La lettre juridique n°221 du 29 juin 2006

La lettre juridique - Édition n°221

Fiscalité des entreprises

[Doctrine] L'exonération de TVA des laboratoires privés d'analyses médicales selon la CJCE

Réf. : CJCE, 8 juin 2006, aff. C-106/05, L.u.P. GmbH c/ Finanzamt Bochum-Mitte (N° Lexbase : A7832DPR)

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N0249ALS

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par Yolande Sérandour, Professeur à la Faculté de droit de Rennes, Directrice du Master de Droit Fiscal des Affaires de Rennes et du département Droit fiscal du CDA

Le 07 Octobre 2010

Quelles sont les conditions auxquelles les Etats membres peuvent subordonner l'exonération de TVA des analyses médicales effectuées, sur prescription médicale, par des laboratoires externes privés ? Telle était la question soulevée par l'affaire "L.u.P." devant la CJCE, le 8 juin 2006.
L'article 13, A & 1 de la 6ème Directive TVA (N° Lexbase : L9279AU9) exonère les prestations d'hospitalisation, soins médicaux ou de services liées à ces prestations, réalisées par des organismes publics ou des établissements privés reconnus ainsi que les prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l'exercice des professions médicales et paramédicales telles qu'elles sont définies par l'Etat membre concerné. Le paragraphe 2 du même texte autorise les Etats membres à subordonner l'exonération des organismes de droit privé au respect d'une ou plusieurs conditions qu'il énumère. Parmi ces dernières figure celle-ci : "les organismes en question doivent pratiquer des prix homologués par les autorités publiques ou n'excédant pas de tels prix homologués ou, pour les opérations non susceptibles d'homologation des prix, des prix inférieurs à ceux exigés pour des opérations analogues par des entreprises commerciales soumises à la taxe sur la valeur ajoutée".

La L.u.P. GmbH, société à responsabilité limitée de droit allemand, a comme unique associé le docteur en médecine de laboratoire M. Ingo Scharmann. La société L.u.P. a réalisé des analyses médicales au nom de deux associations de laboratoire auxquelles s'étaient joints des médecins généralistes. Ceux-ci ont prescrit ces analyses dans le cadre de leurs soins. L'administration fiscale allemande a refusé l'exonération de TVA réservée aux activités médicales humaines au motif que les prestations en cause n'avaient pas été rendues dans les conditions prévues par la loi locale (contrôle médical et 40 % des activités au profit de certaines catégories sociales). S'interrogeant au sujet de la marge de liberté laissée aux Etats membres par la 6ème Directive TVA en matière d'exonération des activités médicales, la juridiction allemande saisie a préféré solliciter la CJCE dans les termes suivants : "[...] permettent-elles de subordonner l'exonération des analyses médicales de laboratoires, prescrites par des médecins généralistes, aux conditions mentionnées dans ces dispositions, même si les soins dispensés par les médecins sont de toute façon exonérés ?"

L'interprétation de l'article 13, A, § 1, b et c, et § 2 de la 6ème Directive vise à déterminer les conditions auxquelles les Etats membres peuvent subordonner l'exonération de la TVA des analyses médicales effectuées, sur prescription médicale, par des laboratoires externes privés. La première question soulevée concerne la possibilité d'exonérer ou non de TVA les analyses médicales des organismes privés. La seconde, celle relative aux conditions auxquelles les Etats membres peuvent subordonner cette exonération ne se pose qu'en cas de réponse positive à la première. Telle est la démarche adoptée par la CJCE, laquelle dit pour droit que :

"L'article 13, A, paragraphe 1, sous b), de la sixième Directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme, doit être interprété en ce sens que des analyses médicales ayant pour objet l'observation et l'examen des patients à titre préventif, qui sont effectuées, telles que celles en cause au principal, par un laboratoire de droit privé extérieur à un établissement de soins sur prescription de médecins généralistes, sont susceptibles de relever de l'exonération prévue par cette disposition en tant que soins médicaux dispensés par un autre établissement de droit privé dûment reconnu au sens de ladite disposition.

L'article 13, A, paragraphes 1, sous b), et 2, sous a), de ladite Directive ne s'oppose pas à une réglementation nationale qui subordonne l'exonération de telles analyses médicales à des conditions qui, d'une part, ne s'appliquent pas à l'exonération des soins prodigués par les médecins généralistes les ayant prescrit et, d'autre part, sont différentes de celles applicables aux opérations étroitement liées aux soins médicaux au sens de la première de ces dispositions.

L'article 13, A, paragraphe 1, sous b), de cette même Directive s'oppose à une réglementation nationale qui subordonne l'exonération des analyses médicales effectuées par un laboratoire de droit privé extérieur à un établissement de soins à la condition qu'elles soient réalisées sous contrôle médical. En revanche, cette disposition ne s'oppose pas à ce que cette même réglementation subordonne l'exonération desdites analyses à la condition qu'elles soient, pour au moins 40 % d'entre elles, destinées à des assurés d'un organisme d'assurance sociale".

Il est possible d'exonérer de TVA les établissements privés d'analyses médicales et de suspendre cette exonération à des conditions.

1. La possibilité d'exonérer de TVA les établissements privés d'analyses médicales

L'article 13, A, § 1 de la 6ème Directive TVA dispose :

"1. Sans préjudice d'autres dispositions communautaires, les Etats membres exonèrent, dans les conditions qu'ils fixent en vue d'assurer l'application correcte et simple des exonérations prévues ci-dessous et de prévenir toute fraude, évasion et abus éventuels : [...]

b) l'hospitalisation et les soins médicaux ainsi que les opérations qui leur sont étroitement liées, assurés par des organismes de droit public ou, dans des conditions sociales comparables à celles qui valent pour ces derniers, par des établissements hospitaliers, des centres de soins médicaux et de diagnostic et d'autres établissements de même nature dûment reconnus ;

c) les prestations de soins à la personne effectuées dans le cadre de l'exercice des professions médicales et paramédicales telles qu'elles sont définies par l'Etat membre concerné".

Au regard de ce texte, il convient de se demander si des analyses médicales effectuées par des organismes privés, sur prescription médicale, peuvent être qualifiées de "soins médicaux" ou d'opérations "étroitement liées" aux soins médicaux ou de "prestations de soins à la personne". Autrement dit, les analyses médicales relèvent-elles du point b ou du point c de l'article 13 A § 1 de la 6ème Directive TVA (§ 23) ? Si le point c s'appliquait, il ne serait pas nécessaire de s'interroger quant à l'auteur des prestations médicales, établissement public ou privé. En effet, ce texte pose une exonération sans distinguer entre opérateurs publics ou privés.

Rappelons que, selon une jurisprudence constante, la CJCE considère que les exonérations prévues à l'article 13, A sont des notions autonomes du droit communautaire ayant pour objet d'éviter des divergences dans l'application du régime de TVA (CJCE, 1er décembre 2005, aff. C-394/04, Diagnostiko & Therapeftiko Kentro Athinon-Ygeia AE c/ Ypourgos Oikonomikon, § 15 N° Lexbase : A7840DLX ; CJCE, 25 février 1999, aff. C-349/96, Card Protection Plan Ltd (CPP) c/ Commissioners of Customs & Excise, § 15 N° Lexbase : A7318AHI : Dr. fisc 1999, p. 590 ; RJF 1999 - 512 ; CJCE, 15 juin 1989, aff. C-348/87, Stichting Uitvoering Financiële Acties c/ Staatssecretaris van Financiën, § 13 N° Lexbase : A7893AUU : Rec. p. I-1737). De plus, "les termes employés pour désigner les exonérations visées à l'article 13 de la sixième Directive sont d'interprétation stricte, étant donné qu'elles constituent des dérogations au principe général selon lequel la TVA est perçue sur chaque prestation de services effectuée à titre onéreux par un assujetti" (CJCE, 1er décembre 2005, aff. C-394/04, Diagnostiko & Therapeftiko Kentro Athinon-Ygeia AE c/ Ypourgos Oikonomikon, § 15 précité, et CJCE, 15 juin 1989, aff. C-348/87, Stichting Uitvoering Financiële Acties c/ Staatssecretaris van Financiën, § 13, précité). Comme toute exception à la règle générale, l'exonération doit faire l'objet d'une interprétation restrictive, laquelle doit prendre en considération le but des exonérations prévues par l'article 13, A. En matière médicale, ce but est de réduire les coûts des soins de santé et de rendre ces soins plus accessibles (CJCE, 20 novembre 2003, aff. C-307/01, Peter d'Ambrumenil c/ Commissioners of Customs & Excise, § 58 N° Lexbase : A1837DAB : Dr. fisc. 2004, n° 15, comm. 407 ; CJCE, 6 novembre 2003, aff. C-45/01, Christoph-Dornier-Stiftung für Klinische Psychologie c/ Finanzamt GieBen, § 43 N° Lexbase : A0558DAW : Dr. fisc. 2004, n° 8, comm. 263 ; RJF 01/04, n° 105 ; CJCE, 10 septembre 2002, aff. C-141/00, Ambulanter Pflegedienst Kügler GmbH c/ Finanzamt für Körperschaften I in Berlin, § 29 N° Lexbase : A3667AZT : Rec. p. I-6833 ; CJCE, 11 janvier 2001, aff. C-76/99, Commission des Communautés européennes c/ République française, § 23 N° Lexbase : A0203AWG : RJF 4/01, n° 575).

Encore faut-il que la prestation concernée appartienne à la catégorie des prestations médicales. Selon la CJCE, les prestations de services de "soins médicaux" ainsi que les "prestations de soins à la personne" ont "pour but de diagnostiquer, de soigner et, dans la mesure du possible, de guérir des maladies ou anomalies de santé" (§ 27 ; CJCE, 6 novembre 2003, aff. C-45/01, Christoph-Dornier-Stiftung für Klinische Psychologie c/ Finanzamt GieBen, § 48 ; CJCE, 10 septembre 2002, aff. C-141/00, Ambulanter Pflegedienst Kügler GmbH c/ Finanzamt für Körperschaften I in Berlin, § 38 et CJCE, 1er décembre 2005, aff. C-394/04, Diagnostiko & Therapeftiko Kentro Athinon-Ygeia AE c/ Ypourgos Oikonomikon, § 24, précités). L'exonération de l'article 13, A, 1, b et c sous tend que la prestation en cause ait un but thérapeutique (CJCE, 10 septembre 2002, aff. C-141/00, Ambulanter Pflegedienst Kügler GmbH c/ Finanzamt für Körperschaften I in Berlin, § 39 ; CJCE, 20 novembre 2003, aff. C-212/01, Margarete Unterpe rtinger c/ Pensionsversicherungsanstalt der Arbeiter, § 40 ; CJCE, 20 novembre 2003, aff. C-307/01, Peter d'Ambrumenil c/ Commissioners of Customs & Excise, § 58, précités). La finalité thérapeutique inclut les prestations médicales préventives (CJCE, 20 novembre 2003, aff. C-212/01, Margarete Unterpe rtinger c/ Pensionsversicherungsanstalt der Arbeiter, § 40 : Rec. p. I-13859 ; CJCE, 20 novembre 2003, aff. C-307/01, Peter d'Ambrumenil c/ Commissioners of Customs & Excise, § 58, précités). Peu importe que "les personnes qui font l'objet d'examens ou d'autres interventions médicales à caractère préventif ne souffrent d'aucune maladie ou anomalie de santé", car "l'inclusion desdites prestations dans la notion de 'prestations de soins à la personne' est conforme à l'objectif de réduction du coût des soins de santé, lequel est commun tant à l'exonération prévue à l'article 13, paragraphe 1, sous b), de la sixième Directive qu'à celle prévue au même paragraphe, sous c)" (§ 29 ; CJCE, 20 novembre 2003, aff. C-212/01, Margarete Unterpe rtinger c/ Pensionsversicherungsanstalt der Arbeiter, § 40 ; CJCE, 20 novembre 2003, aff. C-307/01, Peter d'Ambrumenil c/ Commissioners of Customs & Excise, § 58, précités).

Dans la mesure où les analyses médicales effectuées sur prescription ont pour objet l'observation et l'examen des patients à titre préventif, elles constituent des "soins médicaux" au sens de l'article 13, A, § 1, b de la 6ème Directive ou des "prestations de soins à la personne" au sens du même paragraphe sous c (§ 31 ; CJCE, 11 janvier 2001, aff. C-76/99, Commission des Communautés européennes c/ République française, § 30, précité). Le principe de neutralité fiscale interdit toute autre analyse. Ce principe s'oppose à ce que des prestations de services semblables, en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente (§ 32 ; CJCE, 26 mai 2005, aff. C-498/03, Kingscrest Associates Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, § 54 N° Lexbase : A3971DIW : Dr. fisc. 2005, n° 38, p. 1417 ; CJCE, 23 octobre 2003, aff. C-109/02, Commission des Communautés européennes c/ République fédérale d'Allemagne, § 20 N° Lexbase : A9731C9B : Rec. p. I-12691 ; CJCE, 29 juin 1999, aff. C-158/98, Staatssecretaris van Financiën c/ Coffeeshop, § 14 et 21 N° Lexbase : A2002AIY : JCP éd. E 1999, p. 1322. Adde, Y. Sérandour, Les activités illicites et la TVA, JCP éd. E 2000, p. 72). Le principe de neutralité ne serait pas respecté si les analyses médicales prescrites par des médecins généralistes étaient soumises à un régime différent selon le lieu où elles sont effectuées alors que leur qualité est équivalente compte tenu de la formation des prestataires concernés (§ 32 ; CJCE, 6 novembre 2003, aff. C-45/01, Christoph-Dornier-Stiftung für Klinische Psychologie c/ Finanzamt GieBen, § 49, précité ; CJCE, 27 avril 2006, aff. C-443/04, H. A. Solleveld c/ Staatssecretaris van Financiën, § 40 et 41 N° Lexbase : A1717DPB).

Certes, les analyses médicales sont des soins médicaux et des soins à la personne. Cependant, en l'espèce, les analyses étaient réalisées en dehors de toute relation directe entre le patient et le laboratoire. La société L.u.P. ne dispense pas des soins à la personne. En conséquence, le sous paragraphe c de l'article 13 A § 1 ne s'applique pas. L'exonération des prestations fournies par L.u.P. dépend de la question de savoir si ses analyses relèvent ou non du sous paragraphe b de l'article 13 A § 1 de la 6ème Directive, lequel accorde à chaque Etat membre une certaine liberté pour appliquer l'exonération en reconnaissant ou non les laboratoires privés. De nouveau, le principe de neutralité interdit de distinguer. Si les analyses sont des soins médicaux, peu importe l'opérateur. Dans le sens de cette interprétation, il faut encore invoquer l'objectif d'exonération des soins médicaux : favoriser l'accès aux soins par la baisse des coûts des soins médicaux. Le fait que des analyses médicales ne soient pas directement réalisées au profit du patient importe peu (§ 38). La sous-traitance de services médicaux n'exclut pas l'exonération (CJCE, 11 janvier 2001, aff. C-76/99, Commission des Communautés européennes c/ République française, § 28, précité ; CJCE, 20 novembre 2003, aff. C-307/01, Peter d'Ambrumenil c/ Commissioners of Customs & Excise, § 67, précité).

La 6ème Directive ne permet pas de distinguer entre établissements publics ou privés d'analyses médicales fournissant les mêmes prestations. Toute condition d'exonération posée par un Etat membre doit rester dans les limites fixées par l'article 13 A § 1 et les principes directeurs d'interprétation du droit communautaire.

2. La possibilité d'exonérer de TVA sous conditions les établissements privés d'analyses médicales

Aux termes de l'article 13, A, § 1 b de la 6ème Directive TVA, les laboratoires privés d'analyses médicales relèvent de la notion d'"autres établissements de même nature". Leur exonération de TVA suppose leur reconnaissance par l'Etat d'implantation. A cet égard, les Etats membres disposent d'un pouvoir d'appréciation (CJCE, 26 mai 2005, aff. C-498/03, Kingscrest Associates Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, § 38 ; CJCE, 6 novembre 2003, aff. C-45/01, Christoph-Dornier-Stiftung für Klinische Psychologie c/ Finanzamt GieBen, § 64 et 81, précités). Chaque Etat membre peut subordonner l'exonération des prestations effectuées par des laboratoires d'analyses médicales privés à une ou plusieurs des conditions prévues à l'article 13, A, § 2 a, ce qui n'est pas le cas pour les prestations effectuées par des médecins qui prescrivent les analyses dans le cadre de l'article 13, A, § 1 c.

Il incombe toutefois aux juridictions nationales d'examiner si les Etats membres, en imposant de telles conditions, n'ont pas méconnu les limites de leur pouvoir d'appréciation en respectant les principes du droit communautaire, en particulier le principe d'égalité de traitement, lequel se traduit, en matière de TVA, par le principe de neutralité fiscale (§ 48 ; CJCE, 26 mai 2005, aff. C-498/03, Kingscrest Associates Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, § 52 ; CJCE, 6 novembre 2003, aff. C-45/01, Christoph-Dornier-Stiftung für Klinische Psychologie c/ Finanzamt GieBen, § 69, précités). S'agissant de la condition prévue par le droit allemand selon laquelle "les prestations sont fournies sous contrôle médical", la CJCE ne pouvait que constater la méconnaissance du droit communautaire. L'arrêt "Dornier" précité énonce explicitement que "la condition exigeant que les prestations soient fournies sous contrôle médical, en ce qu'elle vise à exclure du bénéfice de l'exonération les prestations effectuées sous la seule responsabilité de professionnels paramédicaux, excède les limites du pouvoir d'appréciation consenti aux Etats membres par l'article 13, A, paragraphe 1, sous b), de la sixième Directive". La notion de "soins médicaux" figurant à cette disposition recouvre non seulement les prestations fournies directement par des médecins ou par d'autres professionnels de la santé sous contrôle médical, mais également les prestations paramédicales dispensées en milieu hospitalier sous la seule responsabilité de personnes n'ayant pas la qualité de médecin (§ 51 ; CJCE, 6 novembre 2003, aff. C-45/01, Christoph-Dornier-Stiftung für Klinische Psychologie c/ Finanzamt GieBen, § 70, 71 et 82, précité).

L'autre condition imposée par le droit allemand selon laquelle, pour l'année civile écoulée, au moins 40 % des prestations doivent avoir été dispensées à des assurés, des bénéficiaires de l'aide sociale, des allocataires de l'assistance aux victimes de guerre ou des bénéficiaires d'une pension de retraite (versée par un organisme de sécurité sociale) peut être validée.

Quoique non expressément prévue par la 6ème Directive, elle pourrait être analysée comme une application de la condition facultative prévue à l'article 13, A, § 2 a, troisième tiret, selon laquelle, pour pouvoir bénéficier du régime d'exonération, les organismes autres que ceux de droit public "doivent pratiquer des prix homologués par les autorités publiques ou n'excédant pas de tels prix homologués". Le fait qu'une partie importante des bénéficiaires des services en cause soient des assurés permettra éventuellement de garantir que les prix pratiqués par un laboratoire privé sont compatibles avec les prix homologués par les autorités publiques. Il appartient aux juridictions nationales de juger si cette condition est appropriée pour apprécier la compatibilité des prix pratiqués par la L.u.P. avec les prix homologués par les autorités publiques. Il leur appartient également de prendre en considération le caractère d'intérêt général des activités de l'assujetti concerné et le fait que d'autres assujettis ayant les mêmes activités bénéficient déjà d'une reconnaissance semblable (§ 53 ; CJCE, 26 mai 2005, aff. C-498/03, Kingscrest Associates Ltd c/ Commissioners of Customs & Excise, § 52 et 53 ; CJCE, 10 septembre 2002, aff. C-141/00, Ambulanter Pflegedienst Kügler GmbH c/ Finanzamt für Körperschaften I in Berlin, § 58, précités). Le principe de neutralité permet ainsi d'atteindre plus efficacement l'objectif d'accès aux soins assigné à l'exonération des soins médicaux.

La France ne risque pas de connaître une semblable affaire. En effet, l'article 261, 4-1° du CGI exonère de TVA les travaux de biologie médicale, sans aucune distinction entre opérateurs ni entre catégories d'analyses. Bénéficient de cette exonération, les travaux de biologie médicale destinés à la prévention, au diagnostic ou au traitement des maladies humaines.

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Éditorial

De nouveaux experts juridiques - partenaires des éditions Lexbase

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Les éditions juridiques Lexbase s'associent aux meilleurs avocats pour apporter une analyse et un point de vue originaux sur l'actualité juridique. Les départements juridiques de ces grands cabinets sont de véritables partenaires, complémentaires à nos éminents auteurs, désireux d'apporter l'information la plus claire et la plus complète qui soit sur des domaines juridiques aux implications complexes et critiques pour la vie des affaires. Sont publiés, d'ores et déjà, le Bulletin d'actualités Communication Média & Technologies du Cabinet Clifford Chance, le Bulletin d'actualités en droit de la concurrence du Cabinet Freshfields Bruckhaus Deringer - Paris et le Bulletin d'actualités en droit de l'environnement du Cabinet Savin Martinet Associés. "Un expert, c'est une opinion. Deux experts, c'est la contradiction. Trois experts, c'est la confusion". Et pourtant, cette semaine, les éditions juridiques Lexbase persistent dans le choix de la doctrine plurielle et pratique, et publient le quatrième Bulletin d'actualités, consacré au droit immobilier, rédigé sous la plume des collaborateurs du Cabinet Peisse Dupichot Zirah & Associés, GESICA PARIS FRIEDLAND, et orchestré par Maître James-Alexandre Dupichot. Le Cabinet intervient, notamment, en matière de construction (référé préventif, contentieux avec les entreprises, sous-traitants, et, de façon plus générale, marchés de travaux, outre les mises en oeuvre des garanties de parfait achèvement biennales, décennales, etc.), ainsi qu'en matière de copropriété et de baux. Désireux d'apporter l'information la plus claire et la plus complète possible sur un domaine juridique en constante évolution, le Cabinet, en partenariat avec les éditions Lexbase, sur un rythme bimestriel, l'essentiel de la législation et de la jurisprudence communautaire et nationale en droit immobilier. Ce Bulletin complétera ainsi notre chronique régulière consacrée aux Baux commerciaux, conduite par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris, qui vous propose, cette semaine de revenir sur un arrêt de la Cour de cassation en date du 30 mai 2006, simplement diffusé, mais qui semble constituer un revirement de jurisprudence, et selon lequel le bailleur ne peut dénier à son locataire le bénéfice du statut des baux commerciaux, après avoir offert le renouvellement, sauf survenance d'un manquement nouveau depuis l'expiration du bail ou inconnu du bailleur lorsqu'il a donné son accord sur le renouvellement, Dénégation du bénéfice du statut des baux commerciaux : les dés sont-ils jetés lors de la délivrance du congé ?

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Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] La clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application

Réf. : Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-45.846, M. Emmanuel Graas, FS-P+B (N° Lexbase : A9457DPX)

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N0070AL8

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

Le 07 Octobre 2010

Si la Cour de cassation s'est attachée, ces dernières années, à offrir des garanties aux salariés lors de la mise en oeuvre des clauses de mobilité géographique, elle se montrait relativement laxiste quant aux conditions de validité de ces clauses. L'arrêt rendu le 7 juin 2006 par la Chambre sociale représente, de ce point de vue, une rupture certaine dans sa jurisprudence. Désormais, en effet, "une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application et [...] elle ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée". Si cette décision ne remet nullement en cause l'intérêt pour l'employeur de stipuler une clause de mobilité dans le contrat de travail de ses salariés (1), elle renforce, de manière évidente, ses conditions de validité (2).



Résumé

Une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application et elle ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée.

Décision

Cass. soc., 7 juin 2006, n° 04-45.846, M. Emmanuel Graas, FS-P+B (N° Lexbase : A9457DPX)

Cassation (CA Metz, ch. soc., 29 mars 2004)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-14-4 (N° Lexbase : L8990G74) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC).

Mots-clés : clause de mobilité ; conditions de validité ; limitation géographique.

Lien bases :

Faits

M. Graas a été embauché le 8 septembre 1989 par l'Association interprofessionnelle d'aide à la construction (AIAC) Alsace-Lorraine, en qualité d'attaché de direction. Son contrat de travail stipulait que "la nature commerciale de votre fonction implique la mobilité géographique de votre poste, dans la zone d'activité de l'AIAC Alsace-Lorraine et qui pourra, le cas échéant, être étendue en cas d'extension d'activité". Ce contrat s'est poursuivi avec l'AIAC en 1991, après la fusion de ces deux organismes. Après avoir été nommé, en 1994, directeur adjoint de l'AIAC "région Alsace-Lorraine", chargé du secteur de Metz, il a été licencié le 18 décembre 2002, pour refus de mutation dans la région Rhône Alpes.

Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt attaqué a retenu que la clause contenue dans son contrat de travail lui imposait une mobilité sur toute la zone d'activité de son employeur qui, depuis 1991, avait été étendue à l'ensemble du territoire national.

Solution

Cassation pour violation des articles L. 122-14-4 du Code du travail et 1134 du Code civil.

"Attendu, cependant, qu'une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application et qu'elle ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée".

Observations

1. L'intérêt de stipuler une clause de mobilité dans le contrat de travail

  • Le lieu de travail, élément du contrat de travail

On sait que, depuis 1996, la Cour de cassation distingue les modifications du contrat de travail des changements des conditions de travail. Si les premières ne peuvent intervenir qu'avec l'accord des deux parties, les secondes peuvent être imposées de manière unilatérale par l'employeur (pour plus de précisions sur cette distinction, v., par ex., J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 22ème éd., 2004, §§ 371 et s.). Cette distinction, qui repose sur une nette séparation entre la sphère contractuelle et le pouvoir de direction de l'employeur, suppose que l'on identifie clairement ce qui relève du contrat de travail et ce qui n'en relève pas. En effet, dès lors que la modification concerne un élément du contrat de travail, il s'agit d'une modification du contrat et l'accord des deux parties au contrat est exigé pour produire novation de celui-ci.

Les choses ne sont malheureusement pas aussi simples que cette présentation le laisse supposer et le lieu de travail, qui nous intéresse plus particulièrement ici, fournit une intéressante illustration de cette complexité.

Dès lors que le contrat de travail a fait l'objet d'un écrit et que le lieu de travail du salarié a fait l'objet d'une mention expresse dans ce dernier, toute modification de celui-ci paraît devoir être qualifiée de modification du contrat de travail. Ce n'est toutefois pas ce qui résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation. Celle-ci considère, en effet, que la mention du lieu de travail dans le contrat de travail a valeur informative, à moins qu'il ne soit stipulé, par une clause claire et précise, que le salarié exécutera son travail exclusivement en ce lieu (v., en dernier lieu, Cass. soc., 15 mars 2006, n° 02-46.496, Société trans'Ova c/ M. Christian Martin, publié N° Lexbase : A6000DNK). En conséquence, si la clause est simplement informative, il n'y aura modification du contrat de travail que si la mutation décidée par l'employeur conduit le salarié à travailler dans un autre secteur géographique (v., par ex., Cass. soc., 21 janvier 2004, n° 02-12.712, FP-P+B N° Lexbase : A8593DAI, lire les obs. de Sonia Koleck-Desautel, Confirmation de la simple valeur informative de la mention du lieu de travail dans le contrat de travail, Lexbase Hebdo n° 106 du 5 février 2004 - édition sociale N° Lexbase : N0337AB4).

Lorsque le contrat de travail n'a pas fait l'objet d'un écrit, il y a lieu de s'interroger sur le fait de savoir si le lieu de travail constitue un élément essentiel du contrat. Si tel est le cas, il n'y aura, comme précédemment, modification du contrat que si la mutation intervient à l'extérieur du secteur géographique considéré.

  • Paralysie de la théorie de la modification du contrat de travail

Dès lors que l'on considère que le lieu de travail constitue un élément essentiel du contrat de travail, toute mutation, ou à tout le moins toute mutation conduisant à faire travailler le salarié dans un autre secteur géographique, exige l'accord du salarié. Afin d'éviter cette procédure, au résultat par nature aléatoire, l'employeur peut insérer, dans le contrat, une clause de mobilité géographique par laquelle le salarié accepte, par avance, les mutations que l'employeur viendrait à décider. Dans ce cas, la mutation constitue un simple changement des conditions de travail que l'employeur peut imposer unilatéralement au salarié.

Sans doute serait-il plus juste de dire que, dans cette hypothèse, la mutation ne constitue que la mise en oeuvre des stipulations prévues au contrat, dont la force obligatoire s'impose au salarié en vertu de l'article 1134 du Code civil.

La clause de mobilité n'autorise cependant pas tout et, ici comme ailleurs, la théorie de l'abus de droit trouve à s'appliquer. En d'autres termes, la clause de mobilité ne peut être mise en oeuvre de façon abusive par l'employeur (v., par ex., Cass. soc., 22 janvier 2003, n° 00-41.935, FS-D N° Lexbase : A7382A48). Il est toutefois à souligner que la clause de mobilité est présumée mise en oeuvre de bonne foi par l'employeur. C'est donc au salarié qu'il incombe de démontrer qu'elle l'a été pour des raisons étrangères à l'intérêt de l'entreprise (Cass. soc., 23 février 2005, n° 03-42.018, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A8789DGM ; Cass. soc., 23 février 2005, n° 04-45.463, F-P+B+R+I N° Lexbase : A8816DGM, et les obs. de Ch. Radé, La bonne foi de l'employeur et la mise en oeuvre de la clause de mobilité, Lexbase Hebdo n° 158 du 10 mars 2005 - édition sociale N° Lexbase : N4888ABN).

La théorie de l'abus de droit permet, ainsi, d'une certaine manière, de neutraliser les clauses de mobilité au stade de leur mise en oeuvre, c'est-à-dire lors de l'exécution du contrat de travail. S'agissant, en revanche, de leur licéité, elle était admise de manière relativement large par la Cour de cassation. L'arrêt commenté met un terme bienvenu à cette jurisprudence.

2. Licéité de la clause de mobilité géographique

  • Renforcement des conditions de validité

Jusqu'à une date relativement récente, la validité des clauses de mobilité géographique n'était pas soumise à des conditions particulières. Seule une atteinte à une liberté fondamentale du salarié pouvait entraîner la nullité de la clause (Cass. soc., 12 janvier 1999, n° 96-40.755, M. Spileers c/ Société Omni Pac, publié N° Lexbase : A4618AG7).

Un arrêt rendu le 19 mai 2004 avait, toutefois, semblé marquer un certain infléchissement de la jurisprudence, pour le moins libérale de la Cour de cassation en la matière. Par cette décision, dont on doit relever qu'elle n'avait pas été publiée, la Chambre sociale paraissait ériger la limitation de l'espace géographique à l'intérieur duquel une mutation serait possible en condition de validité de la clause de mobilité géographique (Cass. soc., 19 mai 2004, n° 02-43.252, F-D N° Lexbase : A2013DCK, lire les obs. de S. Martin-Cuenot, La fin des clauses de mobilité indéterminées, Lexbase Hebdo n° 123 du 3 juin 2004 - édition sociale N° Lexbase : N1787ABS).

L'arrêt rendu le 7 juin 2006 vient confirmer cet infléchissement, en ne laissant désormais plus de place au doute. Ainsi que l'affirme clairement la Cour de cassation, "une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application". La cause est donc désormais entendue : non seulement, la zone géographique d'application de la clause doit être définie, mais, en outre, elle doit l'être avec précision.

Cette solution doit être entièrement approuvée. S'il convient, en effet, de faire produire leur plein effet aux obligations contractuelles, encore faut-il que celles-ci soient suffisamment déterminées, au risque de mettre le débiteur à la merci de son créancier. Sans doute la Cour de cassation aurait-elle pu également viser, outre les articles L. 122-14-4 du Code du travail et 1134 du Code civil, l'article 1129 du même Code (N° Lexbase : L1229AB7). Rappelons, en effet, qu'aux termes de cette disposition, "il faut que l'obligation ait pour objet une chose au moins déterminée quant à son espèce". Or, une clause de mobilité qui ne comporte pas la définition précise de sa zone géographique d'application paraît insuffisamment déterminée quant à son objet (v., sur la question, E. Dockès, La détermination de l'objet des obligations nées du contrat de travail, Dr. soc. 1997, p. 140).

Il faut encore relever que la Cour de cassation vient affirmer que la clause de mobilité "ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée". Là encore, la solution ne peut que susciter l'approbation. Admettre le contraire reviendrait, en fait, à nier la distinction précédemment évoquée entre sphère contractuelle et pouvoir de direction de l'employeur et à conférer à la clause de mobilité une singulière géométrie variable abandonnée au bon vouloir de l'employeur. A nouveau, l'exigence que l'objet de l'obligation soit déterminé donne tout son sens à la solution.

  • Conséquences

L'arrêt du 7 juin 2006 nous paraît laisser aux employeurs une certaine marge de manoeuvre, même si celle-ci est relativement limitée. En exigeant que la zone géographique d'application de la clause de mobilité soit définie de façon précise, la Cour de cassation ne semble pas véritablement rejeter les stipulations qui viendraient à faire varier la portée de la clause en fonction de critères objectifs. Mais, encore faut-il que ceux-ci soient suffisamment précis et déterminés. En l'espèce, la clause de mobilité litigieuse stipulait que la mobilité géographique du salarié pouvait "le cas échéant, être étendue en cas d'extension d'activité". Il est difficilement contestable que le critère retenu, "l'extension d'activité", était imprécis et revenait, en réalité, à conférer à l'employeur le pouvoir d'étendre unilatéralement la portée de la clause de mobilité.

En résumé, et sauf à se méprendre sur l'intention poursuivie par la Cour de cassation, celle-ci paraît exiger que le salarié connaisse, dès l'acceptation de la clause de mobilité, la zone géographique dans laquelle sa mutation pourra intervenir. C'est là chose logique, dès lors que l'on entend faire du contrat un instrument de prévisibilité au service des parties ou, encore, "un bloc de stabilité qui protège l'emploi du salarié" (Ph. Waquet, La modification du contrat de travail et les changements des conditions de travail, RJS 12/96, p. 793).

Soulignons, pour conclure, que l'employeur aura tout intérêt à respecter les prescriptions de la Cour de cassation telles qu'elles résultent de l'arrêt commenté. A défaut, le salarié pourra demander au juge de prononcer la nullité de la clause de mobilité. En outre, et la décision le démontre, le licenciement consécutif au refus d'une mutation imposée en vertu d'une telle clause illicite sera sans cause réelle et sérieuse.

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Immobilier - Bulletin d'actualités n° 1

[Textes] Bulletin d'actualités en droit immobilier : actualité législative et réglementaire - Cabinet Peisse Dupichot Zirah & Associés - Juin 2006

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Le 07 Octobre 2010

Tous les deux mois, le Cabinet Peisse Dupichot Zirah & Associés, en partenariat avec les éditions Lexbase, sélectionne l'essentiel de l'actualité législative et réglementaire relative au droit immobilier. I. Adoption et publication de la loi, dite "Aurillac", relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble

La loi relative au droit de préemption et à la protection des locataires en cas de vente d'un immeuble vient d'être adoptée par la Commission mixte paritaire et a été publiée au Journal officiel du 14 juin 2006 (loi n° 2006-685, 13 juin 2006 N° Lexbase : L9833HIZ).

Cette loi modifie, notamment, la loi du 31 décembre 1975, relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation (loi n° 73-1351 N° Lexbase : L6321G9Y), le Code général des impôts, le Code de l'urbanisme, la loi du 23 décembre 1986, tendant à favoriser l'investissement locatif (loi n° 86-1290 N° Lexbase : L8834AGB), ainsi que la loi du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs (loi n° 89-462 N° Lexbase : L8461AGH).

1. Plus spécifiquement, un nouvel article 10-1 est inséré dans la loi du 31 décembre 1975 précitée.

Dans l'hypothèse où le propriétaire d'un immeuble à usage d'habitation ou à usage mixte d'habitation et professionnels contenant plus de dix logements envisage de vendre son immeuble dans sa totalité et en une seule fois à un acquéreur qui ne prévoit pas de proroger pendant une période de six années les contrats de bail à usage d'habitation en cours à la date de la conclusion de la vente, le bailleur doit faire connaître par LRAR à chacun des locataires ou occupants de bonne foi l'indication des prix et des conditions de vente, dans sa totalité et en une seule fois de l'immeuble ainsi que des conditions de la vente pour le local qu'il occupe.

Ce nouveau dispositif crée donc un nouveau droit de préemption au profit des locataires ou occupants de bonne foi qui a vocation à s'appliquer uniquement dans l'hypothèse où l'immeuble, comprenant plus de dix logements, doit être vendu dans sa totalité, au profit d'un acquéreur qui n'envisage pas de maintenir le statut locatif pendant une période de six années au moins à compter de la signature de l'acte authentique de vente. Le droit de préemption ainsi créé peut se situer, notamment, en amont de la mise en copropriété de l'immeuble.

La sanction en cas d'absence de notification aux locataires ou occupants de bonne foi est la nullité de la vente, dans sa totalité et en une seule fois, de l'immeuble.

De même, sera nul le congé pour vente délivré à un locataire en violation de l'engagement de prorogation des contrats de bail en cours (loi n° 89-462, 6 juillet 1989, art. 15, II).

La notification doit être accompagnée d'un projet de règlement de copropriété qui règlera les rapports entre copropriétaires, si l'un, au moins, des locataires ou occupants de bonne foi réalise un acte de vente. Elle doit également être accompagnée des résultats d'un diagnostic technique portant constat de l'état apparent du clos et du couvert et de celui de l'état des conduites et canalisations collectives ainsi que des équipements communs et de sécurité. Ce diagnostic devra être établi par un contrôleur technique (Code de la construction et de l'habitation, art. L. 111-23 N° Lexbase : L6467G9E) ou par un architecte, et ce, aux frais du bailleur.

L'auteur du diagnostic technique ne devra avoir avec le propriétaire de l'immeuble ou son mandataire aucun lien de nature à porter atteinte à son impartialité ou à son indépendance.

2. Cette loi a également vocation à renforcer le droit de préemption urbain de la commune, puisqu'il est intégré dans le Code de l'urbanisme un nouvel article L. 210-2 qui dispose qu'en cas de vente d'un immeuble à usage d'habitation, la commune peut faire usage de son droit de préemption pour assurer le maintien dans les lieux des locataires.

3. Les bailleurs relevant de secteurs locatifs déterminés (secteurs II ou III) devront, en cas de vente par lots de plus de dix logements dans le même immeuble intervenant moins de deux années avant le terme du bail, reconduire le bail à la demande du locataire afin de lui permettre de disposer du logement qu'il occupe pendant une durée de deux ans à compter de la notification du congé pour vente (loi n° 89-462, 6 juillet 1989, art. 11-1, al. 1er).

Ce nouveau dispositif a donc vocation à compléter ceux déjà préexistants pour protéger le locataire, instaurés tant par les articles 10 et 10-I de la loi du 31 décembre 1975, relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation, que par l'article 15-II de la loi du 6 juillet 1989.

Le premier de ces deux textes s'applique en cas de vente consécutive à la division initiale ou à la subdivision de tout ou partie d'un immeuble par lots. Le droit de préemption conféré au locataire ou à l'occupant de bonne foi se situe donc en aval de la mise en copropriété de l'immeuble.

Le second dispositif s'applique en cas de délivrance d'un congé pour vente dès lors que le locataire est titulaire d'un contrat de bail régi par la loi du 6 juillet 1989.

II. Actualisation des recommandations n° 1, 2 et 3 de la Commission relative à la copropriété

Instituée après d'importantes modifications de la loi du 10 juillet 1965 et du décret du 17 mars 1967 (décret n° 67-223 N° Lexbase : L8032BB4), introduites par la loi du 31 décembre 1985 et le décret du 9 juin 1986, la Commission relative à la copropriété avait pour objectif de faire le point sur les difficultés d'application de cette législation et de proposer des solutions, voire des modifications législatives ou réglementaires qui s'avéraient, en pratique, nécessaires.

A cet effet, elle a émis 24 recommandations qui n'ont pas de force contraignante.

La Commission a récemment modifié les trois premières recommandations qu'elle avait émises.

A - La première recommandation est relative aux convocations des assemblées générales. Elle annule et remplace la précédente recommandation n° 1

1. La première question traitée est celle de l'auteur de la convocation

Une assemblée générale de copropriétaires peut être convoquée par le syndic en exercice, étant rappelé qu'une assemblée convoquée par un syndic dont le mandat est caduc encourt la nullité.

L'initiative de la convocation d'une assemblée peut également provenir du conseil syndical ou des copropriétaires : dans ces hypothèses encadrées par l'article 8, alinéa 1er, du décret du 17 mars 1967, le syndic est tenu de convoquer une assemblée générale.

Si le syndic ne donne pas de suite à la demande de convocation d'une assemblée générale émanant du conseil syndical, le président dudit conseil, après avoir mis en demeure le syndic, pourra convoquer une assemblée générale mais seulement avec l'ordre du jour spécifié dans la mise en demeure.

L'assemblée peut enfin être convoquée par tout copropriétaire ou un mandataire ad hoc dûment habilité judiciairement.

Partant du constat que certaines assemblées générales sont convoquées aussi bien par des syndics dont le mandat est expiré, que par des présidents de conseils syndicaux en dehors des cas autorisés alors que la fonction de syndic est vacante, ou encore par des copropriétaires, la Commission rappelle que :

- les fonctions de syndic cessant de plein droit à l'expiration de la durée de son mandat, il n'a alors plus le pouvoir de convoquer l'assemblée générale (Cass. civ. 3, 26 mars 1997, n° 95-15.915, M. Denarie c/ Syndicat des copropriétaires de la résidence Le Centenaire à Chambéry N° Lexbase : A0526CKP, Bull. civ. III, n° 72) ;
- l'assemblée générale encourt l'annulation lorsqu'elle est convoquée par un syndic dont le mandat est expiré, par un syndic démissionnaire (Cass. civ. 3, 23 janvier 1991, n° 89-17.054, Epoux Simon et autres c/ Cabinet LP Bottier N° Lexbase : A2731ABR, Bull. civ. III, n° 32) ou révoqué ou simplement pressenti ou encore lorsque l'assemblée générale s'est réunie spontanément.

En conséquence, la Commission recommande, notamment :

- au syndic, de façon pressante, de convoquer l'assemblée générale de telle manière que la nouvelle désignation intervienne en temps utiles et de veiller à ce que son mandat soit encore valable au moment où il convoque l'assemblée ;
- aux conseils syndicaux et à leur président, de s'abstenir de convoquer une assemblée générale lorsque le syndicat est dépourvu de syndic, quelle qu'en soit la raison, et de s'adresser au président du tribunal de grande instance aux fins de désignation d'un administrateur provisoire ;

2. La deuxième question abordée par cette première recommandation est celle du destinataire de la convocation

La Commission constate les difficultés dans la détermination et le domicile des personnes à convoquer, notamment lorsqu'un ou plusieurs lots appartiennent à des copropriétaires indivis ou sont l'objet d'un démembrement du droit de propriété entre usufruitier et nu-propriétaire, par exemple. Des difficultés sont également rencontrées lorsque des mutations de lots sont en cours de réalisation ou lorsque les questions posées à l'ordre du jour n'intéressent que certains copropriétaires.

La Commission recommande en conséquence au syndic d'inviter les copropriétaires concernés à procéder à la désignation d'un mandataire commun en cas d'indivision ou de démembrement de droit de propriété.

En cas de mutation, il est recommandé au syndic d'adresser la convocation au vendeur tant qu'il n'a pas reçu du notaire ou des parties la notification du transfert de propriété.

Si des questions n'intéressent que certains copropriétaires, il est recommandé au syndic de convoquer l'ensemble des copropriétaires, y compris ceux ne participant pas au vote.

La Commission recommande, par ailleurs, au notaire d'appeler l'attention des intéressés sur l'obligation qu'ils ont de désigner un mandataire commun dès lors que les actes qu'il reçoit sont constitutifs d'une indivision ou d'un démembrement du droit de propriété et sur la nécessité de déclarer au syndic leur domicile dans la mesure où il diffère de celui mentionné dans l'acte.

B - La deuxième recommandation est relative à l'établissement et à la rédaction de l'ordre du jour de l'assemblée générale

La Commission recommande au syndic d'associer le conseil syndical à l'établissement de l'ordre du jour de l'assemblée générale et de veiller à ce que les questions notifiées au syndic par un ou plusieurs copropriétaires ou par le conseil syndical, dans les formes prévues par l'article 10 du décret du 17 mars 1967, soient prises en compte.

Concernant les questions à l'initiative des copropriétaires, la Commission constate qu'il est quelquefois proposé de fixer une date avant laquelle doivent être notifiées au syndic toutes les questions dont il est demandé qu'elles soient inscrites à l'ordre du jour, et ce parfois plusieurs mois avant la tenue de cette assemblée.

La Commission rappelle, notamment, que la demande d'inscription en vertu de l'article 10 susvisé peut intervenir à tout moment et recommande donc au syndic de ne pas proposer au vote une date limite d'envoi des questions à inscrire à l'ordre du jour et de différer l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée suivante seulement à partir du moment où la demande lui parvient alors que les convocations ont été établies ou sont prêtes à être envoyées.

La Commission recommande enfin, concernant le libellé des questions, de respecter la distinction à opérer entre l'intitulé de la question portée à l'ordre du jour et les projets de résolutions obligatoires ou utiles.

C - La troisième recommandation est relative à l'identification et à l'information des copropriétaires

Elle annule et remplace la précédente recommandation n° 3.

D'une manière générale, la Commission recommande au syndic de tenir à jour la liste des copropriétaires et des titulaires de droits sur les lots.

III. Depuis le 1er juin 2006, pèse sur les vendeurs ou les bailleurs d'un bien immobilier l'obligation d'informer les acquéreurs ou locataires sur les risques naturels ou technologiques

A partir du 1er juin 2006, tout vendeur ou bailleur d'un bien immobilier est, en fonction de la situation de ce dernier, dans l'obligation d'annexer au contrat de vente ou de location un état des risques ainsi que, le cas échéant, une déclaration des sinistres pour lesquels il a été indemnisé.

L'article L. 125-5 du Code de l'environnement (N° Lexbase : L6393G9N) dispose, en effet , que les acquéreurs ou locataires de biens immobiliers situés dans des zones couvertes par un plan de prévention des risques technologiques ou par un plan de prévention des risques naturels prévisibles ou dans des zones de sismicité déterminées, sont informés par le vendeur ou le bailleur de l'existence des risques visés par ce plan ou ce décret.

A cet effet, un état des risques naturels et technologiques est établi à partir des informations mises à disposition par le préfet.

Par ailleurs, en cas de mise en location de l'immeuble, l'état des risques naturels et technologiques est fourni au nouveau locataire dans les conditions et selon les modalités prévues à l'article 3-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.

Si la propriété est concernée le vendeur ou le bailleur doit remplir un imprimé "état des risques", et, le cas échéant, établir sur papier libre, la liste des sinistres indemnisés dont il a eu connaissance, subis par l'immeuble depuis 1982 lors d'évènements reconnus comme catastrophes. Ces documents doivent être annexés au contrat de vente ou de location.

Cet état doit être établi moins de six mois avant la date de conclusion du contrat de location écrit, de la promesse de vente ou de l'acte réalisant ou constatant la vente d'un bien immobilier auquel il est annexé.

En cas de non-respect des dispositions du présent article, l'acquéreur ou le locataire peut poursuivre la résolution du contrat ou demander au juge une diminution du prix.

James Alexandre Dupichot,
Avocat associé du Cabinet Peisse Dupichot Zirah & Associés

Marine Parmentier,
Pierre-Yves Soulié,
Avocats du Cabinet Peisse Dupichot Zirah & Associés

Contact :
Association Peisse Dupichot Zirah & Associés,
22 avenue de Friedland
75008 Paris

http://www.peisse-dupichot-zirah.com/
peisse-dupichot-zirah@wanadoo.fr

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Immobilier - Bulletin d'actualités n° 1

[Jurisprudence] Bulletin d'actualité en droit immobilier : actualité jurisprudentielle - Cabinet Peisse Dupichot Zirah & Associés - Juin 2006

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N0297ALL

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Le 07 Octobre 2010

Tous les deux mois, le Cabinet Peisse Dupichot Zirah & Associés, en partenariat avec les éditions Lexbase, sélectionne l'essentiel de l'actualité jurisprudentielle relative au droit immobilier. I  - Actualité jurisprudentielle : baux d'habitation
  • Un bailleur peut-il agir en justice afin de faire valider le congé délivré à son locataire avant la date de prise d'effet dudit congé ? (Cass. civ. 3, 8 février 2006, n° 04-17.512, FS-P+B N° Lexbase : A8439DMI) :

Un bailleur qui souhaite vendre le logement objet du bail peut notifier au locataire un congé pour vendre, acte qui doit, à peine de nullité, indiquer le prix et les conditions de la vente projetée (loi n° 89-642, 6 juillet 1989, art. 15-II). Ledit congé vaut offre au profit du locataire qui bénéficie d'un droit de préemption. Le délai de préavis est de six mois à compter du congé. A l'expiration de ce délai, et si le locataire n'a pas accepté l'offre de vente, ce dernier est déchu de tout titre d'occupation des locaux loués.

Le bailleur qui vient de notifier un congé pour vendre à son locataire peut-il, sans attendre l'expiration du délai de six mois de préavis, assigner le locataire aux fins de validation judiciaire du congé délivré ?

La Cour de cassation l'a admis à la condition que le bailleur établisse qu'il dispose d'un intérêt né et actuel à agir en justice (Cass. civ. 3, 8 décembre 1999, n° 97-12.738, N° Lexbase : A7012CGS Bull. civ. III, n° 231).

A ainsi été censuré l'arrêt qui avait retenu que les bailleurs, ayant déjà engagé deux instances judiciaires contre le locataire en déclaration de validité de congés délivrés antérieurement, en raison de l'incertitude de leur situation, justifient d'un intérêt légitime, né et actuel, à demander en justice de faire déclarer valable leur troisième congé avant la date d'effet de celui-ci. La Haute juridiction, par un arrêt de cassation, a précisé, au visa de l'article 31 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2514ADH), que n'était pas établie l'existence d'un intérêt né et actuel pour les bailleurs à agir, avant la date d'effet du congé, pour faire déclarer valable le congé (Cass. civ. 3, 8 décembre 1999, préc.).

Dans l'arrêt commenté (Cass. civ. 3, 8 février 2006, préc.), la Haute juridiction a soulevé ce moyen d'office. Toujours au visa de l'article 31 du Nouveau Code de procédure civile, elle rappelle qu'un bailleur ne peut agir en justice pour faire déclarer un congé valable avant sa date d'effet que s'il établit l'existence d'un intérêt né et actuel.

  • Les stipulations d'un bail d'habitation peuvent-elles avoir pour effet de priver le preneur d'héberger ses proches ? (Cass. civ. 3, 22 mars 2006, n° 04-19.349, FS-P+B N° Lexbase : A7978DNS)

Un contrat de bail peut-il contenir une clause restreignant le droit des locataires d'héberger de tierces personnes ?

Tout d'abord, il n'est pas inutile de rappeler que la Commission des clauses abusives, saisie de la question, a émis une recommandation, aux termes de laquelle il est précisé que :

"Considérant que de nombreux contrats interdisent au locataire à peine de résiliation du bail de faire occuper les lieux loués, même temporairement, par des personnes autres que son conjoint, ses ascendants ou descendants à charge vivant habituellement à son foyer et les employés de maison à son service ; que d'autres contrats limitent l'usage du logement 'aux personnes déclarées au bail ainsi qu'aux enfants à naître' ; que de telles clauses, de par leur généralité, sont de nature à entraîner au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties".

Par leur généralité, certaines des clauses restreignant le droit des locataires d'héberger des tiers peuvent donc être considérées comme abusives.

NB : notons toutefois que cette recommandation n'a pas de valeur contraignante. Une récente réponse ministérielle précise que le ministre de l'Economie envisage de faire évoluer par voie réglementaire la liste actuelle des clauses considérées comme abusives. Au niveau plus spécifique des clauses abusives liées aux contrats d'habitation, un groupe de travail devrait être prochainement mis en place au sein de la commission nationale de concertation avec, notamment, pour objectif de produire des recommandations sur le rôle des syndics et des administrateurs de biens, dans leurs fonctions de gestion locative (Rép. Min. n° 91320, JO AN, 23 mai 2006, p. 5456 N° Lexbase : L1170HKK).

En outre, la Cour de cassation s'est également fondée sur l'article 8-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (N° Lexbase : L4798AQR), qui dispose que "toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance", pour décider que les clauses d'un bail d'habitation ne peuvent avoir pour effet de priver le preneur de la possibilité d'héberger ses proches (voir Cass. civ. 3, 6 mars 1996, n° 93-11.113, Office Public d'Habitations de la Ville de Paris c/ Madame Mel Yedei N° Lexbase : A9342ABM, Bull. civ. III, n° 60).

L'arrêt rapporté s'inscrit dans la droite ligne de cette jurisprudence. Toutefois, dans notre espèce le demandeur n'était pas le bailleur mais le colocataire !

Les premiers juges avaient condamné les défendeurs à payer des dommages intérêts au colocataire demandeur en retenant que, sauf enfant mineur, un co-titulaire du bail ne peut imposer à l'autre la présence d'une tierce personne majeure dès lors que le bail stipule une clause d'habitation personnelle prohibant toute sous-location, cession et mise à disposition gratuite de l'appartement.

La Cour de cassation censure l'arrêt d'appel et précise que les clauses d'un bail d'habitation ne peuvent avoir pour effet de priver le preneur de la possibilité d'héberger ses proches.

  • Celui qui s'est engagé, par acte de cautionnement, à payer les loyers en cas de défaillance du locataire doit-il justifier d'un grief pour obtenir la nullité de son engagement qui ne répondrait pas aux formalités prescrites par l'article 22-1 du la loi du 6 juillet 1989 ? (Cass. civ. 3, 8 mars 2006, n° 05-11.042, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4739DNT)

Il résulte de l'article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989 (N° Lexbase : L4398AHD) que : "la personne qui se porte caution fait précéder sa signature de la reproduction manuscrite du montant du loyer et des conditions de sa révision tels qu'ils figurent au contrat de location, de la mention manuscrite exprimant de façon explicite et non équivoque la connaissance qu'elle a de la nature et de l'étendue de l'obligation qu'elle contracte et de la reproduction manuscrite de l'alinéa précédent. Le bailleur remet à la caution un exemplaire du contrat de location".

Ces formalités sont prescrites à peine de nullité de l'engagement.

Toutefois, pour invoquer cette nullité, la caution doit-elle justifier que l'irrégularité de son engagement lui a causé un grief ?

Certaines juridictions du fond ont pu se montrer souples dans l'interprétation de l'article 22-1 précité et exiger de la caution la preuve de l'existence d'un grief : ce faisant, elles ajoutent au texte une condition qui n'est pas prévue (voir, notamment, CA Versailles, 1ère ch., 14 décembre 2001, Madame Courivaud c/ Consorts Daudon : dans cet arrêt, les juges versaillais ont estimé que l'absence de mention manuscrite avait causé un grief aux deux cautions puisqu'elles n'avaient pas été mises en mesure d'avoir une connaissance personnelle et complète de la nature et de l'étendue de l'obligation qu'elles contractaient. Contra : CA Rouen, 25 mars 2003, Ovide c/ OPAC de Rouen).

Pour la première fois, la Cour de cassation s'est prononcée, dans l'arrêt commenté, sur la nature de cette nullité.

En l'espèce, les juges du fond avaient retenu la validité de l'engagement de caution précisant qu'il appartenait au garant de rapporter la preuve d'un grief.

La Cour de cassation, par un attendu de principe, censure les juges du fond et indique que : "Les formalités édictées par l'article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989 sont prescrites à peine de nullité du cautionnement, sans qu'il soit nécessaire d'établir l'existence d'un grief".

La Cour de cassation dénie donc tout pouvoir d'appréciation aux juges du fond qui seront tenus, dès lors qu'ils constateront l'absence d'une des formalités prescrites par l'article 22-1 précité, de constater la nullité de l'engagement de caution.

  • Jusqu'à quel moment les époux peuvent-ils se prévaloir de la cotitularité du bail instaurée par l'article 1751 du Code civil ? (Cass. civ. 3, 31 mai 2006, n° 04-16.920, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7229DPG)

L'article 1751 du Code civil dispose notamment que le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l'habitation de deux époux est, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire, et même si le bail a été conçu avant le mariage, réputé appartenir à l'un et à l'autre des époux (N° Lexbase : L1873ABY).

Ce faisant, l'article 1751 du Code civil crée une cotitularité légale du bail à usage exclusif d'habitation.

Dans l'espèce rapportée, un bailleur avait fait délivrer à sa locataire, seule signataire du contrat de bail, deux commandements de payer visant la clause résolutoire. Cette locataire avait alors assigné le bailleur afin de faire constater la nullité desdits commandements et obtenir des délais de paiement. Son mari était intervenu volontairement à l'instance pour se prévaloir de sa qualité de cotitulaire du bail et soulever l'inopposabilité à son encontre des commandements délivrés à son épouse.

Les juges du fond avaient dénié à l'époux tout droit sur le bail soulignant que celui-ci n'avait pas demeuré dans le local pendant quatre années en raison d'une longue hospitalisation et qu'à sa sortie de l'hôpital il avait emménagé dans un autre appartement.

La question qui se posait était donc celle de savoir jusqu'à quand un conjoint peut-il se prévaloir de la cotitularité instituée par l'article 1751 du Code civil ? Plus spécifiquement, une occupation non permanente du logement l'empêche-t-elle de se prévaloir de cette cotitularité ?

La Cour de cassation censure les juges du fond et précise que ceux-ci ne pouvaient statuer comme ils l'ont fait, tout en relevant que le logement donné à bail à la locataire avait servi effectivement à l'habitation des deux époux.

Ajoutant au texte de l'article 1751 précité, la Cour de cassation rappelle, dans un arrêt soumis à une large publicité, que les époux demeurent cotitulaires du bail jusqu'à la transcription du jugement de divorce en marge des registres de l'état civil (voir déjà  en ce sens, Cass. civ. 2, 3 octobre 1990 N° Lexbase : A3920AHN, Bull. civ. II, n° 177).

II - Actualité jurisprudentielle : copropriété

  • La liberté religieuse peut-elle avoir pour effet de rendre licite la violation d'un règlement de copropriété ? (Cass. civ. 3, 8 juin 2006, n° 05-14.774, FS-P+B+I N° Lexbase : A8634DPH)

L'article 8 de la loi du 10 juillet 1965 (N° Lexbase : L5536AG7) prévoit que le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits de copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l'immeuble, telle qu'elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation.

Le règlement de copropriété peut ainsi interdire la modification des parties communes, voire privatives (Cass. civ. 3, 5 mai 1981, n° 79-17.115 N° Lexbase : A1879CGP, Gaz. Pal. 1981, 2, pan., p. 350), dès lors qu'une telle modification aura une influence sur l'harmonie de l'immeuble.

En présence d'une telle clause dans le règlement de copropriété, il a été jugé qu'aucune superstructure, même en matériaux légers, ne pouvait être édifiée sur les terrasses ou balcons (voir Cass. civ. 3, 7 octobre 1992, n° 90-20.901 N° Lexbase : A3109CPT: la Cour de cassation a en effet retenu qu'en fermant la loggia dépendant de son appartement, par des châssis vitrés, habillés de croisillons en bois, avec une porte vitrée, et en y déposant des objets de nature à rompre l'harmonie de la façade de l'immeuble, le copropriétaire avait contrevenu aux stipulations du règlement, interdisant aux copropriétaires de modifier les parties de l'immeuble qui contribuent à son harmonie et d'édifier sur les terrasses ou balcons des superstructures, même en matériaux légers).

Dans l'espèce rapportée (Cass. civ. 3, 8 juin 2006, préc.), il était question de l'édification par un copropriétaire sur sa terrasse d'une cabane "précaire et temporaire" lui permettant de respecter les prescriptions de la religion juive.

Les copropriétaires de l'immeuble, estimant que cette édification portait atteinte à l'harmonie de l'immeuble, avaient donné mandat au syndic en vue de l'assignation en référé du copropriétaire et afin d'obtenir le retrait de la construction.

Les premiers juges ont fait droit aux demandes de la copropriété.

Dans son pourvoi, le copropriétaire faisait notamment valoir qu'il n'était pas établi que cette édification temporaire créait des nuisances ou des risques pour les autres copropriétaires et que cette édification était conforme à la destination de l'immeuble à usage d'habitation.

Etait également soulevé le moyen selon lequel un règlement de copropriété ne peut avoir pour effet de priver un copropriétaire de la liberté d'exercice de son culte, en l'absence de toute nuisance pour les autres copropriétaires.

La Cour de cassation rejette le pourvoi et précise que la liberté religieuse, pour fondamentale qu'elle soit, ne peut avoir pour effet de rendre licites les violations des dispositions d'un règlement de copropriété.

En l'espèce, il avait été relevé qu'une cabane faisait partie des ouvrages prohibés par ce règlement et portait atteinte à l'harmonie générale de l'immeuble puisqu'elle était visible de la rue.

En conséquence, les premiers juges en ont exactement déduit, selon la Cour de cassation, que l'assemblée générale était fondée à mandater son syndic pour agir en justice en vue de l'enlèvement de ces objets ou constructions.

  • Peut-il être valablement décidé d'attribuer des emplacements de stationnement à certains copropriétaires seulement, même en application de critères prédéterminés, sans prévoir de contrepartie pour les copropriétaires lésés ? (Cass. civ. 3, 11 mai 2006, n° 05-10.924, FS-P+B N° Lexbase : A3764DP4)

Il résulte de l'article 9 de la loi du 10 juillet 1965 que "chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble".

Concernant plus spécifiquement la question du droit de jouissance des parties communes, une assemblée générale peut-elle valablement autoriser certains copropriétaires seulement à occuper des emplacements de stationnement délimités dans la cour commune sans prévoir de contrepartie pour les copropriétaires lésés ?

Telle était la question posée à la Cour de cassation dans l'arrêt rapporté.

Les premiers juges avaient retenu la validité de la résolution adoptée par les copropriétaires soulignant que cette attribution avait été faite selon des critères objectifs et prédéterminés, en l'occurrence la qualité de copropriétaire résidant à titre d'habitation ou à titre professionnel et le nombre de millièmes de copropriété, et qu'ainsi elle était conforme à l'intérêt collectif.

La Cour de cassation censure l'arrêt d'appel : elle retient l'existence d'un abus de majorité, soulignant que cette décision entraînait une rupture d'égalité entre les copropriétaires dans la jouissance des parties communes sans contrepartie pour les copropriétaires lésés, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Les juges parisiens avaient retenu une solution identique dans un arrêt de 1984 (CA Paris, 23ème ch., sect. A, 24 avril 1984, SDC 86 rue de Grenelle à Paris c/ Dame Bellissen, D 1984, IR, p. 383 : dans cette espèce, une résolution avait limité à cinq copropriétaires sur onze le droit de stationner).

  • L'absence de notification d'un devis de travaux joint à la convocation à une assemblée générale affecte-t-elle seulement la validité de la décision votée relative à ces travaux ou plus généralement celle de l'assemblée générale ? (Cass. civ. 3, 15 mars 2006, n° 04-19.919, FS-P+B+I N° Lexbase : A5238DNC)

En vertu de l'article 11-4 du décret du 17 mars 1967, dans sa rédaction applicable à la cause, doivent être notifiées au plus tard en même temps que l'ordre du jour les conditions essentielles du contrat proposé, lorsque l'assemblée est appelée à approuver ou à autoriser une transaction, un devis ou un marché pour la réalisation de travaux ou l'un des contrats visés aux articles 25 d et 26 a de la loi du 10 juillet 1965 et aux articles 29 et 39 dudit décret.

Doivent ainsi être notifiés les devis des travaux envisagés.

L'article 13 du décret du 17 mars 1967 prévoit que l'assemblée générale ne prend de décisions valides que dans la mesure où les notifications sont établies conformément aux prescriptions ci-dessus rappelées.

Toutefois, le texte est muet sur l'étendue de la sanction qu'il prescrit : si, par exemple, aucun devis n'est notifié en même temps que l'ordre du jour prévoyant les travaux, cette absence de devis affecte-t-elle la validité de l'assemblée générale ou seulement celle de la décision relative aux travaux ?

C'est à cette question que répond l'arrêt rapporté, pour la première fois à notre connaissance.

Par un attendu de principe, la Cour de cassation, censurant les juges du fond qui avaient fait droit aux demandes de nullités des assemblées générales litigieuses, retient que l'absence de notification d'un devis de travaux joint à la convocation à une assemblée générale n'affecte que la validité de la décision votée relative à ces travaux.

Cette solution nous paraît s'imposer et être gouvernée par le respect du principe de sécurité juridique.

Précisons que la nouvelle rédaction de l'article 11 du décret de 1967 a pour effet de transformer l'article 11-4° ancien en article 11-3°, ce dernier texte disposant que "les conditions essentielles du contrat, ou en cas d'appel à la concurrence, des contrats proposés lorsque l'assemblée est appelée à approuver un contrat, un devis ou un marché, notamment pour la réalisation de travaux".

La solution posée dans l'arrêt rapporté nous semble donc être toujours d'actualité.

James Alexandre Dupichot,
Avocat associé du Cabinet Peisse Dupichot Zirah & Associés

Marine Parmentier,
Pierre-Yves Soulié,
Avocats du Cabinet Peisse Dupichot Zirah & Associés

Contact :
Association Peisse Dupichot Zirah & Associés,
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75008 Paris

http://www.peisse-dupichot-zirah.com/
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Sécurité sociale

[Jurisprudence] Prise en charge par une assurance de la responsabilité pour faute inexcusable

Réf. : Cass. civ. 2, 14 juin 2006, n° 05-13.090, Société Everite, FS-P+B (N° Lexbase : A9493DPB)

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Le 07 Octobre 2010

La loi du 27 janvier 1987 (loi n° 87-39, portant diverses mesures d'ordre social N° Lexbase : L2134DYP) a profondément modifié le régime juridique de la faute inexcusable, puisque le législateur a autorisé l'employeur à s'assurer contre les conséquences financières de sa propre faute inexcusable. L'application de cette loi du 27 janvier 1987 pouvait donner des développements intéressants, rapportés au domaine des accidents du travail causés par l'amiante (Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-10.051, Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Grenoble c/ Société Ascométal, FP-P+B+R+I N° Lexbase : A0806AYI). D'importants travaux, notamment parlementaires (1), permettent de faire la synthèse sur une matière appelée à rester au coeur de l'actualité judiciaire et peut-être législative pendant de longues années encore : le drame que représente l'amiante pour des milliers de salariés contaminés ne s'est pas clos avec l'interdiction générale de ce produit le 1er janvier 1997. Il s'inscrit, au contraire, dans la durée. Il est désormais clair, comme l'a, notamment, montré en 2003 le Rapport du Gouvernement au Parlement présentant l'impact financier de l'indemnisation des victimes de l'amiante pour l'année en cours et pour les 20 années suivantes, que ses conséquences dommageables en termes de santé publique vont largement déborder la date de son interdiction en France.
Par l'arrêt rapporté, la Cour de cassation réduit la portée de la loi du 27 janvier 1987, en rappelant que les expositions à l'amiante, intervenues avant cette dernière, ne peuvent être légalement garanties et prises en charge par une compagnie d'assurance. En l'espèce, des salariés ont saisi les juges pour que la faute inexcusable de leur société soit constatée, en raison d'affections contractées du fait de l'amiante. La société, qui avait souscrit diverses polices auprès de sociétés d'assurances, s'étant heurtée à un refus de garantie, les a assignées en exécution de leurs engagements. La société Everite fait grief à l'arrêt de l'avoir déboutée de sa demande de prise en charge par les assureurs des sommes qu'elle a dû verser aux salariés ayant contracté une maladie professionnelle en relation avec l'inhalation de poussières d'amiante. La Cour de cassation rejette toutes les demandes formées tant par la société que par les assurances. Si la réparation due aux victimes est une priorité indiscutable (1), la responsabilisation des acteurs, tant par la prévention que par la sanction, ne doit pas être négligée (2).
Résumé

La loi du 27 janvier 1987 a accordé à l'employeur une possibilité qu'il n'avait pas antérieurement en ce qui concerne l'assurance de sa propre faute inexcusable. Cette loi ne peut s'appliquer à des fautes antérieures à son entrée en vigueur et ne contient aucune dérogation expresse au principe de non-rétroactivité de la loi.

Décision

Cass. civ. 2, 14 juin 2006, n° 05-13.090, Société Everite, FS-P+B (N° Lexbase : A9493DPB)

Rejet (CA Orléans, 16 décembre 2004, chambre commerciale, économique et financière)

Textes concernés : CSS, art. L. 145-1 s. (N° Lexbase : L4653ADP) ; CSS, art. L. 452-1 (N° Lexbase : L5300ADN) à L 452-4 (N° Lexbase : L5303ADR) ; loi n° 87-39 du 27 janvier 1987, portant diverses mesures d'ordre social N° Lexbase : L2134DYP).

Mots-clefs : faute inexcusable, Fiva.

Lien bases :

Faits

1. A partir de 1996, plusieurs anciens salariés de la société Everite ont engagé des actions pour que sa faute inexcusable soit constatée afin d'obtenir la majoration de la rente maladie professionnelle qui leur était versée par les organismes de Sécurité sociale et la réparation de leurs préjudices personnels.

2. La société Everite a été successivement assurée, au titre de sa responsabilité civile, du 2 décembre 1959 au 31 décembre 1981, auprès de la société MGFA, aux droits de laquelle est venue la société Mutuelles du Mans assurances (MMA), puis du 1er janvier 1983 au 1er juillet 1992, auprès de la société UAP, devenue société Axa et, enfin, à compter de cette date, auprès de la société Winterthur, aux droits de laquelle est venue la société XL Insurance Company Limited.

3. La société Everite, qui a sollicité la garantie des sociétés d'assurances auprès desquelles elle avait successivement souscrit ces diverses polices, s'étant heurtée à un refus de garantie, les a assignées devant le tribunal de grande instance en exécution de leurs engagements.

4. Pourvoi formé par la société Everite, contre l'arrêt rendu le 16 décembre 2004 par la cour d'appel d'Orléans (chambre commerciale, économique et financière), dans le litige l'opposant à un certain nombre de compagnies d'assurance.

Solution

La loi du 27 janvier 1987 a accordé à l'employeur une possibilité qu'il n'avait pas antérieurement en ce qui concerne l'assurance de sa propre faute inexcusable. Cette disposition créatrice de droits nouveaux ne peut s'appliquer à des fautes antérieures à l'entrée en vigueur de ce texte, qui ne contient aucune dérogation expresse au principe de non-rétroactivité de la loi posé par l'article 2 du Code civil (N° Lexbase : L2227AB4). La société Everite ne pouvait rechercher la garantie de la société Axa pour tous les salariés dont l'exposition aux poussières d'amiante avait pris fin avant l'entrée en vigueur de la loi du 27 janvier 1987, ou dont la première constatation médicale de la maladie professionnelle avait eu lieu avant cette date, ces deux événements étant de nature à révéler l'existence d'une faute inexcusable, inassurable à cette époque.

Observations

1. Protection de la victime de l'amiante : le Fiva

1.1. Mécanismes de réparation des victimes de l'amiante

  • Mécanismes de droit commun de la législation sur les accidents du travail

Les premières victimes de l'amiante souffrant de pathologies contractées dans le milieu professionnel ont d'abord été indemnisées au titre de la réparation de droit commun des maladies professionnelles (tableaux 30 et 30 bis de la Sécurité sociale). Tous les observateurs attentifs en droit de la Sécurité sociale ont relevé que l'indemnité forfaitaire était beaucoup trop faible. La réparation de plein droit est satisfaisante pour les frais médicaux ou les frais de réadaptation, mais elle est insuffisante au regard de tous les autres préjudices que peut causer un accident du travail ou une maladie professionnelle.

Pour obtenir une meilleure indemnisation des préjudices subis, les victimes ont donc tenté d'utiliser des voies de recours juridictionnels. Les victimes de l'amiante ont exploré plusieurs voies de recours de type juridictionnel pour compléter l'indemnisation forfaitaire de droit commun des maladies professionnelles du régime de Sécurité sociale : les recours devant les tribunaux des affaires de Sécurité sociale ; les recours devant les juridictions pénales ; enfin, les recours devant les commissions d'indemnisation des victimes d'infractions (Civi), près les TGI.

Ces trois types de recours juridictionnels présentaient l'inconvénient d'exposer les victimes à des délais de procédures souvent très longs. C'est pourquoi les pouvoirs publics se sont orientés vers de nouvelles formes de prise en charge des victimes de l'amiante, qui reposent sur deux piliers principaux : les dispositifs de préretraite pour les travailleurs de l'amiante et la réparation intégrale des préjudices subis par l'ensemble des victimes de l'amiante par l'intermédiaire du Fiva.

  • Mécanismes spécifiques aux victimes de l'amiante

L'article 53 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2001 (loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, de financement de la Sécurité sociale pour 2001 N° Lexbase : L5178AR9) a créé un établissement public administratif spécifique, le Fiva, pour gérer un dispositif d'indemnisation alternatif à la voie contentieuse, visant la réparation intégrale des préjudices subis par l'ensemble des victimes de l'amiante (v., aussi, décret n° 2001-963 du 23 octobre 2001, relatif au fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante institué par l'article 53 de la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000, de financement de la Sécurité sociale pour 2001 N° Lexbase : L9812ATL).

Le bilan de l'implication du Fonds de garantie dans l'indemnisation des victimes de l'amiante n'est pas négligeable : 6 623 dossiers ouverts ; 6 141 dossiers pour lesquels 10 500 offres environ ont été préparées ; 4 308 dossiers qui ont entraîné près de 6 000 provisions sur la période de juillet 2002 à décembre 2003, représentant 47 millions d'euros réglés.

L'article 53 de la loi du 23 décembre 2000 prévoit que le Fonds est subrogé, à due concurrence des sommes versées, dans les droits que possède le demandeur contre la personne responsable du dommage. Dans ce but, le Fonds intervient devant les juridictions civiles, notamment, pour y porter les actions en faute inexcusable, mais aussi devant les juridictions de jugement en matière répressive, en cas de constitution de partie civile des victimes contre le ou les responsable(s) des préjudices. L'intention du législateur était clairement de faire reposer le plus possible la charge de l'indemnisation sur les responsables quand ils peuvent être identifiés. Le Fiva n'a pas fait des recours subrogatoires une priorité.

L'indemnisation de la victime par le Fiva résulte du cumul de deux versements : un versement par la Sécurité sociale correspondant aux frais de soins, à l'indemnisation de l'incapacité -permanente ou partielle- lorsque la maladie est reconnue d'origine professionnelle et, en cas de décès, à la rente d'ayant droit ; un versement complémentaire par le Fiva, lorsque ce complément est nécessaire pour réparer intégralement le préjudice subi.

1.2. Responsabilité pénale des employeurs

Alors que la responsabilité civile des entrepreneurs est désormais largement reconnue par les tribunaux, par le mécanisme de la faute inexcusable, depuis les arrêts de la Cour de cassation du 28 février 2002, et que la responsabilité administrative de l'Etat a été admise par les quatre décisions du Conseil d'Etat du 4 mars 2004 (CE 2 SS, n° 241150, Ministre de l'Emploi et de la Solidarité c/ Consorts Bourdignon N° Lexbase : A3772DBC ; CE 2 SS, n° 241151, Ministre de l'Emploi et de la Solidarité c/ Consorts Botella N° Lexbase : A3773DBD ; CE 2 SS, n° 241152, Ministre de l'Emploi et de la Solidarité c/ Consorts Thomas N° Lexbase : A3774DBE ; CE 2 SS, n° 241153, Ministre de l'Emploi et de la Solidarité c/ Consorts Xueref N° Lexbase : A3775DBG), le drame de l'amiante reste toujours en attente d'un procès pénal au fond.

Les travaux parlementaires (2) ont regretté que l'arrêt du 15 novembre 2005 de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. crim., 15 novembre 2005, n° 04-85.441, M. Pierre X et autres c/ X Pierre, inédit N° Lexbase : A6819DL7) ait rejeté, pour des motifs de procédure, le pourvoi formé par différentes parties civiles contre un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Douai, qui confirmait une ordonnance de non-lieu du juge d'instruction de Dunkerque. La Cour de cassation n'a, ainsi, pas pu se prononcer sur le fond de l'affaire. A cet égard, la création par la loi du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé N° Lexbase : L1457AXA) de deux pôles de santé publique constitués au sein des tribunaux de grande instance de Paris et de Marseille, encore dotés de faibles moyens, ne semble pas avoir répondu, pour l'instant, à l'attente que les victimes placent dans la justice pénale.

2. Protection de l'employeur contre le risque "faute inexcusable" : les assurances

2.1. Le risque "faute inexcusable amiante"

Par plusieurs arrêts rendus en 2002 dans des affaires concernant l'amiante, la Cour de cassation a été amenée à redéfinir la notion de faute inexcusable. Elle a estimé qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers lui à une obligation de sécurité qui est une obligation de résultat, tant pour les maladies professionnelles (arrêts du 28 février 2002, précités) que pour les accidents du travail (Cass. soc., 23 mai 2002, n° 00-14.125, FS-P+B+R N° Lexbase : A7177AYH).

Cette décision de principe a marqué un renversement de la situation des victimes d'accidents du travail et de maladies professionnelles, puisque la faute inexcusable, jusqu'alors exception assez rare, est devenue pratiquement la règle. Elle a, ainsi, remis en cause le principe de l'immunité civile de l'employeur, pourtant à la base du compromis de 1898.

Les enjeux sont considérables, aussi bien pour l'employeur que pour la victime. Lorsque le juge reconnaît que l'employeur a commis une faute inexcusable, il lui revient d'en tirer les conséquences posées par le Code de la Sécurité sociale : la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire (CSS, art. L. 452-1 N° Lexbase : L5300ADN). Cette majoration prend la forme d'un doublement de la réparation forfaitaire des préjudices reconnus (les deux parties n'étant plus présumées responsables à parts égales du dommage), ainsi que la réparation de chefs de préjudice exclus du régime forfaitaire (préjudices extrapatrimoniaux notamment). Cette majoration est financée par une surcotisation de l'employeur.

2.2. Prise en charge par les compagnies d'assurance du risque "faute inexcusable amiante"

  • Licéité d'une prise en charge par les compagnies d'assurance du risque "faute inexcusable amiante"

La loi du 27 janvier 1987 (préc.) a été codifiée à l'article L. 452-4 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L5303ADR) (3). Les dispositions de la loi du 27 janvier 1987, autorisant l'employeur à s'assurer contre les conséquences financières de sa propre faute inexcusable, peuvent, si la convention le prévoit, s'appliquer à des fautes antérieures à leur entrée en vigueur. La cotisation supplémentaire visée par l'article L. 242-7 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L4955ADU) n'est susceptible d'être couverte par une garantie d'assurance que depuis la loi n° 87-39 du 27 janvier 1987 (Cass. civ. 2, 7 avril 2005, n° 04-12.164, F-D N° Lexbase : A7608DHA).

Par l'arrêt rapporté, la Cour de cassation prend acte de la licéité des contrats d'assurance prenant en charge le risque faute inexcusable en cas de maladie déclenchée par l'amiante et en fixe les conditions d'application.

  • Conditions restrictives posées par la jurisprudence

Par l'arrêt rapporté, la Cour de cassation déjoue les stratégies mises en oeuvre par les employeurs pour élargir le champ d'application de la loi du 27 janvier 1987 et, ainsi, échapper aux conséquences financières très sévères de la reconnaissance d'une faute inexcusable pour cause d'amiante (conséquences rappelées supra).

En l'espèce, la société Everite a été déboutée de sa demande d'indemnisation pour les sommes qu'elle a dû verser à ceux de ses salariés ayant contracté une maladie professionnelle en relation avec l'inhalation de poussières d'amiante, dont l'exposition aux fibres d'amiante a cessé après l'entrée en vigueur de la loi du 27 janvier 1987 (autorisant les employeurs à s'assurer pour les conséquences financières de leur propre faute inexcusable) et dont l'affection a été médicalement constatée avant cette date. Pourtant, selon l'employeur, la faute inexcusable résulte de la seule exposition des salariés aux poussières d'amiante, indépendamment de la constatation médicale de l'affection qui en a résulté. Aussi, il ne convenait pas d'écarter la garantie de l'assureur pour les salariés dont l'affection a été médicalement constatée avant l'entrée en vigueur de la loi du 27 janvier 1987 mais dont l'exposition aux poussières d'amiante s'est poursuivie au-delà de cette date.

Mais la Cour de cassation n'a pas fait sienne cette thèse. La loi du 27 janvier 1987 a accordé à l'employeur une possibilité qu'il n'avait pas antérieurement, en ce qui concerne l'assurance de sa propre faute inexcusable. Cette disposition créatrice de droits nouveaux ne peut s'appliquer à des fautes antérieures à l'entrée en vigueur de ce texte, qui ne contient aucune dérogation expresse au principe de non-rétroactivité de la loi posé par l'article 2 du Code civil.

Aussi, la société Everite ne pouvait rechercher la garantie de la société Axa pour tous les salariés dont l'exposition aux poussières d'amiante avait pris fin avant l'entrée en vigueur de la loi du 27 janvier 1987, ou dont la première constatation médicale de la maladie professionnelle avait eu lieu avant cette date, ces deux événements étant de nature à révéler l'existence d'une faute inexcusable, inassurable à cette époque.

Cette jurisprudence est d'une très grande portée, car ce "désastre sanitaire" que représente l'amiante s'est inscrit dans le temps, sur une très longue période (années 1960/1970), pour engendrer des maladies qui ont (pour certaines) été déclenchées dans les années 1980/90, à une époque où, précisément, le législateur n'avait pas encore voté la loi du 27 janvier 1987 (mésothéliomes, asbestoses caractérisées ou plaques pleurales). Les employeurs doivent donc, seuls, assurer les conséquences financières de l'utilisation de produits entraînant l'inhalation de poussières d'amiante ayant déclenché des maladies s'étant déclarées dans les années 1980/1990, parce que la loi du 27 janvier 1987 n'a pas d'effet rétroactif, conformément aux solutions admises par le droit commun (C. civ., art. 2).

La jurisprudence, développée par la Cour de cassation, entend donc circonscrire étroitement dans le temps l'application de la loi du 27 janvier 1987, non dans l'intérêt immédiat et premier des victimes (qui n'ont aucun intérêt immédiat à faire valoir de l'application ou de la non-application de la loi du 27 janvier 1987), mais dans leur intérêt second, à court/moyen terme, apprécié dans les termes de la responsabilisation de l'employeur et des moyens de prévention qu'il devra mettre en oeuvre. En effet, la loi du janvier 1987 conduit à une forme de "déresponsabilisation", dans la mesure où l'employeur fait du risque "faute inexcusable amiante" un risque assurable, qu'il externalise, en quelque sorte. La question rejoint, ici, le débat engagé sur la mutualisation des risques accidents du travail/maladie professionnelle.

  • La question de la responsabilisation des acteurs par la sanction

La banalisation de la faute inexcusable est préjudiciable au respect de l'équité entre les entreprises. Les employeurs financent la branche accident du travail-maladies professionnelles de la Sécurité sociale et doivent assurer collectivement, non pas la faute, mais le risque. L'absence de sanction spécifique des comportements les plus fautifs génère de fortes inéquités, d'une part, entre les secteurs les plus porteurs de risques et les autres et, d'autre part, entre les entreprises les plus vertueuses et celles qui le sont moins. Face à ce constat, deux solutions s'imposent (4) :

- 1ère solution : l'extension de la réparation intégrale à tous les accidents du travail, et plus seulement aux seuls accidents du travail/maladie professionnelle associés à une faute inexcusable. Mais il a été objecté, à juste titre, que si l'on veut maintenir une pression sur l'employeur au moyen de la notion de faute inexcusable, il faut bien que cette faute inexcusable permette d'aboutir à un complément de réparation. Si la réparation est déjà intégrale, on ne peut pas ajouter une réparation supplémentaire.

- 2ème solution : mettre en place une sanction spécifique.

La sanction peut générer préventivement, chez les employeurs, des comportements individuels vertueux dont la logique de mutualisation tend à minorer les mérites, alors même que la responsabilisation de chacun est capitale au plan collectif. A cet égard, le maintien dans l'édifice de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles du dispositif contentieux, fondé sur la reconnaissance d'une faute réellement inexcusable, permettrait de corriger l'effet pervers de la mutualisation.

Le financement de la réparation est un élément important de la responsabilisation préventive des acteurs. En complément d'une modulation de la tarification de la branche AT-MP de la Sécurité sociale, la possibilité d'un contentieux comportant un risque financier pour l'entreprise est de nature à responsabiliser l'employeur. Dans certaines entreprises, l'automaticité de la faute inexcusable conduit les employeurs à ne plus comprendre l'intérêt de mettre en oeuvre des politiques de prévention. Car, quel que soit leur niveau d'engagement dans la prévention, la faute inexcusable reste la seule perspective finale. Il importe donc de maintenir une sanction spécifique des comportements les plus fautifs pour que l'objectif de prévention assigné aux entreprises soit attractif à la fois dans le domaine de la tarification et dans celui de la sanction.

Il faut donc renforcer l'obligation faite aux caisses de Sécurité sociale de responsabiliser, par la modulation de la cotisation ou la recherche de la sanction individuelle, les établissements générateurs d'accidents ou de maladies professionnels, afin de corriger les effets déresponsabilisants de la mutualisation.

Christophe Willmann
Professeur à l'Université de Haute Alsace


(1) En dernier lieu, J. Le Garec (Prés.) et J. Lemière (rapporteur), Rapport sur les risques et les conséquences de l'exposition de l'Amiante, Assemblée nationale 22 février 2006.
(2) J. Le Garec (Prés.) et J. Lemière (rapporteur), Rapport sur les risques et les conséquences de l'exposition de l'amiante, Assemblée nationale 22 février 2006, prec.
(3) Loi n° 87-39 du 27 janvier 1987 portant diverses mesures d'ordre social, Travaux préparatoires.
(4) J. Le Garec (Prés.) et J. Lemière (rapporteur), Rapport sur les risques et les conséquences de l'exposition de l'amiante, Assemblée nationale, 22 février 2006.

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Social général

[Evénement] Licencier en prévision des difficultés économiques : les arrêts "Pages jaunes"

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N9184AKD

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par Compte-rendu réalisé par Laure Teyssendier, SGR - Droit social

Le 07 Octobre 2010

Lors du colloque Droit/RH organisé par Legiteam le 1er juin dernier, Marie-Laure Morin, Conseiller à la Cour de cassation, Francine Blanche, secrétaire confédérale de la CGT, et Pierre-Emmanuel Leclercq, ancien chef de mision-adjoint du FNE et DRH de Médiapost, se sont réunis, sous la direction de Régis Cusinberche, avocat du cabinet Thésis, afin de débattre sur les célèbres arrêts "Pages jaunes", rendus par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 11 janvier 2006 (Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 04-46.201, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3500DML ; Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 05-40.977, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3522DME, sur ce sujet, lire les obs. de Ch. Radé, Un nouveau pas en avant pour le licenciement économique fondé sur la sauvegarde de la compétitivité des entreprises, Lexbase Hebdo n° 198 du 19 janvier 2006 - édition sociale N° Lexbase : N3341AKX). Depuis ces arrêts, la Cour de cassation considère comme justifiée la réorganisation d'une entreprise florissante, motivée par le souci de prévenir des difficultés économiques futures susceptibles d'avoir un impact négatif sur l'emploi. Se pose, alors, la difficulté de la conciliation nécessaire, plusieurs fois rappelée par le Conseil constitutionnel, entre la liberté d'entreprendre et le droit à l'emploi. Rappelons, dans un premier temps, les faits de ces arrêts.

Dans ces deux arrêts, concernant la même affaire, la société "Les Pages jaunes", appartenant au groupe France Télécom, avait mis en place, en novembre 2001, un projet de réorganisation afin d'assurer la transition entre les produits traditionnels (annuaire papier et minitel) et ceux liés aux nouvelles technologies de l'information (internet, mobile, site), qu'elle jugeait indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, compte tenu des conséquences prévisibles de l'évolution technologique et de son environnement concurrentiel.

Le projet, soumis au comité d'entreprise, prévoyait la modification du contrat de travail des 930 conseillers commerciaux portant sur leurs conditions de rémunération et l'intégration de nouveaux produits dans leur portefeuille. Plusieurs salariés, après avoir refusé cette modification, avaient saisi la juridiction prud'homale de demandes tendant, notamment, au paiement d'une indemnité pour absence de proposition d'une convention de conversion et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans la première affaire, la cour d'appel de Dijon avait donné raison à l'entreprise alors que, dans la seconde, la cour d'appel de Montpellier avait refusé de considérer la réorganisation comme justifiée, après avoir relevé que la situation financière de l'entreprise était largement bénéficiaire et qu'il s'agissait non pas de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise mais, simplement, de l'améliorer et de faire des bénéfices plus élevés, dans un contexte concurrentiel nullement menaçant. L'arrêt sera cassé. Selon la Cour de cassation, "la réorganisation de l'entreprise constitue un motif économique de licenciement si elle est effectuée pour en sauvegarder la compétitivité ou celle du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient, et que répond à ce critère la réorganisation mise en oeuvre pour prévenir des difficultés économiques à venir liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l'emploi, sans être subordonnée à l'existence de difficultés économiques à la date du licenciement".

Selon Marie-Laure Morin, Conseiller à la Cour de cassation et rapporteur des arrêts "Pages jaunes", la Cour de cassation opérait, auparavant, un contrôle léger sur la notion de "sauvegarde de la compétitivité", en laissant les juges du fond apprécier souverainement les menaces pesant sur la compétitivité de l'entreprise ("la cour d'appel a pu..."). Les pourvois formés contre les arrêts rendus par la cour d'appel de Dijon et celle de Montpellier, ayant statué dans des sens contraires sur la même opération de restructuration, ont conduit la Chambre sociale, dans un souci de clarification, à définir plus précisément cette notion de sauvegarde. Ces décisions, comme le confirme le communiqué rendu par la Cour de cassation, "ne modifient en rien la jurisprudence antérieure, qu'elles confirment au contraire". "Elles précisent, néanmoins, la notion de sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise en prenant en compte les exigences de la gestion prévisionnelle des emplois".

1. La notion de réorganisation

La notion de réorganisation n'est pas mentionnée à l'article L. 321-1 du Code du travail (N° Lexbase : L8921G7K), qui définit le motif économique de licenciement comme "un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d´une suppression ou transformation d´emploi ou d´une modification, refusée par le salarié, d´un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques". La réorganisation a été ajoutée à cette énumération légale par la Cour suprême en 1995, date du célèbre arrêt "Vidéocolor" (Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, Société Thomson Tubes et Displays c/ Mme Steenhoute et autres, publié N° Lexbase : A4018AA3). Cependant, la réorganisation n'est pas, en soi, un motif de licenciement ; elle ne peut, en effet, justifier des licenciements qu'à la condition d'avoir été mise en oeuvre pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou celle du secteur d'activité du groupe à laquelle elle appartient.

La question restait de savoir si une réorganisation décidée en l'absence de difficultés économiques avérées au moment des licenciements pouvait, néanmoins, constituer un motif économique valable.

Marie-Laure Morin rappelle, qu'en l'espèce, dans les arrêts "Pages jaunes", le plan de restructuration ne s'était pas traduit, dans l'entreprise, par des suppressions d'emplois mais par des modifications du contrat de travail d'un certain nombre de salariés, chargés de mettre en oeuvre la politique de l'entreprise. Les licenciements ont été envisagés à la suite du refus par les salariés de ces modifications. Selon elle, un droit autonome de la modification du contrat de travail est en train de se construire.

Selon Mme Blanche, la réorganisation est utilisée "en antinomie de la notion de restructuration qui, elle, entend indéniablement la mise en place de suppression de postes". La réorganisation devrait, selon elle, être "discutée en anticipation, avant toute prise de décision de l'employeur avec les salariés et leurs représentants, et ceci de manière loyale et transparente".

D'autant plus, ajoute M. Leclercq, que "toutes les entreprises passent une partie de leur temps à se réorganiser : réorganiser un service, un établissement [...], sans même se poser la question de la compétitivité et de sa sauvegarde". Il rappelle, par ailleurs, que "la modification du commissionnement des employeurs est une mesure d'hygiène pour l'entreprise". Elle permet, en effet, de motiver ses commerciaux. Doit-on, alors, attendre des difficultés économiques pour réorganiser l'entreprise ?

2. La sauvegarde de la compétitivité

L'examen de la jurisprudence ne permet pas de dégager de ligne de conduite bien claire, ni de critères fiables permettant de déterminer dans quelles hypothèses l'entreprise pouvait justifier une mesure de réorganisation au nom de la nécessité de sauvegarder sa compétitivité. Ces deux arrêts de janvier 2006 permettent d'admettre la justification de la notion de sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, et de fournir un critère explicatif.

Un arrêt récent de la cour d'appel de Chambéry a confirmé la jurisprudence "Pages jaunes", tout en donnant tort à l'employeur (CA Chambéry, 21 mars 2006, n° 05 /01362, Madame Aubry et autres c/ SA Fromageries Picon N° Lexbase : A3286DPE). En effet, selon les juges d'appel, "il revient à l'employeur d'établir que la compétitivité de son entreprise était en danger et rendait nécessaire la mise en place de mesures pour anticiper sur les difficultés prévisibles et éviter des licenciements ultérieurs en nombre plus importants". Or, en l'espèce, le dossier de l'employeur n'était pas complet : "les documents sur l'implantation de ses concurrents n'étaient pas certifiés et leur origine non précisée", le dossier ne comptait aucune précision "relative à la situation de la société postérieure au licenciement, aucune pièce comptable permettant de vérifier que l'opération ne visait pas à une simple augmentation des profits mais que la branche se trouvait en péril et justifiait la réorganisation pour prévenir de dommages beaucoup plus graves les années suivantes", ni de précisions sur "l'évolution de sa production et de la consommation au plan national et international, avant et après les licenciements".

La Cour de cassation, rappelle Marie-Laure Morin, a admis depuis 1995 qu'une entreprise prospère pouvait licencier. En effet, une entreprise compétitive est une entreprise capable de rester pérenne et d'assurer la pérennité des emplois. La solution dégagée par les arrêts "Pages jaunes" n'est pas, par conséquent, totalement nouvelle (contrairement à ce qu'a pu croire une grande partie de la doctrine), mais elle n'avait jamais été énoncée de manière aussi claire. Désormais, depuis ces arrêts, il n'est plus indispensable que la survie de l'entreprise soit menacée. Marie-Laure Morin précise que l'attendu de la Cour de cassation du 11 janvier 22006 se contente de confirmer la décision du Conseil constitutionnel du 12 janvier 2002 (Cons. const., n° 2001-455, du 12 janvier 2002, loi de modernisation sociale N° Lexbase : A7588AXC) "en reprenant quasiment mot pour mot les termes employés". Elle précise que "les difficultés économiques à venir doivent être de nature à porter atteinte à la pérennité de l'entreprise et des emplois, et doivent être suffisamment précis pour justifier la réorganisation". L'employeur est, en effet, tenu de démontrer l'existence d'un certain nombre d'éléments précis permettant de prouver les difficultés à venir sur l'emploi ; l'objectif étant de prendre des mesures de nature à éviter des licenciements ultérieurs plus importants. Cette jurisprudence tend, selon Marie-Laure Morin, à limiter l'arrêt "Sat" rendu par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation en décembre 2000 (Ass. plén., 8 décembre 2000, n° 97-44.219, Société anonyme de télécommunications (Sat) c/ M. Coudière et autres, publié N° Lexbase : A0328AUP). En l'espèce, une société, confrontée à des difficultés économiques avait choisi, alors qu'elle disposait de trois solutions lui permettant d'obtenir les mêmes résultats, celle coûtant le plus d'emplois. Pour décider que les licenciements étaient dépourvus de cause économique réelle et sérieuse, la cour d'appel a retenu que "la pérennité de l'entreprise et le maintien de sa compétitivité étant assurés dans les trois hypothèses envisagées de réorganisation, l'entreprise en choisissant la solution du regroupement d'activités à Montereau et de la fermeture du site de Riom n'a pas intégré dans ses calculs, comme elle en avait cependant l'obligation, le concept de préservation de l'emploi et a donc excédé la mesure de ce qui était nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité du secteur considéré de l'entreprise". Tel n'est, cependant, pas l'avis de la Cour de cassation qui censure cette décision. Selon la Cour suprême, qui reconnaît que la condition de réorganisation de l'entreprise, entraînant des suppressions d'emplois nécessaires à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient, était remplie dans les trois hypothèses envisagées initialement par l'employeur, il ne lui appartenait pas de contrôler le choix effectué par l'employeur entre les solutions possibles.

Pierre-Emmanuel Leclercq constate, quant à lui, qu'il existe un écart entre la notion de compétitivité employée par les juges et la réalité économique de l'entreprise. "A partir de quel niveau considère-t-on qu'il s'agit de simple gestion ou d'une soif cupide de bénéfice ?". Ce concept reste, pour lui, très relatif. Il lui semble, par conséquent, "difficile de contrôler les motifs économiques et encore plus la notion de sauvegarde de l'économie". Francine Blanche complète cette opinion en rappelant que "cette notion, tellement indéfinissable, n'a d'ailleurs pas été introduite dans la loi". La sauvegarde de la compétitivité est très subjective et doit impérativement aller de paire avec le dialogue social.

Bien que cette notion soit relative, l'employeur est tenu, rappelle Marie-Laure Morin, de justifier la décision prise devant les représentants du personnel, puis si celui-ci est saisi, devant le juge. Ce dernier va, alors, vérifier si l'employeur agit en "bon père de famille", s'il a rempli son obligation de justification de la qualité de l'acte de gestion comme peut le démontrer un arrêt très récent de la Cour de cassation (Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-47.376, F-P sur 1er moyen N° Lexbase : A7525DPE, sur ce sujet lire, Ch. Willmann, Conditions de validité du licenciement fondé sur la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, Lexbase Hebdo n° 219 du 15 juin 2006 - édition sociale N° Lexbase : N9619AKH). Selon elle, ces arrêts ne modifient pas la notion de sauvegarde de la compétitivité ; ils autorisent seulement les "menaces sur l'avenir", tout en exigeant une justification suffisamment précise.

3. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC)

Selon Marie-Laure Morin, la notion d'anticipation est au coeur même de l'arrêt rendu. En privilégiant l'anticipation des difficultés économiques et leurs conséquences sur l'emploi, la Cour de cassation reprend à son compte la problématique de GPEC introduite par la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 (loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, de programmation pour la cohésion sociale N° Lexbase : L6384G49 ; C. trav., art. L. 320-2 N° Lexbase : L8919G7H). Il est, en effet, indispensable de faire en sorte que la réorganisation et les modifications des contrats de travail s'intègrent dans une GPEC. Ce concept n'est pas nouveau. La jurisprudence a, en effet, déjà dégagé l'obligation d'adaptation à l'évolution des emplois. En cas de non-respect de l'engagement sur l'emploi, les juges octroient, alors, aux salariés et aux représentants du personnel des dommages et intérêts (Cass. soc., 25 novembre 2003, n° 01-17.501, Société BSN Glasspack c/ Syndicat CFDT Chimie Energie de Rhone Alpes Ouest (CFDT-SCERAO), FS-P+B+R+I N° Lexbase : A2101DA3, sur ce sujet, lire C. Willmann, Validité d'un plan de sauvegarde de l'emploi et violation d'un engagement unilatéral de l'employeur, Lexbase Hebdo n° 97 du 4 décembre 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9610AA8).

Francine Blanche tient à préciser que "peu de salariés bénéficient des dispositions du Code du travail sur la GPEC". Ce terme est, par ailleurs, souvent "synonyme de suppression d'emplois, alors qu'il pourrait permettre de réfléchir avec les organisations syndicales à la notion d'employabilité". M. Leclercq confirme cette vision en précisant que "le terme de GPEC pourrait être associé à ceux de formation, développement, avancement". La notion de GPEC active permet aux juges, ajoute Mme Morin, d'apprécier la notion de sauvegarde de la compétitivité et, dans le pire des cas, le licenciement. En effet, la Cour de cassation semble considérer que les mesures de licenciement économique qui interviendraient à la suite d'une GPEC défaillante seront appréciées de manière plus rigoureuse. Le message adressé aux entreprises est alors clair : négociez la GPEC, et les juges seront plus conciliants sur le critère de la sauvegarde de la compétitivité des entreprises, ou alors attendez-vous à voir cette porte se refermer, l'entreprise devant désormais privilégier la négociation sur le licenciement et pouvant se voir ainsi sanctionnée si elle n'a pas cherché loyalement à négocier les changements à intervenir dans l'entreprise.

En conclusion, la réorganisation de l'entreprise justifiée par la nécessité de sauvegarder sa compétitivité suffit, si celle-ci est mise en oeuvre de manière loyale, et justifiée de manière précise. Le dossier de l'employeur, en cas de contentieux, doit être complet. Ainsi, peuvent être conciliés les principes si chers au Conseil constitutionnel du respect de la liberté d'entreprendre et du droit au travail.

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Baux commerciaux

[Jurisprudence] Dénégation du bénéfice du statut des baux commerciaux : les dés sont-ils jetés lors de la délivrance du congé ?

Réf. : Cass. civ. 3, 30 mai 2006, n° 05-15.590, M. Joseph Frejus c/ Mme Manuela Crossman, F-D (N° Lexbase : A7631DPC)

Lecture: 8 min

N0233AL9

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par Julien Prigent, Avocat à la cour d'appel de Paris

Le 07 Octobre 2010

Le bailleur ne peut dénier à son locataire le bénéfice du statut des baux commerciaux, après avoir offert le renouvellement, sauf survenance d'un manquement nouveau depuis l'expiration du bail ou inconnu du bailleur lorsqu'il a donné son accord sur le renouvellement. Tel est l'enseignement d'un arrêt de la Cour de cassation en date du 30 mai 2006 qui semble constituer un revirement de jurisprudence. En l'espèce, par acte du 9 novembre 1998, les propriétaires de locaux à usage artisanal et d'habitation avaient donné congé à leur locataire avec offre de renouvellement moyennant un certain loyer. Aucun accord sur le prix du bail renouvelé n'ayant pu être trouvé entre les propriétaires et les locataires, le juge des loyers commerciaux avait été saisi. En cause d'appel, les bailleurs avaient rétracté leur offre de renouvellement et demandé qu'il soit constaté que les locataires ne pouvaient bénéficier du statut des baux commerciaux en raison de l'absence d'immatriculation de l'un des deux preneurs au répertoire des métiers au moment de la délivrance du congé. Cette demande ayant été accueillie par les juges du fond, les locataires se sont pourvus en cassation.

La Haute cour a ainsi été invitée à se prononcer sur la possibilité, pour le bailleur, de rétracter une offre initiale de renouvellement

I - L'immatriculation du preneur, condition du droit au renouvellement

Aux termes de l'article L. 145-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5729AIZ), les dispositions du statut des baux commerciaux "s'appliquent aux baux des immeubles ou locaux dans lesquels un fonds est exploité, que ce fonds appartienne, soit à un commerçant ou à un industriel immatriculé au registre du commerce et des sociétés, soit à un chef d'une entreprise immatriculée au répertoire des métiers, accomplissant ou non des actes de commerce [...]".

Bien que ce texte semble ériger la condition de l'immatriculation du preneur en condition d'application du statut des baux commerciaux dans son ensemble, la Cour de cassation a précisé que l'immatriculation n'était qu'une condition du droit au renouvellement (Cass. civ. 3, 1er octobre 1997, n° 95-15.842, Syndicat mixte pour l'aménagement touristique de la montagne c/ Epoux Mathot N° Lexbase : A1903ACH et Cass. civ. 3, 1er octobre 2003, n° 02-10.381 N° Lexbase : A6682C9D).

Cette condition doit être respectée tant à la date de la délivrance du congé du bailleur (Cass. civ. 3, 10 juillet 2002, n° 00-20.909, FS-P+B N° Lexbase : A1037AZG) ou de la demande de renouvellement du locataire (Cass. civ. 3, 12 juillet 2000, n° 99-10.455, Société Continent Hypermarchés c/ Société Lenault N° Lexbase : A9131AGB) qu'à celle de l'expiration du bail (Cass. civ. 3, 2 juin 1999, n° 97-19.324, Epoux Simon c/ Epoux Toutain N° Lexbase : A4870AUW). Il n'est pas nécessaire, en revanche, que cette condition soit remplie pendant toute la procédure de renouvellement ou de fixation de l'indemnité d'éviction (Cass. civ. 3, 29 septembre 2004, n° 03-13.997, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A4861DDE et Cass. civ. 3, 18 mai 2005, n° 04-11.985, M. Philippe Degrugillier c/ Société civile immobilière (SCI) La Rotonde de Béthune, FS-P+B N° Lexbase : A3790DI9), la Cour de cassation ayant pendant un temps jugé le contraire (Cass. civ. 3, 27 mars 2002, n° 00-21.685, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3892AYS).

En présence d'une pluralité de preneurs, chacun d'eux doit être immatriculé (Cass. civ. 3, 11 janvier 1989, n° 87-12.879, M. Boileau-Beyrie c/ M. Mazaud et autres N° Lexbase : A8903AAY, Cass. civ. 3, 17 octobre 1990, n° 89-12.824, M. Boutemy c/ Consorts Des Roys d'Eschandelys et autre N° Lexbase : A4501ACP), sauf si les copreneurs sont des époux communs en biens ou héritiers indivis (Cass. civ. 3, 11 janvier 1989, n° 87-14.984, M. Azoug c/ Société civile immobilière du Goulet et autre N° Lexbase : A8962AA8, Cass. civ. 3, 15 mai 1991, n° 90-10.884, Société Tesmer Immo et autre c/ M. Beloucif et autre N° Lexbase : A4740ACK et Cass. civ. 3, 5 mars 1997, n° 95-12.472, M. Akli Amrioui et autres c/ M. David Skornik N° Lexbase : A0026AUI). A défaut d'immatriculation d'un seul des copreneurs, aucun ne pourra prétendre bénéficier d'un droit au renouvellement (Cass. civ. 3, 5 mars 1997, n° 95-12.472, précité).

Dans l'arrêt commenté, au moment de la délivrance du congé délivré par les bailleurs, seul l'un des locataires était immatriculé au répertoire des métiers, l'autre preneur ayant été radié de ce répertoire antérieurement à cette date.

En conséquence, en application des jurisprudences constantes précitées, les locataires ne pouvaient se reconnaître un droit au renouvellement de leur bail.

Néanmoins, les propriétaires avaient délivré un congé avec offre de renouvellement, ignorant à cette époque, semble-t-il, l'absence d'immatriculation de l'un de leurs locataires.

Ce n'est donc que postérieurement, plus précisément en cause d'appel dans le cadre de la procédure en fixation du loyer du bail renouvelé, que les bailleurs ont rétracté leur offre de renouvellement.

La question a donc été posée à la Cour de cassation de la possibilité pour les bailleurs de dénier à leurs preneurs tout droit au renouvellement pour défaut d'immatriculation alors qu'ils avaient initialement reconnu ce droit en délivrant un congé avec offre de renouvellement.

II - La possibilité d'invoquer de nouveaux motifs de refus de renouvellement sans indemnité d'éviction

Aux termes de l'article L. 145-9, dernier alinéa, du Code de commerce (N° Lexbase : L5737AIC), le congé doit, à peine de nullité, préciser les motifs pour lesquels il est donné. De manière symétrique, l'article L. 145-10 du Code de commerce (N° Lexbase : L5738AID) impose au bailleur de préciser également, dans sa réponse à une demande de renouvellement du locataire, les motifs de son refus éventuel.

La jurisprudence en a conclu que, compte tenu de cette exigence de la motivation du congé ou de la réponse du bailleur, il ne saurait être substitué au motif initial un motif différent au cours de l'instance (Cass. com., 16 mars 1960, n° 58-12.807, Borre de Loisy c/ Ville d'Avignon N° Lexbase : A5557AUD).

Il a été apporté un tempérament à cette interdiction qui ne concerne, en effet, que les motifs connus du bailleur lors de la délivrance du congé ou de la demande de renouvellement (Cass. com., 20 janvier 1965, n° 60-11.584, Epoux Hublet c/ Epoux Janvier de Stephano N° Lexbase : A9609AGY, Cass. civ. 3, 17 novembre 1981, n° 80-12.242, Ponthieu c/ Dame Ouspensky N° Lexbase : A7479AG4, Cass. civ. 3, 4 mai 1982, n° 80-16.305, Chergui c/ Société civile Didot N° Lexbase : A7514AGE et Cass. civ. 3, 1er mars 1995, n° 93-16.105, M. Jean Passicos et autres c/ M. Bernard Vargues et autres N° Lexbase : A9946ATK) : les manquements postérieurs à cette délivrance ou inconnus du bailleur à cette date pourront valablement fonder un refus de renouvellement sans indemnité d'éviction.

En outre, la Cour de cassation avait également institué un régime particulier pour l'acte portant dénégation du bénéfice du statut des baux commerciaux. Cette hypothèse est à distinguer du refus de renouvellement pour motif grave et légitime. Dans ce dernier cas, en effet, le bailleur considère que, d'une part, le statut des baux commerciaux s'applique au bail qu'il a consenti et, d'autre part, que le locataire remplit les conditions du droit au renouvellement. Il refuse, cependant, de régler une indemnité d'éviction en raison d'un motif grave et légitime. Dans l'hypothèse de la dénégation, le bailleur considère que le statut des baux commerciaux ne s'applique pas, un des critères objectifs de son champ d'application faisant défaut, ou l'une des conditions du droit au renouvellement, par exemple, l'immatriculation, n'étant pas remplie.

Puisque, par définition, les dispositions du statut ne s'appliquent pas et que l'interdiction faite au bailleur de substituer un motif de refus de renouvellement au motif initial repose sur les articles L. 145-9 et L. 145-10 du Code de commerce, il n'y avait pas de raison d'interdire au bailleur de dénier au locataire le bénéfice de l'application du statut ou du droit au renouvellement, même lorsqu'il avait eu connaissance, lors de la délivrance du congé ou de la réponse à la demande de renouvellement, de la défaillance d'une condition d'application du statut ou du droit au renouvellement.

C'est en ce sens que s'est prononcée la Cour de cassation (Cass. com., 12 octobre 1960, n° 59-10.476, Société anonyme des Autos Transports du Chablais et Faucigny c/ Demoiselle Detraz N° Lexbase : A9639AG4, Cass. com., 4 avril 1962, Balech c/ Melix N° Lexbase : A1716AZL).

Ainsi, la Haute cour a affirmé que le "bailleur peut, après le congé, refuser le renouvellement du bail sans indemnité, s'il établit que les conditions du droit au renouvellement ne sont pas établies" dans une espèce proche de celle de l'arrêt rapporté, puisque les parties avaient convenu d'un accord sur le principe même du renouvellement et qu'en cours d'instance en fixation du loyer du bail renouvelé, le bailleur avait dénié au locataire tout droit au renouvellement pour défaut d'immatriculation lors de la délivrance du congé alors que, vraisemblablement, il avait, dès cette époque, connaissance de cette absence d'immatriculation (Cass. civ. 3, 23 février 1994, n° 92-15.473, Mme Thibon de Courtry c/ Société Compagnie Fives Lille et autres N° Lexbase : A9712ATU).

Dans une décision plus récente, la Cour de cassation avait également clairement affirmé que "le bailleur [peut], même s'il avait eu, lors de la délivrance du congé, connaissance de la non-inscription du preneur au registre du commerce, rétracter l'offre de paiement d'une indemnité d'éviction, s'il établit que cette condition n'était pas remplie" (Cass. civ. 3, 6 novembre 2001, n° 96-19.528, F-D N° Lexbase : A0572AXH).

L'arrêt commenté consacre une solution contraire. En effet, c'était bien une dénégation du bénéfice du statut des baux commerciaux (en réalité, du droit au renouvellement puisque la condition de l'immatriculation n'est qu'une condition du droit au renouvellement selon la jurisprudence, voir ci-avant), qu'opposaient les bailleurs à leurs locataires pour défaut d'immatriculation.

Ils auraient donc dû, en application de la jurisprudence précitée, pouvoir rétracter une offre antérieure de renouvellement sans qu'il soit nécessaire que le manquement justifiant la dénégation soit survenu postérieurement au congé ou ait été inconnu des bailleurs de la délivrance de leur congé.

Cependant, l'arrêt du 30 mai 2006 censure les juges du fond au motif qu'ils ne pouvaient dire que le preneur ne pouvait bénéficier du statut des baux commerciaux sans constater la survenance d'un manquement nouveau depuis l'expiration du bail ou inconnu des bailleurs lorsque ces derniers ont donné leur accord sur le renouvellement.

Le texte visé, étrangement, est l'article L. 145-17 du Code de commerce (N° Lexbase : L5745AIM) qui est relatif au motif grave et légitime, notion qui n'était pas en cause en l'espèce puisque aucune infraction n'était reprochée aux locataires.

En outre, le texte même de l'article L. 145-17 du Code de commerce ne permet pas de justifier la solution selon laquelle seuls les motifs invoqués dans le congé ou la réponse à la demande de renouvellement peuvent être pris en compte.

Cette décision, qui n'aura pas les honneurs du bulletin, laisse donc dubitatif. Revirement de jurisprudence ou arrêt isolé ? Elle ne manquera pas, à tout le moins, de susciter un débat.

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Entreprises en difficulté

[Panorama] Entreprises en difficulté : panorama bimestriel - mai/juin 2006 (1ère partie)

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N0179AL9

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, un panorama de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de la jurisprudence rendue en matière de procédures collectives au cours des mois de mai et juin 2006. Le périmètre du dessaisissement du débiteur, le régime applicable aux créances naissant du divorce du débiteur, ou encore les voies de recours ouvertes contre le jugement d'extension de la procédure, constituent les thèmes majeurs de l'actualité jurisprudentielle (cf. Entreprises en difficulté : panorama bimestriel - mai/juin 2006 (2ème partie) N° Lexbase : N0183ALD).
  • Le périmètre du dessaisissement - la renonciation à une succession : un droit strictement extra patrimonial ? (Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-10.115, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A3458DPR)

Le dessaisissement désigne la réduction des pouvoirs du débiteur résultant de l'effet de la saisie collective (J. Vallansan, Redressement et liquidation judiciaires, 2ème éd. Litec, 2003, p. 289 ; M. Sénéchal, Essai sur la saisie collective du gage commun des créanciers, Litec 2002, Bibl. dr. de l'entreprise, T. 59) des droits patrimoniaux du débiteur par la procédure, laquelle désigne chacun des créanciers antérieurs, outre, depuis la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845, 26 juillet 2005, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT), les créanciers postérieurs non éligibles au traitement préférentiel, ainsi que le représentant de leur intérêt collectif, le liquidateur.

Cette réduction de pouvoirs est lourde de conséquences puisqu'elle aboutit, pour le partenaire contractuel du débiteur, à une inopposabilité de l'acte accompli par le débiteur seul à la procédure collective, laquelle remplace, sous un vocable différent, la masse des créanciers de la loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563, 13 juillet 1967, sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes N° Lexbase : L7803GT8). Cette sanction draconienne, qui ne permet au partenaire du débiteur que de prétendre à une créance hors procédure, puisque née irrégulièrement après le jugement d'ouverture, explique le contentieux abondant quant à la détermination exacte du périmètre du dessaisissement. Un nouvel arrêt, particulièrement digne d'attention, et appelé à une diffusion maximale, apporte sa pierre à l'édifice jurisprudentiel de la notion de droits attachés à la personne du débiteur en liquidation judiciaire, qui fait échec à la règle du dessaisissement.

En l'espèce, une personne physique en liquidation judiciaire est confrontée à devoir exercer son option dans la succession de sa mère, après l'ouverture de sa liquidation judiciaire. Vraisemblablement pour éviter l'incorporation de l'actif successoral dans sa liquidation judiciaire, la débitrice décide seule de renoncer à la succession de sa mère. Son liquidateur l'assigne pour voir prononcer la nullité de l'acte de renonciation. Le tribunal fait droit à la demande. La cour d'appel va confirmer le jugement entrepris en déclarant inopposable à la liquidation judiciaire la renonciation de la débitrice à la succession de sa mère. Pour cela, l'arrêt retient que les conséquences de la renonciation sont essentiellement patrimoniales et que, en conséquence, l'option successorale n'appartient qu'au seul liquidateur. La débitrice forme alors un pourvoi en cassation et va obtenir gain de cause sur sa réponse à la question de savoir si la faculté d'accepter une succession est un droit propre du débiteur échappant au dessaisissement. A cette question, la Cour de cassation va répondre que "la faculté d'accepter une succession ou d'y renoncer étant un droit attaché à la personne, le débiteur en liquidation judiciaire l'exerce seul". Mais la Cour de cassation va immédiatement ajouter que ce droit attaché à la personne du débiteur est exercé "sans préjudice de la mise en oeuvre éventuelle par le liquidateur, en sa qualité de représentant des créanciers, de l'action prévue par l'article 788 du Code civil (N° Lexbase : L3409ABU)".

Une lecture rapide de cet arrêt pourrait laisser croire que l'acceptation d'une succession ou la renonciation à celle-ci est un droit qui appartient au débiteur en liquidation judiciaire. Il n'en est rien. Ainsi que l'a finement relevé un auteur (A. Lienhard, sous l'arrêt commenté, D. 2006, AJ p. 1368), il ne faut pas assimiler un droit attaché à la personne du débiteur à un droit exclusivement attaché à la personne du débiteur. Si le second échappe au contrôle du liquidateur, il n'en va pas de même du premier. Prend dès lors toute son importance la réserve introduite par la Cour de cassation, selon laquelle la renonciation à la succession est faite par le débiteur "sans préjudice de la mise en oeuvre éventuelle par le liquidateur, en sa qualité de représentant des créanciers, de l'action prévue par l'article 788 du Code civil". Cette disposition prévoit que "les créanciers de celui qui renonce [à une succession] au préjudice de leurs droits, peuvent se faire autoriser en justice à accepter la succession du chef de leur débiteur, en son lieu et place". Le liquidateur, qui représente collectivement les créanciers, trouve ainsi dans l'article 788 du Code civil, le moyen de faire déclarer inopposable à la procédure collective la renonciation à succession. Le moyen technique de parvenir à l'inopposabilité n'est pas trouvé dans les règles du dessaisissement, mais dans celles de la fraude paulienne, dont l'article 788 du Code civil ne constitue qu'une application (obs. A. Lienhard, sous l'arrêt commenté, D. 2006, AJ p. 1368). C'est pourquoi la jurisprudence exige que l'héritier, en renonçant à la succession, ait eu conscience de léser les droits de son créancier par un acte ayant pu entraîner un appauvrissement de son patrimoine (Cass. civ. 1, 24 mars 1993, n° 91-15.929, Mme Raffalli c/ Consorts Frassati, inédit N° Lexbase : A5366CZR). C'est assurément le cas lorsque cet héritier est en liquidation judiciaire. La lettre de l'article 788, alinéa 2, du Code civil, selon lequel "la renonciation n'est annulée qu'en faveur des créanciers, et jusqu'à concurrence seulement de leurs créances : elle ne l'est pas au profit de l'héritier qui a renoncé", qui fait état d'une nullité, ne peut être suivie, car la nullité produit effet à l'égard de tous, alors que le texte énonce une inefficacité de la renonciation à l'égard seulement des créanciers, mais non du débiteur. Il faut donc plutôt évoquer une simple inopposabilité.
Le liquidateur aura compris, dans cette affaire, qu'il lui appartient d'assigner devant le tribunal de grande instance le débiteur sur le fondement de l'article 788 du Code civil. S'il obtient gain de cause, il obtiendra la remise des biens échus sur succession à l'héritier qui avait renoncé, mais seulement dans la limite des créances de la procédure collective. En effet, la Cour de cassation considère que la demande d'annulation de la renonciation à succession n'est faite qu'à concurrence des créances de la personne qui assigne en annulation (Cass. civ. 1, 24 mars 1993, n° 91-15.929 précité), c'est-à-dire, en l'occurrence, le liquidateur représentant collectivement les créanciers.

P.-M. Le Corre

  • La voie de recours émanant d'un tiers sur le jugement d'extension de la procédure sur le fondement de la confusion des patrimoines (Cass. com., 16 mai 2006, n° 05-14.595, M. Michel Sulmon c/ Société civile professionnelle (SCP) Perney Angel, F-P+B N° Lexbase : A6782DPU)

Sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, le Code de commerce contenait des cas de redressement et de liquidation judiciaires à titre personnel qualifiés par la pratique d'extensions de procédure. Il s'agissait, en réalité, de fausses extensions, donnant lieu à de véritables jugements d'ouverture. La loi de sauvegarde des entreprises a supprimé toutes ces extensions sanctions, ce qui, ainsi qu'on a pu le voir dans ces colonnes, a été source de délicates questions d'application de la loi dans le temps (voir ainsi, Cass. com., 4 avril 2006, n° 04-19.637, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A9397DND ; lire Pierre-Michel Le Corre, Entreprises en difficulté : panorama bimestriel - mars/avril 2006 (1ère partie), Lexbase Hebdo n° 212 du 27 avril 2006 - édition affaires N° Lexbase : N7539AKG). Parallèlement, la jurisprudence a créé de véritables extensions de procédure : celles intervenant pour confusion des patrimoines ou pour fictivité. Il n'y a pas alors véritablement ouverture d'une procédure distincte, mais bien extension de la procédure, ce qui a des conséquences, notamment, en matière de déclaration et de vérification des créances. Est-ce à dire pour autant que les règles de publicité attachées à un jugement d'ouverture d'une procédure doivent être absentes en cas d'extension de la procédure ? La réponse à la question est spécialement importante lorsque l'on se demande si ce jugement d'extension est susceptible de voies de recours et, dans l'affirmative, lorsque l'on s'interroge sur les délais de ces recours. On comprend, dès lors, toute l'importance attachée à l'arrêt rapporté qui répond précisément à ces questions.

En l'espèce, trois sociétés sont déclarées en redressement judiciaire entre le 5 janvier et le 6 juillet 1998. L'année suivante, le tribunal rend un jugement d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines entre ces trois sociétés. Une personne, considérée comme dirigeant de droit ou de fait de ces sociétés, est condamnée au paiement des dettes sociales à hauteur d'un million d'euros. Quatre ans plus tard, il forme une tierce-opposition au jugement d'extension, qui ne fait l'objet d'aucune publication. Le tribunal déclare la tierce-opposition irrecevable, décision que va confirmer la cour d'appel. La question essentielle qui se posait était celle de savoir si le jugement d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines devait être publié au Bodacc. De la réponse à la question dépendait, en effet, le point de savoir si la tierce-opposition avait été formée dans les délais. A cette question, la Cour de cassation va répondre qu'"un jugement prononçant une extension de procédure collective ou décidant la poursuite sous procédure unique de plusieurs procédures collectives doit être assimilé à un jugement ouvrant le redressement judiciaire d'un débiteur ; il s'ensuit que le délai pour former tierce-opposition contre ce jugement ne court que du jour de sa publication au Bodacc".

La jurisprudence avait déjà admis la recevabilité de la tierce-opposition à l'encontre du jugement d'extension sur le fondement de la fictivité ou de la confusion des patrimoines. Cette admission reposait sur le même postulat que celui fondant la solution ici rapportée : le jugement d'extension est assimilé à un jugement d'ouverture (voir Cass. com., 4 juillet 2000, n° 98-12.117, Banque française de crédit coopératif c/ Epoux Gatterre et autres, P N° Lexbase : A3601AUW, Act. proc. coll. 2000/14, n° 173 ; D. 2000, jur. p. 375, obs. A. Lienhard ; Cass. com., 8 octobre 2003, n° 00-19.730, F-D N° Lexbase : A7124C9Q ; Pierre-Michel Le Corre, La voie de recours du créancier à l'encontre du jugement d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines, Lexbase Hebdo n° 93 du 6 novembre 2003 - édition affaires N° Lexbase : N9274AAQ ; LPA, 16 février 2004, n° 33, p. 9, note H. Lécuyer).

L'intérêt du présent arrêt est de poser clairement l'obligation pour le greffe du tribunal qui prononce l'extension de publier cette décision au Bodacc. La solution est très importante. L'un des intérêts majeurs, ainsi que permet de s'en convaincre l'arrêt commenté, se trouve dans le point de départ du délai de tierce-opposition : le délai pour former tierce-opposition à l'encontre du jugement d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines ou de la fictivité ne peut courir que du jour de la publication du jugement d'extension au Bodacc. Peu importe donc que quatre ans aient séparé la tierce-opposition de la décision d'extension.

Il faut bien comprendre que le jugement d'extension est constitutif d'une situation nouvelle. Le plus souvent, il s'agira de placer sous procédure collective des personnes physiques ou morales qui, jusqu'alors, étaient in bonis. Tel n'était pas le cas en l'espèce, puisque les trois sociétés dont la procédure sera réunie sur le fondement de la confusion des patrimoines, étaient déjà en redressement judiciaire. Il n'en demeure pas moins que la situation est nouvelle car les actifs et passifs de ces trois sociétés vont se trouver confondus en une masse unique. C'est ainsi que les créanciers de la société A pourront espérer percevoir des fonds provenant de la vente des actifs de la société B ou de la société C. Il faut, évidemment, que les créanciers de chacune de ces structures soient parfaitement informés. On remarquera, cependant, que l'assimilation par la Cour de cassation du jugement d'extension à un jugement d'ouverture ne semble pas autoriser un créancier de l'une des trois sociétés préalablement déclarées en redressement judiciaire à déclarer sa créance dans le délai de deux mois qui court à compter de la publication au Bodacc du jugement d'extension. En effet, il ne semble pas possible d'ouvrir un nouveau délai de déclaration de créance et la situation doit, ici, être distinguée de celle dans laquelle la confusion des patrimoines aurait pour effet de placer sous procédure collective une personne physique ou morale jusqu'alors in bonis. On sait, en effet, que la Cour de cassation considère que le jugement d'extension n'a pas d'effet rétroactif, ce qui autorise le créancier d'une personne jusqu'alors in bonis à déclarer sa créance au passif confondu dans le délai de deux mois du jugement d'extension de la procédure (sur cette question de l'absence de rétroactivité du jugement d'extension, voir déjà Cass. com., 28 septembre 2004, n° 02-12.552, FS-P+B+R N° Lexbase : A4622DDK, Pierre-Michel Le Corre, L'absence de rétroactivité de l'unicité de masse passive et active du jugement d'extension sur le fondement de la confusion des patrimoines, Lexbase Hebdo n° 139 du 21 octobre 2004 - édition affaires N° Lexbase : N3159ABM).

On peut néanmoins, en l'espèce, émettre un doute sur l'intérêt à agir en tierce-opposition du dirigeant social de droit ou de fait de ces trois sociétés dont les actifs et passifs ont été réunis, reconnu par l'arrêt en réponse au moyen d'irrecevabilité soulevé par le défendeur au pourvoi. S'il est effectivement le dirigeant de chacune de ces sociétés, il peut être condamné dans chacune des procédures initialement ouvertes contre elles à combler l'insuffisance d'actif. Il importe peu que les actifs et passifs soient confondus car le montant globalisé de l'insuffisance d'actif sera le même. Il pourra lui être demandé, dans chacune des procédures, tout ou partie de l'insuffisance d'actif, et, au final, sa condamnation ne sera pas différente selon que la procédure est unique ou que trois procédures se poursuivent de manière indépendante.

P.-M. Le Corre

  • Les aliments, l'honneur et la procédure collective (Cass. civ. 1, 7 juin 2006, n° 04-15.608, F-D N° Lexbase : A8428DPT)

Famille et procédures collectives ne font pas bon ménage. Ces propos ont trouvé de multiples illustrations dans le contentieux récurrent qui existe entre ex-conjoints, lorsque l'un d'eux fait l'objet d'une procédure collective de paiement. Magnifique illustration peut en être trouvée avec un arrêt mettant en jeu des questions de natures diverses, qui n'appellent pas le même traitement, en présence de la procédure collective d'un des conjoints.

En l'espèce, un mari placé en liquidation judiciaire, et alors que sa procédure n'était pas clôturée, abandonne son épouse pour vivre six mois plus tard maritalement avec une autre femme. Son épouse obtient le divorce aux torts exclusifs du mari, sans que soit retenu le fait qu'elle avait, dans l'intervalle, trouvé réconfort auprès d'une autre femme sans doute moins rustre que son ex-mari. S'estimant bafouée, elle obtient, dans le cadre de la procédure de divorce, des dommages et intérêts pour réparation du préjudice moral subi et condamnation du mari au versement d'une prestation compensatoire, la rupture du mariage créant une disparité dans les conditions de vie respective des ex-époux, au détriment de l'ex-épouse. Tout cela n'est rien que de très naturel -sinon banal-, si ce n'est l'absence de prise en compte, au passage, par les juges du fond statuant dans le cadre de la procédure de divorce, de quelques règles implacables du droit des procédures collectives de paiement.

Deux questions se posaient ici. L'ex-mari en liquidation judiciaire pouvait-il être condamné au versement d'une prestation compensatoire, sans autre précision ? L'ex-mari en liquidation judiciaire pouvait-il être condamné à des dommages et intérêts ?

A la première question, la Cour de cassation va répondre que, "en prenant en considération les revenus de M. X., sans constater que celui-ci en avait la libre disposition alors que le jugement qui prononce liquidation judiciaire emporte de plein droit dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens en application de l'article L. 622-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L7004AIA), la cour d'appel a privé sa décision de base légale". Le principe de solution n'est pas nouveau. La Cour de cassation a déjà précisé, à plusieurs reprises, que la prestation compensatoire présente, pour partie, un caractère alimentaire. En conséquence, le régime de la prestation compensatoire est aligné, en notre matière, sur celui des créances alimentaires (Cass. com., 8 octobre 2003, n° 99-21.682, FS-P+B+I N° Lexbase : A7226C9I ; D. 2003, AJ p. 2637, obs. A. Lienhard ; D. 2004, somm. comm. p. 1965, obs. A. Danis-Fatôme ; Act. proc. coll. 2003/18, n° 230, note M. Storck ; RJ pers. et fam. 2003/12, p. 24, note S. Valory ; Rev. proc. coll. 2003, p. 353, n° 2, obs. M.-P. Dumont ; Dr. et procédures 2004/2, p. 87, note P. Crocq ; Petites affiches, 17 février 2004, n° 34, p. 7, note A.-F. Zattara et Petites affiches, 3 mai 2004, n° 88, p. 16, note J. Massip ; JCP éd. E, 2004, Jur. 336, p. 376, note S. Becqué-Ickowicz ; JCP éd. N, 2004, 1243, note I. Fosset-Lefebvre ; Rev. proc. coll. 2004, p. 22, note I. Fosset-Lefebvre ; Rev. proc. coll. 2004, p. 242, n° 1, obs. C. Saint-Alary-Houin ; Gaz. Pal. 7 juillet 2004, n° 135, p. 15, note A. Flasaquier ; RTD com. 2004, p. 368, n° 1, obs. A. Martin-Serf ; adde Cass. com., 19 novembre 2003, n° 01-00.431, FS-D N° Lexbase : A3027DAD, Act. proc. coll. 2004/2, n° 19 ; Cass. com., 30 juin 2004, n° 03-12.002, F-D N° Lexbase : A9067DCS ; Cass. com., 30 juin 2004, n° 03-10.986, F-D N° Lexbase : A0462DDH ; Cass. com., 1er février 2005, n° 01-13.943, FS-P+B N° Lexbase : A6163DGD, D. 2005, AJ p. 490, obs. A. Lienhard ; Act. proc. coll. 2005/4, n° 44, note L-C. Henry ; Gaz. Proc. coll. 2005/1, p. 33, n° 3-1, obs. P.-M. Le Corre ; Cass. com., 30 mars 2005, n° 03-20.424, F-D N° Lexbase : A4505DHC ; Cass. com., 10 mai 2005, n° 03-10.971, F-D N° Lexbase : A2247DI3, Gaz. proc. coll. 2005/3, p. 53, obs. F. Vauvillé). En ce dernier domaine, la Cour de cassation, par un arrêt remarqué, a jugé que la créance de pension alimentaire, qui fait naître à la charge du débiteur en procédure collective, une dette personnelle, n'a pas à être déclarée au passif (Cass. com., 8 octobre 2003, n° 00-14.760, FS-P+B+I N° Lexbase : A7117C9H, note Pierre-Michel Le Corre, Créances alimentaires et procédures collectives, Lexbase Hebdo n° 93 du 6 novembre 2003 - édition affaires N° Lexbase : N9277AAT). Mais immédiatement après avoir posé cette solution, la Cour de cassation ajoute que "la créance d'aliments, qui est une dette personnelle du débiteur soumis à la procédure collective, doit être payée sur les revenus dont il conserve la disposition, ou bien être recouvrée par la voie de la procédure de paiement direct ou de recouvrement public des pensions alimentaires". Ainsi, le créancier d'aliments, ce qui est le cas du créancier d'une prestation compensatoire, ne peut espérer être payé que sur des biens non soumis au dessaisissement, c'est-à-dire en pratique sur la fraction non saisissable des salaires du débiteur de la prestation compensatoire. Et c'est pourquoi, en l'espèce, la Cour de cassation croit devoir casser la décision de la cour d'appel qui avait condamné l'ex-époux à verser une prestation compensatoire en tenant compte de ses revenus mensuels, sans se préoccuper du fait de savoir s'il en avait la libre disposition. La solution est importante. Elle conduit à empêcher une condamnation à une prestation compensatoire déconnectée du montant réel des sommes dont le débiteur en liquidation judiciaire a la libre disposition. La solution semble pourtant devoir être modulée car, une fois la liquidation judiciaire clôturée, le débiteur retrouvera la libre disposition de ses revenus et pourra, alors, s'acquitter d'une prestation compensatoire sous forme de versements périodiques d'un montant plus élevé. Il faudrait alors trouver un moyen pour le juge du divorce de moduler le montant de la prestation compensatoire dans le temps. On pourrait suggérer la technique suivante : prévoir un montant mensuel en indiquant que ce montant sera versé dans la limite des sommes dont le débiteur a la libre disposition, cette limitation disparaissant une fois la clôture de la procédure intervenue.

A la seconde question, la Cour de cassation va répondre que "l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire interdit, pendant toute la durée de la procédure collective, les poursuites individuelles de la part des créanciers dont la créance à son origine antérieurement au jugement d'ouverture et soumet ces créances à la procédure de déclaration et de vérification des créances". Il s'en déduit, selon la Cour de cassation, que la cour d'appel "ne pouvait prononcer sur ce fondement de condamnation à paiement à l'encontre de M. X.". Ainsi, si la dette d'aliments peut être recouvrée pendant la procédure collective, dans la limite toutefois des revenus dont le débiteur a la libre disposition, il n'en va pas de même de la dette de dommages et intérêts pour le préjudice moral subi par l'ex-épouse. Celle-ci ne présente aucun particularisme et doit donc être traitée comme une créance classique de la procédure collective. Si elle est une créance antérieure, elle ne peut qu'être déclarée au passif et son titulaire est confronté aux règles classiques de l'interdiction des paiements, de l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution. Si elle est une créance postérieure, sous l'empire de la législation antérieure à la loi de sauvegarde des entreprises, en revanche, aucun obstacle ne se présente pour que son titulaire puisse en obtenir paiement. La règle de l'arrêt des poursuites individuelles est sans application pour les créanciers postérieurs. Dès lors, la solution posée par la Cour de cassation peut paraître surprenante. En effet, le fait générateur de la créance délictuelle de dommages et intérêts est ici nécessairement postérieur au jugement d'ouverture de la procédure collective du débiteur. Celui-ci a été placé en procédure collective en 1994 et les faits, source de responsabilité délictuelle, sont intervenus ultérieurement. La Cour de cassation n'aurait donc pas dû appliquer à la créance délictuelle de dommages et intérêts le régime des créances antérieures, mais celui des créances postérieures. Remarquons qu'une solution différente sera posée sur l'empire de la législation de sauvegarde des entreprises. En effet, la créance postérieure de dommages et intérêts ne peut être éligible au traitement préférentiel énoncé par les articles L. 622-17 (N° Lexbase : L3876HB8) et L. 641-13  (N° Lexbase : L3904HB9) du Code de commerce puisqu'elle n'est pas née pour les besoins du déroulement de la procédure, pour les besoins la période d'observation ou en contrepartie d'une prestation pour le débiteur pour son activité professionnelle pendant la période d'observation. Elle devra donc être déclarée au passif, et son titulaire sera soumis à la règle de l'interdiction du paiement des créances postérieures non éligibles au traitement préférentiel (C. com., art. L. 622-7 N° Lexbase : L1410HI3) et à celle de l'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution (C. com., art. L. 622-21 N° Lexbase : L3741HB8).

P.-M. Le Corre

Pour la 2ème partie de cet article, lire (N° Lexbase : N0183ALD)

Pierre-Michel Le Corre
Professeur agrégé, Directeur du Master droit de la Banque de la faculté de droit de Toulon
Emmanuelle Le Corre-Broly
Maître de Conférences des Universités
Enseignante du Master droit de la Banque de la faculté de droit de Toulon

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Entreprises en difficulté

[Panorama] Entreprises en difficulté : panorama bimestriel - mai/juin 2006 (2ème partie)

Lecture: 12 min

N0183ALD

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Le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition affaires vous propose, cette semaine, un panorama de Pierre-Michel Le Corre et Emmanuelle Le Corre-Broly, retraçant l'essentiel de la jurisprudence rendue en matière de procédures collectives au cours des mois de mai et juin 2006. Le périmètre du dessaisissement du débiteur, le régime applicable aux créances naissant du divorce du débiteur, ou encore les voies de recours ouvertes contre le jugement d'extension de la procédure, constituent les thèmes majeurs de l'actualité jurisprudentielle (cf. Entreprises en difficulté : panorama bimestriel - mai/juin 2006 (1ère partie) N° Lexbase : N0179AL9).
  • Cession judiciaire des contrats - modification du plan - exclusion du périmètre de la cession de certains contrats initialement judiciairement cédés - irrecevabilité du pourvoi du cocontractant - absence d'excès de pouvoir (Cass. com., 3 mai 2006, n° 04-15.760, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A3487DPT)

L'arrêt rapporté, rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 3 mai 2006, est particulièrement intéressant et important (la Cour de cassation en a ordonné la publication, non seulement au Bulletin, mais également sur son site internet de la Cour de cassation et au Rapport annuel de l'année 2006).
Une société avait fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire, laquelle avait conduit à l'adoption d'un plan de cession dans le cadre duquel le tribunal avait ordonné la cession judiciaire de divers contrats de crédit-bail, dont la cession en avait été sollicitée par le repreneur lui-même. Rencontrant quelques difficultés, le cessionnaire avait, quelques temps plus tard, présenté une demande de modification du plan de cession tendant à l'exclusion de divers contrats de crédit-bail initialement judiciairement cédés du périmètre de la cession. Sous couvert d'une modification, le repreneur souhaitait selon toute vraisemblance se dégager des contrats sans paiement de l'indemnité contractuellement prévue. Cette demande fut rejetée par le tribunal. Sur appel du cessionnaire, la cour d'appel a modifié le plan de cession conformément aux attentes de ce dernier. Les crédit-bailleurs dont les contrats, initialement cédés, ne l'étaient désormais plus, se sont alors pourvus en cassation. Dans l'arrêt rapporté, la Chambre commerciale de la Cour de cassation relève d'office l'irrecevabilité du pourvoi dès lors que les arrêts rendus sur appel des jugements arrêtant, rejetant, ou modifiant le plan de cession ne sont susceptibles de pourvois en cassation que de la part du Ministère public (C. com., art. L. 623-6-II III N° Lexbase : L7035AIE, devenu L. 661-6-II III N° Lexbase : L4172HB7). Il ne peut être dérogé à cette règle que dans le cas d'un excès de pouvoir, désormais seul et unique cas d'ouverture d'une voie de recours nullité (Cass. mixte, 28 janvier 2005, n° 02-19.153, Société Resotim c/ SNC Bon Puits I, P N° Lexbase : A6459DGC). Or, la Cour relève que le pourvoi n'invoque pas d'excès de pouvoir et déclare, en conséquence, irrecevable celui-ci.

Si, sur ce point, l'arrêt rendu n'est pas critiquable, il l'est en revanche sur un autre plan. En effet, la Chambre commerciale prend le soin de préciser que, l'arrêt d'appel ayant modifié le plan de cession, précédemment arrêté, en excluant du périmètre de la cession certains contrats, initialement cédés, n'était pas entaché d'excès de pouvoir. C'est par là-même clairement affirmer que, même si le pourvoi avait invoqué un quelconque excès de pouvoir, celui-ci n'aurait pas été retenu par la cour.
Sur ce deuxième point, la position adoptée par la Chambre commerciale est critiquable. Si le pourvoi formé avait été un pourvoi-nullité, à notre sens, l'arrêt d'appel aurait dû être annulé. En effet, en sollicitant l'exclusion du périmètre de la cession de certains contrats initialement cédés, le repreneur demandait par là-même à la Cour d'excéder ses pouvoirs. A la lecture du texte de l'article L. 621-88, alinéa 1, du Code de commerce (N° Lexbase : L6940AIU) applicable aux faits de l'espèce (repris à l'article L. 642-7, alinéa 1, depuis la loi de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L3914HBL), il apparaissait que le tribunal appréciait et déterminait seul, d'autorité, le caractère nécessaire du contrat au maintien de l'activité de l'entreprise et pouvait ainsi refuser la cession du contrat ou l'imposer, non seulement au cocontractant (CA Paris, 3ème ch., sect. B, 18 octobre 1991, n° 90/16010, SCP Fisselier Chiloux Boulay c/ SCP Varin Petit N° Lexbase : A6049C8K : D. 1992, Inf. Rap. 19 ; sur l'absence de consentement du cédé, v. M.-H. Monsérié, Les contrats dans le redressement et la liquidation judiciaires des entreprises, Litec 1994, n° 311 et s., p. 296), mais également au repreneur (en ce sens, D. Schmidt, La poursuite des contrats en cours dans le redressement judiciaire, RJ com. 1991, p. 382 ; M.-H. Monsérié, Les contrats dans le redressement et la liquidation judiciaires des entreprises, Litec 1994, n° 315, p. 298 ; CA Aix-en-Provence, 9 décembre 1990 : D. 1990 somm. 3, obs. F. Derrida ; D. Fabiani, La cession judiciaire des contrats, Coll. CRAJEFE, Nice 1990, n° 18, p. 14).

En ordonnant la cession des contrats, et faisant par là-même application des dispositions de l'article L. 621-88 du Code de commerce (N° Lexbase : L6940AIU) (devenu C. com., art. L. 642-7, al. 1 N° Lexbase : L3914HBL), le tribunal avait, en l'espèce, jugé que les contrats cédés étaient nécessaires au maintien de l'activité. Dès lors que le jugement adoptant le plan de cession n'avait fait l'objet d'aucune voie de recours, la cession judiciaire des contrats ne pouvait, à notre sens, plus être remise en cause ultérieurement par la voie d'une modification du plan, une modification ne pouvant porter sur une chose que le repreneur ne pouvait décider. Par cet arrêt du 3 mai 2006, la Chambre commerciale de la Cour de cassation en a décidé autrement en considérant qu'il n'y avait pas d'excès de pouvoir pour une juridiction à accepter la demande de modification du périmètre des contrats cédés. Ainsi, la Cour de cassation admet-elle que le repreneur puisse faire modifier la liste des contrats cédés. A fortiori faut-il admettre désormais qu'il puisse imposer au tribunal la liste des contrats dont il envisage la cession (liste que le repreneur, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, doit indiquer dans son offre ; cf. C. com., art. L. 642-2, II, 1° N° Lexbase : L3909HBE) ?

E. Le Corre-Broly

  • Délimitation des créances postérieures - Créance de dommages et intérêts - date de naissance - jugement de condamnation (Cass. com., 4 avril 2006, n° 05-12.406, F-D N° Lexbase : A9757DNP)

Eu égard au sort préférable -et désormais privilégié- des créances postérieures au jugement d'ouverture, il est essentiel pour le créancier de pouvoir porter la casquette de "créancier postérieur". Cette nature n'est pas toujours aisée à déterminer et continue à faire couler beaucoup d'encre judiciaire (sur la délimitation des créances antérieures et des créances postérieures, v. not. P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz action 2006/2007, n° 440 et s.). Au rang des arrêts statuant sur cette délicate question, prend place l'arrêt rapporté rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 4 avril 2006.

En l'espèce, par suite d'un défaut de paiement de loyers, un crédit-bailleur avait, mais en vain, tenté d'obtenir la restitution du matériel lui appartenant. Le crédit-preneur s'était opposé à la saisie-revendication et l'huissier avait dressé un procès-verbal de détournement. Postérieurement à l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre du crédit-preneur, ce dernier avait été condamné par le tribunal correctionnel au paiement de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par le crédit-bailleur à la suite du détournement du matériel, détournement dont le tribunal correctionnel fixait, cependant, la date postérieurement au prononcé de la liquidation judiciaire. Sur le fondement de cette condamnation, le crédit-bailleur avait fait délivrer un commandement aux fins de saisie-vente auquel le crédit-preneur s'était opposé en invoquant la règle de l'arrêt des poursuites individuelles. Saisie de la question, la cour d'appel avait considéré que le créancier était fondé à exercer des poursuites à l'encontre du débiteur dans la mesure où la créance de dommages et intérêts relevait des dispositions de l'article L. 621-32 du Code de commerce (N° Lexbase : L6884AIS), c'est-à-dire que celle-ci était considérée comme régulièrement née postérieurement au jugement d'ouverture. Le crédit-preneur s'était pourvu en cassation au motif que la faute avait été commise par le crédit-preneur antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure -l'huissier avait dressé un procès-verbal de détournement antérieurement à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire-, de sorte que la créance de dommages et intérêts qui en résultait devait avoir également une nature antérieure, écartant par là-même toute possibilité d'exercice de poursuites individuelles postérieurement à l'ouverture de la procédure collective.

Ce pourvoi fût rejeté par la Chambre commerciale qui constate que la cour d'appel avait à bon droit jugé que la créance avait son origine postérieurement au jugement d'ouverture dès lors que la créance de dommages et intérêts avait été allouée par un jugement rendu postérieurement à l'ouverture de la procédure et sanctionnant un détournement dont le tribunal correctionnel avait constaté qu'il avait été commis postérieurement au jugement d'ouverture. Il est évident que si le détournement, ainsi que la condamnation en résultant, sont postérieurs au jugement d'ouverture, la créance d'indemnité l'est également. Il est plus intéressant de constater qu'un huissier avait dressé un procès-verbal de détournement antérieurement au jugement d'ouverture, argument dont se prévalait le crédit-preneur au soutien de son pourvoi pour tenter de faire juger que la créance avait une nature antérieure au jugement d'ouverture puisque le détournement était avéré avant ledit jugement. Cependant, la Cour de cassation considère que, "abstraction faite du motif surabondant critiqué par le moyen, la cour d'appel a légalement justifié sa décision". En effet, il importe peu que le détournement ait eu lieu antérieurement ou postérieurement au jugement d'ouverture, dès lors que le jugement de condamnation au paiement de dommages et intérêts rendu par la juridiction répressive survient postérieurement au jugement d'ouverture de la procédure collective. Ainsi, en matière de créance d'origine délictuelle, le fait générateur de la créance n'est pas constitué par la date de la faute ou du fait dommageable. Certes, dans un premier temps, il avait été considéré que c'était à la date de la commission des fautes engageant la responsabilité de son auteur -et non la date du prononcé de la condamnation- que naissait la créance (Cass. crim., 5 février 1998, n° 96-85.596, Braun Eric et autres N° Lexbase : A5164ACA, JCP éd. E, 1998, p. 1411, n° 19, obs. M. Cabrillac et P. Pétel ; RTD com. 1998, p. 945, obs. A. Martin-Serf ; Rev. proc. coll. 1999, 221, n° 9, obs. C. Saint-Alary-Houin). Il est, au contraire, désormais admis qu'en matière de sanction pécuniaire d'ordre répressif, la créance naît de la décision constitutive qui la prononce (Cass. com., 14 janvier 2004, n° 01-10.107, F-D N° Lexbase : A8653DAQ, Rev. proc. coll. 2004, p. 243, n° 3, obs. C. Saint-Alary-Houin). Ainsi que l'a constaté un auteur, cette solution a pour effet de dilater démesurément le domaine des créances postérieures (P.-M. Le Corre, op. cit, n° 443.61). Cependant, cette "dilatation" du domaine des créances postérieures ne vaut que sous l'empire des dispositions antérieures à la loi du 26 juillet 2005. En effet, l'article L. 622-17-I, pour la procédure de sauvegarde, applicable également pour la procédure de redressement judiciaire (C. com., art. L. 631-14-I N° Lexbase : L4025HBP) et l'article L. 641-13-I (N° Lexbase : L3904HB9), texte de la procédure de liquidation judiciaire, énoncent désormais que pourront bénéficier du traitement de faveur réservé aux créances postérieures, les créances nées pour les besoins du déroulement de la procédure. Ces créances sont relatives au bon fonctionnement de la procédure. Ainsi, sous l'empire des dispositions applicables aux procédures ouvertes à compter du 1er janvier 2006, la créance de dommages et intérêts résultant d'une décision de condamnation rendue par la juridiction pénale, bien que constituant au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, une créance postérieure dès lors que la condamnation est postérieure au jugement d'ouverture, ne pourrait bénéficier du traitement préférentiel.

E. Le Corre-Broly

  • Le caractère obligatoire de la déclaration de créance pour les créances de toute nature naissant du divorce, un obstacle à la compensation (Cass. civ. 1, 23 mai 2006, n° 03-16.300, FS-P+B N° Lexbase : A6730DPX)

La déclaration de créance est bien le passage obligé, traduction la plus nette de la soumission à la discipline collective, pour les créanciers antérieurs au jugement d'ouverture de la procédure collective, et même, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, pour les créanciers postérieurs qui ne sont pas éligibles au traitement préférentiel conféré par les articles L. 622-17 et L. 641-13 du Code de commerce. La solution ne souffre, si l'on excepte les salariés, que d'une exception créée de toute pièce par la Cour de cassation, celle des créances d'aliments, notion à laquelle participe par nature la créance de prestation compensatoire. Les juridictions civiles, qui ne peuvent plus méconnaître cette exception, ont cependant tendance à vouloir la dilater quelque peu, comme en témoigne l'arrêt commenté.

En l'espèce, une femme, mariée sous un régime séparatiste, a continué après son divorce à occuper l'immeuble indivis. L'immeuble ne lui a pas été attribué à titre de prestation compensatoire. Dans le cadre du partage de l'immeuble sollicité par le liquidateur de son ex-mari, placé en liquidation judiciaire sur le fondement de l'article 815-17, alinéa 1, du Code civil (N° Lexbase : L3453ABI), par voie oblique, l'ex-épouse sollicite l'attribution préférentielle du bien immobilier. Pour le paiement de la soulte due au mari, plus exactement au liquidateur de ce dernier, elle invoque la compensation au titre de créances de toutes natures qu'elle aurait eu sur l'indivision. Les juges du fond vont faire droit à sa demande.

Le liquidateur forme alors un pourvoi et la question qui se pose à la Cour de cassation est celle de savoir si la compensation était possible entre la dette de soulte de l'épouse envers son mari et les créances détenues par elle sur l'indivision existant entre elle et son ex-mari, indépendamment d'une créance au passif de ce dernier. La Cour de cassation va répondre par la négative en censurant les juges du fond, énonçant que, "à l'exclusion des créances nées de la pension alimentaire et de la prestation compensatoire, qui n'ont pas à être déclarées au passif du débiteur soumis à la procédure collective, Mme H. devait déclarer ses autres créances".

La solution ne peut surprendre. C'est déjà par audace prétorienne que la jurisprudence a dispensé les créanciers d'aliments de l'obligation de déclarer leur créance au passif. Cette audace, qui doit se comprendre pour des raisons humanitaires et qui trouve d'ailleurs ses limites très rapidement du fait de l'impossibilité de payer les créanciers d'aliments sur des biens dont le débiteur en liquidation judiciaire n'a pas la disposition, c'est-à-dire presque tous les biens, ne doit pas permettre de vider les actifs d'un débiteur en liquidation judiciaire. Il est donc normal d'obliger l'ex-époux à se soumettre à la discipline collective pour des créances qu'il détiendrait sur son ex-conjoint et qui ne seraient pas de nature alimentaire.

L'argument consistant à soutenir que l'ex-époux n'est pas créancier de son conjoint, mais de l'indivision ne peut permettre d'aboutir à un résultat différent pour une raison simple, déjà mise en exergue par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1, 25 octobre 2005, n° 03-20.382, F-P+B N° Lexbase : A1480DLE). Personne ne peut être créancier d'une indivision. Pourquoi ? Tout simplement par ce que l'indivision n'a pas la personnalité morale. Et l'on comprend alors mieux pourquoi, pour fustiger les juges du fond de l'emploi d'une expression juridique inappropriée, la Cour de cassation utilise les guillemets : "attendu que pour déclarer Mme H. fondée à opposer compensation pour ses créances de toute sorte 'contre l'indivision', dans le respect de l'ordre des privilèges, l'arrêt retient qu'elle n'est pas soumise à la nécessité de déclaration de créance à la liquidation judiciaire de M. B. pour des opérations de comptes liquidation et partage".

Les conseils retiendront la leçon. Dans le cadre de la liquidation d'une indivision, qu'il s'agisse de conjoint ou d'une indivision conventionnelle, la déclaration de créance au passif au titre des créances détenues par un indivisaire in bonis sur un indivisaire sous procédure collective s'impose, sauf s'il n'est question que de créances alimentaires ou de prestation compensatoire.

L'astuce pour les praticiens, notaires ou avocats, sera de penser à présenter sous forme de prestation compensatoire la créance détenue par l'un des ex-époux sur l'autre. Il y aura alors, en effet, dispense de déclaration des créances. N'oublions pas cependant que le liquidateur devra être présent aux opérations de partage, du fait des règles du dessaisissement, sauf à ce que l'abandon d'un immeuble, à titre de prestation compensatoire, soit ensuite déclaré inopposable à la procédure collective, du fait de la violation des règles du dessaisissement.

P.-M. Le Corre

Pierre-Michel Le Corre
Professeur agrégé, Directeur du Master droit de la Banque de la faculté de droit de Toulon
Emmanuelle Le Corre-Broly
Maître de Conférences des Universités
Enseignante du Master droit de la Banque de la faculté de droit de Toulon

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