La lettre juridique n°194 du 15 décembre 2005

La lettre juridique - Édition n°194

Éditorial

Savoir et responsabilité : la quadrature du cercle (vertueux ?)

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N2038AKP

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

Le 27 Mars 2014


Au commencement étaient la faute, l'existence d'un préjudice consécutif à cette faute et la nécessité d'un lien de causalité. C'est du moins ce qui était biberonné à tout juriste en culotte courte sur les contours du 1382 (du Code civil, s'entend). Puis la loi et la jurisprudence, soucieuses de préserver les intérêts du profane face au savoir -par essence suspect- du professionnel, créèrent l'obligation de conseil ou d'information, et cette obligation fût. Et comme tout Bellérophon, l'obligation émancipée prit son envol jusqu'à la reconnaissance controversée d'une responsabilité médicale exacerbée par la perte de chance causée à l'enfant né handicapé. Il n'est nul besoin de revenir sur les circonstances de l'arrêt "Perruche", tant la littérature sur le sujet fût abondante, mais force est de constater que le malaise provoqué par cette décision au sein du corps médical tend à s'étendre désormais à d'autres professionnels tels les avocats ou les banquiers, tant il leur est prescrit un formalisme informatif qui encourage, parfois, à l'inaction. La responsabilité civile professionnelle des avocats n'est pas une affaire nouvelle ; à tel point qu'ils doivent souscrire une assurance particulière pour le compte de qui il appartiendra, qui couvre les détournements de fonds faits par eux (sic). C'est dire combien l'avocat doit se prémunir contre l'engagement de sa responsabilité, puisqu'il doit se prémunir de lui-même ! Mais passons là la gageure et attachons-nous à la responsabilité engagée même en l'absence de faute : un avocat peut parfaitement avoir donné les informations nécessaires à son client verbalement, mais se trouver dans l'impossibilité absolue de le démontrer, auquel cas le tribunal retiendra sa faute. Toute la matière réside donc dans la preuve, que seul un formalisme de la pratique peut assurer ; que seule une assurance professionnelle peut, par ailleurs, réassurer ! Et un récent arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation de nous rappeler que, même dans l'hypothèse dans laquelle aucune faute ne pourrait être reprochée au médecin dans l'accomplissement d'un acte technique, sa responsabilité ne sera pas pour autant écartée, l'obligation d'information apparaissant précisément comme un instrument permettant à la victime de ne pas rester sans réparation. Controverse de Valladolid nous direz-vous ? Si ce n'est qu'à la causalité directe succède la causalité indirecte du préjudice ; préjudice d'une perte de chance de plus en plus indemnisée à la hauteur du résultat de la fameuse "chance", voire au-delà. Et voici que l'avocat "fautif" sera tenu de débourser une indemnité à son client comprenant les honoraires qui lui auront été versés et sans lesquels il n'y aurait eu ni chance, ni perte de chance, ni préjudice, ni indemnisation du tout d'ailleurs : désormais, un homme non averti en vaut deux (indemnisations) ! Pour le banquier dispensateur de crédit, l'affaire est entendue ; non seulement il doit tirer toutes les conséquences de la situation présente et informer son client des risques encourus ; mais il doit aussi envisager les situations futures et, sur la base d'hypothèses mouvantes, satisfaire à son obligation de conseil ou d'information... C'est du moins les conclusions que l'on peut tirer d'une décision de la Cour de cassation rendue le 2 novembre dernier. Aussi profanes de tous les pays unissez-vous (pardonnez ici l'introduction précipitée de la class action à la française) et faites mentir John Ruskin pour qui "plaider l'ignorance n'enlèvera jamais notre responsabilité" ! A moins que les médecins, les avocats et les banquiers ne s'unissent eux-mêmes et concluent, sous l'égide de l'Etat, à une limitation de leur responsabilité à l'image des transporteurs aériens opposant la Convention de Varsovie aux victimes d'accident (cf. Cass. civ. 1, 22 novembre 2005). Mais galvanisons-nous en pensant que "la responsabilité est le prix à payer du succès" comme en a fait la douloureuse expérience Winston Churchill, à la sortie de la guerre. De là à dégager un principe juridique selon lequel le savoir est porteur de responsabilité, il n'y a qu'un pas... De là à limiter les risques de sa responsabilité professionnelle en enrichissant ses savoirs et ses pratiques, par le truchement de la formation continue par exemple, il n'y en a qu'un autre... Dans ce cercle, que l'on veut tous vertueux, les éditions juridiques Lexbase, dispensatrices d'informations et de formations, jouent leur rôle et vous proposent de lire cette semaine le compte-rendu réalisé par Florence Labasque, rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition affaires, sur la récente conférence sur la responsabilité de l'avocat organisée par la Confédération Nationale des Avocats (CNA) et animée par Vincent Perraut, du Cabinet HOCQUARD & Associés. Nous vous invitons à poursuivre votre lecture avec David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit, sur l'"Obligation d'information et [la] perte de chance (à propos du durcissement de la responsabilité médicale)" ; enfin, Richard Routier, Maître de Conférences à l'Université du sud Toulon-Var, revient cette semaine sur le "Nouveau contour de l'obligation du prêteur de mettre en garde l'emprunteur profane".

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Social général

[Evénement] Délocalisations et restructurations

Réf. : 27ème colloque organisé par Droit social et présidé par Jean-Emmanuel Ray sur les Restructurations

Lecture: 9 min

N1652AKE

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par Propos recueillis par Charlotte Figerou, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

Le thème des restructurations ne cesse d'alimenter les débats et de passionner les juristes. Prenons-en pour preuve les nombreux colloques qui se tiennent en cette fin d'année, laissant aux juristes et aux économistes le soin de "faire le point" sur cette sensible question. Le dernier rendez-vous en date a été le 27ème colloque organisé par Droit social et présidé par Jean-Emmanuel Ray, faisant intervenir un certain nombre de spécialistes du droit social et de la question des restructurations. Nous avons choisi de retracer, dans les propos qui suivront, l'intervention originale de Christophe Radé, Professeur à l'Université Bordeaux IV, et du praticien Yves Fromont, avocat associé au sien du cabinet Fromont Briens et associés, à propos de la question des délocalisations. Cette intervention, présentée sous forme d'échange entre l'universitaire, "enfermé dans sa tour d'ivoire", qui observe de loin le phénomène des restructurations, et le praticien, confronté au problème dans la pratique, nous a permis de pointer du doigt les nuances pouvant exister entre les règles applicables et la pratique. Restructurations et délocalisations : l'interactivité existant entre les deux sujets est flagrante ; plusieurs situations sont ici envisageables. Tout d'abord, une restructuration faite en interne peut ne pas entraîner de délocalisation. Ensuite, on peut concevoir une hypothèse de délocalisation sans restructuration, qui correspond dans la pratique à une création nette d'activité à l'étranger. Enfin, situation la plus classique, la délocalisation peut entraîner une restructuration, l'organisation des entreprises ainsi que les contrats de travail étant modifiés.

Or, constate Christophe Radé, les délocalisations, qui impliquent un changement de lieu, un déplacement de l'activité hors du territoire national, n'entraînent qu'un faible contentieux. Par suite, leur impact sur l'emploi est assez délicat à établir. Rares sont les décisions sur les délocalisations à l'étranger, et pour cause : les litiges se règlent généralement par une négociation en interne, et rarement par la voie judiciaire.

1. Délocalisation et mobilité du salarié

Ainsi que l'observe Christophe Radé, les restructurations et les délocalisations subséquentes sont, la plupart du temps, réglées par la voie contractuelle.

Lorsque le lieu de travail est modifié au-delà des frontières du secteur géographique dans lequel travaille habituellement le salarié, la Cour de cassation considère, selon une jurisprudence désormais classique, que son contrat de travail est modifié (Cass. soc., 4 mai 1999, n° 97-40.576, M. Hczyszyn c/ Société Paul Jacottet, publié N° Lexbase : A4696AGZ ; Cass. soc., 27 novembre 2002, n° 00-45.751, F-D N° Lexbase : A1188A4R). L'employeur a donc tout intérêt à négocier les délocalisations, pour éviter de devoir essuyer un éventuel refus du salarié.

Une solution pourrait alors consister à insérer une clause de mobilité au sein du contrat de travail du salarié, mais on sait que la Cour de cassation considère que la mise en oeuvre de la clause ne doit pas se traduire par un changement d'employeur. D'où l'intérêt d'imaginer des clauses de mobilité s'appliquant au sein de la holding ou stipulant que la mobilité pourra s'effectuer dans le groupe. La Cour de cassation a eu l'occasion d'admettre la validité d'une telle clause, s'agissant d'une mutation à l'intérieur des frontières françaises, dans une décision rendue le 20 octobre 1988 (Cass. soc., 20 octobre 1988, n° 86-43.227, Meunier c/ SA Agir, inédit N° Lexbase : A1328AAG). Cependant, à partir du moment où la création d'activité s'effectue au-delà du territoire national, la mise en oeuvre de la clause sera paralysée.

En effet, la Cour de cassation exige, pour que la mise en oeuvre d'une clause de mobilité soit valable, que celle-ci n'entraîne aucune autre modification du contrat de travail, qu'il s'agisse de la rémunération du salarié, de ses fonctions ou de tout autre élément contractualisé (voir, par exemple, pour le maintien de la rémunération contractuelle, Cass. soc., 13 juillet 2005, n° 03-44.632, F-D N° Lexbase : A9251DIH). Or, une mutation, a fortiori à l'étranger et sauf à ce que le salarié obtienne un statut d'expatrié, entraîne inéluctablement son lot de modifications contractuelles, à commencer par une modification de la rémunération. Prenons-en pour exemple l'affaire "Lycos", où 34 salariés s'étaient vu proposer de travailler en Arménie pour 300 à 500 euros... On comprend tout de suite les enjeux du problème : le salaire est adapté au coût de la vie dans le pays étranger et, par conséquent, subit immanquablement une révision.

Finalement, l'employeur, face à ces phénomènes de restructurations/délocalisations à l'étranger, se trouve relativement démuni et ne dispose d'aucun pouvoir de contrainte face à un salarié réfractaire à la mobilité. La seule solution valable réside, selon Christophe Radé, dans la négociation.

Pour Yves Fromont, le praticien doit se situer en amont de la délocalisation, et non dans la délocalisation, pour traiter ces phénomènes. En outre, en pratique, le traitement social du salarié va varier en fonction de son statut et de sa position dans l'entreprise. Généralement, les postes d'encadrement, postes clés dans l'entreprise, vont bénéficier d'un traitement différencié. Lors d'une mutation intergroupe, le salarié cadre va régler le sort de sa rémunération, de ses conditions de travail, de sa protection sociale...

S'agissant des autres salariés, il en va différemment. Cela étant, ils ne sont pas pour autant désarmés et c'est là, d'ailleurs, qu'interviennent les institutions représentatives du personnel (par exemple, obligation de consultation du comité d'entreprise) et les partenaires sociaux. Ils bénéficient d'un certain nombre d'outils, au nombre desquels figure, notamment, le fameux droit d'alerte.

2. Délocalisation et application de l'article L. 122-12 du Code du travail

Selon le professeur Christophe Radé, l'application de l'article L. 122-12 du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY) à la restructuration accompagnée d'une délocalisation n'est pas évidente et soulève des interrogations, au nombre desquelles figure celle de l'application de l'article L. 122-12 à l'hypothèse d'une délocalisation à l'étranger.

Selon Christophe Radé, l'autonomie dont est doté l'article L. 122-12 du Code du travail au regard des Directives communautaires lui permet de produire ses effets même lorsque lesdites directives ne s'appliquent pas (Directive (CE) n° 77/187 du Conseil du 14 février 1977, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements N° Lexbase : L4352GUQ ; Directive 98/50/CE du Conseil du 29 juin 1998 modifiant la Directive 77/187/CEE concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transferts d'entreprises, d'établissements ou de parties d'établissements N° Lexbase : L9988AUH ; Directive 2001/23/CE du Conseil du 12 mars 2001 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements N° Lexbase : L8084AUX).

En effet, dès lors que les conditions d'application de l'article L. 122-12 sont réunies, celui-ci doit s'appliquer au transfert transfrontalier.

Cela étant, puisque l'application du transfert ne doit entraîner aucune autre modification du contrat de travail, on peut aisément imaginer qu'en pratique, le cas ne pourra que très rarement, voire jamais, se présenter.

D'ailleurs, selon Yves Fromont, l'application de l'article L. 122-12 dans le cadre extraterritorial ne se rencontre guère en pratique. La mise en oeuvre des dispositions de l'article L. 122-12 n'est pas la solution pour laquelle les salariés optent le plus volontiers dans les plans de sauvegarde de l'emploi, ceux-ci préférant négocier la rupture de leur contrat de travail et obtenir des indemnités. Aussi, sauf peut être à voir transférer l'ensemble des composantes de leurs contrats de travail ce qui, en pratique, est utopique, les salariés sont peu enclins à bénéficier du jeu de l'article L. 122-12 dans le cadre extraterritorial. Et le praticien d'ajouter que, de surcroît, l'article L. 122-12 n'a pas été conçu à l'origine pour s'appliquer aux délocalisations. Par définition, l'article L. 122-12 n'implique qu'un changement d'employeur stricto sensu et non un changement d'entreprise ou de lieu de travail.

Dans la célèbre affaire "Vidéocolor" (Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, Société Thomson Tubes et Displays c/ Mme Steenhoute et autres, publié N° Lexbase : A4018AA3), le problème ne s'était pas posé sous l'angle de l'entité transférée, mais il s'agissait plus précisément de la question de savoir si les emplois avaient été transférés ou supprimés. Mais, que faut-il alors entendre par la notion d'"emploi" ? Ne faut-il pas conserver une approche "franco française" du contenu de l'emploi puisque, par hypothèse, le métier va quelque peu différer avec la délocalisation ?

3. Délocalisation et suppression d'emplois

La question de la suppression d'emplois liée à une délocalisation soulève deux problématiques ; d'une part, celle de la justification du licenciement et, d'autre part, celle du traitement social des salariés français victimes de la délocalisation.

  • Prise en compte des raisons de la délocalisation sur la justification du licenciement économique

Depuis l'arrêt "Vidéocolor" du 5 avril 1995, les difficultés économiques sont appréciées au regard du "secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise concernée". Par suite, dès lors que le groupe déborde les frontières françaises et compte des entreprises sur le sol étranger, il faudra prendre en considération cette composante internationale pour apprécier les difficultés économiques.

L'introduction de nouvelles technologies peut, également, constituer la cause du licenciement. Dans un arrêt "Lee Cooper" du 13 mai 2003, une société avait délocalisé son service informatique en Grand Bretagne et avait invoqué des arguments stratégiques à l'appui des licenciements prononcés, arguant, notamment, que "l'introduction de nouvelles technologies dans l'entreprise est de nature à justifier sa restructuration et à constituer une cause économique de la suppression de certains emplois" (Cass. soc., 13 mai 2003, n° 00-46.766, F-D N° Lexbase : A1477B9L). La Cour de cassation n'a pourtant pas cédé et a refusé de reconnaître que les licenciements prononcés reposaient sur une cause réelle et sérieuse, considérant par là même que la localisation géographique importe peu en matière de nouvelles technologies !

Parfois également, la délocalisation poursuit une finalité préventive ou, à tout le moins, semi préventive. C'est ici qu'intervient la fameuse "sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise", née des arrêts "Vidéocolor" en 1995. La position de la Chambre sociale sur ce motif de licenciement est toutefois très réservée, celle-ci faisant preuve d'une grande sévérité pour reconnaître qu'une réorganisation est entreprise dans le but de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise. Aussi, la Cour refuse d'admettre des arguments de pure stratégie, comme c'était le cas, par exemple, dans l'arrêt "Lee Cooper".

Ainsi que le souligne Yves Fromont, il y a encore 15 ans, les juges ne vérifiaient guère le prétendu intérêt de l'entreprise à délocaliser et à licencier. Désormais, les juges poussent très loin l'analyse et demandent des explications sur le pourquoi de la délocalisation, laissant une marge de manoeuvre affaiblie à l'employeur. Arguer que les coûts sont moins élevés à l'étranger ne suffit plus. Aujourd'hui, la notion de prise en compte du groupe est fondamentale pour procéder à une appréciation objective du motif du licenciement.

  • Traitement social du personnel licencié

La priorité est ici de reclasser les salariés menacés de licenciement. Or, ce reclassement doit intervenir non pas à l'échelle de l'entreprise, mais au niveau du groupe, même si certaines entreprises sont situées à l'étranger (Cass. soc., 7 octobre 1998, n ° 96-42.812, Société Landis et Gyr Building Control c/ M. Bellanger, publié N° Lexbase : A5643ACY).

Comme le rappelle Christophe Radé, l'employeur est tenu de proposer les postes disponibles à l'étranger, même s'il sait pertinemment que les salariés les refuseront. La Cour de cassation n'a de cesse répéter que le reclassement incombe à l'employeur et qu'à défaut de proposer ces postes, il sera condamné pour manquement à ses obligations de reclassement (Cass. soc., 9 février 2000, n° 97-44.023, Mme Sidonie Correia c/ Agence Office du tourisme et du commerce du Portugal, inédit N° Lexbase : A1244CQ7). En outre, le reclassement à l'étranger pose le problème de la compatibilité des statuts juridiques. Selon la Cour de cassation, le seul obstacle au reclassement à l'étranger est juridique, puisqu'il faut que "la législation applicable localement n'empêche pas l'emploi de salariés étrangers" (Cass. soc., 30 mars 1999, n° 97-40.304, M. Henri Jean Aimetti c/ Société Hudig Langeveldt SECA, actuellement société Aon France, inédit N° Lexbase : A3686C7N). Or, on sait que dans la pratique, il existe de nombreux autres obstacles que celui de l'incompatibilité des statuts juridiques.

Le Conseil d'Etat a, sur la question, sa propre position et fait référence à la notion de fonctions "compatibles" ou "comparables" (CE Contentieux, 17 novembre 2000, n° 206976, Mme Marie-Louise Goursolas et autres N° Lexbase : A9603AH7). Par ailleurs, en 2004, le Conseil d'Etat a ajouté un critère réaliste au reclassement à l'étranger, consistant à limiter les propositions de reclassement à l'étranger aux seuls salariés ayant manifesté un intérêt de principe à cet égard et permettant à l'employeur de faire un premier tour de table avant de procéder aux propositions formelles de reclassement à l'étranger (CE 3/8 SSR, 4 février 2004, n° 255956, Société Owens Corning Fiberglass France N° Lexbase : A2593DBN).

Reste à préciser que, dans tous les cas de reclassement à l'étranger, le droit de refus du salarié est absolu. Aussi, ne peut-on pas considérer comme excessive la jurisprudence, notamment de la Cour de cassation, sur le reclassement hors frontières, notamment lorsque l'on sait que l'employeur est tenu à une obligation de bonne foi en la matière ?

Selon Yves Fromont, la mobilité hors frontières reste difficile à mettre en oeuvre en pratique. Certaines entreprises ont adopté une solution consistant à laisser les salariés apprécier eux-mêmes l'offre en se rendant sur place, ce qui paraît aller dans le sens d'un certain réalisme. En outre, lorsque le reclassement à l'étranger devient impossible pour telle ou telle raison, on aura recours à des mesures plus classiques, consistant à octroyer des indemnités pour un projet ou des formations pour des salariés inadaptés (cabinet d'outplacement).

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Rel. collectives de travail

[Textes] Présentation de l'ordonnance du 1er décembre 2005 de simplification du droit dans le domaine des élections aux institutions représentatives du personnel

Réf. : Ordonnance 01-12-2005, n° 2005-1478, de simplification du droit dans le domaine des élections aux institutions représentatives du personnel (N° Lexbase : L4068HDZ)

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N1843AKH

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Le 07 Octobre 2010

Ainsi que l'indique son intitulé même, la courte ordonnance du 1er décembre 2005 vient apporter quelques simplifications dans le domaine des élections aux institutions représentatives du personnel. Si on hésitera à dire qu'en matière de droit du travail toute simplification est bonne à prendre, il faut en tous les cas se féliciter de celle-là. L'ordonnance en cause vient, en effet, apporter des réformes qui étaient attendues et souhaitées de longue date. Il en va principalement ainsi de l'unification du contentieux en matière de reconnaissance des établissements distincts. Désormais, qu'il s'agisse de la détermination de l'établissement distinct pour la mise en place d'un comité d'établissement ou des délégués du personnel, c'est l'autorité administrative qui sera compétente.



1. Unification du contentieux en matière de reconnaissance des établissements distincts
  • Dualité du contentieux

Pour reprendre les propos d'un auteur, "l'établissement apparaît comme la collectivité de travail élémentaire" (G. Couturier, Traité de droit du travail, Tome 2 : Les relations collectives de travail, Puf, 1ère éd., 2001, § 13). Les règles du droit du travail qui s'y réfèrent sont d'ailleurs nombreuses. Ainsi, l'article R. 517-1 du Code du travail (N° Lexbase : L0663ADW) précise que "le conseil de prud'hommes territorialement compétent pour connaître d'un litige est celui dans le ressort duquel est situé l'établissement où est effectué le travail". De même, la négociation collective peut se dérouler au sein d'un établissement (v., par ex., Cass. soc., 27 octobre 1999, n° 98-40.769, Electricité de France c/ M. Chaize et autres N° Lexbase : A4844AGI, Dr. soc. 2000, p. 189, obs. G. Couturier). Mais, on le sait, ce sont d'abord les règles relatives à la représentation du personnel dans l'entreprise qui prennent l'établissement pour cadre. On mesure, ce faisant, toute l'importance de déterminer, antérieurement à l'organisation des élections, le nombre d'établissements distincts dans une entreprise.

Si cette détermination pose évidemment la question de la définition de l'établissement distinct, c'est sur la procédure de reconnaissance de celui-ci que l'ordonnance commentée invite à revenir. Jusqu'à cette dernière, en effet, cette procédure variait selon l'institution représentative en cause, ce qui ne pouvait qu'être regretté.

La loi était toutefois claire s'agissant de l'élection des comités d'établissement puisque, en application de l'article L. 433-2, alinéa 9, du Code du travail (N° Lexbase : L6419ACQ), "dans chaque entreprise, à défaut d'accord entre le chef d'entreprise et les organisations syndicales intéressées, le directeur départemental du travail et de l'emploi du siège de l'entreprise a compétence pour reconnaître le caractère d'établissement distinct".

En revanche, aucun texte n'admettait la compétence de l'autorité administrative pour la reconnaissance des établissements distincts au regard de l'élection des délégués du personnel. L'article L. 423-4 (N° Lexbase : L6364ACP) précisait uniquement que la perte de la qualité d'établissement distinct pouvait être reconnue par décision judiciaire.

En d'autres termes, la loi ne prévoyait nullement quelle était l'autorité compétente en matière de contentieux relatif au découpage de l'entreprise en établissements distincts pour la mise en place des délégués du personnel. Aussi, dans le silence de la loi, la jurisprudence considérait-elle de longue date que c'était le tribunal d'instance qui était compétent pour les litiges en la matière. Ce principe de solution avait été dégagé par le tribunal des conflits, dans une décision du 8 février 1965 (T. confl., 8 février 1965, CFTC c/ SA Citroën N° Lexbase : A9888ASZ, JCP 1965, II, 14109, note Lindon).

Jusqu'à l'ordonnance du 1er décembre 2005, on était donc en présence d'une dualité du contentieux puisque si le juge judiciaire était compétent pour la détermination de l'établissement distinct lorsqu'il s'agissait de la mise en place des délégués du personnel, c'est le directeur départemental du travail qui intervenait lorsqu'il s'agissait de la mise en place d'un comité d'établissement.

  • Unification et simplification

L'ordonnance commentée vient, enfin, mettre un terme à cette regrettable dualité, au profit de l'autorité administrative. En effet, l'article L. 423-4 du Code du travail dispose désormais, dans son alinéa 1er, que "dans chaque entreprise, à défaut d'accord entre le chef d'entreprise et les organisations syndicales intéressées, le caractère d'établissement distinct est reconnu par l'autorité administrative". Parallèlement, le texte vient retoucher l'alinéa 9 de l'article L. 433-2 précédemment évoqué, qui précisera désormais que "dans chaque entreprise, à défaut d'accord entre le chef d'entreprise et les organisations syndicales intéressées, le caractère d'établissement distinct est reconnu par l'autorité administrative compétente" (1).

L'ordonnance, et c'est là son intérêt majeur, vient donc unifier le contentieux en matière de reconnaissance des établissements distincts (2). Désormais, en cas de litige, est seule compétente l'autorité administrative. Cela aura évidemment pour conséquence de transférer au Conseil d'Etat le soin de trancher, en dernier recours, les litiges relatifs à la détermination des établissements distincts relativement à l'élection des délégués du personnel.

Il faut, par suite, souhaiter que cette juridiction s'inspirera de la définition que la Cour de cassation a, au fil de nombreux arrêts, su donner de l'établissement distinct. Rappelons que la Chambre sociale considère que "l'établissement distinct permettant l'élection des délégués du personnel se caractérise par le regroupement d'au moins onze salariés constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres, susceptible de générer des réclamations communes et spécifiques et travaillant sous la direction d'un représentant de l'employeur, peu important que celui-ci ait le pouvoir de se prononcer sur ces réclamations" (Cass. soc., 29 janvier 2003, n° 01-60.628, FS-P+B+R+I N° Lexbase : A7668A4R, lire La nouvelle définition de l'établissement distinct, Lexbase Hebdo n° 101 du 13 février 2003 - édition sociale N° Lexbase : N9956AAY ; Dr. soc. 2003, p. 453, obs. J. Savatier).

Si l'on ne saurait dire que le Conseil d'Etat a, quant à lui, donné une définition de l'établissement distinct pour la mise en place du comité d'entreprise, il résulte toutefois d'une jurisprudence constante de celui-ci que l'établissement distinct est caractérisé par trois critères : une implantation géographique distincte, un caractère de stabilité et un degré d'autonomie minimum quant à la gestion du personnel et à l'organisation du travail (v., par ex., CE, 6 mars 2002, Fédération nationale CGT des personnels des secteurs financiers N° Lexbase : A2671AYL, RJS 7/02, n° 834. Adde M. Cohen, Le droit des comités d'entreprise et des comités de groupe, LGDJ, 8ème éd., 2005, pp. 141 et s.).

Soulignons, pour conclure, que la Cour de cassation aura toujours son mot à dire en matière d'établissement distinct, dans la mesure où l'autorité judiciaire reste compétente pour les litiges surgissant à propos de la désignation des délégués syndicaux et mettant en cause la reconnaissance d'un établissement distinct (3).

2. Dispositions diverses

  • Eligibilité des salariés

Pour pouvoir être élu en qualité de délégué du personnel ou de membre du comité d'entreprise, les salariés doivent remplir un certain nombre de conditions posées par la loi (C. trav., art. L. 423-8 N° Lexbase : L6368ACT et L. 433-5 N° Lexbase : L6422ACT). Parmi celles-ci, figurait l'exigence que les salariés aient travaillé dans l'entreprise sans interruption depuis un an au moins. L'expression "sans interruption", utilisée par les textes, pouvait prêter à équivoque. Ainsi que le soulignait toutefois le Professeur Couturier, "on doit comprendre qu'elle s'applique à l'appartenance à l'entreprise et non pas au travail effectif : le fait que le l'exécution du contrat de travail ait été suspendue au cours de l'année précédente ne rend pas le salarié inéligible. Peu importerait même que le contrat soit suspendu lors de l'élection" (G. Couturier, ouvrage préc., p. 104 et la jurisp. citée).

L'ordonnance commentée met définitivement un terme aux hésitations que l'expression "sans interruption" pouvait faire naître. En application de l'article 3 du texte, cette dernière est en effet supprimée dans les articles L. 423-8 et L. 433-5 du Code du travail.

  • Application de l'ordonnance

Ainsi que le précise l'article 4 de l'ordonnance, les dispositions de celle-ci sont applicables aux élections professionnelles dont l'organisation a fait l'objet de l'affichage prévu par les dispositions du premier alinéa de l'article L. 423-18 (N° Lexbase : L7795HBC), du premier alinéa de l'article L. 433-13 (N° Lexbase : L7722HBM), ou de la décision de l'autorité administrative prise en application du cinquième alinéa de l'article L. 421-1 (N° Lexbase : L6352ACA), lorsque la date de l'affichage ou celle de la décision est postérieure à la date d'entrée en vigueur de l'ordonnance.

Gilles Auzero
Professeur à l'Université Montesquieu Bordeaux IV


(1) Il faut encore noter que l'ordonnance modifie l'alinéa 3 de l'article L. 423-3 (N° Lexbase : L6363ACN) et l'alinéa 7 de l'article L. 433-2 (N° Lexbase : L6419ACQ) du Code du travail, afin de remplacer les mots "inspecteur du travail" par les mots "autorité administrative".

(2) Il convient, en outre, de relever qu'au moins pour les délégués du personnel, l'ordonnance vient organiser la procédure de reconnaissance des établissements distincts. Reprenant la jurisprudence en la matière et les dispositions applicables aux comités d'établissement, la réforme donne la priorité aux partenaires sociaux. Ce n'est qu'à défaut d'accord que l'autorité administrative est appelée à intervenir.

(3) Pour la Chambre sociale, "caractérise un établissement distinct permettant la désignation de délégués syndicaux le regroupement sous la direction d'un représentant de l'employeur d'au moins cinquante salariés constituant une communauté de travail ayant des intérêts propres susceptibles de générer des revendications communes et spécifiques, peu important que le représentant de l'employeur ait le pouvoir de se prononcer sur ces revendications" (Cass. soc., 24 avril 2003, n° 01-60.876, F-P+B+R+I N° Lexbase : A6796BMN, lire Confirmation de la nouvelle définition de l'établissement distinct, Lexbase Hebdo n° 69 du 1er mai 2003 - édition sociale {"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 3160197, "corpus": "reviews"}, "_target": "_blank", "_class": "color-reviews", "_title": "[Jurisprudence] Confirmation de la nouvelle d\u00e9finition de l'\u00e9tablissement distinct", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: N7092AAW"}} ; Dr. soc. 2003, p. 78, obs. J. Savatier).

newsid:81843

Rel. collectives de travail

[Jurisprudence] L'effet relatif des usages et engagements unilatéraux transférés au nouvel employeur

Réf. : Cass. soc., 7 décembre 2005, n° 04-44.594, Société Foster Wheeler France c/ M. Pierre Zaviopoulos, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8958DLD)

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N1904AKQ

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

Le 07 Octobre 2010

La cession de l'entreprise entraîne classiquement la cession des contrats de travail mais, également, celle du statut collectif applicable dans l'entreprise. Si cette cession équivaut, en réalité, à une dénonciation des accords, dès lors que le nouvel employeur ne s'y trouve pas personnellement obligatoirement assujetti, les usages et engagements unilatéraux lui sont opposables. Dans cet arrêt rendu le 7 décembre 2005, la Chambre sociale de la Cour de cassation précise toutefois que seuls les salariés dont le contrat de travail a été maintenu pourront en bénéficier, à l'exclusion des salariés embauchés postérieurement au transfert. Cette solution, affirmée pour la première fois avec autant de netteté, souligne la nature ambivalente des usages et engagements unilatéraux et n'est pas pleinement satisfaisante (1). Le débat n'avait pas été placé sur le terrain du respect "A travail égal, salaire égal", pourtant en jeu ici, même si la différence de traitement induite par la décision nous semble justifiée (2).
Décision

Cass. soc., 7 décembre 2005, n° 04-44.594, Société Foster Wheeler France c/ M. Pierre Zaviopoulos, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8958DLD)

Cassation (conseil de prud'hommes de Martigues, 9 avril 2004)

Textes visés : C. trav., art. L. 122-12, al. 2 (N° Lexbase : L5562ACY) ; C. trav., art. L. 132-8, al. 7 (N° Lexbase : L5688ACN) ; C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC)

Mots-clefs : transfert d'entreprise ; sort des usages et engagements unilatéraux ; maintien ; bénéfice réservé aux seuls salariés embauchés antérieurement au transfert.

Lien bases :

Apport de l'arrêt

En cas de transfert d'une entité économique autonome, le nouvel employeur n'est tenu d'appliquer les usages et engagements unilatéraux pris par l'ancien employeur qu'à l'égard des salariés dont le contrat était en cours au jour du transfert.

Faits

1. En avril 1989, dans le cadre d'une opération de restructuration, les salariés de la société Foster Wheeler France ont été transférés à la société Foster Wheeler conception études entretien.

Cette dernière société a engagé M. X en février 1990, lequel, mis à la retraite le 15 juin 2001 au titre d'un dispositif de replacement pour l'emploi (ARPE), a réclamé le bénéfice d'une prime dite "Richard", résultant d'un engagement unilatéral pris en 1967 par la direction de la société Foster Wheeler France en faveur de ses salariés partant à la retraite.

2. Pour condamner la société Foster Wheeler France à verser au salarié des sommes à titre de rappel de prime dite "Richard", le conseil de prud'hommes a retenu que l'engagement unilatéral pris en 1967 était maintenu non seulement au bénéfice de ceux de ses salariés dont le contrat de travail avait ensuite été transféré en 1989, mais également des salariés engagés par la société Foster Wheeler conception études entretien, postérieurement au transfert.

Solution

1. "En cas de transfert d'une entité économique autonome, le nouvel employeur n'est tenu d'appliquer les usages et engagements unilatéraux pris par l'ancien employeur qu'à l'égard des salariés dont le contrat était en cours au jour du transfert".

2. "Le conseil de prud'hommes a violé, par fausse application, les textes susvisés. Casse et annule, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 9 avril 2004, entre les parties, par le conseil de prud'hommes de Martigues ; dit n'y avoir lieu à renvoi du chef faisant l'objet de la cassation".

Commentaire

1. L'effet relatif du maintien de l'engagement unilatéral après transfert d'entreprise

  • Principes légaux applicables en cas de transfert d'entreprise

L'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY), assure la survivance des contrats de travail entre les salariés de l'entreprise et le cessionnaire de cette dernière.

Les règles applicables au statut collectif en cas de transfert sont plus complexes.

S'agissant des accords de branche ou des accords professionnels ou interprofessionnels, le transfert ne présente pas de difficulté lorsque le cessionnaire est lui-même tenu d'appliquer l'accord, soit parce que ce dernier a été étendu, soit parce qu'il adhère à une organisation patronale qui en est signataire.

Dans les autres hypothèses, qu'il s'agisse d'accords de branche ou professionnels non étendus et qui ne s'appliquent pas en raison de la non appartenance de l'employeur à une organisation patronale signataire, ou pour les accords d'entreprise, la cession de cette dernière vaut en réalité dénonciation de l'accord.

L'article L. 132-8, alinéa 7, du Code du travail, impose alors une période de survie de 12 mois maximum, en attendant qu'un accord de substitution soit conclu dans l'entreprise "soit pour l'adaptation aux dispositions conventionnelles nouvellement applicables, soit pour l'élaboration de nouvelles dispositions". A l'issue de cette période, les salariés conserveront le bénéfice des avantages individuels acquis sur le fondement de l'accord éteint.

  • Principes jurisprudentiels applicables aux usages et engagements unilatéraux

Le Code du travail n'a toutefois rien prévu s'agissant des usages d'entreprises ou des engagements unilatéraux collectifs de l'employeur.

La jurisprudence a considéré que ces usages et engagements unilatéraux étaient transférés au nouvel employeur et qu'il appartenait à ce dernier, le cas échéant, de les dénoncer, conformément aux règles élaborées par la Cour de cassation (pour les usages : Cass. soc., 18 octobre 1995, n° 94-40.457, Société Les Rapides de Saône-et-Loire c/ M. Michel Renard et autres, inédit N° Lexbase : A2131AA8, JCP G 1996, II, 22628, note Ph. Coursier ; pour les engagements unilatéraux : Cass. soc., 4 février 1997, n° 95-41.468, Société Total raffinage distribution c/ Consorts Rocaboy et autres N° Lexbase : A2094ACK).

  • La question de l'étendue du maintien

Reste à déterminer le champ d'application personnel de ces règles et, notamment, la possibilité reconnue aux autres salariés, qui ne sont pas issus du transfert, d'en revendiquer l'application, qu'il s'agisse des salariés appartenant à l'entreprise cessionnaire ou de ceux qui auraient été recrutés après le transfert.

C'est à cette question délicate que devait répondre la Chambre sociale de la Cour de cassation dans cette affaire, semble-t-il pour la première fois, et l'examen de la jurisprudence ne dégageait pas de réponse évidente. Des formules très générales ne semblaient pas induire de restriction quant aux salariés concernés par le maintien (ainsi, Cass. soc., 4 février 1997, n° 95-41.468, Société Total raffinage distribution c/ Consorts Rocaboy et autres N° Lexbase : A2094ACK, préc. : "l'engagement unilatéral pris par un employeur est transmis, en cas d'application de l'article L. 122-12 du Code du travail, au nouvel employeur, qui ne peut y mettre fin qu'à la condition de prévenir individuellement les salariés et les institutions représentatives du personnel dans un délai permettant d'éventuelles négociations" ; Cass. soc., 23 septembre 1992, n° 89-45.656, Assedic de l'Isère et autre c/ M Ait Byalla Mohamed et autres, publié N° Lexbase : A1100AAY : "l'usage était opposable au nouvel employeur" ; dernièrement Cass. soc., 21 septembre 2005, n° 03-43.532, F-P+B N° Lexbase : A5053DKD : "l'engagement unilatéral pris par un employeur est transmis, en cas d'application de l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail, au nouvel employeur") mais, dans d'autres décisions, la Haute juridiction indiquait que "par le simple effet du transfert d'entreprise dans le cadre de l'absorption de la société L. par la société M., cette dernière était tenue des engagements unilatéraux pris par la première" (Cass. soc., 17 mars 1998, n° 95-42.100, M. Friberg c/ Société Moore France, publié N° Lexbase : A2525ACI), ce qui pouvait laisser penser que seuls les salariés de l'entreprise cédée continueraient d'en bénéficier, ou même que le cessionnaire "doit également appliquer au personnel de l'entité économique transférée les usages et engagements unilatéraux en vigueur au jour du transfert", ce qui semblait a contrario exclure les salariés recrutés postérieurement (Cass. soc., 9 octobre 2001, n° 99-43.661, Mme Michèle Fournier, épouse Bauduin, publié N° Lexbase : A2213AWU).

  • Examen de l'espèce

Dans le cadre d'une opération de restructuration, les salariés d'une société avaient été transférés à une autre société du groupe. Un salarié, embauché quelques mois plus tard, avait réclamé le bénéfice d'une prime de mise à la retraite en vigueur dans l'entreprise cédée en vertu d'un engagement unilatéral pris plusieurs années plus tôt par l'ancien employeur.

Le conseil de prud'hommes de Martigues lui avait donné raison, considérant que l'engagement unilatéral transféré devait profiter à l'ensemble des salariés de la nouvelle entreprise, et ce même s'ils avaient été recrutés postérieurement au transfert.

Or, tel n'est pas l'avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui casse ce jugement, au visa des articles L. 122-12, alinéa 2, L. 132-8, alinéa 7, du Code du travail et 1134 du Code civil, considérant qu'"en cas de transfert d'une entité économique autonome le nouvel employeur n'est tenu d'appliquer les usages et engagements unilatéraux pris par l'ancien employeur qu'à l'égard des salariés dont le contrat était en cours au jour du transfert".

  • La nature ambivalente des usages et engagements unilatéraux

Le visa de l'article 1134 du Code civil, ainsi que la référence aux contrats "en cours au jours du transfert", traduisent incontestablement la volonté de la Haute juridiction de subordonner le transfert de l'engagement non au transfert du statut collectif, auquel fait allusion l'article L. 132-8, alinéa 7, du Code du travail, pourtant visé par la Cour, mais bien à celui des contrats de travail, par application de l'article L. 122-12 du Code du travail. Ce faisant, la Haute juridiction semble s'écarter de l'analyse classique qui visait à intégrer les usages et autres engagements unilatéraux dans le "statut collectif" applicable dans l'entreprise, pour le rattacher directement au contrat de travail.

Or, c'est bien ce rattachement au contrat de travail des salariés transférés qui justifie le refus d'en faire bénéficier les salariés qui n'avaient pas été concernés par le transfert, parce qu'ils avaient été recrutés postérieurement à celui-ci. L'effet relatif du transfert des engagements et usages constitue bien le pendant du principe de l'effet relatif des contrats présent dans l'article 1165 du Code civil (N° Lexbase : L1267ABK).

  • Une solution en partie justifiée

Ce refus de rattacher ici usages et engagements unilatéraux au statut collectif se justifie en partie, à la fois pour des raisons juridiques et d'opportunité.

Juridiquement, tout d'abord, l'engagement unilatéral de l'employeur n'est pas un accord collectif. Il ne s'agit pas d'un accord de volonté, mais d'une manifestation unilatérale de volonté de l'employeur. Il n'est pas, en tous cas formellement, négocié avec les syndicats représentatifs de l'entreprise, et n'est pas soumis au régime des conventions collectives, même si les principes applicables à sa dénonciation s'en inspirent indiscutablement.

En opportunité, ensuite, la non application des dispositions de l'article L. 132-8 du Code du travail, pourtant visé dans l'arrêt, n'apparaît pas nécessairement comme une mauvaise chose car le transfert de l'entreprise ne vaut pas dénonciation de l'engagement ou de l'usage.

Ces derniers continueront donc de produire effet au-delà du délai de 12 mois qui marque l'extinction des accords transférés, en l'absence d'accord de substitution.

Cet avantage n'est toutefois que très relatif lorsqu'un accord d'entreprise, ayant le même objet, sera conclu dans l'entreprise postérieurement au transfert. Dans cette hypothèse, en effet, cet accord se substituera de plein droit à l'engagement (Cass. soc., 28 janvier 1998, n° 95-45.220, M. Nicolas et autres c/ Commissariat à l'énergie atomique (CEA), publié N° Lexbase : A5396ACT, Dr. soc. 1998, p. 528, obs. G. Couturier ; Cass. soc., 6 juin 2000, n° 98-40.289, Société Unibail participations c/ M Giuliacci, publié N° Lexbase : A6699AHL) ou à l'usage (Cass. soc., 9 juillet 1996, n° 94-42.773, M. Roche c/ Conseil général de la Côte-d'Or et autre N° Lexbase : A2144AAN, Dr. soc. 1996, p. 906, note J. Déprez ; JCP E 1997, II, 938, note G. Lachaise), sans qu'il soit, par ailleurs, nécessaire de le dénoncer formellement. De ce point de vue, l'engagement unilatéral est soumis au même régime que l'accord collectif.

L'analyse contractuelle présente également un avantage sur le plan individuel en l'absence d'accord de substitution. Une fois l'accord collectif éteint, après 12 mois de survie, les salariés ne conserveront que le bénéfice des avantages individuels acquis. Or, les salariés cédés continueront à bénéficier de l'engagement unilatéral de l'employeur dans toutes ses dispositions, individuelles comme collectives, et ce même s'ils n'ont pas bénéficié des avantages antérieurement au transfert.

  • Un rattachement contractuel non satisfaisant

L'analyse contractuelle qui guide ici le juge n'est donc pas défavorable aux salariés sur le plan pratique, mais elle n'est guère satisfaisante.

La Cour de cassation a, en effet, toujours refusé de considérer que les avantages garantis par un usage -mais le raisonnement vaut également pour les engagements unilatéraux- soient intégrés au contrat de travail ; l'employeur est donc en droit d'y mettre un terme, en respectant les formalités de dénonciation adéquates, sans que les salariés ne puissent s'y opposer en prétendant refuser une modification de leur contrat de travail qui n'a, en réalité, pas eu lieu (Cass. soc., 25 février 1988, n° 85-40.821, Mme Deschamps et autres c/ Société Desarbre, publié N° Lexbase : A1751ABH, Dr. soc. 1989, p. 86, obs. A. Penneau).

Le lien qui unit l'engagement unilatéral ou l'usage au contrat de travail est alors ambigu. Ce dernier semble lui servir de support, au moment du transfert de l'entreprise, mais non pas de fondement ni avant, ni après. De ce point de vue, l'engagement et l'usage appartiennent plutôt au statut collectif.

Cette ambivalence n'est guère satisfaisante sur le plan intellectuel, même si on comprend les raisons qui poussent le juge à jouer sur les deux tableaux.

Il nous semblerait plus cohérent et plus logique de choisir purement et simplement l'analyse statutaire ou contractuelle.

L'analyse statutaire, qui nous semble la plus logique, imposerait alors de raisonner par analogie avec les accords collectifs et de considérer que les engagements et usages de l'ancien employeur ne sont pas transférés au nouvel acquéreur, la cession valant, comme c'est le cas pour les accords collectifs, dénonciation. La solution serait toutefois sévère pour les salariés puisque aucune période de survie n'existerait, ni aucun principe de maintien des avantages individuels acquis. Mais n'appartiendrait-il pas alors au Parlement d'intervenir et de reconnaître la validité de ces sources de droit et d'en construire le régime ?

2. Valeur de la solution au regard du principe "A travail, salaire égal"

  • L'enjeu du débat

On peut s'étonner que dans cette affaire le salarié n'ait pas également placé le débat sur le terrain du respect du principe "A travail égal, salaire égal", ce qui aurait pu lui permettre d'augmenter ses chances de succès. Sans doute n'y aura-t-il pas pensé, même si, il faut bien l'admettre, l'argument était voué à l'échec.

  • Une différence de traitement justifiée

La Cour de cassation a eu l'occasion de préciser que la différence de traitement constatée entre les salariés de l'entreprise cédée et celle de l'entreprise cédante pouvait être justifiée, précisément par les droits particuliers que les premiers tiraient de l'article L. 132-7 du Code du travail (N° Lexbase : L4696DZX), lequel impose le maintien des avantages individuels acquis postérieurement à l'extinction de l'accord transféré, en l'absence de conclusion d'un accord de substitution (Cass. soc., 11 janvier 2005, n° 02-45.608, FS-P N° Lexbase : A0168DGC).

Cette décision est d'ailleurs à mettre en parallèle avec une autre, rendue quelques semaines plus tard, qui avait refusé d'admettre qu'une différence de traitement soit justifiée uniquement par la seule date d'embauche des salariés, à défaut d'autres éléments justificatifs (Cass. soc., 25 mai 2005, n° 04-40.169, FS-P+B N° Lexbase : A4304DIA).

En d'autres termes, la différence tenant à la date d'embauche des salariés ne saurait suffire à justifier une différence de traitement, l'employeur étant tenu d'indiquer en quoi cette différence recouvre une différence de situation entre les salariés, comme c'était le cas dans cet arrêt où les salariés embauchés avant la réduction de la durée du travail applicable dans l'entreprise subissaient une baisse de rémunération.

newsid:81904

Fiscalité financière

[Textes] La Directive "épargne" : présentation critique (1ère partie)

Réf. : Directive (CE) n° 2003/48 du Conseil, du 3 juin 2003, en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts (N° Lexbase : L6608BH9)

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N2018AKX

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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)

Le 07 Octobre 2010

Les revenus de l'épargne sous forme de paiement d'intérêts de créances constituent des revenus imposables pour les résidents de tous les Etats membres de la Communauté européenne (CE). Toutefois, en l'absence d'une coordination des régimes nationaux concernant la fiscalité des revenus de l'épargne, il est actuellement possible aux résidents des Etats membres d'échapper à toute forme d'imposition sur les intérêts perçus dans un Etat membre différent de celui où ils résident. Depuis le 1er juillet 2005, la lutte contre la prolifération des paradis fiscaux et des régimes fiscaux préférentiels connaît, pour les pays membres de la CE et certains de leurs voisins, une avancée significative avec l'entrée en vigueur de la Directive 2003/48/CE du 3 juin 2003 en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiement d'intérêts (Directive "épargne"). Celle-ci a, en effet, pour objectif l'imposition effective des revenus de l'épargne sous forme de paiement d'intérêts dans l'Etat membre où le bénéficiaire effectif a sa résidence fiscale, conformément aux dispositions législatives de ce dernier Etat membre. A cette fin, elle pose le principe de la transmission, obligatoire et systématique, par l'agent payeur de l'Etat de la source des intérêts d'un contenu minimal d'informations à l'Etat membre de résidence du bénéficiaire (cf. La Directive "épargne" : présentation critique (2ème partie) N° Lexbase : N6353AKI). Nous ne sommes, donc, pas en présence d'une harmonisation de la fiscalité européenne de l'épargne, mais bien de la mise en place d'un système d'échange de renseignements. Le seul objectif de cette directive est d'assurer que les Etats membres disposent des informations suffisantes leur permettant d'appliquer à leurs propres résidents le taux d'imposition qu'ils jugent approprié. Cette remarque est d'importance. En effet, si les Etats membres ne parviennent pas à se mettre d'accord sur des taux ou sur des modalités d'imposition, un consensus quasi général se dégage sur l'opportunité d'accentuer l'échange de renseignements pour des raisons fiscales. Ce consensus dépasse, d'ailleurs, le cadre des Etats de la CE. La question a, ainsi, été débattue au sein de l'OCDE, qui a présenté une série de recommandations non contraignantes pour l'amélioration de l'accès aux renseignements bancaires à des fins fiscales.

Le 24 juin 2005, le Conseil a adopté la "Green light note" qui a déclenché, au 1er juillet 2005, l'application dans les Etats membres, dans cinq pays tiers européens (Suisse, Liechtenstein, Andorre, Monaco et Saint-Marin) et dans les territoires dépendants ou associés de certains Etats membres (pour la Grande-Bretagne : Jersey, Guernesey, l'île de Man, les îles Vierges britanniques, Montserrat, les îles Caïmans et Anguilla ; pour les Pays-Bas : Aruba et les Antilles néerlandaises) des mesures approuvées. En effet, les deux conditions requises à son entrée en vigueur ont été remplies :

  • d'une part, les accords entre la CE et les cinq pays tiers situés en Europe, qui devaient prévoir des mesures équivalentes aux mesures prévues dans la Directive, ont été signés ;
  • d'autre part, les accords avec les territoires dépendants ou associés de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas, qui devaient prévoir des mesures identiques aux mesures prévues dans la Directive, ont, également, été signés.

S'agissant de la transposition de la Directive dans le droit fiscal français, l'article 24 de la loi de finances rectificative pour 2003 (loi n° 2002-1575, 30 décembre 2002 N° Lexbase : L9371A8L) a prévu de nouvelles obligations à la charge des établissements payeurs français et des sanctions corrélatives. De nouvelles obligations d'information sont, également, mises à la charge des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM). Enfin, un mécanisme pour permettre l'imputation sur l'impôt sur le revenu de la retenue à la source perçue sur les intérêts en provenance d'Autriche, de Belgique et du Luxembourg a été mis en place.

Ces mesures, codifiées aux articles 242 ter , 1768 bis et 199 ter du CGI, qui devaient initialement s'appliquer aux intérêts payés à compter du 1er janvier 2005, sont, conformément à la modification apportée par l'article 36 de la loi de finances rectificative pour 2004 (loi n° 2004-1485, 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004 N° Lexbase : L5204GUB), entrées en vigueur le 1er juillet 2005. Le décret n° 2005-132 du 15 février 2005 (décret n° 2005-132, 15 février 2005, transposant l'article 6 de la Directive 2003/48/CE du Conseil, du 3 juin 2003, en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts N° Lexbase : L9667G78) a précisé le contenu des obligations des établissements payeurs et des OPCVM, notamment en matière d'identification des bénéficiaires effectifs et des revenus qualifiés d'intérêts. L'administration, dans une instruction du 12 août 2005 (BOI n° 5 I-3-05 N° Lexbase : X3417ADW), a présenté en détail les modalités d'application de ces nouvelles dispositions issues de la Directive "épargne".

Afin d'examiner la véritable portée de la Directive "épargne", nous nous attacherons, d'abord, à définir les opérateurs et les revenus entrant dans son champ d'application (1). Nous examinerons, ensuite, les procédures d'imposition et les procédures d'échanges d'informations qu'elle prévoit (2). Enfin, nous en analyserons les limites, qui tiennent toutes au caractère restreint de son périmètre (3).

1. Les opérateurs et les revenus concernés par la Directive

1.1. L'agent payeur est l'opérateur qui paie les intérêts ou en attribue le paiement au bénéficiaire effectif

  • L'agent payeur se situe immédiatement avant le bénéficiaire effectif dans la chaîne de paiements

Au sens de la Directive, l'agent payeur est l'opérateur économique qui paie des intérêts ou attribue le paiement d'intérêts au profit immédiat d'une personne qualifiée de bénéficiaire effectif, que cet opérateur soit le débiteur de la créance produisant les intérêts ou la personne chargée du paiement des intérêts par le débiteur ou le bénéficiaire effectif. L'agent payeur se situe, donc, immédiatement avant le bénéficiaire effectif dans la chaîne de paiements. Ainsi, les organismes de placement collectifs en valeurs mobilières (OPCVM) "coordonnés" n'ont la qualité d'agent payeur au sens de la Directive "épargne" que s'ils versent directement des intérêts à des bénéficiaires effectifs (instruction du 12 août 2005, n° 7).

L'article 242 ter du CGI, qui définit en droit interne la notion d'établissement payeur de revenus de capitaux mobiliers (1), prévoit l'individualisation des intérêts, au sens de cette Directive, par les agents payeurs lors du paiement à des bénéficiaires effectifs résidents d'un autre Etat membre de l'Union européenne.

De fait, l'agent payeur sera le plus souvent un établissement financier (2), un établissement de crédit (3) ou encore une société commerciale, voire une personne physique versant des intérêts à un actionnaire étranger en rémunération de son compte courant d'associé (4). Quant aux sociétés d'investissement à capital variable (Sicav) "non coordonnées", elles sont considérées comme des agents payeurs, lorsque leur portefeuille est composé exclusivement d'obligations françaises et qu'elles versent directement le "coupon-obligations" à leurs actionnaires résidents d'un Etat dans le champ de la Directive "épargne".

  • Le principe de l'acquisition de la qualité d'agent payeur au moment du paiement connaît une exception dans l'hypothèse où c'est une "entité" qui a reçu les sommes qualifiées d'intérêts au profit de bénéficiaires effectifs

Par "entités" au sens de la Directive "épargne", il faut entendre des organismes ou structures qui cumulativement n'ont pas de personnalité morale, ne sont pas passibles de l'impôt sur les sociétés ou d'un impôt équivalent et ne sont pas des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM). L'"entité" est, alors, considérée comme un agent payeur au moment de la réception des intérêts pour l'application de la Directive "épargne".

Sont, notamment, visés les fonds communs de créances (FCC) mentionnés aux articles L. 214-43 et suivants du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L8018HBL), ou certains fonds communs de placement "non coordonnés" (c'est-à-dire ne bénéficiant pas de la procédure de reconnaissance mutuelle des agréments prévue par la Directive 85/611/CEE du Conseil du 20 décembre 1985 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant certains organismes de placement collectif en valeurs mobilières N° Lexbase : L9653AU3), tels que les fonds communs de placement à risques (FCPR), les fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI), les fonds d'investissement de proximité (FIP) ou les fonds communs de placement d'entreprise (FCPE) (5).

Les sociétés en participation relevant de l'article 8 du CGI sont, également, considérées comme des entités. En revanche, les clubs d'investissements constitués sous la forme d'indivision ne sont pas des entités au sens de la Directive "épargne".

Ces entités sont soumises aux obligations d'individualisation des intérêts reçus pour le compte d'un bénéficiaire effectif non résident. Cependant, en application de l'article 49, I ter, I, alinéa 3, de l'annexe III au CGI , elles peuvent opter pour la déclaration de ces intérêts lors de leur reversement à un bénéficiaire effectif. Cette option concerne toutes les entités.

  • La situation des établissements payeurs français qui attribuent des intérêts à une entité non résidente

Dans l'hypothèse où l'entité produit un certificat de son Etat membre, visant à justifier de sa qualité d'agent payeur au moment du paiement des intérêts, l'établissement payeur français n'est pas tenu d'individualiser les intérêts "Directive" qu'il verse à l'entité non résidente. Il reste, cependant, soumis aux autres obligations découlant de l'article 242 ter du CGI (établissement de la déclaration des opérations sur valeurs mobilières - IFU). Si l'entité ne produit pas de certificat d'agent payeur, l'établissement payeur doit, après s'être assuré de la qualité d'entité de l'organisme ou la structure concernés, procéder à l'individualisation des intérêts "Directive" qu'il lui verse.

Pour s'assurer de la qualité d'entité, l'établissement payeur devra utiliser les informations qu'il a à sa disposition. Si aucune de ces informations ne lui permet d'exclure la qualité d'entité à l'organisme ou la structure concernés, l'établissement payeur sera considéré comme agent payeur et devra effectuer les diligences liées à cette qualité.

1.2. Le bénéficiaire effectif est la personne physique à qui sont versés les intérêts et qui conserve ceux-ci pour son propre compte

Sont considérés comme des bénéficiaires effectifs au sens de la Directive "épargne", les personnes physiques (6) à qui sont payés des intérêts ou à qui est attribué un paiement d'intérêts pour leur propre compte (7). Peu importe à cet égard que la personne physique, bénéficiaire effectif, reçoive les intérêts dans le cadre de la gestion de son patrimoine privé ou dans le cadre d'une activité professionnelle (au sein d'une entreprise individuelle).

La Directive "épargne" ne prend en compte que le bénéficiaire "final" d'intérêts et non les différents intermédiaires d'une chaîne de paiements. Ainsi, n'est pas considérée comme un bénéficiaire effectif, la personne physique qui reçoit des intérêts en qualité d'agent payeur. Cette personne physique est, toutefois, soumise à une obligation de déclaration de ces intérêts lors de leur paiement à un bénéficiaire effectif pour le compte d'une personne morale, d'une structure imposée à l'impôt sur les sociétés (ou impôt équivalent) ou d'un OPCVM "coordonné" ou pour le compte d'une autre personne physique. La personne physique, agissant en qualité d'intermédiaire, n'est tenue à aucune obligation déclarative, mais doit, lorsqu'elle agit pour le compte d'une entité ou d'une personne physique, bénéficiaire effectif des intérêts, communiquer leur identité à l'agent payeur.

Sont, aussi, considérés comme des bénéficiaires effectifs, au même titre que les personnes physiques, les organismes et entités établis hors de France dans un autre Etat membre de l'Union européenne qui n'ont pas exercé l'option leur permettant de se placer sous le régime de la déclaration des intérêts au moment de leur paiement (8).

1.3. Le champ d'application de la Directive "épargne" est limité aux revenus de l'épargne sous forme de paiement d'intérêts

D'une manière générale, tous les placements financiers assimilables à des produits de taux entrent dans le champ d'application de la Directive "épargne". Les principales catégories de revenus visés sont les suivantes :

  • Les produits de placements à revenu fixe

-  les revenus des titres d'emprunt négociables :

Il s'agit des intérêts (9), arrérages (10) et tous autres produits et gains des obligations, des titres participatifs, des effets publics et de tous autres titres d'emprunt négociables émis par les Etats et assimilés, les personnes morales de droit privé, ainsi que des lots et primes de remboursement payés aux porteurs des mêmes titres. Sont, également, concernés les revenus des bons du Trésor et assimilés, des bons de caisse et assimilés, ainsi que les produits et gains des titres de créances négociables (TCN) non susceptibles d'être cotés, quel que soit leur émetteur.

- les revenus des créances, dépôts, cautionnements et comptes courants :

Il s'agit des intérêts, arrérages, primes de remboursement et tous autres produits et gains se rapportant notamment à des créances, autres que les titres d'emprunt négociables, productives d'intérêts (11), des dépôts de sommes d'argent à vue ou à échéance fixe, quel que soit le dépositaire et quelle que soit l'affectation du dépôt et des clauses d'indexation afférentes aux sommes mises ou laissées à la disposition d'une société par ses associés ou actionnaires.

les produits des bons ou contrats de capitalisation nominatifs :

Il s'agit des produits attachés aux bons ou contrats de capitalisation souscrits auprès des sociétés dites de capitalisation moyennant le versement d'un intérêt ou produit qui n'est, généralement, pas distribué chaque année, mais capitalisé jusqu'à échéance complète du bon ou contrat. En effet, ces produits s'analysent comme des produits financiers et non comme des produits d'assurance, dès lors qu'ils ne reposent pas sur la couverture d'un risque.

- les produits de l'épargne "réglementée" :

Il s'agit, notamment, des intérêts générés par les comptes d'épargne-logement (CEL), comptes pour le développement industriel (Codevi), livrets d'épargne populaire (LEP), livrets jeunes, plans d'épargne-logement (PEL), plans d'épargne populaire (PEP) donnant lieu à ouverture d'un compte de dépôt en numéraire et livrets d'épargne entreprise (LEE) qui, en droit interne, bénéficient d'un régime fiscal favorable. Ces intérêts sont compris dans le champ d'application de la Directive "épargne", nonobstant leur régime fiscal. Il en est de même de l'épargne dite "salariale" lorsque les intérêts qui s'y rapportent rentrent dans la définition des intérêts au sens de la Directive "épargne".

- le cas particulier des obligations domestiques, internationales et autres titres de créances négociables : la clause de "grandfathering" :

La Directive "épargne" exclut temporairement de son champ d'application certains des intérêts de ces produits, afin de ne pas perturber les marchés financiers. En effet, les contrats d'émission de tels titres d'emprunt négociables peuvent comporter une clause de montant brut (dite de "gross up"), par laquelle l'émetteur s'engage auprès des investisseurs à leur servir un intérêt net d'impôt en prenant à sa charge les conséquences d'un éventuel changement de législation fiscale. Ces clauses de montant brut sont assorties d'une clause de remboursement, afin de permettre à l'émetteur de rembourser l'emprunt par anticipation pour éviter le déclenchement par les émetteurs de la clause en question (instruction du 12 août 2005, n° 44 et 45).

L'article 49, I, ter, III-2, de l'annexe III au CGI prévoit, ainsi, une clause "grand-père" ou "grandfathering" qui a pour conséquence d'exclure du champ d'application de la Directive les intérêts des obligations domestiques et internationales et des autres titres de créances négociables, lorsque leur émission d'origine est antérieure au 1er mars 2001 ou lorsque leur prospectus d'émission d'origine a été visé avant cette date par les autorités compétentes et à la condition qu'aucune nouvelle émission de ces titres n'ait été réalisée à compter du 1er mars 2002 (12). Soulignons que cette exclusion cessera, en principe, de s'appliquer le 31 décembre 2010.

  • Les produits de la cession, du remboursement ou du rachat de parts et d'actions de certains OPCVM et assimilés

Sont concernés les revenus réalisés lors de la cession, du remboursement ou du rachat de parts ou d'actions d'organismes ou entités qui investissent, directement ou indirectement par l'intermédiaire d'autres organismes ou entités de même nature, plus de 40 % (13) de leur actif en créances et produits assimilés. Les organismes ou entités visés sont les OPCVM "coordonnés", les organismes ou entités ayant opté pour la déclaration des intérêts au paiement et les organismes de placement collectif (OPC) établis hors de l'Union européenne.

Il faut, toutefois, noter qu'à compter du 1er janvier 2011, le pourcentage d'investissement en créances sera ramené à 25 %. En revanche, les Sicav "non coordonnées" et les entités n'ayant pas opté pour la déclaration des intérêts au paiement ne sont pas concernées.

2. Les procédures d'imposition et d'échange d'informations : un système à trois vitesses

2.1. La procédure de droit commun applicable à la majorité des Etats membres de la CE

  • Les obligations déclaratives des agents payeurs

Ces obligations concernent les agents payeurs et les OPCVM coordonnés et entités assimilées. Les agents payeurs doivent identifier les bénéficiaires effectifs et individualiser les intérêts qu'ils paient à ces derniers. Les OPCVM coordonnés et entités assimilées sont, quant à eux, tenus de s'identifier au regard du quota de 40 % d'investissement en créances et produits assimilés (lorsqu'ils dépassent ce quota, ils entrent dans le champ d'application de la Directive "épargne"). Notons que cet échange d'informations a un caractère automatique et doit être effectué au moins une fois par an dans les six mois qui suivent la fin de l'exercice fiscal de l'Etat membre de l'agent payeur pour tous les paiements d'intérêts effectués au cours de l'année.

- l'identification des bénéficiaires effectifs :

Les établissements payeurs doivent, en leur qualité d'agents payeurs, joindre à la déclaration annuelle des opérations sur valeurs mobilières, dénommée Imprimé Fiscal Unique (IFU), un état des intérêts de créances de toute nature et produits assimilés payés au cours de l'année précédente à un bénéficiaire effectif. Cet état comprend, outre la reprise des éléments d'identification du déclarant (14), de la référence aux comptes concernés et des éléments d'identification du bénéficiaire effectif (15) mentionnés sur l'IFU (CGI, Ann. III, art. 49, I, ter, IV) : dans certains cas, le numéro d'identification fiscale (NIF) du bénéficiaire effectif et le montant des intérêts de créances de toute nature et les produits assimilés (instruction du 12 août 2005, n° 71).

- l'individualisation des intérêts versés :

L'article 242 ter, 1, du CGI prévoit que les établissements payeurs individualisent les intérêts de créances de toute nature et produits assimilés entrant dans le champ d'application de la Directive "épargne". En ce qui concerne le cas particulier des comptes plurititulaires (comptes joints, comptes collectifs et comptes en indivision ), l'agent payeur établit un état "Directive" annexé à l'IFU au nom de chaque cotitulaire en y faisant figurer le montant des intérêts en fonction des droits de chacun. A défaut de précisions sur ces droits, les titulaires sont réputés avoir des droits identiques. C'est sur la base de cette individualisation que les établissements payeurs établissent l'état "Directive" annexé à l'IFU.

  • La transmission de l'information entre établissements payeurs

Lorsqu'un établissement payeur est amené à payer à un autre établissement payeur des produits de cession, rachat ou remboursement de parts ou d'actions d'OPCVM, d'organismes ou d'entités, le premier établissement payeur accompagne ce paiement des informations dont il dispose lui permettant de qualifier l'OPCVM ou l'entité au regard du quota de 40 % pour l'application de la Directive "épargne" (CGI, Ann. III, art. 49, I, sexies, 2).

2.2. La procédure dérogatoire temporairement applicable à la Belgique, au Luxembourg et à l'Autriche

  • Un mécanisme de retenue à la source

Afin de répondre à la demande de ces trois pays soucieux de préserver la protection du secret bancaire, la Directive a prévu qu'ils mettraient en place un système de communication d'informations à la fin de d'une période de transition au cours de laquelle ils appliqueront une retenue à la source de 15 % pendant les trois premières années, 20 % pendant les trois années suivantes (soit à partir du 1er juillet 2008) et 35 % par la suite (soit à partir du 1er juillet 2011). Ils transfèreront 75 % des recettes de cette retenue à la source à l'Etat de résidence de l'investisseur. Ces trois pays pourront recevoir des informations des autres Etats membres.

En pratique, les investisseurs non-résidents ayant placé leurs fortunes dans ces pays auront le choix entre deux options : opter pour la transmission de leurs informations bancaires à l'administration fiscale de leur pays de résidence ou accepter la retenue à la source.

  • Le retour dans le droit commun à l'issue d'une période de transition

Selon la Directive, la période de transition prendra fin, lorsque la CE, après décision du Conseil statuant à l'unanimité, aura conclu avec la Suisse, le Liechtenstein, Saint -Marin, Monaco et Andorre, un accord prévoyant l'échange d'informations sur demande et, surtout, lorsque le Conseil sera convenu à l'unanimité que les Etats-Unis d'Amérique s'engagent à échanger des informations sur demande, conformément au modèle de convention de l'OCDE de 2002, en ce qui concerne les paiements d'intérêts. Or, si la première condition est d'ores et déjà remplie, il y a lieu de penser que la seconde condition ne le sera pas avant un certain temps, ce qui signifie que la période de transition pourrait se prolonger et permettre à la Belgique, au Luxembourg et à l'Autriche de conserver durablement leur secret bancaire.

2.3. La procédure dérogatoire applicable aux Etats tiers ayant signé des accords avec la CE

  • Les accords signés avec la Suisse, le Liechtenstein, Andorre, Monaco et Saint -Marin

En ce qui concerne ces Etats, les accords signés par la CE prévoient une retenue d'impôt ou retenue à la source avec partage des recettes aux taux appliqués par la Belgique, le Luxembourg ou l'Autriche au cours de la période de transition prévue par la Directive. Par ailleurs, ils prévoient la possibilité pour le contribuable d'autoriser la divulgation des paiements d'intérêts à son Etat membre de résidence fiscale en vue d'éviter la retenue d'impôt ou la retenue à la source. Enfin, ils comportent une disposition prévoyant l'échange d'informations sur demande en cas de fraude fiscale ou d'infraction équivalente (16). En prévoyant une application de la retenue à la source non pas pendant une période transitoire mais de manière pérenne, ce dispositif dérogatoire permettra d'assurer durablement la protection du secret bancaire dans ces pays, qui ont, par ailleurs, sollicité plusieurs engagements de la part de l'UE (17).

  • La situation des territoires dépendants ou associés de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas

Tous les territoires dépendants ou associés concernés des Etats membres (îles anglo-normandes, île de Man et territoires dépendants ou associés des Caraïbes) appliqueront des mesures identiques à celles prévues dans la directive, à savoir l'échange automatique d'informations ou, pendant la période de transition prévue par la directive, une retenue à la source dans les mêmes conditions que celles prévues pour la Belgique, le Luxembourg ou l'Autriche.

2.4. Les principales sanctions applicables en droit français en cas de non-respect de l'obligation de déclaration

  • L'application de l'amende prévue à l'article 1768 bis du CGI

Les établissements payeurs qui ne respecteront pas l'obligation d'individualisation des intérêts "Directive" ou qui feront une déclaration insuffisante des sommes en cause seront sanctionnés par une amende fiscale forfaitaire de 150 euros par information omise ou erronée, dans la limite de 500 euros par déclaration.

Cette amende n'est pas applicable pour les infractions commises sur la base d'informations erronées fournies à l'établissement payeur par les OPCVM, organismes ou entités assimilés susceptibles d'entrer dans le champ d'application de la Directive "épargne".

  • L'application des sanctions prévues à l'article 1726 du CGI

En application des dispositions communes à toutes les déclarations et autres documents devant être transmis à l'administration, les établissements payeurs qui omettront des renseignements ou porteront des éléments inexacts sur l'état "Directive" annexé à l'IFU seront sanctionnés par une amende de 15 euros par omission ou inexactitude, avec un minimum de 150 euros pour chaque déclaration concernée. Cette amende minimum de 150 euros s'appliquera de manière globale (IFU et état annexé). Cette amende concernera, notamment, l'obligation d'identification des bénéficiaires effectifs (par exemple, le NIF, lorsque celui-ci existe), pour les relations contractuelles établies à compter du 1er janvier 2004.

Toutefois, l'amende de 80 % des sommes non déclarées prévue à l'article 1768 bis du CGI pour la déclaration des opérations sur valeurs mobilières (IFU) n'est pas applicable pour les sommes non déclarées à tort dans l'état "Directive".

Pour la 2ème partie de cet article, lire ([LXB=N6353AKI])

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Contrôle fiscal

[Le point sur...] Le rescrit fiscal : vers davantage de sécurité juridique !

Réf. : Publication des rescrits fiscaux

Lecture: 9 min

N1949AKE

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par Valérie Le Quintrec, Université de Bourgogne

Le 22 Octobre 2014

Le contribuable peut obtenir de l'administration une prise de position formelle sur un sujet fiscal le concernant. Celle-ci est appelée "rescrit". Il s'agit d'un élément important de sécurisation juridique, car l'administration s'engage pour l'avenir sur son interprétation. Ainsi, la procédure de rescrit est plus qu'une simple demande de renseignements fiscaux puisque l'administration ne pourra pas remettre en cause la situation fiscale du contribuable intéressé si ce dernier a suivi la position ou les indications qu'elle lui a communiquées. Cette technique n'est, pourtant, pas assez connue et utilisée par les contribuables. C'est pourquoi le Gouvernement français a décidé, conformément à l'annonce faite lors de la présentation en conseil des ministres, le 3 novembre 2004, d'une communication sur les moyens de faire évoluer concrètement, de façon visible et mesurable, les relations existantes entre le service des impôts et ses administrés, de mettre en place une "cellule rescrit" au sein de la DGI ayant pour finalité d'assurer l'animation d'une rubrique consacrée au rescrit fiscal sur le site Internet de la DGI. Cette dernière comporte une présentation pratique des modalités selon lesquelles les contribuables peuvent utiliser la procédure générale de rescrit fiscal. Elle rappelle, par ailleurs, les dispositifs spécifiques de rescrit ou d'accord tacite existants. Surtout, elle prévoit la publication systématique, sous forme anonyme, des rescrits les plus intéressants, ainsi que les lettres adressées aux organisat0ions professionnelles, afin de faire bénéficier plus largement toutes les entreprises et les particuliers de cette information. Ainsi, plus de 100 décisions de rescrit ont été,dernièrement, mises en ligne sur le site Internet de la DGI. Il s'agit de réponses, déjà, formulées par l'administration sur des questions de portée générale ou apportant un nouvel éclairage sur l'application d'un texte fiscal.

Il convient de souligner que cette volonté de développer les procédures de rescrit est, également, inscrite dans la Charte du contribuable (lire Karim Sid Ahmed, La Charte du contribuable de 2005 ou la traduction d'une contractualisation de la relation entre l'administration fiscale et le contribuable, Lexbase Hebdo n° 188, du 3 novembre 2005 - édition fiscale N° Lexbase : N9974AIA).

Il existe plusieurs formes de rescrit en droit français concernant tant les particuliers que les professionnels.

1. Le rescrit pour les particuliers

1.1. Les différentes formes de rescrit

Il est fréquent qu'un particulier s'interroge sur l'application d'un texte fiscal à sa situation. Dès lors, afin d'être sûr de ne pas se tromper, la procédure du rescrit lui permet de soumettre à l'administration son cas précis. Le contribuable obtiendra, ainsi, une réponse engageant l'administration pour l'avenir sur sa situation ou l'opération qu'il envisage. Aussi, à l'aide du rescrit, le contribuable peut mesurer à l'avance les conséquences fiscales de ses projets. 

Il est à noter que le particulier peut accéder à des réponses déjà formulées par l'administration sur des questions de portée générale ou apportant un nouvel éclairage sur l'application d'un texte fiscal : "les décisions de rescrit". Le contribuable peut même se référer à ces décisions lorsque sa situation est identique à celle sur laquelle l'administration a, déjà, pris position.

1.2. Les décisions de rescrit

Les décisions de rescrit concernant les particuliers ont trait à :

  • la fiscalité personnelle (impôt sur le revenu, assiette de l'impôt sur le revenu, liquidation de l'impôt, traitements, salaires, pensions et rentes viagères, bénéfices non commerciaux) ;
  • aux impôts directs locaux (taxe foncière sur les propriétés bâties et non bâties) ;
  • aux droits d'enregistrement et de timbre (droits d'enregistrement et taxe de publicité foncière, mutations à titre gratuit, successions, donations, droits dus par les sociétés, impôt de solidarité sur la fortune) ;
  • la fiscalité immobilière (plus-values immobilières, plus-values sur biens meubles et taxe forfaitaire sur les objets et métaux précieux).

Dernièrement, l'administration a publié quelques décisions de rescrit sur son site Internet. Prenons-en quelques exemples. Il convient, toutefois, de préciser de prime abord que l'administration n'a pas envisagé de diffusion "papier" de ces décisions de rescrit mises en ligne.

Ainsi, à la question de savoir quel est le montant déductible de la pension alimentaire forfaitaire versée à un enfant majeur naturel par ses parents concubins vivant ensemble, l'administration a précisé que les parents concubins peuvent déduire une pension alimentaire pour leur enfant majeur, à la condition que le versement de la pension ne dépasse pas la limite légale prévue par les articles 156 et 196 B du CGI . Cette limite ne s'applique pas par parent, mais par enfant. La double déduction pour les parents est, donc, interdite (décision publiée le 6 septembre 2005 - référence : RES n° 2005 /16 (FP)).

Dans une autre décision publiée le même jour, l'administration a répondu par l'affirmative à la question de savoir si la cession de la résidence principale, ainsi que celle d'un terrain y attenant peuvent être exonérées d'impôt sur les plus-values, lorsqu'elles sont réalisées au profit de deux acquéreurs distincts. En effet, l'administration a considéré que la circonstance que la vente est réalisée auprès d'acquéreurs distincts ne fait pas obstacle au bénéfice de l'exonération toutes conditions étant par ailleurs remplies. La cession des dépendances doit, notamment, intervenir simultanément avec l'habitation ou dans un délai rapproché (décision publiée le 6 septembre 2005 - référence : RES n° 2005/42 (FI)).

2. Le rescrit pour les professionnels

2.1. Les différentes formes de rescrit

L'administration peut être consultée par un contribuable sur sa situation fiscale, et ce, dans un grand nombre de cas qui concernent la vie des entreprises.

Voici les principales formes de rescrit concernant les professionnels.

  • Le rescrit-valeur

La procédure de rescrit portant sur la valeur d'une entreprise faisant l'objet d'une donation est prévue et commentée par une instruction en date du 8 janvier 1998 (BOI n° 13 L-2-98 N° Lexbase : X6187AAE). Elle a été mise en place parallèlement à un certain nombre de mesures de portée générale permettant de réduire le coût fiscal des donations.

La procédure de rescrit-valeur permet à tout chef d'entreprise souhaitant donner son outil de travail de consulter l'administration sur la valeur à laquelle il estime son entreprise et, en cas d'accord du service, de passer dans les trois mois l'acte de donation sur la base acceptée par l'administration, sans que cette dernière puisse remettre en cause ultérieurement la valeur, ainsi, définie.

Les modalités techniques de ce rescrit-valeur ont été conçues en concertation étroite avec les organisations professionnelles pour offrir le maximum de sécurité juridique aux usagers. Il s'agit :

- de la désignation d'un interlocuteur unique dans chaque département destiné à faciliter le dialogue avec le chef d'entreprise et, le cas échéant, ses conseils ;
- de la diffusion d'un cahier des charges précis qui expose l'ensemble des documents que l'usager doit fournir à l'appui de sa demande ;
- de la fixation d'un délai maximal à l'administration pour rendre sa décision (le délai de réponse de l'administration est passé de 9 mois à 6 mois) ;
- en cas de divergence, de l'organisation systématique d'une phase orale permettant un échange des points de vue ;
- de l'évaluation opposable à l'administration, dès lors que la donation est passée dans les trois mois de la décision favorable, et a contrario, de l'absence d'obligation pour l'usager bénéficiaire de la décision de procéder effectivement à la donation.

Pour plus de précisions afférentes à cette procédure, il convient de se reporter à une instruction du 20 octobre 2005 (BOI n° 13 L-4-05 N° Lexbase : X4031ADN).

Enfin, soulignons que la procédure de rescrit portant sur la valeur d'une entreprise faisant l'objet d'une donation est prorogée jusqu'au 30 juin 2006.

  • Le dispositif d'accord préalable sur les prix de transfert

Les prix de transfert sont les prix auxquels les biens et les services s'échangent au sein des entités d'un groupe multinational. Ceux-ci supposent des échanges transfrontaliers.

Economiquement, il n'y a pas de vente ou d'achat, mais simplement transfert d'un bien car ce dernier reste dans le groupe.

Les sociétés concernées sont les filiales ou établissements français de groupes étrangers et les groupes français avec filiales ou établissements à l'étranger.

Sachant que plus de 60 % du marché mondial est réalisé par des entreprises multinationales, la fixation des prix de transfert est, donc, un exercice essentiel surveillé avec vigilance par les Etats. C'est pourquoi, les administrations ont adopté la technique du "ruling" en matière de prix de transfert, encore appelée rescrit ou APA (advance price agreement). Afin d'être opposables erga omnes, ces ruling doivent être publiés.

Par cette technique, les différents services fiscaux vont se prononcer sur les prix fixés par les sociétés concernées et peuvent conclure à des transferts indirects de bénéfices. Dans cette hypothèse, l'administration fiscale française réintégre le revenu, ainsi, transféré à l'étranger dans le résultat de la société française.

Pour procéder à ce redressement, l'administration doit prouver que les deux entreprises sont affiliées ou que l'entreprise étrangère bénéficie d'un statut fiscal favorable et établir une présomption selon laquelle le prix de transfert n'est pas un prix de pleine concurrence.

Il convient de souligner que ce dispositif d'accord préalable sur les prix de transfert permet indéniablement de sécuriser la situation fiscale des entreprises et d'éviter par la même des redressements.

  • Le contrôle fiscal sur demande

Comme le souligne le Gouvernement, "il s'agit d'une pratique qui peut étonner au premier abord, mais qui répond aux inquiétudes de beaucoup de chefs d'entreprise. Ils sont souvent hésitants devant la complexité des règles fiscales, et naturellement préoccupés des conséquences potentielles d'un contrôle fiscal".

Désormais, ils peuvent demander à l'administration fiscale d'intervenir sur place pour les aider. Toutefois, il ne s'agira pas d'un contrôle généralisé, mais d'une réponse aux questions précises que se pose le chef d'entreprise.

  • Le rescrit fiscal en cas de dons à des associations, organismes et mécénats

L'article L. 80 C du LPF (N° Lexbase : L8229DN4) relatif au mécénat, aux associations et aux fondations a institué une procédure de rescrit fiscal permettant aux organismes ou groupement recevant des dons de s'assurer, préalablement à la délivrance des reçus fiscaux, qu'ils répondent bien aux critères définis aux articles 200 (N° Lexbase : L9494G7R) et 238 bis du CGI pour que les dons qui leur sont alloués ouvrent droit à réduction d'impôt.

Lorsque l'administration n'a pas répondu dans un délai de 6 mois, l'organisme peut se prévaloir d'une réponse positive tacite.

Les articles R. 80 C-1 (N° Lexbase : L5755GUP) et R. 80 C-4 LPF (N° Lexbase : L5758GUS) du LPF fixent les conditions d'application de cette procédure. Ils définissent les modalités de saisine de l'administration fiscale et, notamment, le contenu et le lieu de dépôt des demandes formulées par les organismes.

Ils fixent les modalités selon lesquelles l'administration en accuse réception et précise le délai qui lui est imparti pour statuer.

Une instruction du 19 octobre 2004 (BOI n° 13 L-5-04 N° Lexbase : X4214AC3) précise les règles d'application de ce nouveau dispositif.

  • Le dispositif d'accord préalable et la procédure de répression des abus de droit

L'abus de droit est une utilisation détournée à des fins autres que celles qui avaient animé le législateur.

Ainsi, a été considéré comme abus de droit au sens de l'article L. 64 du LPF (N° Lexbase : L5565G4U) :

- une donation déguisée via une vente dans la mesure où le seul but qui avait animé le contribuable était d'éviter de payer les droits d'enregistrement ;
- une location-gérance dans la mesure où elle dissimulait en réalité une cession de fonds de commerce, la déduction des redevances n'étant, donc, pas possible ;
- la soustraction au paiement de l'impôt sur le revenu.

Le contribuable dispose là aussi de la possibilité d'obtenir un rescrit fiscal. Par cette technique, il pourra éviter un redressement, ainsi que le paiement des intérêts de retard de 0,75 %  par mois de retard et d'une amende de 80 % du montant des droits éludés.

2.2. Les dernières grandes décisions de rescrit

Les décisions de rescrit concernant les entreprises ont trait à :

- la taxe sur le chiffre d'affaires (champ d'application de la TVA, taux, liquidation-déduction)
- la fiscalité des entreprises (dispositions diverses sur BIC et IS, champ d'application, assiette, entreprises nouvelles, ZFU, crédit d'impôt en faveur des entreprises industrielles et commerciales, imputation des déficits provenant d'activités industrielles et commerciales , plus-values et moins-values, frais et charges-BIC/IS, amortissements BIC/IS, impôt sur les sociétés) ;
- les impôts directs locaux (la taxe professionnelle) ;
- la fiscalité relative aux organismes sans but lucratif.

Voici quelques exemples de décisions de rescrit publiées.

S'agissant du régime de TVA applicable aux contrats de crédit-bail immobilier et aux contrats de sous-location immobilière, l'administration a répondu que les opérations de crédit bail ou de sous-location d'immeubles nus à usage commercial sont, en principe, exonérées de TVA sur le fondement de l'article 261, D-2° du CGI , mais peuvent être soumises à cette taxe, sur option, conformément aux dispositions de l'article 260-2° du CGI .

Il s'ensuit que la société donnant en sous-location un immeuble à usage professionnel, et ayant opté pour soumettre à la TVA les loyers issus de cette activité, est autorisée à opérer la déduction de la taxe grevant les loyers qu'elle acquitte elle-même auprès de son bailleur ou crédit bailleur, dès lors que ces dépenses concourent à la réalisation d'opérations soumises à la TVA et sont, partant, engagées dans l'intérêt de l'entreprise (décision publiée le 13 septembre 2005 - référence : RES n° 2005/98 (TCA))

L'administration s'est, également, prononcée en faveur de l'exonération de l'avantage en nature attribuée aux salariés d'une entreprise en raison de l'attribution gratuite d'ordinateurs de poche au titre du 11° de l'article 39 et du 31° de l'article 81 du CGI (décision publiée le 6 septembre 2005 - référence : RES n° 2005/30 (FE)).

L'administration a, aussi, répondu par l'affirmative à la question de savoir si, lorsqu'une société intermédiaire sort d'un groupe fiscal à la suite d'une confusion de patrimoine avec une autre société du groupe, la sous-filiale peut être maintenue dans le groupe fiscal à la condition, cependant, que les conditions de l'article 223 A du CGI demeurent remplies (décision publiée le 6 septembre 2005 - référence : RES n° 2005/103 (FE)).

Concernant, enfin, la question de la soumission aux impôts commerciaux de l'activité d'hébergement de jeunes en centres d'accueil, l'administration a considéré que, tant que l'association se borne à réaliser des opérations d'information sur ses prestations, soit directement au niveau local, soit indirectement au niveau national par l'intermédiaire des structures fédérales, il est admis que cette information ne constitue pas un indice de lucrativité fiscale (décision publiée le 7 septembre 2005 - référence : RES n° 005/84 (OSBL)).

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Fiscalité financière

[Textes] La Directive "épargne" : présentation critique (2ème partie)

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N6353AKI

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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice (1ère ch.)

Le 07 Octobre 2010

Les revenus de l'épargne sous forme de paiement d'intérêts de créances constituent des revenus imposables pour les résidents de tous les Etats membres de la Communauté européenne (CE). Toutefois, en l'absence d'une coordination des régimes nationaux concernant la fiscalité des revenus de l'épargne, il est actuellement possible aux résidents des Etats membres d'échapper à toute forme d'imposition sur les intérêts perçus dans un Etat membre différent de celui où ils résident. Depuis le 1er juillet 2005, la lutte contre la prolifération des paradis fiscaux et des régimes fiscaux préférentiels connaît, pour les pays membres de la CE et certains de leurs voisins, une avancée significative avec l'entrée en vigueur de la Directive 2003/48/CE du 3 juin 2003 en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiement d'intérêts (Directive "épargne"). Celle-ci a, en effet, pour objectif l'imposition effective des revenus de l'épargne sous forme de paiement d'intérêts dans l'Etat membre où le bénéficiaire effectif a sa résidence fiscale, conformément aux dispositions législatives de ce dernier Etat membre. A cette fin, elle pose le principe de la transmission, obligatoire et systématique, par l'agent payeur de l'Etat de la source des intérêts d'un contenu minimal d'informations à l'Etat membre de résidence du bénéficiaire (cf. La Directive "épargne" : présentation critique (1ère partie) N° Lexbase : N2018AKX).
3. Les trois limites de la Directive "épargne"

3.1. La limitation du périmètre personnel et ses conséquences possibles

Nous l'avons vu, la Directive se limite aux personnes physiques que les banques doivent identifier comme bénéficiaires effectifs. Par suite, les personnes morales, en particulier les structures off-shore ou les trusts, sont exclues de son champ d'application.

Pour les investisseurs ayant placé leurs avoirs dans des trusts anglo-saxons où l'identité des bénéficiaires effectifs est quasi-confidentielle, il est, donc, possible d'échapper à l'échange automatique d'informations.

3.2. La limitation du périmètre financier

La Directive CE concerne une catégorie limitée de produits financiers, puisque celle-ci ne s'applique qu'aux seuls revenus de l'épargne financière. Bien que très extensive dans sa définition de la notion d'intérêts se rapportant à des créances de toute nature, elle a, ainsi, exclu de son champ d'application les prestations d'assurance et les pensions, alors même que les revenus tirés de ces opérations pourraient s'assimiler à des intérêts.

  • L'exclusion des produits des contrats d'assurance vie

Ce sont les produits procurés par des contrats prenant en compte un degré minimum d'aléa et reposant sur la couverture d'un risque moyennant le paiement préalable d'une prime. Il s'agit, en particulier, des contrats d'assurance individuels ou de groupe, à prime unique ou à primes périodiques, qui comportent une garantie en cas de vie, accompagnés ou non d'une garantie en cas de décès ou d'une contre-assurance. Il s'agit, également, des plans d'épargne populaire (PEP) assurance. Ces produits sont qualifiés de produits d'assurance et non de produits financiers (instruction du 12 août 2005, n° 61 à 63).

  • L'exclusion des pensions

La Directive "épargne" exclut expressément de son champ d'application "les questions liées à l'imposition des pensions". D'une manière générale, il s'agit des régimes ou des produits qui, au demeurant adossés le plus souvent à des contrats d'assurance vie et, déjà, exclus, à ce titre, du champ d'application de la Directive "épargne", participent de la constitution d'une épargne en vue de la retraite et, par suite, se dénouent, en principe, sous forme de rente viagère à compter de l'âge de la retraite.

Sont, aussi, exclus du champ d'application de la Directive "épargne" les régimes légaux de retraite par répartition, qu'il s'agisse des régimes de base de sécurité sociale (assurance vieillesse) comme des régimes de retraite complémentaire légalement obligatoires (pour les salariés, régimes Arrco, Agirc et Ircantec principalement) (instruction du 12 août 2005, n° 65).

L'exclusion de l'obligation d'échange d'informations de ces régimes ou produits, qui, par nature, n'ont pas vocation à servir des "revenus de l'épargne sous forme de paiement d'intérêts" au sens de l'article 1er de la Directive "épargne", est générale. Elle concerne tant la phase de constitution des droits ou de capitalisation que celle du dénouement des contrats ou de service des rentes (instruction du 12 août 2005, n° 66) (18).

  • Les conséquences possibles de la limitation du périmètre financier

Au regard de cette notion d'intérêt, il faut s'attendre de la part des investisseurs individuels concernés à des transferts d'investissements de produits porteurs d'intérêts vers des produits non porteurs d'intérêts comme les actions, les produits dérivés, ou les produits d'assurance-vie. Les produits porteurs d'intérêts non couverts par la Directive UE gagneront, également, en attrait comme, notamment et principalement, les obligations soumises à une clause de grandfathering : sont exclues du champs de la Directive européenne sur la fiscalité de l'épargne les obligations émises pour la première fois avant le 1er mars 2001 et qui n'ont pas fait l'objet d'une émission complémentaire à partir du 1er mars 2002.

3.3. La limitation du périmètre géographique

  • Le périmètre de la Directive

La Directive "épargne" s'applique aux intérêts payés par un agent payeur établi à l'intérieur de l'Union européenne à un bénéficiaire effectif résident d'un autre Etat de cette même Union. Son entrée en vigueur était subordonnée à la conclusion d'accords entre l'Union européenne et les Etats énumérés ci-après, Etats qui appliquent des mesures équivalentes à celles prévues dans la Directive "épargne" à compter de l'entrée en application de cette dernière, c'est-à-dire le 1er juillet 2005.

Les Etats concernés sont : la Confédération helvétique, la principauté de Liechtenstein, la république de Saint-Marin, la principauté de Monaco et la principauté d'Andorre. Son entrée en vigueur était, aussi, subordonnée à la signature d'accords identiques avec les territoires dépendants et associés de Jersey, Guernesey, l'île de Man, les îles Vierges britanniques, Montserrat, les îles Caïmans, Anguilla, Aruba et les Antilles néerlandaises (19). Tous ces accords ont été signés et ils sont appliqués par la France depuis le 1er juillet 2005. En application de ces accords, il revient aux établissements payeurs français de déclarer les intérêts versés aux bénéficiaires effectifs ayant leur domicile ou leur siège social à Aruba, aux Antilles néerlandaises, à Guernesey, à Jersey, à l'île de Man, aux îles vierges britanniques et à Montserrat dans les mêmes conditions et sous les mêmes sanctions que celles prévues pour les "intérêts" au sens de la Directive "épargne" payés aux bénéficiaires effectifs résidents d'un autre Etat membre de l'Union européenne.

  • Les conséquences possibles de la limitation du périmètre géographique

Dans la mesure où les dispositions de la Directive ne concernent que les revenus payés à des personnes physiques résidentes de l'Union européenne par des agents payeurs qui sont établis sur son territoire ou sur celui d'Etats liés avec elle par un accord prévoyant des mesures analogues à celles appliquées dans les Etats membres, il sera possible, pour une banque établie dans l'un de ces Etats tiers, de délocaliser le compte d'un client résident d'un Etat membre vers l'un de ses filiales établies dans un Etat qui n'est pas lié à l'UE par un tel accord. Dans ce cas, l'établissement payeur se trouvera, de fait, hors du champ d'application de la Directive et des accords prévoyant une retenue à la source.

Or, si ces accords prévoient, en outre, un échange de renseignements sur demande lorsque l'administration fiscale soupçonne un cas de fraude ou une infraction équivalente, la volonté de l'UE de faire adopter par les autres Etats que ceux qui sont liés à elle des mesures analogues a jusqu'à présent échoué. Il y a, donc, lieu de penser que les principales places financières asiatiques (voire américaines au sens continental du terme) resteront très attractives pour les résidents de l'UE qui cherchent à échapper à l'application de la Directive sur les revenus de l'épargne.

L'entrée en vigueur de la Directive "épargne" devrait entraîner, d'une part, des réallocations d'actifs vers des produits non porteurs d'intérêts et d'autre part des transferts de portefeuilles vers les places asiatiques et américaines, qui ont décidé de ne pas s'associer à l'initiative européenne et refusent l'échange automatique d'informations.

Ces effets devraient, toutefois, être limités par plusieurs facteurs. En effet, seuls les produits porteurs d'intérêts sont visés par la Directive, les actions étant en particulier exclues de son champ d'application. En outre, l'opportunité d'une réallocation d'actifs ou d'un trasnsfert de portefeuille devra être examinée au regard du coût induit par des ventes et rachats de valeurs (commissions notamment) ou au regard des inconvénients liés à la gestion d'un portefeuille hors du continent.

Chaque stratégie destinée à éviter la retenue d'impôt à la source a, donc, un coût : qu'il s'agisse de remplacer un portefeuille d'obligations par un portefeuille d'actions, de faire appel à des produits de bancassurance ou encore de s'attacher les services d'un agent payeur domicilié en dehors du territoire couvert par la nouvelle réglementation, aucun de ces actes n'est gratuit.


(1) Cet article a été modifié pour les besoins de la transposition de la Directive "épargne".
(2) Un gestionnaire de compte financier ou un établissement qui effectue des opérations de paiement au guichet.
(3) A noter que la succursale d'un établissement bancaire français établie dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou dans un Etat tiers n'est pas considérée comme un agent payeur français au sens de la Directive "épargne". En revanche, la succursale française d'un établissement bancaire étranger est considérée comme agent payeur en France au sens de cette même Directive.
(4) Selon l'administration, il convient d'admettre que les personnes qui interviennent à titre purement privé, en qualité de mandataires occasionnels, ne sont pas considérées comme des agents payeurs et sont, donc, dispensées de toute obligation déclarative dans le cadre de la Directive "épargne" (instruction du 12 août 2005, n° 10).
(5) CGI, Ann. III, art. 49, I, ter, I-al. 2, de l'annexe III.
(6) Pour les agents payeurs français, les personnes physiques concernées doivent avoir leur domicile fiscal hors de France dans un autre Etat membre de l'Union européenne. Ainsi, pour la France, le déclenchement de l'application de la Directive "épargne" résulte d'un paiement d'intérêts par un agent payeur établi en France à un bénéficiaire effectif hors de France (instruction du 12 août 2005, n° 30).
(7) CGI, Ann. III, art. 49, I, ter, II-1° et instruction du 12 août 2005, n° 27.
(8) CGI, Ann. III, art. 49, I, ter, II-2°.
(9) Fruits civils produits par une somme d'argent due à titre de prêt et remboursable soit à la volonté du débiteur, soit à celle du créancier.
(10) Produit d'un capital non exigible.
(11) Ce quelle que soit leur cause, quels que soient la nature juridique du contrat dont elles découlent et le mode de constatation de la convention et quelles que soient, également, les modalités qui les affectent ou les garanties qui leur sont attachées. Toutefois, les pénalisations pour paiement tardif (intérêts de retard) n'entrent pas dans le champ d'application de la Directive "épargne".
(12) Si une nouvelle émission d'obligations ou de titres de créances négociables, en principe exclus en vertu des dispositions qui précèdent, est effectuée postérieurement au 1er mars 2002, le traitement des intérêts diffère selon la qualité de l'émetteur. Si l'émetteur est un Etat ou une entité assimilée au sens de la Directive "épargne", l'ensemble des émissions, y compris celles réalisées antérieurement au 1er mars 2002, est considéré comme une créance productive d'intérêts au sens de la Directive "épargne". Les intérêts afférents à l'ensemble des émissions entrent dans le champ de la Directive "épargne" et doivent être déclarés à ce titre. En revanche, si l'émetteur est une autre personne que celle susmentionnée, seuls les intérêts afférents à la nouvelle émission sont inclus dans le champ de la Directive "épargne" et doivent entrer dans la procédure d'échange automatique d'informations.
(13) Le quota de 40 % est exprimé par le rapport suivant : investissements directs et indirects en créances et produits assimilés / actif total (valeur liquidative des investissements). Pour le numérateur, les investissements indirects sont ceux opérés par l'intermédiaire d'autres OPCVM ou d'autres entités assimilées investis en créances et produits assimilés. Ce pourcentage d'investissements indirects s'apprécie par transparence, c'est-à-dire en tenant compte de l'investissement réel du ou des OPCVM ou entités "fils" en créances et produits assimilés. Il n'est pas tenu compte des obligations et titres de créances émis avant le 1er mars 2001 et exclus du champ de la Directive "épargne".
(14) A savoir, au minimum, le nom ou la dénomination et l'adresse de l'agent payeur.
(15) A savoir, au minimum, son identité et sa résidence.
(16) En pratique, les autorités compétentes de ces Etats et de tout Etat membre échangent des renseignements sur les comportements constitutifs de fraude fiscale au regard de la législation de l'Etat requis, ou d'une infraction équivalente concernant des revenus couverts par l'accord. Par "infraction équivalente", on entend uniquement une infraction du même degré de gravité que dans le cas de la fraude fiscale au regard de la législation de l'Etat requis. En réponse à une requête dûment justifiée, l'Etat requis communique, donc, des renseignements sur les matières faisant l'objet ou susceptibles de faire l'objet d'enquêtes civiles ou pénales dans l'Etat requérant.
(17) Andorre a obtenu de l'Union européenne d'être liée par un accord monétaire qui permettra à la principauté de battre monnaie en Euro. Monaco, qui souhaite introduire le concept d'escroquerie fiscale dans sa législation en adoptant la définition très restrictive de la Suisse, voudrait accéder au marché unique des services financiers. Saint-Marin souhaite, également, accéder au marché unique des services financiers, participer aux programmes européens de recherche et d'éducation et que soit simplifiées les procédures douanières. Le Lichtenstein, quant à lui, veut pouvoir avoir la possibilité de répondre à une demande d'information sur une affaire de fraude fiscale dans un délai indéterminé.
(18) Sont, notamment, concernés les régimes professionnels de retraite fonctionnant par capitalisation, le plan d'épargne pour la retraite collectif (Perco), le plan d'épargne retraite populaire (Perp), de même que le plan d'épargne retraite entreprise et les régimes facultatifs de retraite complémentaire Préfon, Corem et CRH.
(19) A noter que les Bermudes sont restées en dehors de ces accords.

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Bancaire

[Jurisprudence] Nouveau contour de l'obligation du prêteur de mettre en garde l'emprunteur profane

Réf. : Cass. civ. 1, 2 novembre 2005, n° 03-17.443, Kuntzmann c/ Société Cetelem, F-P+B (N° Lexbase : A3277DLX)

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N1885AKZ

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Le 07 Octobre 2010

Un arrêt du 2 novembre 2005, rendu par la première chambre civile, vient confirmer la nouvelle obligation qu'ont, désormais, les dispensateurs de crédit, de mettre en garde l'emprunteur profane. Répétée quelques mois à peine après les fameux arrêts du 12 juillet 2005 de cette même chambre, qui avaient décidé que le banquier devait apporter des diligences différenciées selon le caractère profane (1) ou averti (2) de l'emprunteur, la solution a déjà valeur de symbole. Mais le présent arrêt ne se contente pas de reprendre la solution. Par les précisions qu'il apporte, il va bien au-delà du mouvement amorcé, ce qui justifie sa publication au Bulletin. En l'espèce, des époux contractent un prêt en vue de l'acquisition d'un véhicule qui ne peut finalement être honoré. Le prêteur obtient une ordonnance leur enjoignant de payer le solde du prêt mais il se voit reprocher d'avoir manqué à son obligation de prudence. L'établissement de crédit obtient gain de cause devant les juges d'appel : d'une part, parce que les remboursements avaient été effectués sans incident pendant deux ans, ce dont il résultait que les emprunteurs étaient en mesure de supporter le coût des échéances mensuelles ; d'autre part, parce que l'épouse ne démontrait pas avoir précisé au prêteur le montant de ses ressources à la conclusion du prêt et que, si elle n'avait aucune ressource imposable, elle percevait une pension dont le montant était supérieur aux échéances. En d'autres termes, la preuve n'était pas rapportée que la banque aurait commis une négligence ou une légèreté blâmable.

La première chambre civile de la Cour de cassation censure, pourtant, les juges du fond pour n'avoir pas recherché si "l'établissement de crédit avait, avant d'apporter son concours aux époux [...], vérifié les capacités financières de ceux-ci, emprunteurs profanes, en vertu du devoir de mise en garde auquel il était tenu à leur égard".

On rappellera que, si cette même chambre civile avait déjà pu sanctionner "les prêteurs qui ne justifiaient pas, ni même n'alléguaient avoir mis en garde les emprunteurs sur l'importance de l'endettement qui résulterait [des] prêts" (3), c'était avant les arrêts du 12 juillet 2005, sans égard au caractère profane ou averti de ceux-ci. La nouvelle obligation pour le prêteur de distinguer pouvait donc, de ce point de vue, aussi être perçue comme une protection pour lui. L'emprunteur averti ne pouvait faire grief à sa banque de lui avoir accordé un prêt qu'il avait lui-même sollicité (4). Et, seul l'emprunteur profane, qui ne pouvait faire face aux échéances du prêt avec ses modestes revenus, ne semblait pouvoir engager la responsabilité de la banque pour n'avoir pas vérifié ses capacités financières et lui avoir accordé "un prêt excessif au regard de [ses] facultés contributives, manquant ainsi à son devoir de mise en garde" (5).

Tout en reprenant la solution, l'arrêt rapporté revient, cependant, sur un critère qui, traditionnellement, déchargeait le banquier : le fait que les remboursements aient été effectués sans difficulté particulière pendant un certain temps (6). Certes, jusqu'alors, cela n'était le plus souvent qu'un élément de l'exonération du banquier. Ainsi, une procédure de redressement judiciaire ouverte près de trois ans après que le crédit-bail ait été accordé, a pu exonérer le dispensateur de crédit, mais cumulativement, les juges ont également pris en compte une période d'observation de plusieurs mois et le fait que la poursuite du contrat avait été envisagée (7). La même observation peut être faite pour l'emprunteur qui avait régulièrement effectué ses remboursements, pendant les quatre années ayant précédé sa mise en redressement judiciaire, alors qu'au surplus, le secteur d'activité de l'emprunteur connaissait des difficultés économiques (8).

Si la jurisprudence ne fait généralement pas du seul écoulement du temps un critère suffisant d'exonération, en n'y voyant qu'un élément de la solution, on pouvait s'attendre à un certain infléchissement. Comme il a été relevé, "si les emprunteurs ont pu rembourser les premières annuités c'est que le crédit était réaliste" (9). Il n'était donc pas inconcevable que cette seule situation puisse exonérer le banquier. C'est pourtant une toute autre position que prend la première chambre civile dans son arrêt du 2 novembre 2005. Le critère objectif de l'écoulement d'un certain temps avant la survenance des difficultés, doit donc, désormais, céder le pas devant le critère subjectif que constitue le caractère profane de l'emprunteur.

La solution de la première chambre civile appelle aussi une autre remarque. En visant le devoir de mise en garde auquel est tenu le banquier à l'égard de l'emprunteur profane, les Hauts magistrats vont bien au-delà de la simple obligation de réduire une asymétrie d'information. La mise en garde est, en effet, une obligation intermédiaire, entre l'information et le conseil : beaucoup moins neutre que la première, mais sans aller jusqu'au second qui consiste à préconiser pour agir dans un sens déterminé (10). Elle impose au banquier d'attirer particulièrement l'attention de son client profane sur les dangers du financement qu'il sollicite.

En pratique, cela induit certaines contraintes pour le prêteur. Il doit s'enquérir systématiquement des compétences de son client (11) pour évaluer s'il est, ou non, en présence d'un emprunteur profane. Dans l'affirmative, il doit scrupuleusement vérifier ses capacités financières, et si celles-ci lui apparaissent un peu trop justes, le mettre en garde. Enfin, il doit se ménager la preuve de ses diligences.

L'arrêt du 2 novembre 2005, analysé en contemplation des arrêts du 12 juillet 2005, s'insère dans un ensemble particulièrement cohérent. En professionnel du crédit, le banquier ne peut naturellement faire abstraction du caractère averti ou profane de son client. La seule inadéquation du prêt aux capacités de remboursement de l'emprunteur profane ne paraît permettre, toutefois, que de présumer que le banquier a manqué à son devoir de mise en garde. La formulation employée par la première chambre civile n'interdit en tout cas pas de penser que la preuve contraire devrait pouvoir être rapportée : dès lors que le prêteur apporte la preuve qu'il a dûment mis en garde l'emprunteur profane des risques de l'opération, et si celui-ci a, en connaissance de cause, librement décidé de passer outre, on voit mal comment sa responsabilité pourrait être engagée à ce titre.

Reste que cette solution de la première chambre civile se concilie mal avec celle de la Chambre commerciale, laquelle, sur le terrain de l'obligation d'information, n'admet qu'exceptionnellement la responsabilité du banquier à l'égard des emprunteurs. On sait, en effet, que selon la Chambre commerciale, au moment de l'octroi du concours, la banque doit disposer d'informations que, par suite de circonstances exceptionnelles, l'emprunteur ignorait (12). Or, il a déjà été jugé que l'incompétence alléguée par l'emprunteur en matière bancaire et financière ne saurait tenir lieu d'une telle circonstance en ne l'empêchant pas d'apprécier le montant des mensualités qu'il aurait à rembourser et de les mettre en perspective avec ses ressources prévisibles (13).

Ces divergences de vues, au sein-même de la Cour de cassation, sont assez délétères. Elles pourraient pourtant être réduites simplement : il suffirait à la Chambre commerciale de ciseler ses attendus à la lumière du caractère profane ou averti de l'emprunteur. Elle pourrait ainsi, à l'instar de la première chambre civile, retenir la responsabilité du banquier lorsque celui-ci dispose d'informations que, par suite de circonstances exceptionnelles, l'emprunteur averti ignorait (14), ou encore, comme dans l'arrêt du 2 novembre 2005, lorsqu'il n'a pas mis en garde l'emprunteur profane alors que ses capacités financières le lui imposaient...

Richard Routier
Maître de Conférences à l'Université du sud Toulon-Var


(1) Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, n° 03-10.921, Jauleski c/ BNP Paribas, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9140DID).
(2) Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, deux arrêts, n° 03-10.770, Guigan c/ Crédit Lyonnais, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9139DIC), D. 2005, AJ, p. 2276, obs. X. Delpech ; JCP éd. E 2005, n° 1359, note D. Legeais et n° 02-13.155, Seydoux c/ BNP Paribas (N° Lexbase : A0277DKH).
(3) Cass. civ. 1, 27 juin 1995, n° 92-19.212, Crédit foncier de France c/ Epoux Garcia (N° Lexbase : A7283ABD), Bull. civ. I, n° 287 ; D. 1995, p. 621, note S. Piédelièvre ; Defrénois 1996, p. 689, note E. Scholastique ; JCP éd. E 1996, p. 11, note D. Legeais.
(4) Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, n° 03-10.770, Guigan c/ Crédit Lyonnais (N° Lexbase : A9139DIC) et n° 02-13.155, précité.
(5) Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, n° 03-10.921, précité.
(6) Cass. com., 22 mai 2001, n° 98-22.564, Strebler c/ Société marseillaise de crédit (N° Lexbase : A4839ATE) ; Cass. com., 22 février 2005, n° 03-14.014, Boulanger c/ BNP Paribas Lease (N° Lexbase : A8675DGE), Bull. civ. IV, n° 33, relevant que, si l'activité de la société s'était poursuivie pendant trois ans avant le prononcé de la procédure collective, l'établissement de crédit n'avait pas financé une activité dépourvue de toute viabilité ; CA Paris, 8ème ch., sect. A, 26 janvier 2005, n° 03/70020, M. Jean-Claude Brochard et autres c/ UCB (N° Lexbase : A6117DGN).
(7) Cass. civ. 3, 22 juin 2005, n° 03-19.694, Valat c/ Société Unibail, Gaz. proc. coll. 2005/3, 4-5 novembre 2005, p. 47, note R. Routier.
(8) Cass. civ. 1, 4 janvier 2005, n° 02-10.661, Mme Chantal Furois épouse Glangeaud c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Provence Côte-d'Azur (N° Lexbase : A8628DEB), Gaz. proc. coll. 2005/1, 29-30 avril 2005, p. 40, note R. Routier.
(9) D. Legeais,  Responsabilité du banquier, J.-Cl. Com. fasc. 346, janvier 2005, n° 28.
(10) Sur cette distinction : R. Routier, Obligations et responsabilités du banquier, Dalloz référence, nov. 2005, n° 351.11 et s.
(11) Ses connaissances, son expérience, son milieu socioprofessionnel...
(12) Cass. com. 11 mai 1999, n° 96-16.088, BNP c/ Epoux Meneteau (N° Lexbase : A8686AH8), Bull. civ. IV, n ° 95 ; M.-C. Piniot, RJDA 6/1999, p. 495 ; D. 1999, IR p. 155 ; JCP éd. E 1999, p. 1731, note D. Legeais ; Rev. Lamy dr. aff. 2000, n° 24, p. 8, note D. Gibirila ; RD bancaire et financier 1999, p. 184, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard.
(13) CA Paris, 15ème ch., sect. B, 24 juin 2005, n° 04/07046, M. Hancheng Chay c/ SA Crédit Lyonnais (N° Lexbase : A0464DKE), note R. Routier, Crédit inapproprié : conditions de la mise en jeu de la responsabilité de la banque et de la société de cautionnement mutuel, Lexbase Hebdo n° 183 du 29 septembre 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N8833AIY).
(14) Cass. civ. 1, 12 juillet 2005, n° 03-10.770, précité.

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Contrats et obligations

[Jurisprudence] Obligation d'information et perte de chance (à propos du durcissement de la responsabilité médicale)

Réf. : Cass. civ. 1, 29 novembre 2005, n° 03-16.308, Mme Marie Claire Castellonese, épouse Irles c/ M. Gérard Gaujoux, FS-P+B (N° Lexbase : A8410DL3)

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N1889AK8

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Le 07 Octobre 2010

L'occasion a déjà été donnée d'insister, ici même, sur l'importance que revêt l'obligation d'information et de conseil en droit positif, et l'on a déjà dit que l'émergence d'une telle obligation apparaissait comme l'un des traits dominants du droit contemporain des contrats : témoignant du glissement d'une conception subjective à une conception plus objective du contrat, elle permet de corriger l'inégalité naturelle qui existe entre les contractants ignorée par les rédacteurs du Code civil (1). Or, précisément, la multiplication des échanges, la standardisation des contrats, le passage du "sur mesure" au "prêt-à-porter" juridique, la technicité croissante et la complexité des rapports contractuels, expliquent sans doute la relative sévérité dont fait preuve la jurisprudence dans l'appréciation de cette obligation, particulièrement à l'égard des professionnels lorsqu'ils contractent avec des profanes (2). La responsabilité médicale illustre, avec d'autres, cette orientation, comme en témoigne un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 29 novembre dernier, à paraître au Bulletin. En l'espèce, une patiente avait été victime, lors d'une opération du canal carpien gauche réalisée sous endoscopie, d'une section du nerf médian de la main et avait, alors, recherché la responsabilité de son chirurgien. La cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui avait, certes, écarté l'existence d'une faute technique du praticien, l'avait tout de même déclaré responsable d'une perte de chance au titre d'un manquement à son devoir d'information. La décision est approuvée par la Cour de cassation qui, pour rejeter le pourvoi, relève que le dommage constituait une complication connue de ce type de chirurgie endoscopique, alors même qu'il n'était pas contestable que l'intervention avait été menée suivant une technique éprouvée avec les précautions habituellement recommandées. En clair, pas de faute du chirurgien dans l'accomplissement de l'acte de soin à proprement parler, autrement dit dans le geste technique, mais manquement de celui-ci à son devoir d'information et de conseil ayant privé la patiente d'une chance d'éviter le dommage.

En tant que tel, l'arrêt n'est pas très original et reprend des solutions aujourd'hui acquises. Nul n'ignore, en effet, que, en principe, la responsabilité du médecin suppose que soit démontrée une faute de sa part dans l'exécution de son obligation de soins (3), hors le cas où la responsabilité serait encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé. Par ailleurs, on sait que la jurisprudence a renforcé l'obligation d'information qui pèse sur le médecin, non seulement en affirmant qu'il n'est pas dispensé de cette obligation par le seul fait que les risques encourus ne se réalisent qu'exceptionnellement (4), mais encore en posant en principe, sur le terrain de la preuve, que le médecin doit rapporter la preuve de l'exécution de son obligation d'information (5). Tout cela est entendu. Encore convient-il peut-être, ici, de relever que la rigueur qui pèse sur les médecins conduit à ce que, même dans l'hypothèse dans laquelle aucune faute ne pourrait leur être reprochée dans l'accomplissement d'un acte technique, leur responsabilité ne soit pas pour autant écartée, l'obligation d'information apparaissant précisément comme un instrument permettant à la victime de ne pas rester sans réparation. Et il faut ajouter que, si, en principe, le préjudice réparable ne peut être alors que la perte d'une chance d'éviter le dommage par une information appropriée et complète, la jurisprudence a bien souvent tendance, sous couvert d'une perte de chance, à en réalité allouer des dommages et intérêts équivalents, ou presque, à ceux qui auraient été versés s'il s'était agi de réparer le préjudice final constitué par le handicap lui-même.

David Bakouche
Professeur agrégé des Facultés de droit


(1) Voir not., en dernier lieu, Cass. civ. 3, 26 octobre 2005, n° 04-16.405, Société Maisons Pierre c/ M. Siger Vélasquez, FS-P+B (N° Lexbase : A1543DLQ) ; Cass. civ. 1, 2 novembre 2005, deux arrêts, n° 03-17.443, Mme Angèle Kuntzmann c/ Société Cetelem, F-P+B (N° Lexbase : A3277DLX) et n° 03-10.909, Société Eggo conseils c/ Société BNP Paribas, FS-P+B (N° Lexbase : A3247DLT) ; sur ces trois arrêts, lire D. Bakouche, L'intensité du devoir d'information et de conseil en matière contractuelle, Lexbase Hebdo n° 190 du 17 novembre 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N0756AK9).
(2) Encore que l'obligation d'information ne soit pas limitée aux seuls rapports professionnels-consommateurs : voir not. art. L. 330-3 du Code de commerce (N° Lexbase : L8526AIM) issu de la loi "Doubin".
(3) Voir déjà Cass. civ., 20 mai 1936, Mercier, GAJC, 11ème éd., n° 161, et, aujourd'hui, l'article L. 1142-1, I du Code de la santé publique (N° Lexbase : L8853GT3).
(4) Cass. civ. 1, 7 octobre 1998, n° 97-10.267, Mme X c/ Clinique du Parc et autres (N° Lexbase : A6405AGC), Bull. civ. I, n° 291 ; sur l'application dans le temps de la solution, voir Cass. civ. 1, 9 octobre 2001, n° 00-14.564, M. Franck Abel Coindoz c/ M. Louis Christophe (N° Lexbase : A2051AWU), Bull. civ. I, n° 249.
(5) Cass. civ. 1, 25 février 1997, n° 94-19.685, M. Hédreul c/ M. Cousin et autres ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 1047429, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. civ. 1, 25-02-1997, n\u00b0 94-19.685, Cassation", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A0061ACA"}}), Bull. civ. I, n° 75, GAJC, 11ème éd., n° 13.

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Avocats

[Evénement] La responsabilité de l'avocat

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N1841AKE

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par Compte-rendu réalisé par Florence Labasque, SGR - Droit commercial

Le 07 Octobre 2010

Les 1er, 2 et 3 décembre dernier se sont tenus, au Palais des Congrès de Paris, le 6ème Salon Européen du Droit, de l'Audit et du Conseil et le 30ème Salon de l'Avocat et du Droit. A cette occasion, une conférence sur la responsabilité de l'avocat a été organisée par la Confédération Nationale des Avocats (CNA) et animée par Vincent Perraut, du Cabinet HOCQUARD & Associés, avocat au Barreau de Paris. Ont, tout d'abord, été abordées les questions de responsabilité et d'assurance de l'avocat (I). Ont, ensuite, été invoquées les actions en responsabilité ne donnant pas matière à garantie (II). Dans un troisième temps, les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité civile de l'avocat ont été précisées (III). Enfin, quelques moyens préventifs ont été proposés (IV). I - Problèmes de responsabilité civile et d'assurances

Il existe deux catégories de risques auxquels un avocat est exposé : la responsabilité civile professionnelle, d'une part, et la responsabilité dans le cadre des maniements de fonds, d'autre part.

A - Responsabilité civile professionnelle

La responsabilité civile de l'avocat est susceptible d'être engagée pour des fautes commises, soit dans l'exercice de son mandat, auquel cas il s'agira d'une responsabilité contractuelle, soit en dehors de l'exécution de son mandat, auquel cas il s'agira d'une responsabilité délictuelle mise en oeuvre sur le fondement des articles 1382 et suivants du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ).

Trois éléments sont pris en compte par la jurisprudence pour la mise en oeuvre de la responsabilité civile de l'avocat : la démonstration d'une faute, et l'existence d'un préjudice consécutif à cette faute -le terme consécutif démontrant la nécessité d'un lien de causalité-.

S'agissant de l'évaluation du préjudice, les tribunaux tiendront compte de la perte de chance (l'exemple-type étant l'oubli de l'exercice d'un appel voulu par son client). Il convient de souligner que la notion de perte de chance n'équivaut pas à l'avantage perdu puisque la chance est par nature aléatoire.

B - Assurance de responsabilité dans le cadre de maniement de fonds

Afin de prévenir les détournements de fonds et, notamment, le blanchiment d'argent, un contrôle de l'origine et de la destination des fonds détenus par l'Avocat pour le compte de ses clients est opéré par la CARPA, Caisse créée par l'Ordre des avocats et fonctionnant sous leur responsabilité. Ainsi, les avocats doivent déposer à la CARPA les fonds qu'ils reçoivent de leurs clients. Les avocats restent les donneurs d'ordre des instructions relatives à leurs affaires. La CARPA ouvre un compte pour chaque avocat (ou structure d'exercice). Les sous-comptes de chacun des avocats (ou structures) sont individualisés affaire par affaire, dont la comptabilité est tenue directement par la CARPA. La Carpa a l'obligation d'ouvrir un compte unique dans un établissement de crédit. Au sein de ce compte unique se trouvent centralisés tous les maniements de fonds effectués par les avocats. Dès lors, le solde constant de ce compte est suffisamment important pour permettre à la CARPA de bénéficier de produits financiers. Une commission nationale est chargée du contrôle des CARPA.

L'avocat garde toutefois, par l'intermédiaire de l'Ordre dont il dépend, l'obligation de souscrire une assurance particulière pour le compte de qui il appartiendra, qui couvre les détournements de fonds faits par lui.
Le sinistre est constitué, ici, par la défaillance de l'avocat à restituer les fonds qu'il détenait à l'expiration du délai d'un mois après mise en demeure.
Cette assurance permet à la victime de récupérer les sommes que l'avocat n'est plus en mesure de représenter. L'assureur dispose, ensuite, de la possibilité d'exercer un recours contre l'avocat.
Il s'agit donc d'une police sui generis qui se rapproche plus du cautionnement.

II - Action en responsabilité ne donnant pas matière à garantie

Certaines actions en responsabilité ne donnent pas matière à garantie dans la mesure où elles concernent la responsabilité pénale de l'avocat. En ce domaine, l'on peut d'ailleurs constater une évolution vers un durcissement de la mise en cause de la responsabilité de l'avocat dans la mesure où la voire pénale est désormais plus couramment envisagée par les victimes.

A - Responsabilité de l'avocat dans le cadre du contrat d'assurance de responsabilité civile professionnelle

Selon un principe général du droit, les condamnations pénales pécuniaires sont inassurables. Ce principe se justifie par l'impératif d'empêcher un affaiblissement de la responsabilité pénale.
Dès lors qu'existe un élément intentionnel, il n'existe pas d'aléa et donc le contrat d'assurance ne joue pas -cette règle a été clairement exposée dans une réponse ministérielle de 1959-.
L'assurance de responsabilité civile professionnelle est régie, rappelons le, par le décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, essentiellement par ses articles 205 (N° Lexbase : L0178A9H) et 206 (N° Lexbase : L0176A9E).
Ainsi, il est certain qu'il n'y a pas de prise en charge par l'assureur des conséquences civiles de la faute intentionnelle. On peut alors penser que, s'il s'agit d'un délit non intentionnel, les conséquences civiles de ce délit pourraient être couvertes par l'assurance.
Soulignons, aussi, que les frais de défense pénale peuvent être couverts par l'assureur (tel est le cas s'agissant de la responsabilité civile des mandataires sociaux) : dans cette hypothèse, l'assureur couvre les frais de défense puis, parfois, en demande le remboursement si la responsabilité pénale est confirmée.

B - Assurance pour le compte de qui il appartiendra

Dans le cadre de cette assurance destinée à couvrir les détournements de fonds, l'assureur couvre le tiers, puis dispose d'un recours contre l'avocat. Il s'agit là d'un recours pouvant être exercé au pénal.

III - Faute - causalité - préjudice

A - Faute

La faute est rarement un élément que l'on peut facilement discuter pour écarter la responsabilité. Ici, c'est au débiteur de l'obligation, c'est-à-dire l'avocat, de prouver qu'il n'a pas commis de faute. S'il s'agit d'une obligation portant sur des diligences, il sera alors facile de prouver que l'obligation a bien été remplie. En revanche, en matière de devoir de conseil, un avocat peut parfaitement avoir donné les informations nécessaires verbalement, mais se trouver dans l'impossibilité absolue de le démontrer, auquel cas le tribunal retiendra sa faute.
L'on est donc amené à se demander pourquoi cette jurisprudence a été instituée, puisqu'elle inverse la règle traditionnelle. La réponse se trouverait dans la prise en compte de l'extension de l'assurance de responsabilité civile professionnelle obligatoire avec l'idée que l'indemnisation de la victime, mutualisée par le jeu de l'assurance, doit être privilégiée.
Cette assurance ne constitue, toutefois, pas un domaine lucratif pour les Compagnies. Cette réalité économique est à la base de la modification de l'assurance puisque, désormais, la garantie n'est susceptible d'être mobilisée que si la première réclamation -et non plus le sinistre- intervient pendant la période de validité de la police. Confronté à de multiples réclamations de même nature et susceptibles de se poursuivre sur une longue période, l'assureur pourrait ainsi, désormais, être tenté de résilier sa police pour échapper à la mobilisation de sa garantie.

B - Causalité

Un autre élément inquiétant de la jurisprudence pour les avocats tient au durcissement de l'appréciation de la causalité entre la faute commise et le préjudice subi. Traditionnellement, la responsabilité de l'avocat était dite subsidiaire, en ce sens qu'il était exigé une causalité directe entre la faute et le préjudice. Or, il existait des hypothèses où l'erreur commise par un avocat pouvait encore être palliée par des voies juridiques détournées. Dans ce cas de figure et faute d'avoir mis en oeuvre ces recours subsidiaires, la victime ne pouvait démontrer qu'existait un lien causal direct entre la faute reprochée et son préjudice. Cependant, cette jurisprudence est balayée depuis 2002, la Cour de cassation estimant que la victime ne peut se voir imposer l'exercice d'une autre voie de droit que celle qui était à l'origine confiée à l'avocat.
Or, cela paraît choquant sur le terrain de la logique. En effet, l'exercice de voies juridiques subsidiaires constitue certes un préjudice direct susceptible d'indemnisation (frais, perte de temps) mais, pour autant, ce préjudice ne s'assimile pas avec la perte de l'avantage initialement escompté. Celui-ci pourrait, en effet, par hypothèse, encore être atteint.
L'on passe donc d'un durcissement de la jurisprudence sur le régime de la faute à un durcissement de la jurisprudence sur le régime de la causalité.

C - Préjudice

Enfin, un autre élément préoccupant pour les professionnels du droit réside dans la façon dont le préjudice est, désormais, plus extensivement évalué par les tribunaux.
Certes, en cas de perte de chance, la victime ne devrait pas pouvoir prétendre, comme déjà évoqué, être indemnisée à hauteur du gain maximal du procès.
Toutefois, on constate une tendance des juridictions à intégrer dans le préjudice indemnisable les honoraires versés à l'avocat fautif. Les avocats, dans un premier temps, avaient alors fait valoir qu'il s'agissait d'une contestation d'honoraires soumise à un régime propre et soulevaient, par conséquent, l'incompétence de la juridiction de droit commun. Cependant, cette jurisprudence s'estompe de façon inquiétante puisque, si le tribunal indemnise la victime également au titre des honoraires versés, l'assureur adopte, alors, une position de non-garantie de sorte que c'est l'avocat qui, à titre personnel, est tenu au paiement.
Pourtant, la victime devrait seulement être indemnisée de la perte du procès. Indemniser la perte du gain et les honoraires versés, alors que ce gain ne pouvait en toute hypothèse être atteint qu'en recourrant à un avocat qu'il aurait fallu rémunérer, revient à procéder à une double indemnisation, qui va à l'encontre du principe du droit français selon lequel seul le préjudice subi doit être réparé. Toutefois, ce problème n'a, à ce jour, pas encore dépassé le stade des cours d'appel.

IV - Moyens préventifs

Il faut reconnaître à la déontologie un effet préventif. Ainsi, cette prévention peut se traduire par une plus grande obligation de compétence (par exemple, assister aux formations continues). Cette obligation peut d'ailleurs, si elle est négligée par l'avocat, donner lieu à des sanctions disciplinaires infligées par son Ordre.
La prévention peut aussi prendre la forme d'une attention plus grande prêtée, au moyen de conseils donnés par l'Ordre, aux diligences incombant à l'avocat et à la célérité avec laquelle il doit les accomplir.


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