La lettre juridique n°255 du 5 avril 2007

La lettre juridique - Édition n°255

Éditorial

Concussion des genres : retour sur la prévarication invisible

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N6278BAR

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


On se souvient du rapport publié, en 2005, par l'ONG Transparency international, qui classait vingt-deuxième, la France, parmi les pays les moins corrompus (sur 86 pays étudiés). Les notes allaient de 10 à 0, et étaient classées des pays les moins corrompus (note proche de 10) vers les pays les plus corrompus (proche de 0). La Finlande arrivait en tête, et était donc considérée comme le pays le moins corrompu, avec une note de 9,7. Puis on trouvait la Nouvelle Zélande (9,6), le Danemark (9,5), l'Islande (9,5), Singapour (9,3), la Suède (9,2), la Suisse (9,1), la Norvège (8,9), l'Australie (8,8), les Pays-Bas ( 8,7), la Grande-Bretagne (8,6), et le Canada (8,5). A cela rien de très surprenant lorsque l'on sait qu'en 1984, 69 condamnations d'élus ou de personnes investies d'une fonction publique pour différentes raisons (corruption, trafic d'influence, ingérence, prise illégale d'intérêt) avaient été prononcées ; alors qu'en 1987, elles atteignaient 133 pour atteindre, 10 ans plus tard, 286 condamnations.

La réponse française ne s'est pas faite attendre ; mais l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) a rendu publiques ses conclusions sur les mesures prises par la France pour lutter contre la corruption internationale, à la suite des recommandations adressées en 2004. Le ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie s'est donc félicité du caractère très positif de ces conclusions. Le rapport de suivi souligne, en effet, que 12 des 13 recommandations faites à la France afin d'améliorer son dispositif ont été totalement satisfaites, une seule d'entre elles l'ayant été partiellement. Ce résultat serait particulièrement exemplaire, puisque la France serait le seul pays, parmi les 36 Etats examinés par l'OCDE, à faire l'objet d'une appréciation aussi satisfaisante. Ce résultat serait la conclusion logique du très fort engagement des pouvoirs publics à combattre la corruption. La France a ainsi été le premier pays du G7 à ratifier en juillet dernier la convention des Nations Unies contre la corruption (dite convention de Mérida). Elle a, également, ratifié la Convention pénale du Conseil de l'Europe contre la corruption le 11 février 2005. Elle a, par ailleurs, transposé, le 4 juillet 2005, la décision-cadre du Conseil de l'Union européenne du 22 juillet 2003 relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé. La France sur les rails de la transparence ?

Si mesurer la corruption au sein d'un Etat est un exercice délicat, la concussion, au chapitre des prévarications, demeure encore plus difficile à appréhender. Le concussionnaire est l'agent public qui tire sciemment de l'exercice de ses fonctions un profit illicite. Et, contrairement à son étymologie [du latin concussio : forte secousse], la concussion est le plus souvent non-détectée, voire non-révélée. C'est pourquoi, il était intéressant de revenir, avec Dorothée Bourgault-Coudevylle, Maître de conférences à la Faculté de droit de Douai, Université d'Artois, sur deux récentes décisions de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui précisent le régime de prescription du délit de concussion aux fins d'indemnisation. Cette prescription ne commence à courir, lorsque la concussion résulte d'opérations indivisibles, qu'à compter de la dernière des exonérations accordées indûment. Or, constitue une concussion indivisible, le fait de mettre à disposition d'un entraîneur de football, pour que celui-ci entraîne le club local, un logement communal alors que le conseil municipal avait, par une délibération antérieure, fixé, pour ce logement, un loyer mensuel ; ou le fait pour un fonctionnaire de percevoir indûment, pendant 10 ans, des rémunérations, primes et indemnités sur le fondement de grades et d'échelons administratifs auxquels elle ne pouvait prétendre. Les exemples sont légions, et la différence entre délit et petit arrangement est toujours difficile à révéler. "La République... la corruption sans doute y paraît plus grande que dans les monarchies. Cela tient au nombre et à la diversité des gens qui sont portés au pouvoir" écrivait Anatole France, dans L'Orme du mail. "Le moins pire des systèmes" disait le vieux lion !

newsid:276278

Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'inapplicabilité de la convention collective au travailleur indépendant

Réf. : Cass. soc., 21 mars 2007, n° 05-13.341, M. Gérard Brunel, FS-P+B (N° Lexbase : A7385DU3)

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N6245BAK

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Le 07 Octobre 2010


De manière régulière ressurgit chez les auteurs, pour des motivations souvent bien différentes, la volonté de voir s'opérer un véritable rapprochement entre travail salarié et travail indépendant. Après tout, qu'il soit subordonné ou non, il ne s'agit toujours que d'exercer une activité professionnelle, point commun qui devrait permettre la réunion de certains éléments leur étant applicables. Cela ne se fera pas par le biais de la convention collective ! C'est, en substance, ce que précise la Chambre sociale de la Cour de cassation par un arrêt rendu le 21 mars 2007. Statuant ainsi sur la question de l'applicabilité d'une convention collective à un travailleur indépendant (1), les juges y apportent une justification qui paraît repousser la voie de la convention collective comme mode d'harmonisation des situations des différents travailleurs (2).


Résumé

Les conventions collectives ayant pour objet de régler les conditions générales de travail et les rapports entre employeurs et salariés, un travailleur indépendant n'employant aucun salarié ne peut y être assujetti.

Décision

Cass. soc., 21 mars 2007, n° 05-13.341, M. Gérard Brunel, FS-P+B (N° Lexbase : A7385DU3)

Cassation (tribunal d'instance de Blois, 15 décembre 2004)

Textes visés : C. trav., art. L. 131-1 (N° Lexbase : L4692DZS) ; C. trav., art. L. 135-2 (N° Lexbase : L5715ACN).

Mots-clés : travailleur indépendant ; convention collective ; non-application.

Lien bases : .

Faits

1. M. Brunel, expert en automobiles, refuse de verser à l'Apasea (Association paritaire des actions sociales et culturelles des experts en automobiles) une contribution au financement des actions sociales et culturelles et de gestion du paritarisme et des institutions de sa branche d'activité, cotisation rendue obligatoire par la convention collective nationale des cabinets d'experts en automobiles.

2. Enjoint par le tribunal d'instance de Blois de s'acquitter de cette cotisation, il forme opposition à l'ordonnance rendue par les juges qui confirme l'absence d'ambiguïté de la convention collective et l'indifférence quant au statut juridique sous lequel est exercée l'activité de M. Brunel.

M. Brunel se pourvoit alors en cassation.

Solution

1. Cassation sans renvoi.

2. "Que toute convention collective a pour objet de régler les conditions générales de travail et les rapports entre les employeurs et les salariés".

3. "Alors que M. Brunel, travailleur indépendant, n'employait pas de salarié, le tribunal d'instance a violé les textes susvisés".

Commentaire

1. La question de l'applicabilité d'une convention collective à un travailleur indépendant

  • Domaine d'application des conventions collectives

La convention collective, contrat multipartite dont les effets s'étendent, par dérogation, au principe d'effet relatif du contrat au-delà de leurs signataires, n'est pas tout à fait spécifique au droit du travail. S'il s'agit bien de sa branche de prédilection, on la retrouve ici et là dans d'autres matières, sous des formes parfois un peu différentes, comme, par exemple, concernant les baux ruraux (C. rur., art. L. 411-11 N° Lexbase : L0849HP7). Il est donc tentant de considérer que la convention collective puisse être une source de droit dans toute branche.

Cet élargissement du domaine du contrat collectif amène, également, à s'interroger sur l'éventuelle extension du domaine d'application de la convention collective de travail. Peut-elle s'appliquer aux travailleurs non subordonnés ? Les articles L. 131-1 (N° Lexbase : L4692DZS) et L. 135-2 (N° Lexbase : L5715ACN) du Code du travail, visés dans l'arrêt commenté, ferment apparemment assez clairement la porte à une telle hypothèse.

Le premier de ces textes, s'il traite du contenu des conventions collectives plus que de leur domaine d'application, fournit, tout de même, des indices précieux pour répondre à la question de l'applicabilité de la convention collective aux indépendants. Ainsi, les conventions régissent les relations entre employeurs et salariés. Par définition, le travailleur indépendant n'a pas la qualité d'employeur puisqu'il n'emploie aucun salarié. Les dispositions de la convention collective ne paraissent donc pas pouvoir lui être applicables.

Le second texte précise, quant à lui, l'articulation entre convention collective et contrat de travail : pour les employeurs assujettis à la convention, elle s'applique aux contrats de travail qu'ils ont conclus, sous réserve que les dispositions de ces contrats ne soient pas plus favorables aux salariés. Si la terminologie d'employeur est à nouveau reprise, il faut insister sur l'importance de l'existence d'un contrat de travail pour que la convention collective puisse s'appliquer. Or, là encore, le travailleur indépendant n'a conclu aucun contrat de travail, que ce soit comme salarié ou comme employeur.

  • Une question inédite

La réponse à la question de l'applicabilité semblant exclue, à rebours, par les textes du Code du travail, le problème ne s'était jamais véritablement posé devant la Cour de cassation. La convention collective des experts en automobiles prévoit une contribution pour les entreprises du secteur à l'Apasea, association elle-même présentée comme étant "destinée en priorité aux personnels, professionnels et membres des cabinets d'expertises en automobiles" (1). Cette contribution était-elle due par les seuls employeurs ou, comme l'ambiguïté des termes utilisés par l'Apasea le laisse penser, par tout cabinet même en l'absence de salarié ?

L'idée est, en elle-même, défendable. Les experts en automobiles, qu'ils travaillent seuls comme indépendants ou en cabinet avec un nombre plus ou moins élevé de salariés, appartiennent tous de facto à la même branche d'activité, à la même branche professionnelle. Or, on sait qu'il est très fréquent que les travailleurs indépendants adhèrent à la branche professionnelle de l'organisation patronale à laquelle leurs activités ressortissent. Si, par exemple, l'indépendant dans cette affaire était adhérent à la branche "expertise en automobiles" du Medef, la confusion quant aux règles applicables pourrait surgir.

Adhérant à une organisation patronale, ils ne sont finalement patrons que d'eux-mêmes. Pourtant, cette organisation patronale a pu être signataire ou adhérente à la convention collective du secteur. Doit-elle, alors, s'appliquer à ce travailleur indépendant puisque les dispositions s'appliquent à l'ensemble des entreprises du secteur ? Tout cela n'irait-il pas dans le sens, souvent réclamé, d'un rapprochement entre travail salarié et travail indépendant ?

  • L'inapplicabilité logique prononcée par la Cour de cassation

La Chambre sociale de la Cour de cassation refuse, fort logiquement, que la convention collective nationale des experts en automobile soit applicable aux experts indépendants, cassant donc le jugement rendu en première instance.

Cette solution nous paraît tout à fait logique. Il ne faut, à notre sens, pas confondre certains concepts. L'entreprise peut parfaitement ne pas comporter de salarié. Mais, pour autant, on ne doit pas assimiler employeurs et entrepreneurs individuels. Seul le premier emploie des salariés, seul celui-ci peut se voir appliquer les dispositions d'une convention collective qui sont, rappelons-le, destinées à encadrer les conditions de travail, d'emploi et de formation de ces travailleurs subordonnés. Il doit, pour cela, être lui-même signataire de la convention, être adhérent à l'organisation patronale l'ayant signée ou, enfin, il faut que la convention ait fait l'objet d'une extension par l'administration.

Le Conseil d'Etat avait précisé, il y a plus de 30 ans, que le droit de conclure des accords collectifs constituait un principe fondamental du droit du travail (CE Contentieux, 21 juillet 1970, n° 72780, Caisse primaire centrale de Sécurité sociale de la région parisienne N° Lexbase : A4559B8D). Cela corrobore l'idée que, pour être assujetti à l'application d'une convention collective de travail, il est nécessaire d'être, au préalable, soumis au droit du travail. L'entrepreneur individuel, sans salarié, n'est à aucun moment soumis au droit du travail, droit des relations de travail subordonné. Sans salarié, pas de droit du travail !

Cet arrêt permet donc de repréciser que la convention collective de travail ne peut se voir appliquer par un entrepreneur sans qu'il ait conclu un ou plusieurs contrats de travail. L'existence de contrats de travail constitue donc le critère principal de l'applicabilité de la convention collective.

2. La justification de l'inapplicabilité d'une convention collective à un travailleur indépendant

  • Le critère d'applicabilité et ses limites

Le critère sous-tendu tant par les visas de l'arrêt que par sa motivation invoquant les relations entre un employeur et ses salariés, est celui de l'existence d'un salariat sous la direction de l'entrepreneur. Autrement dit, la conclusion par l'employeur de contrats de travail est un critère préalable et nécessaire à l'éventuelle application d'une convention collective. Il faudra, bien entendu, être, en outre, adhérent d'une organisation patronale signataire de la convention collective de branche, à moins, bien sûr, que celle-ci ait fait l'objet d'une extension.

Ce critère de l'existence d'un contrat de travail, quoique fort logique, peut, pourtant, dans certaines hypothèses, s'avérer insuffisant. Il est, en effet, des situations dans lesquelles, sans avoir encore conclu de contrat de travail, des futurs employeurs se voient dans l'obligation d'appliquer les dispositions d'une convention collective régissant leur branche professionnelle. Ce sera le cas, par exemple, à chaque fois qu'une convention collective comportera des dispositions relatives à l'embauche des salariés. Ainsi, le texte prévoyant des restrictions à l'égard des méthodes d'embauchage ou celui mettant en place un régime spécifique des tests professionnels préalables à l'embauche devrait être appliqué au travailleur individuel s'apprêtant à conclure un contrat de travail. Bien qu'il n'y ait pas encore de relation entre employeur et salarié, le texte devrait entrer en application.

Ce pourrait être également le cas si une convention collective statuait sur le sort des stagiaires dans l'entreprise. Rien n'empêche un commerçant ou un artisan de faire effectuer un stage à une personne cherchant à acquérir une expérience professionnelle. Si la convention collective de branche prévoit des dispositions à l'égard des stagiaires, et à moins de considérer que la convention de stage soit un contrat de travail, ne faudrait-il pas que cette convention s'applique au travailleur indépendant ? Quoique peu de conventions collectives comportent actuellement de dispositions relatives au statut des stagiaires, il ne s'agit pas là d'un cas d'école puisque l'alinéa 2 de l'article 9 de la loi sur l'égalité des chances du 31 mars 2006, posant un nouvel encadrement des stagiaires (loi n° 2006-396, du 31 mars 2006, pour l'égalité des chances N° Lexbase : L9534HHL ; et nos obs., Un meilleur statut pour les stagiaires, Lexbase Hebdo n° 210 du 13 avril 2006 - édition sociale N° Lexbase : N6899AKQ) prévoit expressément que le montant de la gratification impérativement offerte au stagiaire dont le stage excède une durée de 3 mois "peut être fixé par convention de branche ou par accord professionnel étendu". Si le maître de stage n'est pas employeur, s'il n'a pas d'autre "personnel" que le stagiaire, comment ces dispositions pourront-elles être conciliées avec l'arrêt commenté ?

  • Vers un champ élargi des dispositions de la convention collective ?

Reste une question difficile à évacuer : pourquoi, malgré la clarté des textes et la constance de la jurisprudence, le juge d'instance a-t-il tenté de rendre applicable une convention collective de branche à un travailleur indépendant ?

Une hypothèse peut être émise, selon laquelle le travailleur indépendant affilié à une organisation patronale du secteur de l'expertise automobile pourrait, en réalité, bénéficier des avantages de l'Apasea. Association gérant les oeuvres sociales et culturelles, elle propose aux salariés de la branche divers avantages que l'on peut comparer à ceux d'un comité d'entreprise. Mais, le bénéfice de ces avantages pourrait parfaitement découler de l'adhésion à l'organisation patronale et non seulement, au fait d'être salarié d'une entreprise de la branche.

Si l'entrepreneur indépendant peut bénéficier des avantages de cette association, il paraît de prime abord tout à fait normal qu'il y contribue, l'obligation de contribution fût-elle seulement prévue par la convention collective de branche

Mais l'erreur du juge d'instance était, nous semble-t-il, d'assimiler l'adhésion à la branche et l'applicabilité de la convention collective, condition nécessaire mais non suffisante pour être soumis aux dispositions du texte. Si les statuts de l'organisation patronale ne prévoient pas l'obligation de contribution de ses membres à l'Apasea, ils ne peuvent y être tenus par le jeu de la convention de branche puisque celle-ci est réservée aux employeurs.

Tout cela ravive, à n'en pas douter, les débats quant au rapprochement que l'on peut juger nécessaire quoique ambigu entre travailleurs salariés et travailleurs indépendants. La volonté de faire bénéficier les experts automobiles d'avantages habituellement ouverts aux seuls salariés de la branche peut être légitime. Mais à condition qu'ils contribuent aux organismes délivrant ces avantages. Le message est bien reçu, cela ne pourra pas se faire par le biais de la convention collective !

Sébastien Tournaux
Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Voir le site internet de cette association.

newsid:276245

Sociétés

[Jurisprudence] Révocation d'un dirigeant pour mésentente

Réf. : Cass. com., 19 décembre 2006, n° 05-15.803, M. Pierre-Gabriel Vallée, FS-P+B (N° Lexbase : A0943DT4)

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N6374BAC

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Le 07 Octobre 2010

Le membre du directoire d'une société anonyme peut se faire valablement révoquer par l'assemblée générale des actionnaires, dès lors que sa mésentente avec l'autre membre du directoire est de nature à compromettre l'intérêt social. L'arrêt du 19 décembre 2006 souligne qu'une telle mésentente constitue bien un "juste motif" de révocation, et cela quelle que puisse être la responsabilité de chacun des dirigeants concernés dans l'existence de cette mésentente. C'est l'intérêt social qui demeure le critère ultime de la justification d'une révocation, comme, du reste, de bien d'autres décisions sociales. Mais, lorsque le dirigeant évincé, aussi bien que la majorité qui l'a révoqué, se prévalent tous deux de l'intérêt social, l'arbitrage devient plus délicat. I - Le régime juridique de la révocation des mandataires sociaux

Si le principe général demeure celui de la liberté de révocation avec des règles distinctes selon la nature du mandat social concerné, l'organe social compétent ne doit cependant pas en abuser dans sa mise en oeuvre, sous peine d'exposer la société à des dommages-intérêts.

A - Le principe de liberté de révocation

Si la révocation des mandataires sociaux est, en règle générale, libre, l'on sait que cette liberté recouvre en pratique deux situations différentes :

- la révocabilité "ad nutum", héritée du droit commun du mandat, qui est entièrement discrétionnaire pour le mandant ;

- la révocation "pour juste motif", éditée par des dispositions spéciales qui restreignent ce droit commun dans un souci de protection d'une catégorie particulière de mandataires sociaux.

La révocabilité "ad nutum" ne concerne, finalement, qu'une catégorie restreinte de mandataires sociaux : les administrateurs (C. com., art. L. 225-18, al. 2 N° Lexbase : L5889AIX, voir sur ce point, Cass. com., 3 janvier 1985, n° 83-16.014, Carmona c/ Société urbaine de publicité et d'affichage SA, Healy N° Lexbase : A3817AGH, Bull. civ. IV, n° 6), le président du conseil d'administration (C. com., art. L. 225-47, al. 2 N° Lexbase : L5918AIZ) en société anonyme moniste, ainsi que les membres du conseil de surveillance (C. com., art. L. 225-75, al. 2 N° Lexbase : L5946AI3, voir sur ce point, Cass. com., 3 janvier 1985 préc.) et le président du directoire (C. com., art. L. 225-61, al. 1 N° Lexbase : L5932AIK, voir sur ce point, CA Versailles, 17 mars 2005, n° 03/8369, Monsieur Marcel Bongart c/ SA Borgers France devenue SAS Borgers France N° Lexbase : A8774DIS) en société anonyme dualiste.

En revanche, s'expose à des dommages-intérêts la société qui, usant de sa libre faculté de révocation, décide celle-ci sans juste motif, s'agissant, notamment, du gérant de SARL (C. com., art. L. 223-25, al. 1 N° Lexbase : L3180DYG), du directeur général comme du directeur général délégué de société anonyme (C. com., art. L. 225-55, al. 1 N° Lexbase : L5926AIC) du membre du directoire en société anonyme dualiste (C. com., art. L. 225-61, al. 1 N° Lexbase : L5932AIK), du gérant de société en nom collectif comme en commandité simple (C. com., art. L. 221-12, al. 4 N° Lexbase : L5808AIX et L. 222-2 N° Lexbase : L5815AI9, sauf dispositions statutaires contraires).

Dans les sociétés en commandite par actions, comme dans les sociétés par actions simplifiées, ce sont les statuts qui déterminent librement les conditions de révocation des dirigeants (C. com., art. L. 226-2, al. 3 N° Lexbase : L6143AID et L. 227-1 N° Lexbase : L6156AIT).

B - Les modalités de la révocation

Si elle peut être décidée à tout moment par l'organe social compétent, la révocation ne peut toutefois pas intervenir dans n'importe quelles conditions.

La jurisprudence applicable par analogie à l'ensemble des catégories de mandataires précités sans distinction, a mis en place les deux types de barrière suivantes aux modalités de la révocation.

  • Le mandataire révoqué aura droit à des dommages-intérêts si la mesure de révocation a été entourée de circonstances injurieuses ou vexatoires (1) ou portant une atteinte injustifiée à son honorabilité.
  • Nonobstant le principe de sa libre révocabilité, le mandataire révoqué doit avoir été mis en mesure de présenter ses observations devant l'organe social appelé à se prononcer sur sa révocation, qui doit ainsi respecter le principe de la contradiction (2). C'est là un principe général qui doit bénéficier à tous les dirigeants de sociétés (3).

C - Le cumul des mandats

En cas de cumul de mandats, les règles propres à chaque mandat s'appliquent de manière distincte et autonome.

Ainsi, le président-directeur général d'une société anonyme pourra faire l'objet d'une révocation "ad nutum" de son conseil au titre de ses fonctions de président, mais, et puisque la loi "NRE" (loi n° 2001-420, du 15 mai 2001, relative aux nouvelles régulations économiques N° Lexbase : L8295ASZ), a clairement distingué les mandats, pourra bénéficier de dommages-intérêts s'il a été également révoqué de ses fonctions de directeur général, sans juste motif (C. com., art. 255-55, al. 1).

De même, la révocation du mandat social quelle qu'elle soit, ne met pas fin au contrat de travail (C. com., art. L. 225-61, al. 2 pour un membre du directoire), eu égard au principe de distinction entre les deux catégories de rapport juridique (4).

D - La sanction de l'absence de juste motif

Même non motivée ou injustement motivée, la décision de révocation ne peut pas être contestée, si elle a été prise régulièrement.

Les tribunaux ne peuvent que statuer sur l'allocation d'éventuels dommages-intérêts au mandataire révoqué, que ce soit au titre de l'absence de juste motif de la mesure de révocation, comme des circonstances dans lesquelles celle-ci aura pu intervenir, injurieuses, vexatoires, portant atteinte à l'honorabilité, ou violant le principe du contradictoire.

Le montant des dommages-intérêts doit être fixé en fonction du préjudice subi par le mandataire révoqué, ce préjudice n'étant pas nécessairement égal à la perte de la rémunération qui aurait du être versée à l'intéressé entre la date de sa révocation et celle de l'expiration normale de ses fonctions (5).

Dans un domaine aussi factuel, la jurisprudence est abondante et variée, soit pour caractériser un juste motif, soit pour souligner son absence ou son insuffisance.

Pour autant, les décisions relatives à la mésentente entre associés et/ou dirigeants ne sont pas si nombreuses.

L'arrêt rapporté présente le premier mérite d'intervenir sur ce terrain et, plus particulièrement, pour un membre du directoire, catégorie de mandataire plutôt rare dans cette jurisprudence.

II - L'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 19 décembre 2006

A - Faits et procédures

Les faits de l'espèce étaient les suivants.

Fin 1999, une société holding de gestion de portefeuilles était créée autour de deux actionnaires majoritaires, à 41,6 % chacun.

Le pacte d'actionnaires prévoyait que le directoire serait confié aux deux membres fondateurs.

M. V., qui avait quitté d'importantes fonctions dans une grande banque pour investir dans le projet une part significative de son patrimoine, était nommé membre du directoire, et M. L. président de ce directoire.

Cinq mois après, la société concluait également avec M. V. un contrat de travail de directeur administratif et financier.

Au bout d'environ deux années, en décembre 2001, l'assemblée générale ordinaire de la société, convoquée par le conseil de surveillance, avec, notamment, pour ordre du jour les difficultés de fonctionnement du directoire et la révocation d'un ou plusieurs de ses membres, révoquait M. V. de ses fonctions de membre du directoire.

Trois jours après, le président du directoire M. L. notifiait au fondateur évincé l'interdiction de se présenter dans les locaux de la société, désactivait son badge d'entrée et lui demandait de proposer la date à laquelle il souhaitait venir reprendre ses effets personnels et restituer les objets matériels mis à sa disposition par la société dont il avait dressé la liste.

Saisi d'une demande indemnitaire de la part du mandataire révoqué, sur le fondement de la révocation abusive, le tribunal de commerce de Paris, par jugement du 27 mai 2003, accordait à M. V. la somme de 220 000 euros, au titre de dommages-intérêts, tous préjudices confondus.

Sur appel de la société condamnée, la cour de Paris, après avoir ordonné l'exécution provisoire du jugement, infirmait finalement celui-ci en considérant, dans son arrêt du 30 mars 2005 (6), "que la répercussion négative sur la vie de la société des désaccords profonds et manifestes entre les membres du directoire a constitué pour les actionnaires de la société un juste motif pour révoquer les fonctions de membre du directoire de M. V.".

Rejoignant, en revanche, l'analyse des premiers juges, la cour accordait à M. V. une indemnité de 5 000 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice moral que lui avait causé "le comportement grossier et blessant imputable au président" dont l'attitude "qu'aucune circonstance ne justifie [...] caractérise une volonté vexatoire de la part de la société".

C'est donc sur le refus de considérer sa révocation comme dépourvue de juste motif que M. V. déférait l'arrêt de la cour de Paris à la censure de la Cour suprême.

Se fondant sur l'argumentation exposée devant la cour d'appel, le demandeur au pourvoi développait deux branches à l'appui de son moyen unique d'absence de juste motif à sa révocation :

- la société et son président n'avaient utilisé la mésentente invoquée que comme un prétexte, aux seules fins de l'écarter, et la cour d'appel, en se bornant à relever que cette mésentente mettait en péril la bonne marche et la pérennité de la société, n'avait pas recherché si elle n'était pas qu'un simple prétexte ;

- la révocation est dépourvue de juste motif lorsque la mésentente entre dirigeants n'est pas imputable au dirigeant révoqué.

En l'espèce, elle était totalement imputable au président, M. L., qui refusait de mettre en place le fonctionnement collégial et son formalisme minimal proposé par M. V., la cour n'ayant pas recherché si ce dernier pouvait avoir eu une quelconque responsabilité dans cette mésentente.

B - La solution

En s'en tenant à la première branche, la Cour de cassation considère que "la révocation de M. V. trouve un juste motif dans l'existence, entre les deux membres du directoire d'une mésentente de nature à compromettre l'intérêt social".

Pour les juges suprêmes, "les constatations et appréciations de la cour sur l'existence d'un grave désaccord sur le mode de gestion de la société et la forte mésentente opposant les deux membres du directoire qui en conséquence ne permettraient pas un fonctionnement collégial de cet organe et mettraient en péril la bonne marche et la pérennité de la société, avaient suffisamment caractérisé l'existence d'un juste motif" ; dès lors que les désaccords profonds et manifestes des dirigeants relevés par la cour avaient eu une répercussion négative sur la vie de la société, l'existence d'un juste motif était établie.

Par conséquent, la recherche de l'imputabilité de cette mésentente, c'est-à-dire de la responsabilité de tel ou tel dirigeant dans son origine, est inopérante : inutile de l'analyser, dès lors qu'existe une mésentente de nature à compromettre l'intérêt social.

C - La portée

Sur ce terrain particulier de la révocation d'un membre du directoire pour mésentente entre membres de cet organe, où les références jurisprudentielles sont peu nombreuses, l'arrêt de la Cour de cassation souligne deux critères précis sur l'existence d'un juste motif :

- la mésentente doit être de nature à compromettre l'intérêt social ;

- l'imputabilité de cette mésentente est inopérante pour caractériser l'existence ou la non-existence d'un juste motif.

1 - Mésentente de nature à compromettre l'intérêt social

Ce premier critère est déjà bien établi pour la révocation des mandataires sociaux, même si l'on en trouve davantage d'exemples jurisprudentiels pour les gérants de SARL.

Il est acquis, qu'au-delà des seules fautes du dirigeant, la notion de "juste motif" se définit surtout en fonction des conséquences du comportement de ce dernier pour la société.

Dès lors que la révocation est conforme à l'intérêt social, elle ne peut pas être considérée comme dépourvue de juste motif (7).

La mésentente en est un cas particulier et la cour de Paris avait déjà jugé que la divergence entre les associés et le gérant sur les mesures à prendre pour redresser la situation de la société justifie la révocation du gérant (8). Il en est de même en cas de mésentente entre les deux gérants, dès lors que cette mésentente est de nature à compromettre l'intérêt social (9).

La cour de Versailles avait jugé une révocation justement motivée par une divergence entre le gérant et l'associé majoritaire reposant sur des éléments objectifs et conformes aux intérêts de la SARL et de ses associés (10).

Bien plus, dans une autre espèce, la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait cassé l'arrêt d'appel qui avait refusé l'existence d'un juste motif, dans une mésentente peu prouvée et en tous cas sans faute grave du gérant révoqué, en reprochant à cette décision ne n'avoir pas recherché "si cette mésintelligence n'était pas de nature à compromettre l'intérêt social ou le fonctionnement de la société" (11).

Autrement dit, en cas de mésentente, voire de simple mésintelligence entre dirigeants, les juges doivent rechercher si l'intérêt social est susceptible d'être compromis, ce qui justifierait, à lui seul, l'existence d'un juste motif de révocation.

Pour autant, la révocation n'est pas justifiée lorsqu'elle repose sur la volonté arbitraire des associés de nommer un nouveau gérant de leur choix lors d'un changement de majorité ou de mettre fin "coûte que coûte" aux fonctions d'un gérant considéré comme indélicat parce que demandant des explications sur certains points (12).

Dans chaque cas d'espèce, pour que l'existence d'un juste motif soit établie, il appartient aux tribunaux d'apprécier l'effet de la mésentente sur la marche des affaires sociales : les désaccords -pour autant qu'ils soient bien établis- sont-ils bien de nature à compromettre l'intérêt social ?

Dans l'espèce rapportée ici, même si le dirigeant évincé avait cherché à minimiser l'importance des désaccords intervenus avec l'autre membre du directoire, les juges du fond avaient établi la preuve d'une forte mésentente mettant en péril la bonne marche et la pérennité de cette entreprise de petite taille, sur la base d'échange de courriers entre les intéressés, de notes au conseil de surveillance et d'attestations de salariés.

Dans la ligne de sa propre jurisprudence précitée, la Chambre commerciale rappelle donc que, dès lors que l'intérêt social est réellement compromis par la mésentente entre les dirigeants, la révocation de l'un d'entre eux répond à l'exigence de juste motif.

2 - Le caractère inopérant de l'imputabilité de la mésentente

C'est sur le second critère que l'arrêt du 19 décembre 2006 apporte une précision intéressante.

Plus qu'en raison de l'absence de lien entre la mésentente des dirigeants et la bonne marche des affaires sociales, M. V. considérait sa révocation comme injustifiée, au motif que seul l'autre membre du directoire en était à l'origine, son refus de partager le pouvoir et de se plier au formalisme minimal du fonctionnement du Directoire l'ayant conduit à formuler des griefs constitutifs de désaccords dont il portait seul la responsabilité : cette mésentente imputable au seul président n'était qu'un prétexte fabriqué en quelque sorte par ce dernier, pour l'évincer de ses fonctions qu'il assumait au mieux des intérêts de la société.

La Cour de cassation n'entre pas dans cette argumentation et c'est la précision intéressante qu'apporte sa décision.

Outre qu'essentiellement factuelle, elle poserait déjà de délicats problèmes de preuve aux juges du fond, la recherche de la responsabilité de la mésentente est sans intérêt sur l'existence d'un juste motif, dès lors que son existence est établie et qu'elle suffit à compromettre l'intérêt social.

Quelle que soit l'origine des désaccords entre dirigeants et/ou associés, les fautes et les torts de chacun et la responsabilité du dirigeant évincé dans la mésentente, seule importe l'existence de cette dernière et son impact sur la marche de l'entreprise.

Le critère est objectif : il repose sur le bon fonctionnement de la société, et non sur la subjectivité des relations entre dirigeants et actionnaires.

Finalement, si l'intérêt social est menacé par la mésentente entre dirigeants, quelles que soient les raisons de celle-ci, la révocation d'un dirigeant intervient pour juste motif.

Cette analyse était déjà présente dans la décision précitée de la Chambre commerciale du 4 mai 1999, qui sanctionnait les juges d'appel pour s'être centrés sur les fautes alléguées du co-gérant sans s'être préoccupés d'établir l'effet de la mésentente sur la marche des affaires sociales.

Cet arrêt lui donne l'occasion d'affirmer davantage le caractère objectif d'une telle mésentente.

Le "rempart" du juste motif risque de ne plus guère protéger le dirigeant isolé.

L'actionnariat majoritaire et/ou, selon les cas de figure, les autres membres d'organes sociaux qui lui sont opposés, peu important la légitimité de cette opposition, pourraient toujours s'organiser pour faire naître et se développer un désaccord qui finira bien par perturber la bonne marche des affaires sociales et justifier, ainsi, la révocation du mandataire minoritaire, sans égard pour le bien-fondé des analyses et de l'action de ce dernier sur la gestion de l'entreprise.

Faut-il conclure, comme le commentateur de l'arrêt du 4 mai 1999 précité (P. Le Cannu, Bull. Joly préc.), "malheur aux faibles !" ?

III - Conclusion

De l'arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 19 décembre 2006, l'on peut dégager trois enseignements :

- l'intérêt d'une rédaction adaptée des pactes d'actionnaires organisant avec suffisamment de précision le fonctionnement des organes de gestion (fréquence des réunions, points à débattre, répartition des pouvoirs...), afin de réduire les sources ultérieures de désaccords ;

- l'importance pour les mandataires entrant en fonctions de pouvoir négocier des mécanismes indemnitaires contractuels suppléant le seul régime légal en cas de cessation de ces fonctions ;

- la possibilité, pour le dirigeant injustement évincé pour mésentente, d'envisager une demande indemnitaire, non pas contre la société sur le terrain de l'absence de juste motif, mais plutôt contre ses actionnaires et sur celui de l'abus de majorité, pour autant qu'il soit en mesure d'établir que sa révocation était contraire à l'intérêt social et n'obéissait qu'à celui des actionnaires majoritaires (13).

Mais, quelle que soit la base juridique retenue, il s'agira, toujours, finalement d'apprécier avec justesse ce que commandait l'intérêt social dans la situation de l'espèce : révoquer le dirigeant ou bien faire prévaloir sa vision dans la gestion de l'entreprise ?

Guy de Foresta
Avocat au Barreau de Lyon
Spécialiste en droit des sociétés
Consultant auprès du cabinet Bignon, Lebray & Associés


(1) Cass. com., 6 mai 1974, n° 72-14.536, SA Ets Magnette et Cie c/ Consorts Meyer (N° Lexbase : A6976AGH), JCP 1974, II, n° 17859, note Burst ; Cass. com., 21 juillet 1969, n° 66-14.294, Société Tolerie automobile et industrielle et autres c/ Curien (N° Lexbase : A2940AUG), Bull. civ. n° 277 ; CA Paris, 1ère ch., sect. A., 30 mars 2005, n° 03/11766, Société Ace management c/ M. Pierre-Gabriel Vallée (N° Lexbase : A7982DH4) ; Cass. com., 13 novembre 2003, n° 01-00.376, Etablissements Jacquier et compagnie c/ M. Gilbert Jacquier, F-D (N° Lexbase : A1210DA3), RJDA 3/4, n° 308 ; CA Versailles, 12ème ch., 1ère sect., 27 juin 1996, n° 641/94, Société Acières et fonderies de l'est c/ M. Gilbert Lévy (N° Lexbase : A1288DBC), RJDA 11/96, n° 1351 ; CA Paris, 25ème ch., sect. A, 13 octobre 2000, n° 1998/14892, SA SAVIB 89 c/ M. Patrick Hamel (N° Lexbase : A1475AU8), RJDA 1/01, n° 51 ; Cass. com., 15 juillet 1982, SA Quellier c/ Quellier (N° Lexbase : A2895C8Q), Bull. Joly 1982, p.772 ; Cass. com., 1er février 1994, n° 92-11.171, Société d'exploitation Wohlshlegel et fils et autre c/ M Jean-Claude Wohlschlegel (N° Lexbase : A6775ABK), RJDA 5/94, n° 540 ; Cass. com., 13 mars 2001, n° 98-16.197, Mme Mesny c/ M Baumgartner, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MSR recrutement et autres (N° Lexbase : A0074ATW), RJDA 8-9/01, n° 872 ; Cass. com., 22 novembre 2005, n° 03-19.860, Mme Catherine Mesny c/ M. Jacques Horovitz, F-D (N° Lexbase : A7444DLB), RJDA 4/06 n° 412.
(2) Cass. com., 26 avril 1994, n° 92-15.884, M Pesnelle c/ Société Autoliv Klippan (N° Lexbase : A7047ABM), RJDA 8-9/94, n° 937 ; Cass. com., 3 janvier 1996, n° 94-10.765, Société Marcelle Houvenaegel c/ M. Martin (N° Lexbase : A2391AB8), RJDA 4-96 n° 514 ; Cass. com., 24 février 1998, n° 95-12.349, M. Gérard Quentin c/ Société Yrel electronics (N° Lexbase : A0023AUE), RJDA 6/98 n° 740 ; CA Paris, 25ème ch., sect. A, 17 janvier 2003, n° 2002/03317, SA Le comptoir bleu c/ M. Alain Fell (N° Lexbase : A9256A4L), RJDA 6/03 n° 606 ; CA Versailles, 17 mars 2005, n° 03-8369, préc., RJDA 12/05 n° 1361 ; Cass. com., 10 mai 2006, n° 05-16.909, Groupement d'analyses médicales de l'Atlantique (GAMA) c/ Mme Hélène Susini, épouse de Luca, FS-P+B (N° Lexbase : A3792DP7), RJDA 10/06 n° 1028.
(3) V. F.-X Lucas, Le principe du contradictoire en droit des sociétés, liberté et droits fondamentaux, Dalloz, 2003.
(4) Cass. soc., 14 juin 2000, n° 97-45.852, Société Coficoba courtages c/ M. Slupowski (N° Lexbase : A6691AHB), Bull Joly 2000, p. 950, note G.Auzero ; JCP éd. E 2001, p.138, note C. Puigelier.
(5) Cass. com., 22 novembre 1977, n° 76-10.630, SA Tourangelle Automobile c/ Gil (N° Lexbase : A9271ATK), Rev. sociétés 1978, p.483, note Guyon ; CA Paris, 3ème ch., sect. B, 26 novembre 2004, n° 03/20791, Société d'économie mixte d'équipement et d'aménagement du XVème arrondissement "SEMEA 15" SA c/ Mme Sophie Boegner (N° Lexbase : A3755DHK), RJDA 6/05, n° 721, concernant un directeur général délégué mais transposable à un membre du directoire.
(6) CA Paris, 1ère ch., sect. A, 30 mars 2005, n° 03/11766, Société Ace Management c/ M. Pierre-Gabriel Vallée (N° Lexbase : A7982DH4).
(7) Cass. com., 24 avril 1990, n° 88-20.183, Kauffmann c/ SA Phoenix (N° Lexbase : A9573ATQ), BRDA 1990/13, p. 9.
(8) CA Paris 24 novembre 1998, RJDA 7/99, n° 799.
(9) CA Paris, 5ème ch., sect. C, 5 novembre 1999, n° 1997/13918, M. Ben amor Moncef c/ SARL Ben Amor Laoussed (N° Lexbase : A7612A3C), RJDA 2/00, n° 177 ; CA Paris 5 mars 2004, n° 02/10745, RJDA 11/04, n° 126.
(10) Refus de réunion d'une assemblée générale notamment, CA Versailles, 13ème ch., 11 mai 2000, n° 98/08545, Philippe Attia c/ SARL GCRP (N° Lexbase : A3371A4M), RJDA 2000, n° 9-10, p. 697.
(11) Cass. com., 4 mai 1999, n° 96-19.503, Société Natacha c/ Mme Vessat (N° Lexbase : A6699AXE), JCP éd. E 1999, p.1083, Bull. Joly 1999, p. 914, obs. P. Le Cannu, Dr. Sociétés, août-septembre 1999, comm.126, Defrénois 1999, art. 37061, p.1188, note J. Honorat.
(12) Cass. com., 29 mai 1972, n° 70-14.186, Société Ent. Bergeron SARL, Dame Bergeron, Dame Fraoli c/ Bergeron (N° Lexbase : A6754AGA), Rev. sociétés 1973, p. 487 note J. H. ; Cass. com., 23 juin 1975, n° 73-10.570, SA Noirclerc Affichage et publicité c/ Rocher (N° Lexbase : A7015AGW), Bull. civ. IV, n° 177 ; dans le même sens, CA Paris, 3ème ch., sect. A, 17 novembre 1992, n° 91/015453, Société Picard Surgelés c/ M. Lacan Bernard (N° Lexbase : A9479A79), Bull.Joly 1993, p.443, note Caussain.
(13) Cf. Cass. com., 6 juin 1990, n° 88-19.420, Société Huber et compagnie c/ Consorts Lamps (N° Lexbase : A4387ACH), Bull. civ. IV, n° 171 ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 2 juillet 2002, n° 2001/19901, Madame Carsy, Michelle Desiree Rosine épouse Azzaro c/ M. Loris Azzaro (N° Lexbase : A1883AZR), RJDA 1/03, n° 35, sur la révocation d'un administrateur, principal animateur d'une SA exploitant une maison de haute-couture, décidée par l'actionnaire majoritaire, récemment révoqué de ses fonctions de p-dg dans le seul but de continuer à exercer la direction de fait et de nuire, notamment, audit administrateur, son conjoint.

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Fiscalité des particuliers

[Jurisprudence] ISF : délai de prescription applicable en cas de contrôle de la qualification de biens professionnels

Réf. : Cass. com., 20 février 2007, n° 05-17.953, Directeur général des impôts, F-P+B (N° Lexbase : A4256DU8)

Lecture: 4 min

N6222BAP

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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris

Le 07 Octobre 2010

Confirmant la doctrine administrative, la Cour de cassation vient de préciser, le 20 février 2007, que seule la prescription décennale était applicable pour le contrôle de la qualification de biens professionnels déclarés. Selon la Cour, l'administration avait été conduite à procéder à des recherches ultérieures pour prouver l'exigibilité des droits éventuellement omis. Or, la nécessité d'effectuer de telles recherches permet d'écarter la courte prescription, dite "abrégée", prévue à l'article L. 180 du LPF (N° Lexbase : L8488AE4). En effet, on sait que cette prescription abrégée, qui permet d'exercer un contrôle jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle de l'enregistrement, n'est applicable que lorsque l'administration a été mise à même de constater, dès le jour du dépôt de la déclaration d'impôt sur la fortune, l'existence du fait juridique imposable, sans qu'il soit nécessaire de procéder à des recherches ultérieures.
1. Conditions d'application de la prescription abrégée

Lorsque l'exigibilité des droits est suffisamment révélée par l'enregistrement d'un acte ou d'une déclaration, l'administration ne dispose que du délai de prescription abrégée pour effectuer un redressement. Mais, ce délai ne lui est pas opposable s'il est nécessaire d'effectuer des recherches pour constater l'omission, auquel cas le droit de reprise de l'administration s'exerce pendant dix ans à compter du fait générateur de l'impôt (LPF, art. L. 186 N° Lexbase : L8360AED). L'appréciation de cette notion de "recherches" s'avère délicate. Selon la doctrine administrative, l'obligation de rapprocher deux actes pour déceler l'opération imposable permet, en principe, d'écarter la courte prescription (Doc. adm. 13 L 1214, du 1er juillet 2002, n° 17). Cependant, il a été jugé que le rapprochement de deux actes, présentés à l'enregistrement à la même recette à quelques jours d'intervalle, révélant une mutation non taxée, doit être réalisée dans le délai de prescription abrégée (Cass. com., 19 juin 1990, n° 89-11.936, DGI c/ SA BJ N° Lexbase : A7585AX9 ; dissimulation d'une cession de fonds de commerce sous couvert, d'une part, d'une résiliation de bail moyennant indemnité et, d'autre part, d'une vente de matériel et de mobilier par le preneur au bailleur). En revanche, lorsque les indications mentionnées dans les testaments enregistrés ne permettent, à eux seuls, de déterminer la situation exacte et la consistance des biens dépendant de l'hérédité et que des investigations complémentaires sont nécessaires, de même que le rapprochement avec d'autres actes, la prescription décennale est applicable (Cass. com., 23 octobre 1979, n° 78-10.044, Consorts Nouri N° Lexbase : A8308DUA). De même, la prescription abrégée ne peut être revendiquée par les héritiers, lorsque le montant du solde créditeur d'un livret de Caisse d'épargne est indiqué dans la déclaration de succession pour un montant inférieur au montant réel (Cass. com., 9 mars 1993, n° 91-11.303, Mlle Carrère-Bourdou N° Lexbase : A5541ABT). Dans cette espèce, les héritiers soutenaient qu'il n'y avait pas omission partielle mais une simple insuffisance d'évaluation, dont on sait qu'elle doit être réparée dans le délai de prescription abrégée.

2. Prescription abrégée et impôt de solidarité sur la fortune

L'article 885 D du CGI (N° Lexbase : L8776HLM) a pour conséquence de rendre applicable à l'ISF les délais de prescription prévus aux articles L. 180 et L. 186 du LPF. La nature de la prescription applicable se pose, tout d'abord, en matière de recherche de défaillants ou lorsqu'une personne dépose une déclaration selon laquelle il n'est pas redevable de cet impôt. Elle se pose, également, s'agissant du contrôle de la valeur de certains biens ou à propos de la qualification de biens professionnels.

En matière de recherche de défaillants, ce qui vise les redevables de l'ISF qui ne procèdent pas au dépôt d'une déclaration, la prescription ne peut être que décennale, le service ayant besoin de recourir à des recherches, soit dans le dossier du contribuable, comme, par exemple, l'examen des extraits d'actes et des déclarations d'impôt sur le revenu permettant de reconstituer un patrimoine en fonction des revenus mobiliers ou immobiliers déclarés, soit auprès de tiers, comme l'exercice du droit de communication auprès des établissements bancaires. Par ailleurs, si un redevable de cet impôt adresse une déclaration faisant apparaître un patrimoine d'une valeur inférieure au seuil d'imposition, seule la prescription décennale est applicable, puisque la courte prescription ne court que dans l'hypothèse où l'exigibilité de l'impôt est suffisamment révélée à l'administration par le document (Doc. adm. 7 S 61, du 1er octobre 1999, n° 2). Il en est de même lorsque la cession d'un bien immobilier de grande valeur révèle la situation d'assujetti de l'ISF du vendeur. En effet, cette cession ne peut valoir connaissance de l'intégralité des biens détenus par le redevable (Cass. com., 13 décembre 2005, n° 03-19.698, F-D N° Lexbase : A1209DMQ). La prescription décennale est, également, applicable quand bien même les diverses déclarations faites par le contribuable, déclaration de droit de bail, de cessation d'activité professionnelle, aurait permis à l'administration de connaître une partie de son patrimoine (Cass. com., 27 janvier 1998, n° 96-13.260, Monsieur Bourlon de Rouvre N° Lexbase : A2674ACZ). Pour établir l'assiette exacte à soumettre à l'impôt de solidarité sur la fortune, le service était dans l'obligation d'effectuer des recherches ultérieures.

Quand il s'agit de contrôler la valeur des biens mentionnés dans la déclaration, il doit être distingué selon la nature des biens. La valeur des biens immobiliers doit être contestée dans le délai de prescription abrégée. Un tel contrôle ne porte que sur la liquidation des droits et non sur leur exigibilité. Cependant la frontière entre liquidation des droits et omission n'est pas solidement établie. En effet, s'agissant de titres de sociétés non cotées, le juge exige, pour l'application de la courte prescription, que l'annexe de la déclaration fasse état de la méthode d'évaluation retenue et des tous les éléments de calcul permettant de justifier la valeur déclarée (CA Paris, 1ère ch., sect. B, 3 mars 2006, n° 04/03456, M. Jean Buffat et autres N° Lexbase : A6128DPN). Autrement dit, en exigeant du redevable, comme condition de l'application de la prescription abrégée, qu'il indique tous les éléments de ses calculs, le juge fait de cette prescription l'exception, la règle étant la prescription décennale. De même, la prescription "longue" est applicable lorsque le service doit effectuer des recherches pour constater la participation exacte du redevable, celle-ci étant présentée comme minoritaire et s'avérant, en réalité, majoritaire (TGI Paris, 13 juillet 1983, Matarasso).

S'agissant du contrôle de la qualification de biens professionnels déclarés, la doctrine administrative précise que, l'administration étant conduite à procéder à des recherches pour contester cette qualification, seule la prescription décennale est applicable (Rép. min. Féron, 29 avril 1996, p. 2318). C'est cette doctrine qui vient d'être confirmée par la Haute juridiction dans la décision du 20 février 2007.

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Pénal

[Jurisprudence] De la prescription du délit de concussion

Réf. : Cass. crim., 31 janvier 2007, n° 06-81.273, Jean-Nicolas S., FS-P+F (N° Lexbase : A2276DUT) ; Cass. crim., 31 janvier 2007, n° 05-87.096, Commune d'Auriol, FS-P+F (N° Lexbase : A2205DU9)

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N6223BAQ

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Le 07 Octobre 2010

Incriminé par l'article 432-10 du Code pénal (N° Lexbase : L1845AMB) parmi "les manquements au devoir de probité", la concussion, moins connue que la corruption avec laquelle elle fut pourtant longtemps confondue sous le terme de prévarication (A. Vitu, Juris-classeur pénal, concussion) consiste "dans le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir à titre de droits ou contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu'elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû " (art. 432-10, al. 1). Ce délit peut aussi prendre une autre forme quand les faits consistent à "accorder sous une forme quelconque, et pour quelque motif que ce soit une exonération ou franchise des droits, contributions, impôts ou taxes publics en violation des textes légaux ou réglementaires" (art. 432-10, al. 2). Cette qualification semble susciter un regain d'intérêt depuis quelques années. Non pas s'agissant du contentieux relatif à la perception indue d'impôts ou de taxes publics qui reste rare, mais dans les contestations relatives au fonctionnement des conseils municipaux et aux décisions prises par les maires, domaine qui semble être devenu le terrain d'élection de cette qualification (A. Maron, J.-H. Robert, M. Véron, Droit pénal et procédure pénale, JCP éd. G, 2003, I. 103,). En témoigne, une jurisprudence récente relativement fournie à laquelle il convient d'ajouter deux arrêts rendus, par la Chambre criminelle, le 31 janvier 2007. Les deux formes de concussion sont représentées dans les arrêts susvisés : perception indue de rémunérations et exonération abusive de droits. Ce seul fait n'aurait sans doute pas suffit à justifier un commentaire, si ce n'était l'apport des arrêts à la question, jusque-là peu explorée, de la prescription de ce délit. Dans le premier d'entre eux (pourvoi n° 05-87.096), la prévenue, qui avait exercé les fonctions de secrétaire général puis de directeur général des services de la mairie d'Auriol et celles de secrétaire d'un syndicat inter-communal, était mise en examen du chef de concussion pour avoir indûment perçu, notamment entre 1992 et 2002, des rémunérations, primes et indemnités sur le fondement de grades et d'échelons administratifs auxquels elle ne pouvait prétendre. La difficulté dans cette affaire ne résidait pas dans la constitution du délit en tant que tel. Les différents éléments constitutifs de l'infraction étaient, sans conteste, réunis. S'il est vrai qu'au lendemain de l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal, la suppression dans l'article 432-10 des mots "salaires" et "traitements" qui figuraient à l'article 174 ancien de ce code, a suscité quelques interrogations sur les contours de l'incrimination, le doute a rapidement été levé par la Cour de cassation (Cass. crim. 14 février 1995, n° 94-80.797, André D. N° Lexbase : A8710AB9, Bull. crim. 1995, n° 65 ; Dr. Pén. 1995, comm. n° 198, obs. M. Véron : montage du prévenu, sous le coup de la réglementation sur le cumul des mandats de maire et de député, pour continuer à percevoir la totalité de son indemnité de maire ; et de façon plus explicite encore, Cass. crim, 24 octobre 2001, n° 00-88.165, F-P+F N° Lexbase : A1030AXG, Bull. crim. 2001, n° 220 ; Dr pén. 2002, comm. 25, obs. M. Véron : "le terme 'droits' visé à l'article 432-10 dudit code, inclut nécessairement les traitements et salaires, dès lors que la rémunération d'un salarié est un droit rémunératoire pour celui-ci"). Au regard de cette jurisprudence, il est indiscutable que la perception indue de sommes au titre "de rémunérations, primes et indemnités" par un fonctionnaire, sur lequel pèse un devoir de probité, tel qu'un secrétaire ou un directeur général de mairie, est susceptible de tomber sous le coup de la qualification de concussion. L'arrêt rendu par la Chambre criminelle, le 31 janvier dernier, en constitue une nouvelle illustration et vient donc confirmer une jurisprudence maintenant bien établie. Mais tel n'est assurément pas l'apport de la décision commentée.

La question centrale concernait la prescription du délit de concussion. En effet, la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, pour constater la prescription des faits antérieurs au 22 novembre 1998 et dire n'y avoir lieu à poursuivre, énonçait que "le délit de concussion étant caractérisé par la perception de sommes qu'une personne chargée d'une mission de service public sait ne pas être dues, seules peuvent être poursuivies les perceptions intervenues dans le délai de trois ans précédant le premier acte interruptif de prescription". Dans la mesure où la plainte avec constitution de partie civile de la mairie d'Auriol était intervenue le 22 novembre 2001, les faits antérieurs de plus de trois ans devaient donc être couverts par la prescription. C'est sur ce point qu'intervient la cassation. Selon la Cour de cassation, la chambre de l'instruction, en se prononçant ainsi, a méconnu les articles 8 du Code de procédure pénale (N° Lexbase : L2877HIE) et 432-10 du Code pénal, et le principe selon lequel "la prescription en matière de concussion ne commence à courir qu'à compter de la dernière des perceptions de sommes indues lorsque ces perceptions résultent d'opérations indivisibles".

C'est ce même principe qu'elle réaffirme dans le second arrêt (pourvoi n° 06-81.273). Dans cette seconde affaire, les faits étaient assez différents. Le maire de la commune de l'Hôpital était poursuivi pour avoir octroyé gratuitement la jouissance d'un logement de la commune sans délibération du conseil municipal à une personne chargée d'entraîner le club de football local alors que le conseil municipal avait, par une délibération antérieure, fixé, pour ce logement, un loyer mensuel de 1 800 francs (environ 274 euros). La concussion résidait, en l'espèce, dans l'exonération de droits consentis par le maire. On se situait par conséquent sur le terrain de l'alinéa 2 de l'article 432-10 dont l'application est nettement moins fréquente (cf. cependant : Cass. crim., 19 mai 1999, n° 98-82607, Paul V. N° Lexbase : A1417CIC, Bull. crim. 1999, n° 110). Condamné par la cour d'appel de Metz à 3 000 euros d'amende et à 26 068,78 euros de dommages et intérêts, le prévenu arguait pour sa défense, d'une part, que l'exonération de droits n'avait pas été accordée "en violation des textes légaux et réglementaires" puisqu'il ne résulte d'aucun texte qu'un employé communal ne peut se voir concéder, en contrepartie de ses services (entraînement du club de football et surveillance du bureau de police situé sous l'appartement), la jouissance gratuite d'un logement communal . Il invoquait, d'autre part, la prescription des faits antérieurs à juillet 1998 puisque la commune n'avait porté plainte avec constitution de partie civile que le 11 juillet 2001. Mais la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle énonce, dans un premier temps, que, "contrairement à ce qui était soutenu au moyen, les faits commis plus de trois ans avant la plainte avec constitution de partie civile n'étaient pas prescrits, la prescription ne commençant à courir, lorsque la concussion résulte d'opérations indivisibles, qu'à compter de la dernière des exonérations accordées indûment" ; et que, d'autre part, "le caractère illégal de l'exonération de droits résulte de ce que cette exonération n'a pas été autorisée par une délibération du conseil municipal prise conformément aux prescriptions des articles L. 2121-29 (N° Lexbase : L8543AAN) et L. 2122-21 (N° Lexbase : L9560DNE) du Code général des collectivités territoriales". On notera, au passage, la sévérité de la décision à l'égard du maire qui n'avait tiré aucun profit personnel de l'opération.

Jusqu'à ces deux arrêts, la Cour de cassation ne s'était jamais, à notre connaissance, aussi nettement prononcée sur la question de la prescription du délit de concussion. Ce délit est traditionnellement présenté comme une infraction instantanée, entièrement consommée au moment où le fonctionnaire exige, perçoit ou ordonne de percevoir, d'une façon indue des sommes à titre de droits ou d'impôt. C'est donc à ce moment que l'on fixe habituellement le point de départ de la prescription de l'action publique. Comment, dès lors, analyser les arrêts susvisés lorsqu'ils situent le point de départ de la prescription "à compter de la dernière perception indue" (1er arrêt) ou encore "à compter de la dernière exonération abusive" (2ème arrêt). La solution retenue fait indéniablement penser au principe appliqué pour la computation du délai de prescription des infractions continues. Il est, en effet, de principe, pour les infractions de cette nature, de fixer comme point de départ à la prescription le jour où l'acte délictueux a pris fin. Faut-il, dès lors, considérer que lorsque la concussion est le résultat, non pas d'un acte unique et instantané, mais d'une série d'actes successifs qui se sont répétés périodiquement sur une certaine durée, les modalités d'exécution particulières de l'infraction lui font perdre sa nature d'infraction instantanée ?

Tel ne paraît pas être le sens qu'il convient de donner au principe retenu par la Cour de cassation. Car, même dans ce type de situation, l'infraction ne change pas de nature. Elle demeure instantanée, car consommée dès la première perception indue ou encore dès la première exonération abusive. Seulement, la répétition sur une certaine durée des actes constitutifs de l'infraction ne peut rester sans incidence. On se retrouve face à ce que la doctrine appelle, parfois, une infraction continuée ou répétée (G. Stéfani, G. Levasseur et B. Bouloc, Droit pénal général, n° 219), encore appelée "délit collectif par unité de but" (Donnedieu de Vabres, Traité de droit criminel et de législation comparée, 3ème édition, 1947, n° 188), une infraction qui demeure instantanée par nature, mais soumise en raison de la répétition d'actes successifs aux règles de l'infraction continue (G. Stéfani, G. Levasseur et B. Bouloc, Droit pénal général, n° 219).

Dans la mesure où l'infraction est constituée à chaque fois qu'il y a perception ou exonération, on pourrait songer à les traiter comme des infractions distinctes en concours réel ; ce qui a parfois été retenu par la jurisprudence pour le vol d'électricité (Cass. crim., 19 décembre 1956, JCP,1957, II,9923, note Delpech ; Rev. Sc. crim. 1957, p. 630, obs. Legal : abonné qui bloquait périodiquement le fonctionnement de son compteur).

C'est sans doute le raisonnement qu'avait suivi la cour d'appel d'Aix-en-Provence et qui l'avait conduite à affirmer que les faits antérieurs de plus de trois ans précédents le premier acte interruptif de prescription étaient prescrits. Mais, cette voie, résolument favorable au prévenu, n'a pas été suivie par la Cour de cassation. Cette dernière a préféré voir dans les divers agissements de l'agent, des modalités d'exécution d'une entreprise délictuelle d'ensemble dont la consommation cesse avec le dernier acte, solution parfois avancée en doctrine : R. Garraud, Traité théorique et pratique de droit pénal français, t. 1 : Sirey, p. 252 ; Roux, Cours de droit criminel français, 2ème éd., 1927, t. I, p. 124), et que la Cour de cassation a déjà appliqué, notamment, au délit de prise illégale d'intérêt (Cass. crim., 4 octobre 2000, n° 99-85.404, X et autre N° Lexbase : A3281AU3, D. 2001, J. p. 1654, note M. Segonds).

Au-delà de son incidence sur la répression, la solution adoptée par la Cour de cassation, dans ses deux arrêts du 31 janvier 2007, aura surtout un impact au niveau de la réparation du préjudice subi du fait de l'infraction. En tout état de cause, en cas d'actes de concussion répétés, l'action publique n'aurait, de toutes les façons, pas été éteinte pour les derniers faits en date. Et rien ne permet d'affirmer qu'en pratique, le fait de considérer que la concussion résulte d'opérations indivisibles aura nécessairement un effet sur le quantum de la peine. En revanche, elle évitera que l'auteur de l'infraction puisse ainsi échapper à la réparation d'une partie du préjudice causé par ses agissements aux deniers publics. C'est pourquoi la solution adoptée doit être entièrement approuvée.

Dorothée Bourgault-Coudevylle
Maître de conférences à la Faculté de droit de Douai - Université d'Artois

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Social général

[Jurisprudence] GPEC et licenciement pour motif économique : la position de la cour d'appel de Paris

Réf. : CA Paris, 14ème ch., sect. A, 7 mars 2007, n° 06/17500, Société Nextiraone France c/ Syndicat CGT Ufict du personnel de Nextiraone France (N° Lexbase : A7707DUY)

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Le 07 Octobre 2010


Par un arrêt très attendu rendu le 7 mars dernier, la cour d'appel de Paris est venue apporter sa réponse à la lancinante question de l'articulation de l'obligation triennale de négocier la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) et de la mise en oeuvre d'un projet de licenciement économique. Pour les magistrats parisiens, il y a lieu d'ordonner la suspension de la procédure d'information-consultation du comité d'entreprise au titre des livres IV et III du Code du travail, le temps, pour l'employeur, d'engager la négociation sur la GPEC et de mener à terme la consultation des institutions représentatives du personnel sur cette même GPEC. Loin de convaincre, cette décision n'en rend que plus pressante l'intervention en la matière de la Cour de cassation.


Résumé

La procédure d'information-consultation de l'article L. 432-1-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6401AC3) n'est pas subordonnée à une situation donnée de l'entreprise, mais imposée, de façon générale, par ce texte. Le respect de cette procédure est, cependant, d'autant plus utile et nécessaire à l'appréciation par les représentants du personnel d'un projet de réorganisation qu'elle intervient avant la mise en oeuvre de ce projet. De même, la procédure de négociation de l'article L. 320-2 du Code du travail (N° Lexbase : L8919G7H) est d'autant plus impérative qu'un employeur envisage une décision susceptible d'avoir des effets sur l'emploi et que le comité d'entreprise la sollicite pour cette raison. La négociation sur la GPEC n'a de pleine utilité, dans une telle hypothèse, que si elle intervient avant la prise de décision sur la modification des emplois et les éventuels licenciements. Le non-respect de ces dispositions constitue, par suite, un trouble manifestement illicite et doit entraîner la suspension de la procédure d'information-consultation des institutions représentatives du personnel, au titre des livres IV et III du Code du travail, tant que l'employeur n'a pas respecté les obligations précitées.

Décision

CA Paris, 14ème ch., sect. A, 7 mars 2007, n° 06/17500, Société Nextiraone France c/ Syndicat CGT Ufict du personnel de Nextiraone France (N° Lexbase : A7707DUY)

Confirmation de l'ordonnance du 5 octobre 2006 rendue par le Tribunal de grande instance de Paris (RG n° 06/57817)

Textes concernés : C. trav., art. L. 320-2 (N° Lexbase : L8919G7H) ; C. trav., art. L. 432-1-1 (N° Lexbase : L6401AC3).

Mots-clés : gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) ; licenciement économique ; comité d'entreprise ; information et consultation.

Liens bases : ; .

Faits

La société Alcatel Réseaux d'Entreprise, issue du groupe Alcatel, a été acquise en janvier 2002 par le groupe américain Platinium Equity. Elle est, alors, devenue la société Nextiraone France SAS, dotée d'un comité central d'entreprise (CCE) et de 5 comités d'établissement correspondant à des structures régionales. Le 20 avril 2006, le CCE de Nextiraone France a été informé du fait que le groupe Nextiraone Europe avait été cédé au groupe ABN AMRO Capital France, succédant à Platinium Equity en qualité d'actionnaire.

Le 29 juin 2006, Nextiraone France a convoqué le CCE à une réunion dans le cadre d'une information au titre du livre IV du Code du travail, dont l'objet était la "remise d'un document d'information relatif à la situation économique de l'entreprise". Ce document évoquait la suppression, sur 3 ans, de 322 postes et des modifications d'emplois. Il précisait qu'un "plan de sauvegarde de l'emploi serait élaboré dans le cadre de l'information et de la consultation du CCE et des comités d'établissement au titre du livre III du Code du travail qui suivrait la consultation du CCE sur le projet de restructuration au titre du livre IV du Code du travail". L'information en vue d'une consultation au titre du livre IV sur le projet d'adaptation et de réorganisation de Nextiraone France s'est poursuivie lors de réunions du CCE des 12, 20 et 27 juillet 2006, cette instance mettant en oeuvre une procédure d'alerte au sens de l'article L. 432-5 du Code du travail (N° Lexbase : L6411ACG).

Des représentants du personnel ont alors dénoncé un défaut de GPEC et de négociation sur ce sujet, tandis que le syndicat CGT faisait valoir, le 4 août 2006, que la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, dite de cohésion sociale (N° Lexbase : L6384G49), avait introduit dans le Code du travail un article L. 320-2 faisant obligation de négocier, notamment, sur ce sujet. Par lettre du 23 août 2006, la direction générale de Nextiraone France disait être consciente de l'obligation de négociation prévue par ces dispositions, mais ne "pas avoir attendu" ces dispositions pour mettre en place une telle gestion prévisionnelle.

Le syndicat CGT de Nextiraone France a, finalement, saisi le juge des référés du TGI de Paris sur le fondement des articles L. 320-2 et L. 432-1-1 du Code du travail, afin qu'il soit ordonné à cette société d'engager, sans délai, les négociations prévues à l'article L. 320-2 du Code du travail et de lui faire défense de poursuivre la procédure d'information consultation en cours. Par ordonnance du 5 octobre 2006, le juge des référés du TGI de Paris a :
- ordonné à Nextiraone France d'engager sans délai et dès la signification de cette décision les négociations prévues à l'article L. 320-2 du Code du travail ;
- enjoint à Nextiraone France d'engager sans délai la procédure d'information-consultation du CCE sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, conformément à l'article L. 432-1-1 du Code du travail ;
- suspendu la procédure d'information consultation du CCE au titre du livre IV et du livre III, tant que Nextiraone n'aurait pas, d'une part, engagé les négociations prévues à l'article L. 320-2 du Code du travail et, d'autre part, mené à terme la procédure d'information-consultation du CCE sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

Le 9 octobre 2006, Nextiraone France a interjeté appel de cette décision. Elle a, notamment, fait valoir que la négociation prévue à l'article L. 320-2 du Code du travail "n'a pas à être engagée avant le 20 janvier 2008" et que la violation des articles L. 320-2 et L. 432-1-1 du Code du travail n'est pas susceptible d'entraver l'engagement d'une information consultation du CCE au titre de l'article L. 432-1 du Code du travail (livre IV) ou au titre de l'article L. 321-2 du Code du travail (N° Lexbase : L0048HD7) (livre III). En conséquence, le juge des référés ne pouvait pas lui enjoindre d'engager la négociation au titre de l'article L. 320-2 du Code du travail, suspendre la procédure d'information-consultation au titre du livre IV par référence aux négociations et consultations à mener sur le fondement des articles L. 320-2 et L. 432-1-1 du Code du travail, ni ordonner cette suspension jusqu'à ce que la procédure d'information-consultation de l'article L. 432-1-1 soit menée à terme.

Solution

"[Considérant] que la procédure d'information-consultation de l'article L. 432-1-1 n'est pas subordonnée à une situation donnée de l'entreprise, mais imposée, de façon générale, par ce texte ; que le respect de cette procédure est, cependant, d'autant plus nécessaire à l'appréciation, par les représentants du personnel, d'un projet de réorganisation tel que celui en cause, que cette procédure n'a de pleine utilité, dans une telle hypothèse, que si elle intervient avant la mise en oeuvre de ce projet ;

Que, de même, la procédure de négociation de l'article L. 320-2 du Code du travail, dont la vocation est préventive et qui définit, en premier lieu, des modalités d 'information et de consultation du comité d'entreprise est imposée de façon générale ; qu'elle est, cependant, d'autant plus impérative qu'un employeur envisage une décision susceptible d'avoir des effets sur l'emploi et que le comité d'entreprise la sollicite pour cette raison ; que la négociation sur la GPEC n'a de pleine utilité, dans une telle hypothèse, que si elle intervient avant la prise de décision sur la modification des emplois et les éventuels licenciements ;

Que c'est donc pertinemment que le premier juge a dit que le non-respect par Nextiraone France des dispositions précitées constituait un trouble manifestement illicite et suspendu la procédure d'information-consultation du CCE au titre du livre IV et du livre III tant que Nextiraone ne les aurait pas respectées, mesure propre à faire cesser le trouble ;

Qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise et de rejeter les demandes de Nextiraone".

Observations

1. Les données du problème

  • Les obligations pesant sur l'employeur en matière de GPEC

Projetée sur le devant de la scène par la loi du 18 janvier 2005 (loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, préc.), la GPEC est, en réalité, apparue bien avant cette date, ainsi que s'emploie à le souligner la cour d'appel de Paris dans le présent arrêt. En effet, on en trouve déjà trace dans l'accord national interprofessionnel du 10 février 1969, relatif à la sécurité de l'emploi, qui stipule que les entreprises doivent jouer leur rôle dans la politique de sécurité de l'emploi et s'efforcer, dans tous les cas, de faire des prévisions de façon à établir les bases d'une politique de l'emploi. Ensuite, les juges d'appel citent l'article L. 432-1-1 du Code du travail, créé par la loi du 2 août 1989 relative à la prévention du licenciement économique et au droit de conversion (N° Lexbase : L7352HUT). Aux termes de cette disposition, le comité d'entreprise est informé et consulté sur "l'évolution de l'emploi et des qualifications dans l'entreprise au cours de l'année passée [...], sur les prévisions annuelles ou pluriannuelles et les actions, notamment de prévention et de formation, que l'employeur envisage de mettre en oeuvre compte tenu de ces prévisions, particulièrement au bénéfice des salariés âgés ou présentant des caractéristiques sociales ou de qualification qui les exposent plus que d'autres aux conséquences de l'évolution économique ou technologique" (1).

Jusqu'à aujourd'hui, cette disposition était restée quelque peu dans l'ombre et avait été négligée tant par les entreprises que par les comités d'entreprise, qui n'en ont pas souvent réclamé l'application (v., en ce sens, Sem. soc. Lamy, n° 1299, p. 12) (2). Le fait que ce cas d'information-consultation du comité ne soit pas associé à une décision particulière de l'employeur n'y est, sans doute, pas étranger et rend par là même critiquable, ainsi que nous le verrons, les conséquences qu'en tire la cour d'appel.

Enfin, on ne saurait omettre de mentionner, avec les juges d'appel, l'article L. 320-2 du Code du travail, objet depuis quelques mois de bien des errements jurisprudentiels. Il résulte, en substance, de ce texte, issu de la loi du 18 janvier 2005, que, dans les entreprises de plus de 300 salariés, l'employeur est tenu d'engager tous les 3 ans une négociation portant sur la mise en place d'un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ainsi que sur les mesures d'accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés.

  • L'articulation de la GPEC et d'un projet de licenciement économique

L'avènement dans notre droit positif de l'article L. 320-2 a fait naître une question de principe d'une importance pratique considérable : l'exécution de l'obligation triennale de négocier est-elle un préalable indispensable à la mise en oeuvre d'une procédure de licenciement pour motif économique et spécialement à la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi ? (sur cette question, v., en dernier lieu, P.-H. Antonmattéi, GPEC et licenciement pour motif économique : le temps des confusions judiciaires : Dr. soc. 2007, p. 289).

On serait tenté de dire, à la lecture de l'article L. 320-2, que cette interrogation est née de manière bien précoce. En effet, il résulte de ce texte même que les entreprises ont jusqu'au 20 janvier 2008 pour mener à bien la négociation en matière de GPEC. Or, on ne voit pas à quel titre il pourrait reproché à un employeur de n'avoir pas respecté cette obligation de négocier avant cette date butoir. Un rapide examen de la jurisprudence rendue en la matière à ce jour démontre que les juges du fond n'ont pas tous été sensibles à cette argumentation à laquelle certains ne manqueront pas de reprocher son caractère simpliste (3).

Ainsi, dans une ordonnance du 5 octobre 2006, sur laquelle la cour d'appel de Paris était précisément appelée à se prononcer dans l'arrêt commenté, le TGI de Paris n'a pas hésité à ordonner à l'employeur d'engager les négociations sur la GPEC et l'a enjoint à engager la procédure de consultation du comité d'entreprise sur cette même GPEC, conformément à l'article L. 432-1-1 du Code du travail. Il a, par voie de conséquence, suspendu la procédure d'information-consultation du comité d'entreprise au titre des livres IV et III du Code du travail dans l'attente du respect par l'employeur de cette double obligation.

C'est cette solution que la cour d'appel vient confirmer dans l'arrêt rendu le 7 mars 2007, même si elle adopte une argumentation beaucoup plus nuancée.

2. La solution du problème retenue par la cour d'appel de Paris

  • Présentation

Appliquant à la lettre l'article L. 320-2 du Code du travail, la cour d'appel commence par relever que la négociation sur la GPEC doit être engagée, pour la première fois, avant le 20 janvier 2008, date qui constitue "l'échéance d'un premier délai de trois ans depuis la promulgation de ce texte". Or, la société employeur, qui s'était vue "réclamer l'ouverture de telles négociations à raison d'un projet de mutation économique dont il convenait de prévenir les conséquences annoncées, se devait de satisfaire à cette obligation".

Ensuite, la cour d'appel de Paris souligne que la société employeur ne conteste pas avoir violé les dispositions de l'article L. 432-1-1 du Code du travail "en ne mettant pas en oeuvre une procédure annuelle d'information-consultation qui était le moyen de rendre compte des résultats obtenus et des effets escomptés à l'avenir de la GPEC, en prévenant les écarts pouvant apparaître entre ses besoins et ses ressources en personnel". Elle en conclut que la société se devait de mettre en oeuvre cette procédure dont il est, en outre, précisé qu'elle n'est pas "subordonnée à une situation donnée de l'entreprise, mais imposée, de façon générale par ce texte". Et la cour d'appel d'affirmer, en suivant, que "le respect de cette procédure est, cependant, d'autant plus nécessaire à l'appréciation, par les représentants du personnel, d 'un projet de réorganisation tel que celui en cause [et] que cette procédure n'a de pleine utilité, dans une telle hypothèse, que si elle intervient avant la mise en oeuvre de ce projet".

Revenant, enfin, à la procédure de négociation de l'article L. 320-2 du Code du travail, la cour d'appel de Paris souligne qu'elle est "d'autant plus impérative qu'un employeur envisage une décision susceptible d'avoir des effets sur l'emploi et que le comité d'entreprise la sollicite pour cette raison ; que la négociation sur la GPEC n'a de pleine utilité, dans une telle hypothèse, que si elle intervient avant la prise de décision sur la modification des emplois et les éventuels licenciements".

En conclusion de ce raisonnement, les magistrats saisis du litige approuvent les premiers juges d'avoir dit que le non-respect par la société employeur des dispositions précitées constituait un trouble manifestement illicite et suspendu la procédure d'information-consultation du CCE au titre des livres IV et III tant que la société ne les aurait pas respectées, mesure propre à faire cesser le trouble.

  • Critiques

Précisons-le d'emblée, le dispositif de GPEC revêt, à nos yeux, une importance fondamentale et il importe que les employeurs respectent en la matière toutes les obligations prescrites par la loi, sous le contrôle vigilant et rigoureux du juge. Il n'en demeure pas moins que, d'un point de vue juridique, la solution retenue par la cour d'appel de Paris dans cet arrêt du 7 mars 2007 peut être critiquée.

En premier lieu, et ainsi que cela a été parfaitement démontré par un auteur (P.-H. Antonmattéi, op. cit., spéc., p. 290, note 9), on ne voit pas en quoi le non-respect par l'employeur de l'obligation d'information-consultation prescrite par l'article L. 432-1-1 du Code du travail est de nature à entraîner la suspension de la procédure de licenciement pour motif économique. Tout d'abord, ce texte ne fait aucun lien entre cette information-consultation annuelle, détachée de tout projet, et la mise en oeuvre d'une procédure de licenciement pour motif économique. Ensuite, s'il est possible d'obtenir en justice la suspension d'une décision de l'employeur en l'absence de consultation du comité d'entreprise, encore faut-il, par définition, que la loi vise une décision patronale exigeant, avant d'être mise en oeuvre, le respect des prérogatives économiques du comité. Or, aucune décision patronale n'étant visée par l'article L. 432-1-1, ce n'est qu'au prix d'une grande acrobatie juridique que l'on peut suspendre une décision ne relevant pas de son champ d'application (4). Si suspension il doit y avoir, ce n'est pas sur le fondement de cette disposition.

Reste, alors, à savoir si le non-respect de l'obligation de négocier la GPEC autorise le juge à suspendre la procédure de licenciement pour motif économique. C'est, on l'aura compris, ici que se situe le coeur du problème. Sans vouloir se répéter, on rappellera à nouveau qu'il peut d'abord paraître curieux que l'on reproche à un employeur d'avoir violé une obligation dont la loi elle-même dit qu'il a jusqu'au 20 janvier 2008 pour la respecter. Ensuite, le législateur n'a pas, de manière expresse, lié l'obligation de négocier prévue par l'article L. 320-2 du Code du travail à la mise en oeuvre d'une procédure d'information-consultation au titre des livres IV et III du Code du travail (v., en ce sens, P.-H. Antonmattéi, art. préc., pp. 290-291). Partant, on peut considérer que c'est solliciter à l'excès les textes pour affirmer, comme le fait la cour d'appel en l'espèce, que cette procédure doit être suspendue tant que l'obligation de mener cette négociation n'a pas été respectée. Enfin, et d'un point de vue pratique, on ne peut qu'être dubitatif sur l'intérêt d'une telle obligation à un moment où le projet de restructuration a, d'ores et déjà, été décidé.

Au-delà, on est enclin à affirmer qu'il est extrêmement contestable qu'un employeur envisage de procéder à des licenciements économiques, sans avoir, à aucun moment, envisagé une gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences de nature à atténuer les conséquences sociales d'une restructuration (5). Mais, la sanction d'une telle "légèreté" peut, sans doute, être recherchée ailleurs que dans la suspension de la procédure d'information-consultation du comité d'entreprise et dans l'obligation de mener la négociation de la GPEC à un moment où il y a peu de chances qu'elle produise des effets salutaires pour les salariés, sauf à retarder l'inévitable. La Cour de cassation a, d'ores et déjà, laissé entendre que l'absence ou la défaillance de la GPEC pourrait avoir des répercussions sur l'appréciation de la cause réelle et sérieuse des licenciements (6). Le troisième alinéa de l'article L. 321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8921G7K) milite en ce sens, même s'il a pu être argumenté en sens contraire (7).

Au total, on est conduit à affirmer que la décision de la cour d'appel de Paris en date du 7 mars 2007 n'emporte pas la conviction, même si, répétons-le, on ne saurait passer outre le fait qu'un employeur puisse procéder à une restructuration aux conséquences sociales négatives sans jamais s'être préoccupé de la gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences. On ne peut, ici, se départir du sentiment que les juges sont allés au-delà des prescriptions légales qui, il est vrai, sont sujettes à des interprétations divergentes. A telle enseigne que la cour d'appel de Versailles a pu retenir, dans une situation comparable, une solution opposée (CA Versailles, 14ème ch., 15 novembre 2006, n° 06/06930, Comité central d'entreprise Yoplait c/ SAS Yoplait France N° Lexbase : A9971DTH). Il faut, désormais, attendre que la Cour de cassation prenne position afin de redonner en la matière une certaine sécurité juridique qui, pour l'heure, fait gravement défaut.

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) Ce même article ajoute que l'employeur apporte toutes explications sur les écarts éventuellement constatés entre les prévisions et l'évolution effective de l'emploi, ainsi que sur les conditions d'exécution des actions prévues au titre de l'année écoulée. Enfin, cette consultation doit s'appuyer sur un rapport d'information préalablement remis par l'employeur.
(2) L'absence d'arrêt significatif en la matière en atteste.
(3) Pour une synthèse de cette jurisprudence, qui peut se résumer en quatre propositions, v. la Sem. soc. Lamy, préc., p. 13.
(4) Il n'en demeure pas moins que le non-respect des dispositions de l'article L. 432-1-1 peut donner lieu à une condamnation pour délit d'entrave. De même, le comité d'entreprise à un intérêt à agir pour obtenir des dommages-intérêts, voire pour faire ordonner à l'employeur de procéder à l'information et à la consultation prévues par ce texte.
(5) Relevons qu'en l'espèce la société employeur avait, dans une lettre du 23 août 2006, affirmé "être consciente de l'obligation de négociation prévue par ces dispositions, mais ne pas avoir attendu ces dispositions pour mettre en place une telle gestion prévisionnelle".
(6) V., en ce sens, le communiqué accompagnant les fameux arrêts Pages jaunes du 11 janvier 2006 (Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 04-46.201, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3500DML ; Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 05-40.977, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3522DME ; lire les obs. de Ch. Radé, Un nouveau pas en avant pour le licenciement économique fondé sur la sauvegarde de la compétitivité des entreprises, Lexbase Hebdo n° 198 du 19 janvier 2006 - édition sociale N° Lexbase : N3341AKX). 
(7) P.-H. Antonmattéi, art. préc., p. 292, pour qui il vaut mieux retenir une sanction autonome à l'absence ou à l'insuffisance de la GPEC.

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