et non à une simple exigence de forme. Cette analyse, au demeurant parfaitement conforme à l'économie de la clause du plan de cession, démontre que celle-ci s'apparente très fort à une clause de garantie d'emploi stricto sensu (sur ces clauses, v. J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 23ème éd., 2006, § 284).

Le non-respect de ces clauses produit d'ailleurs les mêmes effets : non seulement le licenciement est ipso facto dépourvu de cause réelle et sérieuse, mais le salarié peut, en outre, demander à l'employeur le versement de dommages-intérêts pour non-respect de l'engagement souscrit (8).

Reste alors l'épineuse question du licenciement pour motif économique autorisé par le tribunal de commerce, conformément à la clause du plan de cession. Ce licenciement est-il pour autant justifié ? A notre sens, dans la mesure où la loi ne prévoit nullement l'intervention du juge consulaire dans ce cas de figure, il est difficile de considérer que le juge prud'homal perd le pouvoir de contrôler la cause réelle et sérieuse du licenciement ainsi prononcé. Aussi, l'employeur souscrivant une clause de ce type aura-t-il tout intérêt à soigneusement motiver son licenciement en évitant de renvoyer purement et simplement à la décision du tribunal de commerce.

Relevons, pour conclure, que le non-respect par le cessionnaire d'un engagement de maintien de l'emploi pris dans le cadre du plan de cession peut entraîner la résolution pure et simple du plan de cession. Outre qu'elle permet au cessionnaire de s'en tirer à bon compte, une telle issue est critiquable dans la mesure où elle conduit au retour des contrats de travail au cédant (Cass. soc., 8 juin 1999, n° 97-12.731, M. Giffard c/ Société Gallien et autres, publié N° Lexbase : A0219AUN ; JCP éd. E, 2000, p. 128, obs. P.P.). Cette solution paraît, cependant, devoir être aujourd'hui écartée, compte tenu du fait que la loi du 26 juillet 2005 a fait basculer la cession dans le cadre de la liquidation judiciaire (v. en ce sens, A. Jacquemont, op. cit., § 798 in fine).

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) Cette disposition figurait, antérieurement à la réforme, à l'article L. 621-83, alinéa 2 (N° Lexbase : L6935AIP).
(2) Pour plus de précisions, on renverra, notamment, pour le dispositif antérieur à la réforme du 26 juillet 2005, à l'ouvrage de C. Saint-Alary-Houin (Droit des entreprises en difficulté, Montchrestien, 4ème éd., 2001, pp. 598 et s.) et, pour le dispositif postérieur à cette même réforme, aux ouvrages d'A. Jacquemont (Droit des entreprises en difficulté, Litec ; 4ème éd., 2006, pp. 371 et s.) et de M. Jeantin et P. Le Cannu (Droit commercial - Entreprises en difficulté, Précis Dalloz, 7ème éd., 2007, pp. 635 et s.). Il convient, ici, de souligner que le régime juridique du plan de cession n'a été que peu modifié par la loi de 2005, si bien que la solution retenue dans l'arrêt rapporté trouvera à s'appliquer sans difficulté aux procédures collectives ouvertes sous l'empire de la loi précitée.
(3) Sans doute y-a-t-il là un engagement de première importance, susceptible d'influer sur le choix du tribunal, même si la sauvegarde de l'emploi n'est pas le seul objectif de la cession de l'entreprise. En outre, un tel engagement autorise le repreneur à minorer le prix de cession proposé.
(4) Prenant appui sur l'article L. 642-5, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L3912HBI) qui dispose, désormais, que "le jugement qui arrête le plan en rend les dispositions applicables à tous", M. Jacquemont (op. cit., § 751) souligne que le plan présente une nature juridique ambivalente, en ce qu'il peut être considéré comme un "contrat judiciaire". Si cette assertion présente une certaine part de vérité, il nous semble cependant plus juste d'analyser le plan comme un engagement unilatéral du cessionnaire, dont la particularité réside dans le fait que sa force obligatoire exige plus qu'une simple manifestation de volonté du cessionnaire. Il reste, cependant, difficile de considérer qu'un accord de volontés se forme à un moment donné.
(5) Le cessionnaire peut, également, s'engager à procéder à un certain nombre d'embauches.
(6) L'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC) suffit alors pour assurer la force obligatoire de l'engagement.
(7) On pourra toujours rétorquer que tel n'est pas le cas en l'espèce, l'employeur ayant plus simplement soumis son droit de licencier à autorisation du tribunal de commerce.
(8) L'indemnité pour violation de la clause et l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse n'ayant pas le même objet, elles peuvent se cumuler.
Décision

Cass. soc., 16 mai 2007, n° 06-40.496, Société Pebeco, FS-P+B (N° Lexbase : A2615DWR)

Cassation (CA Angers, chambre sociale, 13 octobre 2005)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-40 (N° Lexbase : L5578ACL) ; C. trav., art. L. 122-43 (N° Lexbase : L5581ACP) ; ensemble les articles L. 621-64 (N° Lexbase : L6916AIY) et L. 621-29 (sic) (N° Lexbase : L6881AIP) du Code de commerce dans leur rédaction applicable au moment des faits.

Mots-clefs : redressement judiciaire ; plan de cession ; clause de garantie d'emploi ; licenciement économique.

Liens bases : ; .

newsid:281937

Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] Renonciation moyennant indemnité à un plan de stocks-options

Réf. : CAA Douai, 3ème ch., 31 janvier 2007, n° 05DA01270 (N° Lexbase : A3253DUZ)

Lecture: 4 min

N3411BBX

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209137-edition-n-262-du-31052007#article-283411
Copier

par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010



Statuant en appel sur le jugement du tribunal administratif d'Amiens, la cour administrative d'appel de Douai, dans un arrêt en date du 31 janvier 2007, décide que la somme qui a pour objet de compenser la renonciation au gain escompté par le bénéficiaire d'options sur actions doit être soumise à l'impôt sur le revenu comme supplément de salaires. Cette décision constitue une nouvelle pierre à ajouter au régime fiscal des stocks-options déjà établi au regard des droits de succession, régime fiscal dont on sait qu'il diffère de celui, sur le plan civil, admis au regard des partages de communauté.

1. Imposition de l'indemnité de renonciation

La question posée à la cour administrative d'appel portait sur l'imposition, ou l'absence d'imposition, et éventuellement sur la nature de l'imposition, plus-value ou supplément de salaires, de l'indemnité versée à un bénéficiaire d'options sur actions en vue de compenser le non-exercice de son droit de lever les options. En effet, un salarié s'était vu attribuer, en 1997, des options de souscriptions d'actions par la société qui l'employait. A la suite de l'absorption de cette société, le repreneur lui avait proposé d'y renoncer en contrepartie du versement d'une indemnité. C'est à l'occasion d'un contrôle sur pièces du dossier du salarié que l'administration avait considéré que cette indemnité devait être imposée dans la catégorie des traitements et salaires. Il est vrai qu'une doctrine interne l'incitait à une telle analyse. Selon cette doctrine, l'indemnité de renonciation constitue un complément de salaires, sauf cas exceptionnel, où elle est soumise au régime des plus-values sur cessions de valeurs mobilières, si elle compense, par exemple, une impossibilité ou une difficulté sérieuse pour le bénéficiaire de lever les options. Saisi du litige, le tribunal administratif d'Amiens avait considéré que cette indemnité n'était pas imposable considérant, d'une part, qu'elle ne pouvait être assimilée à la contrepartie de la cession anticipée d'actions dont le salarié n'avait pas été porteur, et, d'autre part, qu'elle ne répondait pas à la volonté de compenser une perte de salaires.

La solution retenue par la cour de Douai est justifiée, si l'on se réfère à la conception du revenu fiscal. En effet, faute de définition du revenu imposable, pour déterminer si un gain constitue un profit imposable, il doit être recherché s'il peut se rattacher, soit à l'exercice d'une profession, soit à la cession d'un élément du patrimoine du bénéficiaire. A défaut de se rattacher à l'une de ces deux catégories, le gain peut encore relever des dispositions de l'article 92 du CGI (N° Lexbase : L0546HW7), selon lequel sont imposables, au titre des bénéfices non commerciaux, les bénéfices de toutes occupations, exploitations lucratives et sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou revenus. Au cas particulier, la cour a estimé que l'indemnité versée devait être considérée comme de même nature que l'avantage visé à l'article 80 bis du CGI (N° Lexbase : L1775HLC), c'est-à-dire le gain qualifié de "plus value d'acquisition" correspondant à la différence entre la valeur de l'action à la date de la levée de l'option et le prix d'exercice. Ce gain est, en principe, imposé comme un complément de salaires.

Cette décision paraît, cependant, critiquable. En effet, l'indemnité avait été versée par une société qui n'était pas l'employeur du titulaire des options, ce qui ne permet pas totalement de justifier d'une imposition dans la catégorie des traitements et salaires, puisque aucun lien de subordination ne liait celui qui versait à celui qui recevait l'indemnité. De surcroît, l'imposition dans cette catégorie n'est obligatoire qu'en cas de cession par le titulaire des options avant le délai d'indisponibilité prévu par la loi. En tout état de cause, la cour n'a pas retenu les prétentions du contribuable, qui invoquait une prise de position de l'administration au regard des droits d'enregistrement.

2. Stocks-options et droits de succession

Dans une réponse individuelle, le Service de législation fiscale, devenu la Direction de la législation fiscale, estime que les droits d'options n'ont pas à être valorisés en tant que tels à l'actif de succession, lorsque leur bénéficiaire, décédé, n'a pas levé l'option avant son décès. Cette position découle de la nature même de l'option. Celle-ci constitue un droit pour son bénéficiaire, mais la valeur de ce droit est éventuelle, ce qui explique que, lors de son attribution au bénéficiaire, il n'y a aucune opération taxable. L'administration paraît avoir confirmé son analyse dans deux réponses ministérielles sur le sort des stocks-options en cas de divorce d'époux mariés sous le régime de la communauté .

3. Stocks-options et partage de communauté

La qualification de biens propres ou de biens communs des options de souscription et d'achat d'actions qui proviennent de l'activité salariée d'un époux marié sous le régime légal de communauté est discutée. Pour certains auteurs (notamment A. Couret, Le sort des stocks-options dans les liquidations de communautés ou de successions : approche critique d'idées nouvelles, JCP éd. N, 1999, n° 12, p. 525), les options sont des biens propres par nature, dans la mesure où elles ne confèrent à leur bénéficiaire qu'un avantage virtuel et incertain. Pour d'autres, et c'est la doctrine dominante, constituant un mode de rémunération du salarié, les options ne peuvent être que des acquêts, tout comme le salaire lui-même. Ainsi, bien que l'option soit étroitement associée à la personne du titulaire, étant incessible, il doit être distingué entre le titre et la finance ; et cette valeur doit être incluse dans le partage de communauté, quand bien même, sur le plan fiscal, elle ne serait pas soumise au droit de partage (réponse Marini précitée).

newsid:283411

Habitat-Logement

[Textes] Commentaire de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable

Réf. : Loi n° 2007-290, du 5 mars 2007, instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (N° Lexbase : L5929HU7)

Lecture: 16 min

N1911BBE

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209137-edition-n-262-du-31052007#article-281911
Copier

Le 07 Octobre 2010

La loi n° 2007-290 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale (1) a été adoptée, dans le cadre d'une procédure d'urgence, le 5 mars 2007. Ce texte comporte soixante-quinze articles regroupés en deux chapitres ; l'un consacré au droit au logement, l'autre à des dispositions en faveur de la cohésion sociale. La loi garantit à toute personne qui réside sur le territoire français de façon régulière et stable le droit à un logement décent et indépendant.
La loi du 5 mars 2007 instaure une procédure spécifique de mise en oeuvre du droit au logement opposable. Cette procédure ouvre, dans un premier temps, des voies de recours amiables devant une commission de médiation puis, dans un second temps, des voies de recours contentieuses, devant le tribunal administratif. Ne pourront, toutefois, s'en prévaloir que les demandeurs, de bonne foi, qui justifient d'une absence de réponse, de la part des bailleurs, tenant compte de leur situation familiale et de leurs ressources. Les personnes visées, dont le nombre est estimé par le ministre du Logement et de la Cohésion sociale entre 300 et 400 000, pourront saisir, sans condition de délai, la commission de médiation départementale. I. La notion de droit au logement opposable et le rôle prééminent de l'Etat en tant que garant de ce droit

A. La notion de droit au logement opposable

1) Un droit qui doit être distingué du droit à l'hébergement

Les contours du droit au logement opposable doivent être précisés. Il s'agit du droit à obtenir un logement décent et indépendant ou à se maintenir dans un tel logement et non pas simplement, comme dans la loi "Besson" (loi n° 90-449 du 31 mai 1990 N° Lexbase : L2054A4T), à obtenir une aide à cet effet ou pour y disposer de la fourniture d'eau, d'énergie et de services téléphoniques. En outre, une distinction claire doit être établie entre le droit à un logement et le droit à l'hébergement, plus précisément le droit à un accueil dans une structure d'hébergement, un établissement ou logement de transition ou un logement-foyer. Le droit à l'hébergement constitue, en fait, le premier niveau du droit au logement.

2) Un droit "opposable"

Sur un plan purement juridique, la terminologie utilisée peut d'abord surprendre. En effet, si l'expression de "droit opposable" présente un sens apparemment fort dans le langage courant et bénéficie, donc, d'une "légitimité extra-juridique" (2). La connotation de cette opposabilité renvoie pour tout un chacun, en effet, à la possibilité de réclamer l'application du droit. Au sens juridique cependant, on aurait tendance, soit à considérer la notion d'opposabilité comme complètement inutile, puisque liée à la notion même de droit, soit à la considérer comme détournée, car non utilisée à propos stricto sensu (3). La difficulté vient de ce que ce droit constitue un droit fondamental, qu'il convient de rendre effectif. La loi du 5 mars 2007 tend, d'ailleurs, à préciser cette notion d'opposabilité par l'idée d'efficacité dans son chapitre premier.

Pour autant, c'est bien l'approche sociologique du terme "opposable" qui est ici essentielle. La loi du 5 mars 2007, en instituant un droit au logement qui est opposable, signifie, ainsi, que ce droit doit recevoir application et que l'Etat (en général) devra assumer la conséquence juridique, financière et morale de l'irrespect de l'ordre légal. Il y a donc, en quelque sorte, une obligation de résultat pour la puissance publique. Ainsi que l'écrit J. Monéger, "Le détour du raisonnement par l'opposabilité se veut explicatif du caractère ultime du recours à la solidarité quand les mécanismes normaux du droit civil des contrats ou du droit administratif des réquisitions et des attributions de logement ne permettent pas la satisfaction de la prérogative fondamentale de l'être humain selon la Constitution. [...] Il faut donc comprendre cette opposabilité comme un recours indispensable dans un ordre juridique de droit constitutionnel social et non comme un droit subjectif au sens classique du terme". Le droit au logement opposable s'apparente ainsi à un droit créance (à la différence d'un droit de créance) (4).

B. Le rôle prééminent de l'Etat en tant que garant du droit au logement opposable

1) L'autorité garante du droit au logement

En vertu de l'article L. 300-1 du Code de la construction et de l'habitation, l'Etat s'engage à garantir à toute personne qui réside sur le territoire français de façon régulière et stable le droit à un logement décent et indépendant. Il est cependant possible, à titre expérimental et pour une durée de six ans, que la garantie de ce droit soit dévolue à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre si celui-ci conclut une convention avec l'Etat, ses communes membres et les départements concernés (5). La convention aura pour objet de déléguer au président de cet établissement tout ou partie du contingent de logements réservés au préfet ainsi que la mise en oeuvre des procédures de lutte contre l'insalubrité, la ruine des immeubles et la présence de plomb. Parallèlement, la loi précise les conditions de mise en oeuvre du droit au logement opposable, à savoir les dates d'entrée en vigueur, la procédure à respecter et les dispositifs visant à accroître le parc locatif.

Le droit à un logement décent et indépendant mentionné à l'article 1er de la loi "Besson", reconnu à toute personne qui, résidant sur le territoire français de façon régulière et stable, n'est pas en mesure d'y accéder par ses propres moyens ou de s'y maintenir, tend donc à devenir une obligation de résultat incombant à l'Etat à l'égard de toute personne résidant sur le territoire français de façon régulière et dans des conditions de permanence qui seront définies par voie de décret. De même, toute personne accueillie dans une structure d'hébergement d'urgence doit pouvoir y demeurer, dès lors qu'elle le souhaite, jusqu'à ce qu'une orientation lui soit proposée. Cette orientation est effectuée vers une structure d'hébergement stable ou de soins, ou vers un logement, adaptés à sa situation. Il est à noter qu'il est fait une distinction importante entre l'hébergement (qui évoque une situation temporaire), et le logement.

Le principal instrument dont dispose l'Etat pour s'acquitter de cette obligation de résultat, et non plus de moyens, est le contingent de droits à réservation de logements locatifs sociaux dont dispose chaque préfet de département. Ce "contingent préfectoral" est fixé, par l'article R. 441-5 du Code de la construction et de l'habitation (N° Lexbase : L9259ABK), à 30 % du patrimoine du bailleur, dont 5 % pour les fonctionnaires et 25 % pour les personnes défavorisées (6). Le droit de réservation reconnu au préfet est, généralement, mis en oeuvre par convention avec les bailleurs sociaux, ce qui permet d'aboutir à une gestion concertée du parc social de logement. Sur le contingent ainsi réservé, le préfet dispose d'un droit de proposition, les bailleurs sociaux pouvant refuser les candidats qui leur sont présentés pourvu que leur refus soit motivé. Le préfet dispose, toutefois, d'un pouvoir de coercition en cas de blocage. Ajoutons que la loi n° 2004-809, du 13 août 2004, relative aux libertés et responsabilités locales (N° Lexbase : L0835GT4), a permis au préfet de déléguer au maire ou, avec l'accord de celui-ci, au président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'habitat, tout ou partie des droits à réservation de logements dont il bénéficie (7).

2) Un droit qui sera garanti progressivement

Les principales dispositions du chapitre 1er de la loi du 5 mars 2007 seront applicables à compter du 1er décembre 2008, pour les catégories les plus prioritaires, à savoir les personnes privées de logement, menacées d'expulsion sans relogement, accueillies dans des structures d'hébergement d'urgence, logées dans des habitations présentant un caractère insalubre ou dangereux, voire manifestement sur-occupées ou indécentes, lorsqu'il s'agit d'une famille avec au moins un enfant mineur, d'un demandeur qui présente un handicap au sens de l'article L. 114 du Code l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L8905G8C) ou qui a à charge au moins une personne présentant un tel handicap. Ces dispositions seront, cependant, applicables à compter du 1er janvier 2012 seulement pour toutes autres personnes dont la situation répond aux conditions d'accès à un logement locatif social restées sans réponse au-delà d'un délai anormalement long.

Il faut, néanmoins, s'interroger sur la date à partir de laquelle les décisions de la commission de médiation pourront être considérées comme créatrices de droit, et par conséquent susceptibles de recours. Dans la mesure où l'article 7 de la loi du 5 mars 2007 (relatif au recours amiable et au recours juridictionnel) entrera en vigueur de manière graduée, pour certains demandeurs à compter du 1er décembre 2008 et pour certains autres à compter du 1er janvier 2012, ce n'est qu'à compter de ces dates que les décisions des commissions de médiation seront créatrices d'un droit au recours devant le juge administratif. Cependant, dans la mesure où l'obligation de loger les personnes reconnues prioritaires par la commission de médiation est une obligation qui pèse sur le représentant de l'Etat dans le département depuis la publication du projet de loi, les tribunaux administratifs ont à connaître, depuis le début de l'année 2007, du contentieux de l'annulation des décisions des commissions de médiation départementales.

II. La procédure de mise en oeuvre du droit au logement opposable

A. L'intervention préalable d'une commission de médiation

La loi du 5 mars 2007 ouvre la possibilité de saisir sans délai la commission de médiation prévue aujourd'hui dans les départements au profit des demandeurs de logements sociaux n'ayant pas obtenu d'offre de logement à deux nouvelles catégories de personnes défavorisées : les personnes dépourvues de logement (autrement dit, les "sans-abri") ; les familles avec enfants logées dans des logements indécents ou vivant en situation de sur-occupation.

1) La composition et le mode de saisine de la commission de médiation

Cette commission, dont la composition a été modifiée, devra être créée au plus tard le 1er janvier 2008 dans chaque département. Présidée par une personnalité qualifiée désignée par le préfet de département, elle comprendra à parts égales : des représentants de l'Etat, des représentants du département, des établissements publics de coopération intercommunale, visés à l'article L. 441-1 du Code de la construction et de l'habitation, et des communes, des représentants des bailleurs sociaux et des organismes chargés de la gestion d'une structure d'hébergement, d'un établissement ou d'un logement de transition, d'un logement-foyer ou d'une résidence hôtelière à vocation sociale et, enfin, des représentants des associations de locataires et des associations agréées dont l'un des objets est l'insertion ou le logement des personnes défavorisées oeuvrant dans le département. Cette commission pourra obtenir des bailleurs concernés toute information qui expliquerait l'absence de réponse à la demande qui leur a été présentée.

La commission de médiation pourra être saisie par toute personne qui, satisfaisant aux conditions réglementaires d'accès à un logement locatif social, n'a reçu aucune proposition adaptée en réponse à sa demande de logement dans le délai fixé en application de l'article L. 441-1-4 (N° Lexbase : L2007HPZ). En principe, la commission ne pourra donc être saisie qu'en l'absence de proposition de logement locatif social dans un délai anormalement long, fixé par arrêté préfectoral. Les délais en vigueur s'échelonnent de 6 mois à 36 mois en région parisienne. Elle pourra, toutefois, être saisie sans condition de délai lorsque le demandeur, de bonne foi, est dépourvu de logement, menacé d'expulsion sans relogement, hébergé ou logé temporairement dans un établissement ou un logement de transition, logé dans des locaux impropres à l'habitation ou présentant un caractère insalubre ou dangereux (8). Elle pourra également être saisie, sans condition de délai, lorsque le demandeur est logé dans des locaux manifestement sur-occupés ou ne présentant pas le caractère d'un logement décent, s'il a, au moins, un enfant mineur, s'il présente un handicap ou s'il a, au moins, une personne à charge présentant un tel handicap. Le demandeur pourra être assisté (et non représenté) par une association dont l'un des objets est l'insertion ou le logement des personnes défavorisées ou une association de défense des personnes en situation d'exclusion et agréée par le représentant de l'Etat dans le département.

2) Le rôle de la commission de médiation

Dans un délai qui sera fixé par décret, la commission de médiation désignera les demandeurs qu'elle reconnaît prioritaires et auxquels un logement doit être attribué en urgence. Elle détermine pour chaque demandeur, en tenant compte de ses besoins et de ses capacités, les caractéristiques de ce logement. Elle notifie par écrit au demandeur sa décision qui doit être motivée. Elle peut faire toute proposition d'orientation des demandes qu'elle ne juge pas prioritaires. La commission de médiation transmet au représentant de l'Etat dans le département la liste des demandeurs auxquels doit être attribué en urgence un logement. Le demandeur qui a été reconnu par la commission de médiation comme prioritaire et comme devant être logé d'urgence et qui n'a pas reçu, dans un délai fixé par décret, une offre de logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités peut introduire un recours devant la juridiction administrative tendant à ce que soit ordonné son logement ou son relogement.

Lorsque la commission considèrera que la demande n'est pas prioritaire, elle pourra faire toute proposition d'orientation de cette demande. Lorsqu'elle la qualifiera de prioritaire, deux options seront ouvertes : ou bien la commission estime qu'une offre de logement n'est pas adaptée à la demande et elle indique au préfet qu'un accueil dans une structure d'hébergement, un logement de transition, un logement-foyer ou une résidence hôtelière à vocation sociale doit être proposé, ou bien une offre de logement est adaptée et la commission transmet au préfet la liste des demandeurs auxquels doit être attribué en urgence un logement. Après avis des maires des communes concernées, et en respectant les objectifs de mixité sociale, le préfet désignera chaque demandeur à un organisme bailleur disposant de logements adaptés à la situation de celui-ci. Il fixera, également, le délai dans lequel l'organisme devra formuler une proposition de logement. La loi précise que cette attribution s'imputera sur les droits à réservation du préfet dans le département.

B. L'intervention du juge administratif

1) Un recours et une procédure spécifiques

Le recours sera ouvert contre l'Etat (9). Il s'agira d'un recours sui generis consistant en une action en déclaration de droit, ce qui est différent d'un recours en indemnité ou d'un recours pour excès de pouvoir, même s'il ne sera pas éloigné d'un recours de "plein contentieux d'urgence", dans la mesure où le juge se voit confier des pouvoirs considérables d'injonction et d'astreinte. Le demandeur pourra être assisté (et non représenté) par une association dont l'un des objets est l'insertion ou le logement des personnes défavorisées ou une association de défense des personnes en situation d'exclusion et agréée par le représentant de l'Etat dans le département (10). Ce recours sera ouvert à compter du 1er décembre 2008 pour les cinq catégories de personnes les plus prioritaires (11). A compter du 1er janvier 2012, le recours sera ouvert pour les autres personnes éligibles au logement social qui n'ont pas reçu de réponse à leur demande de logement après un délai anormalement long. En l'absence de commission de médiation dans le département, le demandeur pourra exercer le recours juridictionnel si, après avoir saisi le représentant de l'Etat dans le département, il n'a pas reçu une offre tenant compte de ses besoins et de ses capacités dans un délai fixé par voie réglementaire (12).

En l'absence d'offre tenant compte des besoins et des capacités du demandeur dans un délai fixé par décret, celui-ci pourra donc exercer un recours devant le tribunal administratif. Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il désigne, statuera en urgence, dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Sauf renvoi à une formation collégiale, l'audience se déroulera sans conclusions du commissaire du Gouvernement (13). Le président du tribunal administratif, ou le juge qu'il désigne, lorsqu'il constatera que la demande a été reconnue comme prioritaire par la commission de médiation et doit être satisfaite d'urgence et que n'a pas été offert au demandeur un logement tenant compte de ses besoins et de ses capacités, pourra alors ordonner, sous astreinte, un logement, un relogement ou le cas échéant un accueil en structure adaptée par la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale selon la situation du requérant (14).

Précisons que le juge administratif n'aura pas à se préoccuper de savoir si le demandeur aurait dû ou non être considéré comme prioritaire par la commission de médiation. Cette question devra, en effet, être examinée dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dont pourront faire l'objet les décisions de la commission. Le juge administratif n'aura pas non plus à rechercher si une autre offre de logement, de relogement ou d'accueil dans une structure adaptée aurait pu être faite au demandeur. Il devra simplement dire si l'offre présentée tient compte de ses besoins et de ses capacités.

Le produit de l'astreinte sera reversé au fonds d'aménagement urbain de la région (15) où est située la commission de médiation saisie par le demandeur. Sachant que ce fonds a pour objet de redistribuer ces sommes aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale pour des actions foncières et immobilières en faveur du logement social, le caractère incitatif de cette mesure s'en trouve quelque peu réduit. Il est, toutefois, surprenant qu'une partie au moins du produit de l'astreinte ne soit pas versé au demandeur : cela revient à mettre en place un mécanisme où l'Etat finance, par le produit d'astreinte résultant de sa carence à proposer une solution de logement ou de relogement de personnes prioritaires, la construction de logements sociaux.

2) Une intervention dont l'efficacité est incertaine...

Si l'on évalue à près de 100 000 le nombre de personnes sans domicile fixe et à près de 700 000 le nombre de personnes confrontées à une grande précarité en matière de logement, cela représente déjà un stock potentiel de demandes considérable. Certes, il faut espérer que la plupart des demandes qui seront déposées par ces personnes pourront être satisfaites. Mais, même avec un taux marginal de recours contentieux, le nombre de requêtes qui devront être examinées et jugées par les magistrats administratifs sera sans doute très significatif. L'importance de ce nouveau contentieux est, d'ailleurs, à mettre en regard du nombre d'affaires jugées annuellement par les tribunaux administratifs, qui est actuellement de l'ordre de 166 000.

Il est difficile de comprendre comment, sans création massive de nouveaux logements, le juge administratif pourra ordonner le logement ou le relogement par l'Etat : si des solutions n'ont pu être mises en oeuvre préalablement par la commission de médiation et/ou par le préfet, quelles solutions s'offriront au juge administratif ? Ce recours sera-t-il suivi d'effet ? La menace d'une astreinte est-elle réellement contraignante ? D'autant que le produit de l'astreinte est versé par l'Etat à un fonds d'aménagement urbain... Ce fonds, institué dans chaque région, pourra ainsi subventionner toute action foncière ou immobilière en faveur du logement locatif social.

Si la loi met l'accent sur la médiation qui sera un préalable incontournable du recours à la voie contentieuse (excepté dans les régions où une commission de médiation n'aurait pas été créée, malgré l'obligation légale mise à la charge des régions...), il n'en demeure pas mois que l'une des réelles nouveautés instituées par ce texte est le recours devant le juge administratif en cas d'avis favorable de la commission de médiation non suivi d'effet dans un délai raisonnable.

Il est regrettable que les personnes en situation précaire ne puissent se faire représenter par des associations (seul un mécanisme d'assistance étant prévu), et que l'astreinte qui peut être ordonnée par le juge administratif ne leur bénéficie pas en partie, ce qui leur aurait peut être permis de s'acquitter, ne serait-ce que temporairement, du paiement d'un loyer. Il est, également, indispensable que l'Etat garantisse la création de nouveaux logements sociaux permettant d'accueillir les sans-abris ou les "mal-logés". Au-delà de ces mesures, la loi prévoit donc de nouvelles dispositions pour accroître l'offre de logements.

3) ... et sera elle-même créatrice d'autres contentieux

Les demandeurs qui n'auront pas été considérés comme prioritaires par la commission de médiation pourront former un recours pour excès de pouvoir, dans les conditions de droit commun, soit dans un délai de deux mois après notification de la décision de celle-ci (16). En outre, les demandeurs ayant été jugés prioritaires par la commission, et n'ayant obtenu du préfet l'attribution d'un logement, pourront former un recours en responsabilité contre l'Etat. Ce contentieux, outre son effet sur le volume d'activité des juridictions administratives, aura sans doute également un coût pour l'Etat. Ce coût ne peut, cependant, être chiffré, car il dépendra à la fois du nombre de requêtes et de la jurisprudence qui sera dégagée par le juge, selon qu'il considérera que la responsabilité de l'Etat peut en l'espèce être engagée uniquement pour faute lourde, pour faute simple, ou sans faute.

Dès lors, l'article 7 de la loi du 5 mars 2007, qui ne crée à proprement parler qu'une seule nouvelle voie de recours contentieux, suscitera l'apparition de contentieux périphériques tout aussi importants en volume..

Conclusion

Il faut d'abord souligner qu'une partie notable des personnes pas ou mal logées ne bénéficiera pas du droit au logement opposable. En effet, ce droit ne vaut que pour les nationaux et les détenteurs d'un titre de séjour. En sont, en revanche, exclus les étrangers en situation irrégulière, les demandeurs d'asile en attente de décision, les "touristes" ainsi que certains étudiants. Or, corrélativement, selon une étude de l'INSEE (17), parmi les 86 000 sans logis, le taux d'étrangers est 4 fois supérieur à la moyenne nationale (l'étude reposant sur le fait de parler la langue française, il est probable que le chiffre réel soit encore plus élevé). Sachant que le taux d'étrangers est de 5,5 % dans la population générale, on peut sans doute l'évaluer à 20 à 30 % des sans abris, ce qui signifie qu'une proportion importante de ces derniers ne pourra revendiquer le bénéfice d'un logement.

Par ailleurs, nous l'avons vu, le but poursuivi par le Gouvernement est d'aboutir, par la voie du recours juridictionnel exercé, à ce que le demandeur, ayant dûment justifié de ses droits, bénéficie effectivement d'un logement grâce à une décision juridictionnelle déclarant son droit personnel au logement, prononçant une injonction et soumettant l'autorité en charge de la politique de l'Etat à une astreinte. Cette ambition, certes légitime, laisse cependant en suspens plusieurs questions. Ainsi, en cas d'absence de logement, si la décision envisagée tend à rendre effectif le droit reconnu du fait de l'astreinte, se pose la question du logement du titulaire de ce droit pendant le délai d'exécution ? Celui-ci, s'il n'est pas immédiatement satisfait, ne sera-t-il pas tenté de former un nouveau recours ? N'y a-t-il pas ainsi le risque que la décision juridictionnelle reste finalement, pendant un certain temps, un voeu pieux ? Par ailleurs, au cas où existent des logements vides, quelle pourra être la démarche du juge ? N'y aura-t-il pas la possibilité d'un nouveau recours ou de l'invocation d'un tel fait en cas de demande d'exécution ?

Frédéric Dieu
Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)


(1) JO n° 55 du 6 mars 2007, p. 4190, texte n° 4.
(2) J. Monéger, Regards sur le projet de loi relatif au droit opposable au logement, JCP éd. G du 24 janvier 2007, actualité n° 40.
(3) Cf. à cet égard J. Moreau, Vous avez dit : opposable ?, JCP éd. A du 15 janvier 2007, actualité n° 39.
(4) Soulignons d'ailleurs que le droit positif reconnaît déjà à ce droit au logement une substance juridique opposable. Mieux, le droit positif en fait un droit effectif dans les relations locatives sous de multiples facettes. Ainsi, l'attribution des logements sociaux suit, en principe, des normes précises au motif qu'elle participe à la mise en oeuvre du droit au logement et de la mixité sociale (CCH, art. L. 441 et s. N° Lexbase : L2003HPU). Si les critères étaient bien respectés, les plus démunis seraient les attributaires qui viendraient remplacer ceux qui restent locataires pour améliorer leur pouvoir d'achat. Il en est de même des dispositions régissant l'éviction d'un logement. Le représentant de l'Etat joue un rôle dans le contrôle de l'éviction comme dans celui de l'expulsion. Il est même une sorte de garant du paiement d'une partie du loyer impayé s'il refuse de prêter main forte à l'expulsion en temps approprié. On sait, en effet, que la loi n'autorise pas l'expulsion pendant l'hiver. La même idée est aujourd'hui sous-jacente à la réquisition de logement vacant.
(5) CCH, art. L. 301-5-1 (N° Lexbase : L8291HWY).
(6) Aux termes de cet article : "Le préfet peut exercer le droit de réservation qui lui est reconnu par l'alinéa 3 de l'article L. 441-1 lors de la première mise en location des logements ou au fur et à mesure qu'ils se libèrent. La réservation donne lieu à une convention avec l'organisme d'habitations à loyer modéré. A défaut, elle est réglée par arrêté du préfet. Le total des logements réservés par le préfet au bénéfice des personnes prioritaires ne peut représenter plus de 30 % du total des logements de chaque organisme, dont 5 % au bénéfice des agents civils et militaires de l'Etat. Un arrêté du préfet peut, à titre exceptionnel, déroger à ces limites pour une durée déterminée, pour permettre le logement des personnels chargés de mission de sécurité publique ou pour répondre à des besoins d'ordre économique".
(7) Aux termes de l'article L. 441-1 du Code de la construction et de l'habitation : "Le représentant de l'Etat dans le département peut, par convention, déléguer au maire ou, avec l'accord du maire, au président d'un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'habitat tout ou partie des réservations de logements dont il bénéficie, au titre du précédent alinéa, sur le territoire de la commune ou de l'établissement".
(8) Rappelons que la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (N° Lexbase : L2466HKK) avait déjà permis à trois catégories de demandeurs de saisir la commission de médiation sans condition de délai : les personnes menacées d'expulsion sans relogement, les personnes hébergées temporairement et les personnes logées dans un "taudis" ou une habitation insalubre. La loi du 5 mars 2007 remplace la catégorie des personnes "logées dans un taudis ou une habitation insalubre", par celle des personnes "logées dans des locaux impropres à l'habitation ou présentant un caractère insalubre ou dangereux".
(9) Un débat important a eu lieu au Sénat pour savoir, dans le cas où le contingent de réservation de logements sociaux préfectoral (prévu par l'article L. 441-1 du Code de la construction et de l'habitation N° Lexbase : L2004HPW) est délégué par le préfet à une commune ou un établissement public de coopération intercommunale, à qui dans les faits incomberont les obligations de logement. Contrairement aux dispositions du texte initial du projet de loi, le Sénat a décidé qu'en tout état de cause, qu'il y ait ou non délégation du contingent, c'est toujours le préfet qui assumerait cette responsabilité.
(10) Ce dernier devra assurer aux demandeurs concernés l'accès aux informations relatives à la mise en oeuvre du droit au logement.
(11) Il s'agit des personnes dépourvues de logement, des personnes menacées d'expulsion sans relogement, des personnes hébergées temporairement, des personnes logées dans des locaux impropres à l'habitation ou présentant un caractère insalubre ou dangereux, des ménages avec enfants mineurs ne disposant pas d'un logement décent ou en sur-occupation et, enfin, des personnes handicapées ou vivant avec une personne handicapée.
(12) Le syndicat de la juridiction administrative (SJA) n'a pas été entendu sur ce point puisqu'il contestait la possibilité de saisine directe du juge administratif dans les départements non dotés d'une commission départementale de médiation. Selon le SJA, la loi du 29 juillet 1998 impose la création d'une telle commission dans tous les départements : il appartiendrait, donc, aux préfets d'assurer l'application de cette loi sur l'ensemble du territoire.
(13) Ici encore, les observations du syndicat de la juridiction administrative n'ont pas été prises en compte : ce dernier critiquait le recours à un juge unique sans commissaire du Gouvernement pour une procédure de fond.
(14) La commission départementale de médiation n'émet qu'un avis ; elle n'est pas une autorité ; par ailleurs, les motifs de refus peuvent être variés, qu'ils soient liés au logement (absence de logement, absence de logement adapté), au choix préférentiel d'un autre demandeur, ou à la personne elle-même (critères non remplis, éventuellement motifs de forme). Cependant, le tribunal administratif ne sera pas saisi dans les seuls cas où la commission a émis un avis déclarant prioritaire le requérant.
(15) Ces fonds, déjà destinataires de recettes prélevées sur le produit de la taxe foncière sur les propriétés bâties, de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, de la taxe d'habitation et de la taxe professionnelle, financent pour les communes et les EPCI des actions foncières et immobilières en faveur du logement social.
(16) En effet, dans la mesure où la décision positive de la commission de médiation sera créatrice de droits, les personnes n'obtenant pas une telle décision pourront exercer un recours contre la décision de la commission de médiation.
(17) Economie et Statistique n° 391-392, 2006.

newsid:281911

Électoral

[Le point sur...] L'organisation du calendrier des élections législatives des 10 et 17 juin 2007

Lecture: 5 min

N2047BBG

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209137-edition-n-262-du-31052007#article-282047
Copier

Le 07 Octobre 2010

Le Gouvernement, lors du Conseil des ministres du 24 octobre 2006, a fixé la date des élections législatives aux 10 et 17 juin 2007, soit le plus tard légalement possible avant le mardi 19 juin, date d'expiration des pouvoirs de l'Assemblée élue en juin 2002 (1). Les dates précédentes correspondantes tombaient les 9 et 16 juin 2002, presque les mêmes, jour pour jour. On est tenté d'en conclure que le cadre juridique des élections législatives n'a pas changé. Ce serait se tromper grossièrement car les règles d'organisation de ces élections ont été largement revues depuis, par touches successives. Quelques décisions, d'ores et déjà rendues publiques à cette occasion, méritent d'être signalées. I. Trois calendriers différents produisent, désormais, simultanément leurs effets.

1°) Le calendrier des opérations électorales en métropole a été modifié sur des points importants.

Le délai séparant la publication du décret de convocation des électeurs du premier tour de scrutin a été porté de cinq à sept semaines (2) en raison des modifications portant sur les modalités de recensement des suffrages pour l'aide publique (cf. infra). La proximité maintenant instituée entre l'élection du Président de la République et les élections législatives conduit à la publication du décret (3) dans la semaine qui suit le premier tour de l'élection présidentielle.

Le calendrier du dépôt des candidatures s'en est trouvé affecté de la façon suivante. Le terme légal du dépôt a été anticipé (4), même pour l'heure de clôture : au lieu du 21ème jour, à minuit, c'est le 4ème vendredi, à 18 heures, précédant le premier tour de scrutin. Le début de cette même période est resté fixé au 4ème lundi (5) avant le premier tour. Pour se porter candidat, on dispose donc de cinq jours au lieu de sept antérieurement, ce que rappelle d'ailleurs le décret de convocation des électeurs.

La fixation des dates de chaque tour de scrutin détermine mécaniquement celles de bon nombre d'autres procédures, certaines menées très antérieurement, par exemple :

- la mise à jour des listes électorales pour les jeunes électeurs qui viennent d'atteindre 18 ans entre le 1er mars et le jour de l'élection (6) ;
- la période de campagne électorale officielle qui encadre à la fois l'apposition des affiches des candidats sur les emplacements prévus à cet effet (7) et les temps d'antenne mis à disposition des formations politiques à la radio et à la télévision (8) ;
- la diffusion et l'acheminement des documents de propagande des candidats (9) ;
- la désignation par les candidats de leurs divers représentants (délégués, assesseurs, etc.) (10) ;
- un certain nombre de prohibitions portant, notamment, sur la diffusion de sondages (11), de documents de propagande (12), de résultats (13), etc.

2°) Un deuxième calendrier découle d'une innovation, qui n'en est plus tout à fait une : les électeurs des Antilles, de Guyane et de Saint-Pierre-et-Miquelon se rendront aux urnes le samedi, veille de l'élection en métropole, pour éviter, du fait du décalage horaire, de connaître l'issue générale des élections législatives en métropole avant la fermeture de leurs bureaux de vote. Cette mesure a été étendue par étapes successives aux élections européennes en avril 2003 (14), présidentielle en avril 2006 (15) et législatives en février 2007 (16).

Cette règle concerne les renouvellements complets de l'Assemble nationale. Elle s'appliquerait en cas de dissolution. En revanche, une élection partielle, suscitée par exemple par la démission du titulaire du mandat ou par l'annulation d'une élection par le Conseil constitutionnel, se déroulerait un dimanche.

L'existence d'un scrutin le samedi décale mécaniquement de 24 heures le calendrier de la plupart des opérations pré-électorales, mais pas de toutes. Par exemple, les dates limites d'acheminement de la propagande des candidats ne sont pas modifiées.

3°) Un troisième calendrier, tout à fait dérogatoire, concerne la seule Polynésie française. Un premier régime spécifique existait déjà en 2002. Il a été revu en 2004 (17), à l'occasion de la modification du statut de la Polynésie française. Le seul élément commun aux trois calendriers est le délai séparant le décret de convocation des électeurs du premier tour de scrutin qui couvre le même nombre de semaines. Ainsi, en 2007, un même décret a pu simultanément convoquer tous les électeurs français à des dates différentes (18), alors qu'en 2002 il avait fallu deux décrets successifs (19). Le premier tour de scrutin s'y déroule le samedi 2 juin 2007, soit 8 jours avant la métropole et une semaine avant les Antilles et la Guyane, le second, la veille du second tour métropolitain comme aux Antilles et en Guyane.

En définitive trois calendriers de dépôt des candidatures se juxtaposent, suivis de trois périodes de contestation du refus d'enregistrement de ces candidatures par les services des représentants de l'Etat (20). De surcroît, le délai de proclamation des résultats fait l'objet d'un arrêté spécifique du représentant de l'Etat en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et aux îles Wallis et Futuna (21), de telle sorte que le délai de recours contentieux contre le résultat des élections, quoique fixé uniformément à 10 jours (22), ne débute ni ne finit partout aux mêmes dates.

Ce dispositif n'évite pas toujours quelques incohérences. Ainsi, la date de début de la campagne électorale du second tour commence le lendemain du jour du scrutin (23), soit le lundi matin en métropole, avant le terme légal possible de la proclamation des résultats, le lundi soir (24). En métropole, ce décalage de quelques heures peut aisément se contourner si les commissions de recensement siègent dans la nuit de dimanche à lundi. En revanche, pour les zones votant le samedi, la distorsion est nettement plus marquée.

II. Les élections législatives de juin 2007 ont déjà donné lieu à des décisions concernant quelques domaines bien circonscrits.

1°) Une première série de mesures concerne la procédure d'affectation pour l'avenir de l'aide publique aux partis et groupements politiques (25), dont la première fraction est calculée en fonction des résultats aux élections législatives générales. A cet égard, deux modifications sont intervenues depuis 2002 (26).

En premier lieu, sont pris en compte exclusivement, non seulement les suffrages des candidats non déclarés inéligibles par le Conseil constitutionnel, mais aussi ceux des candidats dont la formation politique, par leur intermédiaire, a pu recueillir au moins 1 % des suffrages exprimés dans l'ensemble des circonscriptions concernées.

En second lieu, les candidats sont invités à choisir le nom du parti qu'ils souhaitent favoriser par les suffrages qu'ils auront recueillis, sur une liste préalablement établie par le ministère de l'Intérieur. Cette liste, purement déclarative, n'a aucun caractère contraignant, ni pour les formations qui demandent à y figurer, ni pour les autres. Un avis paru au Journal officiel a encouragé les formations politiques intéressées à se manifester (27). La liste qui en résulte a été dressée par un arrêté du ministre de l'Intérieur daté du 7 mai 2007 (28).

2°) Un deuxième ensemble de mesures concerne l'accès à la radio et à la télévision pour lequel la loi (29) confère au Conseil supérieur de l'audiovisuel certaines prérogatives. A ce titre, deux recommandations ont déjà été rendus publiques par ses soins (30). Ces textes, au contenu désormais classique, ne contiennent pas d'innovation particulière.

Si cette autorité administrative est conduite à répartir des temps d'antenne, elle le fera entre des formations politiques qu'elle n'est pas habilitée à sélectionner. Cette tâche est, en effet, confiée à une commission spéciale à l'existence assez discrète (31), dont la suppression avait été un temps envisagée mais qui a été maintenue en 2006. Sa composition vient d'être rendue publique (32).

3°) S'agissant du contentieux, la légalité du décret de convocation des électeurs a fait, devant le Conseil constitutionnel, l'objet d'une requête motivée par la persistance de l'inégalité démographique affectant les circonscriptions électorales. La décision (33) qui rejette ce recours reprend une jurisprudence du Conseil constitutionnel déjà bien établie en 2002.

Conclusion

En résumé, l'établissement du calendrier des opérations précédant les deux tours des élections législatives reflète, de façon inattendue mais assez fidèle, l'activité législative et réglementaire de la mandature qui s'achève. Comme on l'a vu, l'ensemble s'avère complexe à suivre dans le détail et conduira vraisemblablement à quelques améliorations techniques. Un point est acquis : le Code électoral ne paraît pas prêt d'être stabilisé dans ce domaine.

Guy Prunier
Chargé de mission au Conseil constitutionnel


(1) C. élect., art. L.O. 121 (N° Lexbase : L7609AIN).
(2) C. élect., art. L. 173 (N° Lexbase : L7841HWC), modifié par l'ordonnance n° 2003-1165 du 8 décembre 2003, art. 17 (N° Lexbase : L1589DPK).
(3) Décret n° 2007-589 du 24 avril 2007 (N° Lexbase : L0432HWW, JO du 24 avril 2007).
(4) Ordonnance précitée du 8 décembre 2003, art. 13.
(5) C. élect., art. R. 98 (N° Lexbase : L3722HTZ).
(6) C. élect., art. L. 11-2, dernier alinéa (N° Lexbase : L2844AAL).
(7) C. élect., art. L. 51 (N° Lexbase : L2758AAE) et R. 28 (N° Lexbase : L3690HTT).
(8) C. élect., art. L. 167-1 (N° Lexbase : L9642DNG).
(9) C. élect., art. R. 34 (N° Lexbase : L3694HTY) et R. 38 (N° Lexbase : L3695HTZ).
(10) C. élect., art. R. 46 (N° Lexbase : L3701HTA) et R. 47 (N° Lexbase : L3077AA9).
(11) Loi n° 77-808, du 19 juillet 1977, art. 11 (N° Lexbase : L7776AIT).
(12) C. élect., art. L. 49 (N° Lexbase : L9656GQP).
(13) C. élect., art. L. 52-2 (N° Lexbase : L9657GQQ).
(14) Loi n° 77-729 du 7 juillet 1977, art. 26 (N° Lexbase : L7791AIE), modifié par la loi n° 2003-327 du 11 avril 2003, art. 30 (N° Lexbase : L6496BH3).
(15) Loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962, art. 3-II (N° Lexbase : L5341AGW) modifiée par la loi organique n° 2006-404 du 5 avril 2006, art. 2 4° (N° Lexbase : L9951HHZ).
(16) C. élect., art. L. 173 (N° Lexbase : L7841HWC) modifié par la loi n° 2007-224 du 21 février 2004, art. 7 (N° Lexbase : L5250HUY).
(17) Loi n° 2004-193 du 27 février 2004 (N° Lexbase : L1575DPZ).
(18) Décret du 23 avril 2007 précité.
(19) Décret n° 2002-825 du 3 mai 2002 pour la Polynésie française et décret n° 2002-888 du 8 mai 2002 (N° Lexbase : L8533AZ3) pour la métropole et le reste de l'outre-mer.
(20) C. élect., art. L. 159 (N° Lexbase : L2520AAL).
(21) C. élect., art. L. 395 (N° Lexbase : L7845HWH) et R. 218 (N° Lexbase : L5222A7K).
(22) C. élect., art. L.O. 180 (N° Lexbase : L7648AI4).
(23) C. élect., art. R. 26 (N° Lexbase : L3688HTR).
(24) C. élect., art. L. 175 (N° Lexbase : L2548AAM) et R. 107 (N° Lexbase : L3730HTC).
(25) Loi n° 88-227 du 11 mars 1988, art. 9 (N° Lexbase : L8358AGN).
(26) Ordonnance du 8 décembre 2003 précitée, art. 32.
(27) JO du 14 avril 2007.
(28) JO du 10 mai 2007.
(29) Loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, art. 16 (N° Lexbase : L8240AGB).
(30) Recommandations n° 2007-3 et n° 2007-4 des 18 avril et 10 mai 2007 (JO du 11 mai 2007).
(31) Décret n° 78-21 du 9 janvier 1978 (N° Lexbase : L7744AIN), modifié en dernier lieu par le décret n° 2006-889 du 19 juillet 2006 (N° Lexbase : L3218HKE, JO du 20 juillet 2006).
(32) Arrêté du Premier ministre du 14 mai 2007 (N° Lexbase : L5254HXU, JO du 15 mai 2007).
(33) Cons. const., décision n° 2007/14 du 3 mai 2007, M. Pascal Jan (N° Lexbase : A0428DWR, JO du 4 mai 2007).

newsid:282047

Baux commerciaux

[Jurisprudence] L'obligation de délivrance du bailleur à l'égard de la société bénéficiaire d'un apport partiel d'actif

Réf. : Cass. civ. 3, 3 mai 2007, n° 06-11.092, Société Arceaux 49, FS-P+B (N° Lexbase : A0618DWS)

Lecture: 9 min

N1968BBI

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3209137-edition-n-262-du-31052007#article-281968
Copier

par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris

Le 07 Octobre 2010

Il appartient au bailleur de délivrer à la société titulaire d'un bail commercial, à la suite d'un apport partiel d'actif, des locaux conformes à l'ensemble des destinations qui y sont stipulées. En conséquence, la demande du preneur tendant à voir le bail résilié aux torts du bailleur, au motif qu'il ne peut exercer dans les lieux loués l'une des activités stipulées audit bail, ne saurait être rejetée au motif que cette branche d'activité avait été conservée par la société qui a consenti l'apport. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation du 3 mai 2007 qui tire les conséquences logiques, sur le terrain de l'obligation de délivrance, des effets de la transmission d'un bail dans le cadre d'un apport partiel d'actif soumis au régime des scissions. En l'espèce, une société était devenue titulaire d'un bail commercial par suite d'un apport partiel d'actif que lui avait consenti, le 12 mai 1993, une autre société. Elle avait, ensuite, assigné le bailleur en résiliation de ce bail et en paiement de dommages et intérêts, faute de pouvoir exercer dans les locaux loués l'activité d'enseignement post-secondaire prévue à la clause de destination du bail, en raison de l'état des locaux et du refus du bailleur de réaliser les travaux de mise en conformité exigés par l'autorité administrative pour l'exercice de ce type d'activité.

Déboutée par les juges du fond, la société bénéficiaire de l'apport s'est pourvue en cassation.

Faisant une application combinée des dispositions des articles L. 145-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L5744AIL) et 1719 du Code civil (N° Lexbase : L1841ABS), la Cour de cassation a censuré l'arrêt qui lui était déféré.

I - La transmission du bail dans le cadre d'un apport partiel actif

L'apport du droit au bail à une société entraîne, en principe, la cession de ce dernier (Cass. civ. 3, 8 mai 1979, n° 78-10.502, Société Les Mimosas, Tétard c/ Compagnie de gestion et d'achats immobiliers COGEDI, office parisien N° Lexbase : A3447AGR et Cass. civ. 3, 8 juillet 1992, n° 90-16.758, SARL Suffren Fleurs c/ SCI 4, rue Desaix à Paris 15ème N° Lexbase : A8883AHH) et rend, en conséquence, applicables tant les dispositions légales que, le cas échéant, les stipulations du bail, relatives à cette opération.

Ainsi, la cession du droit au bail subséquente à un apport devra, en principe, être signifiée au bailleur, en application de l'article 1690 du Code civil (N° Lexbase : L1800ABB), pour lui être opposable (Cass. civ. 3, 2 février 1977, n° 75-13.002, Moros, Julien c/ Ragoneaux N° Lexbase : A7159AGA).

Il y aura également lieu, en conséquence, d'appliquer l'article 1717 du Code civil (N° Lexbase : L1839ABQ) qui prévoit que la cession du droit au bail est, en principe, libre, sauf clauses contraires qui sont fréquentes, notamment dans les baux commerciaux.

La situation est différente lorsque la transmission du droit au bail par apport s'insère dans une opération entraînant une transmission universelle de patrimoine. Cette hypothèse est envisagée, notamment, par l'article L. 145-16 du Code de commerce (N° Lexbase : L5744AIL).

Dans le but de protéger le fonds de commerce dont le droit au bail est un élément essentiel, le statut des baux commerciaux prohibe les clauses qui tendent à interdire au preneur la cession du droit au bail à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise (C. com., art. L. 145-16). Cette prohibition ne s'applique, toutefois, qu'à une interdiction absolue et générale de toute cession et non à de simples clauses limitatives ou restrictives (sur ce point, voir J. Prigent, Les conditions de validité de la cession du bail commercial, Lexbase Hebdo n° 44 du 24 octobre 2002 - édition affaires N° Lexbase : N4371AA7).

En outre, toujours aux termes de l'article L. 145-16 du Code de commerce, en cas de fusion de sociétés ou d'apport d'une partie de l'actif d'une société réalisé dans les conditions prévues à l'article L. 236-22 du même code (N° Lexbase : L6372AIT), la société issue de la fusion ou la société bénéficiaire de l'apport est, nonobstant toute stipulation contraire, substituée à celle au profit de laquelle le bail était consenti dans tous les droits et obligations découlant de ce bail.

Le champ d'application de ce texte, qui concerne des hypothèses de transmission universelle du patrimoine, soulève plusieurs difficultés (sur ce point, voir J. Prigent, Rev. Loyers 2005, p. 77, note sous CA Paris, 16ème ch., sect. A, 13 octobre 2004, n° 03/11378, Mme Liliane Marie Evelyne Rolande Marceau c/ SA Société Actions Transactions N° Lexbase : A8069DD9).

En ce qui concerne l'espèce commentée, il s'agissait d'une opération d'apport partiel d'actifs. L'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce vise les apports partiels d'actifs réalisés "dans les conditions prévues à l'article L. 236-22" du Code de commerce, à savoir, les apports partiels d'actifs entre sociétés anonymes soumis au régime des scissions (C. com., art. L. 236-16 à L. 236-21 N° Lexbase : L6366AIM). La Cour de cassation a, par ailleurs, précisé que l'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce, en dépit du fait qu'il ne vise que l'article L. 236-22 relatif aux sociétés anonymes, est applicable aux apports partiels d'actifs entre des sociétés à responsabilité limitée soumis au régime des scissions (C. com., art. L. 236-24 N° Lexbase : L6374AIW) (Cass. civ. 3, 30 avril 2003, n° 01-16.697, FS-P+B N° Lexbase : A7555BSM, J.-P. Dom, Le transfert du bail dans le cadre d'un apport partiel d'actif entre SARL facilité par la Cour de cassation, Lexbase Hebdo n° 75 du 12 juin 2003 - édition affaires N° Lexbase : N7728AAH).

Si les faits exposés dans l'arrêt rapporté ne permettent pas de déterminer si l'apport avait été soumis à ce régime particulier, le visa de l'article L. 145-16 du Code de commerce permet de le supposer.

L'apport partiel d'actif soumis à ce régime emporte transmission universelle des droits et obligations pour la branche d'activité concernée même si la société titulaire du patrimoine transmis subsiste (Cass. com., 16 février 1988, n° 86-19.645, Banque française commerciale Antilles-Guyane c/ Consorts Erembert et autre N° Lexbase : A7012AAX et Cass. com., 10 décembre 2003, n° 02-11.818, F-D N° Lexbase : A4321DAB), sauf dérogation expresse prévue par les parties dans le traité de scission ou d'apport, communauté ou confusion d'intérêts, fraude (Cass. com., 5 mars 1991, n° 88-19.629, Société Coignet c/ M. Burgaud et autres N° Lexbase : A1185ABI et Cass. com., 22 février 2005, n° 02-10.405, Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR) c/ Société financière de l'Erable, F-D N° Lexbase : A8540DGE) ou contrat conclu intuitu personae (Cass. com., 29 octobre 2002, n° 01-03.987, F-D N° Lexbase : A4127A3A).

En conséquence, lorsque l'apport partiel d'actif entraîne une transmission universelle du patrimoine, la société bénéficiaire de l'apport est substituée, par l'effet de cette transmission universelle, dans tous les droits et obligations de la société apporteuse, y compris ceux qui résulteraient d'un bail. La question se pose même, dans cette hypothèse, de savoir s'il y a encore une véritable cession du bail. Ainsi, en matière de legs universel ou à titre universel, la transmission du bail n'est pas analysée en une cession et les clauses du bail qui y sont relatives n'ont pas à être respectées (Cass. soc., 7 décembre 1960, n° 60-20.018, Sieur René Cottreau c/ Sieur Ristelhuber N° Lexbase : A5073DWS, Bull. n° 1131).

L'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce constitue l'application de cette solution relativement au bail qui aurait fait l'objet d'un tel apport.

L'article L. 145-16, alinéa 2, du Code de commerce a, en outre, pour effet de paralyser les clauses qui interdiraient cette substitution de plein droit ou qui la soumettraient au respect de certaines formalités à cette occasion, telle l'obligation de communiquer au bailleur un exemplaire du traité de fusion (Cass. civ. 3, 19 février 1997, n° 95-14.826, Société civile immobilière (SCI) Parimmo c/ Société 3 F Restaurant N° Lexbase : A8769AGU).

Il n'est par ailleurs pas nécessaire, en cas de transmission universelle du patrimoine, de signifier la transmission du bail au propriétaire, les dispositions de l'article 1690 du Code civil étant, en effet, inapplicables (Cass. com., 1er juin 1993, n° 91-14.740, Société 3 F Restaurant c/ Société Parimmo N° Lexbase : A5695ABK).

Dans l'arrêt commenté, la société bénéficiaire de l'apport tentait d'obtenir du bailleur l'exécution de son obligation de délivrance telle qu'elle découlait du bail dont elle s'est trouvée titulaire par l'effet de l'apport. Le manquement reproché portant sur une branche d'activité qui n'avait pas fait l'objet de l'apport, les juges du fond avaient refusé d'accueillir sa demande.

Cependant, compte tenu de la substitution de la société bénéficiaire de l'apport dans tous les droits et obligations du titulaire initial du bail, cette solution ne pouvait qu'être sanctionnée. C'est de l'ensemble du bail dont elle devient titulaire et, à ce titre, elle pouvait exiger le respect par le bailleur de son obligation de délivrance qui lui impose de fournir au locataire un local lui permettant d'exercer l'activité qui y est stipulée.

II - L'étendue de l'obligation de délivrance du bailleur

L'obligation de délivrance du bailleur est prévue par l'article 1719 du Code civil (N° Lexbase : L1841ABS) qui dispose que "le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière [...] de délivrer au preneur la chose louée".

Cette obligation comporte trois aspects.

Le bailleur est, tout d'abord, tenu de mettre matériellement à la disposition du preneur le local objet du bail, c'est-à-dire, de lui en permettre l'accès (Cass. civ. 3, 16 janvier 1980, n° 78-12.389, Epoux Sénéchal c/ Dame Durey N° Lexbase : A9825AGY et Cass. civ. 3, 28 septembre 2005, n° 04-13.720, FS-P+B N° Lexbase : A5912DK8, D. Bakouche, L'occupation illicite du bien loué par un tiers empêchant sa délivrance au preneur constitue-t-elle pour le bailleur une cause étrangère ?, Lexbase Hebdo n° 185 du 13 octobre 2005 - édition affaires N° Lexbase : N9413AIH). Il s'agit du coeur de cette obligation, la délivrance "au sens strict" (B. Vial-Pedroletti, Juris-Cl. Civil code, art. 1708 à 1762, fasc. 260, n° 2).

Ensuite, la chose objet du bail doit être remise au preneur "en bon état de réparations de toute espèce" (C. civ., art. 1720 N° Lexbase : L1842ABT). Cette obligation perdure au-delà de la remise de la chose louée puisque le bailleur est tenu de "faire, pendant la durée du bail, toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires, autres que locatives" (C. civ., art. 1720).

Enfin, le bailleur est tenu de délivrer un local conforme à la destination du bail, c'est-à-dire, permettant matériellement et juridiquement au locataire d'exercer l'activité qui y est stipulée. La question de savoir si l'exercice d'une activité dans le local loué est juridiquement possible se pose fréquemment en matière de bail commercial. Ainsi, l'activité contractuellement envisagée devra, le cas échéant, être exercée en conformité avec la réglementation relative à la sécurité (Cass. civ. 3, 2 juillet 2003, n° 01-16.246, Société civile immobilière (SCI) Sept Adenauer c/ Société Péchiney, FP-P+B+I N° Lexbase : A0324C9U et Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-13.798, Société Barbara-Boris-Isabelle-Carles "BBIC" c/ Société l'Aventure, FS-D N° Lexbase : A3814DI4), à l'hygiène (Cass. civ. 3, 29 janvier 2002, n° 00-16.734, F-D N° Lexbase : A8924AXS), à l'urbanisme (Cass. civ. 3, 2 juillet 1997, n° 95-14.151, Société du Murget c/ Société Paris sanitaire N° Lexbase : A1836ACY) au changement d'usage des locaux destinés à l'habitation (Cass. civ. 3, 21 novembre 2001, n° 99-21.640, FS-D N° Lexbase : A2216AXD) et au règlement de copropriété.

Dans l'arrêt rapporté, l'action du preneur, titulaire du bail par l'effet de l'apport, était fondée sur "l'état des locaux et le refus du bailleur de réaliser les travaux de mise en conformité exigés par l'autorité administrative". Etait donc en cause le troisième aspect de l'obligation de délivrance, voire le deuxième si l'état des locaux, en dehors de toute question de mise en conformité, était tel qu'il ne permettait pas au preneur d'y exercer son activité. En effet, le local n'était pas conforme aux normes qui s'appliquent aux établissements d'enseignement. Il semble en outre, qu'en l'espèce, l'Administration ait exigé que ces travaux soient effectués. Or, selon une jurisprudence constante, fondée sur l'obligation de délivrance ou d'entretien du bailleur, les travaux imposés par l'autorité administrative incombent au bailleur (Cass. civ. 3, 28 septembre 2005, n° 04-14.577, FS-P+B N° Lexbase : A5924DKM).

Il était donc incontestable qu'en l'espèce, le bailleur était tenu de délivrer des locaux permettant, au regard des prescriptions administratives, l'exercice de l'activité d'enseignement qui était l'une des destinations prévues au bail.

Ces règles relatives à l'obligation de délivrance du bailleur sont néanmoins supplétives et il est loisible aux parties d'un bail commercial de transférer sur le preneur certains de ses aspects et de prévoir, notamment, qu'il appartiendra au preneur d'effectuer à ses frais les travaux de mise en conformité (Cass. civ. 3, 5 juin 2002, n° 00-19.037, FS-P+B N° Lexbase : A8532AYN) ou de prendre à sa charge les travaux prescrits par l'Administration (Cass. civ. 3, 20 septembre 2005, n° 03-10.382, F-D N° Lexbase : A5005DKL).

Toutefois, le bailleur manquera à son obligation de délivrance si ces travaux s'avèrent techniquement irréalisables (CA Paris, 16ème ch., sect. A, 2 mars 2005, n° 03/10326, Gilbert Deloge c/ SCP Jean-Pierre Perney et Philippe Angel pour la société L. D. ès qualités de mandataire liquidateur N° Lexbase : A2918DHK) ou si le preneur, qui s'est engagé à obtenir les autorisations nécessaires, ne les obtient pas pour des raisons indépendantes de sa volonté (CA Versailles, 12ème ch., sect. 2, 30 mars 2000, n° 98/08348, M. Jean-Pierre Boulbet c/ M. Abdelaziz Trabelsi N° Lexbase : A3957ATQ).

Les aménagements contractuels ne peuvent, en effet, aboutir à vider de sa substance l'obligation essentielle du bailleur (en ce sens, voir Cass. civ. 3, 1er juin 2005, n° 04-12.200, FS-P+B N° Lexbase : A5185DIU).

newsid:281968

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.