La lettre juridique n°238 du 30 novembre 2006

La lettre juridique - Édition n°238

Éditorial

En matière de publicité comparative, il faut savoir raison garder

Lecture: 4 min

N2567A9X

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208709-edition-n-238-du-30112006#article-262567
Copier

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Il est bien loin le temps où les "Pères de la Nation" pouvaient, sans mégarde, dire que "l'unique garantie des citoyens contre l'arbitraire, c'est la publicité" (Benjamin Constant, Observations sur le discours prononcé par S.E. le ministre de l'intérieur - 20 août 1814), ou que, "dans la presse, seules les publicités disent la vérité" (Thomas Jefferson). On se souvient des débats qui avaient précédé l'introduction en France de la publicité comparative, lors du vote de la loi n° 92-60 du 18 janvier 1992. Ce "nouveau genre" publicitaire était, pour le moins, mal perçu par une grande partie des entreprises qui considérait que, s'il s'agissait là d'un avatar de la libre concurrence, les dérives y associées ne manqueraient pas de surgir au détriment de l'information loyale et non trompeuse. C'est pourquoi de sévères gardes-fous ont balisé le cadre de la publicité comparative, et la transposition de la Directive de 1997, par l'ordonnance du 23 août 2001, n'est venue que renforcer l'exigence de "loyalisme" de la publicité comparative, afin de l'associer à la libre concurrence, en évitant que le terrain publicitaire ne devienne un far-west. Aux termes de l'article L. 121-8 du Code de la consommation, la publicité comparative n'est licite que si elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ; si elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ; et si elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives des biens ou services sur lesquels elle porte. Par ailleurs, la publicité comparative ne peut tirer indûment profit de la notoriété attachée à une marque, à un nom commercial, à d'autres signes distinctifs d'un concurrent ou à l'appellation d'origine ainsi qu'à l'indication géographique protégée d'un produit concurrent ; elle ne peut entraîner le discrédit ou le dénigrement des marques, ni présenter des biens ou services comme une imitation ou une reproduction d'un bien ou d'un service bénéficiant d'une marque ou d'un nom commercial protégé. Enfin, la publicité comparative ne peut engendrer de confusion entre l'annonceur et un concurrent. Reste au juge à apprécier, au cas par cas, si la publicité comparative qui lui est soumise est bien de nature à informer le plus justement possible les consommateurs. Et force est de constater que, 15 ans après son adoubement en France, la publicité comparative n'a pas bonne presse. S'orienter sur le chemin de la publicité comparative ressemblerait même au "vol d'Icare", tant il est facile de s'y brûler les ailes. On se souvient, récemment, de la fermeture d'un site faisant de la publicité comparative jugée illicite par le tribunal de commerce de Paris. Le tribunal avait été saisi par les hypermarchés Carrefour France, contestant l'objectivité du panel de prix proposé. Pour retenir la publicité comparative illicite, les juges avaient mis en cause l'objectivité du "comparateur de prix", en soulignant le caractère non vérifiable des informations mises en ligne. De plus, le slogan mis en avant par le groupe Leclerc avait été jugé trompeur car d'une très grande généralité. Le président du groupe Leclerc avait indiqué qu'il ferait appel de ce jugement et qu'il réouvrirait son site en se conformant aux injonctions des juges. Hasard du calendrier, le site de Michel-Edouard Leclerc annonçait la réouverture de son "comparateur de prix" (Quiestlemoinscher.com), le 17 novembre dernier, à grand renfort de méthodologie visant à garantir l'objectivité et la fiabilité des résultats et à répondre ainsi aux canons légaux et jurisprudentiels. Parallèlement, le 31 octobre dernier, la Chambre commerciale de la Cour de cassation condamnait la société Leclerc pour avoir manqué aux obligations imposées par la loi sur la publicité comparative. Rapidement, la Haute juridiction approuvait les juges d'appel d'avoir caractérisé une publicité comparative illicite, en relevant que les panneaux publicitaires litigieux ne permettaient pas de s'assurer que les produits répondaient à un même besoin ; que le consommateur ne pouvait pas avoir connaissance des caractéristiques propres à justifier les différences de prix ; que la société requérante avait entrepris une démarche consistant à rechercher des prix inférieurs pratiqués par son enseigne par rapport à ceux de la société concurrente alors que l'exigence d'objectivité aurait impliqué de sélectionner préalablement un panel représentatif des produits couramment consommés, puis d'en faire ensuite la comparaison ; que la publicité en cause manquait d'objectivité dès lors qu'elle ne faisait apparaître pour chacun des produits ni le poids ni le volume. Enfin, sur la méthode, il est précisé que la seule production des tickets de caisse n'était pas suffisamment probante, les relevés effectués sur la base desquels la publicité comparative a été élaborée, pouvant cacher un ajustement provisoire de certains prix et ce pour les seuls besoins de la cause. Une nouvelle preuve, si besoin en était, que "n'importe quelle publicité [n'] est [pas] une bonne publicité", n'en déplaise à Andy Warhol. Sur cette décision ayant fait l'objet d'une publication au Bulletin, les éditions juridiques Lexbase vous invitent à lire les observations de Romain Bourgade, Avocat à la Cour, Le critère de l'objectivité dans la publicité comparative du prix des produits.

newsid:262567

Rel. collectives de travail

[Textes] A propos de la modernisation du dialogue social

Réf. : Projet de loi de modernisation du dialogue social

Lecture: 9 min

N2405A9X

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208709-edition-n-238-du-30112006#article-262405
Copier

par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Moins de 2 ans après l'adoption de la loi du 4 mai 2004 relative au dialogue social (loi n° 2004-391 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social N° Lexbase : L1877DY8), le Gouvernement éprouve de nouveau l'irrépressible besoin de le "moderniser", reprenant ainsi une terminologie désormais très en vogue, en inscrivant dans la loi le principe de la collaboration des partenaires sociaux et du Gouvernement dans l'élaboration des grandes réformes (2). Les ambitions du projet déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 22 novembre 2006, sont certes louables (1), mais les résultats sont plus que décevants (3).
Résumé

Le projet vise à instaurer, avant l'adoption de toute loi, une procédure de concertation préalable des partenaires sociaux en vue de la négociation d'un accord national interprofessionnel (Ani) sur les sujets concernés.

Dispositions du projet

"Article 1er

Il est inséré dans le livre Ier du Code du travail, avant le titre Ier, un titre préliminaire ainsi rédigé :

Titre préliminaire

Dialogue social

Chapitre unique

Art. L. 101-1. - Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui est susceptible de donner lieu à une négociation nationale et interprofessionnelle fait l'objet d'une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel en vue de l'ouverture éventuelle d'une telle négociation.

A cet effet, le Gouvernement leur communique un document d'orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options.

Lorsqu'elles font connaître leur intention d'engager une telle négociation, les organisations indiquent également au Gouvernement le délai qu'elles estiment nécessaire pour conduire la négociation.

Les dispositions qui précèdent ne sont pas applicables en cas d'urgence déclarée par le Gouvernement, qui fait alors connaître cette décision aux organisations mentionnées ci-dessus.

Art. L. 101-2. - Le Gouvernement soumet les projets de textes législatifs et réglementaires élaborés dans le champ défini par l'article L. 101-1, au vu des résultats de la procédure de concertation et de négociation, selon le cas à la Commission nationale de la négociation collective, au Comité supérieur de l'emploi ou au Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, dans les conditions prévues respectivement aux articles L. 136-2, L. 322-2 et L. 910-1.

Art. L. 101-3. - Chaque année, les orientations de la politique du Gouvernement dans les domaines des relations individuelles et collectives du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, ainsi que le calendrier envisagé pour leur mise en oeuvre, sont présentés pour l'année à venir devant la Commission nationale de la négociation collective. Les organisations mentionnées à l'article L. 101-1 présentent, pour leur part, l'état d'avancement des négociations interprofessionnelles en cours ainsi que le calendrier de celles qu'elles entendent mener ou engager dans l'année à venir.

Article 2

I. Le 2° de l'article L. 136-2 du Code du travail est remplacé par les dispositions suivantes :

2° D'émettre un avis sur les projets de lois, d'ordonnances et de décrets relatifs aux règles générales relatives aux relations individuelles et collectives de travail, notamment celles concernant la négociation collective.

II. Il est inséré à l'article L. 322-2 du Code du travail un deuxième alinéa ainsi rédigé :

Le comité est chargé d'émettre un avis sur les projets de lois, d'ordonnances et de décrets relatifs à l'emploi".

Commentaire

1. Les ambitions de la réforme

Le 10 janvier 2006, le Premier ministre confiait à Monsieur Dominique-Jean Chertier (Directeur général adjoint, Affaires sociales et institutionnelles, de la SNCMA, groupe Safran, ancien conseiller de Jean-Pierre Raffarin) le soin de formuler des propositions afin d'améliorer la qualité du dialogue entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, singulièrement, afin de faire en sorte que les grandes réformes soient systématiquement précédées d'une concertation approfondie et, dans la mesure du possible, d'une négociation nationale interprofessionnelle.

Faisant le constat de la mauvaise qualité du dialogue social et des "tensions récurrentes" au sein de la société, le rapport Chertier, remis au Premier ministre le 31 mars 2006, proposait, entre autres mesures, de repenser l'articulation des compétences entre le Gouvernement, le Parlement et les partenaires sociaux.

La proposition la plus audacieuse consistait sans doute à modifier l'article 39 de la Constitution (N° Lexbase : L1299A9Y) pour prévoir "qu'une loi organique est chargée de préciser les conditions d'élaboration des projets de loi préalablement à leur présentation en Conseil des ministres" (action n° 4), loi qui pourrait "prévoir une procédure de 'temps réservé' à la concertation, posant l'exigence d'un délai minimal de trois mois entre l'annonce d'un projet d'une réforme et l'adoption du texte correspondant en conseil des ministres" (action n° 5).

S'agissant des réformes liées singulièrement au droit du travail, le rapport Chertier proposait "de permettre aux partenaires sociaux de se saisir, s'ils le souhaitent, du thème de réforme et de conduire des négociations sur le sujet", le délai de la procédure étant alors "allongé pour permettre à ces négociations d'aboutir" (action n° 8) et le Gouvernement perdant alors, pendant le temps de la concertation, l'initiative de la loi (action n° 9). En cas de réussite de la négociation, le Gouvernement ne pourrait "que reprendre le texte des partenaires sociaux ou renoncer à son projet de réforme" et "le Parlement ne pourrait qu'accepter ou refuser en bloc le projet de loi issu de l'accord des partenaires sociaux" (action n° 10).

  • Le projet de loi "Borloo"

Dans le prolongement de ce rapport, le ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement, Jean-Louis Borloo, a déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale un projet de loi, tenant en deux articles, et visant à "la modernisation du dialogue social".

Les ambitions du projet sont affichées dès l'exposé des motifs. Il s'agit de placer "les partenaires sociaux au coeur de la conception des réformes concernant le droit du travail [...] en prenant en compte les exigences d'une meilleure concertation et d'une information réciproque". Le texte "vise [...] à organiser et aménager des procédures de concertation, de consultation et d'information, de manière à permettre un dialogue social effectif entre les partenaires sociaux et les pouvoirs publics dans l'élaboration des réformes concernant le droit du travail, ceci à l'instar de la situation que connaissent la plupart des démocraties modernes".

2. Objet de la réforme

Le projet de loi souhaite introduire, en tête du Code du travail, les dispositions consacrées au dialogue social et, singulièrement, une obligation gouvernementale de concertation sociale.

  • Champ d'application de l'obligation gouvernementale de concertation sociale

Placé en tête du Code du travail, le premier article (art. L. 100-1) concernerait la procédure de "concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel".

Cette procédure ne serait, toutefois, pas applicable "en cas d'urgence déclarée par le Gouvernement, qui fait alors connaître cette décision aux organisations mentionnées ci-dessus".

  • Objet de l'obligation gouvernementale de concertation

Cette procédure concernerait "tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle et qui est susceptible de donner lieu à une négociation nationale et interprofessionnelle".

Le Gouvernement devrait communiquer aux organisations concernées "un document d'orientation présentant des éléments de diagnostic, les objectifs poursuivis et les principales options", ce qui n'est pas sans rappeler les obligations qui pèsent sur la partie patronale dans le cadre de la négociation obligatoire (C. trav., art. L. 132-12 N° Lexbase : L3144HIB et L. 132-28 N° Lexbase : L8859G7A).

Les partenaires sociaux pourraient alors décider soit de ne pas engager de négociations, soit de les engager ; dans cette dernière hypothèse, les organisations feraient savoir au Gouvernement de quel délai elles souhaiteraient disposer.

Lorsque les partenaires sociaux auraient abouti et que le Gouvernement aurait élaboré un projet de loi ou de décret, ce dernier devrait être soumis aux organes consultatifs compétents, c'est-à-dire "selon le cas à la Commission nationale de la négociation collective, au Comité supérieur de l'emploi ou au Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie, dans les conditions prévues respectivement aux articles L. 136-2, L. 322-2 et L. 910-1".

Le projet de loi fait, également, obligation au Gouvernement de présenter chaque année les orientations de sa politique sociale devant la commission nationale de la négociation collective (art. L. 101-3), tandis que les partenaires sociaux font état "des négociations interprofessionnelles en cours ainsi que le calendrier de celles qu'elles entendent mener ou engager dans l'année à venir".

3. Le caractère limité et décevant de la réforme

  • Les imprécisions de la réforme

Le moins que l'on puisse dire est que la rédaction du projet de loi ne brille pas par sa clarté.

Les conditions posées par le futur article L. 101-1 du Code du travail sont, ainsi, très imprécises. On ne sait pas, par exemple, ce que vaut la notion de "réforme" envisagée par le Gouvernement ; s'agit-il d'une formule redondante du "projet", ou d'une catégorie de projets "innovants" ?

On ne sait pas, également, ce que signifie la précision selon laquelle est soumis à la procédure de concertation tout projet "qui est susceptible de donner lieu à une négociation nationale et interprofessionnelle". Compte tenu de la définition du champ ouvert à la négociation collective, par l'article L. 131-1 du Code du travail (N° Lexbase : L4692DZS), et du champ de la concertation visé par l'article L. 101-1 nouveau ("Tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l'emploi et la formation professionnelle"), c'est presque tout le droit du travail qui se trouve concerné, à l'exception peut-être des "garanties sociales" qui n'ont pas été visées dans le projet alors qu'elles figurent dans l'article L. 131-1.

  • Les limites de la réforme

Le dispositif de concertation ne concerne formellement que les "projets" de loi, pour lesquels l'urgence n'a pas été déclarée (elle l'est en pratique souvent) et non les propositions déposées par les députés ou les sénateurs. On imagine alors comment le Gouvernement pourrait faire proposer une réforme par un parlementaire et éviter, ainsi, la procédure d'information préalable des partenaires sociaux...

Par ailleurs, le Gouvernement a simplement l'obligation d'informer les partenaires sociaux de son intention de réformer (al. 1er) et de leur communiquer un certain nombre d'informations qui devront d'ailleurs être précisées réglementairement (al. 2). Le Gouvernement n'a nullement l'obligation de donner aux partenaires sociaux les délais qu'ils peuvent lui réclamer (al. 3), ni, d'ailleurs, de tenir compte des propositions formulées dans l'élaboration du projet de loi.

Il ne s'agit donc, ici, que d'une simple procédure d'information et d'avis, à l'instar de la consultation du comité d'entreprise avant la décision que pourrait prendre l'employeur de conclure, dans l'entreprise, un accord collectif (Cass. soc., 5 mai 1998, n° 96-13.498, Conseil supérieur consultatif des comités mixtes à la production et c/ Electricité de France et autres, publié N° Lexbase : A2677AC7 ; Dr. soc. 1998, p. 579, rapp. J.-Y. Frouin ; RJS 1998, p. 435, chron. M. Cohen ; RJS 1998, n° 611, chron. P.-H. Antonmattéi ; TPS 1998, comm. n° 244, obs. B. Teyssié ; D. 1998, p. 608, note G. Auzero).

Dans l'hypothèse où les partenaires sociaux auraient abouti à un accord, coexisteraient, en toute hypothèse, une loi et un Ani, l'application du principe de faveur pouvant parfaitement conduire à l'application de l'Ani plus favorable aux intérêts des salariés.

  • L'absence de sanctions

Le moins que l'on puisse dire est que la réforme n'a rien à voir, ou pas grand chose, avec les conclusions ambitieuses et audacieuses du rapport "Chertier" qui proposait, rappelons-le, de modifier l'article 39 de la Constitution pour imposer au Gouvernement le respect de la compétence des partenaires sociaux. Une telle modification aurait été de nature à contraindre véritablement le Gouvernement et le Conseil constitutionnel aurait été conduit à censurer les lois adoptées à la suite d'une procédure irrégulière.

Or, rien de comparable n'apparaît dans le projet déposé. Non seulement la formulation de l'obligation gouvernementale est imprécise, comme nous l'avons vu, mais cette obligation ne semble assortie d'aucune sanction particulière ; il conviendra, par conséquent, de se tourner vers le droit commun.

On pourrait ainsi imaginer la saisine du juge administratif, statuant en référé sur le fondement de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS), ordonner la suspension d'un projet de loi déposé par le Gouvernement (référé-suspension), ou de L. 521-3 (référé-conservatoire) du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3059ALU) pour enjoindre au Gouvernement de respecter la procédure légale et, singulièrement, la consultation des partenaires sociaux, à l'image d'un comité d'entreprise saisissant le tribunal de grande instance pour bloquer la procédure du licenciement pour motif économique en raison du défaut de consultation des représentants du personnel.

Peut-on imaginer également l'annulation, dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir, du projet de loi déposé sans respect de la procédure de concertation ? Et que deviendrait la loi votée par le Parlement lorsque le projet de loi aurait été annulé par le Conseil d'Etat ?

Il semble toutefois peu probable que de tels recours puissent être envisagés, la doctrine et les juridictions administratives considérant généralement le dépôt, ou l'absence de dépôt, d'un projet de loi comme un acte de gouvernement insusceptible de recours (J. Rivéro et J. Waline, Droit administratif, Précis Dalloz, 19ème éd. 2002, n° 156).

On le conçoit aussitôt, cette procédure semble bien inconsistante, bien loin de la modernisation tant attendue, ou tant annoncée, du dialogue social. Mais la modernité peut-elle se décréter ?

newsid:262405

Libertés publiques

[Jurisprudence] La Cour européenne des droits de l'Homme face au droit à une vie familiale de l'étranger délinquant : pusillanimité ?

Réf. : CEDH, 18 octobre 2006, req. 46410/99, Üner c/ Pays-Bas (N° Lexbase : A1885DSM)

Lecture: 9 min

N5062AL3

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208709-edition-n-238-du-30112006#article-95062
Copier

par Olivier Dubos, Professeur de droit public à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Dans l'arrêt "Üner c/ Pays-Bas" du 18 octobre 2006, l'occasion était donnée à la Cour européenne des droits de l'Homme d'infléchir sa jurisprudence et de se montrer plus exigeante à l'égard des Etats parties en matière de droit au respect de la vie familiale des étrangers délinquants. Elle a préféré ne pas se départir de sa prudence et laisser aux Etats une marge d'appréciation non négligeable. A l'origine de cette affaire se trouve un ressortissant turc, né en 1969 et résidant régulièrement aux Pays-Bas depuis l'âge de 12 ans, qui avait fait l'objet de sanctions pénales en 1989, 1990 et 1992 pour troubles à l'ordre public et voie de fait. En 1993, à la suite d'une rixe dans un café, il tua un des ses adversaires et fut reconnu coupable de coups et blessures graves et d'homicide involontaire. En 1994, il fut condamné à sept ans de prison. Depuis 1991, M. Üner entretenait une relation avec une ressortissante néerlandaise dont il avait eu un enfant au début 1992. A la suite de tensions conjugales, ils prirent deux logements distincts sans pour autant rompre les contacts. Pendant la durée de son incarcération, le requérant et sa compagne eurent un second fils, le 26 juin 1996.

Début 1997, le secrétaire d'Etat à la Justice retira son permis d'établissement à M. Üner et prit un arrêté d'interdiction du territoire valable dix ans. L'intéressé contesta cette décision devant les juridictions néerlandaises, mais n'obtint pas gain de cause. Il a donc saisi la Cour européenne des droits de l'homme qui a estimé qu'il n'y avait pas violation de l'article 8 de la Convention (N° Lexbase : L4798AQR) et tout spécialement du droit à mener une vie familiale. Sa requête a été rejetée.

La Cour maintient, ainsi, une jurisprudence dont le cadre a été fixé il y a près d'une quinzaine d'années (CEDH, 26 mars 1992, req. 55/1990/246/317, Beldjoudi c/ France N° Lexbase : A6507AWW). Sur un sujet politiquement fort sensible, elle entend ainsi laisser une grande marge d'appréciation aux Etats parties à la Convention. Ce pragmatisme se manifeste dans son refus de considérer que des étrangers parfaitement intégrés ne puissent jamais être expulsés ou seulement dans des circonstances exceptionnelles (I). Son raisonnement demeure donc fondé sur une approche très empirique du principe de proportionnalité (II).

I. Pragmatisme

La Cour européenne des droits de l'Homme prend d'abord le soin de rappeler que "d'après un principe de droit international bien établi, les Etats ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de Traités, de contrôler l'entrée des non-nationaux sur leur sol [...]. La Convention ne garantit pas le droit pour un étranger d'entrer ou de résider dans un pays particulier". On rappellera que, sur le fondement de l'article 8 de la Convention, la Cour de justice comme le Conseil d'Etat reconnaissent, au contraire, un droit au regroupement familial (CJCE, 11 juillet 2002, aff. C-60/00, Mary Carpenter c/ Secretary of State for the Home Department N° Lexbase : A0764AZC, Rec., p. I-6305 ; CE, 24 mars 2004, n° 249369, Ministre des Affaires sociales c/ Mme Boulouida N° Lexbase : A6455DBP).

La Cour européenne estime, également, que "lorsqu'ils assument leur maintien de l'ordre public, les Etats contractants ont la faculté d'expulser un étranger délinquant" (n° 54). Sur le fondement de l'article 8, il n'y a aucun "droit absolu à la non-expulsion" car son paragraphe 2 "est libellé en des termes qui autorisent clairement des exceptions aux droits généraux garantis dans le paragraphe 1" (n° 55). Le raisonnement n'est pas pleinement convaincant car même si une liberté peut toujours faire l'objet de restriction, on pourrait considérer qu'il y a des hypothèses où une limitation constitue en elle-même une atteinte. La Cour mentionne elle-même la recommandation 1504 (2001) de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, selon laquelle les "immigrés légaux, qui vivent depuis longtemps dans le pays hôte et dont certains sont nés ou ont été élevés dans ce pays, se sont intégrés dans la société d'accueil et ne sont plus ni humainement ni sociologiquement des étrangers. Cela est particulièrement vrai pour la deuxième génération d'immigrés pour qui le pays d'origine de leurs parents est, bien souvent, terrain inconnu. L'application de mesures d'expulsion à leur égard s'avère disproportionnée et discriminatoire : disproportionnée, car elle représente pour la personne concernée des conséquences à vie, entraînant souvent la séparation de sa famille et la rupture avec son environnement, et discriminatoire, car l'Etat ne dispose pas de ce moyen pour ses ressortissants ayant commis les mêmes actes".

Sans reconnaître un droit absolu à la non-expulsion, on pourrait considérer que seules des considérations particulièrement impérieuses devraient justifier l'expulsion d'étrangers totalement intégrés et qui n'ont plus d'attaches dans le pays dont ils ont la nationalité (v. E. Palm, opinion dissidente, CEDH, 29 janvier 1997, req. 112/1995/618/708, Bouchelkia c/ France N° Lexbase : A8432AW9 ; J.-P. Costa et F. Tulkens, opinion dissidente, CEDH, 30 novembre 1999, req. 34374/97, Baghli c/ France N° Lexbase : A6681AWD). Dans le domaine de la liberté de la presse, la Cour estime que des mesures d'interdiction de l'activité de journaliste "ne se justifient que dans des circonstances exceptionnelles" (CEDH, 17 décembre 2004, req. 33348/96, Cumpana et Mazare c/ Roumanie N° Lexbase : A4373DEP, spéc. n° 118). La liberté de la presse a évidemment une importance fondamentale dans un système démocratique, mais il en va assurément de même du droit de mener une vie familiale, car la famille constitue toujours aujourd'hui la structure fondamentale de la société. L'Etat ne devrait y porter atteinte qu'au nom d'intérêts supérieurs. En ce sens, le droit français, qui par ailleurs connaît un véritable durcissement quant aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers, se montre toutefois réservé à l'égard de l'expulsion des étrangers intégrés (v. C. entr. séj. étrang. et asile, art. L. 521-2 N° Lexbase : L1310HP9 et L. 521-3 N° Lexbase : L1311HPA).

Le cas de M. Üner était d'autant plus délicat qu'il ne s'agissait pas au sens du droit français d'une expulsion, mais plutôt d'une peine d'interdiction du territoire bien qu'il s'agisse ici d'une mesure administrative prise par le secrétaire d'Etat à la justice. La Cour estime que "prononcer une mesure d'interdiction du territoire à l'égard d'un immigré de longue durée à la suite d'une infraction pénale ne constitue pas une double peine, ni aux fins de l'article 4 du protocole n° 7 [Droit à ne pas être jugé ou puni deux fois] ni d'une manière générale" (n ° 56). Il s'agit, en effet, d'une peine complémentaire qui est laissée à l'appréciation du juge. En revanche, dans la mesure où elle ne peut, par nature, être infligée qu'aux étrangers, il est possible de la considérer comme discriminatoire. Il serait possible d'y voir une violation combinée de l'article 8 (N° Lexbase : L4798AQR) et de l'article 14 ([LXB=4747AQU]) qui pose le principe de non-discrimination. La Cour ne semble, toutefois, pas accueillir un tel raisonnement (CEDH, 18 février 1991, req. 26/1989/186/246, Moustaquim c/ Belgique N° Lexbase : A6346AWX).

On notera enfin, comme l'ont souligné les juges Costa, Zupancic et Türmen dans leur opinion dissidente, que certaines législations nationales et spécialement la loi française ont été assouplies. Ainsi l'article 131-30-1 du Code pénal dans sa version issue de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 (N° Lexbase : L1335HP7) dispose que "la peine d'interdiction du territoire français ne peut être prononcée lorsqu'est en cause : 1º Un étranger qui justifie par tous moyens résider en France habituellement depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; 2º Un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; 3º Un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est marié depuis au moins quatre ans avec un ressortissant français ayant conservé la nationalité française, à condition que ce mariage soit antérieur aux faits ayant entraîné sa condamnation et que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage ou, sous les mêmes conditions, avec un ressortissant étranger relevant du 1º ; 4º Un étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du Code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; 5º Un étranger qui réside en France sous couvert du titre de séjour prévu par le 11º de l'article L. 313-11 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Les dispositions prévues au 3º et au 4º ne sont toutefois pas applicables lorsque les faits à l'origine de la condamnation ont été commis à l'encontre du conjoint ou des enfants de l'étranger ou de tout enfant sur lequel il exerce l'autorité parentale. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation prévus par les chapitres Ier, II et IV du titre Ier du livre IV et par les articles 413-1 à 413-4, 413-10 et 413-11, ni aux actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV, ni aux infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous prévues par les articles 431-14 à 431-17, ni aux infractions en matière de fausse monnaie prévues aux articles 442-1 à 442-4".

La Cour européenne des droits de l'Homme, au lieu d'innover, a donc préféré s'en tenir à sa jurisprudence traditionnelle qui lui permet de traiter ce type d'affaire de manière excessivement empirique.

II. Empirisme

La Cour a donc appliqué sa jurisprudence classique et a rappelé les critères utilisés pour apprécier si une mesure d'expulsion ne porte pas une atteinte disproportionnée à l'article 8 de la Convention : "la nature et la gravité de l'infraction commise par le requérant ; la durée du séjour de l'intéressé dans le pays dont il doit être expulsé ; le laps de temps qui s'est écoulé depuis l'infraction, et la conduite du requérant pendant cette période ; la nationalité des diverses personnes concernées ; la situation familiale du requérant, et notamment, le cas échéant, la durée de son mariage, et d'autres facteurs témoignant de l'effectivité d'une vie familiale au sein d'un couple ; la question de savoir si le conjoint avait connaissance de l'infraction à l'époque de la création de la relation familiale ; la question de savoir si des enfants sont issus du mariage et, dans ce cas, leur âge ; et la gravité des difficultés que le conjoint risque de rencontrer dans le pays vers lequel le requérant doit être expulsé" (n° 57, v. déjà CEDH, 2 août 2001, req. 54273/00, Boultif c/ Suisse N° Lexbase : A6740AWK). La Cour a entendu, également, "expliciter deux critères qui se trouvent peut-être déjà implicitement contenus dans ceux identifiés dans l'arrêt Boultif : l'intérêt et le bien-être des enfants, en particulier la gravité des difficultés que les enfants du requérant sont susceptibles de rencontrer dans le pays vers lequel l'intéressé doit être expulsé ; et la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays hôte et avec le pays de destination" (n ° 58). Il ne s'agit d'ailleurs pas en toute rigueur de critères, mais plutôt d'indices qui permettent de déceler une violation de l'article 8.

Appliqués au cas de M. Üner, la Cour en conclut "qu'un juste équilibre a été ménagé en l'espèce, dans la mesure où l'expulsion du requérant et son interdiction du territoire néerlandais étaient proportionnées aux buts poursuivis et donc nécessaires dans une société démocratique" (n° 67). On peut n'être pas convaincu par une telle conclusion.

Les faits commis par l'intéressé sont d'une incontestable gravité (homicide involontaire), mais ils ne font pas partie des crimes les plus lourdement sanctionnés par les systèmes pénaux des Etats membres. En revanche, l'intéressé était parfaitement intégré dans la société néerlandaise. L'argument de la Cour selon lequel M. Üner n'a finalement que peu vécu avec sa compagne ne résiste guère au constat que celle-ci a choisi d'avoir un enfant avec lui alors qu'il se trouvait en prison. En outre, durant son incarcération, il a obtenu un diplôme de commerçant. Ses liens avec la Turquie sont, en outre, inexistants : si l'on peut douter qu'il ne maîtrise plus la langue turque comme il le prétend, il est cependant avéré qu'il n'a aucune relation personnelle dans ce pays. Ses parents résident aux Pays-Bas. La Cour semble donc considérer que la famille Üner pourrait s'installer en Turquie alors que la mère et les enfants sont de nationalité néerlandaise et ne parlent évidemment pas le turc ! Les critères posés par la Cour n'ont donc qu'une valeur purement rhétorique.

Enfin, le droit néerlandais qui permet à une autorité administrative de prendre postérieurement à une sanction pénale une mesure d'interdiction du territoire ne paraît guère satisfaisant du point de vue de la sécurité juridique. M. Üner avait été condamné le 21 janvier 1994 et ce n'est que le 30 janvier 1997 que le secrétaire d'Etat à la Justice a pris un arrêté d'interdiction du territoire valable dix ans. Cependant, il n'y avait probablement pas là une violation de la Convention.

newsid:95062

Marchés publics

[Textes] Obligation de décoration des constructions publiques

Réf. : Circulaire du 16 août 2006, relative à l'application du décret n° 2002-677 du 29 avril 2002 relatif à l'obligation de décoration des constructions publiques (N° Lexbase : L2525HSC)

Lecture: 7 min

N5112ALW

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208709-edition-n-238-du-30112006#article-95112
Copier

Le 07 Octobre 2010

Le décret du 29 avril 2002, modifié par le décret du 4 février 2005 (1), régit l'obligation de décoration des constructions publiques, dite "du 1 %". Lors de certaines constructions publiques, 1 % de leur coût doit être consacré à la réalisation d'une ou de plusieurs oeuvres d'art originales d'artistes vivants. Ces oeuvres sont destinées à s'insérer dans l'espace public. Par une circulaire du 16 août 2006, le ministre de la Culture et de la Communication commente le nouveau régime applicable. I. Le champ d'application de l'obligation

a. Les opérations immobilières concernées

Toute opération immobilière publique ne se trouve pas soumise à la même obligation selon la personne morale concernée et la nature de l'opération.

L'Etat, ses établissements publics et leurs mandataires. La construction et l'extension de bâtiments publics par l'Etat et les établissements publics sous sa tutelle (hors EPIC) constituent le principal du champ d'application. Les travaux de réhabilitation de tels bâtiments se trouvent également concernés lorsqu'ils donnent lieu à un changement d'affectation, d'usage ou de destination des bâtiments. La réhabilitation exclut l'entretien courant et la maintenance mais s'entend comme la "profonde remise en état d'un bâtiment existant".

Cette obligation s'impose aussi aux mandataires de ces personnes publiques ou aux personnes agissant pour leur compte. Les opérations réalisées par le ministre de la Santé et ses services déconcentrés pour leurs besoins entrent dans le champ d'application, de même que celles réalisées par les trois établissements nationaux de santé.

Les collectivités territoriales et leurs groupements. L'obligation ne trouve à s'appliquer que dans le cadre des compétences transférées par les lois de décentralisation. Elle est limitée aux seules constructions neuves des collectivités qui faisaient l'objet, au 23 juillet 1983, de la même obligation à la charge de l'Etat (2).

De même s'applique-t-elle lorsque l'Etat confie par convention aux collectivités territoriales ou à leurs groupements, la maîtrise d'ouvrage de construction de bâtiments ou leur extension (tels certains établissements d'enseignement supérieur).

b. Les opérations immobilières exclues

Par leur nature, certaines opérations immobilières de l'Etat et de ses établissements publics ne justifient pas la présence d'une réalisation artistique. Des arrêtés précisent ces exclusions (3) qui ne concernent que des bâtiments militaires ou civils résolument hors du champ public ou tenus secret. Les bâtiments militaires "plus courants" ainsi que les établissements pénitentiaires sont soumis au 1 %.

c. Les opérations incluses volontairement

Les collectivités territoriales et leurs groupements, leurs établissements publics à caractère industriel ou commercial et les sociétés qui dépendent d'eux, peuvent spontanément décider d'une procédure "1 %". Il en est de même pour les établissements publics de santé autres que nationaux.

Même si la somme dégagée pour des interventions artistiques n'atteint pas 1 % du montant des travaux, la circulaire recommande d'appliquer la procédure réglementaire particulière.

d. Mode de calcul du "1 %"

L'assiette est le coût des travaux, hors taxes, exprimé de manière prévisionnelle à la remise de l'avant-projet définitif. Elle exclut les dépenses de voirie, de réseau ou d'équipement mobilier. Sont aussi exclues les dépenses relatives aux études de géomètre et de sondage, mais non les dépenses relatives aux fondations spéciales. Le montant total ne peut excéder deux millions d'euros.

II. Les prestations réalisables

a. Nature des prestations : la diversité de la création plastique

Tous les artistes professionnels sont éligibles, sans condition de nationalité, dès lors que les obligations sociales et fiscales sont respectées. Les oeuvres d'art commandées doivent être originales au sens du Code de la propriété intellectuelle, ce qui inclut toute la diversité de la création plastique.

Les oeuvres peuvent aussi inclure les nouvelles technologies ou faire appel à d'autres disciplines artistiques (traitement des abords, aménagements paysagers, mobilier original ou signalétique particulière). La combinaison d'interventions est possible. Les oeuvres éphémères sont déconseillées.

b. Le comité artistique pour les commandes de 30 000 euros

Ce comité est l'instance de droit commun d'examen des dossiers de décoration (le dispositif simplifié a supprimé la commission artistique régionale). Il intervient pour toutes les commandes supérieures ou égales à 30 000 euros hors taxes.

Présidé par le maître d'ouvrage, ce comité est composé de sept membres : quatre représentant le maître d'ouvrage (le président, le maître d'oeuvre, un utilisateur du bâtiment et une personnalité qualifiée), le directeur régional des affaires culturelles et deux personnalités qualifiées. Le maître d'ouvrage et le directeur de la DRAC nomment chacun une personnalité, de manière discrétionnaire, parmi des professionnels de la création. Le directeur de la DRAC nomme une seconde personnalité sur une liste établie par les organisations professionnelles d'artistes. Le maître d'ouvrage prend en charge le défraiement des personnalités nommées (transport, repas). La circulaire incite à inviter à siéger au sein du comité un conseiller de la commune d'implantation de l'ouvrage.

La composition du comité est particulière pour les projets situés à l'étranger (maître d'ouvrage, ambassadeur, maître d'oeuvre, délégué aux arts plastiques et deux personnalités qualifiées).

Le comité devrait être constitué dès approbation de l'avant-projet sommaire. Il élabore un programme de la commande artistique (nature et emplacement de la réalisation, enjeux et attentes de la commande), approuvé par le maître d'ouvrage et communiqué aux artistes. Il arrête son choix le plus en amont possible de la construction.

c. Le rapporteur

La DRAC est rapporteur des projets : elle présente les artistes candidats et leurs références ; elle présente les projets artistiques proposés par les artistes consultés. Le préfet de région peut nommer un rapporteur adjoint aux côtés de la DRAC.

d. La commission nationale

Lorsque l'envergure, les critères financiers et d'innovation esthétique le justifient, le maître d'ouvrage peut renvoyer à la commission nationale en concertation avec le préfet de région. Des grands projets d'aménagement territoriaux, des projets conduits par des établissements publics d'aménagement urbain peuvent être concernés.

III. Les projets inférieurs à 30 000 euros HT

Le maître d'ouvrage peut acheter une oeuvre ou la commander à un artiste lorsque le projet artistique est d'un coût inférieur à 30 000 euros hors taxes.

a. La procédure d'achat

Une procédure de consultation restreinte. Le maître d'ouvrage choisit une ou plusieurs oeuvres après consultation du maître d'oeuvre, l'utilisateur du bâtiment et le directeur de la DRAC. Rien n'empêche l'opérateur de constituer néanmoins un comité artistique.

Des mesures de publicité sont recommandées, par tout moyen approprié, bien que l'achat d'oeuvres d'art existantes ne soit pas soumis au Code des marchés publics.

b. La commande

La procédure de consultation de droit commun. Le maître d'ouvrage choisit après avis du comité artistique.

IV. Transparence de la commande

a. L'obligation de publicité préalable

Quel que soit le montant de la commande artistique, le maître d'ouvrage a l'obligation de rendre public le programme établi avec le comité artistique (C. marchés publ., article 71 N° Lexbase : L2731HPT). Pour le respect des principes de l'article 1er du Code des marchés publics (N° Lexbase : L2661HPA), il lui est recommandé d'indiquer dans son avis les conditions applicables aux candidatures : délais et documents à remettre. Il sera également précisé le nombre d'artistes consultés à l'issue des candidatures. Ces artistes produiront un pré-projet, indemnisé sauf insuffisance manifeste.

Les frais de publicité sont inclus dans le budget du "1 %". Le maître d'ouvrage doit choisir un type de publicité "adaptée, permettant une information suffisante des artistes en fonction de la nature et du montant de la commande" (4).

L'information sur les sites internet (maître d'ouvrage ou sites professionnels) est souhaitée mais non suffisante : elle doit être complétée par l'information traditionnelle (affichage, bulletins, presse spécialisée ou générale...). Le ministère de la Culture et de la Communication accueille gratuitement les avis de publicité sur son site internet. Quant aux commandes relevant de l'Etat, elles sont disponibles sur le portail interministériel des marchés publics (5).

Quand la commande ne peut être confiée qu'à un prestataire déterminé pour raisons techniques, artistiques ou de droits exclusifs, le marché est passé sans publicité et mise en concurrence préalables. La circonstance est exceptionnelle et les conditions restrictives.

b. L'information et la motivation du choix

Le maître d'ouvrage arrête son choix par une décision motivée et en informe l'ensemble des candidats. Il ne peut refuser d'exposer les motivations aux candidats évincés, s'ils le lui demandent (spécification du "1 %", attentes du maître d'ouvrage).

L'avis d'attribution doit être communiqué à l'office de publication de l'Union européenne pour les commandes de plus de 230 000 euros HT, mais il est préconisé de prévoir la communication d'un avis d'attribution dès 210 000 euros HT.

V. Obligations du maître d'ouvrage

a. L'obligation d'un contrat de commande

Il doit être passé entre le maître d'ouvrage et l'artiste pour déterminer les conditions de réalisation, d'installation de l'oeuvre et de rémunération de l'artiste. La cession des droits (reproduction et représentation) est recommandée dans la mesure nécessaire à une utilisation raisonnable de l'oeuvre (communication institutionnelle). De même devraient être inscrites les spécifications techniques pour l'entretien, la maintenance, la restauration ou le déplacement de l'oeuvre. Une durée minimum de présence dans l'espace public peut également être prévue.

b. Les obligations sociales

Le maître d'ouvrage doit verser la contribution du "1 %" diffuseur aux organismes agréés de perception des cotisations sociales des artistes auteurs. Son montant s'impute sur l'enveloppe du 1 %. Sauf dispense de précompte produite par l'artiste, le maître d'ouvrage prélève sur sa rémunération les cotisations maladies, veuvage, CSG, CRDS au taux de droit commun.

c. L'obligation de restauration de l'oeuvre

Le propriétaire ou la personne responsable de l'entretien de l'ouvrage doit assumer ces travaux, en sollicitant éventuellement un mécénat public ou privé. L'opération de restauration ne peut être financée dans le cadre d'une nouvelle procédure de "1 %". Une surveillance et un entretien rigoureux sont préférables à une restauration onéreuse. Les maquettes et esquisses de l'artiste doivent être conservées comme documents pour une éventuelle restauration.

Nicolas Wismer
Collaborateur juridique à des associations de collectivités territoriales
Chargé d'enseignement en droit public à l'IEP de Lyon


(1) Décret n° 2005-90 du 4 février 2005 (N° Lexbase : L5180G7Y), modifiant le décret n° 2002-677 du 29 avril 2002, relatif à l'obligation de décoration des constructions publiques et précisant les conditions de passation des marchés ayant pour objet de satisfaire à cette obligation (N° Lexbase : L7931DN3), JORF du février 2005.
(2) CGCT, art. L. 1616-1 (N° Lexbase : L8167AAQ).
(3) Arrêté du 22 mars 2005 du ministre de la Défense et du ministre de la Culture et de la Communication (N° Lexbase : L1489G8N). Arrêté du 30 septembre 2003 du ministre de l'Intérieur et du ministre de la Culture et de la Communication (N° Lexbase : L4960HTU).
(4) Article 8 du décret du 29 avril 2002 modifié.
(5) www.marches-publics.gouv.fr.

newsid:95112

Sociétés

[Textes] Les modifications de la deuxième Directive concernant le capital social des sociétés anonymes et le droit français (première partie)

Réf. : Directive 2006/68 du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006, modifiant la Directive 77/91/CEE du Conseil en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (N° Lexbase : L2062HS8)

Lecture: 12 min

N2605A9D

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208709-edition-n-238-du-30112006#article-262605
Copier

Le 07 Octobre 2010

Après avoir été soumise au Conseil des ministres de l'Union européenne (ou "UE") et au Parlement européen en vue de son adoption dans le cadre de la procédure de codécision, la Directive 2006/68/CE du 6 septembre 2006 (1) (la "Directive de 2006"), modifiant la Directive 77/91/CEE du Conseil du 13 décembre 1976 (en sa forme initiale, la "Directive de 1977", et, en sa forme amendée, la "Directive") (Directive du N° Lexbase : L9266AUQ), poursuit la construction du droit des sociétés européen, sur l'un des premiers chantiers abordés par l'UE : la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital. Historiquement, les actions de l'UE dans le domaine du droit des sociétés ont été fondées sur l'article 44 § 2, point g) du Traité instituant la Communauté européenne , lequel impose aux institutions européennes de réaliser la liberté d'établissement (2). Celles-ci se sont traduites par l'adoption de neuf Directives et d'un Règlement entre 1968 et 1989 (3), avant qu'un nouvel élan ne soit récemment donné au processus d'harmonisation.

Dans ce contexte dynamique, propice au changement, un rapport rendu en septembre 1999 par le groupe SLIM "droit des sociétés" (4), qui concernait la simplification des première et deuxième Directives sur le droit des sociétés, concluait que le régime du maintien du capital, organisé par la Directive de 1977, pouvait être simplifié. Ses principales recommandations ayant reçu un accueil globalement favorable dans le rapport du "groupe de haut niveau d'experts en droit des sociétés" (le "Rapport Winter") (5), celles-ci furent ensuite reprises dans le cadre du plan d'action pour la modernisation du droit des sociétés.

La Commission européenne présenta, en effet, en mai 2003, un plan d'action (6) définissant, d'une part, les objectifs clés à atteindre en matière de droit de sociétés et de gouvernement d'entreprise, et, répartissant, d'autre part, par priorités de court, moyen et long terme, les actions nécessaires à l'élaboration d'un cadre européen de réglementation moderne en droit des sociétés. Sur ces bases, une proposition visant à modifier la Directive de 1977 a été considérée comme une priorité à court terme afin de "promouvoir l'efficience et la compétitivité des entreprises" (7).

La Directive de 2006 (8) a donc pour objectif de faciliter les mesures affectant le capital des sociétés anonymes. Elle tente d'y parvenir en permettant aux Etats membres d'éliminer certaines obligations d'information spécifiques, de faciliter certaines modifications de la propriété du capital, et d'arrêter une procédure légale largement harmonisée pour les créanciers dans le contexte de réduction du capital. Ainsi, "les sociétés devraient être à même, en ce qui concerne la taille de leur capital, leur structure et leur propriété, de réagir plus rapidement et selon une procédure moins coûteuse et moins longue aux développements les affectant qui se produisent sur les marchés" (9).

Du chemin qui sépare les recommandations du Rapport Winter à la Directive de 2006, plusieurs projets furent écartés, notamment la possibilité, à court terme, d'introduire un régime alternatif à la notion de capital légal (10), ainsi que l'idée de la reconnaissance de la fourniture de services comme un apport en nature (11). Les processus de consultation engagés par les institutions européennes, non seulement à l'égard des opérateurs économiques (12), mais également auprès d'instances de réflexion au niveau communautaire (13) et national (14), permirent ainsi de ne conserver, dans le texte final, que les dispositions jugées les plus nécessaires.

Au final, la Directive de 2006 s'inscrit dans un courant international favorable à la compétitivité des entreprises (15), en donnant la possibilité aux Etats membres de les soustraire d'un certain nombre de contraintes coûteuses. Toutefois, une lecture attentive du texte ne manque pas de soulever de nombreuses questions : comment s'articule-t-elle, tout d'abord, avec d'autres Directives qui s'inscrivent dans le cadre du plan d'action pour les services financiers (16) ? Quelles sont, ensuite, les conséquences des options laissées, à dessein, par l'Union européenne, à la discrétion des Etats membres ? Ne s'y trouve-t-il pas en germe, le risque que la marge de manoeuvre qui leur est octroyée, ne nuise à l'harmonisation recherchée ? Ou faut-il alors y voir, en réalité, le souhait à peine voilé de laisser le marché déterminer le droit le plus efficace et le plus compétitif ? Enfin, la France se contentera-t-elle de changer son droit sur les seuls points impératifs de la Directive de 2006 ou se saisira-t-elle des possibilités qui lui sont offertes pour retoucher une partie du droit des sociétés anonymes, voire peut-être le droit des autres sociétés par actions, bien que celles-ci ne soient pas visées par la Directive de 2006 (17) ?

La présente note s'attache à reprendre les thèmes abordés par la Directive de 2006, laquelle doit être transposée au plus tard le 15 avril 2008 : l'évaluation des apports autres qu'en numéraire (I), le rachat d'une société de ses propres actions (II), les avances de fonds par la société à un tiers en vue de l'acquisition de ses propres actions (III), et enfin, les droits des créanciers en cas de réduction du capital (IV).

I - L'évaluation des apports en nature (insertion des articles 10 bis et 10 ter)

L'étude des deux nouveaux articles (10 bis et 10 ter) relatifs à l'évaluation des apports en nature implique de revenir rapidement sur les premières dispositions de la Directive de 1977, afin de mieux comprendre leur portée, notamment à l'égard du droit positif français.

Retour sur les premières dispositions communautaires. La deuxième Directive de 1977 avait pour objet principal le capital des sociétés anonymes, lequel est censé représenter, selon les termes de l'exposée des motifs, le gage des créanciers sociaux (18). La loi de transposition avait prévu, en matière d'évaluation des apports en nature, des précautions tendant à assurer la réalité du capital social sans pour autant modifier en profondeur l'état du droit français (19).

Les rapports précités (20) ont, toutefois, montré que certains aspects de la législation applicable au capital étaient encore trop rigides et coûteux (21). C'est pourquoi la Directive de 2006 a cherché à assouplir la procédure d'évaluation des apports en nature : il s'agit "d'augmenter le nombre de cas dans lesquels ces évaluations ne doivent pas être obligatoires, tout en prenant compte de la nécessité de prévoir des garanties adéquates qui se substitueront à l'obligation d'évaluation"(22).

Les retouches apportées par la Directive de 2006 : donner la possibilité aux sociétés d'attirer des apports autres qu'en numéraire sans obligation d'expertise. Les articles 10 bis et 10 ter de la Directive de 2006 autorisent les Etats membres à supprimer l'obligation d'établir un rapport d'expert, prévue à l'article 10, paragraphes 1, 2 et 3, dans les cas où un point de référence clair existe pour l'évaluation. Trois hypothèses ont été retenues : (i) lorsque l'apport est constitué de valeurs mobilières évaluées au prix moyen pondéré auquel elles ont été négociées sur un ou plusieurs marchés réglementés au cours d'une période suffisante, (ii) lorsque l'apport est constitué de valeurs mobilières qui ont déjà fait l'objet d'une évaluation et, enfin, (iii) lorsque la valeur des actifs qui constitueront l'apport est tirée de comptes certifiés.

Première exemption : l'apport en nature est constitué de valeurs mobilières cotées. Les Etats membres sont autorisés à supprimer l'obligation d'établir un rapport d'expert lorsque, sur décision de l'organe d'administration ou de direction, l'apport est constitué de valeurs mobilières qui sont alors évaluées au prix moyen pondéré auquel elles ont été négociées sur un ou plusieurs marchés réglementés au cours d'une période d'une durée suffisante, à déterminer par la législation nationale, précédant la date effective de l'apport (23).

Reconnaissant, ensuite, que, dans certains cas, le prix déterminé par référence à la moyenne des cours de bourse peut être "affecté par des circonstances exceptionnelles pouvant modifier sensiblement la valeur des actifs à la date effective de l'apport", la Directive de 2006 dispose qu'il convient alors de revenir à la règle de principe, laquelle implique de recourir à une évaluation par un expert indépendant.

Deuxième exemption : l'apport en nature a déjà fait l'objet d'une évaluation par un expert. Les Etats membres peuvent, également, décider de supprimer l'obligation d'établir un rapport d'expert lorsque, sur décision de l'organe d'administration ou de direction, l'apport est constitué d'éléments d'actifs, autres que ceux entrant dans la première exemption, qui ont déjà fait l'objet d'une évaluation à leur juste valeur. Il est, cependant, exigé que cette évaluation ait été effectuée conformément aux principes d'évaluation pertinents, par des experts indépendants, dans les six mois précédant l'apport. Il est, en outre, énoncé que l'organe d'administration ou de direction doit dûment tenir compte des éventuelles modifications substantielles de la valeur des actifs concernés en procédant à leur réévaluation. Enfin, les actionnaires minoritaires qui contesteraient la pertinence de cette évaluation (24) ont la possibilité d'exiger la réalisation d'une nouvelle évaluation par un expert indépendant (25).

Troisième exemption : l'apport en nature est constitué d'actifs dont la valeur est tirée des comptes légaux. Les Etats membres peuvent enfin décider de supprimer l'obligation d'établir un rapport d'expert lorsque, sur décision de l'organe d'administration ou de direction, l'apport est constitué d'éléments d'actifs, autres que ceux entrant dans la première exemption, dont la juste valeur est tirée des comptes légaux de l'exercice financier précédent. Ces derniers doivent avoir été établis conformément à la Directive 2006/43/CE concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés.

Les garanties d'information exigées en cas de recours aux exemptions. Le nouvel article 10 ter prévoit des garanties supplémentaires destinées à compenser l'éventuelle absence d'une évaluation des apports en nature par un expert, sous la forme d'une série d'informations détaillées concernant les actifs apportés ainsi que l'évaluation retenue (26).

Les interrogations laissées en suspens par la Directive de 2006. Avant même que ne fût connue la proposition de Directive de 2006, les consultations organisées par les institutions européennes avaient déjà révélé certaines craintes (27). Le principe fut, toutefois, acquis que la dispense du recours à une expertise était porteuse d'une nouvelle flexibilité qui répond aux attentes des opérateurs économiques (28).

Le contenu de la Directive de 2006 ne manque pourtant pas de soulever de nombreuses interrogations, auxquelles les pouvoirs publics français devront répondre, s'ils font le choix de transposer les trois exemptions présentées ci-dessus. L'analyse détaillée des points retouchés par la Directive permet, en effet, de mettre en lumière certaines difficultés, notamment au regard du droit positif. A ce titre, on montrera que les créanciers sociaux bénéficient d'une protection d'autant moins élevée que le point de référence pour l'évaluation est présumé "juste".

La première exemption : la profession de foi à l'égard du marché réglementé. En ce qui concerne le premier cas d'exemption, l'exception relative à la survenance de circonstances exceptionnelles semble définie "de manière réductrice et trop subjective" (29). En effet, le recours à une expertise indépendante paraît subordonné à l'existence de deux conditions cumulatives. Il faut, d'une part, que la moyenne pondérée des cours de bourse ne reflète pas la valeur des actifs apportés et, d'autre part, qu'aucune circonstance exceptionnelle ne permette d'expliquer cet écart. De plus, la formulation "circonstances exceptionnelles" est loin de briller par sa précision. Le texte cite un exemple -non limitatif- en envisageant l'existence d'une liquidité extrêmement faible. Or, comme il a déjà été relevé à juste titre, cette insuffisance peut ne pas être exceptionnelle sur certaines valeurs pour certaines périodes (30). Enfin, les actionnaires minoritaires pourront regretter que le texte ne leur octroie pas la possibilité de demander une nouvelle évaluation, dans l'hypothèse où l'organe d'administration ou de direction aurait manqué à cette obligation.

Il ressort du premier cas d'exemption, l'impression forte que l'UE a cherché à réduire au maximum les possibilités de recours à l'expertise lorsque l'apport est constitué de valeurs mobilières cotées, comme si, bien que non explicitement avoué, les institutions communautaires avaient estimé que le prix issu des négociations sur les marchés réglementés était, dans presque tous les cas, le plus juste. On peut s'interroger, à cet égard, sur le point de savoir si cette référence faite au marché réglementé ne porte pas atteinte à la concurrence que la Directive "MIF" souhaite promouvoir entre les marchés réglementés et les autres lieux de négociations.

Les deuxième et troisième exemptions : le pouvoir de contestation des minoritaires très encadré. En ce qui concerne les 2ème et 3ème cas d'exemption, on notera que le texte de la Directive de 2006 a été modifié dans le sens des observations faites au cours de consultations (31), c'est-à-dire, dans le sens d'un encadrement -pour ne pas dire réduction- du pouvoir des actionnaires minoritaires. En effet, à l'expression "en tout état de cause" retenue par la proposition de Directive de 2006 (32), a été préféré l'expression "faute d'une telle réévaluation". Avec ce changement, la voie d'une possible contestation du jeu de l'exemption n'est ouverte, semble-t-il, que dans le cas où l'organe d'administration ou de direction ne fait pas procéder, de sa propre initiative, à une nouvelle évaluation des actifs concernés en cas de circonstances nouvelles pouvant modifier sensiblement la juste valeur de l'élément d'actif à la date de l'apport.

D'autre part, le pouvoir de contestation des minoritaires a été limité dans le temps afin d'éviter des réclamations trop tardives, qui remettraient en cause des situations acquises. Il avait été suggéré que "la détermination de ce délai qui commencerait à courir au jour de la publication de la déclaration visée à l'article 10 ter ressortirait de la compétence des Etats membres" (33). Si le principe de la limitation dans le temps a bien été entendu, ses modalités d'application ont, en revanche, fait l'objet d'une formulation relativement sibylline puisque l'alinéa 3 § 2 de l'article 10 bis de la Directive prévoit que "ce ou ces actionnaires peuvent en faire la demande jusqu'à la date effective de l'apport [...]". Que faudra-t-il alors entendre exactement par "date effective de l'apport" ?

Malgré l'encadrement très serré du pouvoir de contestation des actionnaires, ces deux derniers cas d'exemption ont au moins le mérite d'offrir des garanties de protection aux créanciers sociaux et aux associés : (i) délais soucieux d'offrir le reflet de la valeur la plus juste des biens apportés et (ii) actions ouvertes aux actionnaires minoritaires. Aussi faut-il comprendre que les points de référence visés dans ces deux hypothèses ont été jugés plus contestables, au moins virtuellement, que celui de la première exemption. C'est donc une véritable gradation de la protection des actionnaires et des créanciers sociaux qui est organisée par la Directive, laquelle ouvre, plus ou moins strictement, les possibilités de contestation de la mise en oeuvre des exemptions, selon la nature du point de référence considéré. L'ensemble de ces mesures va indiscutablement dans le sens d'un assouplissement du droit que l'on observe d'ailleurs à plus large échelle (34), conformément aux attentes de la pratique. Il est donc fort à parier que les Etats de l'Union européenne ne manqueront pas de transposer ces dispositions facultatives, sources de flexibilité.

L'exercice délicat de transposition de la Directive en droit interne. En ce qui concerne la France, il convient de revenir, un court instant, à l'état du droit positif, afin de mieux apprécier les changements qui résulteraient d'une transposition a maxima de la Directive de 2006.

Le droit positif en matière d'évaluation des apports en nature. Les apports en nature (35), que ceux-ci soient réalisés lors de la constitution de la société ou en cours de vie sociale, connaissent une difficulté qui leur est propre : il s'agit de leur évaluation (36). C'est pourquoi une procédure très réglementée -et parfois contournée en pratique- a été instituée par le législateur pour les sociétés anonymes : la valeur attribuée aux apports doit être appréciée, sous sa responsabilité, par un commissaire aux apports (37). En réponse à ces rigidités, un premier vent de réforme a déjà soufflé en la matière confirmant certaines innovations nées de la pratique, qu'il s'agisse du nouveau régime de la nature des titres remis en contrepartie de l'apport (38) ou de l'échange de titres de capital dans le cadre du régime général de l'apport en nature (39). Le nouveau régime proposé par la Directive s'inscrit donc dans la voie engagée par le législateur français depuis l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004.

Des modifications attendues en cas de transposition a maxima de la Directive. Dans l'hypothèse -assez vraisemblable- où le législateur français choisirait de se saisir des opportunités offertes par la Directive de 2006, il s'agirait, alors, d'un changement notable dans notre droit positif. D'une part, le principe du recours à l'expertise ne souffre actuellement quasiment pas d'exception (OPE exclue). D'autre part, la troisième exemption relative aux comptes certifiés pourrait permettre de s'écarter des conceptions habituellement retenues en matière d'évaluation, laquelle se doit de rechercher la valeur économique réelle de l'apport, c'est-à-dire, sa valeur vénale ou marchande, qui n'est pas nécessairement sa valeur nette comptable (40).

Avec la Directive de 2006, les institutions communautaires semblent avoir voulu offrir, à la discrétion des Etats membres, de nouveaux instruments de flexibilité, plutôt que d'imposer un cadre juridique impératif. Ce souhait cache peut-être aussi la volonté de mettre les droits des Etats membres en compétition, afin que le régime le plus compétitif émerge comme un modèle pour les autres pays. A la lumière d'une analyse "coûts-profits", l'évaluation spéciale par un expert devient discutable dans les cas où un point de référence clair existe déjà pour l'évaluation de cet apport. La difficulté de l'exercice tient, alors, à la détermination des points de référence, ainsi qu'aux moyens de les contester. Les institutions communautaires ont confirmé leur foi dans le fonctionnement des marchés réglementés, sans pour autant trop s'engager : elles ont laissé aux Etats membres le soin de trancher ces questions avant la fin du délai de transposition prévue pour le 15 avril 2008.

Pour la deuxième partie de cet article, lire (N° Lexbase : N2614A9P)

Nicolas Spitz
Avocat au Barreau de Paris
Jean-Baptiste Poulle
Avocat au Barreau de Paris


(1) Directive 2006/68/CE, publiée au JOCE du 25 septembre 2006.
(2) Cet article énonce, notamment, la nécessité de coordonner, "dans la mesure nécessaire et en vue de les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l'article 48, deuxième alinéa pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers".
(3) Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 21 mai 2003, Annexe 2, p. 31.
(4) Simpler Legislation for the Internal Market - Simplification de la Législation sur le Marché intérieur.
(5) Ce groupe a été créé par la Commission en septembre 2001 pour formuler des recommandations en vue de la modernisation du cadre réglementaire constituant le droit européen des sociétés. Les recommandations de ce groupe sont réunies dans le rapport suivant : J. Winter (sous la direction de), Rapport du groupe de haut niveau d'experts en droit des sociétés, "Un cadre réglementaire moderne pour le droit européen des sociétés", 4 novembre 2002, voir spéc. p. 3.
(6) Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 21 mai 2003 : "Modernisation du droit des sociétés et renforcement du gouvernement d'entreprise dans l'Union européenne un plan pour avancer".
(7) Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen du 21 mai 2003, op. cit., p. 21.
(8) La Directive de 2006 a été prise sur le fondement de l'article 44 § 1 du Traité des Communautés européennes.
(9) Commission européenne, exposé des motifs de la proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil du 21 septembre 2004, p. 2.
(10) Cette alternative consiste en l'obligation de réaliser un test de solvabilité et d'obtenir un certificat de solvabilité signé par les administrateurs, préalablement à tout versement de dividendes ou autre forme de distributions aux actionnaires. Cf. Synthèse des réactions à la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen "Modernisation du droit des sociétés et renforcement du gouvernement d'entreprise dans l'Union européenne Un plan pour avancer" (mai 2003), document des services de la direction générale du marché intérieur, 15 novembre 2003 : "[...] l'évocation de l'introduction possible d'un autre régime de capital dans la deuxième Directive sur le droit des sociétés a, en revanche, été vertement critiquée par près de la moitié des répondants qui se sont exprimés sur cette question [...] Ils estiment qu'un changement aussi radical du système applicable au capital légal n'est pas conseillé, car cela entraînerait une perte de transparence et une diminution de la protection offerte aux tiers". Voir, également, le chapitre IV du Rapport Winter.
(11) Synthèse des réactions à la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, op. cit. : "la fixation d'un prix pourrait s'avérer très difficile, en particulier pour les services fournis durant la phase d'établissement, alors qu'aucun marché transparent n'existe encore. Quelques répondants estiment que la proposition porte préjudice au principe de formation du capital et que les services fournis sont éphémères et ne représentent pas une part de la masse des engagements".
(12) Synthèse des réactions à la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, op. cit..
(13) Avis du Comité économique et social européen (le "CESE") sur la proposition de Directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la Directive 77/91/CEE du Conseil en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital, 419ème session plénière des 13 et 14 juillet 2005.
(14) D. Kling, Proposition de Directive sur la constitution des sociétés, le maintien et la modification de leur capital, Proposition de la CCIP, 30 juin 2005.
(15) La pratique des affaires 2007 : grâce aux réformes, le climat des affaires s'améliore, communiqué de presse, Banque Mondiale, 6 septembre 2006. Rapport "Doing Business in 2007", JCP éd. E., 14 septembre 2006.
(16) Voir la communication de la Commission, du 11 mai 1999, sur la "Mise en oeuvre du cadre d'action pour les services financiers : Plan d'action". Directive "Prospectus" 2003/71/CE, du 4 novembre 2003 (N° Lexbase : L4456DMY), Directive "OPA" 2004 /25/CE, du 21 avril 2004 (N° Lexbase : L2413DYZ), Directive "Transparence" 2004/109/CE, du 15 décembre 2004 (N° Lexbase : L5206GUD), la Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d'initiés et les manipulations de cours (la Directive "Abus de Marché") (N° Lexbase : L8022BBQ), Directive 2004/39/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, concernant les marchés d'instruments financiers (la "Directive MIF") (N° Lexbase : L2056DYS).
(17) Article 1er non retouché de la Directive de 1977 en ce qui la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital.
(18) L'intérêt que le capital social peut présenter pour les créanciers n'est toutefois pas évident. Ainsi, a-t-il pu être souligné que l'actif social net présenterait plus d'importance, puisqu'il est le reflet de la solvabilité de la société, alors que, du fait des pertes, le capital peut ne correspondre à rien.
(19) Seul l'article 11 de la Directive de 1977, qui prévoyait de nouvelles dispositions impératives, fut l'objet de modifications en droit interne par l'ajout d'un article 157-1 à la loi du 24 juillet 1966 (loi n° 66-537, sur les sociétés commerciales N° Lexbase : L5857AHE, aujourd'hui codifié à l'article L. 225-101 du Code de commerce N° Lexbase : L5972AIZ), visant à protéger les associés, en assimilant à un apport en nature, l'acquisition par la société d'un bien appartenant à un actionnaire, lorsque cette acquisition se réalise dans les deux ans qui suivent l'immatriculation de la société et porte sur des biens dont la valeur est au moins égale au dixième du capital social. Voir Y. Guyon, La mise en harmonie du droit français des sociétés avec la Directive des communautés européennes sur le capital social, JCP éd. G., I, n° 3067, p.18 ; A. Le Fèvre, La traduction en droit français des sociétés commerciales de la 2ème Directive du conseil des communautés européennes, Revue des Sociétés, 1982, p.16.
(20) Rapport du groupe SLIM de 1999 et Rapport Winter.
(21) Communiqué de la Commission du 14 mars 2006, "Droit des sociétés : la Commission accueille favorablement l'accord du Parlement européen sur une Directive visant à simplifier les modalités de constitution des sociétés et de maintien et de modification de leur capital".
(22) Document de travail de la Commission, commentaire détaillé (article par article) de la proposition COM (2004) de Directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la Directive 77/91/CEE du Conseil en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital.
(23) Au sujet de cette première exemption, on relèvera que les observations du CESE à l'égard de la proposition de Directive de 2006 n'ont pas été suivies. En effet, celui-ci préconisait, tout d'abord, que soit retenue une restriction selon laquelle le prix moyen pondéré soit considéré comme un maximum, les organes de décision ayant la faculté de pratiquer une évaluation différente motivée ; il souhaitait, ensuite, que cette première exemption fût obligatoire, et non, comme c'est le cas à présent, qu'elle fût laissée à la discrétion des Etats membres. On soulignera, par ailleurs, que la proposition de Directive de 2006 prévoyait une évaluation sur la base de leur prix moyen pondéré durant les trois derniers mois, laquelle a finalement été modifiée par une disposition moins rigide -mais plus floue également- puisque le paragraphe 1 de l'article bis prévoit à présent "un délai d'une durée suffisante, à déterminer par la législation nationale". Il reviendra donc aux pouvoirs publics français de déterminer ce qu'il faudra entendre par l'expression "délai d'une durée suffisante".
(24) Il doit s'agir d'un ou plusieurs actionnaires détenant un pourcentage total d'au moins 5 % du capital souscrit de la société au jour de la décision d'augmenter le capital.
(25) Sur ce point, la plupart des observations du CESE ont reçu un écho favorable. En effet, celui-ci estimait qu'il était préférable de supprimer le point (a) de la proposition de Directive de 2006 qui concernait les qualités exigées de l'expert, lequel aurait dû avoir une "une formation et une expérience suffisantes". Cette expression fut jugée trop vague. La Directive de 2006 n'a donc retenu que la qualité suggérée par le CESE : l'expert doit être "indépendant" et "agréé par les autorités compétentes". Par ailleurs, la Commission a allongé la période de référence pour l'évaluation de l'apport, en portant à 6 mois le délai de 3 mois initialement prévu.
(26) Le texte de la Directive de 2006 s'est écarté, à cet égard, des termes de la proposition, lesquels prévoyaient que les Etats membres étaient tenus de désigner une autorité indépendante chargée d'examiner la légalité de ces apports en nature, avec la liberté de choisir soit une autorité administrative, soit une autorité judiciaire, et de désigner une autorité existante ou d'en créer une nouvelle à cette fin. En effet, la présente Directive a préféré exiger que chaque Etat membre fournisse des garanties adéquates -formule beaucoup plus large mais aussi plus floue- quant au respect de la procédure exposée à l'article 10 bis, plutôt que de faire référence à une autorité indépendante appropriée.
(27) A cet égard, on ne manquera pas de citer la synthèse des réactions à la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen où il est clairement exprimé que "certains répondants font valoir que le recours à un prix de marché moyen pondéré n'est pas exempt de certains risques liés à l'étroitesse du marché, à un volume de négociation limité ou à l'existence de distorsions de valeur sur les marchés haussiers comme sur les marchés baissiers. En outre, il convient de tenir compte du fait que, très souvent, le cours boursier des actions investies est inférieur à leur valeur réelle, ce qui pourrait entraîner des corrections immédiates". Cf. Synthèse des réactions à la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, op. cit..
(28) D. Kling, op. cit..
(29) D. Kling, op. cit..
(30) D. Kling, op. cit..
(31) D. Kling, op. cit..
(32) Proposition de Directive du parlement européen et du Conseil du 21 septembre 2004, art. 10 bis § 2, al. 3.
(33) D. Kling, op. cit..
(34) Banque Mondiale, La pratique des affaires 2007 : grâce aux réformes, le climat des affaires s'améliore, Communiqué de presse, 6 septembre 2006.
(35) Sous le nom d'apport en nature, est désigné tout apport de bien ou valeur autre que de l'argent. Cela vise donc tous les biens meubles et immeubles, corporels et incorporels, biens de production qui peuvent être transmis à une société. V. S. Dana-Demaret, JurisClasseur Sociétés Traité, Fasc. 10-10 "Théorie des apports", notion d'apport en société, 19 octobre 2004, p. 9.
(36) En effet, une évaluation exacte des apports en nature s'impose de manière impérative : une surévaluation induit les créanciers sociaux en erreur sur la solvabilité réelle de l'entreprise, puisque le capital social est artificiellement gonflé et ne correspond pas au patrimoine social réel de la société. Mais leur surévaluation, tout comme la sous-évaluation, est également préjudiciable aux associés, puisque la répartition des droits sociaux en serait affectée, ce qui est de nature à compromettre l'équilibre des forces au sein de la société. Seulement, comme il a été souligné : "une difficulté réside dans le fait que si la loi pose le principe d'une évaluation par un technicien expert, elle ne donne aucun critère ni aucune méthode d'évaluation". Voir S. Dana-Demaret, op. cit.
(37) C. com. art., L. 225-8 (N° Lexbase : L5879AIL) et L. 225-147 (N° Lexbase : L8400GQ8). A cet égard, on rappellera que l'ordonnance du 24 juin 2004 portant réforme sur les valeurs mobilières (ordonnance n° 2004-604 N° Lexbase : L5052DZ7) s'est intéressée au contenu de ce rapport, en précisant le délai de la mise à disposition du rapport en faveur des actionnaires (l'alinéa 2 nouveau de l'article L. 225-147 du Code de commerce indique qu'un "décret en Conseil d'Etat fixe les mentions principales de leur rapport, le délai dans lequel il doit être remis et les conditions dans lesquelles il est mis à la disposition des actionnaires". C'est le décret n° 2005-112 du 10 février 2005 (N° Lexbase : L5238G77) qui a modifié les articles 64 (N° Lexbase : L2727AHH) et 169 (N° Lexbase : L2433AHL) du décret n° 67-236 du 23 mars 1967. Par ailleurs, on rappellera que le droit français connaît un certain nombre de règles particulières selon que les actions de la société sont admises à la négociation sur un marché réglementé. En effet, depuis la loi du 8 août 1994 (loi n° 94-679 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier N° Lexbase : L1138ATC), l'augmentation du capital de la société initiatrice d'une OPE est régie par une procédure allégée, écartant la procédure de vérification des apports en nature (C. com., art. L. 225-148 N° Lexbase : L8401GQ9). On relèvera, également, que la nouvelle règle édictée par l'article L. 225-147, alinéa 6, du Code de commerce ne s'applique pas aux sociétés non cotées. Pour ces sociétés, il ne sera donc pas possible de se dispenser de l'obligation d'augmenter le capital immédiatement en cas d'apport en nature, conformément à l'article L. 225-147, alinéa 3. Des auteurs s'interrogent d'ailleurs sur la consécration d'une nouvelle distinction reposant sur l'admission à un marché réglementé. Voir, notamment, M.-A. Frison-Roche, La distinction entre sociétés cotées et sociétés non cotées, Mélanges AEDBF -France, 1997, p. 189 ; A. Pietrancosta, Le droit des sociétés sous l'effet des impératifs financiers et boursiers, éd. Transactive, 2000, n° 1656 et s..
(38) Benoît Le Bars, Le nouveau visage des augmentations de capital par apport en nature, Revue de droit bancaire et financier, n° 5, septembre-octobre 2004, p. 369. En particulier, le nouvel alinéa 5 de l'article L. 225-147 du Code de commerce qui indique que "les titres de capital émis en rémunération d'un apport en nature sont intégralement libérés dès leur émission". Comme le souligne un auteur, "il va donc devenir possible de moduler les droits de l'apporteur en nature en lui octroyant une action de préférence plutôt qu'une action ordinaire".
(39) V. le nouvel alinéa 6 de l'article L. 225-147 du Code de commerce qui prévoit que : "L'assemblée générale extraordinaire d'une société dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé peut déléguer, pour une durée maximale de vingt-six mois, au conseil d'administration ou au directoire les pouvoirs nécessaires à l'effet de procéder à une augmentation de capital, dans la limite de 10 % de son capital social, en vue de rémunérer des apports en nature consentis à la société et constitués de titres de capital ou de valeurs mobilières donnant accès au capital, lorsque les dispositions de l'article L. 225-148 ne sont pas applicables. Le conseil d'administration ou le directoire statue conformément au troisième ou quatrième alinéas ci-dessus, sur le rapport du ou des commissaires aux apports mentionnés aux premier et deuxième alinéas ci-dessus". Voir B. Le Bars, le nouveau visage des augmentations de capital par apport en nature, op. cit..
(40) J.-J. Daigre, Jérôme Turot, Michel Aimé, L'évaluation des apports en nature à une société de capitaux, Actes pratiques, droit des sociétés, n° 19, 1995.

newsid:262605

Consommation

[Jurisprudence] Le critère de l'objectivité dans la publicité comparative du prix des produits

Réf. : Cass. com., 31 octobre 2006, n° 05-10.541, Société Thiers distribution, F-P+B (N° Lexbase : A2026DST)

Lecture: 9 min

N2559A9N

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208709-edition-n-238-du-30112006#article-262559
Copier

Le 07 Octobre 2010

La Cour de cassation vient de rendre un arrêt sur le thème, désormais récurrent, de la publicité comparative des prix, quelques jours avant la réouverture du site internet "quiestlemoinscher.com" par l'enseigne "E. Leclerc". Ouvert depuis le 22 mai 2006, ce site, qui permet aux consommateurs de comparer les prix pratiqués par les principales enseignes de la grande distribution, avait été fermé, à compter du 8 juin 2006, à la suite d'une ordonnance rendue le 7 juin 2006 (N° Lexbase : A6409DS8) par le Président du tribunal de commerce de Paris sur le fondement de la publicité comparative illicite (C. consom., art. L. 121-8 N° Lexbase : L6572ABZ). L'arrêt rendu par la Cour de cassation le 31 octobre 2006 se situe dans le prolongement de cette affaire. A Thiers, une grande surface à l'enseigne "LIDL" a constaté, fin 2001, qu'un supermarché à l'enseigne "Leclerc", situé à environ 400 mètres de son magasin, avait procédé à l'affichage, en dehors de son magasin, d'une étude comparative des prix pratiqués par les deux enseignes sur un échantillon d'articles. Cette affiche, présentée sous la forme de deux tableaux établis à partir de prix relevés les 17 et 29 décembre 2001 dans les deux grandes surfaces concernées, était accompagnée des slogans "comparez" et "ceci n'est qu'un extrait de relevés, faîtes votre comparaison".

Se fondant principalement sur le caractère illicite de la publicité, la société LIDL a assigné la société Thiers Distribution, qui exploite le supermarché à l'enseigne "Leclerc". Déboutée en première instance au motif que la comparaison pouvait porter exclusivement sur des prix, la société LIDL a fait appel. La Cour de cassation, par un arrêt confirmatif du 31 octobre 2006, fait droit à la société LIDL sur le fondement de l'article L. 121-8 du Code de la consommation.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation réaffirme qu'une publicité comparative portant exclusivement sur les prix doit être objective tant au niveau des produits sélectionnés, que de la différence de prix annoncée. Avant de réaliser une telle publicité comparative, un annonceur doit procéder à une analyse objective des produits afin de pouvoir justifier d'une différence objective des prix.

Après un rappel du contexte législatif et réglementaire dans lequel a été rendu cet arrêt (I), nous reviendrons sur sa portée (II).

I - Cadre de la publicité comparative du prix des produits

Longtemps considérée comme déloyale, la comparaison des prix pratiqués par les concurrents a, d'abord, été admise par la jurisprudence (A), avant d'être consacrée par le législateur (B).

A - Evolution jurisprudentielle de la publicité comparative du prix des produits

1 - Avant 1986

Pendant longtemps, aucune disposition législative française ne régissait expressément la publicité comparative. Pour pallier cette absence, les juges ont fait une application extensive de la théorie de la concurrence déloyale, en condamnant systématiquement toute comparaison susceptible de porter préjudice à un concurrent. La publicité comparative réalisée par un concurrent était, en effet, systématiquement condamnée sur le fondement du droit des marques, de la concurrence déloyale (dénigrement et parasitisme) ou de la publicité trompeuse.

Pour les juges, la comparaison était subjective et orientée dans l'intérêt de l'annonceur auteur de la publicité comparative. Seule une comparaison, ne permettant pas d'identifier directement ou indirectement un concurrent déterminé, était jugée licite.

Cette conception a été maintenue jusqu'au 22 juillet 1986.

2 - Après 1986

Le 22 juillet 1986, la Cour de cassation a précisé que "n'est pas illicite une publicité qui, se borne à la comparaison des prix auxquels des produits identiques sont vendus, dans les mêmes conditions, par des commerçants différents, contribuant ainsi à assurer la transparence d'un marché soumis à la concurrence" (1).

Cette décision, qui a permis de libérer la publicité comparative, a, toutefois, maintenu des conditions strictes à sa licéité : pour être licite, une publicité comparative devait porter sur les prix de produits identiques vendus dans les mêmes conditions et par des commerçants différents.

Par la suite, plusieurs décisions ont sanctionné des publicités comparatives, au motif qu'elles ne comparaient pas des produits strictement identiques. Ainsi, la cour d'appel de Paris a condamné, le 8 décembre 1999, le magazine "Voici" pour avoir procédé à des comparaisons de vêtements de marque de luxe avec des vêtements de même genre mais vendus par des sociétés de grande diffusion (2).

B - Evolution législative de la publicité comparative du prix des produits

1 - Avant l'ordonnance du 23 août 2001

La loi du 18 janvier 1992, reprenant la portée de l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 22 juillet 1986, limitait la comparaison de prix à des produits strictement identiques vendus dans les mêmes conditions. En pratique, étaient concernés les produits ayant le même code barre. Une publicité comparative sur les prix était donc licite sous réserve de respecter les trois conditions suivantes :

- la publicité comparative devait porter sur des produits identiques ;
- ces produits devaient être vendus dans les mêmes conditions ;
- la publicité devait indiquer la durée des prix publiés par l'annonceur comme étant les siens.

Sous l'influence européenne, la législation française sur la publicité comparative a été profondément modifiée par la Directive européenne du 6 octobre 1997 (3), transposée en France par l'ordonnance du 23 août 2001 (4).

2 - Après l'ordonnance du 23 août 2001

Dans sa version actuelle (5), l'article L. 121-8 du Code de la consommation n'autorise un annonceur à faire une publicité comparative que si elle n'est pas trompeuse et de nature à induire en erreur, si elle porte sur des biens ou des services de même nature, disponibles sur le marché. La comparaison doit être objective et porter sur des caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives du bien ou du service et ne peut avoir pour objet principal de tirer avantage de la notoriété attachée à une marque. Lorsque la publicité mentionne une offre spéciale, elle doit indiquer la durée pendant laquelle l'offre est maintenue ainsi que les conditions spécifiques éventuelles.

Le critère lié à l'identité entre les produits a été remplacé par la condition relative à une comparaison des produits portant "sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif".

Se situant dans le prolongement de cette évolution, l'arrêt commenté tente, une nouvelle fois, de concilier concurrence entre les différents opérateurs économiques et information des consommateurs afin que ces derniers puissent faire un choix éclairé, non pas seulement en raison des prix des produits comparés mais, également, en raison des spécificités et des caractéristiques des produits concernés.

II - Portée de l'arrêt : l'objectivité comme principal critère

A une comparaison objective des produits sélectionnés (A) doit correspondre une différence objective de prix (B). Pour la Cour de cassation, une comparaison ne peut s'appuyer sur des opinions ou des appréciations individuelles ou collectives. La comparaison subjective est interdite que celle-ci résulte de celui qui l'énonce ou des critères choisis par l'annonceur.

A - Comparaison objective des produits

1 - Des produits répondant strictement aux mêmes besoins

La Cour de cassation, reprenant le raisonnement de la cour d'appel, a vérifié si les produits comparés par le supermarché à l'enseigne "Leclerc" répondaient de manière objective aux attentes d'un consommateur. Aussi, la Cour de cassation apprécie le degré d'information du consommateur lorsqu'il est confronté à une publicité comparative. Avant de faire son choix entre tel ou tel supermarché, l'annonceur doit permettre aux consommateurs de connaître les produits concernés par la comparaison. La seule référence au prix d'un produit, appréhendé de manière générale par famille de produits, est manifestement insuffisante au regard de l'article L. 121-8 du Code de la consommation.

La Cour de cassation reproche, en effet, à la société Leclerc d'avoir fait une comparaison entre différents produits (à savoir "l'huile d'olive, le maïs, le thon listao, le café déca moulu, les croquettes de viande, la bière blonde, le cassoulet, la pâte à tartiner, le camembert, le champagne") "sans autre précision" alors que "la comestibilité de chacun de ces produits, en tout cas le plaisir qu'on a à les consommer, varie du tout au tout selon les conditions et les lieux de leur fabrication, selon les ingrédients mis en oeuvre, selon l'expérience du fabricant [...]". En d'autres termes, la comparaison des produits ne doit pas se limiter à des familles de produits mais doit, au contraire, s'attacher, comme le fait un consommateur moyen, aux spécificités d'un produit.

En l'espèce, les indices ou éléments servant de base à la comparaison des produits n'étaient pas suffisamment exhaustifs pour permettre à un consommateur de faire un choix éclairé. Par exemple, un consommateur qui souhaite acheter une bouteille de champagne ne prend pas seulement en considération le prix auquel cette bouteille est vendue mais s'intéresse à l'année de sa récolte, à sa méthode de vinification, à la région géographique concernée, à son terroir, aux particularités de son élaboration...

La Cour de cassation reproche donc au supermarché à enseigne "Leclerc" d'avoir agi de manière subjective en procédant à une comparaison des prix à partir d'un échantillon non significatif de produits. Pour la Cour de cassation, la concurrence entre les distributeurs ne doit pas se faire au détriment de l'information du consommateur. Un annonceur ne doit pas faire croire aux consommateurs qu'il trouvera chez lui le meilleur prix pour tel ou tel produit ou famille de produit, alors que le produit comparé n'est pas représentatif de la diversité des goûts des consommateurs.

2 - Encadrement strict de la liberté des annonceurs

L'arrêt du 31 octobre 2006 donne aux annonceurs la marche à suivre lorsqu'ils procèdent à une publicité comparative portant sur les prix des produits.

En effet, certains annonceurs sont, parfois, tentés de partir du prix des produits avant de sélectionner, souvent à leur avantage, un échantillon de produits. Une telle méthode est subjective et trompe le consommateur. Au contraire, un annonceur doit d'abord sélectionner un panel de produits représentatifs des attentes des consommateurs et y appliquer les prix habituellement pratiqués.

Ce raisonnement s'inscrit dans le droit fil d'une jurisprudence européenne qui a récemment précisé que "l'article 3 bis, paragraphe 1, sous b), de la directive doit être interprété en ce sens qu'elle ne s'oppose pas à ce qu'une publicité comparative porte collectivement sur des assortiments de produits de consommation courante commercialisés par deux chaînes de grands magasins concurrentes pour autant que lesdits assortiments soient constitués, de part et d'autre, de produits individuels qui, envisagés par paires, satisfont individuellement à l'exigence de comparabilité que pose cette disposition" (6).

B - Différence objective de prix

1 - De l'écart moyen entre les prix des produits comparés...

Pour la Cour de cassation, une publicité comparative, qui met en avant, notamment par des tableaux de prix, un écart même insignifiant de prix pouvant exister entre un produit A et un produit B, peut tromper le consommateur. Une telle comparaison peut, en effet, conduire un consommateur à penser qu'à produit équivalent, les prix appliqués par les distributeurs sont différents.

Pourtant, la différence de prix peut, notamment, s'expliquer par le fait que les produits, en apparence identiques, sont différents en raison de la qualité des ingrédients utilisés, du savoir-faire mis en oeuvre pour la réalisation du produit ou des conditions de fabrication. Autant de spécificités et de particularités qu'un annonceur doit prendre en considération lorsqu'il fait une publicité comparative.

L'écart moyen de prix, sans aucune autre information, ne reflète donc pas, selon la Cour de cassation, les différences réelles de prix entre deux produits.

2 - ...à la différence réelle de prix

La Cour de cassation fait une distinction fondamentale entre écart moyen du prix des produits comparés et différence réelle de prix.

En ce sens, elle confirme l'appréciation de la Cour de justice des Communautés européennes qui avait précisé, le 8 avril 2003, que l'objectivité d'une publicité comparative "implique que les personnes auxquelles s'adresse la publicité puissent avoir connaissance des différences réelles de prix des produits comparés et pas seulement de l'écart moyen entre les prix pratiqués par l'annonceur et ceux pratiqués par le concurrent" (7).

Si cette distinction est nécessaire à une information complète des consommateurs, les conséquences qui en découlent risquent de compliquer la tâche des annonceurs souhaitant procéder à une publicité comparative. En effet, comment savoir précisément ce que recoupe la différence "réelle" de prix ? Quels éléments conditionneront, aux yeux de la Cour de cassation, la licéité d'une publicité comparative ?

Même si la Cour de cassation donne quelques indices sur la réalité de la différence de prix qui existe entre des produits, tels que les conditions et les lieux de fabrication, les ingrédients utilisés et l'expérience du fabricant, cela pourrait s'avérer insuffisant. La Cour de cassation réinsuffle, bien malgré elle, de la subjectivité dans sa décision. En effet, les particularités et les spécificités d'un produit comparé pourront varier en fonction de l'annonceur : un annonceur doit-il privilégier l'origine géographique d'un produit ou le savoir-faire d'un fabricant ?

En réalité, la Cour de cassation impose, désormais, aux annonceurs, désireux de faire une publicité comparative, d'être le plus exhaustif possible en indiquant toutes les raisons, spécificités et particularités justifiant que les biens comparés répondent aux mêmes besoins ou ont le même objectif.

Reste à savoir si les annonceurs auront bien compris le message...

Romain Bourgade
Avocat à la cour


(1) Cass. com, 22 juillet 1986, n° 84-12.829, Société anonyme Carrefour Bourges c/ Société anonyme dite "SRGM Groupe Arlaud" Etablissement (N° Lexbase : A0681AHP).
(2) CA Paris, 8 décembre 1999, LPA 17 novembre 2000, n° 230.
(3) Directive européenne 97/55/CE, du 6 octobre 1997, modifiant la Directive 84/450/CEE (N° Lexbase : L9577AUA) sur la publicité trompeuse afin d'y inclure la publicité comparative (N° Lexbase : L8309AUB), JOCE n° L290, 23 octobre 1997, p. 18.
(4) Ordonnance n° 2001-741, du 23 août 2001, portant transposition de Directives communautaires et adaptation au droit communautaire en matière de droit de la consommation (N° Lexbase : L2527ATR), JO 25 août 2001, p. 13 645.
(5) C. consom., art. L. 121-8 : "Toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si :
1º Elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ;
2º Elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ;
3º Elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie.
Toute publicité comparative faisant référence à une offre spéciale doit mentionner clairement les dates de disponibilité des biens ou services offerts, le cas échéant la limitation de l'offre à concurrence des stocks disponibles et les conditions spécifiques applicables
".
(6) CJCE, 19 septembre 2006, aff. C-356/04, Lidl Belgium GmbH & Co KG c/ Etablissement Franz Colruyt NV (N° Lexbase : A2084DRM).
(7) CJCE, 8 avril 2003, aff. C-44/01, Pippig Augenoptik GmbH & Co KG c/ Hartlauer Handelsgesellschaft mbH (N° Lexbase : A6694A73).

newsid:262559

Avocats

[Manifestations à venir] LEXPOSIA 2006 - Programme de la matinée de l'ADIJ du jeudi 7 décembre 2006

Lecture: 1 min

N2613A9N

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208709-edition-n-238-du-30112006#article-262613
Copier

Le 07 Octobre 2010


9h30- 10h45 : Conférence "e-learning et professionnels du droit", animée par Jean-François Figuié, Secrétaire général de l'ADIJ, Editions Juridiques Lexbase

Avec pour intervenants :

  • Monsieur le Professeur Yann Tanguy, Président honoraire de l'Université de Nantes, Délégué général de l'université numérique juridique francophone ;
  • Monsieur Denis Genest, Administrateur de l'ADIJ, Senior Manager PricewaterhouseCoopers ;
  • Monsieur Gérard Nicolaÿ, Directeur de l'EFB de Paris ;
  • Monsieur Philippe Bazin, Avocat au Barreau de Rouen, animateur de l'atelier de l'ADIJ sur la signature électronique.

10h45 - 11h00 : Remise du prix ADIJ "Cyber blogueur", par Michèle Côme, Vice-Présidente de l'ADIJ

11h00 - 12h00 - Assemblée générale de l'ADIJ

Discours de clôture par Yves Repiquet, Bâtonnier du Barreau de Paris

Programme complet et inscription au salon Lexposia 2006 : http://www.technijuris.com

newsid:262613

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence équivaut à une absence de contrepartie

Réf. : Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 04-46.721, Société Comasud, FS-P+B (N° Lexbase : A3326DSY)

Lecture: 7 min

N2412A99

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208709-edition-n-238-du-30112006#article-262412
Copier

Le 07 Octobre 2010

En affirmant, dans un arrêt rendu le 15 novembre dernier, qu'une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence contenue dans un contrat de travail équivaut à une absence de contrepartie, la Cour de cassation ne surprendra personne. Cette solution était, en effet, prévisible et, pour tout dire, attendue. Elle n'en suscite pas moins de grandes incertitudes relativement à sa mise en oeuvre, dans la mesure où il reste difficile, pour ne pas dire impossible, de déterminer objectivement où se situe le seuil de la contrepartie dérisoire. Cette décision donne également l'occasion à la Chambre sociale de rappeler que le respect par un salarié d'une clause de non-concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier le montant.


Résumé

Une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence contenue dans un contrat de travail équivaut à une absence de contrepartie. Le respect par le salarié d'une clause de non-concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier le montant.

Décision

Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 04-46.721, Société Comasud, FS-P+B (N° Lexbase : A3326DSY)

Rejet (CA Grenoble, ch. soc., 28 juin 2004)

Texte concerné : C. trav., art. L. 120-2 (N° Lexbase : L5441ACI)

Mots-clés : clause de non-concurrence ; conditions de validité ; contrepartie pécuniaire ; caractère dérisoire.

Lien bases :

Faits

M. Dittmar, engagé le 2 juillet 1989 par la société Monier, aux droits de laquelle vient la société Comasud, a démissionné le 30 novembre 2002. Son contrat de travail contenait une clause de non-concurrence lui interdisant d'exercer, directement ou indirectement, une activité susceptible de concurrencer la société, pendant 2 ans, dans le département ainsi que dans trois départements limitrophes. La clause prévoyait la perception d'une indemnité spéciale à la fin de la durée de non-concurrence, "égale à un dixième du salaire brut perçu au mois de janvier de la dernière année d'activité au sein de la société, durant le nombre de mois composant la période de non-concurrence". Contestant la validité de cette clause, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

La cour d'appel a fait droit à cette demande en décidant que la contrepartie financière prévue au contrat, qui ne s'élevait qu'à l'équivalent de 2,4 mois de salaire pour une durée d'exécution de la clause de non-concurrence de 24 mois, était dérisoire, eu égard aux importantes restrictions auxquelles était soumis le salarié, disproportionnées par rapport à l'indemnité mensuelle qui devait en être la contrepartie.

Solution

Rejet du pourvoi

"Mais attendu qu'une contrepartie financière dérisoire à la clause de non-concurrence contenue dans un contrat de travail équivaut à une absence de contrepartie".

"Et attendu, d'abord, que la cour d'appel qui a constaté que la contrepartie financière prévue au contrat de travail était dérisoire, a légalement justifié sa décision".

"Attendu, ensuite, que le respect par le salarié d'une clause de non-concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier le montant".

Observations

1. L'exigence d'une contrepartie financière à la charge de l'employeur

  • Montant de la contrepartie financière

Voilà maintenant plus de 4 ans, la Cour de cassation décidait de subordonner la validité des clauses de non-concurrence au versement d'une contrepartie pécuniaire (Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.135, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1225AZE ; Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 00-45.387, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A1227AZH ; Cass. soc., 10 juillet 2002, n° 99-43.334, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0769AZI, lire Ch. Radé, Clauses de non-concurrence : l'emprise des juges se confirme, Lexbase Hebdo n° 41 du 3 octobre 2002 - édition sociale N° Lexbase : N4139AAK).

Cette exigence, qui trouve son fondement dans l'atteinte portée par l'obligation de non-concurrence à la liberté du travail du salarié, a suscité, par la suite, un abondant contentieux qu'explique, dans une très large mesure, le caractère rétroactif du revirement de jurisprudence opéré par les arrêts du 10 juillet 2002 (1).

L'exigence d'une contrepartie pécuniaire étant acquise dans son principe, la question de son montant devait immanquablement se poser. A ce titre, on pouvait raisonnablement avancer que le juge serait amené à décider qu'une contrepartie dérisoire équivaut à une absence de contrepartie, entraînant en conséquence la nullité de la clause de non-concurrence (v., en ce sens, P.-H. Antonmattéi, Les clauses du contrat de travail, Ed. Liaisons, 2005, p. 94). C'est donc sans grande surprise que la Cour de cassation vient, dans l'arrêt commenté, reprendre à son compte cette assertion. Attendue, la solution est, en outre, parfaitement justifiée : compte tenu du caractère essentiel des valeurs que l'exigence de contrepartie pécuniaire entend sauvegarder, on ne peut tolérer que celle-ci soit réduite à une somme symbolique. Cela étant, et le problème n'est pas mince, il reste, désormais, à se demander où se situe le seuil de la contrepartie dérisoire (2).

Il convient, à ce propos, de relever que de nombreuses conventions collectives fixent un montant minimum à la contrepartie financière. Les parties au contrat de travail, et spécialement l'employeur, doivent cependant se garder de considérer que le respect de ces planchers conventionnels suffit à assurer la validité de la clause de non-concurrence. Dans la mesure où ces derniers sont parfois très bas (3), ils peuvent être considérés comme dérisoires. On l'aura donc compris, il appartient dans tous les cas aux parties de veiller à ce que le montant de la contrepartie pécuniaire soit conséquent afin d'éviter l'annulation de la clause de non-concurrence par le juge en raison de son caractère dérisoire.

Dans l'espèce considérée, la contrepartie pécuniaire était "égale à un dixième du salaire brut perçu au mois de janvier de la dernière année d'activité au sein de la société, durant le nombre de mois composant la période de non-concurrence". En d'autres termes, et compte tenu du fait que l'obligation de non-concurrence avait une durée de 2 ans, la contrepartie correspondait à l'équivalent de 2,4 mois de salaire. Un montant que les juges d'appel, approuvés en cela par la Cour de cassation, ont jugé dérisoire. Si l'on est bien obligé de prendre acte de cette solution (4), on peut, en revanche, trouver contestable la motivation retenue par les juges du fond, en ce qu'elle semble témoigner d'un certain contrôle de proportionnalité.

  • Vers un contrôle de proportionnalité ?

Sous réserve que la contrepartie financière ne soit dérisoire, exigence que l'on ne peut qu'approuver, les parties au contrat de travail disposent a priori d'une bonne marge de manoeuvre pour fixer le montant de celle-ci. Ainsi que le souligne cependant à juste titre M. Antonmatéi, cette liberté pourrait être singulièrement bridée si "le juge s'en mêle par un contrôle de proportionnalité". Or, en l'espèce, il apparaît que la cour d'appel saisie du litige s'est livrée à un tel contrôle, sans pour autant émouvoir la Cour de cassation.

Rappelons, en effet, que pour annuler la clause de non-concurrence, les juges d'appel ont décidé que "la contrepartie financière prévue au contrat qui ne s'élevait qu'à l'équivalent de 2,4 mois de salaire pour une durée d'exécution de la clause de non-concurrence de 24 mois était dérisoire, eu égard aux importantes restrictions auxquelles était soumis le salarié, disproportionnées par rapport à l'indemnité mensuelle qui devait en être la contrepartie". Sans doute un tel contrôle de proportionnalité peut-il trouver un fondement juridique dans l'article L. 120-2 du Code du travail. Certains ne manqueront pas, toutefois, de relever le caractère extrêmement contestable de cette immixtion judiciaire, susceptible de fragiliser de nombreuses clauses de non-concurrence (5).

Il est vrai que si un tel contrôle de proportionnalité venait à être établi, ce que la décision commentée ne permet évidemment pas d'affirmer, il pourrait en résulter une grande insécurité juridique. Comment, en effet, être certain que le montant de la contrepartie financière, sans être dérisoire, est cependant proportionné à l'obligation de non-concurrence ?

2. Le respect d'une clause de non-concurrence illicite par le salarié

  • Une présomption de dommage

Dans un important arrêt rendu le 11 janvier 2006, commenté dans ces mêmes colonnes, la Cour de cassation a solennellement affirmé que "le respect par un salarié d'une clause de non-concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice" (Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 03-46.933, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3385DMC ; et notre chron. éponyme, Le respect par un salarié d'une clause de non-concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice, Lexbase Hebdo n° 199 du 26 janvier 2006 - édition sociale N° Lexbase : N3518AKI).

Il existe donc en la matière une véritable présomption de dommage. Par suite, et contrairement à ce qu'avançait la partie requérante dans l'espèce sous examen, le salarié n'a pas à établir l'existence d'un préjudice direct et certain causé par l'illicéité d'une clause de non-concurrence pour défaut de contrepartie financière. Ainsi que le rappelle la Chambre sociale, dans la mesure où le respect par le salarié d'une clause de non-concurrence illicite lui cause nécessairement un préjudice, il appartient au juge d'en apprécier le montant.

  • Montant de l'indemnisation

L'appréciation du montant des dommages-intérêts étant abandonnée à l'appréciation souveraine des juges du fond, il va de soi qu'elle variera en fonction de la juridiction saisie. On peut souligner à ce propos que, dans un arrêt un peu curieux, la Cour de cassation n'a rien trouvé à redire à une décision des juges du fond fixant le montant des dommages-intérêts à la somme prévue au profit de l'employeur en cas de violation de la clause par le salarié (c'est-à-dire au montant de la clause pénale), soit, en l'espèce, 327 691,42 francs (49 956,23 euros) (Cass. soc., 29 avril 2003, n° 01-42.026, Société Scopie c/ Mme Nadège Faure, publié N° Lexbase : A0274B7B ; Dr. soc. 2003, p. 772, obs. crit. Ch. Radé) (6) !

Au total, on doit avouer que l'arrêt rendu le 15 novembre 2006 laisse un sentiment mitigé. Pour être parfaitement justifiée sur le plan juridique, la solution retenue laisse planer de grandes incertitudes, principalement quant au fait de savoir quel doit être le juste montant d'une contrepartie financière. Incertitudes dont on ne saurait, cependant, faire reproche à la Cour de cassation, juge du droit et non du fait.

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV


(1) Cela étant, nombre de conventions collectives de branche avaient pris les devants, en imposant, bien avant cette date, le versement d'une contrepartie financière à la charge de l'employeur. Tel était, semble-t-il, le cas dans l'espèce commentée, la convention collective du négoce de matériaux de construction prévoyant le principe d'une contrepartie, mais en l'abandonnant à la libre négociation des parties au contrat de travail. Respectant les stipulations conventionnelles, les parties avaient donc assorti la clause de non-concurrence d'une contrepartie pécuniaire.
(2) Ainsi que le relève le Professeur Antonmattéi, la question d'une contrepartie excessive n'est pas non plus à exclure (op. cit., pp. 94-95 et la jp. citée).
(3) En raison, notamment, du fait que beaucoup de ces conventions ont été conclues à une époque où le versement d'une contrepartie pécuniaire n'était pas exigé par la Cour de cassation.
(4) On pourra, évidemment, toujours discuter du caractère dérisoire de ce montant qui, à notre sens, ne relevait pas ici de l'évidence...
(5) P.-H. Antonmattéi, op. cit., p. 95.
(6) A la différence de la contrepartie pécuniaire de l'obligation de non-concurrence, assimilée à un salaire, ces dommages-intérêts ont une nature indemnitaire. V., sur cette question, Cass. soc., 19 octobre 2005, n° 03-46.592, Société Bureau moderne informatique et négoce interprofessionnel (BMINI) c/ M. Michel Bouchaud, F-P (N° Lexbase : A0249DLS) et les obs. de Ch. Radé, Précisions sur la nature de la contrepartie pécuniaire de l'obligation de non-concurrence, Lexbase Hebdo n° 187 du 27 octobre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N9995AIZ).

newsid:262412

Sociétés

[Textes] Les modifications de la deuxième Directive concernant le capital social des sociétés anonymes et le droit français (deuxième partie)

Réf. : Directive 2006/68 du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006, modifiant la Directive 77/91/CEE du Conseil en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (N° Lexbase : L2062HS8)

Lecture: 7 min

N2614A9P

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208709-edition-n-238-du-30112006#article-262614
Copier

Le 07 Octobre 2010

Après avoir été soumise au Conseil des ministres de l'Union européenne (ou "UE") et au Parlement européen en vue de son adoption dans le cadre de la procédure de codécision, la Directive 2006/68/CE du 6 septembre 2006 (1) (la "Directive de 2006"), modifiant la Directive 77/91/CEE du Conseil du 13 décembre 1976 (en sa forme initiale, la "Directive de 1977", et, en sa forme amendée, la "Directive") (Directive du N° Lexbase : L9266AUQ), poursuit la construction du droit des sociétés européen, sur l'un des premiers chantiers abordés par l'UE : la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (cf. Les modifications de la deuxième Directive concernant le capital social des sociétés anonymes et le droit français (première partie) N° Lexbase : N2605A9D). II - Rachat d'actions propres (modification de l'article 19)

Maintien des principes et réorganisation du premier paragraphe de l'article 19. La possibilité pour les Etats membres d'autoriser les sociétés à acheter leurs propres actions est maintenue par la Directive de 2006. Cependant, le premier paragraphe de l'article 19 est réorganisé pour distinguer deux séries de conditions auxquelles sont soumises les sociétés qui désirent procéder à cette opération.

Les conditions appartenant à la première série sont devenues impératives mais restent limitées au nombre de trois (2) : (i) l'organe d'administration ou de direction effectue l'achat des actions selon les modalités fixées par l'autorisation de l'assemblée générale ; (ii) le montant des actions détenues en propre ne doit pas excéder le montant des réserves distribuables (3) ; et (iii) les actions rachetées ont été entièrement libérées (4).

La limite imposée à l'acquisition de ses propres actions est plus précisément fixée de telle sorte que l'actif net ne devienne pas inférieur au montant du "capital souscrit, augmenté des réserves que la loi ou les statuts ne permettent pas de distribuer" (5). Les réserves légales étant fixées par chaque Etat membre (6), il n'existe pas une harmonisation parfaite sur ce point.

Les conditions appartenant à la deuxième série sont laissées à la libre appréciation des Etats membres. Elles concernent : (i) le plafonnement du montant des actions rachetées en proportion du capital souscrit ; (ii) la publicité faite dans les statuts de la société des modalités relatives à l'autorisation accordée par l'assemblée générale de racheter des actions ; (iii) les obligations d'information et de notification ; (iv) les conditions d'annulation des actions rachetées ; et (v) le fait de ne pas compromettre le désintéressement des créanciers.

Des principes plus strictement encadrés. Les principes étant maintenus, la Directive de 2006 se contente de jouer sur les termes de l'économie actuelle du rachat d'actions : d'une part, elle accorde plus de flexibilité aux sociétés mais, d'autre part, elle impose le respect de l'égalité des actionnaires et des dispositions de la Directive "Abus de Marché" (7).

Le respect "de l'égalité de traitement de tous les actionnaires se trouvant dans la même situation". La mention par la Directive de 2006 de l'obligation de respecter le principe d'égalité des actionnaires lors de l'achat par une société de ses actions engendrera-t-elle des modifications des dispositions françaises ? Le respect de ce principe n'est actuellement pas absolu : plusieurs cas de rupture ont été identifiés (8). Deux illustrations de cette rupture méritent ici d'être rappelées. En premier lieu, les sociétés cotées avaient, tout d'abord, la possibilité d'acheter des actions hors marché à des conditions financières plus favorables que celles dont bénéficie tout actionnaire qui vend ses titres sur le marché. Ainsi, les actionnaires qui cédaient leurs actions à la société pouvaient obtenir un prix plus élevé que sur le marché. Cependant, l'application par l'Autorité des marchés financiers (9) ("l'AMF") de l'encadrement du prix de rachat prévu par le Règlement d'application de la Directive "Abus de Marché" écarte désormais cette rupture d'égalité entre actionnaires. Alors que cette Directive ne vise pas directement ce principe d'égalité, l'AMF a, en effet, adopté une interprétation qui anticipe les exigences posées par la Directive de 2006 (10). En second lieu, lorsque les actions rachetées étaient ensuite annulées, le respect des règles protectrices de réduction du capital, notamment l'article L. 225-204 du Code de commerce (N° Lexbase : L8295GQB), n'allait pas de soi (11). Pourtant, l'égalité n'était pas maintenue entre les actionnaires, dans la mesure où seuls ceux qui bénéficient du rachat sont dispensés de contribuer aux pertes futures. Ainsi, l'insertion du principe d'égalité des actionnaires, lors de l'achat par une société de ses propres actions, précise une contrainte qui n'était jusqu'alors ni explicite ni absolue.

Le principe d'égalité des actionnaires a cependant une portée plus réduite que celle envisagée par la proposition de Directive de 2006 dont l'article 19 § 1 d) mentionne tant l'acquisition que la vente par une société de ses propres actions. Or, l'article 19 de la Directive de 2006 ne vise que les acquisitions, excluant ainsi de son champ d'application les éventuelles ruptures d'égalité lors de la cession, notamment hors marché, des actions auto-détenues (12).

Qui plus est, la présomption de conformité au principe d'égalité accordée aux acquisitions et cessions effectuées sur un marché réglementé au sens de la Directive "MIF" n'est pas reprise par la Directive de 2006. Les règles européennes ne donnent donc, sur ce point, aucune préférence à la réalisation de la cession des actions auto-détenues sur un tel marché.

Enfin, l'égalité entre les actionnaires était assurée par la réalisation des opérations d'achats sur un marché réglementé. Il était en effet admis que si les actionnaires ont la possibilité d'acheter et de vendre à des conditions identiques (sous réserve d'exceptions notables (13)) sur ce même marché en raison de l'obligation de concentration (14), l'achat par un émetteur de ses propres titres sur un tel marché ne contrevient pas au principe d'égalité. L'hypothèse, fondamentale pour le raisonnement, de l'obligation de concentration ayant vocation à disparaître à la suite de la transposition de la Directive MIF, on peut se demander si la théorie du marché écran reste suffisante pour garantir à l'avenir le respect du principe d'égalité des actionnaires lors de l'exécution des programmes de rachat d'actions.

Le respect de la Directive "Abus de Marché". L'article 19 de la Directive rappelle aussi l'obligation de respecter la Directive "Abus de Marché". Les programmes de rachat d'actions mis en oeuvre par les sociétés cotées ont, en effet, fortement évolué sous son influence : ils sont maintenant soumis à des conditions strictes et à des finalités précises que ces sociétés doivent respecter pour bénéficier d'une présomption de légitimité au regard de l'infraction de manipulation de cours. Le régime de liberté introduit en France en 1998 (15) est ainsi sérieusement remis en cause (16).

L'assouplissement facultatif des modalités de mise en oeuvre. En contrepartie de l'obligation de respecter ces nouvelles règles, la Directive de 2006 apporte un certain nombre d'assouplissements facultatifs, notamment sur la durée de la délégation et sur le plafonnement du montant des actions rachetées.

La durée de la délégation. La durée de l'autorisation relative au programme de rachat d'actions était fixée par l'assemblée générale dans la limite de 18 mois (17). Les assemblées étant réunies, le plus fréquemment, une seule fois par an, l'autorisation devait, en pratique, être renouvelée annuellement. Pour remédier à ce formalisme jugé trop lourd, la Directive de 2006 prévoit un assouplissement partiel de l'encadrement de la durée de l'autorisation. L'assouplissement provient du relèvement de la durée maximale de 18 mois à 5 ans. En revanche, chaque Etat membre devient libre de fixer une durée inférieure au maximum européen.

L'allongement de la durée de la délégation accordée par l'assemblée générale était souhaité par les praticiens (18). En revanche, sa durée doit aussi prendre en compte l'information nécessaire des actionnaires (19). C'est pourquoi la Directive de 2006 mentionne cette contrepartie dans la liste des conditions facultatives.

Le plafond. L'assouplissement le plus remarquable opéré par la Directive de 2006 a trait au montant des actions qu'une société est autorisée à acheter. Alors que ce montant était plus fréquemment limité par le seuil arbitrairement fixé à 10 % du capital souscrit que par le montant des réserves distribuables, les Etats membres ont maintenant la faculté de poser une limite en terme de pourcentage du capital souscrit allant au-delà, mais pas en deçà, du plafond des 10 %. Si les Etats membres usent de cet assouplissement, la nouvelle limite pourrait à l'extrême être uniquement constituée par le montant des réserves distribuables, ce qui suffit à garantir l'intangibilité du capital social (20). La société doit, en effet, disposer de réserves, autres que la réserve légale, d'un montant au moins égal à la valeur de l'ensemble des actions qu'elle possède. Toutefois, le législateur français fait montre d'une très grande prudence sur cette question (21).

L'approche récente de la législation française du programme de rachat d'actions ne laisse pas présager une transposition libérale de cet assouplissement. Par une loi du 26 juillet 2005, le législateur a souhaité encadrer la réaffectation des actions auto-détenues entre les différentes finalités bénéficiant de présomptions de légitimité et surtout limiter à 5 % les actions auto-détenues pouvant servir à financer des opérations de croissance externe (22). Le plafond des 10 % est ainsi compartimenté, c'est-à-dire rigidifié, signe d'une tendance opposée à celle d'une flexibilité accrue (23).

Le seuil de 10 % est, toutefois, maintenu pour les acquisitions d'actions dans le cadre des dérogations à l'article 19 de la Directive (24).

L'encadrement facultatif des modalités de mise en oeuvre. Si la Directive de 2006 offre aux Etats membres la possibilité d'assouplir la condition impérative relative à la durée de la délégation ainsi que celle devenue facultative relative à l'ancienne limite de 10 % du capital souscrit, elle propose des contreparties, toutes optionnelles, pour les actionnaires ou les créanciers. En particulier, le rachat des actions ne doit pas compromettre le désintéressement de ces derniers. Les Etats membres peuvent aussi prévoir que les modalités de l'autorisation donnée par l'assemblée générale soient divulguées dans les statuts ou dans l'acte constitutif de la société. Ils peuvent enfin exiger le respect d'obligations d'information ou de notification comme le requiert déjà le droit français (25).

Création d'une réserve indisponible. L'obligation faite à une société d'annuler les actions acquises ne peut être imposée par les Etats membres qu'à la condition de créer une réserve indisponible d'un montant égal à celui des actions annulées. Cette réserve est destinée à augmenter le capital souscrit par capitalisation. La seule exception à l'indisponibilité consiste en une réduction du capital souscrit.

Cette condition n'a d'optionnelle que sa forme dans la mesure où l'annulation des actions rachetées est l'un des objectifs principaux du rachat d'actions. Cette technique est, en effet, vue comme une alternative financièrement avantageuse à la distribution de dividendes. Les Etats membres devraient donc se conformer à cette exigence.

L'effet des modifications apportées aux aspects du droit des sociétés en matière de rachat d'actions dépend fortement de l'interprétation qu'en fera le législateur national. Si une flexibilité supplémentaire, notamment sur la durée des délégations ou le montant du programme de rachat d'actions, peut s'avérer bénéfique pour les sociétés, l'inscription du principe d'égalité de traitement des actionnaires est source de réformes potentiellement plus profondes.

Pour la troisième partie de cet article, lire (N° Lexbase : N2609A9I).

Nicolas Spitz
Avocat au Barreau de Paris
Jean-Baptiste Poulle
Avocat au Barreau de Paris


(1) Directive 2006/68/CE, publiée au JOCE du 25 septembre 2006.
(2) Le premier alinéa ne mentionne plus l'expression "au moins" qui figurait dans la Directive de 1977.
(3) Voir C. com., art. L. 225-210, al. 2 (N° Lexbase : L8268GQB) et les commentaires : F. Lefebvre, Memento Sociétés Commerciales, 2007, n° 18587, p. 1059. La Directive de 2006 précise également que le calcul des actions détenues en propres inclut les actions acquises par une personne agissant en son propre nom mais pour le compte de la société ce qui correspond, notamment, à la situation d'un prestataire de service d'investissement avec lequel la société a conclu un contrat de liquidité.
(4) Cette exigence figure déjà, en droit français, à l'article L. 225-210, alinéa 1, du Code de commerce.
(5) Article 15 a. de la Directive.
(6) En France, ces réserves sont constituées par un prélèvement d'au moins 5 % des bénéfices de l'exercice jusqu'à atteindre 10 % du capital social (C. com., art. L. 232-10 N° Lexbase : L6290AIS). En Espagne, ces pourcentages sont respectivement de 10 % et 20 % ; v. Dossiers internationaux, Espagne, Ed. Francis Lefebvre, janvier 2005, n° 705. Au Royaume-Uni, il n'existe pas d'équivalent aux réserves légales ; v. Dossiers internationaux, Royaume-Uni, Ed. Francis Lefebvre, avril 2003, n° 2891.
(7) Voir aussi le Règlement n° 2273/2003/CE de la Commission du 22 décembre 2003 portant modalités d'application de la Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les dérogations prévues pour les programmes de rachat et la stabilisation d'instruments financiers (N° Lexbase : L0410DNI).
(8) A. Pietrancosta, Actions : souscription, achat et prise en gage de ses actions par la société, Dictionnaire Joly des Sociétés, 2002, spéc. n° 41 ; S. Torck, Le rachat par les sociétés cotées de leurs propres actions et le principe d'égalité des actionnaires, Bull. Joly Bourse 2002, p. 509 ; S. Torck, Le rachat d'actions aux fins de gestion financière du capital sous influence du droit communautaire, Bull. Joly Bourse, février 2005, p. 112, spéc. n° 22.
(9) La mise en oeuvre du nouveau régime de rachat d'actions propres, Revue mensuelle de l'AMF, n° 12, mars 2005, p. 86.
(10) B.-O. Becker, Programmes de rachat d'actions et prévention des abus de marché: une réglementation sous influence communautaire (seconde partie), Lexbase Hebdo n° 198, du 19 janvier 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N3192AKG).
(11) A. Couret, Les dispositions de la loi n° 98-546, Bull. Joly Sociétés, juillet 1998, p. 709, n° 52 ; A. Pietrancosta, Actions : souscription, achat et prise en gage de ses actions par la société, op. cit., spéc. n° 41 ; A. Viandier, OPA-OPE, éd. Francis Lefebvre, 2ème éd., 2003, n° 547; contra, ANSA, n° 2978, décembre 1998, p. 34.
(12) L'encadrement du prix dans les programmes de rachat d'actions prévu par l'article 5 du Règlement n° 2273/2003 de la Commission du 22 décembre 2003 ne couvre pas cette hypothèse ; voir S. Torck, Le rachat d'actions aux fins de gestion financière du capital sous influence du droit communautaire, op. cit..
(13) S. Torck, Le rachat par les sociétés cotées de leurs propres actions et le principe d'égalité des actionnaires, op. cit., spéc. n° 15 et s..
(14) C. mon. fin., art. L. 421-12 (N° Lexbase : L2756G9X).
(15) Loi n° 98-546, du 2 juillet 1998, portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (N° Lexbase : L1474AIG).
(16) De nombreuses études ont été consacrées à la réglementation française résultant de ces réformes. Voir notamment : S. Torck, Le rachat d'actions aux fins de gestion financière du capital sous influence du droit communautaire, précité ; H. Le Nabasque, Programmes de rachat d'actions, Revue de droit bancaire et financier, mai-juin 2005, p. 38 ; R. Mortier, Le rachat d'actions en mouvement, Droit des sociétés, avril 2006, p. 5. Colloque, Le rachat d'actions, Actes pratiques - Ingénierie sociétaire, n° 83, septembre 2005.
(17) C. com., art. L. 225-209, alinéa 1er (N° Lexbase : L3762HBX).
(18) D. Kling, op. cit..
(19) Rapport de la délégation du Parlement français, n° E2762, mis à jour le 16 juin 2006.
(20) R. Mortier, Le rachat par la société de ses droits sociaux, thèse, Dalloz, 2003, n° 621 et s..
(21) Rapport de la délégation du parlement français, op. cit..
(22) C. com., art. L. 225-209, alinéa 6.
(23) S. Torck, La loi Breton et le rachat d'actions, Bull. Joly Bourse, n° 1, janvier 2006, p. 18.
(24) Article 20, § 2, de la Directive.
(25) La note d'information préalable visée par l'AMF a été supprimée et remplacée par un descriptif du programme dans le prospectus . Des rapports spéciaux relatifs au programme de rachat d'actions sont exigés, voir notamment les articles L. 225-209, alinéa 2, et L. 225-211, alinéa 2, (N° Lexbase : L8269GQC) du Code de commerce.

newsid:262614

Sociétés

[Textes] Les modifications de la deuxième directive concernant le capital social des sociétés anonymes et le droit français (troisième partie)

Réf. : Directive 2006/68 du Parlement européen et du Conseil du 6 septembre 2006, modifiant la Directive 77/91/CEE du Conseil en ce qui concerne la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (N° Lexbase : L2062HS8)

Lecture: 14 min

N2609A9I

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208709-edition-n-238-du-30112006#article-262609
Copier

Le 07 Octobre 2010

Après avoir été soumise au Conseil des ministres de l'Union européenne (ou "UE") et au Parlement européen en vue de son adoption dans le cadre de la procédure de codécision, la Directive 2006/68/CE du 6 septembre 2006 (1) (la "Directive de 2006"), modifiant la Directive 77/91/CEE du Conseil du 13 décembre 1976 (en sa forme initiale, la "Directive de 1977", et, en sa forme amendée, la "Directive") (Directive du N° Lexbase : L9266AUQ), poursuit la construction du droit des sociétés européen, sur l'un des premiers chantiers abordés par l'UE : la constitution de la société anonyme ainsi que le maintien et les modifications de son capital (cf. Les modifications de la deuxième Directive concernant le capital social des sociétés anonymes et le droit français (première partie) N° Lexbase : N2605A9D et (deuxième partie) N° Lexbase : N2614A9P). III - Assistance financière (modification de l'article 23 et ajout d'un article 23 bis)

La prohibition de l'assistance financière par la Directive de 1977 : raisons et applications. L'assistance financière consiste pour une société à "avancer des fonds, accorder des prêts ou consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l'achat de ses propres actions par un tiers" (2). L'objectif de la Directive de 1977 étant de "préserver le capital, gage des créanciers, notamment en[...] limitant la possibilité pour une société d'acquérir ses propres actions" (3), la prohibition de l'assistance financière doit être considérée comme le corollaire de l'encadrement du rachat par la société de ses propres actions. En effet, si la société peut faire crédit (de décaissement ou par signature) (4) à un tiers pour financer l'acquisition de ses propres actions, le contournement des restrictions posées pour le rachat d'actions est aisé et le risque d'un capital social fictif élevé.

Cette prohibition a été appliquée inégalement par les Etats membres : certains l'ont restreint à quelques formes particulières de société (5) et d'autres ont inclus des exceptions dont la conformité à la Directive de 1977 est douteuse (6). La France a opté pour une position rigoureuse (7). La prohibition s'applique, en effet, aux sociétés anonymes (8) conformément à l'article 1er de la Directive mais aussi aux autres sociétés par actions (9), et les exceptions prévues concernent seulement "les opérations courantes des entreprises de crédit [et] les opérations effectuées en vue de l'acquisition par les salariés d'actions de la société" (10).

Les raisons de la réforme opérée par la Directive de 2006. La prohibition de l'assistance financière est un obstacle à de nombreuses opérations en droit des sociétés qui interviennent principalement dans le cadre de rachat de sociétés par effet de levier (Leverage Buy-Out LBO) (11). Le véhicule d'acquisition, fortement endetté, doit rembourser ses créanciers grâce aux flux financiers générés par la société cible. Toutes les techniques de remontée de ces flux (distribution ordinaire ou extraordinaire massive de dividendes, fusion rapide (12), debt push down, cash pooling, etc.) présentent divers risques juridiques ou fiscaux : violation de l'intérêt social mais aussi fraude à la prohibition de l'assistance financière (13). Financièrement, il ne fait cependant guère de doute que les dettes permettant l'acquisition de la société cible seront remboursées grâce aux flux financiers générés par les actifs de cette dernière. La prohibition de l'assistance financière ou la notion d'intérêt social sont ainsi des limites à l'utilisation considérée comme abusive des actifs de la société rachetée.

Il s'avère en pratique qu'il est parfois légitime pour la société d'aider financièrement un tiers à acquérir ses propres actions. Cette situation peut, notamment, se présenter lors de la formation d'un partenariat entre deux PME, de la transmission d'une entreprise ou encore de la réalisation de certains LBO (14). Si l'intérêt pour le bénéficiaire de l'aide consiste évidemment en une source de financement à un coût plus avantageux que celui pratiqué par le système bancaire, l'intérêt pour la société réside dans son développement et sa pérennité. Ainsi, pour prendre en compte tant les exceptions déjà prévues par des législations nationales (15) que des besoins pratiques, la Directive de 2006 revient-elle sur le caractère quasiment absolu de la prohibition de l'assistance financière en prévoyant les conditions pour y déroger.

Les nouvelles conditions de la prohibition prévues par la Directive de 2006. Le 1er paragraphe de l'article 23 reprend le principe de la prohibition de l'assistance financière (116) en précisant, cependant, qu'elle ne doit pas être contournée par l'intervention d'un intermédiaire. C'est le sens qu'il faut donner à l'ajout des adverbes "directement ou indirectement" (17). La détermination du champ d'application de l'article L. 225-216 du Code de commerce (N° Lexbase : L8274GQI) nécessitait de concilier le principe d'interprétation stricte en raison de la sanction pénale encourue en cas de violation et la théorie générale de l'interposition de personne (18). Avec la précision apportée par la Directive de 2006, les doutes qui pouvaient subsister sur la prohibition de l'assistance financière accordée par une filiale à un tiers pour l'acquisition des actions de la société mère sont dissipés (19). Une telle opération consiste bien à faire indirectement crédit à un tiers à hauteur d'une partie de la valeur des titres de la filiale immobilisés au bilan de la société mère pour acquérir ses actions. L'adverbe "indirectement" devrait donc être interprété comme une extension du principe de la prohibition, en général, et notamment une confirmation de la prohibition de l'assistance financière par l'intermédiaire d'une filiale, en particulier. En revanche, cette modification ne revient pas sur la position justifiée de la Cour de cassation qui admet le nantissement des actions acquises par le véhicule d'acquisition au bénéfice d'un de ses prêteurs (20).

Une faculté pour les Etats membres. L'insertion dans la législation nationale d'une dérogation à la prohibition de l'assistance financière n'est pas obligatoire. En revanche, si l'Etat membre souhaite y déroger, l'opération d'assistance financière doit respecter les conditions figurant dans la Directive de 2006. La France a réagi avec prudence, voire frilosité, à cette faculté en arguant du risque d'abus sanctionné pénalement (21).

Les limites financières. Les dérogations à l'assistance financière supposent deux conditions financières. Il s'agit en premier lieu de limiter le montant total de l'aide qui peut être accordée à des tiers au montant des réserves distribuables. Ce plafond est abaissé du montant des rachats par la société de ses propres actions (22), l'application cumulative de l'assistance financière et du rachat d'actions ne devant pas conduire à une réduction potentielle du capital social. En second lieu, les réserves distribuables à hauteur du montant de l'aide financière totale deviennent indisponibles. Une société ne peut logiquement pas faire crédit à un tiers à hauteur de ses réserves distribuables, puis les distribuer, ce qui reviendrait à rendre l'actif net inférieur au capital social. Ainsi, la multiplicité des opérations ne permet-elle pas de contourner la limite des réserves distribuables.

Toutes ces conditions financières aboutissent paradoxalement à considérer le capital social comme le plancher du gage des créanciers au moment même où les réflexions s'accordent sur la pertinence moindre de cette notion et la nécessité d'une approche nouvelle (23). Il n'est, en effet, pas rare qu'une société, à la suite d'opérations financières, ait un capital social faible mais des réserves colossales.

Les conditions de cession des actions propres ou de souscription d'actions nouvellement émises. La Directive encadre les conditions financières d'émission d'actions nouvelles ou de cession d'actions propres. Si l'assistance financière permet à un tiers d'acquérir des actions provenant soit d'une augmentation de capital de la société soit d'une cession des actions détenues par elle, alors la souscription ou la cession doit s'effectuer "à un juste prix". Outre la question de la détermination du juste prix, cette disposition vise principalement la situation d'un prix trop bas. Il résulterait en effet d'un prix trop faible une dilution excessive des actionnaires suffisamment minoritaires pour ne pas avoir pu s'opposer au vote du projet d'assistance lors de l'assemblée générale (24). Cette hypothèse n'est en effet que partiellement couverte par d'autres protections notamment celle du droit préférentiel de souscription accordé aux actionnaires en cas d'augmentation du capital en numéraire (25). La situation inverse d'un prix trop élevé est moins problématique dans la mesure où ce n'est pas forcément la cession par le tiers des actions ainsi achetées qui doit permettre le remboursement de l'aide financière.

Une opération sous la responsabilité de l'organe d'administration ou de direction. L'organe d'administration ou de direction a l'initiative d'étudier le recours à l'assistance financière dans la mesure où c'est lui qui soumet l'opération à l'accord préalable de l'assemblée générale des actionnaires.

Lors de la préparation de son projet, l'organe d'administration ou de direction engage sa responsabilité s'il n'a pas veillé (i) à ce que les opérations aient lieu "à de justes conditions de marché" et (ii) examiné dûment "la situation financière du tiers".

L'obligation d'examiner dûment la "situation financière du tiers" bénéficiaire de l'assistance, sur une durée non limitée, peut s'avérer être une tâche très délicate notamment dans une opération de LBO où ce tiers est un véhicule d'acquisition dont la liquidité et la solvabilité reposent sur un certain nombre d'hypothèses fiscales ou financières que les dirigeants ne maîtrisent pas forcément. Dans la procédure anglaise de "whitewash", l'attestation fournie par les dirigeants ne porte pas sur la situation financière du bénéficiaire mais sur la capacité de leur société, la société cible, à honorer ses engagements pendant l'année qui suit la mise en oeuvre de l'assistance financière. Cette approche serait plus raisonnable.

Lors de la transposition de la Directive de 2006, l'examen réalisé par les dirigeants devrait s'accompagner, comme dans la procédure anglaise actuelle, de l'obligation d'obtenir l'avis de commissaires aux comptes. Cet avis limitera la responsabilité des dirigeants qui auront fait mener les investigations nécessaires par des auditeurs professionnels.

Une décision de l'assemblée générale extraordinaire. L'opération est décidée par l'assemblée générale statuant soit à la majorité des "deux tiers des voix afférentes aux titres représentés" soit, si l'Etat membre le décide, à la majorité simple mais à la condition que la moitié du capital souscrit soit représenté (26). Les risques liés à l'opération d'assistance financière étant considérés comme élevés, ce sont les règles de l'assemblée générale extraordinaire qui s'appliquent (27).

Le choix de l'assemblée générale extraordinaire est pourtant discutable dans la mesure où l'opération d'assistance financière ne peut engager un montant supérieur aux réserves distribuables. Or, la formation ordinaire de l'assemblée générale est, par exemple, suffisante pour décider la distribution des réserves libres. Il faut, par ailleurs, noter que le vote d'une résolution autorisant pour une période donnée les dirigeants à réaliser une telle opération d'assistance n'est pas concevable.

Un rapport écrit de l'organe d'administration ou de direction est mis à la disposition des actionnaires et communiqué au registre du commerce et des sociétés. Il contient les informations nécessaires pour lui permettre de statuer sur le projet d'assistance financière de manière éclairée : "motifs de l'opération", intérêt pour la société, conditions de réalisation et "prix auquel le tiers est censé acquérir les actions".

L'articulation des deux paragraphes relatifs à la réalisation des opérations sous la responsabilité de l'organe d'administration ou de direction et à l'approbation préalable de l'assemblée générale ne permet pas de déterminer précisément le régime de la responsabilité. Il est a priori paradoxal de faire peser la responsabilité des opérations sur l'organe d'administration ou de direction et de faire prendre la décision par l'assemblée générale des actionnaires. Le droit français connaît, cependant, quelques infractions similaires, notamment celle de la distribution de dividendes fictifs (28). Si le législateur français ne décide pas de dépénaliser ce sujet (29) et instaure un mécanisme suivant une même logique, les dirigeants resteront pénalement responsables (30) en cas d'assistance financière accordée à un tiers sans s'être conformés à la procédure, notamment sans avoir effectué les diligences requises, soumis préalablement le projet à l'assemblée générale ou respecté les modalités du projet approuvé. Comme pour d'autres infractions (31), le vote, même à l'unanimité (32), du projet d'assistance financière par l'assemblée générale ne devrait pas suffire à écarter la mise en jeu de la responsabilité pénale des dirigeants. Ces derniers devraient aussi être civilement responsables (33). Quant à la mise en jeu de la responsabilité relative à la décision d'assister financièrement un tiers, des actionnaires minoritaires pourront seulement la contester sur le fondement de l'abus de majorité.

La conformité à l'intérêt social. Lorsque les tiers bénéficiaires de l'assistance financière sont des dirigeants de la société, une société-mère ou ses dirigeants ou encore des personnes agissant pour leurs comptes, il existe un conflit d'intérêts : le bénéficiaire détient le pouvoir de biaiser en sa faveur l'économie de l'assistance financière envisagée. La Directive de 2006 prévoit donc l'obligation pour les Etats membres de veiller, "par des garanties adéquates, à ce que cette opération ne soit pas contraire aux intérêts de la société". Sur le fondement de cette disposition, les Etats membres pourront durcir dans ces cas de figure les règles dérogatoires à la prohibition de l'assistance financière en abaissant, par exemple, le montant maximum de l'aide ou en spécifiant que l'aide ne finance que partiellement les actions acquises ou encore en prévoyant le recours obligatoire à une expertise indépendante.

La réforme de l'assistance financière autorise une dérogation souhaitable à la prohibition stricte prévue par la Directive de 1977. Les conditions de mise en oeuvre de la dérogation sont, cependant, peu précises. L'assouplissement des principes pourrait aussi se heurter à une complexité pratique dissuasive.

IV - Réduction du capital (modification de l'article 32)

Le maintien des principes de la Directive de 1977. Le capital social a actuellement pour fonction principale de représenter pour les créanciers l'assiette de leur droit de gage général (34). Or, la réduction du capital non motivée par des pertes constitue un remboursement des capitaux investis par les actionnaires, c'est-à-dire d'investisseurs subordonnés à tous les créanciers. Il en résulte pour ces derniers le droit de s'opposer à ces réductions qui se traduisent par une dévalorisation de l'assiette de leur gage.

Le premier paragraphe de l'article 32 de la Directive de 1977 relatif au droit d'opposition n'a pas été modifié dans sa substance par la Directive de 2006. Conformément à la fonction dévolue au capital social, il prévoit que : "en cas de réduction du capital souscrit, au minimum les créanciers dont les créances sont nées avant la publication de la décision de réduction ont au moins le droit d'obtenir une sûreté pour les créances non encore échues au moment de cette publication". Le champ d'application de ce droit est ainsi délimité : il s'exerce seulement en cas de réduction du capital souscrit à l'exclusion des distributions de réserves ou de primes ; seuls les créanciers antérieurs à la décision de réduction sont concernés car leur décision de prêter à la société s'est prise en considération du capital social de la société antérieur à cette décision ; les créances échues sont exclues. Enfin, ce droit est écarté "si le créancier dispose de garanties adéquates ou si ces garanties ne sont pas nécessaires compte tenu du patrimoine de la société".

Ces dispositions sont transposées en droit français à l'article L. 225-205 du Code de commerce (N° Lexbase : L8296GQC). Le droit d'opposition est légèrement plus restreint puisque les créances antérieures sont celles nées avant le dépôt au greffe du procès-verbal de délibération de l'assemblée ayant approuvé le projet de réduction du capital et non pas avant la publication effective.

Les modifications apportées par la Directive de 2006. La Directive de 2006 (35) ajoute un second paragraphe qui impose aux Etats membres de prévoir un recours judiciaire pour les créanciers dont les intérêts n'auraient pas été pris en compte. Toutefois, afin de ne pas permettre aux créanciers de bloquer de manière déraisonnable ou dilatoire les opérations de réduction du capital, leur action en justice n'est ouverte qu'à condition d'être crédible.

Ces nouvelles exigences du droit européen entraîneront-elles une modification des textes français ? (36) Certes, le droit d'opposition s'exerce déjà par voie d'assignation devant le tribunal de commerce dans un délai de vingt jours à compter du dépôt au greffe du procès-verbal de délibération de l'assemblée générale qui a décidé ou autorisé la réduction du capital (37). Cependant, contrairement à la règle classique de la procédure civile (38), la charge de la preuve ne semble pas peser sur le demandeur. En effet, le créancier, auteur de l'opposition, n'a pas à démontrer qu'il a contracté sur la foi du capital initial et a subi un préjudice (39), mais il peut justifier son opposition en soulignant les conséquences potentiellement négatives de la réduction sur le remboursement de son prêt. Or, ce mécanisme n'est pas exactement identique à celui prévu par la Directive de 2006, qui impose une condition de crédibilité, non pas sur le succès de l'opposition, mais sur l'étape en amont : l'autorisation de saisir la juridiction. En l'état actuel du droit français, l'effet dilatoire, que la Directive de 2006 a pour objectif de supprimer, existe dans la mesure où l'opération de réduction du capital ne peut commencer avant que le juge ait statué en première instance (40). La transposition de ces nouvelles exigences du droit européen pourrait donc limiter davantage le droit d'opposition en restreignant la recevabilité du recours formé devant le tribunal de commerce et en exigeant des créanciers de démontrer, "de manière crédible, que [la] réduction du capital souscrit compromet leur désintéressement et que la société ne leur a pas fourni de garanties adéquates". La démonstration de l'incertitude pesant sur leur remboursement et de l'absence de garanties adéquates est bien sûr cumulative. Cependant, la mise en conformité du droit français avec cette interprétation plus rigoureuse de la Directive ne semble pas représenter actuellement un enjeu pratique prioritaire si on en juge par le nombre réduit de contentieux en la matière.

Les autres précisions à apporter au texte français. La question de l'exercice du droit d'opposition s'est récemment posée à la suite de l'ordonnance relative aux valeurs mobilières (41) qui introduit les actions de préférence en droit français (42). Un des droits particuliers assortis à ces actions pourrait consister en la faculté pour leur détenteur d'en exiger le rachat par la société sous certaines conditions, ces actions rachetables (43) étant ensuite annulées. Faut-il alors consentir aux créanciers un droit d'opposition au moment du rachat (44) ? La Directive contient des éléments de réponse. Tout d'abord, les actions rachetables peuvent être introduites par les Etats membres, ce qui pose le principe de leur compatibilité avec les autres dispositions de la Directive (45). Ensuite, la rédaction de l'article 32 de la Directive (droit d'opposition des créanciers) ne semble pas devoir s'appliquer dans ce cas de figure. D'une part, il ne vise que les créanciers antérieurs à la décision de réduction du capital qu'on peut considérer comme prise simultanément à la décision d'augmentation du capital, étant donné le fonctionnement même des actions rachetables (46). Les créanciers antérieurs à l'émission des actions rachetables ne devraient pas, quant à eux, bénéficier du droit d'opposition dans la mesure où ils se sont engagés en considération du capital social tel que formé avant cette émission. D'autre part, l'article 39 de la Directive (actions rachetables) prévoit une protection particulière consistant en la création d'une réserve non distribuable à hauteur du montant du nominal des actions rachetables rachetées et annulées (47). Ces éléments plaident en faveur de l'exclusion du droit d'opposition des créanciers en l'état actuel du droit (48). Il serait, néanmoins, opportun que le législateur apporte les précisions nécessaires lors de la transposition de la Directive de 2006 afin de clarifier le régime des actions rachetables en droit français.

Conclusion. Si la Directive de 2006 répond aux besoins d'assouplissement des règles régissant certaines opérations sur le capital social, le législateur devra faire preuve de tout le doigté nécessaire pour éviter les pièges de l'exercice délicat de transposition. A négliger les opportunités offertes, les sociétés soumises au droit français s'en trouveraient désavantagées. A proposer des procédures trop complexes, elles en deviendraient dissuasives et l'effort de flexibilité serait vain. A ces questions d'ajustement, certains esprits retors préféreront peut-être attendre le débat de fond portant sur l'adoption d'un mécanisme alternatif au capital social.

Nicolas Spitz
Avocat au Barreau de Paris
Jean-Baptiste Poulle
Avocat au Barreau de Paris


(1) Directive 2006/68/CE, publiée au JOCE du 25 septembre 2006.
(2) L'article L. 225-216 du Code de commerce (N° Lexbase : L8274GQI) reprenant exactement l'article 23 de la Directive de 1977.
(3) Quatrième considérant de la Directive.
(4) Pour que cette opération entre dans l'exception au monopole bancaire de l'article L. 511-7 I. 3° du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L6371DIS), elle doit s'effectuer "avec des sociétés ayant avec elle, directement ou indirectement, des liens de capital conférant à l'une des entreprises liées un pouvoir de contrôle effectif sur les autres". La Directive de 2006 ne mentionnant pas cette condition de contrôle, l'introduction de l'assistance financière en droit français aboutira implicitement à autoriser une nouvelle exception au monopole bancaire. Sur l'exception de l'article L. 511-7 I. 3°, v. T. Bonneau, Droit bancaire, Montchrestien, 2003, n° 213, p. 136.
(5) Il s'agit principalement de pays du nord de l'Europe (par opposition à la France, l'Italie ou l'Espagne) : en Allemagne, la prohibition n'est absolue que pour les Aktiengesellschaft (A.G.) et non pour les Gesellschaft mit beschränkter Haftung (GmbH) ; au Pays-Bas, les Belsoten Vennootschap (B.V.) peuvent aussi pratiquer l'assistance financière sous certaines conditions à l'inverse des Naamlzoe Vennootschap (N.V.).
(6) Procédure de whitewash au Royaume-Uni : sections 151 à 158 du Companies Act 1985 spécialement sections 155 à 158. Voir F. Basdevant, J.-J. Daigre, La participation d'une société cible à son rachat : la procédure anglaise dite de "Whitewash", Actes Pratiques - Sociétés, juillet-août 2004, p. 3. Cette procédure a certainement été une source d'inspiration pour la présente réforme. Le Companies Act 2006, dont la publication est attendue pour le début du mois de décembre 2006, devrait supprimer, pour les sociétés non cotées et uniquement pour elles, la prohibition de l'assistance financière ainsi que ses exceptions notamment la procédure de whitewash. Cette réforme ne semble a priori pas conforme à la Directive de 2006 qui ne distingue pas les sociétés cotées des sociétés non cotées. En revanche, elle reprend les réponses adressées par les praticiens au gouvernement anglais lors d'une consultation relative à la proposition de Directive de 2006 ; v. DTI, European Company Law and corporate governance, septembre 2005, p. 38. Voir également : Practical Law Company, Financial assistance : Companies Bill, Reference n°2-202-4475.
(7) A. Viandier, L'article 217-9 de la loi du 24 juillet 1966 et les rachats d'entreprise, JCP éd. G, I. n° 3476, 1990, p. 47 ; H. Le Nabasque, A propos de l'article 217-9..., op. cit.. Sur l'interprétation de cette règle, voir, notamment, Cass. com., 15 novembre 1994, n° 92-19.302, Epoux Petit c/ Caisse centrale des banques populaires et autres (N° Lexbase : A3950ACB) : M. Jeantin, Revue des Sociétés, n° 1, janvier-mars 1995, p. 66 ; Y. Guyon, JCP éd. E, n° 15, 673 ; A. Couret, Bull. Joly, 1995, p. 67 ; D. Vidal, Droit des sociétés, 1995, comm. n° 20 ; J. Mestre, RTDCiv., 1995, p. 357 ; P. Merle, Bull. CNCC, 1995, n° 97, p. 87.
(8) C. com., art. L. 225-216, alinéa 1.
(9) Pour la société par actions simplifiée, l'article L. 227-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L6156AIT) n'exclut pas l'application de l'article L. 225-216 du Code de commerce. Il en est de même pour les sociétés en commandite par actions (C. com., art. L. 226-1N° Lexbase : L6142AIC).
(10) L'article L. 225-216, alinéa 2, du Code de commerce qui reprend une exception prévue par la Directive à l'article 23, paragraphe 2. Contrairement à ce paragraphe de la Directive, la disposition française ne précise pas que l'aide accordée dans le cadre de ces exceptions ne doit pas excéder les réserves distribuables de la société. De plus, l'exception française porte sur les "salariés", une catégorie plus restreinte que le "personnel de la société" visé par la Directive.
(11) P. Quiry, Y. Le Fur, Pourquoi tant de LBO ?, La lettre Vernimmen.net, n° 13, octobre 2002.
(12) A. Sorensen, La fusion rapide en question, Bull. Joly Sociétés, n° 3, 1er mars 2001, p. 325 ; J.-J. Uettwiller, Les risques liés aux LBO, Revue des Sociétés, n° 4, octobre-décembre 1996.
(13) C. Motol, LBO: quand la cible aide son acquisition, Option Finance, n° 899, 25 septembre 2006, p. 24.
(14) D. Kling, op. cit., p. 40.
(15) La Directive de 2006 s'inspire de la procédure de whitewash instaurée au Royaume-Uni par le Companies Act 1985. Les conditions ne sont cependant pas identiques : en particulier, la procédure anglaise n'est ouverte qu'aux sociétés non cotées ; elle impose l'intervention d'auditeurs ; elle prévoit des exceptions à l'approbation de l'opération par l'assemblée générale, etc.
(16) La Directive de 2006 n'apporte aucun changement permettant de trancher les débats relatifs à l'interprétation au champ d'application de la prohibition notamment sur le point de savoir si l'expression "en vue de", lue strictement, conduit à exclure l'aide apportée à un tiers postérieurement à l'acquisition des actions. V. H. Le Nabasque, A propos de l'article 217-9..., op. cit., n° 12.
(17) Ces adverbes figuraient déjà dans la transposition de la Directive effectuée au Royaume-Uni (article 151 (1) du Companies Act 1985).
(18) A. Pietrancosta, Actions : souscription, achat et prise en gage de ses actions par la société, op. cit., spéc. n° 69.
(19) Cass. com., 19 décembre 2000, n° 97-11.502, M. Louis Séchet c/ Société Crédit industriel de l'Ouest (N° Lexbase : A3361AUZ) : A. Constantin, Bull. Joly Sociétés, n° 4, avril 2001, p. 379, spéc. n° 8. N. Bichot, Assistance financière et opérations de LBO, Revue de droit bancaire et financier, n° 3, mai-juin 2002, p. 171 ; ANSA, Application de l'article 217-9 - filiale octroyant un prêt à ses salariés pour l'acquisition d'actions de la société mère, n° 3 010, Comité juridique du 3 février 1999, juillet-août 1999 ; H. Le Nabasque, A propos de l'article 217-9..., op. cit., n° 20.
(20) Cass. com., 19 décembre 2000, précité : A. Constantin, op. cit., spéc. n° 6 et 7.
(21) Rapport de la délégation du parlement français, op. cit..
(22) Article 19 paragraphe 1 b) de la Directive.
(23) Cf. supra, n° 6. Adde., A. Pietrancosta, Capital zéro ou zéro capital, dans Quel avenir pour le capital social, Dalloz, 2004, p. 127.
(24) L'article 23, alinéa 3, de la Directive prévoit que le rapport écrit transmis à l'assemblée générale statuant sur l'assistance financière mentionne "le prix auquel le tiers est censé acquérir les actions". Il s'ensuit que la majorité des actionnaires aura accepté les conditions de leur dilution.
(25) C. com., art. L. 225-132.
(26) Article 40 de la Directive.
(27) C. com. Art. L. 225-96. Dans la procédure anglaise actuelle de whitewash, les actionnaires détenant plus de 10 % du capital de la société qui n'ont pas approuvé le projet d'assistance financière peuvent s'y opposer en justice dans le délai de quatre semaines suivant le vote de l'assemblée générale. L'article 23 bis du projet de Directive présenté par la Commission le 21 septembre 2004, qui reprenait ce mécanisme, n'a pas été retenu dans la Directive de 2006.
(28) C. com., art. L. 242-6 1° (N° Lexbase : L6420AIM). Voir G. Ripert, R. Roblot, Traité de droit commercial, Tome 1, Volume 2, 18ème édition, 2002, spéc. n° 1911.
(29) Voir, notamment, M. Haschke-Dournaux, Les voies de la réforme du droit pénal des sociétés, Bull. Joly Sociétés, avril 2003, n° 4, p. 377.
(30) L'article L. 242-24, alinéa 3, du Code de commerce (N° Lexbase : L6438AIB) sanctionne la violation de l'article L. 225-216 par une amende de 9 000 euros.
(31) En ce qui concerne le versement de dividendes fictifs, voir W. Jeandidier, Délit de distribution de dividendes fictifs, JurisClasseur Sociétés, Fasc. 147-60, octobre 2005, spéc. n° 19.
(32) En ce qui concerne l'abus de biens sociaux, voir par exemple Cass. crim. 5 novembre 1963, n° 62-90643, publié au bulletin (N° Lexbase : A2334CGK), Bull. Crim., 1963, n° 307.
(33) C. com., art. L. 225-251 et suivants (N° Lexbase : L6122AIL). Pour des développements relatifs au versement de dividendes fictifs, voir W. Jeandidier, Délit de distribution de dividendes fictifs, op. cit., spéc. n° 31 à 35.
(34) 4ème considérant de la Directive.
(35) Les modifications apportées par la Directive de 2006 à l'article 32 sont quasiment identiques à celles figurant dans la proposition de Directive du 21 septembre 2004.
(36) Pour un avis négatif, voir D. Kling, CCIP, op. cit., p. 38.
(37) C. com., art. L. 225-205 et article 180 du décret n° 67-236 du 23 mars 1967 (N° Lexbase : L0729AYN).
(38) NCPC, art. 9 (N° Lexbase : L3201ADW): "Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention".
(39) M.-L. Coquelet, Réduction du capital social, JurisClasseur Sociétés, Fasc. 159-10, janvier 2004, spéc. n° 53 ; J. Hémard, F. Terré, P. Mabilat, Sociétés Commerciales, Dalloz, tome II, 1974, n° 694, p. 566.
(40) C. com., art. L. 225-205, alinéa 3.
(41) Ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 (N° Lexbase : L5052DZ7).
(42) C. com., art. L. 228-11 et suivants (N° Lexbase : L8368GQY) V. T. Bonneau, F. Drummond, Droit des marchés financiers, Economica, 2005, §99, p. 95.
(43) R. Mortier, Rachat d'actions et actions rachetables, Revue des Sociétés, 2004, p. 639 ; N. Spitz, Les actions rachetables, Jurisclasseurs Sociétés Formulaire, Fasc. K-63, 2006.
(44) Pour l'exclusion du droit d'opposition, v. A. Viandier, Les actions de préférence, JCP éd. E, 2004, p. 1598. N. Spitz, op. cit., n° 49 ; contra v. R. Mortier, op cit., p. 653.
(45) Article 39 de la Directive.
(46) L'article L. 225-205 du Code de commerce dispose que l'assemblée des actionnaires se prononce sur un "projet" de réduction du capital et l'article 180 du décret du 23 mars 1967 (N° Lexbase : L2496AHW) prévoit que cette assemblée peut "décider ou autoriser" la réduction.
(47) Cette réserve semble une protection suffisante des créanciers antérieurs à l'émission des actions rachetables dans l'hypothèse où la valeur de rachat est supérieure à celle d'émission.
(48) Pour une opinion favorable à l'insertion de cette précision à l'article 32 de la Directive v. D. Kling, CCIP, op. cit., p. 38.

newsid:262609

Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Les limites à l'obligation de reclassement du salarié inapte

Réf. : Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 05-40.408, M. Christian Laurent, FS-P+B (N° Lexbase : A3440DS9)

Lecture: 9 min

N2438A98

Citer l'article

Créer un lien vers ce contenu

Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/revue-juridique/3208709-edition-n-238-du-30112006#article-262438
Copier

par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Lorsqu'un salarié est frappé d'une inaptitude physique, le législateur prévoit que l'employeur doit tenter de le reclasser dans l'entreprise. Au fil des années, le champ de cette obligation de reclassement s'est progressivement étendu : poste de niveau inférieur, voire de niveau supérieur par le biais d'une phase d'adaptation ; reclassement au sein des différents établissements de l'entreprise, voire au sein des différentes entreprises du groupe. N'y a-t-il donc pas de limite à cette extension ? La Chambre sociale de la Cour de cassation vient, semble-t-il, d'en poser une. Par un arrêt du 15 novembre 2006, elle décide que l'employeur n'est tenu de proposer au salarié que des postes disponibles dans l'entreprise (1). Cette solution, qui aurait pu s'avérer aussi logique que claire, est pourtant perturbée par l'utilisation faite par les juges de la théorie de la modification du contrat de travail (2).

Résumé

Lorsqu'un salarié est déclaré médicalement inapte à un poste de travail, l'employeur doit chercher à le reclasser dans l'entreprise. Pour autant, il n'est pas tenu d'imposer à un autre salarié une modification de son contrat de travail aux fins de libérer un poste pour le salarié qu'il cherche à reclasser.

Décision

Cass. soc., 15 novembre 2006, n° 05-40.408, M. Christian Laurent, FS-P+B (N° Lexbase : A3440DS9)

Cassation (CA Douai, ch. soc., 26 novembre 2004).

Texte visé : C. trav., art. L. 122-24-4 (N° Lexbase : L1401G9R)

Mots-clés : licenciement ; inaptitude physique ; obligation de reclassement ; limites ; modification du contrat de travail d'un autre salarié.

Lien bases :

Faits

1. M. Laurent, chargé de préparer les commandes de produits pharmaceutiques et de les livrer pour le compte de l'association Santelys, est déclaré inapte au poste de chauffeur-livreur par deux examens médicaux en juillet 1997. En revanche, le salarié est considéré comme étant apte à un poste sédentaire type commis d'économat ou magasinier. Il est pourtant licencié le 13 août 1997 pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.

2. Le salarié saisit la juridiction prud'homale, contestant le caractère réel et sérieux de la cause du licenciement et réclamant en conséquence des dommages-intérêts. Il est débouté par les juges de première instance, décision confirmée par la cour d'appel de Douai le 26 novembre 2004. Estimant que l'employeur devait rechercher son reclassement dans un poste libéré par la mutation d'un autre salarié de l'entreprise, M. Laurent se pourvoit en cassation.

Solution

1. Rejet.

2. "Le reclassement par mutation du salarié déclaré inapte par le médecin du travail auquel l'employeur est tenu de procéder en application des dispositions de l'article L. 122-24-4 du Code du travail doit être recherché parmi les emplois disponibles dans l'entreprise ; que l'employeur ne peut être tenu d'imposer à un autre salarié une modification de son contrat de travail à l'effet de libérer son poste pour le proposer en reclassement à un salarié".

Commentaire

1. La disponibilité du poste de reclassement proposé

  • La nature des postes habituellement proposés au salarié

Les postes que l'employeur est censé proposer lorsqu'il a l'obligation de reclasser un salarié dans l'entreprise forment un panel de plus en plus conséquent. C'est ainsi que l'article L. 122-24-4 du Code du travail prévoit que l'employeur doit proposer au salarié inapte un reclassement dans un emploi "approprié à ses capacités, [...] aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail".

La jurisprudence a ainsi pu considérer qu'il était nécessaire que l'employeur recherche les différentes possibilités de mutation du salarié tant au niveau l'entreprise (v. Cass. soc., 12 mai 1993, n° 89-42.961, Société Mory TNTE, société anonyme c/ M. Eugène Philbert, inédit N° Lexbase : A1686AAP et, plus récemment, Cass. soc., 20 septembre 2006, n° 05-40.526, FS-P+B N° Lexbase : A3090DRU) qu'à celui du groupe (v. Cass. soc., 19 mai 1998, n° 96-41.265, M. Richard c/ Société Turboméca, publié N° Lexbase : A3147AB8).

On sait, en outre, qu'à défaut de poste comparable, l'employeur peut proposer au salarié son reclassement dans un poste de qualification d'un niveau inférieur voire, par le biais d'une obligation d'adaptation et dans la mesure du possible, à un poste de qualification supérieure (v. Cass. soc., 25 février 1992, n° 89-41.634, Société Expovit c/ Mme Dehaynain, publié N° Lexbase : A9415AAX), cela, tout de même, dans certaines limites énoncées par l'arrêt (Cass. soc., 23 septembre 2003, n° 01-43.599, F-D N° Lexbase : A9400C9Z ; voir Les limites du devoir d'adaptation dans le cadre de l'obligation de reclassement, Lexbase Hebdo n° 93 du 6 novembre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9280AAX).

Jusqu'où doit aller l'employeur pour tenter de reclasser le salarié ? L'employeur doit-il proposer au salarié un poste déjà pourvu en procédant à la mutation du salarié occupant ce poste ?

  • La nécessité du caractère disponible du poste proposé

La question n'est pas directement traitée par l'article L. 122-24-4 du Code du travail concernant la mutation du salarié inapte. Il n'est, en effet, pas précisé si les postes dans lesquels l'employeur doit rechercher un éventuel reclassement doivent ou non être disponibles. On ne peut pas, d'ailleurs, tenter de raisonner par analogie avec les articles L. 122-32-5 (N° Lexbase : L5523ACK) et L. 321-1, alinéa 3, (N° Lexbase : L8921G7K) du Code du travail, concernant respectivement l'obligation de reclassement du salarié inapte à la suite de la survenance d'un risque professionnel et le reclassement du salarié dont l'employeur projette le licenciement pour un motif économique, puisque ces textes ne se prononcent pas non plus sur une telle condition de disponibilité du poste de reclassement.

Le seul véritable indice que les textes nous donnent, et que le requérant avait d'ailleurs relevé, réside dans l'utilisation du pluriel lorsque le législateur vise les "mutations" et les "transformations de postes de travail". Il semblerait donc que le législateur ait envisagé que le reclassement d'un salarié puisse impliquer plusieurs mutations, c'est-à-dire non seulement la mutation du salarié que l'on souhaite reclasser, mais encore la mutation d'autres salariés dans l'entreprise.

La Chambre sociale de la Cour de cassation refuse cette interprétation et estime que le poste de reclassement doit être "recherché parmi les emplois disponibles dans l'entreprise". Ce n'est pas véritablement la première fois qu'elle statue de la sorte puisqu'elle avait déjà rendu une décision similaire concernant l'obligation de reclassement du salarié licencié pour motif économique (Cass. soc., 28 novembre 2000, n° 98-46.140, Association Gestion Musée de Pompelle c/ M. Amor Karki, inédit N° Lexbase : A9777ATB). Mais cette condition, posée à l'ère où cette obligation de reclassement n'était que jurisprudentielle, n'avait pas été reprise par la loi de modernisation sociale (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9). En outre, jamais une telle question ne s'était posée concernant le reclassement du salarié inapte.

Il s'agit probablement là d'une solution raisonnable. L'obligation de reclassement du salarié inapte est une contrainte légitime imposée à l'entreprise : les difficultés pour un salarié inapte de retour sur le marché de l'emploi seraient, en effet, telles qu'il est impératif d'éviter à tout prix une telle situation. Pour autant, imposer à l'employeur de rechercher le reclassement, y compris sur des postes occupés par des salariés de l'entreprise, aurait pour conséquence de faire peser une partie des conséquences de l'inaptitude sur les épaules d'autres salariés de l'entreprise.

En revanche, il faut reconnaître que la solution est juridiquement moins évidente, tant les fondements paraissent instables et même, parfois, contradictoires.

2. Les relations entre disponibilité du poste et théorie de la modification du contrat de travail

La Cour de cassation semble fonder son raisonnement sur deux arguments qui, à l'analyse, se révèlent ne pas recouvrir tout à fait la même réalité, au point d'en devenir parfois contradictoires.

  • L'impossibilité affirmée de rendre un poste disponible

La Chambre sociale refuse donc que l'employeur soit contraint de rechercher le reclassement du salarié dans un poste de l'entreprise déjà pourvu : l'emploi proposé doit être disponible. Pourtant, elle poursuit son argumentation en estimant que l'employeur "ne peut être tenu d'imposer à un autre salarié une modification de son contrat de travail".

L'argument paraît parfaitement logique : qu'il souhaite le faire dans le but de reclasser un autre salarié ou pour quelque autre raison que ce soit, l'employeur ne peut plus, depuis l'arrêt "Raquin" (Cass. soc., 8 octobre 1987, n° 84-41.902, M. Raquin et autre c/ Société anonyme Jacques Marchand N° Lexbase : A1981ABY), imposer une modification de son contrat de travail à un salarié. Depuis 1996 (Cass. soc., 10 juillet 1996, n° 93-41.137, M. Vanderdonckt c/ Groupe des assurances nationales (GAN), publié N° Lexbase : A2054AAC), on estime que l'employeur, s'il peut librement imposer au salarié un changement de ses conditions de travail, ne peut plus imposer une modification unilatérale du contrat.

On pourrait estimer que l'impératif de reclassement du salarié inapte rend légitime le fait de forcer la volonté du salarié afin de le contraindre à accepter la modification. Ce serait là oublier l'extrême rigueur dont fait preuve la Chambre sociale de la Cour de cassation lorsqu'il s'agit de protéger ce droit au refus de la modification, l'arrêt "Hôtel Le Berry" ayant marqué les esprits en la matière (pour mémoire, rappelons qu'il s'agissait de permettre au salarié de refuser une sanction disciplinaire, celle-ci procédant à une modification du contrat de travail, v. Cass. soc., 16 juin 1998, n° 95-45.033, Société Hôtel Le Berry c/ Mme Khouhli, publié N° Lexbase : A5390ACM).

Deux questions se posent, néanmoins, lorsque l'on analyse plus avant l'argumentation de la Chambre sociale.

Tout d'abord, il est permis de se demander si le fait que l'employeur ne soit pas "tenu d'imposer" une modification du contrat de travail ne signifie pas que l'employeur soit pour le moins contraint de proposer à un autre salarié une modification de son contrat afin de libérer un poste de travail. Quoiqu'une lecture stricte de l'arrêt puisse permettre d'envisager une telle solution, il ne s'agirait alors que d'introduire une condition de forme supplémentaire. Or, il nous semble que ce serait là instiller un degré de complication supplémentaire dans le mécanisme de l'obligation de reclassement qui, convenons-en, n'en a véritablement pas besoin. En réalité, il vaudrait peut-être mieux laisser cette hypothèse "hors du droit" et simplement espérer que, dans certains cas, des employeurs proposent ce type de modifications sans que cela ne leur soit imposé.

Ensuite, et surtout, on peut se demander si la précision relative à la modification du contrat de travail n'implique pas qu'une solution différente eut été apportée s'il s'était agi d'une mutation ne nécessitant qu'un simple changement dans les conditions de travail du salarié. Interprétée a contrario, l'exclusion des hypothèses dans lesquelles une modification du contrat de travail est nécessaire semble permettre celles dans lesquelles un simple changement des conditions de travail suffit. L'employeur pouvant imposer ce changement à ses salariés, il n'y aurait alors plus d'obstacle à la mutation du salarié dont on souhaite libérer le poste pour un reclassement.

On pourrait alors tout à fait imaginer, par exemple, la mise en oeuvre d'une clause de mobilité pour "déplacer" un salarié afin de libérer son poste de travail pour le salarié inapte. Préciser que l'employeur ne peut imposer la modification paraît donc porteur de conséquences bien lourdes, tant pour l'employeur que pour le salarié dont le poste conviendrait à celui que l'on doit reclasser. N'aurait-il pas fallu se contenter du caractère disponible ou non du poste ?

  • L'impossibilité nuancée de rendre un poste disponible

La précision que l'employeur ne peut être tenu d'imposer une modification du contrat de travail d'un salarié vient, en réalité, restreindre le champ de la première condition posée par la Cour, à savoir que l'employeur ne doit chercher des reclassements que dans des emplois disponibles.

Cette condition, seule, aurait été restrictive. Elle n'aurait jamais impliqué que la relation entre l'employeur et le salarié inapte vienne perturber la relation de travail d'un autre salarié de l'entreprise. La Chambre sociale réduit le champ de cette limite en estimant que l'employeur ne peut être tenu d'imposer une modification du contrat de travail puisque, par une interprétation a contrario, on peut penser que l'emploi pourra être rendu disponible lorsqu'il suffira de mettre en oeuvre un changement des conditions de travail d'un autre salarié. Avec une telle lecture, les deux conditions paraissent donc, dans une certaine mesure, contradictoires.

Il aurait mieux valu, à notre sens, se contenter du caractère disponible ou non du poste, même si cette condition n'est pas prévue par un texte. Cela aurait permis d'éviter de nombreux chamboulements dans l'entreprise et, surtout, dans la vie du salarié que l'on pourrait déplacer.

Enfin, et pour conclure, il est probable que cette solution soit confirmée concernant le reclassement du salarié menacé d'un licenciement pour motif économique, tant la nature des deux obligations de reclassement est proche. Espérons que ce soit alors l'occasion pour la Cour de choisir son fondement : le refus de la modification du contrat de travail ou la disponibilité du poste de reclassement.

newsid:262438

Utilisation des cookies sur Lexbase

Notre site utilise des cookies à des fins statistiques, communicatives et commerciales. Vous pouvez paramétrer chaque cookie de façon individuelle, accepter l'ensemble des cookies ou n'accepter que les cookies fonctionnels.

En savoir plus

Parcours utilisateur

Lexbase, via la solution Salesforce, utilisée uniquement pour des besoins internes, peut être amené à suivre une partie du parcours utilisateur afin d’améliorer l’expérience utilisateur et l’éventuelle relation commerciale. Il s’agit d’information uniquement dédiée à l’usage de Lexbase et elles ne sont communiquées à aucun tiers, autre que Salesforce qui s’est engagée à ne pas utiliser lesdites données.

Réseaux sociaux

Nous intégrons à Lexbase.fr du contenu créé par Lexbase et diffusé via la plateforme de streaming Youtube. Ces intégrations impliquent des cookies de navigation lorsque l’utilisateur souhaite accéder à la vidéo. En les acceptant, les vidéos éditoriales de Lexbase vous seront accessibles.

Données analytiques

Nous attachons la plus grande importance au confort d'utilisation de notre site. Des informations essentielles fournies par Google Tag Manager comme le temps de lecture d'une revue, la facilité d'accès aux textes de loi ou encore la robustesse de nos readers nous permettent d'améliorer quotidiennement votre expérience utilisateur. Ces données sont exclusivement à usage interne.