La lettre juridique n°235 du 9 novembre 2006

La lettre juridique - Édition n°235

Éditorial

Redistributions collectives et actionnariat : "l'important, c'est de participer"*

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N4922ALU

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l'important, c'est de participer"* - par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction">

par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


"La fin de l'espoir est le commencement de la mort". Si le "grand Charles" est à l'honneur cette semaine, c'est que la participation et l'intéressement des salariés reviennent sur le champ de bataille. Terrien parmi les terriens, le général-président pensait foncièrement qu'il était juste, en 1967, voire sain, que les salariés puissent percevoir une rétribution de leur travail, un peu à la manière des associés ou actionnaires des entreprises qui les emploient, avec tout l'aléa inhérent à la valorisation de ce travail. Car enfin, l'espoir de tout salarié n'est-il pas de bénéficier davantage des fruits de la croissance de l'entreprise, croissance à laquelle il participe ? Est-ce à dire que le projet de loi relatif au développement de la participation et de l'actionnariat salarié, adopté il y a peu par l'Assemblée nationale, suit la même logique que celle de son initiateur ? L'affaire commence pourtant bien : créer un "dividende du travail". L'expression, sans doute sortie d'un brain storming marketing et communication, est heureuse car elle réconcilie, enfin, l'antagonisme caricatural "capital" et "travail". Mais, à la lecture du projet de loi, l'affaire semble pour le moins "tarabiscotée" (pour les amateurs de dialogue social et de formules "abracadabrantesques"). Ainsi, le seul titre Ier du projet prévoit un "dividende du travail" que les entreprises pourront verser à leurs salariés et qui pourra prendre la forme d'un supplément de participation, d'intéressement ou d'une distribution collective d'actions gratuites. Il instaure la possibilité d'un intéressement pour un projet déterminé. Il généralise les plans d'épargne entreprise (PEE) dans les entreprises qui disposent d'un accord de participation. Il favorise la diffusion dans les PME des dispositifs de participation en prévoyant une obligation pour les branches de négocier des accords cadres dans les trois ans. Sur le papier, la formule fait mouche : qui s'opposerait à une distribution directe ou indirecte de revenus supplémentaires indexée sur la croissance ou la valorisation de l'entreprise ? Mais, à y regarder de plus près, trois remarques fondamentales peuvent d'ores et déjà être faites. D'abord, il s'agit là d'un "supplément" de participation ou d'intéressement ; l'accessoire suivant le principal, les entreprises dans lesquelles il n'est pas instauré de tels mécanismes de rétribution salariale sont hors champ obligatoire de cette "grande" nouveauté législative (en fait, la plupart des entreprises de moins de 50 salariés, c'est-à-dire la majorité d'entre-elles). A la fracture des "35 heures", celle des distributions collectives, déjà réelle, ne s'en trouve que ranimée. Ensuite, ce supplément laissé à l'initiative de l'entrepreneur ferait l'objet d'une décision de distribution  a posteriori ; c'est-à-dire à la clôture de l'exercice concerné. Il ne serait pas nécessaire de déterminer, a priori, pour ce supplément d'intéressement, une formule liée à une performance ou à un résultat, ni, pour le supplément de participation, l'atteinte d'un certain niveau nécessaire de résultats. L'aléa propre à la participation et à l'intéressement des salariés à la croissance de l'entreprise est donc ici obéré : l'accessoire n'aurait donc pas la même nature juridique que le principal ! Aussi, quid des charges sociales y afférentes ? L'aléa est, pourtant, l'une des conditions principales du régime d'exonération des produits de la participation et de l'intéressement, afin de ne pas tomber dans l'écueil du salaire déguisé -le seul aléa, en l'espèce, consisterait en la prise de décision ou non de l'entrepreneur de distribuer un tel supplément-. Enfin, puisque le but ultime de ce mécanisme est de répondre à une demande d'accroissement du pouvoir d'achat des salariés, et puisque l'aléa de cette distribution est, dans les faits, écarté -on imagine mal un chef d'entreprise revenant d'une année sur l'autre sur la distribution d'un tel revenu, sauf à avouer urbi et orbi que l'entreprise ne croît plus-, pourquoi ne pas adopter un simple mécanisme d'abaissement de charges sociales afférentes à la distribution de primes salariales exceptionnelles ? Sans doute pour conserver le caractère collectif des distributions en cause ; mais est-il plus égalitaire que tous les salariés d'une entreprise soient bénéficiaires des avantages d'une redistribution, quel que soit leur rôle ou leur investissement dans le projet de l'entreprise, ou que tous les salariés de toutes les entreprises puissent en espérer le gain ? D'ici à un an, le Gouvernement devra remettre au Parlement un rapport décrivant l'état de la mise en oeuvre d'une politique d'intéressement dans la fonction publique et les entreprises publiques. Gageons que les salariés de ces secteurs ne soient pas, eux aussi, bien que la notion "d'intéressement dans la fonction publique" soit difficile à concevoir, faute d'objectif de croissance d'un service public, écartés de ce train de mesure, pour ne pas ajouter une nouvelle "fracture sociale" à celles déjà existantes. Mais, tous pourront éventuellement reprendre espoir en investissant au sein des sociétés anonymes à objet sportif faisant appel public à l'épargne (l'article 44 du projet de loi, "cavalier législatif", ayant été adopté), pour accroître leur pouvoir d'achat indexé sur les résultats du loto sportif ! Les éditions juridiques Lexbase vous invitent, cette semaine, à lire une présentation du projet de loi, par Nicolas MingantLa création d'un "dividende du travail" par le projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié.

* Pierre de Coubertin

newsid:94922

Social général

[Textes] La création d'un "dividende du travail" par le projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié

Réf. : Projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié

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N4893ALS

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par Nicolas Mingant, Ater en droit privé à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Après concertation avec les partenaires sociaux et consultation du Conseil supérieur de la participation, l'Assemblée nationale a adopté, le 11 octobre 2006, en première lecture, après déclaration d'urgence, un projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié. Ce projet avait été présenté en Conseil des ministres une première fois le 21 juin 2006, puis, après qu'une lettre rectificative lui ait ajouté plusieurs dispositions, une seconde fois le 21 septembre 2006. Ces dernières dispositions ne seront pas abordées dans ce commentaire, dont l'objet se limitera à présenter brièvement les principales mesures concourant à la création d'un "dividende du travail".
  • Intéressement

L'article 1er du projet de loi institue un article L. 442-14-1 dans le Code du travail. Selon le 1°) de cet article, le conseil d'administration, le directoire ou le chef d'entreprise peut décider de verser un supplément d'intéressement au titre de l'exercice clos selon les modalités de répartition prévues par l'accord d'intéressement ou par un accord spécifique, ces sommes (qui bénéficient du même régime fiscal et social que celle issues du calcul de base) pouvant, notamment, être affectées à la réalisation d'un plan d'épargne d'entreprise, d'un plan d'épargne interentreprises ou d'un plan d'épargne pour la retraite collectif.

Selon l'exposé des motifs du projet de loi, cette possibilité d'attribuer un supplément d'intéressement vise à faire bénéficier du dispositif "les entreprises qui souhaitent davantage s'appuyer sur l'intéressement, outil de motivation très prisé, ou qui ne sont pas assujetties à la participation".

Le projet crée, également, une nouvelle catégorie d'intéressement (par l'ajout d'un alinéa à l'article L. 441-1 du Code du travail N° Lexbase : L7694HBL). Il s'agit d'un "intéressement de projet", institué par les accords d'intéressement, "au profit de tout ou partie des salariés d'une entreprise concourant avec d'autres entreprises, juridiquement indépendantes ou non, à une activité caractérisée et coordonnée".

  • Participation

Selon le 2°) de l'article L. 442-14-1 nouveau du Code du travail, les organes dirigeants de l'entreprise peuvent également verser un supplément de réserve spéciale de participation selon les modalités de répartition prévues par l'accord de participation ou par un accord spécifique.

Ces dispositions ont, notamment, pour objectif de pallier les insuffisances de la formule de calcul actuelle de la participation, dont les artisans du projet de loi voudraient qu'elle devienne un simple minimum légal. Chaque entreprise serait, au-delà de ce minimum légal, autorisée, en fonction de ses spécificités, à adopter ses propres critères de "partage des fruits de la croissance".

Il convient d'observer que l'idée initiale d'imposer la participation dans les entreprises de moins de 50 salariés a été abandonnée, notamment parce que le patronat et le Conseil supérieur de la participation s'y sont fermement opposés.

L'article 5 du projet de loi crée, cependant, un article L. 442-15-1 du Code du travail qui institue une obligation de négocier en la matière.

Dans les 3 ans de la publication de la loi, syndicats et patronat devront négocier, au niveau des branches, des accords de participation applicables dans les entreprises de moins de 50 salariés. En l'absence d'initiative patronale, une négociation devra s'ouvrir dans les 15 jours suivant la demande d'une ou plusieurs organisations représentatives. Au final, les entreprises concernées resteront, cependant, libres d'appliquer ou non les accords éventuellement conclus au niveau des branches.

  • Elargissement de l'actionnariat salarié

Aux termes de l'article 16 du projet de loi, l'article L. 443-6 du Code du travail permet, désormais, aux entreprise d'attribuer à l'ensemble de leurs salariés des actions gratuites placées sur un plan d'épargne d'entreprise (dans la limite d'un montant égal à 7,5 % du plafond annuel de la Sécurité sociale par adhérent).

Pour les entreprises émettrices, les charges liées à l'attribution de ces actions sont déductibles de l'assiette de l'impôt sur les sociétés, à condition qu'elles soient attribuées à l'ensemble des salariés, de manière homogène et selon des critères objectifs.

Plus précisément, la répartition peut être uniforme, proportionnelle à la durée de présence dans l'entreprise au cours de l'exercice ou proportionnelle aux salaires ou retenir conjointement ces différents critères. Il s'agit, en la matière, ainsi que l'indique l'exposé des motifs, de donner une "incitation forte au développement d'un actionnariat salarié large, qui ne soit pas excessivement affecté par les différences de capacité contributive des salariés selon leurs revenus".

L'indisponibilité de 5 ans, attachée au placement des actions sur le PEE (il était à l'origine question de ramener le délai d'indisponibilité de 5 à 3 ans mais l'idée a été abandonnée au cours de la procédure parlementaire), gage d'un actionnariat salarié durable, s'accompagnera pour les salariés de l'exonération d'impôt sur le revenu de l'avantage financier résultant de l'attribution définitive des actions ("gain d'acquisition") et de la plus-value réalisée lors de leur cession.

  • Groupements d'employeurs et groupements d'intérêt économique

La diffusion et l'élargissement de la participation et de l'intéressement, objectifs du projet de loi, doivent être adaptés aux nouvelles formes d'activité ou d'association juridique d'entreprises. Pour cette raison, l'article 3 du projet pose le principe de l'assujettissement des groupements d'employeurs et groupements d'intérêt économique aux dispositifs de négociation d'accords de participation, d'épargne salariale et d'intéressement en les adaptant (les articles L. 132-27 N° Lexbase : L3139HI4, L. 441-2 N° Lexbase : L7695HBM et L. 442-2 N° Lexbase : L6958GTU du Code du travail sont, notamment, modifiés en ce sens).

  • Sécurisation des accords

L'objectif de développement de la participation et de l'actionnariat salarié ne peut être atteint sans une certaine sécurisation des accords collectifs adoptés en la matière. C'est pourquoi l'article 8 du projet :

- permet que l'accord d'intéressement, l'accord de participation et le règlement d'un plan d'épargne, lorsqu'ils sont conclus concomitamment, fassent l'objet d'un dépôt commun auprès de l'administration (ajout d'un alinéa à l'article L. 132-27) ;

- facilite le dépôt des accords d'intéressement. Ceux-ci n'ont plus à être déposés dans le délai très court de 15 jours après leur signature mais dans un délai plus large, ce qui permettra ainsi d'éviter aux entreprises une contrainte conduisant à la perte des bénéfices fiscaux et sociaux attachés aux dispositifs (modification de l'article L. 441-2 du Code du travail) ;

- oblige l'administration et les organismes de recouvrement des cotisations sociales à se prononcer sur la conformité des accords proposés aux textes en vigueur dans un délai de 4 mois. En l'absence d'observation motivée dans ce délai, les accords et règlements des plans d'épargne et les accords de participation seront considérés comme conformes aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Aucun contrôle ultérieur ne pourra conduire à remettre en cause le contenu de ces textes et justifier une requalification conduisant à la restitution des exonérations fiscales et sociales dont auront bénéficié les salariés (institution d'un article L. 444-11 du Code du travail).

  • Participation des salariés actionnaires à la gestion de l'entreprise

Parce que "la démarche du dividende du travail trouve son complément naturel dans l'association des salariés à la marche des entreprises", l'article 15 du projet modifie les premiers alinéas des articles L. 225-23 (N° Lexbase : L5894AI7) et L. 225-71 (N° Lexbase : L5942AIW) du Code de commerce pour définir l'obligation et les modalités de mise en oeuvre de la représentation des salariés actionnaires dans les conseils d'administration et les directoires dès lors que ceux-ci possèdent plus de 3 % du capital de l'entreprise.

Pour ne pas dissuader les petites et moyennes entreprises d'ouvrir leur capital, cette disposition, d'application directe, ne concerne que les entreprises cotées.

Le projet de loi est actuellement devant le Sénat en première lecture et sera discuté en séance publique les mercredi 8, jeudi 9 et vendredi 10 novembre 2006.

newsid:94893

Droit financier

[Textes] Refonte des dispositions réglementaires relatives aux OPA (1ère partie)

Réf. : Arrêté du 18 septembre 2006, portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (N° Lexbase : L2145HSA)

Lecture: 12 min

N4877AL9

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Le 07 Octobre 2010

Impatiemment attendue, la réforme du cadre réglementaire des offres publiques d'acquisition (OPA) vient d'être opérée par un arrêté du 18 septembre 2006, paru au Journal officiel du 28 septembre 2006 (1), portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (AMF) . Conçu et adopté dans le sillage de la loi du 31 mars 2006 (loi n° 2006-387, relative aux offres publiques d'acquisition N° Lexbase : L9533HHK) (2), dont il constitue l'indispensable prolongement, le présent texte poursuit et parachève largement le processus de conformation du droit français à la treizième Directive communautaire sur les OPA (Directive 2004/25, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d'acquisition N° Lexbase : L2413DYZ) (3). Mais, comme son pendant législatif, il ne s'épuise pas à cette activité de stricte transposition. L'occasion est opportunément saisie de satisfaire à d'autres attentes d'amélioration et de modernisation, récemment exprimées par le "rapport Naulot" sur le renforcement de l'évaluation financière indépendante (4) ou encore le "groupe de travail OPA" mis en place par l'AMF en octobre 2005 (5). Loin de nuire à la cohérence de l'ensemble, les options retenues dans le cadre du pouvoir réglementaire autonome du régulateur se combinent aux exigences communautaires et législatives, pour gommer certains particularismes traditionnels de notre droit des offres publiques et amplifier son exposition aux influences "anglo-saxonnes". Les dispositions nouvelles intègrent toutes le Livre II du règlement général de l'AMF : pour une part quantitativement modeste, le Chapitre II de son Titre II consacré à l'"information permanente", en ce qui concerne, notamment, les déclarations de franchissement de seuils ou les nouvelles "déclarations d'intention", dues lorsque s'ourdent des bruits d'OPA ; pour une part plus imposante, le Titre III dudit Livre II, relatif aux "offres publiques d'acquisition", entièrement refondu et, désormais, assorti d'un appendice placé dans un nouveau Titre VI dédié à l'"expertise indépendante". Chacun de ces deux derniers titres est, au reste, complété par une instruction AMF, mise en ligne le même jour, bien que datée du 25 juillet 2006 (6).

Le volume de ces textes interdit d'en faire, ici, une relation complète, qui serait au surplus inutile compte tenu de l'effort témoigné de préservation d'un certain nombre d'acquis. Légère, cette présentation n'a d'autre ambition que de braquer le projecteur sur les principales innovations annoncées ou repérées. Par souci de clarté, elle épousera l'ordre retenu par le règlement général, auquel il ne sera dérogé qu'à des fins pédagogiques.

I - En amont du dépôt de l'offre publique, le regard se porte essentiellement sur les dispositions destinées à préciser les conditions dans lesquelles, aux termes de l'article L. 433-1 V du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3301HI4), "toute personne, dont il y a des motifs raisonnables de penser qu'elle prépare une offre publique, peut être tenue de déclarer ses intentions à l'Autorité des marchés financiers". Ces précisions réglementaires apportées au nouveau dispositif légal de dévoilement des intentions, inspiré de celui prévu par la Rule 2 du City Code on Takeovers and Mergers britannique, étaient fort attendues compte tenu des enjeux qui y sont attachés et des difficultés prévisibles de mise en oeuvre. Il serait audacieux de soutenir qu'en l'état actuel des choses, elles apparaissent de nature à dissiper les inquiétudes.

S'agissant spécialement du fait générateur de l'obligation déclarative, l'article 222-22 du règlement général AMF énonce que, "sans préjudice des dispositions de l'article 222-7, en particulier lorsque le marché des instruments financiers d'un émetteur fait l'objet de variations significatives de prix ou de volumes inhabituelles, l'AMF peut demander aux personnes dont il y a des motifs raisonnables de penser qu'elles préparent, seules ou de concert au sens de l'article L. 233-10 du code de commerce (N° Lexbase : L6313AIN), une offre publique d'acquisition, d'informer, dans un délai qu'elle fixe, le public de leurs intentions. Il en est ainsi, notamment, en cas de discussions entre les émetteurs concernés ou de désignation de conseils, en vue de la préparation d'une offre publique".

Nul besoin de faire l'exégèse du texte pour comprendre l'embarras que peut susciter le recours multiplié à des standards flous ("significatif", "inhabituel", "raisonnable"), à des substantifs au contenu juridique indéterminé ("discussion", "préparation") ou à des hypothèses simplement exemplatives ("en particulier", "notamment"). Se révèlent par là les limites juridiques de l'exercice consistant à rechercher au plus tôt les éléments d'une information utile au marché (et à la société cible).

Cela admis, le texte interpelle aussi le lecteur par ses silences : à propos de la prise en compte de l'action de concert, l'absence de renvoi à la définition de la notion propre aux situations d'OPA, inscrite par la loi du 31 mars 2006 à l'article L. 233-10-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L1396HIK) ; ou encore, contrairement au mécanisme institué par le City Code on Mergers and Acquisitions, l'absence d'indications particulières quant aux obligations qui peuvent, à ce titre, incomber à la société cible, dans la mesure où les intentions dévoilées ne présentent pas nécessairement de caractère "inamical".

L'interprète est aussi, et peut-être surtout, amené à regretter l'ambiguïté de l'articulation entre ce pouvoir reconnu à l'AMF, et à sa seule initiative (7), de partir en quête d'informations et le devoir d'information permanente, mâtiné d'une faculté de différé pour raison de confidentialité, auquel l'article 222-7, alinéa 1er, du règlement général soumet "toute personne qui prépare, pour son compte, une opération financière susceptible d'avoir une incidence significative sur le cours d'un instrument financier ou sur la situation et les droits des porteurs de cet instrument financier", au premier rang desquelles figurent logiquement les OPA (8). De fait, la réserve de ce devoir général d'information, liminairement opérée par l'article 222-22, ne se laisse pas commodément appréhendée. Du renvoi au premier alinéa de l'article 222-7, on comprend que le devoir d'information permanente continue de trouver application alors même que ne seraient pas constatées des variations significatives de prix ou de volumes inhabituelles, ce dont on pouvait difficilement douter. Plus équivoques apparaissent, en revanche, le sens et la portée du renvoi -implicite mais nécessaire en l'absence de distinction expresse ou logique- au second alinéa de l'article 222-7, qui autorise, rappelons-le, un différé d'information lorsque "la confidentialité est momentanément nécessaire à la réalisation de l'opération" et que l'intéressé "est en mesure de préserver cette confidentialité". La ligne de partage entre la faculté de maintenir confidentielle une opération en préparation et l'obligation de dévoiler ses intentions à l'AMF et au public, autrement dit la démarcation, la combinaison ou la hiérarchie éventuelle de ces deux intérêts légitimes et juridiquement protégés, ne se dessine pas très nettement. Si l'on souhaite défendre l'idée d'une conciliation et d'un traitement à parité de ces deux impératifs contradictoires, l'on est tenté de soutenir que les conditions cumulativement énoncées à l'article 222-22 (le constat d'anomalies de marché et l'existence de rumeurs laissant à penser qu'une OPA est en cours de préparation...) semblent manifester par elles-mêmes l'impossibilité, serait-elle objectivement constatée, dans laquelle se trouve le candidat initiateur de préserver la confidentialité de son opération. Mais, l'on peut, aussi, être tenté d'opérer une distinction entre la rumeur résultant d'une faille dans le dispositif de secret mis en place par l'initiateur et la rumeur provoquée par un tiers à des fins stratégiques purement personnelles et dont l'objet principal serait d'obliger au dévoilement d'éventuelles négociations dont rien n'a encore filtré mais qui sont simplement suspectées ou anticipées. On pressent bien la difficulté qu'il y aura dans tous les cas à détecter l'origine de la rumeur et à identifier clairement le cercle de ceux qui l'ont instillée puis amplifiée : entourage de l'initiateur mal contraint par les mesures de confidentialité ou autres protagonistes ayant motifs à tester l'existence d'une future offre.

Il reste, sur ce terrain délicat, à s'en remettre à la sagacité de l'AMF, à la prudence dont elle fera preuve dans l'usage de ce qui n'est pour elle qu'une faculté, afin de ne pas se laisser instrumentaliser au profit d'un camp particulier, car l'AMF aura bien à tenir des missions différentes qui pourraient facilement devenir contradictoires (9). Assurer la transparence de marché certes, mais simultanément tenir son rôle d'arbitre impartial en période préparatoire à l'offre, comme en période d'offre, chargé de veiller à ce que les parties en présence observent le principe de loyauté.

S'agissant du régime et des conséquences de la déclaration, il est indiqué que les intéressés saisis par l'AMF sont tenus, dans un délai fixé par celle-ci, d'informer le public de leurs intentions (Règl. gén. AMF, art. 222-22, al. 1er). Cette information prend la forme d'un "communiqué soumis préalablement à l'appréciation de l'AMF et dont l'auteur s'assure de la diffusion effective et intégrale" (Règl. gén. AMF, art. 222-22, al. 2).

Si, par ce communiqué, les intéressés déclarent avoir l'intention de déposer un projet d'offre, l'AMF fixe alors la date à laquelle ils doivent : soit publier un communiqué portant cette fois sur les caractéristiques du projet d'offre (comprenant les conditions financières du projet d'offre, les accords pouvant avoir une incidence sur sa réalisation, la participation détenue dans l'émetteur concerné, les éventuelles conditions préalables au dépôt du projet d'offre et le calendrier envisagé), soit déposer un projet d'offre (Règl. gén. AMF, art. 222-23).

Au regard du droit des offres publiques, cette déclaration positive emporte des effets contrastés. Sa publication déclenche la mise à feu d'une batterie d'obligations (Règl. gén. AMF, art. 222-24) : celles inscrites dans la section 10 du Chapitre Ier du Titre III à l'adresse "des dirigeants, des personnes concernées et de leurs conseils", spécialement le devoir de "vigilance particulière dans leurs déclarations" (Règl. gén. AMF, art. 231-36 et s.) ; celles, énoncées dans la section suivante relative au "contrôle des opérations d'offre publique", renfermant certaines obligations de déclaration d'opérations d'achat et de vente effectuées sur les titres concernés par l'offre publique (Règl. gén. AMF, art. 231-38 et s.), ainsi que "les dispositions relatives aux interventions sur le marché des titres concernés par une offre publique" (Règl. gén. AMF, art. 232-14 et s.). Rien n'est dit, en revanche, ce que l'on peut regretter, du rang pris par une offre publique annoncée de la sorte mais non encore déposée, vis-à-vis, notamment, de projets concurrents annoncés voire déposés dans l'intervalle. Il n'en reste pas moins que, de manière générale, l'anticipation des effets attachés à l'ouverture de la période d'offre a vocation à demeurer limitée, dans la mesure où la déclaration d'intention n'en constitue pas le dies a quo. C'est ainsi qu'en matière de défenses anti-OPA, ladite déclaration ne saurait marquer le point de départ des règles de neutralisation directoriale (10).

Les personnes ayant procédé à une déclaration d'intention négative, auxquelles sont assimilées celles qui ont émis une intention positive mais ensuite méconnu l'obligation qui en découlait en vertu de l'article 222-23, ne peuvent, "pendant un délai de six mois à compter de leur déclaration ou de l'échéance du délai mentionné au dernier alinéa de l'article 222-23, procéder au dépôt d'un projet d'offre, sauf si elles justifient de modifications importantes dans l'environnement, la situation ou l'actionnariat des personnes concernées, y compris l'émetteur lui-même" (Règl. gén. AMF, art. 222-25, al. 1er). Au cours de cette période, lesdites personnes se voient même interdire de "se placer dans une situation les obligeant à déposer un projet d'offre". De surcroît, se trouvent-elles tenues, au cas où elles viendraient "à accroître d'au moins 2 % le nombre de titres de capital et donnant accès au capital ou aux droits de vote de l'émetteur concerné qu'elles possèdent" (11), d'en faire immédiatement la déclaration et d'indiquer "les objectifs qu'elles ont l'intention de poursuivre jusqu'à l'échéance de ce délai" (Règl. gén. AMF, art. 222-25, al. 2). La lettre et l'esprit du texte portent, ici, à écarter les franchissements de seuils purement passifs.

Eu égard à la complexité des situations de fait susceptibles d'advenir, d'aucuns pourront s'étonner de cette réductibilité juridique forcée à l'une des deux branches de l'alternative posée : être prêt à déclarer une intention positive et à s'engager sur la voie de l'offre ; ou bien être conduit à déclarer une intention négative et souffrir les sujétions temporaires y afférentes. Même si, dans le premier cas, le projet d'offre peut être assorti de "conditions préalables" et que, dans le second, des éléments nouveaux peuvent provoquer la caducité de l'interdiction du dépôt d'un projet d'offre, on peut se demander s'il n'aurait pas été opportun d'envisager, à l'instar de la solution du City Code on Mergers and Acquisitions, la situation intermédiaire de personnes n'ayant pas encore arrêté leur décision, ce qui aurait eu le mérite d'éviter aux intéressés placés dans cette zone grise d'incertitudes de devoir procéder à une déclaration d'intention positive qui risque de ne pas être suivie d'effet. On mesure, à cet égard, l'importance du délai introduit dans le texte final de l'article 222-22, délai qui permettra à l'AMF et aux personnes interrogées de définir mutuellement le moment de la communication. De fait, dans l'entrelacs de ses missions, l'AMF, moins protégée que son homologue britannique par l'esprit de club, peut effectivement craindre au cas de communication jugée trop précoce, fragilisant, notamment, le plan de négociation d'un initiateur potentiel, ou trop tardive, risquant de causer un préjudice à la société cible ou à ses actionnaires, que sa responsabilité ne se trouve invoquée (12).

Pour la deuxième partie de cet article, lire (N° Lexbase : N4879ALB).

Alain Pietrancosta*
Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Directeur du Master Droit financier
Centre de Recherches en Droit financier


(1) JO n° 225 du 28 septembre 2006, p. 14210. Sur le projet de règlement, v. O. Douvreleur, C. Uzan, Projet de modification du règlement général de l'Autorité des marchés financiers : vers un renouveau du droit des offres publiques d'acquisition ?, Bull. Joly Bourse et produits financiers, juin 2006, p. 275-291.
(2) V. I. MacElhone, C. Maison-Blanche, Les récentes réformes en matière d'offres publiques induites par la loi du 31 mars 2006, Fusions & Acquisitions, mars-avril 2006, p. 30 ; RDBF, mai-juin 2006, p. 40, chron. H. Le Nabasque et P. Portier ; J.-B. Lenhof, Aspects de droit des sociétés de la réforme sur les offres publiques d'acquisition, Lexbase Hebdo n° 217, du 1er juin 2006 - édition affaires, (première partie) (N° Lexbase : N9036AKU), et (seconde partie) (N° Lexbase : N9296AKI) ; J.-F. Biard, Les nouvelles dispositions du droit des offres publiques en France, Option Finance, 10 juillet 2006, n° 891, p. 34-38 et in La lettre Vernimmen.net, n° 48, juin 2006 ; C. Malecki, La loi du 31 mars 2006 relative aux OPA et l'information des actionnaires et des salariés, Recueil Dalloz, 28 septembre 2006, n° 33, p. 2314-2318.
(3) V. A. Pietrancosta, La directive européenne sur les offres publiques d'acquisition enfin adoptée !, RD banc. et fin., septembre-octobre 2004, p. 338 ; M. Haschke-Dournaux, L'adoption de la directive européenne relative aux offres publiques d'acquisition, LPA, 26 avril 2004, n° 83, p. 7 ; F. Peltier, F. Martin-Laprade, Directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 relative aux OPA ou l'encadrement par le droit communautaire du changement de contrôle d'une société cotée, Bull. Joly Bourse et produits financiers, 2004/5, p. 610 ; A. Couret, La fin d'une trop longue saga : l'adoption de la 13e directive en matière de droit des sociétés concernant les offres publiques d'acquisition, Mélanges Béguin, Litec, 2005, p. 195 ; P. Servan-Schreiber, W. Grumberg, Défenses anti-OPA, Adoption de la directive européenne sur les OPA et enjeux pour les entreprises françaises, JCP éd. E, n° 44, p. 1774 ; T. Granier, La directive concernant les offres publiques d'acquisition, Europe, n° 11, novembre 2004 ; Reforming Company and Takeover Law in Europe, edited by G. Ferrarini, K. J. Hopt, J. Winter, E. Wymeersch, Oxford University Press, 2004 ; S. V. Simpson, L. Corte, The Future Direction of Takeover Regulation In Europe, 1520 PLI/Corp 759, Practising Law Institute, December, 2005.
(4) V. infra n° 10.
(5) Groupe présidé par Claire Favre et Dominique Hoenn, membres du collège de l'AMF.
(6) Instruction n° 2006-07, du 25 juillet 2006, relative aux offres publiques d'acquisition ; instruction n° 2006-08, du 25 juillet 2006, relative à l'expertise indépendante.
(7) Comp., là encore, avec le pouvoir d'initiative reconnu à la société cible par la Rule 2 du City Code on Mergers and Acquisitions.
(8) V. en ce sens, l'art. 6 § 1 de la Directive OPA.
(9) V., à cet égard, les propos de B. de Juvigny, rapportés par B. de Roulhac, L'AMF milite pour un maximum de transparence dans son dispositif de gestion des rumeurs, L'Agéfi, 11 octobre 2006, p. 9.
(10) V. not. A. Pietrancosta, Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options" françaises, Lexbase Hebdo n° 211, du 19 avril 2006, et n° 212 du 26 avril 2006 - édition affaires, première partie (N° Lexbase : N7263AK9), deuxième partie (N° Lexbase : N7294AKD), troisième partie (N° Lexbase : N7295AKE), quatrième partie (N° Lexbase : N7386AKR) et cinquième partie (N° Lexbase : N7390AKW), et RTDF 2006/1, p. 5-18, spéc. n° 3, p. 7.
(11) Tel qu'il est formulé, le texte invite à prendre pour base de calcul du seuil des 2 %, le nombre de titres antérieurement détenus par les intéressés, et non pas le nombre total de titres existant dans la société.
(12) V. sur le sujet, l'équilibre recherché en droit britannique : "The precise time limit imposed in any particular case under Rule 2.4(b) will be determined by reference to all the circumstances of the case and the Panel will endeavour to balance the potential damage to the business of the offeree company arising from the uncertainty caused by the potential offeror's interest against the disadvantage to its shareholders of losing the prospect of an offer" (City Code on Mergers and Acquisitions, Notes on Rule 2.4).

* L'auteur tient à remercier chaleureusement Catherine Maison-Blanche pour sa relecture attentive et ses précieuses observations.

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Recouvrement de l'impôt

[Jurisprudence] Régularité de l'avis à tiers détenteur et effets de la caducité d'actes de poursuite

Réf. : Cass. com., 3 octobre 2006, n° 01-03.515, Epoux Chessa c/ Trésorier principal de Vitrolles, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A4091DRX)

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N4921ALT

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Le 07 Octobre 2010


Parent pauvre de la doctrine juridique, le recouvrement de l'impôt suscite un nombre important de décisions, notamment, quant aux oppositions à contrainte, de la compétence de l'ordre administratif, ou à poursuite, de la compétence de l'ordre judiciaire.

Cette répartition entre les deux ordres de juridiction, issue de l'article L. 281 du LPF (N° Lexbase : L8541AE3) dont l'origine est historique, a entraîné une jurisprudence relative à la distinction entre les deux formes d'opposition dont le caractère byzantin n'échappera à aucun juriste.

Ainsi, pour s'en tenir au contentieux lié à la lettre de rappel prévu par l'article L. 255 du LPF (N° Lexbase : L3952ALX), dont la présente décision commentée apporte d'importantes précisions, ce dernier relève de la compétence de l'ordre judiciaire (T. conflits, 13 décembre 2004, n° 3411 Sauveur et Alexandrine Chessa c/ Trésorier principal de Vitrolles, sur renvoi de la Cour de cassation : Cass. com., 7 janvier 2004, n° 01-03.515, FS-D N° Lexbase : A6905DAY).

Par un arrêt du 3 octobre 2006, promis à la plus large diffusion, la Haute juridiction censure partiellement les conseillers de la cour d'appel d'Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 13 décembre 2000, 15ème ch. civ.) quant à la régularité des actes de poursuite relatifs au paiement de l'impôt sur le revenu des époux Chessa, notamment, quant à la régularité de plusieurs avis à tiers détenteur émis à l'encontre des contribuables demandeurs au pourvoi.

Après saisine du juge de l'exécution en contestation de la régularité d'actes de recouvrement émis par le comptable public portant sur plusieurs avis à tiers détenteur, un commandement de payer et un procès-verbal de saisie-vente, les contribuables demandent à la Cour de cassation de se prononcer sur la régularité, en la forme, de ces procédures diligentées par le comptable public à leur encontre : la Haute juridiction prend position, d'une part, quant à la régularité de l'avis à tiers détenteur (1) ; d'autre part, quant aux effets de la caducité d'actes de poursuite au regard de la lettre de rappel adressée préalablement par le comptable poursuivant, lorsque ce dernier intente de nouvelles poursuites à la suite du rejet de la réclamation contentieuse par la juridiction administrative (2).

1. Régularité de l'avis à tiers détenteur

L'avis à tiers détenteur est une mesure de recouvrement spécifiquement fiscale, très utilisée par les comptables publics, car ces derniers peuvent alors s'affranchir du formalisme des actes de procédure civile (1).

Du point de vue du contribuable, l'avis à tiers détenteur (ATD) offre l'avantage d'être une procédure de recouvrement sans frais : de jurisprudence constante, l'envoi d'une lettre de rappel par le comptable poursuivant ne s'impose donc pas (1.1.) ; en revanche, quant à la signature de l'ATD, une distinction doit être opérée selon que l'acte a été signé personnellement par le comptable public ou par voie de délégation (1.2.).

1.1. Avis à tiers détenteur et lettre de rappel

Le premier moyen invoqué par les demandeurs à la cassation porte sur la régularité des avis à tiers détenteur, alors que la lettre de rappel, prévue par l'article L. 255 du LPF, n'a pas été émise.

Ne pouvant pas, en elle-même, faire l'objet d'un recours contentieux dès lors qu'elle ne constitue, en droit, qu'un simple rappel et n'est pas un acte de poursuite per se (CE Contentieux, 1er décembre 1982, n° 28082, M. Maurice Vincent N° Lexbase : A9169AKS), la lettre de rappel doit être considérée comme une phase préalable, en principe obligatoire (2), à la charge du Trésor public dès lors que le comptable envisage des poursuites devant entraîner des frais (3).

Pour autant, l'envoi d'une telle lettre de rappel est une formalité substantielle lors du premier acte de poursuite seulement (CAA Marseille, 3ème ch., 9 novembre 1998, n° 96MA01801, Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie N° Lexbase : A2723BMS), dont la méconnaissance entraîne la responsabilité de l'Etat (CAA Paris, 2ème ch., 13 octobre 1998, n° 96PA00380, M. Guillet N° Lexbase : A0216AXB) et la décharge de l'impôt (CAA Marseille, 3ème ch., 6 février 2003, n° 98MA02091, Mme Viviane Unia N° Lexbase : A5994C9U).

Alors qu'aucun texte n'impose un envoi de la lettre de rappel sous pli recommandé, les contribuables peuvent contester la bonne réception de ladite lettre devant le juge de l'impôt, dès lors que la jurisprudence considère que la charge de la preuve de l'envoi incombe à l'administration (CE Contentieux, 27 novembre 2000, n° 197915, SARL Etablissements Viz N° Lexbase : A6522AY9 ; CAA Paris, 21 avril 1992, n° 91PA00396, Guillet N° Lexbase : A0025AX9) ; cette dernière n'étant pas admise à présenter devant les juridictions des listings informatiques internes à l'administration tendant à démontrer la réalité de l'envoi de la lettre (TA Paris, 2 décembre 2003, req. n° 98-11.498, Biendefeld : Dr. fisc. 2004 comm. 340, Juris-data n° 2003-231875). En l'état de la jurisprudence, il semble que la production de la copie de la lettre par l'administration pourrait, en fonction des éléments produits à l'instance par les parties, être considérée comme un indice sérieux visant à établir l'accomplissement de la procédure imposée par le législateur.

Cette situation a ému un parlementaire manifestement préoccupé du sort réservé aux deniers publics qui découle de décisions rendues par des juridictions souveraines : loin de représenter un "contentieux inutile", la question de la preuve de l'envoi de la lettre de rappel est essentielle au regard des droits de la défense.

A cette interpellation, le ministre de l'Economie et des Finances a répondu qu'il n'était pas dans ses intentions d'adresser la lettre de rappel par courrier recommandé compte tenu du coût pour l'Etat : en effet, sept millions de lettres de rappel sont adressées aux contribuables chaque année (QE n° 9911 de M. Flajolet André, JOANQ 30 décembre 2002 p. 5219, min. Eco., 12ème législature N° Lexbase : L7498BAX).

Pour la Cour de cassation, l'avis à tiers détenteur n'étant pas un acte de poursuite devant donner lieu à des frais, puisqu'il n'est pas énuméré par l'article 1912 du CGI (N° Lexbase : L1858HN7), la lettre de rappel prévue par l'article L. 255 du LPF n'avait pas à être émise.

La jurisprudence de la Haute cour est constante et sans ambiguïté sur ce point (lire nos obs., Contestation de la régularité d'un avis à tiers détenteur qui n'a pas à être précédé d'une lettre de rappel, Lexbase Hebdo n° 202, 16 février 2006 - édition fiscale N° Lexbase : N4574AKM, note sous Cass. com., 31 janvier 2006, n° 02-16.442, F-P+B N° Lexbase : A6430DM4 ; Cass. com., 5 avril 2005, n° 03-14.336, F-D N° Lexbase : A8671DHM ; Cass. com., 3 novembre 2004, n° 03-10.009, F-D N° Lexbase : A7651DDQ ; Cass. com., 3 mars 2004, n° 02-10.425, F-D N° Lexbase : A4016DBD ; Cass. com., 3 mars 2004, n° 02-16.330, F-D N° Lexbase : A4066DB9 ; Cass. com., 28 janvier 2003, n° 00-18.865, F-D N° Lexbase : A8445A4K ; Cass. com., 28 janvier 2003, n° 00-18.911, F-D N° Lexbase : A8440A4D ; il en est de même concernant la jurisprudence administrative : TA Paris, 10 décembe 1998, n° 96-177, 1ère sect., 2ème ch., Cohen c/ Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, RJF juillet 1999, n° 926).

Par conséquent, l'argumentation invoquée par les époux Chessa était nécessairement vouée à l'échec en l'état de la jurisprudence appliquée strictement par la Cour de cassation.

1.2. Avis à tiers détenteur et signature

Les demandeurs au pourvoi soulevaient l'irrégularité des avis à tiers détenteurs signés mais ne comportant pas le nom du signataire de sorte qu'ils ne pouvaient avoir l'assurance de sa compétence.

La régularité des actes de poursuite des comptables publics, quant à leur signature, a fait l'objet d'un net assouplissement jurisprudentiel : par une décision rendue au début de l'année 2006, la Cour de cassation a développé une jurisprudence, fort critiquée par la doctrine, visant à considérer qu'une signature illisible, sous la mention "comptable du trésor", d'un commandement de payer était valable en droit (lire nos obs., Régularité des actes de poursuites : une sensible évolution jurisprudentielle, Lexbase Hebdo n° 201, 9 février 2006 - édition fiscale N° Lexbase : N4271AKE, chron. sous Cass. com. 17 janvier 2006, n° 03-13.643, FS-P+B+R N° Lexbase : A5639DMS ; commentaire incisif de la RJF : "Il ne faudrait pas que cette position bienveillante [de la Cour de cassation] incite les agents, fussent-ils des comptables comme en l'espèce, à agir dans un anonymat qu'on peut tenir pour déplorable", RJF avril 2006 n° 464).

Au cas particulier, les juges du fond ont constaté que les avis à tiers détenteur étaient bien signés personnellement par le comptable du Trésor de sorte que l'absence du nom du signataire n'emportait pas de conséquences.

En effet, pour la Cour régulatrice, le comptable poursuivant est "[...] suffisamment identifié par l'indication portée en tête de l'acte qu'il s'agissait de la trésorerie de Vitrolles".

En revanche, dans l'hypothèse d'une délégation de signature, les contribuables sont bien fondés à réclamer l'annulation de l'avis à tiers détenteur : les faits rapportés mentionnent que l'un des ATD a été signé pour le compte du comptable du Trésor sans mention de l'existence d'une délégation de signature, du nom et de la qualité du signataire.

Dans ces conditions, les contribuables ne pouvaient identifier l'auteur de l'acte de poursuite et s'assurer de sa compétence.

Par conséquent, la Cour de cassation opère une distinction entre, d'une part, le comptable public qui signe l'acte personnellement et, d'autre part, celui qui agit sur délégation de signature.

Cette précision s'impose tant sur le plan du droit que sur celui de l'équité : le comptable de la DGI ou du Trésor, détenteur d'une prérogative de puissance publique, est l'initiateur des poursuites. A ce titre, il doit en assumer pleinement la responsabilité au regard de la forme adoptée. Cette attitude serait également conforme à l'évolution voulue par le Gouvernement d'une administration fiscale de "service".

2. Lettre de rappel, actes de poursuites et caducité : effet domino

Outre l'avis à tiers détenteur, le comptable public poursuivant peut procéder à la saisie-vente (4) des biens du contribuable dont la mise en oeuvre suppose l'existence d'un titre exécutoire.

Cette procédure, qui comporte une phase de saisie puis une phase de vente, est nécessairement précédée d'une formalité substantielle : le commandement de payer. S'il s'agit d'un impôt recouvré par le comptable du Trésor, le commandement de payer devra être notifié vingt jours après la lettre de rappel, la saisie ne pouvant intervenir qu'après un délai de huit jours (5). S'agissant d'un impôt recouvré par le comptable de la DGI, la mise en demeure vaudra commandement de payer lorsque les poursuites exercées ont lieu par voie de saisie mobilière : à l'issue d'un délai de vingt jours, le comptable pourra alors procéder à la saisie-vente sans autre formalité (6).

Au cas particulier, les époux Chessa ont assorti leur réclamation contentieuse d'un sursis de paiement en application de l'article L. 277 du LPF (N° Lexbase : L8537AEW).

Ce sursis de paiement a suspendu l'exigibilité de l'impôt et mis fin au premier acte de poursuite diligenté par le comptable public.

Mais le rejet de la requête par le tribunal administratif conférait, à nouveau, l'exigibilité des impositions contestées conformément à la jurisprudence du Conseil d'Etat (CE Contentieux, 21 juin 1995, n° 110922, M. Crave N° Lexbase : A4363ANW), étant entendu que l'appel interjeté ne peut emporter d'effet suspensif.

Or, les demandeurs au pourvoi reprochent à la cour d'appel d'Aix-en-Provence d'avoir jugé réguliers le commandement de payer et le procès-verbal de saisie-vente, émis par le comptable du Trésor postérieurement au rejet de leur requête déposée devant le tribunal administratif, alors que ce dernier ne leur avait pas délivré, à nouveau, une lettre de rappel.

S'appuyant sur la lettre même de l'article L. 255 du LPF, les conseillers de la juridiction d'appel ont jugé que la caducité, sans effet rétroactif (7), a frappé l'acte de poursuite mis en oeuvre antérieurement à la demande de sursis de paiement : elle n'a pas atteint la lettre de rappel, car elle est un préliminaire à l'acte de poursuite et ne se confond pas avec ce dernier.

Au contraire, pour la Cour de cassation, la caducité (8) du premier acte de poursuite devant donner lieu à des frais imposait au comptable public l'obligation d'émettre, à nouveau, une lettre de rappel à l'intention des contribuables et ce préalablement aux nouveaux actes de poursuite.

Appliquée au recouvrement de l'impôt, l'acte de poursuite initialement valable, est devenu caduc, en état de non-valeur, dès lors que les impositions ont cessé d'être exigibles du fait de la demande de sursis de paiement.

Dès lors qu'une nouvelle lettre de rappel n'a pas été adressée préalablement aux nouveaux actes de poursuite entrepris postérieurement par le comptable public, ces derniers sont irréguliers.

La Cour de cassation consacre à nouveau, par cette décision, le caractère substantiel de la lettre de rappel.

Frédéric Dal Vecchio
Juriste-fiscaliste
Chargé d'enseignement à la Faculté de Droit de Versailles Saint-Quentin en Yvelines


(1) Il n'en est pas de même si le comptable poursuivant recourt à la saisie attribution issue de la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 (N° Lexbase : L9124AGZ).
(2) Des exceptions sont prévues, notamment, dans l'hypothèse où le contribuable organiserait son insolvabilité.
(3) Mais concernant les impôts recouvrés par les comptables de la Direction générale des impôts, la phase préalable prévue par l'article L. 257 du LPF (N° Lexbase : L3915ALL) comporte un formalisme plus strict : la mise en demeure doit être adressée en recommandé avec avis de réception. La mise en demeure est une formalité substantielle et requise à peine de nullité de toutes les poursuites entreprises par le comptable de la DGI (Cass. com. 9 février 1999, n° 96-22.571, Société Force, formation recrutement conseil en entreprise N° Lexbase : A8198AH4). Toutefois, à la différence des impôts recouvrés par le comptable du Trésor, la mise en demeure adressée par la DGI n'est pas limitée aux seuls actes de poursuite devant donner lieu à des frais (LPF art. L. 257).
(4) Loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, art. 50 à 55. Applicable depuis le 1er janvier 1993, la saisie-vente remplace la procédure de saisie-exécution.
(5) Toutefois, dans l'hypothèse, notamment, d'une majoration de droit ou des intérêts de retard pour non-déclaration ou déclaration tardive, la lettre de rappel n'est pas obligatoire et le commandement de payer peut être délivré dès l'exigibilité de l'impôt : la saisie pourra alors être pratiquée un jour après la signification du commandement (LPF, art. L. 260 N° Lexbase : L8286AEM).
(6) LPF, art. L. 261 (N° Lexbase : L8472AEI).
(7) La caducité se définit par "un état de non-valeur auquel se trouve réduit un acte initialement valable [...]", G. Cornu, Vocabulaire juridique, V° Caducité, PUF Quadrige, 2002. En principe, la caducité prive l'acte d'effets uniquement pour l'avenir : F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Droit civil. Les obligations, Dalloz, collection Précis, 9ème édition, 2005, p. 98.
(8) La caducité vise à sanctionner en premier lieu la négligence : ainsi, en procédure civile, une assignation non suivie d'une saisine de la juridiction dans les quatre mois de sa signification à l'adversaire est caduque (NCPC, art. 757 N° Lexbase : L4953GUY) et emporte l'extinction de l'instance (NCPC, art. 585 N° Lexbase : L2835ADD).

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Droit financier

[Textes] Refonte des dispositions réglementaires relatives aux OPA (2ème partie)

Réf. : Arrêté du 18 septembre 2006, portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (N° Lexbase : L2145HSA)

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N4879ALB

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Le 07 Octobre 2010

Impatiemment attendue, la réforme du cadre réglementaire des offres publiques d'acquisition (OPA) vient d'être opérée par un arrêté du 18 septembre 2006, paru au Journal officiel du 28 septembre 2006 (1), portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (AMF) . Conçu et adopté dans le sillage de la loi du 31 mars 2006 (loi n° 2006-387, relative aux offres publiques d'acquisition N° Lexbase : L9533HHK) (2), dont il constitue l'indispensable prolongement, le présent texte poursuit et parachève largement le processus de conformation du droit français à la treizième directive communautaire sur les OPA (Directive 2004/25, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d'acquisition N° Lexbase : L2413DYZ) (3). Mais, comme son pendant législatif, il ne s'épuise pas à cette activité de stricte transposition. L'occasion est opportunément saisie de satisfaire à d'autres attentes d'amélioration et de modernisation, récemment exprimées par le "rapport Naulot" sur le renforcement de l'évaluation financière indépendante (4) ou encore le "groupe de travail OPA" mis en place par l'AMF en octobre 2005 (5). Loin de nuire à la cohérence de l'ensemble, les options retenues dans le cadre du pouvoir réglementaire autonome du régulateur se combinent aux exigences communautaires et législatives, pour gommer certains particularismes traditionnels de notre droit des offres publiques et amplifier son exposition aux influences "anglo-saxonnes". (cf. Refonte des dispositions réglementaires relatives aux OPA (1ère partie) N° Lexbase : N4877AL9).

II - La réglementation des offres publiques articulée au Titre III du Livre II du règlement général AMF fait, pour sa part, l'objet d'une complète réécriture. Certes, au plan formel, la structuration et l'intitulé des chapitres évoluent peu, préservant ainsi les familiers de la matière d'une inutile perte de repères. Mais cette permanence n'est que de façade, tant sont nombreux les changements matériels opérés.

On laissera de côté les changements indirects, résultant de facteurs juridiques exogènes. De fait, le règlement général reprend, à droit apparemment constant, d'anciennes prescriptions, dont la portée risque, néanmoins, d'être sensiblement altérée par suite de l'application de règles externes nouvelles. Allusion peut être ainsi faite à l'obligation, à compter du début de la période d'offre, d'exécuter sur les marchés réglementés les ordres portant sur les titres visés par l'OPA (Règl. gén. AMF, art. 231-7), qu'il convient d'apprécier au regard du principe d'égalité de traitement des systèmes de négociation d'instruments financiers posé par la Directive MIF (Directive 2004/39, du 21 avril 2004, concernant les marchés d'instruments financiers, modifiant les Directives 85/611/CEE et 93/6/CEE du Conseil et la directive 2000/12/CE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la Directive 93/22/CEE du Conseil N° Lexbase : L2056DYS) (6) ; ou encore à l'énoncé des "principes généraux" des OPA (Règl. gén. AMF, art. 231-3), dont l'interprétation doit à présent composer avec les dispositions spéciales du droit des sociétés, inscrites dans le Code de commerce par la loi du 31 mars 2006, relativement aux défenses anti-OPA (7).

L'accent sera mis, au contraire, sur les modifications internes du règlement général AMF, dont la présentation conduit naturellement à distinguer selon qu'elles interviennent dans le champ des dispositions générales ou celui des dispositions spéciales régissant les offres publiques.

A - Au titre des dispositions générales, l'on remarque, tout d'abord, l'introduction d'une obligation pour l'initiateur d'une offre publique d'échange (OPE) de proposer, en certains cas, une option en numéraire aux actionnaires de la société visée.

Il en va ainsi, en premier lieu, "lorsque les titres remis en échange ne sont pas des titres liquides admis aux négociations sur un marché réglementé d'un Etat membre de la Communauté européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen" (Règl. gén. AMF, art. 231-8, al. 5). Protecteur des intérêts des destinataires de l'OPE, assurés de recevoir en échange des titres d'une qualité intrinsèque au moins équivalente à ceux dont ils sont titulaires, le texte est curieusement présenté comme la transposition de l'article 5 § 5 de la Directive OPA (8), lequel ne concernait pourtant que les seules offres publiques obligatoires. Comme ce dernier, il laisse clairement apparaître le caractère cumulatif des conditions d'admission aux négociations sur un marché réglementé et de liquidité, sans apporter plus de précision sur le niveau minimum de liquidité requis.

L'option en numéraire s'impose, en second lieu, lorsque "l'initiateur, agissant seul ou de concert, a acquis en numéraire, au cours des douze mois précédant le dépôt du projet d'offre, des titres conférant plus du vingtième du capital ou des droits de vote de la société visée" (Règl. gén. AMF, art. 231-8, al. 6). Obligation qui paraît ici fondée sur un principe de cohérence et d'égalité de traitement des actionnaires de la société cible.

Mais, c'est au plan de l'information communiquée et de son contrôle que les changements se donnent le plus à voir.

D'une part, l'information du marché se fait plus précoce. Rapprochant le droit français de la procédure en vigueur outre-Atlantique, l'article 231-16 I du règlement général impose désormais la publication du projet de note d'information établi par l'initiateur (ou conjointement avec la société visée) dès le début de la période d'offre (9). Cette diffusion, réalisée essentiellement par tenue à disposition gratuite au siège de la (ou des) société(s) concernée(s), par envoi sur demande et/ou par mise en ligne sur le site de la(les)dite(s) société(s) et sur celui de l'AMF, ne nécessite plus, autrement dit, l'imprimatur préalable de l'AMF. Afin d'en avertir les destinataires, il est prévu que le projet de note d'information, comme le communiqué qui l'accompagne (Règl. gén. AMF, art. 231-16 III), mentionne que : "Cette offre et le projet de note d'information restent soumis à l'examen de l'AMF" (Règl. gén. AMF, art. 231-16 IV).

Importante, cette avancée marque le point d'achèvement d'une conception de la communication, entamée il y a quelques années. La première étape avait consisté à exiger la publication d'un communiqué dans la presse reprenant les grandes lignes de la note d'information de l'initiateur ou de la note conjointe. Elle satisfaisait alors à un double objectif. Le premier correspondait au souhait de faire bénéficier le marché, le plus tôt possible, de l'information utile à la construction d'une opinion sur l'offre de contrat sans attendre le label apposé par l'autorité de marché. Compte tenu, au surplus, de la brièveté du délai de recours contre la décision de recevabilité, il existait une vraie difficulté à ne mettre à leur disposition l'information nécessaire à l'élaboration de leur contestation qu'à la toute dernière minute. Aujourd'hui, ce point se trouve heureusement résolu grâce à la disponibilité de cette information au moment du dépôt. Le deuxième objectif consistait à pouvoir reprendre rapidement les cotations, en particulier pour les valeurs très liquides, ce qui supposait que l'information fût très tôt accessible au marché. Cet objectif est renforcé dans le nouveau dispositif car un temps très long peut s'écouler entre le dépôt du projet d'offre et la déclaration de conformité en cas d'expertise indépendante. Il est difficilement envisageable dans ces hypothèses que le cours puisse rester suspendu durant tout ce temps. D'où la nécessité d'une information rapide, même susceptible de modifications ultérieures.

D'autre part, le contenu de la note d'information subit un réaménagement significatif. Suivant en cela les prescriptions de la Directive OPA, il est désormais centré, aux dires de l'AMF, "sur la description du contrat d'offre" (10) ou plutôt, serait-on tenté de dire, de l'offre de contrat. Il renferme ainsi : l'identité de l'initiateur ; la teneur de son offre et, en particulier le prix ou la parité proposé, le nombre et la nature des titres qu'il s'engage à acquérir, les conditions auxquelles l'offre peut être subordonnée, le calendrier prévisionnel de l'offre, le nombre et la nature des titres remis en échange par l'initiateur, les conditions de financement de l'opération et leurs incidences sur les actifs, l'activité et les résultats des sociétés concernées ; les intentions de l'initiateur pour une durée couvrant au moins les douze mois à venir ; les orientations en matière d'emploi ; les accords relatifs à l'offre, et s'il y a lieu, l'avis motivé du conseil d'administration ou du conseil de surveillance de l'initiateur (11) (Règl. gén. AMF, art. 231-18 ; instruction AMF, n° 2006-07 du 25 juillet 2006 relative aux offres publiques d'acquisition). Les "autres informations", celles "relatives caractéristiques, notamment juridiques, financières et comptables, de l'initiateur et de la société visée", font, quant à elles, l'objet d'un document distinct, déposé parallèlement auprès de l'AMF et mis à la disposition du public, au plus tard le jour de l'ouverture de l'offre (Règl. gén. AMF, art. 231-28 ; instruction AMF, n° 2006-07 préc.). Outre cette disparité de traitement temporel et procédural interne, d'autres effets juridiques procèdent de la distinction opérée entre ces deux documents d'information. Ils tiennent, par exemple, au rôle dévolu aux commissaires aux comptes, à présent limité aux "autres informations" (Règl. gén. AMF, art. 231-28 III), leur attestation n'apparaissant plus sur la note d'information ; ou à leur régime de circulation communautaire, la note d'information, une fois approuvée, étant soumise à la procédure de reconnaissance mutuelle prévue à l'article 6 § 2, al. 2, de la directive OPA (Règl. gén. AMF, art. 231-25), tandis que le document comportant les "autres informations" pourra être éventuellement "passeporté" au titre de la Directive "Prospectus" (Directive 2003/71, du 4 novembre 2003, concernant le prospectus à publier en cas d'offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l'admission de valeurs mobilières à la négociation, et modifiant la Directive 2001/34 N° Lexbase : L4456DMY).

Pour la troisième partie de cet article, lire (N° Lexbase : N4883ALG).

Alain Pietrancosta*
Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Directeur du Master Droit financier
Centre de Recherches en Droit financier


(1) J.O. n° 225 du 28 septembre 2006, p. 14210. Sur le projet de règlement, v. O. Douvreleur, C. Uzan, Projet de modification du règlement général de l'Autorité des marchés financiers : vers un renouveau du droit des offres publiques d'acquisition ?, Bull. Joly Bourse et produits financiers, juin 2006, p. 275-291.
(2) V. I. MacElhone, C. Maison-Blanche, Les récentes réformes en matière d'offres publiques induites par la loi du 31 mars 2006, Fusions & Acquisitions, mars-avril 2006, p. 30 ; RDBF, mai-juin 2006, p. 40, chron. H. Le Nabasque et P. Portier ; J.-B. Lenhof, Aspects de droit des sociétés de la réforme sur les offres publiques d'acquisition (première partie), Lexbase Hebdo n° 217, du 1er juin 2006 - édition affaires (N° Lexbase : N9036AKU), et (seconde partie) (N° Lexbase : N9296AKI) ; J.-F. Biard, Les nouvelles dispositions du droit des offres publiques en France, Option Finance, 10 juillet 2006, n° 891, p. 34-38 et in La lettre Vernimmen.net, n° 48, juin 2006 ; C. Malecki, La loi du 31 mars 2006 relative aux OPA et l'information des actionnaires et des salariés, Recueil Dalloz, 28 septembre 2006, n° 33, p. 2314-2318.
(3) V. A. Pietrancosta, La directive européenne sur les offres publiques d'acquisition enfin adoptée !, RD banc. et fin., septembre-octobre 2004, p. 338 ; M. Haschke-Dournaux, L'adoption de la directive européenne relative aux offres publiques d'acquisition, LPA, 26 avril 2004, n° 83, p. 7 ; F. Peltier, F. Martin-Laprade, Directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 relative aux OPA ou l'encadrement par le droit communautaire du changement de contrôle d'une société cotée, Bull. Joly Bourse et produits financiers, 2004/5, p. 610 ; A. Couret, La fin d'une trop longue saga : l'adoption de la 13e directive en matière de droit des sociétés concernant les offres publiques d'acquisition, Mélanges Béguin, Litec, 2005, p. 195 ; P. Servan- Schreiber, W. Grumberg, Défenses anti-OPA, Adoption de la directive européenne sur les OPA et enjeux pour les entreprises françaises, JCP éd. E, n° 44, p. 1774 ; T. Granier, La directive concernant les offres publiques d'acquisition, Europe, n° 11, novembre 2004 ; Reforming Company and Takeover Law in Europe, edited by G. Ferrarini, K. J. Hopt, J. Winter, E. Wymeersch, Oxford University Press, 2004 ; S. V. Simpson, L. Corte, The Future Direction of Takeover Regulation In Europe, 1520 PLI/Corp 759, Practising Law Institute, December, 2005.
(4) V. A. Pietrancosta, Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options" françaises, Lexbase Hebdo n° 211, du 19 avril 2006, et n° 212 du 26 avril 2006 - édition affaires, première partie (N° Lexbase : N7263AK9), deuxième partie (N° Lexbase : N7294AKD), troisième partie (N° Lexbase : N7295AKE), quatrième partie (N° Lexbase : N7386AKR) et cinquième partie (N° Lexbase : N7390AKW).
(5) Groupe présidé par Claire Favre et Dominique Hoenn, membres du collège de l'AMF ; et RTDF 2006/1, p. 5-18, spéc. n° 3, p. 7.
(6) A noter que la loi n° 2005-811 du 20 juillet 2005 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des marchés financiers (N° Lexbase : L5010HGN) (JO n ° 168 du 21 juillet 2005, p. 11835) a abrogé les articles L. 421-12 (principe général de centralisation des ordres N° Lexbase : L2756G9X) et L. 421-13 (règle renforcée applicable en période d'offre publique N° Lexbase : L2215AT9) du Code monétaire et financier.
(7) V. not. A. Pietrancosta, Lexbase Hebdo n° 211 et n° 212, préc. , et RTDF 2006/1, p. 5-18, spéc. n° 3, p. 7 ; N. Bombrun, F. Moulin, Défenses anti-OPA : le point après la loi "OPA" du 31 mars 2006, RTDF 2006/1, p. 19-26 ; A. Viandier, Défenses en cours d'offre : les règles de compétence des organes sociaux après la loi du 31 mars 2006, RJDA, 5/06, p. 435 ; H. Le Nabasque, Les mesures de défense anti-OPA depuis la loi n° 2006-387 du 31 mars 2006, Rev. soc., 2006/2, p. 237. Adde, M.-N. Dompé, La transposition de la directive OPA et les principes directeurs des offres, à paraître.
(8) V. AMF, Consultation publique sur le projet de règlement général relatif aux offres publiques et à l'expertise indépendante, 25 avril 2006, Annexe, p. 30.
(9) Début que marque la publication par l'AMF des principales dispositions du projet d'offre (Règl. gén. AMF, art. 231-14).
(10) V. AMF, Consultation publique sur le projet de règlement général relatif aux offres publiques et à l'expertise indépendante, 25 avril 2006, p. 3.
(11) Présenté comme la transposition de l'article 9 de la Directive (V. AMF, Consultation publique sur le projet de règlement général relatif aux offres publiques et à l'expertise indépendante, 25 avril 2006, Annexe, p. 48), lequel n'évoque pourtant que l'avis motivé du conseil de la société visée.


* L'auteur tient à remercier chaleureusement Catherine Maison-Blanche pour sa relecture attentive et ses précieuses observations.

newsid:94879

Conventions et accords collectifs

[Jurisprudence] Hôtellerie, cafés, restauration : retour aux 35 heures...

Réf. : CE, 1° et 6° s-s-r., 18 octobre 2006, n° 276359, Fédération des services CFDT et autres (N° Lexbase : A9526DRA)

Lecture: 9 min

N4756ALQ

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Le secteur de l'hôtellerie, cafés, restauration, a provisoirement perdu sa durée du travail. Le Conseil d'Etat est, en effet, venu annuler, le 18 octobre 2006, le décret du 30 décembre 2004 (décret n° 2004-1536 relatif à la durée du travail dans les hôtels, cafés, restaurants N° Lexbase : L5243GUQ), reprenant les termes de l'accord collectif national du 13 juillet 2004, qui fixait à 39 heures par semaine la durée du travail hebdomadaire dans l'hôtellerie, les cafés et la restauration. Cette annulation a pour conséquence de fixer rétroactivement au 1er janvier 2005 la durée légale du travail dans ce secteur à 35 heures par semaine. Ce passage aux 35 heures ne sera toutefois que temporaire. Afin de pallier les conséquences "désastreuses" que peut avoir une telle décision, un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale, reprenant le contenu de l'accord collectif de 2004, avec effet rétroactif au 1er janvier 2005 et, notamment, la durée hebdomadaire ainsi que ses contreparties en termes de congés et jours fériés, a été adopté en première lecture par les députés, dans l'attente d'une nouvelle négociation dans ce secteur. Cette intervention est heureuse d'un point de vue pratique car elle tend à éviter les difficultés liées à la rétroactivité de la décision du Conseil d'Etat. D'un point de vue théorique, en revanche, on ne peut que saluer la solution rendue par les juges de la Haute juridiction administrative.
Résumé

Est nul l'arrêté portant extension d'un accord collectif national visant à étendre à l'ensemble du secteur concerné par l'accord un régime d'équivalence en matière de durée du travail, dans la mesure où il ne limite pas cette équivalence aux professions et emplois comportant des périodes d'inaction.

Décision

CE, 1° et 6° s-s-r., 18 octobre 2006, n° 276359, Fédération des services CFDT et autres (N° Lexbase : A9526DRA)

Texte concerné : C. trav., art. L. 212-4 (N° Lexbase : L8959G7X)

Mots-clefs : avenant à un accord collectif national ; durée du travail ; équivalence ; secteur d'hôtellerie restauration ; arrêté d'extension ; annulation ; limitation de l'équivalence aux professions et emplois comportant des périodes d'inaction.

Lien bases :

Faits

Un avenant à la convention collective des hôtels, cafés et restaurants du 13 juillet 2004 avait fixé la durée hebdomadaire de travail équivalente à la durée légale à 39 heures pour toutes les entreprises, à l'exception de celles qui avaient, à la date de l'accord, une durée collective de 37 heures. Ces dernières restaient soumises à cette durée.

La fédération des services CFDT, qui n'était pas signataire de cet avenant, avait demandé au Conseil d'Etat de prononcer l'annulation de l'arrêté ministériel du 30 décembre 2004, décidant son extension à l'ensemble des entreprises du secteur et du décret du même jour validant le régime d'équivalence à la durée légale du travail ainsi institué.

Solution

1. Annulation

Sur les conclusions dirigées contre le décret du 30 décembre 2004.

2. "Considérant qu'aux termes du dernier alinéa de l'article L. 212-4 du Code du travail : 'Une durée équivalente à la durée légale peut être instituée dans les professions et pour des emplois déterminés comportant des périodes d'inaction soit par décret, pris après conclusion d'une convention ou d'un accord de branche, soit par décret en Conseil d'Etat. Ces périodes sont rémunérées conformément aux usages ou aux conventions ou accords collectifs' ; que ces dispositions ne sont susceptibles de recevoir application que s'agissant de professions comportant des périodes d'inaction, et pour des emplois déterminés ; que, sur le fondement de ce texte, le décret attaqué du 30 décembre 2004 a fixé, à la suite de l'avenant n° 1 du 13 juillet 2004 à la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants, la durée légale du travail à 39 heures dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants, à l'exception des entreprises et unités économiques et sociales de plus de 20 salariés pour lesquelles la durée légale du travail a été fixée à 37 heures".

3. "Considérant que les requérants soutiennent, sans être sérieusement contredits, que l'ensemble des emplois que comporte l'ensemble des professions relevant du secteur des hôtels, cafés et restaurants ne sont pas de la nature de ceux pour lesquels les dispositions de l'article L. 212-4 du Code du travail ont prévu la possibilité d'établir un régime d'équivalence ; qu'ainsi, le décret litigieux, en fixant la durée légale du travail à 39 heures dans le secteur des hôtels, cafés et restaurants pour l'ensemble des salariés de ce secteur sans limiter l'institution de ce régime d'équivalence à ceux des emplois de ces professions qui comportent des périodes d'inaction, a méconnu ces dispositions ; que, par suite, la fédération des services CFDT est fondée à en demander, pour ce motif, l'annulation".

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 30 décembre 2004 étendant l'avenant du 13 juillet 2004.

4. Annulation

5. "Considérant que si, en vertu de l'article L. 133-8 du Code du travail, les dispositions d'une convention de branche ou d'un accord professionnel peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans leur champ d'application par arrêté du ministre chargé du Travail, il résulte des dispositions citées plus haut de l'article L. 212-4 du même code que les dispositions d'une convention ou d'un accord prévoyant l'institution d'une durée équivalente à la durée légale du travail ne peuvent produire effet que s'il en est ainsi décidé par décret ; que, par suite, lorsque le ministre est saisi, dans les conditions prévues à l'article L. 133-8, en vue de l'extension d'une convention ou d'un accord comportant notamment des clauses relatives à l'institution d'un régime d'équivalence, il ne peut procéder à cette extension que sous réserve, en ce qui concerne ces clauses, de l'intervention du décret prévu à l'article L. 212-4".

6. "Considérant que si, en l'espèce, l'arrêté du 30 décembre 2004 pouvait en principe étendre les dispositions de l'avenant n° 1 du 13 juillet 2004 à la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants, y compris celles de son article 3 relatives au régime d'équivalence, dès lors que ce décret était intervenu le même jour, il résulte de l'annulation prononcée par la présente décision que ce décret est réputé n'être jamais intervenu ; que l'arrêté attaqué est, dès lors, entaché d'illégalité pour ce motif ; que, eu égard au lien existant, d'une part, entre les dispositions relatives au régime d'équivalence et les autres dispositions du titre II de cet avenant relatives au temps de travail et, d'autre part, entre ces dernières dispositions et celles des titres III, V et VI relatives respectivement aux congés, au compte d'épargne-temps et au travail de nuit, l'arrêté litigieux doit être annulé en tant qu'il porte extension des titres II, III, V et VI de l'avenant du 13 juillet 2004".

Commentaire

1. Rigueur entourant la mise en place d'un régime d'équivalence à la durée du travail

  • Conditions de l'équivalence

L'article L. 212-4, dernier alinéa, du Code du travail (N° Lexbase : L8959G7X) dispose qu'"une durée équivalente à la durée légale peut être instituée dans les professions et pour des emplois déterminés comportant des périodes d'inaction soit par décret, pris après conclusion d'une convention ou d'un accord de branche, soit par décret en Conseil d'Etat. Ces périodes sont rémunérées conformément aux usages et aux conventions et accords collectifs".

Il faut un décret pour qu'un régime d'équivalence puisse être institué. Un usage comme une convention collective même agréée (Cass. soc., 24 avril 2001, n° 00-44.148, Terki c/ L'Association Etre enfant au Chesnay, publié N° Lexbase : A2993ATZ, D. 2001. Somm. 312, obs. Fadeuilhe) ne suffisent pas, en effet, à créer un tel système. Ce décret peut être soit un décret pris en Conseil d'Etat, soit un décret pris en application d'une convention ou d'un accord de branche.

Tel était bien le cas dans l'espèce commentée, puisque le décret du 30 décembre 2004 venait, sur le fondement de l'article L. 212-4, alinéa 4, du Code du travail, instituer la durée du travail à 39 heures dans le secteur de l'hôtellerie-restauration à la suite d'un avenant à la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants en date du 13 juillet 2004 .

Le problème, ici, ne portait pas tant sur la forme mais sur le fond du décret. Ce dernier avait, en effet, pour objet, conformément à l'accord sur lequel il se fondait, de fixer et d'étendre le champ d'application de la durée légale du travail de 35 heures à "tous les employeurs et les salariés compris dans le champ d'application de la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants du 30 avril 1997". Aucune distinction n'était faite entre les emplois qui comportent ou ne comportent pas de périodes d'inaction. C'est cette omission que vient sanctionner le Conseil d'Etat dans la décision commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, l'arrêté portant extension d'un avenant à la convention collective nationale de l'hôtellerie, cafés, restaurants, avait pour objet de rendre obligatoire "pour tous les employeurs et tous les salariés compris dans le champ d'application de l'accord". Un syndicat non-signataire de l'avenant n° 1 du 13 juillet 2004 contestait la régularité de l'arrêté du 30 décembre 2004 (arrêté portant extension d'un avenant à la convention collective nationale des hôtels, cafés, restaurants N° Lexbase : L6748G4P) décidant son extension à l'ensemble des salariés du secteur et du décret du même jour validant le régime d'équivalence à la durée légale du travail ainsi instituée et demandait leur annulation.

Ces demandes ont été accueillies par le Conseil d'Etat qui, après avoir rappelé que si l'article L. 212-4 du Code du travail permet d'instituer une durée équivalente à la durée légale du travail, cette faculté est limitée aux emplois et professions comportant des périodes d'inaction. Il annule le décret qui tendait à étendre le champ de l'accord à l'ensemble des salariés du secteur de l'hôtellerie-restauration sans distinction. Corrélativement, la Haute juridiction administrative vient annuler l'arrêté d'extension puisqu'il étendait le régime d'équivalence précédemment annulé.

Cette solution parfaitement conforme aux textes en vigueur doit, en tout point, être approuvée.

2. Sauvetage in extremis de l'équivalence dans le secteur de l'hôtellerie-restauration

  • Des précédents judiciaires

La solution rendue par le Conseil d'Etat n'est pas surprenante. L'interprétation stricte dont doit faire l'objet l'article L. 212-4, alinéa 4, du Code du travail, avait, en effet, déjà été retenue par les juridiction judiciaires.

Cet alinéa constitue une exception à la durée légale ; elle ne peut recevoir application que dans les hypothèses expressément autorisées par le législateur. La Cour de cassation, qui avait été amenée à se prononcer sur cette question, était venue affirmer que l'équivalence est une exception et ne saurait être appliquée en dehors des activités ou emplois visés par les textes réglementaires ou les conventions ou accords collectifs (Cass. soc., 16 juillet 997, n° 96-40.294, M. Malignacci et autres c/ Société niçoise d'exploitations balnéaires N° Lexbase : A2294ACX).

La solution retenue dans l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat ne peut donc qu'être saluée car, non seulement, elle rejoint la position prise par les juridictions judiciaires, mais encore, elle se montre strictement respectueuse des textes. D'un point de vue théorique donc, il ne pouvait en être autrement. D'un point de vue pratique, en revanche, la solution ne va pas sans poser de difficultés. Il est, en effet, difficile d'envisager, sur le plan pratique, les conséquences de l'annulation rétroactive de textes datant du 1er janvier 2005.

  • Des conséquences désastreuses

L'annulation par le Conseil d'Etat du décret et de l'arrêté d'extension emporte, à titre principal, le rétablissement rétroactif de la durée légale du travail dans le secteur de l'hôtellerie, cafés, restauration, à 35 heures par semaine, la perte pour les salariés de leur sixième semaine de congés payés ainsi que des deux jours fériés supplémentaires prévus par l'accord. Cette annulation étant rétroactive, les salariés du secteur seraient fondés à demander et, partant, à obtenir le paiement des heures supplémentaires effectuées depuis le 1er janvier 2005, date d'entrée en vigueur du décret. Les employeurs étaient, de leur côté, fondés à demander des comptes pour la sixième semaine prise. Les décomptes allaient s'avérer difficiles...

Afin d'éviter toute difficulté, un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale tendant à valider le contenu de l'accord collectif a été adopté.

  • Une équivalence provisoirement légale

Un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale, adopté par les députés en première lecture, tend à valider l'accord collectif du 13 juillet 2004. Cet amendement fixe, dans l'attente d'une prochaine convention ou d'un accord collectif, au plus tard le 31 janvier 2007, la durée légale du travail dans le secteur de l'hôtellerie, cafés, restauration, à 39 heures hebdomadaires. En contrepartie, les salariés du secteur pourront continuer à bénéficier d'une semaine de congés payés supplémentaire et de deux jours fériés.

Cet amendement vient toutefois maintenir la durée du travail à 37 heures hebdomadaires dans les entreprises de plus de 20 salariés où la durée collective de présence au travail a été fixée par décret à 37 heures en 2002.

Afin d'éviter toute difficulté résultant, notamment, de l'annulation de l'arrêté d'extension, qui aurait emporté le paiement rétroactif des heures supplémentaires à compter du 1er janvier 2005, l'amendement prévoit son application rétroactive au 1er janvier 2005.

Le seul problème est que cet amendement encourt les mêmes critiques que celles qui avaient été soulevées à l'encontre du décret tendant à étendre l'accord à l'ensemble des employeurs et salariés du secteur de l'hôtellerie. Aucune distinction n'est faite entre les salariés occupant des emplois ou des professions comportant des périodes d'inaction, les seuls pouvant légalement être soumis à un régime d'équivalence et les autres (C. trav., art. L. 212-4).

Il faut espérer que l'accord prochain, qui devrait intervenir d'ici fin janvier 2007, règlera le problème et limitera le champ de l'équivalence aux seuls emplois et professions comportant des périodes d'inaction. A défaut, le risque est grand que les problèmes recommencent en raison de la persistance de l'accord à être illégal.

newsid:94756

Droit financier

[Textes] Refonte des dispositions réglementaires relatives aux OPA (3ème partie)

Réf. : Arrêté du 18 septembre 2006, portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (N° Lexbase : L2145HSA)

Lecture: 20 min

N4883ALG

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Le 07 Octobre 2010

Impatiemment attendue, la réforme du cadre réglementaire des offres publiques d'acquisition (OPA) vient d'être opérée par un arrêté du 18 septembre 2006, paru au Journal officiel du 28 septembre 2006 (1), portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (AMF) . Conçu et adopté dans le sillage de la loi du 31 mars 2006 (loi n° 2006-387, relative aux offres publiques d'acquisition N° Lexbase : L9533HHK) (2), dont il constitue l'indispensable prolongement, le présent texte poursuit et parachève largement le processus de conformation du droit français à la treizième Directive communautaire sur les OPA (Directive 2004/25, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d'acquisition N° Lexbase : L2413DYZ) (3). Mais, comme son pendant législatif, il ne s'épuise pas à cette activité de stricte transposition. L'occasion est opportunément saisie de satisfaire à d'autres attentes d'amélioration et de modernisation, récemment exprimées par le "rapport Naulot" sur le renforcement de l'évaluation financière indépendante (4) ou encore le "groupe de travail OPA" mis en place par l'AMF en octobre 2005 (5). Loin de nuire à la cohérence de l'ensemble, les options retenues dans le cadre du pouvoir réglementaire autonome du régulateur se combinent aux exigences communautaires et législatives, pour gommer certains particularismes traditionnels de notre droit des offres publiques et amplifier son exposition aux influences "anglo-saxonnes". (cf. Refonte des dispositions réglementaires relatives aux OPA (1ère partie) N° Lexbase : N4877AL9, et (2ème partie) N° Lexbase : N4879ALB). II - A - (suite)

L'attention est surtout mobilisée par deux autres nouveautés, qu'il convient d'aborder de front en raison de leur interdépendance et de l'impact convergent produit sur le contrôle de l'information.

La première tient à la fusion réalisée des procédures de visa et de recevabilité en une décision unique de l'AMF, baptisée "déclaration de conformité". Majeure assurément, cette réforme réglementaire, réalisée hors de toute contrainte communautaire ou législative, paraît avoir pour elle la force de la logique. Quasiment inscrite dans les gènes de l'AMF, elle ne ferait qu'éliminer de notre droit des OPA une survivance héritée de l'ancienne répartition des compétences entre le CMF, en charge de déclarer "recevables" les projets d'offre publique, et la COB, appelée de son côté à "viser" les projets de note d'information. La fusion des autorités de marché conduisait naturellement à l'unification des procédures d'autorisation, aujourd'hui accomplie. Mais, l'unité institutionnelle pouvant s'accommoder d'une dualité fonctionnelle, c'est en réalité un choix de système qui est, ici, délibérément opéré, relativement aux niveaux et aux types de contrôle, public et privé, auquel il convient de soumettre les projets d'offre publique. Il faut rappeler, à cet égard, que le dispositif précédent de contrôle public de recevabilité revêtait un certain nombre de défauts, dénoncés, depuis quelque temps, par les praticiens. Il avait contre lui de présenter un visage trop hexagonal, en tous cas assez original en Europe -voire au-delà-. Lui était reproché, tout particulièrement, de créer une certaine ambiguïté quant au rôle exercé par l'AMF. De fait, sinon de droit, la décision de recevabilité, prononcée, non seulement au regard des principes généraux et des règles régissant les offres publiques, mais aussi après examen des conditions financières proposées par l'initiateur, pouvait être perçue par le marché comme un jugement favorable porté par l'autorité publique sur le caractère équitable de l'offre, de nature, par conséquent, à impacter positivement la décision des actionnaires sollicités (6). Enfin, cette place centrale occupée par l'intervention publique était critiquée pour ne pas concourir nécessairement à une plus grande responsabilisation des conseils d'administration ou de surveillance des sociétés concernées.

La substitution d'une déclaration de conformité du projet d'offre aux dispositions législatives et réglementaires qui lui sont applicables (Règl. gén. AMF, art. 231-20) à l'ancienne décision de recevabilité marque ainsi un repli attendu du rôle de l'AMF quant à l'appréciation des conditions financières proposées par les initiateurs d'offres publiques volontaires. Ainsi, hors le cas de dispositions particulières, seule la présence et la suffisance des informations relatives auxdites conditions dans la note d'information entrent naturellement dans le champ d'examen de l'autorité de contrôle, la déclaration de conformité emportant d'ailleurs, ceci sans doute pour répondre à l'exigence légale formulée à l'article L. 621-8 IX du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3299HIZ), visa préalable de la note d'information (Règl. gén. AMF, art. 231-23). Dans cette conception plus anglo-saxonne, reposant sur une correction modérée des mécanismes de marché, la protection des intérêts patrimoniaux des actionnaires des sociétés visées repose essentiellement, outre l'éventuel jeu des offres concurrentes et des surenchères, sur l'information communiquée par les sociétés concernées et l'avis motivé de leur conseil d'administration ou de surveillance -avis facultatif pour le conseil de la société initiatrice (Règl. gén. AMF, art. 231-18), obligatoire pour celui de la société visée (Règl. gén. AMF, art. 231-19)-, censés remédier aux problèmes d'asymétrie d'information existant dans les rapports initiateur/destinataires de l'offre/dirigeants de la société visée (7). Reste à mesurer concrètement l'impact de cette évolution sur la latitude de contestation du prix d'offre, laquelle prenait jusque-là place dans le cadre du recours judiciaire exercé à l'encontre de la décision de recevabilité qu'était appelée à rendre l'autorité de marché (8).

Les limites naturelles d'un tel système d'appréciation des mérites d'une offre publique mènent directement à la seconde innovation annoncée de l'arrêté modificatif, à savoir le recours partiellement obligatoire à l'expertise indépendante (9). Celui-ci est destiné à pallier le risque de sous-évaluation ou de biais dans l'évaluation des titres convoités, qui résulterait, notamment, de l'existence de sources de conflits d'intérêts entre l'initiateur et les dirigeants de la société visée. L'esprit et la finalité en sont parfaitement exposés au nouvel article 261-1, alinéa 1er, inscrit dans un nouveau Titre VI du Livre II du règlement général de l'AMF : "la société visée par une offre publique d'acquisition désigne un expert indépendant lorsque l'opération est susceptible de générer des conflits d'intérêts au sein de son conseil d'administration, de son conseil de surveillance ou de l'organe compétent, de nature à nuire à l'objectivité de l'avis motivé mentionné à l'article 231-19 ou de mettre en cause l'égalité des actionnaires ou des porteurs des instruments financiers qui font l'objet de l'offre". Fait suite une liste de cinq cas de désignation, simplement illustratifs : 1° "la société visée est déjà contrôlée au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce (N° Lexbase : L4050HBM), avant le lancement de l'opération, par l'initiateur de l'offre" ; 2° "les dirigeants de la société visée ou les personnes qui la contrôlent au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce ont conclu un accord avec l'initiateur de l'offre susceptible d'affecter leur indépendance" ; 3° "l'actionnaire qui la contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce n'apporte pas ses titres à une offre publique de rachat lancée par la société sur ses propres titres" ; 4° "il existe une ou plusieurs opérations connexes à l'offre susceptibles d'avoir un impact significatif sur le prix ou la parité de l'offre publique considérée" ; 5° "l'offre porte sur des instruments financiers de catégories différentes et est libellée à des conditions de prix susceptibles de porter atteinte à l'égalité entre les actionnaires ou les porteurs des instruments financiers qui font l'objet de l'offre" ; 6° "l'acquisition de la société visée est rémunérée par des instruments financiers mentionnés au 1 ° du I de l'article L. 211-1 du code monétaire et financier (N° Lexbase : L9292HDI) donnant accès ou pouvant donner accès, directement ou indirectement, au capital ou aux droits de vote de l'initiateur ou d'une société appartenant au groupe de l'initiateur, autres que des actions" (10). Eu égard au formulé général du premier alinéa de l'article 261-1, il est à craindre, cependant, que l'absence de caractère limitatif des cas énoncés n'alimente, en pratique, d'interminables discussions et n'entretienne, au détriment des opérateurs, une certaine insécurité juridique (11).

Cette intervention imposée d'un tiers expert constitue une première au sein de la famille des offres publiques volontaires. La réforme est en réalité l'aboutissement d'une réflexion engagée de longue date au sein de la COB, synthétisée au printemps 2005 dans le rapport du groupe de travail présidé par Jean-Michel Naulot, membre du collège de l'AMF. Ce rapport demeure d'une consultation utile tant ses conclusions ont inspiré le nouvel encadrement réglementaire de l'expertise indépendante.

Ainsi, suivant l'une des recommandations du groupe de travail, et contrairement à certaines préconisations doctrinales invitant à une nomination par un tiers (12), c'est à la "société visée" par l'offre publique qu'il incombe de procéder à la désignation de l'expert indépendant (Règl. gén. AMF, art. 261-1). Quant à l'organe social compétent, on observe que le règlement général se montre moins explicite que le "rapport Naulot", lequel pointait directement le conseil d'administration (ou l'organe équivalent pour les sociétés ne revêtant pas la forme anonyme) (13). En termes de gouvernement d'entreprise, il est probable que la présence d'administrateurs indépendants pèsera d'un poids particulier sur cette décision, spécialement dans l'hypothèse où l'initiateur détiendrait le contrôle de la société visée. Impérative pour la société visée, la désignation d'un expert indépendant n'est prévue qu'à titre facultatif du côté de l'initiateur, étant précisé que l'expert nommé dans ces conditions ne s'en trouve pas moins soumis aux mêmes dispositions réglementaires (Règl. gén. AMF, art. 261-3).

Ensuite, si l'agrément de l'expert par l'AMF n'a pas à être requis, comme il l'était autrefois en matière de retrait obligatoire, des garanties sont instituées afin que l'"indépendance" de ce professionnel ne reste un vain mot. Sa présence étant le plus souvent commandée par l'existence de conflits d'intérêts, il semblait logique qu'il n'y fût pas lui-même sujet. D'où l'interdiction faite à l'expert d'"être en situation de conflit d'intérêts avec les personnes concernées par l'offre publique ou l'opération et leurs conseils" (Règl. gén. AMF, art. 261-4 I, al. 1er). Sans que ces éléments puissent être interprétés comme formant une liste exhaustive, on apprend de l'article 1er de l'instruction AMF n° 2006-08 précitée, qu'un expert est considéré en situation de conflit d'intérêts lorsqu'il : "1° Entretient des liens juridiques ou des liens en capital avec les sociétés concernées par l'offre publique ou l'opération, ou leurs conseils, susceptibles d'affecter son indépendance ; 2° A procédé à une évaluation de la société visée par l'offre publique ou qui réalise l'opération au cours des dix-huit mois précédant la date de sa désignation, sauf si l'évaluation menée dans ce délai intervient dans le cadre d'une mission qui constitue le prolongement de la précédente ; 3° A conseillé l'une des sociétés concernées par l'offre ou toute personne que ces sociétés contrôlent au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce au cours des dix-huit mois précédant la date de sa désignation ; 4° Détient un intérêt financier dans la réussite de l'offre, une créance ou une dette sur l'une des sociétés concernées par l'offre ou toute personne contrôlée par ces sociétés au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce, susceptible d'affecter son indépendance". L'habitude pouvant émousser l'esprit d'indépendance, il est encore fait défense à l'expert indépendant d'"intervenir de manière répétée avec le ou les mêmes établissements présentateurs ou au sein du même groupe lorsque la fréquence de ces interventions est susceptible d'affecter son indépendance" (Règl. gén. AMF, art. 261-4 I, al. 2). Une déclaration d'indépendance devra en toute hypothèse être établie par l'expert désigné (Règl. gén. AMF, art. 261-4 II).

D'utiles précisions sont également apportées quant à la mission de l'expert indépendant, en particulier : la durée de celle-ci, variable selon la complexité de l'opération et la qualité de l'information mise à sa disposition, mais qui ne peut en aucun cas être inférieure à quinze jours de négociation (Règl. gén. AMF, art. 262-1 II) ; les diligences attendues de l'expert (instruction AMF n° 2006-08, art. 3) ; et le contenu du rapport d'expertise, qui doit comporter, outre la déclaration d'indépendance susmentionnée, le montant de la rémunération perçue, une description des diligences effectuées, "une évaluation de la société visée ou des actifs concernés et de toutes les contreparties de l'offre ou de l'opération concernée", "une analyse du travail d'évaluation réalisé par le ou les conseils de l'initiateur", et s'achever sur "une attestation qui conclut sur le caractère équitable du prix, de la parité ou des conditions financières de l'offre publique ou de l'opération concernée" (Règl. gén. AMF, art. 262-1 I ; instruction AMF n° 2006-08, art. 2).

Enfin, le rapport de l'expert indépendant fait l'objet de communications. Il est présenté par son auteur au conseil d'administration, au conseil de surveillance ou à l'organe compétent de la société concernée (instruction AMF n° 2006-08, art. 3) et se trouve incorporé dans la note d'information en réponse établie par la société visée (Règl. gén. AMF, art. 231-19), ainsi que dans le projet de note d'information de l'initiateur, lorsque celui-ci a procédé à la désignation d'un expert (Règl. gén. AMF, art. 231-18). Aux fins de clarification, il est au reste formellement défendu à la société initiatrice et à la société visée, lorsqu'un expert a été nommé en application de l'article 261-1 du règlement général AMF, d'établir un projet de note d'information conjoint, chacune d'elles étant alors tenue de présenter un document d'information distinct (Règl. gén. AMF, art. 231-13 al. 9). Soumis à l'AMF, le rapport de l'expert indépendant compte pour cette dernière au nombre des éléments à prendre en considération dans le cadre de son examen du projet d'offre (Règl. gén. AMF, art. 231-21). Aucune déclaration de conformité ne saurait d'ailleurs être prononcée dans un délai inférieur à cinq jours de négociation après le dépôt du projet de note en réponse de la société visée (Règl. gén. AMF, art. 231-20, al. 2).

Autant d'exigences, on le comprend, supposées concourir à la satisfaction du triple objectif assigné à l'expertise indépendante, consistant à éclairer tout à la fois les actionnaires destinataires de l'offre publique sur les mérites de celle-ci, le conseil d'administration (le conseil de surveillance ou l'organe compétent) de la société visée, en vue notamment de l'élaboration de son "avis motivé", et le collège de l'AMF appelé, dans ce cadre particulier, à examiner directement "les conditions financières de l'offre" et non plus seulement, comme au cas ordinaire, l'information portant sur ces conditions.

Notons que ce passage contraint par l'expertise indépendante introduit un élément de complexité dans notre réglementation, par la dualité d'hypothèse qu'il conduit systématiquement à organiser. La chose est évidente en termes de procédure et de calendrier des OPA, où la distinction nouvelle doit être combinée avec la traditionnelle opposition entre offres publiques amicales et offres publiques inamicales.

Ainsi, en l'absence de désignation obligatoire d'un expert indépendant, le schéma se présente de la manière suivante : l'AMF dispose d'un délai de 10 jours de négociation suivant le début de la période d'offre -et non de plus 5 jours comme auparavant- pour délivrer la déclaration de conformité du projet d'offre (Règl. gén. AMF, art. 231-20, al. 1er) ; la durée de l'offre, longue en procédure normale de 25 jours de négociation, mais prorogée jusqu'à 35 jours de négociation lorsque la société visée n'a pas déposé de note conjointe avec l'initiateur (Règl. gén. AMF, art. 232-2), commence à courir le lendemain de la diffusion de la note d'information établie par l'initiateur (Règl. gén. AMF, art. 231-32) ; en l'absence de note conjointe, condition par définition vérifiée dans le cadre d'une offre inamicale, la société visée doit déposer auprès de l'AMF un projet de note, en réponse au plus tard le cinquième jour de négociation, suivant la publication de la déclaration de conformité de l'AMF (Règl. gén. AMF, art. 231-26, al. 1er) ; l'AMF dispose alors d'un délai de 5 jours de négociation suivant le dépôt du projet de note en réponse pour y apposer son visa (Règl. gén. AMF, art. 231-26, al. dern.).

En revanche, au cas où doit être désigné un expert indépendant en application de l'article 261-1 précité, ce qui interdit, on l'a vu, l'établissement d'une note conjointe, le séquençage s'opère différemment, puisqu'il faut attendre le dépôt du projet de note en réponse de la société visée, effectué au plus tard le vingtième jour de négociation suivant le début de la période d'offre (Règl. gén. AMF, art. 231-26, al. 1er), pour que la déclaration de conformité du projet d'offre puisse être prononcée par l'AMF, au plus tôt 5 jours de négociation après le dépôt du projet de note en réponse de la société visée (Règl. gén. AMF, art. 231-20 II), et le lendemain de la diffusion de la note en réponse, pour que l'offre soit ouverte (Règl. gén. AMF, art. 231-32).

Pour finir sur les défenses anti-OPA, constatons que si l'apport de la réforme est, délibérément, modeste, il vient malgré tout livrer d'intéressants compléments au dispositif issu de la loi du 31 mars 2006 (14).

L'un d'entre eux tient à la précision des seuils de neutralisation des mesures susceptibles de gêner la prise de contrôle effective de la société cible par l'auteur d'une offre publique réussie. La fixation s'opère dans le sens attendu. C'est ainsi "plus de la moitié du capital ou des droits de vote de la société visée" que l'initiateur de l'offre, agissant seul ou de concert, devra détenir à l'issue de celle-ci pour obtenir : la suspension des effets "des restrictions statutaires à l'exercice des droits de vote attachés à des actions de la société", ou ceux "de toute clause d'une convention conclue après le 21 avril 2004 prévoyant des restrictions à l'exercice des droits de vote attachés à des actions de la société", lors de la première assemblée générale suivant la clôture de l'offre (Règl. gén. AMF, art. 231-44) ; de même que la suspension des "droits extraordinaires de nomination ou révocation des administrateurs, membres du conseil de surveillance, membres du directoire, directeurs généraux, directeurs généraux délégués, détenus par certains actionnaires" (Règl. gén. AMF, art. 231-45).

Quant à la suspension obligatoire des effets de la limitation statutaire des droits de vote lors de la première assemblée générale suivant la clôture de l'offre, c'est bien le seuil des "deux tiers du capital ou des droits de vote" qui est finalement retenu (Règl. gén. AMF, art. 231-43). Si l'article L. 225-125, alinéa 2, du Code de commerce (N° Lexbase : L1417HIC), inspiré de la directive OPA, autorisait une quotité minimale "égale à celle requise pour modifier les statuts, et une limite des trois quarts", la fraction des deux tiers était à vrai dire la seule présentant une certaine pertinence en droit français des sociétés. On observe, néanmoins, que c'est non pas les deux tiers mais "plus des deux tiers", que devront détenir l'initiateur et ses concertistes ; et qu'au regard de la base de calcul, contrairement à l'invite communautaire, c'est un double dénominateur (en capital ou en droits de vote) qui est adopté, jurant un peu avec le contenu politique de la quotité retenue.

Des nouvelles dispositions relatives aux défenses, on attendait surtout des précisions concernant la procédure de contestation de l'équivalence des mesures, renvoyée aux soins de l'AMF par l'article L. 233-33, alinéa 1er, du Code de commerce. L'attente était compréhensible puisqu'il s'agissait de la mise en oeuvre de la fameuse "clause de réciprocité", généreusement définie par la loi du 31 mars 2006 et permettant, rappelons-le, à une société française cible française d'échapper aux règles de neutralisation directoriale énoncées à l'article L. 233-32 du Code de commerce, au cas où ses titres feraient l'objet d'une offre publique émanant d'une entité non soumise aux mêmes dispositions, parce qu'étrangère et en particulier extra-communautaire, ou à des "mesures équivalentes".

Désignée par le législateur comme l'autorité chargée de trancher les différends qui ne manqueront de surgir à cette occasion, l'AMF détermine les règles de son intervention dans un article unique numéroté 231-42. On y apprend que : "Toute personne qui conteste l'équivalence des mesures mentionnées à l'article L. 233-32 du code de commerce transmet simultanément à l'AMF et à la société visée les moyens et les documents sur lesquels elle fonde sa contestation. À compter de la réception de ces documents, la société visée dispose d'un délai de dix jours de négociation pour faire part à l'AMF de ses observations. L'AMF rend sa décision dans un délai de cinq jours de négociation à compter de la réponse de la société visée. L'AMF peut demander toute justification et information complémentaire. Le délai est alors suspendu. Il recommence à courir à réception des éléments requis. L'AMF rend publique sa décision".

Malgré la retouche apportée pour tenir compte des résultats de la consultation de place sur le projet, la construction du texte continue, semble-t-il, de souffrir d'une certaine ambiguïté. Si la référence à "toute personne" témoigne, en effet, d'une certaine neutralité au regard de l'auteur de la contestation, la suite du texte laisse curieusement à penser que la société visée n'est pas considérée comme demandeur principal à cette action, alors pourtant qu'elle figure logiquement au premier rang de ceux qui auraient intérêt à contester l'équivalence aux dispositions de l'article L. 233-32 du Code de commerce des mesures adoptées par l'initiateur, tout au moins dans le cadre d'une offre inamicale. Dans un tel contexte, n'aurait-il pas mieux valu demander à l'initiateur de déclarer ab initio s'il considère appliquer des mesures équivalentes à celles prévues à l'article L. 233-32, ouvrant ainsi la voie de la contestation aux différents intéressés et spécialement à la société visée ? En toute hypothèse, il est possible éprouver quelque inquiétude quant à l'aptitude du mécanisme proposé à favoriser la résolution rapide de tels différends.

Toujours en matière de défense, on ne manquera pas non plus de relever au sujet des interventions que, dans le cadre d'une procédure normale d'offre publique, la société visée peut effectuer sur le marché de ses titres de capital (ou donnant accès à son capital), la reconnaissance explicite, bien qu'allusive, d'une mesure anti-OPA. A l'interdiction de telles interventions, pourfendues à l'alinéa 1er de l'article 232-17 du règlement général, une exception s'évince du second alinéa, qui autorise la société visée par une offre réglée intégralement en numéraire à "poursuivre l'exécution d'un programme de rachat d'actions dès lors que la résolution de l'assemblée générale qui a autorisé le programme l'a expressément prévu et, lorsqu'il s'agit d'une mesure susceptible de faire échouer l'offre, que sa mise en oeuvre fait l'objet d'une approbation ou d'une confirmation par l'assemblée générale".

La disparité de traitement entre programmes de rachat selon leur potentiel défensif peut se revendiquer de l'article L. 233-32 III du Code de commerce, qui conduit à soumettre l'efficacité des décisions susceptibles de faire échouer une offre publique adoptées "à froid", à la ratification d'une assemblée générale des actionnaires réunie "à chaud" (15). On s'étonne cependant de l'absence de référence à l'hypothèse d'une mise en jeu de la "clause de réciprocité", dont l'effet est précisément d'écarter, au cas d'espèce, la nécessité d'une telle réunion "à chaud" des actionnaires. Compte tenu de la distinction implicite entre l'objet et l'effet de la poursuite de l'exécution du programme de rachat en cours d'offre, on s'interrogera également sur la satisfaction du procédé aux conditions du safe harbour défini par la Directive "abus de marché" et son Règlement d'application (16).

Directement connectée à la mise en oeuvre de défenses en cours d'offre, signalons, enfin, la révision du dispositif autorisant l'initiateur à renoncer à son opération en cas de modification de la consistance de la société visée pendant l'offre, afin, comprend-on à demi-mots, d'intégrer la nouvelle arme de dissuasion des offres publiques hostiles consacrée par la loi du 31 mars 2006, reposant sur l'attribution de bons de souscription d'actions, familièrement appelés "bons d'offre" (17). C'est ainsi qu'aux termes de l'article 232-11 du règlement général, la renonciation sollicitée par l'initiateur peut être autorisée par l'AMF lorsque la société visée, en raison des mesures qu'elle a prises, voit sa consistance modifiée non seulement "pendant l'offre", mais aussi "en cas de suite positive de l'offre"... (18)

Pour la quatrième partie de cet article, lire (N° Lexbase : N4895ALU).

Alain Pietrancosta*
Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Directeur du Master Droit financier
Centre de Recherches en Droit financier


(1) JO n° 225 du 28 septembre 2006, p. 14210. Sur le projet de règlement, v. O. Douvreleur, C. Uzan, Projet de modification du règlement général de l'Autorité des marchés financiers : vers un renouveau du droit des offres publiques d'acquisition ?, Bull. Joly Bourse et produits financiers, juin 2006, p. 275-291.
(2) V. I. MacElhone, C. Maison-Blanche, Les récentes réformes en matière d'offres publiques induites par la loi du 31 mars 2006, Fusions & Acquisitions, mars-avril 2006, p. 30 ; RDBF, mai-juin 2006, p. 40, chron. H. Le Nabasque et P. Portier ; J.-B. Lenhof, Aspects de droit des sociétés de la réforme sur les offres publiques d'acquisition, Lexbase Hebdo n° 217, du 1er juin 2006 - édition affaires, (première partie) (N° Lexbase : N9036AKU), et seconde partie (N° Lexbase : N9296AKI) ; J.-F. Biard, Les nouvelles dispositions du droit des offres publiques en France, Option Finance, 10 juillet 2006, n° 891, p. 34-38 et in La lettre Vernimmen.net, n° 48, juin 2006 ; C. Malecki, La loi du 31 mars 2006 relative aux OPA et l'information des actionnaires et des salariés, Recueil Dalloz, 28 septembre 2006, n° 33, p. 2314-2318.
(3) V. A. Pietrancosta, La directive européenne sur les offres publiques d'acquisition enfin adoptée !, RD banc. et fin., septembre-octobre 2004, p. 338 ; M. Haschke-Dournaux, L'adoption de la directive européenne relative aux offres publiques d'acquisition, LPA, 26 avril 2004, n° 83, p. 7 ; F. Peltier, F. Martin-Laprade, Directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 relative aux OPA ou l'encadrement par le droit communautaire du changement de contrôle d'une société cotée, Bull. Joly Bourse et produits financiers, 2004/5, p. 610 ; A. Couret, La fin d'une trop longue saga : l'adoption de la 13e directive en matière de droit des sociétés concernant les offres publiques d'acquisition, Mélanges Béguin, Litec, 2005, p. 195 ; P. Servan-Schreiber, W. Grumberg, Défenses anti-OPA, Adoption de la directive européenne sur les OPA et enjeux pour les entreprises françaises, JCP éd. E, n° 44, p. 1774 ; T. Granier, La directive concernant les offres publiques d'acquisition, Europe, n° 11, novembre 2004 ; Reforming Company and Takeover Law in Europe, edited by G. Ferrarini, K. J. Hopt, J. Winter, E. Wymeersch, Oxford University Press, 2004 ; S. V. Simpson, L. Corte, The Future Direction of Takeover Regulation In Europe, 1520 PLI/Corp 759, Practising Law Institute, December, 2005.
(4) V. not. A. Pietrancosta, Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options" françaises, Lexbase Hebdo n° 211, du 19 avril 2006, et n° 212 du 26 avril 2006 - édition affaires, première partie (N° Lexbase : N7263AK9), deuxième partie (N° Lexbase : N7294AKD), troisième partie (N° Lexbase : N7295AKE), quatrième partie (N° Lexbase : N7386AKR) et cinquième partie (N° Lexbase : N7390AKW), et RTDF 2006/1, p. 5-18.
(5) Groupe présidé par C. Favre et D. Hoenn, membres du collège de l'AMF.
(6) V. réc. J.-F. Biard, préc. note 1.
(7) Notons qu'en matière d'offres concurrentes et de surenchères libellées autrement qu'en numéraire, il appartient toujours à l'AMF d'apprécier si les projets présentés emportent une "amélioration significative des conditions proposées aux porteurs des titres visés" (Règl. gén. AMF, art. 232-7, al. 2).
(8) V. not. C. Baj, Offre d'acquisition : contestation et détermination du prix, Dict. Joly Bourse ; A. Viandier, OPA, OPE..., éd. F. Lefebvre, 2004, n° 941 ; D. Schmidt, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, 2004, n° 205 ; T. Bonneau, F. Drummond, Droit des marchés financiers, Économica, 2005, n° 712 ; A. Pietrancosta, in Ingénierie financière, fiscale et juridique, sous la dir. de Ph. Raimbourg et M. Boizard, Dalloz, 2006, n° 72-74.
(9) V. C. Le Breton, L'expert indépendant : le tiers avec lequel il faut désormais compter, Option Finance, 16 octobre 2006, n° 902, p. 32-33 ; D. Ledouble, Sécurité financière : le retour des corporations, RTDF 2006/1, p. 34-37 ; F. Basdevant, Le recours à un expert indépendant en cas de conflits d'intérêts, RDBF, mai 2006, p. 101 ; H. de Vauplane, L'évaluation financière indépendante, nouvelle protection des actionnaires ?, Banque, juillet 2005, n° 671, p. 98-100 ; A. Marraud Des Grottes, Les nouveaux contours de l'évaluation financière indépendante, Option Finance, 9 mai 2005, n° 833, p. 35-37.
(10) Ajoutons le cas particulier prévu à l'article 261-2 du règlement général AMF, qui concerne une augmentation de capital réservée avec une décote par rapport au cours de bourse supérieure à la décote maximale autorisée en cas d'augmentation de capital sans droit préférentiel de souscription.
(11) Pour un cas d'application, v. la demande de l'AMF adressée à Euronext, en vue de la désignation par celle-ci d'un expert indépendant appelé à examiner les conditions du rapprochement avec le New York Stock Exchange, Le Figaro, 27 octobre 2006 ; Les Echos, 30 octobre 2006, p. 33..
(12) V. not. D. Schmidt, op. cit. n° 233, p. 236.
(13) Rapport préc. p. 8., C. Motol, L'AMF élargit le rôle des administrateurs, Option finance n° 903 du 23 octobre 2006.
(14) V. City Code on Mergers and Acquisitions, Notes on Rule 2.4).
(15) V. A. Pietrancosta, Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options" françaises, art. préc. n° 4.
(16) Article 8 de la Directive 2003/6, du 28 janvier 2003 (N° Lexbase : L8022BBQ), précisé par le Règlement d'application n° 2273/2003, du 22 décembre 2003 (N° Lexbase : L0410DNI) ; et règlement général AMF, art. 631-5 à 631-10.
(17) V. not. C. Clerc, Les bons d'offre au coeur de la transposition de la directive OPA, RTDF 2006/1 ; A. Couret, Les bons d'offre (article 12 de la loi n ° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition), Recueil Dalloz Sirey, 18 mai 2006, n° 20.
(18) V. A. Pérès, J.-F. Louit, Nouvelle donne en matière de défense anti-OPA, Les Échos, 2 novembre 2006, p. 12.


* L'auteur tient à remercier chaleureusement Catherine Maison-Blanche pour sa relecture attentive et ses précieuses observations.

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Droit financier

[Textes] Refonte des dispositions réglementaires relatives aux OPA (4ème partie)

Réf. : Arrêté du 18 septembre 2006, portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (N° Lexbase : L2145HSA)

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N4895ALU

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Le 07 Octobre 2010

Impatiemment attendue, la réforme du cadre réglementaire des offres publiques d'acquisition (OPA) vient d'être opérée par un arrêté du 18 septembre 2006, paru au Journal officiel du 28 septembre 2006 (1), portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers (AMF) . Conçu et adopté dans le sillage de la loi du 31 mars 2006 (loi n° 2006-387, relative aux offres publiques d'acquisition N° Lexbase : L9533HHK) (2), dont il constitue l'indispensable prolongement, le présent texte poursuit et parachève largement le processus de conformation du droit français à la treizième Directive communautaire sur les OPA (Directive 2004/25, du 21 avril 2004, concernant les offres publiques d'acquisition N° Lexbase : L2413DYZ) (3). Mais, comme son pendant législatif, il ne s'épuise pas à cette activité de stricte transposition. L'occasion est opportunément saisie de satisfaire à d'autres attentes d'amélioration et de modernisation, récemment exprimées par le "rapport Naulot" sur le renforcement de l'évaluation financière indépendante (4) ou encore le "groupe de travail OPA" mis en place par l'AMF en octobre 2005 (5). Loin de nuire à la cohérence de l'ensemble, les options retenues dans le cadre du pouvoir réglementaire autonome du régulateur se combinent aux exigences communautaires et législatives, pour gommer certains particularismes traditionnels de notre droit des offres publiques et amplifier son exposition aux influences "anglo-saxonnes" (cf. Refonte des dispositions réglementaires relatives aux OPA (1ère partie) N° Lexbase : N4877AL9, (2ème partie) N° Lexbase : N4879ALB, et (3ème partie) N° Lexbase : N4883ALG).

II - B - Les dispositions modifiées du Règlement général abritant le droit des procédures spéciales d'offre publique recèlent, elles aussi, leur lot de nouveautés. Principaux sujets d'attention, l'offre publique obligatoire et le retrait-exclusion des actionnaires ultra-minoritaires subissent, en particulier, le lifting prescrit en 2004 par les docteurs communautaires. De cette conformation au modèle harmonisé dessiné par la Directive OPA, leur visage en retire de nouveaux caractères, dont on ne sera pas surpris de constater, compte tenu de leur communauté d'origine, qu'ils procèdent d'une logique et d'une inspiration analogues à celles présidant l'ensemble de la réforme.

En matière d'offre publique obligatoire, le changement le plus notable (6) se situe au niveau des modes de détermination du prix. L'intérêt y porté n'est, à vrai dire, que l'écho ou le prolongement de celui suscité par l'une des mesures phares de la loi du 31 mars 2006, qui a consisté à poser ici le principe d'un prix-plancher -fixé objectivement, par référence au prix le plus élevé payé par l'auteur de l'offre dans l'année précédant le dépôt-, assorti cependant de réserves qu'il appartenait au règlement général de l'AMF de définir (C. mon. et fin., art. L. 433-3 I, al. 2 N° Lexbase : L3303HI8).

Jusqu'alors, en effet, notre réglementation se contentait de poser que le débiteur, initiateur forcé, devait libeller son projet d'offre "à des conditions telles qu'il puisse être déclaré recevable par l'AMF" (7) ; et de renvoyer, pour l'appréciation de cette recevabilité, aux dispositions générales imposant à l'autorité de marché l'examen du prix ou de la parité d'échange, "en fonction des critères d'évaluation objectifs usuellement retenus et des caractéristiques de la société visée" (8). Cet alignement du régime de l'offre publique obligatoire sur celui de l'offre publique volontaire, en forme de renvoi réalisé à l'envers, ne manquait pas de surprendre, compte tenu de la disparité de situation résultant d'une offre lancée spontanément et d'une offre légalement imposée qui, seule, requiert évidemment l'instauration de garanties destinées à assurer le sérieux de l'engagement réclamé (9).

Désormais, la rupture juridique est consommée. Elle l'est doublement, peut-on dire, sous l'effet d'un mouvement d'éloignement mutuel, même si la confiance dans les vertus régulatrices du marché semble, ici, servir de principe explicatif commun. Du côté des offres publiques volontaires, tout d'abord, où le contrôle public et direct du prix tend, on l'a vu, à s'effacer au profit de celui de l'information relative au prix, tout au moins en l'absence de conflit d'intérêts (10). Du côté des offres publiques obligatoires, ensuite, où demeure une stricte garantie de prix, mais dont le mécanisme a évolué pour ne plus accorder à l'autorité publique qu'un rôle subsidiaire. Cette évolution, d'origine communautaire, prend sa source à l'article 5 § 4 de la Directive OPA, qui a enjoint aux Etats membres de reconnaître comme "prix équitable" d'une offre publique obligatoire : "le prix le plus élevé payé pour les mêmes titres par l'offrant, ou par des personnes agissant de concert avec lui, pendant une période, déterminée par les Etats membres, de six mois au minimum à douze mois au maximum précédant l'offre". Empruntée à une logique plus britannique que française (11) et conforme aux recommandations du rapport "Winter I" (12), cette reconnaissance de principe séduisit, en effet, par ses avantages comparatifs, à savoir : pour les actionnaires de la société visée, celui d'assurer entre eux le respect d'une certaine égalité de traitement, quel que soit le moment de la négociation de leurs titres avec l'acquéreur (ou ses concertistes) ; pour l'offrant, celui de la sécurité juridique et de la prévisibilité, en lui donnant la certitude de ne pas avoir à débourser plus, dans le cadre de l'offre publique, que ce qu'il était disposé à payer antérieurement, tout en lui permettant de participer directement à la détermination du prix de l'offre obligatoire ; pour le législateur communautaire, celui de la simplicité, propre à favoriser l'harmonisation en Europe de réglementations nationales caractérisées jusqu'alors par leur disparité. On sait qu'à l'instar de la Rule 9.5 du City Code on Mergers and Acquisitions, la loi française de transposition du 31 mars 2006 a opté pour une période de référence de douze mois et fait du prix antérieur le plus élevé payé dans cet intervalle un simple minimum, afin, a-t-il été expliqué, de ne pas dissuader les auteurs d'offres publiques obligatoires de proposer des prix plus attractifs (13), mais avec le risque corrélatif que ces ruptures autorisées d'égalité entre actionnaires ne fassent resurgir la menace contentieuse.

Par nature, l'assurance d'un prix-plancher ainsi déterminé supposait l'institution de garde-fous, tant son caractère mécanique risquait de produire des résultats peu conformes à l'équité. Là se situe l'apport des nouvelles dispositions réglementaires venues, à l'invite de l'article L. 433-3 I, alinéa 2, du Code monétaire et financier, préciser les conditions dans lesquelles l'AMF "peut demander ou autoriser la modification du prix proposé". Lesdites précisions figurent à l'article 234-6, alinéa 2, du règlement général AMF, où l'on apprend qu'une telle intervention de l'AMF, spontanée ou réclamée, est ouverte : "lorsqu'un changement manifeste des caractéristiques de la société visée ou du marché de ses titres le justifie. Il en va notamment ainsi dans les cas suivants : 1° Lorsque des événements susceptibles d'influer de manière significative sur la valeur des titres concernés sont intervenus au cours des douze derniers mois précédant le dépôt de l'offre ; 2° Lorsque la société visée est en situation de difficulté financière avérée ; 3° Lorsque le prix mentionné au premier alinéa résulte d'une transaction assortie d'éléments connexes entre l'initiateur, agissant seul ou de concert, et le vendeur des titres acquis par l'initiateur au cours des douze derniers mois". Le texte rappelle largement, sans reproduire littéralement, les dispositions de l'article 5 § 4, alinéa 2, de la Directive OPA, et prend soin de coiffer les situations énumérées "exemplativement" d'une clausula generalis. On observe au passage que, si la Directive autorisait une modification directe du prix par l'autorité de marché, la transposition française, législative comme réglementaire, ne conçoit l'intervention de l'AMF que sous la forme d'une "autorisation" -sous-entendu à la baisse- ou d'une "demande" (est-ce une litote ?) -sous-entendu à la hausse- de modification du prix proposé.

Au résultat, dans les hypothèses susmentionnées, où les prix antérieurement payés par l'initiateur sont impropres à servir d'étalons exclusifs dans la mesure de l'égalité entre actionnaires, auxquelles il convient évidemment d'ajouter le cas d'absence totale de transaction de l'initiateur, agissant seul ou de concert, sur la période considérée, l'article 234-6, dernier alinéa, du règlement général AMF dispose que "le prix est déterminé en fonction des critères d'évaluation objectifs usuellement retenus, des caractéristiques de la société visée et du marché de ses titres". Ordinairement ravalée au rang de simple indication figurant dans les notes d'information (14), l'évaluation multi-critères opère, dans ces circonstances particulières, un remarquable retour en force. D'autant plus qu'il s'agit là d'un choix national, la Directive OPA s'étant montrée, à cet égard, relativement ouverte. L'option retenue révèle en conséquence une certaine résistance à la logique de marché, qui eut plutôt conduit à privilégier le recours à une moyenne boursière antérieure, comme en témoigne le récent exemple finlandais (15). Il faut concéder que, selon les cas envisagés, le bien-fondé du recours à une telle moyenne aurait pu prêter à discussion et que l'unité de la méthode de substitution retenue a au moins le mérite de la simplicité (16). Il n'aurait, cependant, pas été inutile d'indiquer clairement si le prix déterminé à partir de l'évaluation multi-critères doit alors définitivement prévaloir sur le prix antérieur le plus élevé ou si celui-ci doit, là aussi, faire office de prix-plancher.

Hélas, serait-on tenté de dire, les précisions réglementaires s'arrêtent là, limitées strictement au renvoi législatif. On peut le regretter tant le législateur s'est montré elliptique sur cette question pourtant essentielle. Le lecteur restera donc sur sa faim et maints problèmes sont en attente de résolution. Rien n'est dit, par exemple, de l'application du principe et des dérogations posées face à une offre publique obligatoire prenant la forme d'une OPE ou d'une offre complexe, comme autorisée par l'article 5 § 5 de la Directive OPA. On ne peut que constater, à cet égard que le domaine de l'option en numéraire obligatoire (17) est loin de couvrir tous les cas de figure envisageables. A moins de déduire des termes de l'article 234-6, l'obligation pour l'initiateur de proposer systématiquement une option, voire une contrepartie exclusive, en numéraire. De même, un silence coupable est gardé sur l'application du principe et des dérogations en présence d'une pluralité de catégories de titres de capital ou donnant accès au capital ; ou, simplement, sur les modalités concrètes de détermination du prix de référence, son calcul, sa preuve, le lieu des négociations prises en considération etc. Sans parler de certaines curiosités rédactionnelles de l'article L. 433-3, alinéa 2, du Code monétaire et financier, purement et simplement reproduites à l'article 234-6 du règlement général : la prise en compte du prix le plus élevé "payé par l'initiateur, agissant seul ou de concert", là où il aurait été plus avisé, et conforme à la Directive, de viser le prix le plus élevé payé "par l'initiateur ou les personnes agissant de concert avec lui" ; ou encore, n'y insistons pas, l'omission de préciser que le prix à retenir est le prix payé pour les mêmes titres et par titre... Quitte à s'en inspirer, il n'aurait pas été malvenu de tirer davantage de l'expérience britannique.

Terminant, comme il se doit, par les procédures de retrait, à présent détaillées aux articles 236-1 et suivants du règlement général AMF, un mot sera dit de leur champ d'application international, en raison d'hésitations persistantes. De fait, l'appréhension de celui-ci suppose une combinaison délicate de dispositions de qualité inégale, générales et spéciales, législatives et réglementaires, internes et communautaires, ne permettant pas toujours d'aboutir à des conclusions parfaitement assurées (18).

Du côté du retrait obligatoire, il paraît en ressortir une inapplicabilité de principe des règles matérielles françaises aux titres d'une société étrangère admis aux négociations sur un marché réglementé français. La solution ne prête guère à discussion lorsque le "siège statutaire" de la société est établi hors d'un Etat membre de la Communauté européenne (CE) ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen (EEE), puisque inscrite directement et sans équivoque à l'article 231-1, alinéa 3, du règlement général AMF. Elle paraît s'imposer également aux sociétés dont le "siège" se trouve sur le territoire d'un Etat membre de la CE ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'EEE, en vertu de l'article L. 433-4 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L3304HI9), qui borne l'habilitation du règlement général AMF aux seules procédures de retrait portant sur les titres d'"une société dont le siège social est établi en France". La relation implicitement établie entre la procédure de retrait obligatoire et les "questions relevant du droit des sociétés", au sens de l'article 4 § 2 e) de la Directive OPA, dans la mesure où s'il s'agirait avant tout d'une procédure dérogatoire permettant l'exclusion d'actionnaires, actuels ou potentiels (19), d'une société à capital fixe, ne semble pas même pouvoir autoriser une distinction entre ces sociétés étrangères selon que leurs titres sont ou non admis sur le marché réglementé de l'Etat membre de leur siège social. Il n'est pas sûr, en pratique, qu'une solution aussi radicale se révèle toujours satisfaisante (20).

Du côté des offres publiques de retrait, la mise à l'écart du droit français domine également, même si elle ne s'impose pas avec autant de vigueur, ce qui oblige à distinguer. S'agissant des sociétés dont le "siège" est établi sur le territoire d'un Etat membre de la CE ou partie à l'accord sur l'EEE, l'incompétence des règles françaises matérielles semble légalement posée (C. mon. et fin., art. L. 433-4). Elle apparaît, ainsi, calée sur la solution retenue pour le retrait obligatoire, alors pourtant que la Directive OPA ne l'exigeait pas aussi nettement et invitait plutôt à nuancer selon le degré d'intimité des liens entretenus avec les règles du droit des sociétés (art. 4 § 2, e), et que le règlement général AMF, par sa rédaction évasive, pourrait entretenir le doute lorsque la société étrangère concernée n'est pas cotée sur un marché réglementé de l'Etat membre de son siège social (Règl. gén., art. 231-1 et 236-1 et s.) (21). Quant aux sociétés dont le "siège statutaire" est situé hors d'un tel Etat, le même règlement général ne se préoccupe que d'exclure leur soumission aux règles françaises relatives à l'"offre publique obligatoire" (Règl. gén., art. 231-1, al. 3), ce qui laisse à l'AMF la possibilité de leur ouvrir la voie de l'offre publique de retrait dans les hypothèses où celle-ci ne revêt aucun caractère contraignant pour l'initiateur (arg. C. mon. et fin., art. L. 433-1 III).

A l'inverse, on comprend que les règles relatives au retrait obligatoire ou aux offres publiques de retrait s'appliquent aux sociétés françaises quand bien même les titres de celles-ci ne seraient pas admis aux négociations sur un marché réglementé français, dès lors, est-il cependant précisé, qu'ils le sont sur un marché réglementé d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen (C. mon. et fin., art. L. 433-4 ; Règl. gén., art. 236-1 et s.).

En droit interne, c'est sans conteste le retrait obligatoire qui fait l'objet du plus substantiel remaniement. La réforme ne réalise rien moins que le découplage du retrait obligatoire et de l'offre publique de retrait, imposé par la treizième Directive communautaire (art. 15) et transposé par la loi du 31 mars 2006 (C. mon. et fin., art. L. 433-4 III). Désormais, en effet, la première opération ne situe plus dans une relation de dépendance nécessaire et unilatérale vis-à-vis de la seconde ; elle n'en est plus un simple appendice (22). Certes, le retrait obligatoire peut bien encore se situer dans le sillage d'une OPR. Mais cette étape intermédiaire ne constitue plus un passage obligé, du fait de l'ouverture à l'auteur d'une offre publique ne présentant pas la nature d'une OPR, d'un accès direct à la procédure d'exclusion des titulaires ultra-minoritaires de titres de capital, qu'il peut emprunter jusqu'à expiration d'un délai de trois mois à compter de la clôture de son offre. D'où l'introduction au sein du Chapitre VII du Titre III du Livre II du règlement général, qui demeure consacré au sujet, d'une division de ses dispositions en deux sections organisant, pour l'une, "le retrait obligatoire à l'issue d'une offre publique de retrait" (Règl. gén., art. 237-1 et s.), et pour l'autre, "le retrait obligatoire à l'issue de toute offre publique" (Règl. gén., art. 237-14 et s.). A l'évidence, cette dualité d'hypothèse de retrait obligatoire et cette subdivision réglementaire, dont on constatera d'ailleurs qu'elles ne s'épousent pas parfaitement, ne contribuent pas significativement à la simplicité et la lisibilité du dispositif, occasionnant même quelques interrogations irritantes, notamment, dans l'articulation des opérations ou des procédures de contrôle.

Ainsi, conduit à organiser procéduralement la diversité de situations envisageables dans le cadre du nouveau régime, le règlement général AMF procède à une distinction, dont l'article 217-16 fournit la clé, basée principalement sur la nécessité ou non d'une nouvelle déclaration de conformité délivrée par l'AMF.

Au cas général -à tout le moins présenté comme tel-, l'AMF est appelée à se prononcer sur la conformité du projet de retrait obligatoire. Ratione temporis, le contraste apparaît avec la réglementation jusque-là applicable, qui pour l'essentiel situait l'intervention de l'autorité de marché au moment du projet d'offre publique de retrait, sur lequel le retrait obligatoire se greffait nécessairement. Pour le reste, les traits antérieurs de la procédure se retrouvent, sous réserve d'adaptations : l'initiateur fournit, à l'appui de son projet de retrait obligatoire, "une évaluation des titres de la société visée, effectuée selon les méthodes objectives pratiquées en cas de cession d'actifs, tenant compte, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de la valeur boursière, de l'existence de filiales et des perspectives d'activité" (Règl. gén., art. 237-16 II, al. 1er) ; un expert indépendant est désigné, à la demande désormais de la société visée (Règl. gén., art. 261-1 II) ; et un projet de note d'information est établi, soumis au visa de l'AMF et porté à la connaissance du public (Règl. gén., art. 237-16 II, al. 2).

Il est dérogé à cette procédure lourde dans les situations définies à l'article 237-16 I du règlement général. Celui-ci supprime, en effet, le passage par la déclaration de conformité "dans l'un des deux cas suivants" -entendons dans l'un ou l'autre des cas suivants- "et à condition que le retrait obligatoire comporte le règlement en numéraire proposé lors de la dernière offre : 1° Le retrait obligatoire fait suite à une offre publique soumise aux dispositions du chapitre II ; 2° Le retrait obligatoire faire suite à une offre publique pour laquelle l'AMF a disposé de l'évaluation mentionnée au II de l'article L. 433-4 du code monétaire et financier et du rapport de l'expert indépendant mentionné à l'article 261-1". L'allégement se ressent également au plan de l'information, puisqu'il revient alors simplement à l'initiateur d'informer l'AMF de son intention de mettre en oeuvre le retrait obligatoire et de publier un communiqué (Règl. gén., art. 237-16 III).

Tels qu'on les comprend, les deux cas de dispense susvisés procèdent de logiques différentes. Le second peut s'expliquer par le souci d'éviter l'imposition d'exigences redondantes lorsque le retrait obligatoire s'inscrit dans la continuité d'une offre publique déjà assortie de garanties équivalentes, typiquement une offre publique de retrait. Le premier est plus original, dans la mesure où il permettrait, à l'inverse, d'aboutir à la mise en oeuvre d'un retrait obligatoire sans recourir à l'évaluation multi-critères spéciale mentionnée à l'article 237-16 II et, possiblement, sans le détour par l'expertise indépendante prévue à l'article 261-1. Illustrant à nouveau l'esprit de faveur pour le marché, qui anime la réforme, la justification de l'exemption reposerait en l'espèce sur le succès de l'offre publique initiale, qui a recueilli au bas mot 95 % de réponses favorables, de la part de destinataires représentant plus de la moitié du capital ou des droits de vote de la société visée (23). Ce véritable plébiscite actionnarial du prix proposé par l'initiateur suffirait, en d'autres termes, à légitimer le rachat forcé subséquent du reliquat des titres aux mêmes conditions. Il y a là une simplification bienvenue par rapport au droit antérieur dont l'application conduisait, parfois, à un enchaînement artificiel d'offres publiques intermédiaires réalisées à contrepartie constante. Support de cette volonté évidente de garantir aux intéressés une égalité de traitement patrimonial, en dépit de la différence de leur situation, on aura pris soin de relever la mise en facteur, dans les deux cas susvisés, de la condition ordonnant que le retrait obligatoire comporte le même règlement en numéraire que celui proposé dans le cadre de la dernière offre publique.

La perspective d'une dispense de déclaration de conformité incitera sans doute un initiateur qui aurait l'intention (24) de faire suivre, le cas échéant, son offre publique d'un retrait obligatoire, à satisfaire ab initio aux conditions énoncées à l'article 237-16 I. Auteur d'une OPE, il prendra soin d'assortir son offre d'une option en numéraire (25). Auteur d'une offre publique non soumise à la procédure normale (notamment offre publique simplifiée ou garantie de cours), il fera procéder à l'évaluation et à l'expertise indépendante requises (26) Ce faisant, il pourrait toutefois se heurter à quelques difficultés. La première tient à la rédaction de l'article 237-16 I 2°, spécialement au renvoi opéré à "l'évaluation mentionnée au II de l'article L. 433-4 du code monétaire et financier", qui pourrait laisser à penser, compte tenu du champ limité de cette disposition législative, que cette dispense de déclaration de conformité ne trouve à s'appliquer qu'en matière d'offres publiques de retrait. Une lecture ouverte du texte n'est toutefois pas impossible, qui consisterait à exiger, dans les autres catégories d'offres, une évaluation présentant les mêmes garanties que celles imposées dans le cadre d'une OPR. Une seconde difficulté tient au régime international du retrait obligatoire qui, comme on l'a vu (27), pourrait provoquer une déconnexion, en présence d'une société visée étrangère, entre le droit national applicable à une offre publique et le droit national applicable au retrait obligatoire, susceptible de rompre l'égalité de traitement des actionnaires concernés.

Il est vrai que l'autonomie relative conquise par le retrait obligatoire accroît d'autant le risque de rupture d'égalité. Il suffirait pour cela que l'initiateur d'une offre publique choisisse de ne se soumettre aux conditions du retrait obligatoire qu'au seul moment de sa mise en oeuvre. Une offre publique d'échange pourrait ainsi être suivie d'un retrait obligatoire en numéraire ou, tout au moins, pourvu d'une option en numéraire. En cas d'offre publique d'achat, un écart entre le prix d'offre et l'indemnisation des investisseurs exclus pourrait ressortir du recours à des procédures d'évaluation et d'expertise plus exigeantes au moment du retrait obligatoire. Il est cependant permis de penser que la discipline de marché et l'intérêt bien compris des initiateurs d'offres publiques rendront de telles situations marginales et que, sauf événements nouveaux, les contreparties prévues dans le cadre des retraits obligatoires s'aligneront pratiquement sur celles proposées lors des offres publiques les précédant immédiatement, dont elles subiront naturellement la force d'attraction.

Alain Pietrancosta*
Professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Directeur du Master Droit financier
Centre de Recherches en Droit financier


(1) JO n° 225 du 28 septembre 2006, p. 14210. Sur le projet de règlement, v. O. Douvreleur, C. Uzan, Projet de modification du règlement général de l'Autorité des marchés financiers : vers un renouveau du droit des offres publiques d'acquisition ?, Bull. Joly Bourse et produits financiers, juin 2006, p. 275-291.
(2) V. I. MacElhone, C. Maison-Blanche, Les récentes réformes en matière d'offres publiques induites par la loi du 31 mars 2006, Fusions & Acquisitions, mars-avril 2006, p. 30 ; RDBF, mai-juin 2006, p. 40, chron. H. Le Nabasque et P. Portier ; J.-B. Lenhof, Aspects de droit des sociétés de la réforme sur les offres publiques d'acquisition, Lexbase Hebdo n° 217, du 1er juin 2006 - édition affaires, (première partie) (N° Lexbase : N9036AKU), et (seconde partie) (N° Lexbase : N9296AKI) ; J.-F. Biard, Les nouvelles dispositions du droit des offres publiques en France, Option Finance, 10 juillet 2006, n° 891, p. 34-38 et in La lettre Vernimmen.net, n° 48, juin 2006 ; C. Malecki, La loi du 31 mars 2006 relative aux OPA et l'information des actionnaires et des salariés, Recueil Dalloz, 28 septembre 2006, n° 33, p. 2314-2318.
(3) V. A. Pietrancosta, La directive européenne sur les offres publiques d'acquisition enfin adoptée !, RD banc. et fin., septembre-octobre 2004, p. 338 ; M. Haschke-Dournaux, L'adoption de la directive européenne relative aux offres publiques d'acquisition, LPA, 26 avril 2004, n° 83, p. 7 ; F. Peltier, F. Martin-Laprade, Directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 relative aux OPA ou l'encadrement par le droit communautaire du changement de contrôle d'une société cotée, Bull. Joly Bourse et produits financiers, 2004/5, p. 610 ; A. Couret, La fin d'une trop longue saga : l'adoption de la 13e directive en matière de droit des sociétés concernant les offres publiques d'acquisition, Mélanges Béguin, Litec, 2005, p. 195 ; P. Servan-Schreiber, W. Grumberg, Défenses anti-OPA, Adoption de la directive européenne sur les OPA et enjeux pour les entreprises françaises, JCP éd. E, n° 44, p. 1774 ; T. Granier, La directive concernant les offres publiques d'acquisition, Europe, n° 11, novembre 2004 ; Reforming Company and Takeover Law in Europe, edited by G. Ferrarini, K. J. Hopt, J. Winter, E. Wymeersch, Oxford University Press, 2004 ; S. V. Simpson, L. Corte, The Future Direction of Takeover Regulation In Europe, 1520 PLI/Corp 759, Practising Law Institute, December, 2005.
(4) V. not. A. Pietrancosta, Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition : des "options" françaises, Lexbase Hebdo n° 211, du 19 avril 2006, et n° 212 du 26 avril 2006 - édition affaires, première partie (N° Lexbase : N7263AK9), deuxième partie (N° Lexbase : N7294AKD), troisième partie (N° Lexbase : N7295AKE), quatrième partie (N° Lexbase : N7386AKR) et cinquième partie (N° Lexbase : N7390AKW), et RTDF 2006/1, p. 5-18, spéc. n° 3, p. 7
(5) Groupe présidé par C. Favre et D. Hoenn, membres du collège de l'AMF.
(6) Ceux qui espéraient du règlement général un strict encadrement de l'amendement "Renault-Nissan" -consistant à subordonner la recevabilité d'une OPA-E, volontaire ou obligatoire, lancée sur une société cotée sur un marché réglementé français à la démonstration qu'une OPA-E "irrévocable" et "loyale" est ou sera initiée sur les titres de chaque société, française ou étrangère, cotés sur un marché réglementé français ou étranger, et détenus à plus d'un tiers par la première société visée, dès lors qu'ils constituent de celle-ci un actif essentiel (C. mon. et fin., art. L. 433-3 IV)-, seront déçus par les dispositions minimalistes qui lui sont consacrées (v. Règl. gén., art. 231-13, 231-18, 8°) ; v. F. Barrière, OPA obligatoire sur une filiale (étrangère) de la cible initiale : du patriotisme économique teinté d'hégémonie juridique ?, Option Finance, n° 901, 9 octobre 2006, p. 38, qui émet au passage un doute sur la légalité de l'extension de l'offre publique accessoire aux titres donnant accès au capital de la société détenue.
(7) Règl. gén. AMF, ancien art. 234-2.
(8) Règl. gén. AMF, ancien art. 231-23.
(9) V. not. A. Viandier, OPA, OPE..., éd. F. Lefebvre, 2004, n° 941 et s. ; C. Baj, Offre d'acquisition : contestation et détermination du prix, Dict. Joly Bourse ; J.-J. Daigre, Le prix des offres publiques, RDBF, mars-avril 2002, p. 55.
(10) V. les propos de B. de Juvigny, rapportés par B. de Roulhac, "L'AMF milite pour un maximum de transparence dans son dispositif de gestion des rumeurs", L'Agéfi, 11 octobre 2006, p. 9 ; A. Pietrancosta, Lexbase Hebdo n° 211 et 212, préc..
(11) V. The City Code on Takeovers and Mergers, Rule 9 § 5.
(12) Rapport du Groupe d'experts de haut niveau en droit des sociétés sur des questions liées aux offres publiques d'acquisition, Bruxelles, 10 janvier 2002, p. 49 et s.
(13) V. not. H. Novelli, Rapport fait au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan, Assemblée nationale, 1ère lecture, n° 2750, Document mis en distribution le 15 décembre 2005.
(14) Règ. gén. AMF, art. 231-18 ou 261-1, auxquels il n'est pas expressément dérogé au cas d'OPO lancée au prix le plus élevé payé antérieurement.
(15) V. A. Sailakivi, Finland : markets - takeovers - mandatory bids - exemptions - regulatory arrangements - implementation of directive 2004/25, I.C.C.L.R. 2006, 17(10), N90 -92.
(16) Comp. la Rule 9.5 du City Code on Takeovers and Mergers.
(17) Comp., avec le pouvoir d'initiative reconnu à la société cible par la Rule 2 du City Code on Mergers and Acquisitions.
(18) V. spéc. C. Maison-Blanche, Extension de la compétence territoriale de l'Autorité des Marchés Financiers concernant le contrôle des offres publiques d'acquisition : apports de la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l'économie et de la loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux offres publiques d'acquisition, RTDF, 2006/1, p. 134-143.
(19) Rappelons que, depuis la loi du 1er mars 2006, le retrait obligatoire peut porter sur "les titres donnant ou pouvant donner accès au capital". La leçon n'est hélas que partiellement tirée de l'expérience (v. not. l'offre publique Marionnaud), dans la mesure où le double seuil requis par l'article 237-1 du règlement général peut encore déboucher sur une situation dans laquelle l'auteur du retrait obligatoire ne sera pas en mesure d'assurer définitivement la fermeture du capital social.
(20) En ce sens, on lira avec intérêt le document accompagnant la récente offre publique d'échange de Gemalto N.V. visant les titres de Gemplus international S.A., p. 39.
(21) V. en ce sens le document d'offre publique Gemalto N.V. préc.
(22) A. Pietrancosta, Offres publiques de retrait et retrait obligatoire, Dictionnaire Joly Bourse et Produits financiers, n° 63.
(23) Condition d'application de la procédure normale régie par le Chapitre II du Titre III.
(24) Laquelle devra faire l'objet d'une déclaration dans le premier document d'offre.
(25) Condition du retrait obligatoire, imposée par la loi (C. mon. et fin., art. L. 433-4 III).
(26) V. en ce sens, la première OPA simplifiée nouvelle réglementation, visant les actions de la société Airox initiée par Kendall (période de l'offre du 24 octobre 2006 au 13 novembre 2006 inclus) ; ou encore, l'offre publique réalisable par garantie de cours sur les titres de la société PagesJaunes initiée par Mediannuaire, déposée le 24 octobre 2006.
(27) V. AMF, Consultation publique sur le projet de règlement général relatif aux offres publiques et à l'expertise indépendante, 25 avril 2006, p. 3.


* L'auteur tient à remercier chaleureusement Catherine Maison-Blanche pour sa relecture attentive et ses précieuses observations.

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